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Sur la route des festivals en 2016
Dans
cette rubrique «festivals», vous pouvez accompagner, tout au long de
l'année 2016, nos correspondants lors de leurs déplacements sur
l'ensemble des festivals, où Jazz Hot est
présent, édités dans un ordre chronologique inversé (les plus récents
en tête). Certains des comptes rendus sont en version bilingue, quand
cela est possible, que vous pouvez repérer par la présence en tête de texte d'un drapeau
correspondant à la langue que vous choisissez en cliquant dessus.
Nous remercions l'ensemble des Festivals de jazz pour l'accueil de nos correspondants sachant que c'est la condition pour tous de conserver la trace d'une des scènes importantes du jazz. Les budgets étant de nos jours soumis aux contraintes de l'austérité, et parfois aux affres de l'ignorance sur ce qu'est le jazz, il importe que les acteurs du jazz conservent à l'esprit cet enjeu important qu'est l'information pour la préservation du jazz. Pouvoir faire des photos et des commentaires librement pour la presse spécialisée, et en avoir les moyens par un accueil respectueux des festivals et des autres scènes, est une des facettes de la liberté et de la richesse du jazz, et plus largement de la liberté de la presse et de la démocratie dont nous commençons à sentir parfois le manque…
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Au programme des comptes-rendus:
2016 > |
• Buis-les-Baronnies/Tricastin, Drôme, Parfum de Jazz • Gaume, Belgique, Gaume Jazz Festival • Javea, Espagne, Xàbia Jazz • Langourla, Côte-d'Armor, Jazz in Langourla • Ystad, Suède, Ystad Sweden Jazz Festival • Ospedaletti, Italie, Jazz sotto le Stelle • Royan, Charente-Maritime, Jazz Transat • Pertuis, Vaucluse, Festival de Big Band de Pertuis • Marciac, Gers, Jazz in Marciac • Fano, Italie, Fano Jazz in a Summertime • Marseille, Bouches-du-Rhône, Marseille Jazz des Cinq Continents • San Sebastian, Espagne, Jazzaldia San Sebastian • Toulon, Var, Jazz à Toulon • Toucy, Yonne, Toucy Jazz Festival • Vitoria, Espagne, Vitoria Jazz Festival • Iseo, Italie, Iseo Jazz • Pescara, Italie, Pescara Jazz • St-Cannat, Bouches-du-Rhône, Jazz à Beaupré • Gent-Gand, Belgique, Gent Jazz • Pléneuf-Val-André, Côte d'Armor, Jazz à l'Amirauté • Vienne, Isère, Jazz à Vienne • Getxo, Espagne, Getxo Jazz • Montréal, Québec, Canada, Festival International de Jazz de Montréal • Ascona, Suisse, JazzAscona • Bruxelles, Belgique, Jazz Marathon • St-Gaudens, Haute-Garonne, Jazz en Comminges • St-Leu-La Forêt, Val d'Oise, Arts & Swing • Bergame, Italie, Bergamo Jazz •
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Buis-les-Baronnies, Drôme
Parfum de Jazz, 15 au 27 août 2016
Il
s'agit d'un festival qui est une alternative économique, sinon
sécuritaire, aux grandes entreprises d’animation où le nombre de clients
ou présents est l'objectif premier. Parfum de Jazz est une
manifestation itinérante dont le budget est de 120 000 euros et qui
fonctionne avec environ 50 bénévoles. Le but d'Alain Brunet, directeur
artistique, est de tenter d'inculquer une base de l'histoire du genre
auprès des jeunes (prix des places à 5 euros pour les moins de 25 ans!).
But louable face à un constat que nous faisons tous, l'indifférence des
moins de 50 ans à ce que l'on qualifie de jazz. Nous avons assisté aux
concerts du 16 au 19 août.
Le
premier concert payant s'est tenu derrière la Mairie de
Mollans-sur-Ouvèze. Au programme, Steeve Laffont en quartet pour
illustrer la musique à Django. Un public de plus de 250 personnes (pas
vraiment jeunes). Belle tenue artistique, avec un Steeve Laffont (bien
connu des vétérans de Jazz in Marciac), guitariste originaire du
Haut-Verney, toujours aussi virtuose notamment dans «Them There Eyes»
(excellent solo de William Brunard, b), «Nuages» (co-soliste Jérôme Brajtman,
g), «All of Me», «Limehouse Blues», «Honeysuckle Rose» (solo en accords
de Rudy Rabuffetti, g), «Aranjuez/Spain» (Brunard, très virtuose).
Alain Brunet est venu se joindre au groupe en fin de concert, et
l'alliage bugle et cordes swing fut du meilleur effet.
Les
concerts suivants furent donnés à Buis-les-Baronnies, lieu central du
festival. S'y tient un festival off, gratuit, en fin de matinée (11-12h)
et en fin d'après-midi (18-19h), avec à l'affiche l'Akpé Motion
(fusion: «Desert», avec solo construit en crescendo de Pascal Bouterin,
dm; 18/08, «In a Silent Way») et le Parfum de Jazz All Stars (José
Caparros, Tony Russo, tp, Daniel Barda, tb, Baby Clavel, as et le
Magnétic Orchestra: solo de Russo, modèle Holton, dans «Do You Know What
It Means» et son stop chorus dans «Take the ‘A’ Train», 18/08; son de
bugle de José Caparros à la trompette Monette dans «Summertime», 19/08).
La
soirée du 17 fut consacrée au maître, Louis Armstrong. D'abord un
concert derrière le cinéma, Le Reg'Art, par les Louis Ambassadors. Dès
le premier titre, «Atlanta Blues» (Handy), Irakli a montré, à 76 ans,
une forme olympique sur la trompette (Selmer équilibrée de 1948). Ceux
qui ont vu Louis Armstrong en concert (comme le signataire) ont été émus
par cette évocation si fidèle; ceux qui ne l'ont jamais vu pouvaient
imaginer ce qu'ils ont loupé. Irakli, avec décontraction et humour, a
présenté chaque titre qui comme au temps du All Stars alterne des
incontournables (le «Medley»!) et morceaux moins célèbres («Say It With a
Kiss»), avec des «spécialités» pour chacun: «Somebody Loves Me» par
Jacques Schneck (p), «Whispering» pour Philippe Plétan (b), «I Surrender
Dear» par Alain Marquet (cl), «Stars Fell On Alabama» par Jean-Claude
Onesta (tb), «Steak Face» et «Mop Mop» par Sylvain Glevarec (belle
sonorité de batterie). Irakli est saisissant avec la sourdine straight
(même modèle que celle de...Louis) («Rose de Picardie»). Daniel Barda
(tb King modèle Silver Sonic) s'est joint aux Louis Ambassadors dans les
cinq derniers titres dont «Way Down Yonder in New Orleans», «Do You
Know What it Means to Miss New Orleans» (beau team Barda et Onesta!).
Puis
au cinéma ce fut la projection d'un film qui dresse un tableau parfait
du Paris perdu (que j'ai connu) avec un niveau d'expression musicale
qu'on n'a pas su préserver (musique de Duke Ellington/Billy Strayhorn,
orchestre d'Ellington avec Paul Gonsalves et Lawrence Brown, et deux
titres avec Louis Armstrong en re-recording sur un orchestre de studio
français comptant Roger Guérin, Gus Wallez, etc -les solistes doublant
Sidney Poitier et Paul Newman étant ici Guy Lafitte et Billy Byers,
tandis que Jimmy Gourley jouait dans la jam une partie écrite par Duke
alors que l'on voir à l'écran Serge Reggiani)...ça m'a fichu le blues:
Paris Blues de Martin Ritt (sorti en septembre 1961).
Le
18, il a été question, chose rare de nos jours, de Bessie Smith,
artiste essentielle du blues-jazz. Il y a deux façons d'aborder un
projet, soit s'imprégner de l'expressivité de l'artiste, soit de lui
emprunter son répertoire (les deux approches réunies peuvent ne pas
éviter le piège de la copie). C'est la seconde voie que Sarah Lenka a
choisi, attachée au texte des chansons pour bâtir le scénario de son
spectacle. Sauf peut-être un peu dans «After You've Gone» (bon
arrangement pour Camille Passeri, tp), on n'entend pas l'art
d'interpréter de Bessie Smith. Nous avons eu une musique très agréable,
bien jouée, tendant vers le folk (avec Fabien Mornet, bj, dobro, Taofik
Farah, g sèche, Manuel Marches, b) et la pop (le deuxième bis,
«Radioactive» sonnait comme les reprises de Bessie Smith: «Do Your
Duty», «It Won't Be You», «You've Got to Give Me Some», «On Revival
Day», etc). Le public qui, dans l'ensemble ignore tout de Bessie Smith,
fut enchanté.
