Jazz Life (articles et interviews en 2019)
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TEARS
Bob WILBER • Harold MABERN • Richard WYANDS • Larry WILLIS • Ernest J. GAINES
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Larry Willis, Smoke Jazz Club, New York, 2018 © Mathieu Perez
Larry WILLIS
Unforgettable
Larry Willis vient de nous quitter le 29 septembre 2019 (cf. sa nécrologie), ne nous laissant pas le temps de publier de son vivant ses derniers propos que nous avions recueillis en novembre 2017 à l'occasion du passage à Paris de son trio avec Blake Meister (b) et Eric Kennedy (dm). L'interview prolonge la précédente publiée dans le Jazz Hot n°686 en 2001, et donc la nécrologie que nous venons de lui consacrer. Ce sera ainsi notre hommage à ce bel artiste, jazz jusqu'au bout des ongles, c'est-à-dire accessible, humain, généreux, toujours souriant et heureux de transmettre ce que ses aînés lui ont transmis plus ce que lui-même a apporté au jazz, autant sur le plan artistique que philosophique, avec cette indispensable modestie en regard d’une œuvre artistique de première importance qui rendent Larry Willis inoubliable pour ceux qui ont eu le bonheur de l'écouter et le plaisir de l'approcher…
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Propos recueillis par Mathieu Perez
Photos © Mathieu Perez
© Jazz Hot 2019
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Gilles Naturel, Toucy Jazz Festival 2014
© Mathieu Perez
Gilles NATUREL
Toutes les nuits du monde
Gilles Naturel est entièrement dévoué à la musique, comme l'étaient les musiciens de l'époque moderne, à la fois artistes et artisans de la musique, travaillant beaucoup dans l'ombre et peu dans la lumière, sans obsession de la scène mais avec celle de la musique, du travail bien fait et ce souci de «cent fois sur le métier remettez votre ouvrage». Ceux qui ont vu le film Tous les matins du monded'Alain Corneau comprendront cette exigence, cet absolu, et sans doute Gilles lui-même l’a-t-il ressenti, lui dont les références sont curieusement tendues entre cette période ancienne et la modernité du jazz. On en trouve un début d'explication dans sa biographie, car il naît le 9 janvier 1960 à Paris dans une famille de musiciens où les parents sont professeurs de musique classique, où la fratrie est musicienne, et où la musique passe avant toute chose, se joue en famille avec sérieux, comme chez Jean de Sainte-Colombe. Le parallèle ne s'arrête pas là, vous le lirez dans l'interview, puisque Gilles va jusqu'à apprendre à fabriquer ses cordes en boyau et jouer sur des instruments anciens à archet, comme la vièle… Malgré ce pédigrée de musique classique et cet amour de la musique baroque, Gilles Naturel s'est investi dans le jazz où il a trouvé, dans la langue musicale de son temps, une transposition naturelle de son amour pour l'esprit de la musique baroque, dans l'exigence et l'intransigeance, accompagnées du souci de transmission qui sont propres au jazz. Gilles Naturel se rend ainsi toujours disponible pour les plus jeunes musiciens, partageant avec eux son art, son savoir-faire, sa mémoire, comme ses aînés ont su le faire avec lui, des aînés pour lesquels il garde les yeux, le respect et la reconnaissance de l'éternel étudiant que doit être un artiste. Au fil des années, le contrebassiste a accompagné ce que le jazz fait de meilleur. Pour Gilles Naturel, les rencontres deviennent des compagnonnages: Alain Jean-Marie, Barney Wilen, Johnny Griffin, Benny Golson, Lenny Popkin, Stochelo Rosenberg, Jean-Loup Longnon et beaucoup d'autres; vivants ou disparus, les musiciens qu'il a côtoyés font toujours partie de son monde, sur la scène et dans son cœur, son imagination, car le jazz, pour lui, c’est sa vie.
