Ronnie Gardiner,
Ystad Sweden Jazz Festival 2014 © Jérôme Partage
Ronnie GARDINER
My Swedish Heart
Ronnie Gardiner est né le 25 juillet
1932 à Westerly, Rhode Island. Après une première partie de carrière à New
York et sur la Côte Est, il décide, à 30 ans, de s’installer en Scandinavie. Il
passe quelques mois à Copenhague, où il côtoie Dexter Gordon, puis s’établit à
Stockholm, alternant avec quelques séjours prolongés aux Iles Canaries. Dans tous les
lieux où il a travaillé, Ronnie Gardiner s’est fait une spécialité d’animer des
rythmiques locales accueillant les jazzmen de passage, en particulier américains,
tout en cultivant une certaine polyvalence lui permettant de s’adapter à des
contextes variés, très jazz, comme avec Zoot Sims ou Clark Terry, ou variétés jazzy, avec notamment la chanteuse suédoise Lisa Ekdhal. Il est, par ailleurs, aussi
un ambassadeur du jazz auprès du grand public quand il se produit avec sa formation dans le parc
d’attraction de Gröna Lund, à Stockholm. Son parcours retrace ainsi une histoire du jazz en Scandinavie, histoire riche de la présence d'artistes américains durant le seconde moitié du XXe siècle avec entre autres Dexter Gordon, Ben Webster, Kenny Drew, Horace Parlan, Duke Jordan; de grands musiciens scandinaves imprégnés de culture jazz: Svend Asmussen, Niels-Henning Ørsted Pedersen, Bengt Hallberg, Arne Domnérus, etc.; des acteurs locaux, clubs et labels: Club Montmartre, SteepleChase, Stampen, Metronome… Une histoire que les musiques improvisées européennes ont eu tendance à occulter dans les vingt dernières années à Stockholm comme à Paris.
A 87 ans, Ronnie Gardiner était encore à
l’affiche du Festival d’Ystad en août 2019 (notre compte-rendu) et
continue de parcourir l’Europe pour présenter une technique de son invention,
la Ronnie Gardiner Method, destinée à lutter contre les problèmes cérébraux et
nerveux à l’aide du rythme. Le tout est vécu par Ronnie Gardiner avec un enthousiasme de jeune homme.
Propos recueillis par Jérôme Partage Photos: Jérôme Partage et X by courtesy of Sean Gourley
© Jazz Hot 2019
Jazz
Hot: Dans quel environnement familial avez-vous grandi?
Ronnie
Gardiner: Mon père était chef dans un
restaurant. «Batterie» est le troisième mot que j’ai dû savoir dire après
«Papa» et «Maman»! (Rires) Très
jeune, j’ai été attiré par le rythme, et j’ai commencé à faire du tap-dancing.
Mes frères aînés écoutaient Benny Goodman, Count Basie, et moi j’avais les
oreilles grandes ouvertes! J’ai eu ma première batterie à l’âge de 3 ans, et
j’ai appris en autodidacte. A 10 ans, j’ai commencé à prendre des leçons avec
des batteurs du coin, puis je suis parti à New York, à 19 ans, pour étudier. J’y
suis resté de 1951 à 1955. J’ai même joué avec Charlie Parker, dans un train,
en rentrant à New York! C’était en 1951. Il était avec sa femme, Chan. Je suis
tombé sur lui, et on a commencé à discuter. Puis des soldats l’ont reconnu et
lui ont demandé de jouer. Il a sorti son saxophone et m’a demandé si j’avais
mes balais. Je lui ai dit oui. Alors, il m’a demandé mon nom et m’a dit:
«Assied-toi à côté de moi, on va jouer ensemble.»
Ronnie Gardiner,
Ystad Sweden Jazz Festival 2014 © Jérôme Partage
Quel
a été votre première inspiration à la batterie?
Pour quelqu’un de mon âge, la référence c’était
Gene Krupa. Parce que c’était le batteur de Benny Goodman. Plus tard, j’ai
découvert Jo Jones, Kenny Clarke, Art Blakey, Max Roach. J’ai été davantage
attiré par les batteurs bop. Parmi ceux d’aujourd’hui, j’aime particulièrement
Steve Gadd.
Avec
qui jouiez-vous lorsque vous viviez encore aux Etats-Unis?
Je dirigeais la rythmique maison d’un
club du Connecticut qui accueillait des musiciens de New York chaque dimanche. J’ai
ainsi eu l’occasion d’accompagner Buck Clayton, Charlie Shavers, Cat Anderson,
James Moody, Zoot Sims, entre autres. J’ai eu beaucoup de chance. Je devais
m’adapter à des styles très différents. C’était très formateur, car il est
important de savoir s’adapter. Ce n’est pas très intéressant de jouer toujours
dans le même style. Ce serait comme manger le même hamburger tous les jours. Il
faut varier les plats! Sinon, mon travail, c’est de faire sonner les autres de
la meilleure façon. Personne ne va vous embaucher pour des solos de batterie! Ce
qui est important, c’est ce qu’on partage et qu’on arrive à créer
collectivement.