Le 19, fut donné au théâtre Le Pallun, le spectacle Frank Sinatra for Ever du crooner Gead Mulheran (voc), né près de Manchester, avec les Brass
Messengers de Dominique Rieux (tp), un mini big band qui sonne comme un
grand avec Tony Amouroux, lead tp, Rémy Vidal, tb, Christophe Mouly,
ts-fl, Thierry Ollé, p, Florent Hortel, g, Julien Duthu, b, André
Neufert, dm, Pellegrin, arr. On connait l'amour de «The Voice» pour les
big bands jazz (Count Basie) et pour les trompettistes (de Harry James,
son premier employeur célèbre, à Harry Edison): nous n'avons pas été
déçu! Gead Mulheran, baryton plus léger que Sinatra (baryton Martin;
«Stranger in the Night») sait phraser comme lui («I Got You Under My
Skin«-bon solo de Vidal). Les arrangements, exigents! (bravo Tony
Amouroux!: «Time Goes By») sont intéressants (2 bugles dans «Moonlight
in Vermont»; passage guitare+voix dans «La Mer»; alliage flh-tp
harmon-fl-tb sourdine bol dans «Chicago Is»; «Les Feuilles Mortes» à
quatre, voc, p, b, flh). Parmi les bons solistes: Thierry Ollé («What Now
My Love»), Dominique Rieux («Fly Me to the Moon»), Rémy Vidal («Mack
the Knife», «Lady is a Tramp»). Un niveau international salué par un
public enthousiaste. Au total, souhaitons longue vie à ce festival!
Michel Laplace
Photos Michel Laplace et André Henrot
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Rossignol-Tintigny, Belgique
Gaume Jazz Festival, 12-14 août 2016
La
Gaume est à la Belgique ce que la Provence est à la France, et «le»
Gaume est au jazz ce qu’Avignon est au théâtre. Depuis trente-deux ans,
Jean-Pierre Bissot, son directeur-programmateur, garde la même image: un
rendez-vous à dimension humaine avec des consécrations de jazzmen
belges et des rencontres internationales peu courues. Sans œillères
artistiques, on y vient pour des découvertes et pour la convivialité.
Cette année, pour la 32e édition, à mon grand regret, je n’ai pas pu me consacrer aux trois
journées champêtres, me limitant aux concerts du vendredi sous
chapiteau. Raté donc, les groupes de Nicole Johänntgen (sax), Elina Duni
(voc), Pascal Schumacher (vib), Lionel Loueke (g), Jean-François Foliez
(cl), Johan Dupont (p), Jérémy Dumont (p), Aka Moon et le Scarlatti
Book, l’Orchestra Vivo de Garret List et le «Clair de la Lune» de Manu
Hermia («Jazz For Kids»).
Heureusement, vendredi, je
n’ai pas raté la première prestation publique du quintet de Lorenzo Di
Maio (g). L’album sort en septembre mais un vent favorable me l’avait
déjà fait découvrir en juillet (Igloo 273). Ne manquez pas de lire
l’engouement qui est mien en le cherchant au sein de nos multiples
chroniques de disques! Avec ces musiciens, j’ai retrouvé en live
toutes les qualités découvertes à mes premières écoutes: richesse
d’écriture, singularité des arrangements, unité et implication de tous.
Les spectateurs, enthousiastes, ovationnèrent le groupe, le compositeur,
le collectif.
Je
suis fan de Jacky Terrasson (p), et j’aime bien Stéphane Belmondo (tp,
flh). Les voir réunis à Rossignol ne pouvait que me plaire. L’adjonction
du musicien gnaoua Majid Bekas (oud, guembri, chant) me laissait plus
dubitatif.
Le concert s’est ouvert par deux duos piano-trompette. Le
pianiste appelle le trompettiste qui répond puis s’imbrique dans le
discours. En symbiose ou en écho, avec force (Jacky) ou délicatesse
(Stéphane), ils s’unissent et plaisent («All the Things You Are»). Dès
le troisième thème, Majid Bekas rejoint les complices. Heureux de
l’entourage il étonne par de très belles lignes à l’oud. On aimerait que
ça dure! Au cours d’un quatrième morceau, Jacky Terrasson se démène,
percute, évoque et déstructure «Summertime»; le musicien maghrébin suit
avec goût. Vient un cinquième morceau et l’oud est abandonné pour le
guembi: une sorte de guitare-basse africaine. Bekas chante, nasillard,
et Belmondo pose la trompette pour jouer du coquillage. Suivent un long
solo de guembi puis une valse de Michel Legrand joliment exposée en duo
piano-bugle. Le huitième thème, au cours duquel Jacky Terrasson
surprend, flamboyant, les choses vont se gâter lorsque Majid Bekas
s’éternise en imprécations, psalmodiant sur une incessante ligne de
basse répétitive. Lorsqu’il se met au likembé, la mesure est à son
comble, le muezzin a remplacé le musicien, et la rencontre tourne
franchement à l’aigre pour les oreilles des amateurs de jazz venus,
ouverts aux rencontres… surprenantes! On ne peut pas tout aimer ni tout
réussir. Le mérite de Jean-Pierre Bissot est d’essayer; le nôtre, est,
parfois, de résister!
Jean-Marie Hacquier
Photos Pierre Hembise
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Javea, Espagne
Xàbia Jazz, 6-8 août 2016
Le Festival est précédé par diverses manifestations parmi lesquelles un atelier pour les jeunes intitulé Juguem a fer jazz, (Jouons à faire du jazz).
L’initiative est intéressante. On peut penser et espérer que dans cet
espace, il s’agit de faire comprendre aux jeunes participants, par le
jeu, ce qu’est le jazz. Le programme annonce en effet clairement que
l’atelier vise à «éveiller la curiosité et la sensibilité des enfants
pour le jazz», mais, à l’écoute des concerts du XVIe Xàbia Jazz, on est en droit de s’inquiéter…
Plaça
de la Constitució,
6 août. Nuit étoilée avec une belle brise. Le bar
bien situé, en hauteur, face à la scène, avec bocadillos, cocas, tapas
et cervezas.
Mauvaise soirée pour le jazz.
Deux formations espagnoles
étaient invitées, Achromatic Project et St Fusion. Des musiciens
(presque) tous très corrects, qui, sans aucun doute, s’investissent dans
leur travail, mais pas un gramme de jazz. Un peu de tout, du classique,
du rock, du brésilien et même un éventail de produits japonais pour St
Fusion dont la vedette est la chanteuse et pianiste Satomi Marimoto. Il
existe sans doute un public pour ce type de musique. Mais à l’affiche
d’un Festival dit «de jazz», présenter de telles formations ne fait
qu’entretenir la confusion dans l’esprit du public qui, à terme, peut
penser que le jazz finalement c’est n’importe quoi pourvu qu’il y ait
des instruments. Le festival pourrait se discréditer à vouloir emprunter
cette voie.
Théoriquement,
le niveau musical se haussait nettement pour la soirée du 7 août qui a
mis à son menu le guitariste John Abercrombie accompagné de ses
partenaires actuels, le pianiste Marc Copland, le batteur Joey Baron et
le contrebassiste Drew Gress. Ils ont déjà écumé la côte (Barcelone,
Peñiscola…) et, à l’exception de Joey, la pile électrique du groupe,
semblent passablement émoussés et démotivés. John, l’expérimentateur
infatigable, l’innovateur, a perdu de vue les racines du genre et,
imperturbablement endormi, abandonne huit thèmes au public de Javea.
Deux d’entre eux font un peu sens pour les amateurs de jazz et possèdent
deux doigts de swing grâce à l’implication de Baron, le seul qui
transmet un sentiment. Pour le reste on dans une sorte de musique de
chambre et l’on peut se demander si Abercrombie s’est aperçu qu’il y
avait presque 900 personnes devant lui.
Le jour suivant, le
concert de clôture proposait la chanteuse portugaise Maria João,
accompagnée par l’Orchestre de Jazz de Matosinhos. L’exceptionnelle voix
de Maria, son enthousiasme contagieux, son dynamisme, sa présence sur
scène sauve un peu la XVIe édition de Xàbia Jazz.