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Propos recueillis par Mathieu Perez
Photos de Mathieu Perez, X by courtesy of Elemental-Distrijazz
Jean-Pierre Arnaud, Joseph Giscard, X Coll. Gilles Naturel by courtesy,
Catherine Tissot by courtesy of Lenny Popkin
© Jazz Hot 2019
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Eric McPherson, Jazz à Vienne 1993
© Pascal Kober
Connu ces dernières années,
en Europe du moins, pour sa présence au côté du contrebassiste John Hébert dans le magnifique trio de Fred Hersch, Eric McPherson est parmi les
batteurs prenant le plus de plaisir à naviguer entre les esthétiques et les
sensibilités du jazz. Il est allé à la bonne école. Né le 11 décembre 1970 à New York, il
entend du jazz, en direct, dès sa petite enfance lorsqu’il part vivre en
Californie avec sa mère, une danseuse de jazz, laquelle travaille aussi au
légendaire Keystone Korner à San Francisco. De retour à New York au début de
l’adolescence, il se lie d’amitié avec Nasheet Waits, le fils du grand batteur Freddie Waits, et Abraham Burton, et il étudie
la batterie avec Michael Carvin. Puis, une fois le lycée fini, au LaGuardia High
School of Music & Artand Performing Arts, une prestigieuse
école artistique publique, il s’installe à
Hartford, dans le Connecticut, pour approfondir son éducation aux côtés de
Jackie McLean au Hartt School of Music (rebaptisé Jackie McLean Institute
of Jazz en 2000), à l'Université de Hartford.
Il intègre alors la formation dumaestro et cette aventure dure quinze ans (1991-2006).Les anciens, Eric McPherson en a côtoyé d’autres:
Richard Davis (son parrain), Freddie Waits, Max Roach… Il a multiplié les
collaborations, le plus souvent longues, avec des leaders fameux, notamment
Andrew Hill (2003-2007) et Fred Hersch (depuis 2009). Ces expériences intenses,
celles avec ses frères de cœur Abraham Burton (ts) et Nasheet Waits (dm), ont façonné
une personnalité musicale créative, pleine de finesse et bien consciente des
racines de cette musique. Pour s’en rendre compte, il suffit d’entendre le
quartet du tonnerre qu’il a mis sur pied il y a dix ans, et qui se compose
toujours d’Abraham Burton (ts), Dezron Douglas (b), un autre disciple de Jackie McLean
(voir Jazz Hot n°672), et David Bryant (p).
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Propos recueillis par Mathieu Perez
Photos d'Umberto Geminale, Pascal Kober et X by courtesy of Eric McPherson
© Jazz Hot 2019
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Kahil El'Zabar
© Mathieu Perez
Kahil EL'ZABAR
The spirit of resistance
Enfant
de Chicago, le
percussionniste Kahil El’Zabar (né Clifton Blackburn, Jr., le 11
novembre 1953)
est l’un des représentants éminents de l’Association for the Advancement
of
Creative Musicians (AACM), un mouvement qui, depuis sa fondation
en 1965 à l'initiative de Muhal Richard Abrams, Jodie Christian, Phil
Cohran, Steve McCall et Malachi Favors, n’a cessé d’inciter
les musiciens à saisir leur destin en organisant des concerts, en
développant
leurs tournées, en explorant l'ensemble des musiques du monde. Cette
association historique, Kahil El’Zabar l’a rejointe à l’âge de 18 ans et
en a été le
président en 1975, comme il l'a raconté dans une précédente et
passionnante interview (Jazz Hot n°659, 2012).
En
1973, il était parti à la recherche de ses racines au
Ghana, puis a fondé, à son retour, l'Ethnic Heritage Ensemble, avec
lequel il tourne en Europe à partir de 1976, et, plus tard dans les
années 1980, le Ritual Trio, formations qui réintroduisent la musique traditionnelle africaine dans sa vision personnelle de la Great Black Music.