Quand
et pourquoi être vous parti en Europe?
Il faut se rappeler ce qu’étaient le
début des années 1960: l’arrivée de la pop music anglaise, avec les Beatles,
etc. Le jazz en a beaucoup souffert. Et il y avait toujours la question du
racisme aux Etats-Unis dont étaient victimes les musiciens afro-américains.
C’est un fait. Par ailleurs, ma mère est décédée à cette période. Je n’avais
pas beaucoup d’argent, j’étais célibataire. Tout cela m’a décidé à venir
m’installer en Scandinavie pour tenter ma chance, ce que m’avaient conseillé
plusieurs musiciens; je savais que Paris comptaient également beaucoup
de grands jazzmen comme Bud Powell, Jimmy Gourley, Eric Dolphy… J’y étais déjà
venu en 1961. En 1962, Dizzy Gillespie m’a appelé pour rejoindre son groupe.
C’est Clark Terry, avec qui j’avais collaboré, qui m’a recommandé à lui. Après cet engagement, je suis parti pour l’Europe. J’étais
dans un bateau en direction de la Suède mais, au dernier moment, j’ai décidé de
débarquer à Copenhague. C’est là qu’a commencé la seconde partie de ma vie, le
27 septembre 1962. Au bout de trois mois, j’ai effectué mon premier concert avec
Dexter Gordon. J’étais allé le voir jouer alors que j’étais à bout d’argent,
avec seulement quelques couronnes en poche. Son batteur n’avait pas cessé de
boire depuis deux jours. Alors, il m’a demandé si je pouvais prendre sa place
pour le dernier set. Je me souviens qu’on a joué «Billy’s Bounce». Après quoi
un Danois est venu me voir et m’a demandé si j’avais un orchestre. J’ai
répondu: «Bien sûr!» J’ai donc dû monter un groupe en quelques jours. Les
choses ont démarré comme ça. J’ai beaucoup joué au Club Montmartre et notamment
avec Niels-Henning Ørsted Pedersen qui faisait partie de la rythmique maison.
Sur le plan musical, ça a été une période formidable. En mai de l’année
suivante, je suis parti en Suède où j’avais trouvé des engagements avec ma formation qui comptait des Américains et des Danois. Par la suite, il y
a eu davantage de Suédois. C’était un jazz «commercial» en ce sens que nous ne
jouions que des standards, avec des chorus pas trop longs. Mais on travaillait
six soirs sur sept. Et cinquante-sept ans après, je suis toujours là! La
musique est davantage respectée en Europe; en tant qu’Afro-Américain, vous
sentez tout de suite la différence avec les Etats-Unis.
Ronnie Gardiner,
Ystad Sweden Jazz Festival 2019 © Jérôme Partage
Avez-vous
de nouveau joué avec Dexter Gordon par la suite?
Dexter Gordon et Zoot Sims sont les deux
musiciens que j’ai le plus accompagnés. Avec Dexter, il fallait faire très
attention au tempo, être très attentif aux variations qu’il donnait en
phrasant. J’ai aussi enregistré un disque avec Albert Ayler, en 1963, c’était très free! Je ne comprenais pas vraiment ce que je faisais! (Rires) En 1969, j’ai été engagé par
Jimmy Gourley pour être le batteur attitré d’un club qu’il venait d’ouvrir aux
îles Canaries, en association avec Don Jetter (tp), le Half Note1.
Kenny Clarke n’étant pas disponible pour ce travail. Je suis resté en Espagne
jusqu’en 1973 avant de rentrer en Suède car les engagements jazz se raréfiaient.
J’ai alors trouvé un engagement dans un cinéma, en tant que musicien. J’avais ma formation. A partir de 1975, j’ai intégré le trio de Charlie
Norman (p, voc)2 qui était une très grande vedette en Suède. J’ai participé avec
lui à de nombreuses émissions de télévision et enregistrements. De 1980 à
1988, je suis retourné aux Canaries avec lui, six mois par an. On jouait pour
les touristes un mélange entre jazz et variété.
A
Stockholm, vous accompagniez les musiciens américains de passage?
Oui, c’était pratique pour eux. C’est
comme ça que j’ai notamment accompagné Barney Kessel et de nouveau Clark Terry.
En 1980, j’ai assuré la rythmique locale du premier Stockholm Jazz Festival ce
qui m’a donné l’occasion de jouer avec plusieurs musiciens extraordinaires:
Johnny Griffin, Gerry Mulligan, Benny Carter, Nat Adderley. J’ai eu beaucoup de
chance.