Les dix-sept musiciens dirigés par Pedro Guedes sont d’excellents
interprètes. Tout est écrit minutieusement et arrangé par le pianiste
Carlos Azevedo. Les quelques soli offerts sont agréables à écouter. La
plupart des thèmes proviennent du disque Amoras e Framboesas,
enregistré par l’OJM et Maria. Ils s’inscrivent dans la musique
portugaise, brésilienne, pop. Deux sont porteurs de valeurs du jazz «The
Surrey With the Fringe on Top», chargé de swing pour lequel le public
du festival répond avec chaleur. Devant la même ferveur des
festivaliers, «Dancing in the Dark» est bien jazzifié par l’orchestre et
Maria João.
L’an prochain, le XVII° Xàbia Jazz ne manquera
sans doute pas de remettre le festival sur ses rails et le jazz au cœur
de son programme.
Patrick Dalmace
Texte et photos
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Langourla, Côtes-d'Armor
Jazz in Langourla, 5-7 août 2016
Cette 21e édition de Jazz in Langourla poursuit inlassablement sa défense d’un
festival 100 % jazz. Sans véritable thématique cette année, sinon celui
d’un jazz sans postures, la programmation privilégie les coups de cœur
de la directrice artistique Marie-Hélène Buron, assistée de Gildas Le
Floch. Dans un cadre chaleureux, grâce à la qualité des musiciens
invités, à l’accueil et à l’investissement des bénévoles sur place,
cette édition est une réussite.
Comme
chaque année, en dehors des groupes de jazz de Bretagne, invités à se
produire vers 19h, la soirée se déroule en deux temps, avec une première
partie à 20h, et une seconde à 22h dans le splendide Théâtre de
Verdure, cette ancienne carrière réaménagée en salle de concerts en
plein air.
Le
5 août, le lauréat du Tremplin Jazz in Langourla 2015, François Collet
(g) et son trio composé de Denis Pitalua (b) et Fabien Blondet (dm), a
ouvert la 21e édition du festival devant le Théâtre de Verdure. Il a interprété des titres de son premier album, EP.1,
sorti en mars dernier. Dans la veine de John Scofield, le guitariste ne
manque pas de talent. La performance est excellente. Le public a
apprécié.
La première partie a été particulièrement raffinée
avec le guitariste bayonnais Sylvain Luc. En solo, il a interprété des
compositions originales, toutes superbes («Bleu tendre», «Ameskeri»,
«Langourla la») et deux standards («Nardis», «Yesterdays»). Chez Luc,
tout est poésie. Tout est juste et délicat. Chaque titre n’en finit pas
de se dérouler. Plutôt que d’impressionner par sa technique virtuose, le
guitariste privilégie l’émotion. Seule elle parle.
Changement
de registre avec Sweet Screamin’ Jones et Boney Fields. L’altiste et
chanteur Yannick Grimault, dit Sweet Screamin’ Jones, qui a parfaitement
assimilé l’art des bluesmen, et son acolyte trompettiste de Chicago
(tous deux bien connus des habitués du Caveau de La Huchette) en ont mis
plein les yeux et les oreilles. Accompagné du brillant Pierre Le Bot
(p), Philippe Dardelle (b) et Patrick Filleul (dm), le quintet nous fait
passer de «The Way You Are» à «Place du Tertre» (Lagrène) dans un set
très rodé et au swing survolté.
Le
lendemain, vers 19h, une belle surprise nous attendait: le trio d’Eric
Doria (g), avec Jeff Alluin (claviers) et Raphaël Chevé (dm). Dans la
tradition des excellents trios à l’orgue, Doria a interprété des
compositions originales («Thumb’s Up», «Little Kitty Cat Groove»,
«Amazone», «Corduroy»). Le tout, bien ficelé, ne manquait pas de groove.
Puis,
retour aux sources avec Sarah Lenka (voc), en quintet qui a proposé sa
relecture de Bessie Smith. Secondée par les excellents Fabien Mornet
(banjo, dobro, voc), Taofik Farah (g, voc), Manu Marches (b, voc),
Camille Passeri (tp, voc). La chanteuse, pétillante, a offert un set
très swing. Pleine d’humour et de légèreté, elle raconte Bessie, en fait
une femme d’aujourd’hui, avec ses histoires d’amour et ses coups durs.
Elle s’approprie ce répertoire sans nostalgie. Le résultat, très frais, a
donné parmi les meilleurs moments du festival.
Changement de cap avec Géraldine Laurent, et son dernier album At Work («Odd Folk», «At Work», «An Overdue», «Room Number 3», «Epistrophy» de
Monk). Accompagné des ultrasolides Paul Lay (p), Yoni Zelnik (b) et
Donald Kontomanou (dm), l’altiste poursuit son aventure personnelle dans
un jazz très contemporain, qui dialogue avec ses figures tutélaires,
Sonny Rollins, Lee Konitz, Charlie Rouse. Son jeu est sincère, captivant
et le climat, planant.
Le 7 août, la soirée
débutait vers 19h avec les stagiaires de la master class de swing
manouche. Cette année, ils suivaient les conseils du guitariste Nicky
Elfrick, accompagnateur régulier de Tchavolo Schmitt. Les musiciens sont
très jeunes et doués (Matteo, Gireg, Ivan). Le répertoire de Django, on
le connaît bien, (« Blue Bossa », « I’ll See You In My Dreams »,
« Douce Ambiance ») et joué avec autant d’enthousiasme, on se régale.
Au
Théâtre de Verdure, Angelo Debarre a assuré la première partie,
accompagné du virtuose William Brunard (b) et de l’épatant Raangy
Debarre (g). On connaît la prédilection de Marie-Hélène Buron pour les
guitaristes. On se souvient du concert fameux de Boulou et Elios Ferré
l’été dernier, aussi de l’épatant Daniel Givone avec Alma Sinti ou David
Reinhardt avec son trio, lors d’éditions précédentes. Debarre prouve,
comme toujours, qu’il n’est pas qu’un maître du swing manouche, mais un
immense guitariste de jazz. Les racines présentes, sa curiosité, elle,
vogue vers d’autres horizons. Par son élégance, sa sophistication et
l’émotion de son jeu, Angelo Debarre est l’un de ces conteurs qui vous
touchent au cœur.
Suivait le dernier concert de cette édition. Le
pianiste Lorenzo Naccarato, avec Benjamin Naud (dm) et Adrien Rodriguez
(b). Ce jeune groupe, sympathique, repose sur la personnalité de son
leader qui présente ses compositions originales («Komet», «Shapes and
Shadows», «Breccia», «Animal Locomotion», «From Now On», «Mirko Is Still
Dancing», «Medicea Sidera»). Si Naccarato abuse des motifs obsédants, à
la façon de Tigran Hamasyan, en moins aboutis, et nous bombarde de
références intellos, inutiles, entre les titres pour justifier le sens
de ses compositions, le set a été brillant. Le public a beaucoup
apprécié.
Cette
année, les jam sessions qui se sont tenues au bar Le Narguilé ont été
particulièrement conviviales. Animées par les excellents Paddy (ts) et
Manue Paumard (b) jusqu’au milieu de la nuit, les têtes d’affiche du
festival –Sweet Screamin’ Jones, Boney Fields, Philippe Dardelle,
Lorenzo Naccarato, Raangy Debarre, entre autres– sont venues jouer le
bœuf avec les autres musiciens, amis, bénévoles.
Par les
temps qui courent, entre un climat général peu serein et des festivals
de jazz qui disparaissent brutalement, gageons que ce beau festival sera
aussi soutenu l’année prochaine qu’il l’est aujourd’hui par les acteurs
locaux et les festivaliers.
Mathieu Perez
Texte et photos
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Ystad, Suède
Ystad Sweden Jazz Festival, 3-7 août 2016
7e édition pour le festival de jazz de Scannie, région du sud de la Suède,
lequel a pris désormais son rythme de croisière et continue
d’enregistrer une fréquentation chaque année en progrès. Le programme
reste globalement de bonne tenue –même si le jazz straight ahead
n’est pas la seule couleur– et toujours propice à la découverte de bons
artistes, en particulier scandinaves. Le festival proposant jusqu’à neuf
concerts sur une journée, des choix s’imposent naturellement mais
permet à chacun, en fonction de ses goûts, de s’y retrouver. Par
ailleurs, Ystad, ville natale du commissaire Wallander (pour les
amateurs de polars), paraît aujourd’hui moins indifférente à
l’événement, davantage signalé; on a même vu certains commerçants du
centre-ville arborer le tee-shirt du festival. A l’inverse –et c’est
donc particulièrement regrettable–, au restaurant de bord de mer Marinan,
où se tient la jam nocturne depuis l’année dernière, on ressent une
distance certaine avec le jazz: sur les trois soirées de jam, on a pu
observer qu’une partie de la clientèle présente était là simplement pour
boire (bruyamment), selon les habitudes du lieu, lequel ne s’était
fendu d’ailleurs d’aucune communication particulière autour du festival
et a même interrompu brutalement la dernière soirée alors que les
musiciens n’avaient pas fini de jouer! Ajoutons à cela que,
contrairement à l’année précédente, ces jam-sessions festivalières ne
furent guère passionnantes, peu de tête d’affiche y ayant participé en
dehors de Joachim Kühn (p) et de Cyrille Aimée (voc).