Explorer la musique, telle est le cœur de sa démarche. S’il
a accompagné Dizzy Gillespie, Cannonball Adderley, Nina Simone, il a enregistré avec Archie Shepp, Pharoah Sanders,
David Murray, Kurt Elling, Hamiet Bluiett, Corey Wilkes et d'autres
membres de l'AACM comme Wadada Leo Smith. Il a construit une imposante
œuvre qu'on peut suivre dans une importante discographie en leader (en particulier pour les labels CIMP et Delmark, Jazz Hot n°659 et ci-dessous). Il accompagne par ailleurs Stevie Wonder, Paul Simon, Defunkt, écrit
des musiques de film ou des arrangements (la comédie musicale The Lion King à Broadway)…
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Propos recueillis par Mathieu Perez-Photos de Mathieu Perez et X, by courtesy of Kahil El'Zabar
© Jazz Hot 2019
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Ronnie Gardiner,
Ystad Sweden Jazz Festival 2014
© Jérôme Partage
Ronnie GARDINER
My Swedish Heart
Ronnie Gardiner est né le 25 juillet
1932 à Westerly, Rhode Island. Après une première partie de carrière à New
York et sur la Côte Est, il décide, à 30 ans, de s’installer en Scandinavie. Il
passe quelques mois à Copenhague, où il côtoie Dexter Gordon, puis s’établit à
Stockholm, alternant avec quelques séjours prolongés aux Iles Canaries. Dans tous les
lieux où il a travaillé, Ronnie Gardiner s’est fait une spécialité d’animer des
rythmiques locales accueillant les jazzmen de passage, en particulier américains,
tout en cultivant une certaine polyvalence lui permettant de s’adapter à des
contextes variés, très jazz, comme avec Zoot Sims ou Clark Terry, ou variétés jazzy, avecnotammentla chanteuse suédoise Lisa Ekdhal. Il est, par ailleurs, aussi
un ambassadeur du jazz auprès du grand public quand il se produit avec sa formation dans le parc
d’attraction de Gröna Lund, à Stockholm.
Son parcours retrace ainsi
une histoire du jazz en Scandinavie, histoire riche de la présence
d'artistes américains durant le seconde moitié du XXe siècle avec entre autres Dexter Gordon, Ben Webster, Kenny Drew, Horace
Parlan, Duke Jordan; de grands musiciens scandinaves imprégnés de
culture jazz: Svend Asmussen, Niels-Henning Ørsted Pedersen,Bengt Hallberg, Arne
Domnérus, etc.; des acteurs locaux, clubs et labels: Club Montmartre,
SteepleChase, Stampen, Metronome… Une histoire que les musiques
improvisées européennes ont eu tendance à occulter dans les vingt
dernières années à Stockholm comme à Paris.A 87 ans, Ronnie Gardiner était encore à
l’affiche du Festival d’Ystad en août 2019 (notre compte-rendu) et
continue de parcourir l’Europe pour présenter une technique de son invention,
la Ronnie Gardiner Method, destinée à lutter contre les problèmes cérébraux et
nerveux à l’aide du rythme. Le tout est vécu par Ronnie Gardiner avec un enthousiasme de jeune homme.
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Propos recueillis par Jérôme Partage-Photos: Jérôme Partage et X by courtesy of Sean Gourley
© Jazz Hot 2019
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Ramona Horvath,
Festival Jazzycolors 2018
© Quentinprod, by courtesy of Ramona Horvath
Ramona HORVATH
Le Sucrier Velours
Arrivée
en France il y a tout juste dix ans, Ramona Horvath s’est imposée comme
l’une des pianistes de jazz les plus originales de la scène parisienne.
Née à Bucarest, où elle a reçu une solide formation classique, elle
s’est initiée au jazz en autodidacte (d'abord par l'écoute des standards
de la comédie musicale américaine puis des pianistes de jazz, d'Oscar
Peterson à Brad Mehldau, en passant par Erroll Garner) avant de suivre
l'enseignement de son mentor, Jancy Körössy1, l’une des deux célébrités du jazz roumain, avec le pianiste Johnny Raducanu (1931-2011, cf. Jazz Hot n°601). Elle est ainsi parvenue à une synthèse très personnelle et très jazz.
Il faut dire que la Roumanie est une terre d’élection pour le jazz depuis l’origine –les premiers numéros de Jazz Hot, dès 1935, en témoignent2–
et cette histoire ne s’est pas démentie sous le régime communiste
après-guerre jusqu’à sa chute en 1989. Malgré la guerre froide, l’accès
au jazz d’outre-Atlantique ainsi qu’à la culture populaire américaine
demeura possible dans un réseau plus ou moins underground comme le raconte Ramona Horvath3.