Que
pensez-vous de la scène jazz suédoise ?
Elle est très dynamique. C’était déjà le
cas quand je suis arrivé, dans les années 1960, avec des musiciens très
populaires comme Bengt Hallberg (p, 1932-2013). Aujourd’hui, il y a beaucoup de
jeunes musiciens excellents qui sont sortis des écoles. Ils sont sérieux: ils
ne boivent pas, ils ne fument pas, ils travaillent, ils arrivent à l’heure. Ce
n’était pas toujours comme ça quand j’étais jeune! Le problème, c’est qu’il y a
moins d’endroits pour jouer. Depuis vingt ans, j’ai créé un prix à mon nom pour
aider les jeunes batteurs suédois à se lancer. Ce prix est doté sur mes propres
fonds. Je ne suis pas très riche, mais j’ai quelques économies pour me le
permettre. J’aimerais pouvoir donner ce prix jusqu’à mes 100 ans, en 2032!
Qu’est-ce
que le jazz pour vous?
C’est une musique très créative, basée
sur l’improvisation. Une musique du moment, où chaque solo est unique. Et chaque
note que vous faites doit sonner juste.
Quelle
est votre activité aujourd’hui?
Depuis 1993, je dirige mon propre
orchestre à Stockholm. Beaucoup de jeunes musiciens très talentueux ont
travaillé avec moi. C’est le cas de Mathias Algotsson (p) et de Karl
Olandersson (tp) qui sont en train de devenir de très grands musiciens. Je suis
très fier de ça. Tout le monde est très occupé par ailleurs, y compris moi,
mais nous jouons ensemble régulièrement. Je suis très heureux de ma carrière en
Europe. J’ai participé à près d’une centaine d’enregistrements, à des émissions
de télévision… En outre, la méthode que j’ai créée occupe beaucoup de mon
temps.
Ronnie Gardiner avec son septet: Mathias Algotsson (p), Claes Brodda (ts), Karl Olandersson (tp), Han Larsson (b), Anders Norell (tb), Claes Askelöf (eg), Ystad Sweden Jazz Festival 2019 © Jérôme Partage
En
quoi consiste votre méthode?
Je l’ai élaborée à partir de 1980, à la
suite d’un drame personnel: le meurtre de ma fiancée. Ma méthode est basée sur
la musique, le rythme, la coordination, à l’aide d’exercices sensitifs. Elle
sert à améliorer l’état de personnes ayant subi des dommages ou souffrant de
dysfonctionnements du cerveau et du système nerveux. Je la fais connaître à
travers toute l’Europe: Pays-Bas, Royaume-Uni, Allemagne, Hongrie, Espagne et
même Israël. En revanche, je ne suis pas encore parvenu à venir la présenter en
France.
1.
Jimmy Gourley (1926-2008) a été pendant deux ans (1969 à 1971) le directeur
musical du Half Note fondé par Donald Vail Jetter (1920-1992).
2.
Charlie Norman (1920-2005), de son vrai nom Karl-Erik Albert Norman, débute,
dans les années 1940, une carrière à succès de pianiste de boogie-woogie. Il
participe même à un programme télévisé à Paris, en 1947, en compagnie d’Edith
Piaf. Ses émissions radiophoniques, dans les années 1950, ainsi que sa
collaboration avec la chanteuse Alice Babs, lui apportèrent une importante
popularité. Musicien et showman, il a souvent été comparé à Victor Borge. En
trio avec son fils Lennie Norman (eb) et Ronnie Gardiner, il a assuré, dans les
années
1970-80,
dix saisons d’hiver aux Canaries à l’attention de la clientèle suédoise.