La
soirée inaugurale du 3 août, selon l’habitude à l’Ystad Teater, était
réservée aux sponsors, journalistes et fidèles du festival. Passés les
habituels discours de remerciements de la part du président du festival,
Thomas Lantz, et de son directeur artistique, Jan Lundgren, ainsi que
l’introduction de l’invité d’honneur de l’édition 2016, Richard
Galliano, la partie musicale a été assurée par un trio de chanteuses
suédoises: Vivian Buczek, Hannah Svensson et Anne Pauline, soutenues par
une bonne rythmique: Ewan Svensson (g, papa d’Hannah), Matthias
Svensson (b, sans lien de famille avec les deux autres) et Cornelia
Nilsson (dm). Vivian Buczek a davantage de personnalité; son «God Bless
the Child», en hommage à Billie Holiday, accompagné d’un joli solo
d’Ewan Svensson, était assez réussi. Malgré de bonnes interventions,
Hannah Svensson n’a pas convaincu sur une composition de son cru, «For
You», ballade pop un peu fade. Quant à Anne Pauline, elle est
sympathique, mais transparente… Pour autant, les interprétations en trio
étaient plaisantes: «You Don’t Know What Love Is», «Sophisticated
Lady», entre autres.
A 22h, la tradition, initiée en 2012, de faire
jouer un trompettiste en haut du clocher de l’église Ste Marie a été
respectée, Paolo Fresu ayant été chargé de quatre solos à faire retentir
aux quatre coins cardinaux. Après quoi, le Sarde était au centre d’un
concert donné au monastère d’Ystad dans le cadre de l’exposition
«Archeomusica» (une belle exposition sur les instruments de musique de
l’Antiquité, en Grèce, en Egypte, dans l’Empire romain et en
Scandinavie, visible jusqu’au 8 janvier 2017). Fresu y était entouré de
Daniele di Bonaventura (bandonéon) et de l’Ensemble Mare Balticum: une
rencontre entre musique médiévale et expression contemporaine non sans
charme.
C’est donc le 4 août que démarrait vraiment le festival. Les concerts de 11h, dans la cour historique (XVIe siècle) de Per Helsas Gård, sont ceux les plus tournés vers la
tradition. Ce matin-là, c’était Marlene VerPlanck (voc) qui inaugurait
la journée, flanquée d’une très bonne rythmique britannique (John
Pearce, p, Paul Morgan, b, Bobby Worth, dm), qui la suit habituellement
quand elle tourne en Europe. A 82 ans, la chanteuse du New Jersey reste
dynamique, même si la voix a les accents de la vieillesse. Après une
vingtaine d’années de travail en studios, en collaboration avec son mari
Bobby VerPlanck (tb, décédé en 2009), Marlene VerPlanck a relancé sa
carrière à la fin des années soixante-dix. Elle est aujourd’hui heureuse
d’être sur scène, et son plaisir est communicatif. Passant en revue les
standards («So Easy to Love», «Speak Low», «But not for Me»…), elle a
évoqué l’un de ses modèles, Peggy Lee, donnant un récital plaisant.
A
15h, au Hos Morten Café (autre cour extérieure fort agréable), Per-Arne
Tollbom (dm) présentait son quintet suédois, Kind of New, où se
distingue un bon trompettiste, Anders Bergcrantz. Si le groupe swingue
sous l’impulsion post-bop de son leader, la prestation est restée
inégale par le manque d’inspiration du guitariste (Anders Chico
Lindvall, cherchant des effets psychédéliques) et du ténor (Anders
Nyvall). Dommage.
A 17h, Richard Galliano (acc) se produisait en solo dans l’église Ste Marie. L’invité d’honneur du festival a aligné ses succès («New York
Tango», «Tango pour Claude») ainsi que quelques thèmes bien connus du
grand public, comme la musique du fil Le Parrain de Nino Rota ou
«Imagine» de John Lennon. Un concert très populaire dans sa thématique,
sa manière, et qui n’a pas manqué de plaire.
A
20h, dans un lieu encore inédit pour ce festival, le dancing du
Surbrunnsparken (un parc au nord du centre-ville), nous avons fait la
découverte de LaGayla Frazier, chanteuse de soul originaire de Miami et
installée en Suède depuis quinze ans. Portée par l’excellent Bohuslän
Big Band (une institution, puisqu’il était, à l’origine, au XIXe siècle, un orchestre militaire), l’Américaine a donné un show
détonnant, entre jazz et musique populaire américaine. Dotée d’une voix à
la puissance maîtrisée et d’une énergie scénique décoiffante, la
rencontre avec la grosse machine à swing a fait merveille. On retiendra
notamment un «Night in Tunisia» à la sauce soul ou encore une reprise de
Stevie Wonder, «Higher Ground», proprement épatante. Et même sur une
ballade suédoise donnée en rappel, LaGayla Frazier a su garder tout son
groove. Une vraie nature! Un seul regret: que les organisateurs n’aient
pas pensé à laisser un espace libre pour la danse (ce qui s’imposait
pourtant dans un dancing!) ce qui aurait ajouté au plaisir du public,
chauffé à blanc.
Le dernier concert du jour se tenait à 23h au théâtre avec une nouvelle édition du projet Mare Nostrum (qui a fait l’objet d’un album chez ACT) réunissant Jan Lundgren (p),
Richard Galliano et Paolo Fresu. Rien de très neuf sous le soleil de la
Méditerranée: chacun des trois musiciens a apporté ses propres
compositions dans le prolongement du concert présenté à Ystad en 2012.
Il est à noter que c’est le Suédois qui en rabat aux deux Méridionaux
question jazz: lui seul swingue par intermittence et laisse échapper
quelques accents blues. Mais on a globalement affaire à une plaisante
musique du monde, légèrement jazzy ou folky selon les moments, et très
bien servie.
Le
5 août, la cour du Per Helsas Gård fut le théâtre d’une scène
émouvante. Un épatant quintet suédo-danois, emmené par l’excellent Jacob
Fisher (g), entouré de Bjarke Falgren (vln), Gunnar Lidberg (vln),
Matthias Petri (b) et Andreas Svendsen (dm) rendait hommage à une grande
figure du jazz danois (et scandinave), le violoniste Svend Asmussen qui
a fêté ses 100 ans le 28 février dernier. Asmussen a joué et enregistré
avec tous les grands de son époque: Django, Stéphane Grappelli, Duke
Ellington, Stuff Smith, etc. Son compatriote Jacob Fisher, qui l’a
accompagné pendant quinze ans, était donc tout désigné pour ce tribute
concert, de même que le Suédois Gunnar Lidberg (86 ans), une de ses
émules. La surprise fut générale quand le Maître fit son apparition au
tout début du concert. En fauteuil roulant, mais visiblement en bonne
santé et heureux d’être là, on l’a installé devant la scène. La musique
convoquée fut celle de Django et Stéphane Grappelli («Nuages»), mais
aussi de Stuff Smith («Timmy Rosenkrantz Blues»), servie par un Fisher
d’une invariable finesse. Le dialogue des violons fut également
réjouissant, avec notamment un «When You’re Smiling» très swing. Puis
Ligberg s’est adressé à Asmussen. Si la langue nous était étrangère, on
devinait l’amitié et la reconnaissance que témoignait le plus jeune à
son aîné.