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Propos Propos recueillis par Jérôme Partage
Photos de Jérôme Partage, Bernard Bérenguer, Quentinprod, Emilian Tantana,
by courtesy of Ramona Horvath
© Jazz Hot 2019
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Victor Lewis,
Festival de Jazz de Vitoria 2006
© Jose Horna
Victor LEWIS
Sophisticated Giant
Victor Lewis (né le 20 mai 1950 à Omaha, dans le Nebraska) est un batteur historique. Depuis qu’il s’est installé à New York en 1974, après des études classiques, il a travaillé avec la fine fleur du jazz, notamment avec Woody Shaw (1974-1980), Dizzy Gillespie, Stan Getz (1981-1991), Bobby Watson (Horizon), Kenny Barron, George Cables… Il a nourri une discographie foisonnante de très haut niveau (Dexter Gordon, J.J. Johnson, Bobby Hutcherson, Art Farmer, Randy Weston, John Hicks, Sonny Rollins, Jaco Pastorius, David Murray, Joe Sample, Larry Willis, Carla Bley, Carmen Lundy, Johnny Griffin, Abbey Lincoln, Steve Turre, Cedar Walton, Grover Washington, Herbie Mann, Andy Bey, Lew Soloff, Cyrus Chestnut, Jeremy Pelt…).
Depuis des années, il est l’un des batteurs les plus demandés de la scène new-yorkaise, un compositeur très apprécié de ses pairs, un prof’ très aimé de ses élèves. C’est avant tout un musicien profondément spirituel, dans sa façon de jouer et de vivre la musique au quotidien.
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Propos recueillis par Mathieu Perez-Photos de José Horna et Pascal Kober
© Jazz Hot 2019
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Père et fils: Victor Toti Morel et Victor Morel, Jr.
© Photo X by courtesy of Victor Morel
Victor MOREL
Jazz in Paraguay
Moins connue, la scène jazz du Paraguay n’en demeure pas moins active. Le batteur paraguayen Víctor Morel apporte son énergie et sa richesse à la défense de cette scène encore peu structurée lors de ses voyages à l’étranger. C’est dans ce contexte que nous l’avons rencontré.
Né le 31 mars 1983 à Asunción, dans une famille musicale –son père n'est autre que Victor Toti Morel, batteur déjà réputé– il évoque l’influence du jazz américain dans le pays tout autant que les grandes figures du jazz au Paraguay et l’importance du Big Band del Centro Cultural Paraguayo Americano (CCPA). Coleader du Joaju Cuarteto depuis 2011, il développe avec cette formation un répertoire de compositions originales et revisite les chansons du folklore paraguayen en lui insufflant un état d’esprit jazz.
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Propos recueillis par Mathieu Perez-Photos by courtesy of Victor Morel
© Jazz Hot 2019
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Hoagy Carmichael,
dessin © Sandra Miley
Hoagy CARMICHAEL
Stardust Memories
Mélodiste
de talent, clown à la dégaine nonchalante, Hoagy Carmichael avait aussi
une profondeur, une épaisseur de vie, une humanité. Sa voix,
reconnaissable par ses infléchissements nasillards, moqueurs, roques
mais aussi veloutés, sortes de miaulements à intonations variables,
traînant sur les notes, servait des textes et des partitions alternant
mélancolie, perplexité et loufoquerie, à l’image du no-sense des films très rythmés d’alors, y compris dans les nuances. Une dimension chaplinesque, comme pour conjurer
et dynamiser cette époque inquiétante car secouée par la Grande guerre
de 1914-18, puis par la Grande dépression de 1929, par les révoltes
inévitables de la faim, par les inégalités, les discriminations
ethniques et sociales, pour arriver finalement à la Seconde Guerre mondiale. Les artistes
détectent, perçoivent et traduisent les émotions de leur temps, aidant
aussi souvent les populations à surmonter les cauchemars de l’Histoire,
particulièrement dans ce début de XXe siècle. Garder leur mémoire vivante, c’est rester riche de ce qu’ils ont apporté.
Hoagy
Carmichael est si présent dans le répertoire du jazz –ses mélodies ont
participé à la création de quelques-uns des chefs-d’œuvre enregistrés de
son siècle– que nous profitons de son 120e anniversaire pour rappeler le parcours d’un homme pressé qui a choisi, pour le plus grand bien de la planète, l’art plutôt que le droit, ce qui lui a aussi bien réussi…
Hélène Sportis
Dessin © Sandra Miley
© Jazz Hot 2019
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