*
CONTACT: www.ronniegardinermethod.com
SÉLECTION DISCOGRAPHIQUE
Leader/Coleader CD 1995. My Swedish Heart, Sittel 9225 CD 1997. Click!, Sittel 9242 CD 2001. 10th Anniversary Live at Gröna Lund, Phontastic 8866 CD 2002. Collectif, Jazz From the Fourth Floor, Massive Music 000 (titre: «In Walked Horace»)
Sideman CD 1963. Albert Ayler, My Name Is Albert Ayler, Debut Records 140 LP 1970-71. Charles Norman, Boogie Woogie, Interd LP 1975. Charlie Norman, Charlie Live, Polar 267 LP 1975. Charlie Norman, 50 Ars-Skiva, C3C 81140 LP 1980. Charlie Norman, Glory Hallelujah, PHM 1011 LP 1980. Charlie Norman, Går på party, SIR TK787 CD 1980. Rolf Berg, Rolf Berg & Knud Jörgensen Trio, Marcus Music 80002 LP 1981. Charlie Norman, Sophisticated Lady, SIR TK792 CD 1991. Bob Wilber/Antti Sarpila, Moments Like This : In Memory of Ove Lind, Phontastic 8811 CD 1992. Bengt Hallberg, The Tapdancing Butterfly, Aquila GLAM 4 CD 1993. Kjell Fernström, Kjell Fernström med vänner live, Supreme 9411 CD 1993. Maffy Falay, Hank’s Tune, Liphone 3157 CD 1993. Antti Sarpila, Hot time in Umeå: A Tribute to Benny Goodman, Phontastic 8833 CD 1994. Rolf Carvenius, Clarinet Candy, Gazell 1 CD 1994. Rolf Carvenius, Open Enjoyment, Cloetta 2 CD 1994. Ben Persson, Swinging Straight, Sittel 9218 CD 1995. Andreas Pettersson, Joyrider, Sittel 9219 CD 1995. Charles Norman, Charlie Norman & his Aces feat. John Högman, Phontastic 8838 CD 1995. Claes Brodda, Prima classe, Bonnie 95001 CD 1995. Lars Erstrand, The Lars Erstrand Sessions, Opus 3 19405 CD 1995. Lisa Ekdhal, Did You Leave Heaven, BMG Classics/RCA Victor 74321 43175 2 CD 1996. Marie Bergman, Fruit, Stunt Records 19603 CD 1996-97. Keiko McNamara, Keiko in Sweden, Solna Records 503 CD 1997. Andreas Pettersson, Cookie & the Hawk, Sittel 9248 CD 1998. Lisa Ekdhal, Back to Earth, BMG Classics/RCA Victor 74321 61598 2 CD 1998. Pierre Nordhal, An American in Paris, RCA 74321644982 CD 1999. Claes Brodda, A tribute to Hoagy Carmichael and Duke Ellington, Kenneth CK83415
CD 2000. Gunnar Hache Björksten, The Party Is On!, Dragon 362 CD 2000. Elvin Sannes, Sandu, Gemini 67 CD 2000. Sliding Hammers, A Place to Be, Gazell Records 1037 CD 2002. Karl Olandersson, Introducing, Arietta 27 CD 2002. Sugar Dandy and His Bottom Expander, Behind You, MMMCDD001 CD 2002-03. Sliding Hammers, Spin Around, Gazell Records 1059 CD 2004. Alain Mion, Some Soul Food, Jazz’In 6 CD 2004. Claes Brodda, CB, Kenneth 83419 CD 2004. Gunnar Hache Björksten, Three Generations Dragon 397 CD 2006. Sliding Hammers, A Beautiful Friendship, Prophone Records 085 CD 2008. Sliding Hammers, Sings, Spice of Life SV-0008 CD 2017. Inger Nerman, Inspirations, Ingmed 1701
VIDEOS
1978. Charlie Norman Trio Charlie Norman (p, voc), Lennie Norman (eg), Ronnie Gardiner (dm) https://www.youtube.com/watch?v=D9yMjbRbY3E
1980. Gerry Mulligan Quartet, «Out Back of the Barn», Stockholm, Suède Gerry Mulligan (bar), Don Trenner (p), Peter Axelsson (b), Ronnie Gardiner (dm) https://www.youtube.com/watch?v=HjLy9A7vfNY
1985. Benny Carter All Stars Benny Carter (as), Nat Adderley (tp), Red Norvo (vib), Horace Parlan (p), Red Mitchell (b), Ronnie Gardiner (dm) https://www.youtube.com/watch?v=QUZRkBh_kfs
1995. Ronnie Gardiner Octet, «Cotton Tail», extrait de l'album My Swedish Heart https://www.youtube.com/watch?v=FXQqvKKpGbA&list=PL2ffJvtJ-Lmeq_92P-xOeL8Tzp41a6HgC&index=8
1997. Ronnie Gardiner Septet, «Everyday I have the Blues», extrait de l'album Click! https://www.youtube.com/watch?v=8mssF-mZE2g&list=PLAM6obcOfu5RylujLAAmIEy2EVnbrfi11
2001. Alain Mion Trio, «The Secret», extrait de l'album Some Soul Food Alain Mion (p), Patrick Boman (b), Ronnie Gardiner (dm) https://www.youtube.com/watch?v=3Ulg5M8DJOU
2015. Ronnie Gardiner's Birthday Celebration, «Caravan», Jazzen Museum, Strömsholm, Suède (25 juillet 2015) Ronnie Gardiner (dm), Karl Oleandersson (tp), Jan Lundgren (p), Hans Backenroth (b) https://www.youtube.com/watch?v=Y5ctWyMiQ4E
2016. Ronnie Gardiner Quartet, «Caravan», Live at Metropol, Härnösand, Suède Ronnie Gardiner (dm), Karl Oleandersson (tp), Mathias Algotsson (p), Han Larsson (b) https://www.youtube.com/watch?v=Mvi_OIuW6ZM
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