Les
jeunes groupes scandinaves étaient programmés l’après-midi. Pour le
concert de 20h au théâtre, Joe Lovano (ts) était l’invité du Bohuslän
Big Band qu’on avait déjà pu apprécier la veille. Mais le contexte était
là bien différent: il s’agissait de reprendre le répertoire du ténor
américain, compositions personnelles ou titres marquant enregistrés au
cours de sa carrière. Ce n’est pas la première fois que Lovano se frotte
à un big band européen (Brussels Jazz Orchestra, WDR Big Band); il semble
goûter l’exercice. Si le Bohuslän Big Band est l’un des très bons
orchestres de jazz en Europe, il lui manque quelques solistes de
caractère pour sortir du lot. D’où, sans doute, la bonne idée de Jan
Lundgren de le programmer avec des guests à la forte personnalité: en
effet, Lovano apportant sa puissance et sa mélodicité au big band, le
concert fut un régal dont on retiendra en particulier une composition
très swinguante «Bird’s Eye View», une très jolie version de «Duke
Ellington’s Sound of Love» et une évocation de Caruso, auquel Lovano a
consacré un album en 2002, avec deux originaux: «The Streets of Naples»
(pour laquelle le pianiste, Tommy Kotter, a pris l’accordéon) et «Viva
Caruso».
Le concert suivant, à 23h, consacrait le retour à Ystad
de Hugh Masekela (flh, voc), qui était l’invité d’honneur de l’édition
2013. Si au bugle Masekela s’exprime dans un idiome bop, ses
interventions vocales (nettement plus présentes), comme sa formation
(composée de musiciens sud-africains) s’inscrivent dans une musique
africaine électrifiée, mêlée de pop et de funk. Les rythmes très
dansants, sur lesquels Masekela a fait son numéro de cabotinage, ont
enthousiasmé le public. Tant pis pour le jazz…
Le 6
août, à 11h, la scène du Per Helsas Gård nous réservait une nouvelle
découverte: la jeune Danoise Kathrine Windfeld (p) et son big band
Aircraft, formation dont les membres –scandinaves et polonais– doivent,
pour la plupart, avoir autour de 30 ans. Le répertoire présenté était
constitué de morceaux originaux, bien arrangés, dans l’esprit Kenny
Clarke–Francy Boland Big Band (même si ça ne swingue pas autant) et où
l’on retrouve aussi l’influence de Dave Holland. Une bonne formation.
A
15h, au cinéma Scala, se produisait le quartet de Filip Jers (hca) pour
un concert supplémentaire, celui prévu à 18h30 étant complet. On ne
doute pas de l’intérêt du public suédois pour cette formation qui
explore la musique folk de son pays (d’ailleurs sans chercher de lien
artificiel avec le jazz). Mais pour les étrangers, l’intérêt de ce
groupe est tout relatif.
A
17h, au théâtre, Franco D’Andrea (p) avec Mauro Ottolini (tp) et
Daniele D’Agaro (cl) présentait un projet singulier: la musique du trio
accompagnant la présentation d’une série de photos de Pino Ninfa portant
sur l’Afrique du Sud. Les compositions délicates du pianiste créèrent
des atmosphères tantôt sombres (en jouant sur les notes graves), tantôt
mélancoliques (à l’évocation des victimes de l’apartheid) ou plus
joyeuses devant des scènes de fête et de danse. Jouant avec les ponts
culturels, en interprétant «Basin Street Blues» et «St Louis Blues», le
trio donnait l’impression que les scènes photographiées provenaient de
New Orleans (en particulier à l’église). Une expérience intéressante.
A
20h, l’un des pères du «smooth jazz» (ce courant dérivé du jazz-rock
qui connaît un grand succès commercial aux Etats-Unis), Bob James (p)
montait sur la scène du théâtre avec son quartet: Perry Hugues (elg),
Carlitos Del Puero (elb) et Bill Kilson (dm). Ouvrant le concert sur un
bon blues, sur lequel Hugues a pu démontrer ses qualités, le quartet
s’est rapidement orienté vers un traitement «easy listening» des
standards: toucher de piano très «variétés», rythmes binaires. Assez
logiquement donc, on eut aussi droit à une reprise pop («Downtown», le
tube de Petula Clark). Bob James pratique ainsi un jazz aseptisé, sans
consistance, formaté pour le robinet radiophonique.
A 23h, Jan
Lundgren donnait son second concert, dans la même formule que celui
donné en 2015 avec Mathias Svensson et un quatuor à cordes; lequel a
fait l’objet d’un enregistrement récemment paru chez ACT, The Ystad Concert.
Centrée sur un hommage au pianiste Jan Johansson (1931-1968), la
rencontre entre jazz, folk suédois et musique classique, a de nouveau
fonctionné. On peut se reporter au compte-rendu de l’année précédente
pour en apprécier la teneur, tout en regrettant que le pianiste et
programmateur ait manqué de se renouveler cette année pour cause
d’actualité discographique.
Le
7 août, dernier jour du festival, un bon duo de sax se trouvait à 11h à
Per Helsas Gård: Bernt Rosengren (ts) et la Danoise Christina von Bülow
(as). Le premier, qui au tout début de sa carrière s’est produit au
festival de Newport (1959) a joué avec George Russell, Don Cherry,
Horace Parlan. La seconde, fille d’un guitariste de jazz, a notamment
étudié et joué avec Lee Konitz, pris quelques cours avec Stan Getz, et
enregistré avec Horace Parlan. Si les interventions de Rosengren furent
les plus marquantes, le duo (soutenu par la rythmique du ténor) a donné à
entendre un excellent bop.
A 13h, à l’hôtel Ystad Saltsjöbad,
s’est tenu sans doute le meilleur concert du festival: Martin Taylor en
duo avec Ulf Wakenius. Complices et emplis d’humour, les deux
guitaristes ont évoqué Stéphane Grappelli («Two for the Road») ainsi que
Barney Kessel («Blues for a Playboy»). Jouant également en solo à tour
de rôle (Taylor sur «They Can’t Take That Away From Me», Wakenius sur un
superbe medley brésilien), les compères ont en outre mis en valeur
quelques belles compositions de Martin Taylor: «Last Train to
Hauteville» ou encore, pour le rappel, un clin d’œil aux Antilles, «Down
at Cocomo’s». Du très beau jazz.
A 15h, au Hos Morten Café, une
énième rencontre entre jazz, pop et folk suédois nous attendait avec le
quintet d’Iris Bergcrantz, surtout remarquable pour le bon trompettiste
déjà en vue sur cette même scène trois jours plus tôt: Anders
Bergcrantz.
A 17h, au théâtre, Oddjob, le quintet animé par
Goran Kajfes (tp, perc) rendait hommage à Bengt-Arne Wallin, autre
figure du jazz suédois ayant puisé dans le folklore national (voir nos
«Tears» du 23/11/15), parrain du festival, lequel aurait dû fêter cette
année le 90e anniversaire. Cinquante ans après Wallin, Oddjob
réinterprétait à son tour l’imaginaire musical suédois par le filtre du
jazz. Vingt-cinq ans de pratique commune de la musique ont donné au
groupe une évidente cohésion: Per Ruskträsk-Johansson (s, bcl) est
l’alter-ego du leader, tandis que la rythmique (Peter Forss, b, Janne
Robertsson, dm) est emmenée par l’excellent Daniel Karlsson (p). Et
c’est tout le talent Kajfes d’être arrivé, à partir de cette matière, à
produire du véritable jazz, aux accents free et à flux tendu.
A
22h, au théâtre, c’est Avishai Cohen (b, voc) qui a conclu l’édition
2016 du festival d’Ystad, avec son trio (Omri Mor, p, Daniel Dor, dm).
Attendu comme l’un des must de la semaine, le concert de l’Israélien
s’est révélé, dans l’esprit, plus proche des «musiques actuelles», tel
qu’on les pratique en Europe, que du jazz. Dépourvue de swing, enfermée
dans des boucles répétitives, la musique du contrebassiste a l’aridité
du désert du Néguev. Elle a séduit le public scandinave, il est vrai
déjà habitué au désert de glace.
Le final fut réchauffé par des
derniers instants comme toujours chaleureux, partagés avec la belle
équipe de bénévoles du festival. Rendez-vous du 2 au 6 août 2017!
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Ospedaletti, Italie
Jazz sotto le Stelle, 3-5 août 2016
Le
drame épouvantable qui a frappé Nice le 14 juillet dernier rendait
impensable le maintien du Nice Jazz Festival. La vie, en particulier
celle de la musique, a repris peu à peu sur la Côte-d'Azur et sur la
Riviera italienne; les amateurs de jazz comptaient sur les «petits»
festivals de la région pour épancher leur soif de swing et
d’improvisations. Leurs attentes furent comblées par une programmation
de ces petites organisations proposant des affiches originales. Parmi
celles-ci, nous faisons un arrêt comme chaque année à Ospedaletti, pour
le Jazz sotto le stelle que concocte, avec son équipe, notre excellent
ami et photographe, Umberto Germinale. En pensant à Chet Baker, Umberto avait sous-titré cette 13e Edition de Jazz sotto le Stelle «I remember you», mais ce fil
conducteur avait assez de souplesse pour permettre aussi quelques
écarts.
Ainsi, le mercredi 3 août, le West Project Orchestra,
orchestre de 18 musiciens italiens, pros et semi-pros dirigés par le
guitariste Riccardo Anfosso, se proposait de reprendre le répertoire du
Liberation Orchestra de Charlie Haden sur les arrangements de Carla
Bley, dans son aspect le plus militant: les chants révolutionnaires.
Légères ou austères, les partitions originales laissent aux solistes
des moments d’improvisations généreuses dont Alberto Mandarini (tp),
«guest star de l’orchestre», prend avec un grand talent, la plus grande
part.
Le jeudi 4 août se produisait Evidence,
le trio de Mike Melillo (p), Elio Tatti (b) et Gianpaolo Ascolese (dm),
qui, on l’aura deviné, se consacrait à la relecture inspirée et très
originale des thèmes de Thelonious Monk. Une entreprise périlleuse,
parfaitement réussie, avec toujours ce toucher si percussif, ce swing et
cette intensité si fidèles aux originaux. Mike Melillo est à n'en pas
douter l'un des plus authentiques représentants de cet art incomparable
du piano jazz qui de Bud Powell à Thelonious Monk a peu d'équivalant en
intensité, en tension. Du grand Art et l'événement de ce festival! We
like Mike…
Le vendredi 5 août, Paolo Fresu, (grand admirateur de Chet Baker s’il en est) avec son Devil Quartet composé de Bebo Ferra (g), Paolino Dalla Porta (b) et Stefano
«Brushman» Bagnoli (dm), présentait une des dernières facettes de son
œuvre personnelle si prolifique. Cohésion parfaite de l’ensemble
(plusieurs disques et tournées ont été réalisés dans cette
configuration). Et si, pendant la balance, les musiciens esquissèrent
les standards, le concert ne donna à entendre que des compositions
originales, pour la plupart inédites. Comme un tour de chauffe avant un
nouvel enregistrement…
Bien dans l'esprit du jazz, Jazz sotto le
Stelle creuse avec modestie, et beaucoup d'intégrité, un sillon qui
fabrique la mémoire du jazz, celle qui dure.
Daniel Chauvet
Photos G. Gardone et Umberto Germinale by courtesy
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Royan, Charente-Maritime
Jazz Transat, 2, 9, 16, 23, 30 août 2016
Avec
en arrière-plan la mer, les carrelets et les dernières lumières du
soleil couchant, le Jazz Transat a offert chaque mardi soir d’août un
concert de jazz en plein air, gratuit, sous le kiosque surplombant la
plage de Pontaillac. Un public dense a pu successivement écouter Julie
Morillon, Didier Conchon, le crooner Pablo Compos, Antoine Hervier et
Christian Escoudé ainsi que le Good Life Quartet.
Jazz Hot a choisi
d’écouter le guitariste Christian Escoudé et le trio d'Antoine Hervier, le 23, et le Good Life Quartet, avec le batteur Jean-Pierre Derouard et le tubiste Fred Dupin, le 30.
Christian
Escoudé était l’invité du pianiste Antoine Hervier et de son trio,
Laurent Vanhee, contrebasse –excellent– et Rudy Bonin, une figure locale
de la batterie. Après un thème en trio, Christian Escoudé est entré sur
scène avec son indicatif, «Take Five», court mais bien enlevé. Le
guitariste a choisi, plutôt que d’interpréter ses compositions ou celles
de jazzmen actuels, de renouer avec les œuvres qui l’ont accompagné
lors de ses premiers pas dans le jazz. On a donc compris qu’on aurait
une soirée de standards, ce qui n’a pas manqué de ravir le public –pas
trop jeune!–, et ne fait pas de mal dans une période où le mot jazz
recouvre tout et n’importe quoi. Le plat de résistance débute avec «Four
on Six», une historique composition d’un de ses maîtres, Wes
Montgomery, que Christian Escoudé a parfaitement assimilé. Le guitariste
enchaîne avec une pièce de son autre mentor, Django Reinhardt,
«Hungaria». L’originalité du jeu reste dans l’esprit du Gitan. Un autre
grand standard suit, «April in Paris». Escoudé rappelle que le thème
figure dans Bird, le film de Clint Eastwood sur Charlie Parker.
La chanson française est aussi à l’honneur avec tout d’abord la jolie
valse «Sous le ciel de Paris» et une magnifique version personnelle,
jouée en solo, de «La Vie en rose».
Le swing, au centre de la plupart
des thèmes, monte en puissance sur «Just One of Those Things». Django
revient avec l’incontournable «Nuages», qui emballe le public, et
« Blues for Ike ». C’est banal de le répéter, mais existe-t-il un
meilleur disciple de Reinhardt que Christian Escoudé?
Pour le rappel,
celui-ci et ses partenaires ont choisi «Moon River», une mélodie simple
adaptée à la voix d’Audrey Hepburn, qui sans être véritablement
chanteuse, l’interprète dans le film Diamants sur canapé, mais
dont Mancini, son compositeur, a fait un succès devenu un standard.
Au
final, cette quatrième soirée de Jazz Transat a permis aux amateurs de
jazz mais aussi, étant donné le répertoire, à un public plus large, de
vivre un beau moment, favorisé par une superbe météo.
La
dernière soirée de la saison et du Jazz Transat a été marquée par une
exceptionnelle polémique dans le public, les uns se plaignant que «la
Ville» ne mettait pas assez de chaises, les autres répliquant que ça
s’appelait Jazz Transat, et qu’il fallait donc apporter son fauteuil de
camping, et tous de s’en prendre à ceux qui, debout, les empêchaient
d’apprécier le concert. Mais parlons musique! Apprécions d’abord les
paroles d’introduction de Rudy Bonin rendant hommage à Rudy Van Gelder,
décédé quelques jours auparavant. Nouvelle nuit axée sur les standards.
Le Good Life Quartet, formation initiée par Fred Dupin et Rudy Bonin,
qui, pour cette fois, va laisser sa place à Jean-Pierre Derouard, met à
l’honneur les crooners, Sinatra et Nat King Cole principalement,
auxquels redonne vie la voix de François-Marie Moreau, par ailleurs
brillant instrumentiste que l’on a pu écouter au ténor, soprano,
baryton, à la flûte et clarinette basse au fil des thèmes. Même si la
voix de François-Marie Moreau
n’est pas réellement celle d’un crooner, les interprétations sont
belles. Avec lui, le pétillant et dynamique F. Mazurier (clav) et deux
maîtres du jazz, Jean-Pierre Derouard, excellent tout au long de la
prestation et, tout aussi parfait, Fred Dupin (tuba) prenant
admirablement la place d’une contrebasse. C’est «Fly Me to the Moon» qui
lance le concert et, déjà, on sent battre le swing propulsé par
Derouard. Suivent «Call Me Irresponsible», «A Foggy Day», avec un beau
solo au soprano. Les standards défilent: «Cry Me a River», «Come Fly
With Me»… avec de bons moments à la clarinette basse, à la flûte, et
toujours un soutien sans faille de tous les partenaires. Les hommages se
succèdent. Pour Nat, «I Wish You Love », pour Frank, «Beyond the Sea»…
On apprécie un très beau «All of Me». Les soli de Derouard et Dupin
déclenchent un tonnerre d’applaudissements! Après un rappel ovationné,
le Jazz Transat, soigné par la météo tout au long des soirées qu’il a
égrainé, s’achève de la plus sympathique façon.
Patrick Dalmace
Texte et photos
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Pertuis, Vaucluse
Jazz à Pertuis-Festival Big Band, 1er au 6 août 2016
La 18e édition de ce festival, dont le bon esprit jazz ne se dément pas,
innove quelque peu dans son titre, puisque nous voyons apparaître
l’appellation «Jazz à Pertuis», avec en sous-titre le rappel de la
spécialité du lieu: les big bands. Gageons qu’il s’agit là de donner un
non plus direct car plus court que l’ancien. De fait, aucun changement
dans l’organisation, l’esthétique et l’esprit, et cela fait du bien de
retrouver, année après année, un festival très convivial qui respecte
son identité jazz en respectant la musique qu’il propose (du jazz), la
thématique qu’il a choisie (les big bands) et pour un succès public
toujours constant, un public qui se forme d’année en année grâce au
professeur Léandre Grau. Au demeurant, et malgré la modestie naturelle
de Léandre, un enseignant à la Pagnol (La gloire de mon père), le
festival est devenu un événement mondial jazzique quasi-unique. La
qualité en jazz n’est pas une affaire de quantité ni d’accumulation de
stars, mais d’esthétique, de culture, d'esprit, de dimension humaine et
de conviction.
Le 1er août, la traditionnelle ouverture par le Big Band de Pertuis sur la
grande scène, est savamment orchestrée par son bras juvénile en première
partie, les Tartôprunes, émanation partielle de la grande formation,
réunissant les plus jeunes. «Jeunes» ne signifie pas ici approximatifs.
Cela fait plusieurs années que cette formation ouvre le festival, et la
jeune classe des musiciens de Pertuis et des alentours bouge mais ne
faiblit pas, et rend parfaitement justice à l’esprit du festival. Le
directeur musical en est Romain Morello, brillant tromboniste et soliste
du Big Band de Pertuis entre autres, et on retrouve également plusieurs
musiciens du big band. L’esprit est ludique, modeste et complice avec
un public très populaire, au vrai sens du terme, on ne s’en étonnera pas
pour ce festival sans grosses têtes.
Le répertoire propose du jazz
(Mingus par exemple, mais aussi des parties néo-orléanaises, Miles
Davis, etc.), mais aussi de la musique populaire jazzée, « plaisantée »,
piratée avec beaucoup d’humour. Le thème de 2016 étant autour de la
sécurité, le groupe avait d’ailleurs choisi de se déguiser en pirates
surveillant l’horizon, avec perruques, costumes et accessoires (sabre
gonflable, brassards de sécurité, etc.), allusion non voilée (c’est déjà
ça) à l’opération vigipirate (vigie et pirates). L’humour est donc au
rendez-vous malgré la période. Brassens, dont le collège qui accueille
le festival porte le nom, est au rendez-vous.
Dans une cour pleine à
craquer (plus de 1000 personnes, assises, debout, couchées…), ça rigole,
ça swingue, ça chante et ça danse (les enfants surtout), avant que le
groupe, qui ne se présente que par les prénoms, comme certains des big
bands –Philippe (g), Clément (b), Alex (b, le MC à l’humour léger),
Romain (tb, dir), Bastien (bon chanteur, voc, g), Valentin (tp, voc),
Ezequiel (bon ts), la belle Caro’ (clav), Maxime (dm), Arno (as)– amène
tout ce public, dans un rappel où alternent Miles (clapping) et esprit
new orleans dans un défilé vers la grande scène et le second concert.
Une bonne entrée en matière qui montrent « qu’aux âmes bien nées, la
valeur n’attend pas le nombre des années » et qu’on peut être jeunes et
déjà avoir du métier.
Le
concert du Big Band de Pertuis, introduit par le parrain légendaire du
festival de Big Band de Pertuis, le grand et fidèle Gérard Badini, plein
d’humour avec sa voix cassée de bluesman, se déroule en deux parties,
sur la grande scène. Toujours aussi généreux (près de 2h de musique), le
Big Band de Pertuis renouvelle d’année en année son répertoire. Léandre
Grau dit que «c’est pour ne pas lasser…». La vérité, pour ce pédagogue
amateur de big band, est qu’il aime le travail et la musique, le jazz,
et qu’il veut jouer tout type de répertoire un jour ou l’autre. Le choix
est aussi fait de la variété des compositions: on passe ainsi de «Lulu
Left Town» de Mark Taylor à Lennon/McCartney, une composition des
Beatles sortie tout droit de l’esprit du Basie Beatle Bag, album
célèbre du Count, dont le big band de Léandre Grau s’inspire à n’en pas
douter. «Between the Devil and the Deep Blue Sky» (Koehler et Arlen),
«Daahoud» (Clifford Brown) sont l’occasion de re-découvrir l’excellente
Alice Martinez (voc) à qui ce big band convient tout à fait. Dans le
seconde partie, parmi beaucoup de thèmes comme «Moment’s Notice»
(Coltrane), «The Very Thought of You», «I Thought of You», «Bolivia»,
«If I Were a Bell », etc., on retiendra les bons ensembles, une écriture
classique et l’intervention de solistes inspirés au premier rang
desquels on retrouve Alice Martinez (voc), Lionel Aymes (tp), Romain
Morello (tb), Christophe Allemand (ts), Maxime Briard (dm)… Une belle
soirée de plus pour ce big band exemplaire de la cohérence culturelle
profonde de ses instigateurs, car le festival est le point d’orgue
annuel d'un travail qui ne s'arrête jamais, et qui va au-delà de la
seule école de musique pour générer dans cette petite ville un
engouement sincère et largement partagé par la population dans toute sa
diversité.
Le
2 août, c’est Marseille qui est invitée à Pertuis, avec le Phocean Jazz
Orchestra de Thierry Amiot, un autre prof’ du Conservatoire de
Marseille venu avec sa classe de jazz, et, en première partie, une
habituée de Pertuis, la talentueuse et dynamique Mariannick Saint-Céran
(voc) qui rend un hommage original et profond à Nina Simone qui passa
une part de sa vie non loin de là, en Provence. Ce «We Want Nina» est
savamment préparé pour évoquer toutes la facettes de la légendaire
artiste, car Nina Simone, comme tous les grands artistes, a d’abord fait
du Nina de tout ce qu’elle a abordé, le jazz et le blues entremêlé bien
entendu, mais aussi la variété, les standards, la chanson. Nina a été
une artiste profonde, engagée sans avoir besoin de le dire comme l’est
la grande musique afro-américaine, par essence. Le répertoire retenu par
Mariannick est bien équilibré pour témoigner de cette œuvre, et la voix
elle-même et l’expression de la chanteuse se prêtent parfaitement à cet
hommage, sans faiblesse avec le nécessaire respect pour Nina, une Diva,
pour le plaisir d’un public toujours aussi nombreux et attentif. «It
Ain’t Necessarily So» (Gershwin), «Love Me or Leave Me»
(Donaldson-Kahn), «Be My Husband» (Nina Simone), un duo voix-batterie
magique, «Old Jim Crow» (Nina Simone), «Work Song» (Nat Adderley), «For
Four Women» (Nina Simone), «My Baby Just Cares for Me» (Donaldson-Kahn),
«Black, Young and Gifted», etc., ont évidemment débouché sur un rappel
mérité. Mariannick Saint-Céran était bien entouré de Laurent Elbaz
(clav-org), Lamine Diagne (ts), Cedric Bec (dm) et de Marc Campo (g) qui
est un excellent guitariste de blues dans «Old Jim Crow», dans la
tradition électrique dénuée de ses extensions rock, ce qui est rare à
trouver en dehors de la tradition américaine.
La
seconde partie, à 21h30, comme toujours décomposée en deux sets,
présentait donc le Phocean Jazz Orchestra (cf. la formation en fin de
compte rendu) mêlant des élèves et des prof’s du Conservatoire de
Marseille, des anciens pas très âgés, dont l’excellent bassiste, Franck
Blanchard, à l’origine du projet dirigé par Thierry Amiot qui signe la
plupart des arrangements. Comme annoncé, le programme présentait d’abord
un répertoire «acoustique», sous-entendu jazz classique, puis une
partie «électrique», sous-entendu un répertoire plus récent, se
traduisant par le passage à la basse électrique et aux claviers
synthétiques.
Le
premier set présenta en effet des compositions d’Horace Silver
(«Nutville»), bonne entrée en matière, Count Basie («Flight of the Foo
Bird» de Neal Hefti, «One O’Clock Jump»), un bon «When I Fall in Love»,
belle ballade où le chef Thierry Amiot a fait briller sa trompette, sa
sonorité et sa technique, Charles Mingus («Nostalgia in Time Square»),
un fort beau thème mis en valeur par un bon chorus du saxophoniste alto,
Thomas Dubousquet, et du contrebassiste, Franck Blanchard, et pour
finir le set un thème hispanisant de Chick Corea, «La Fiesta», qui
aurait pu se trouver en seconde partie. Cette première partie, fort
agréable et appréciée, malgré quelques belles interventions du chef, resta sage, à l’exception du thème de Corea où l’orchestre se libéra.
Le
second set «électrifié» commençait bien, par un bon «A Night in
Tunisia», où le leader faisait encore apprécier sa belle virtuosité dans
les aigus qu’exige ce thème du grand Dizzy Gillespie, thème qui aurait
pu d’ailleurs finir la première partie à la place de «La Fiesta», pour
la cohérence du programme, malgré l’électrification… Puis vint la
thématique annoncée, plus électrique avec ses lignes de basses
accentuées, plus funky, plus récente aussi, avec «Mercy, Mercy, Mercy»
de Joe Zawinul, et si le thème est plus rudimentaire, bien que balancé,
paradoxalement l’interprétation de l’orchestre est plus enlevée, plus
possédée, les trompettes, les sax, tous en fait, dansant leur musique
avec conviction… et un plaisir évident (sourires).
Puis,
nouvel écart par rapport au programme, l’orchestre choisi de mettre en
valeur le régional de l’étape, le lead Hugo Soggia (tb), sorti des
classes de Léandre Grau pour aller suivre l’enseignement du
Conservatoire de Marseille. Hugo a choisi «Georgia», immortalisé par le
grand Ray Charles (bien qu’il en existe d’autres très belles versions),
et la réussite est au rendez-vous d’un superbe chorus de trombone, avec
de beaux arrangements, cette fois très classiques bien qu’originaux, de
Thierry Amiot. Sans doute, un des meilleurs moments sur le simple plan
de la musique, car ce morceau réunit toutes les qualités d’expression,
de répertoire et d’intensité, de blues et de swing. Retour au funk avec
le «Chameleon» d’Herbie Hancock, arrangé par Maynard Ferguson si nous
avons bien compris le chef car c'est une de ses inspirations, en bon
virtuose de la trompette, et là encore, la simplicité du thème mais la
tonicité rythmique, provoque l’électrochoc nécessaire au dépassement de
l’orchestre, pour un moment intense de partage avec le public. La suite
avec «Strasbourg-St-Denis» de Roy Hargrove, «Pick-Up the Pieces» de
l’Average White Band, fut dans la logique de cette bonne soirée, très
enlevée, par un orchestre plus familier de Weather Report, du R’n’B, du
funk, que de l’univers plus lointain de la swing era dont les musiciens
ne possèdent pas la clé sur le plan émotionnel et de la sensibilité,
individuellement et collectivement, malgré une exécution tout à fait
acceptable et bien travaillée.
Ce constat était finalement clarifié
par le rappel sur un thème de Mercer Ellington «Things Ain’t Not What
They Used to Be», joué sur un tempo shuffle accentué, réunissant les
deux univers. Le public a tout apprécié, mais sans doute plus la seconde
partie, et il n’avait pas tort. Quoi qu’on pense de la plus grande
qualité des compositions de Mingus, Silver, Basie (ou ses arrangeurs),
Gillespie, bien que «A Night in Tunisia » se soit prêtée à la deuxième
manière, c’est sur des thèmes qui appartiennent davantage à la culture
de la génération de cet orchestre que les musiciens sont les plus
libres, les plus persuadés, les plus rentre-dedans, qualités
essentielles pour l’expression en big band. On peut danser sur le
répertoire de Basie, Silver ou Mingus, mais c’est une danse différente.
Un
bon big band en devenir, il n’a que 2 ans, avec outre le chef,
excellent trompette, auteur de bons arrangements, un bon bassiste,
Franck Blanchard, un bon batteur de big band, Nicolas Reboud, un
excellent altiste, Thomas Dubousquet qui promet beaucoup, et en général
de bonnes mais rares interventions des moins jeunes de la section de
saxophones, Samuel Modestine (bar) et Thierry Laloum (ts) qui possèdent
leur réserve de blues.
Le
3 août, retour dans le temps avec le groupe, néo-orléanais dans l’âme,
du toujours jeune et pétillant Pierre Bruzzo, un disciple de Sidney
Bechet qui nous a dit ne pas avoir été de la fête parisienne de
l’Olympia, l’automne passé pour les 60 ans du concert de l’Olympia. Une
erreur de casting à n’en pas douter, car, entouré de Philippe Bruzzo
(tb), Guy Mornand (g), Philippe Coromp (p), Bernard Abeille (b), Alain
Manouk (dm), Pierre Bruzzo (ss) a fait revivre l’univers du grand Sidney
Bechet par la manière, un son de saxophone vibrant et intense, malgré
les printemps qui s’accumulent, ce dont a plaisanté un leader en verve.
Il a également repris le répertoire du légendaire Néo-Orléanais qui fait
encore partie de l’inconscient collectif, à Pertuis comme partout,
puisque le public a réagi en connaisseur aux différents thèmes :
«Struttin’ With Some Barbecue» (Lil Harding), «Ain’t Misbehavin’» (Fats
Waller), «Le Marchand de poissons» (Bechet), un «Glory Hallelujah»,
hymne américain repris à la Bechet, comme il le fera de l’hymne
provençal, «La Coupo Santo», un peu plus loin, l’indispensable «Petite
Fleur» (Bechet), vibrant à souhait, les inusables «Some of These Days»,
«On the Sunny Side of the Street» avec, pour la partie vocale, Philippe
Bruzzo et un chorus de contrebasse de Bernard Abeille, «Dans les rues
d’Antibes» (Bechet), et en rappel l’incontournable «When the Saints»,
pour le plus grand bonheur du public. Dans la bonne formation, on a
remarqué le style Hawaïen et savant de Guy Mornand (citation
«traditionnelle» de la Rhapsodie n°2 de Liszt). Bechet étant
inépuisable, on avait encore de la réserve, mais il fallait laisser la
place à la seconde partie de la soirée.
L’Azur
Big Band, parce qu’il vient de Nice, est venu nous rappeler l’attentat
tragique qui a endeuillé l’été 2016. C’est avec tact que le leader de la
formation, Olivier Boutry, les a évoqués dans le cours du concert. La formation, très
professionnelle dans sa présentation et son programme, proposait un
répertoire classique dans l’esprit de ce qu’ont pu produire les grandes
formations américaines depuis l’ère de la swing era, alternant
instrumentaux et accompagnement de chanteurs/ses de variétés influencées
par le jazz. Il y avait ainsi une chanteuse américaine, Jilly Jackson,
efficace, et un crooner américano-suédois, vivant sur la Riviera, ainsi
présenté, Ricky Lee Green, au beau phrasé évoquant l’idéal universel du
genre qu’est Frank Sinatra. Au physique rappelant Thierry le Luron, il a
de réelles qualités d’expression dans ce genre.
L’orchestre,
dans la partie instrumentale, dirigé et présenté par Olivier Boutry, a
proposé en ouverture, comme en fin de concert un classique blues, bien
tourné, joué avec toute l’énergie nécessaire, de bons chorus de Laurent
Rossi (p) et de Bela Laurent (tb). De bons «Flying Home»
(Goodman-Hampton, immortalisé par Lionel Hampton et Illinois Jacquet),
«Sing Sing Sing» (Luis Prima), avec un bon chorus de batterie sur les
peaux in the tradition (Krupa-Rich), «Mambo 5» , le «Ticle Toe» de
Lester Young immortalisé par le Count basie Orchestra ont démontré que
cet orchestre, sans mettre en avant ses solistes, a de belles qualités
d’ensemble, une rigueur et une énergie qui séduisent le public
connaisseur car elles sont des qualités indispensables d’un big band.
«Cry Me to the Moon», «Fly With Me», «Fever» , «I Love You», «The Lady
Is a Tramp», «You Are the Sunshine» et autres standards, ont mis en
valeur Ricky Lee Green et la belle Jilly Jackson, avant un rappel
réunissant tout le monde sur la très fréquentée «Route 66», pour le
plaisir non dissimulé d’un public encore nombreux, et pour la plus
grande satisfaction des musiciens, ainsi récompensés, de ce bon
collectif.
Le 4 août, le jeudi, est comme chaque année dévolu
à la salsa, une sorte de respiration du jeudi, qui se présente très
clairement pour ce qu’elle est, un à-côté du festival, et qui est
l’occasion aussi pour le public de danser. Nous n’y étions pas mais ça a
chauffé pour le plaisir des danseurs d'après les échos du lendemain.
Le
5 août, c’est le beau quartet de Bastien Ballaz qui a introduit une
soirée de découvertes. Le tromboniste, qui a été à bonne école
(Conservatoire de Marseille, Bruxelles avec Phil Abraham, etc.), est un
excellent compositeur, instrumentiste, et il a côtoyé déjà du beau monde
(Cécile McLorin Salvant, Liz McComb, Bill Mobley, James Carter…).
Entourée de jeunes musiciens excellents (Maxime Sanchez, p, Simon
Tailleu, b, Gautier Garrigue, dm), il joue le répertoire du jazz («Four
in One», Monk, «Henya» d’Ambrose Akinmusire) et sa musique originale,
des suites qui alternent des atmosphères, un beau récit qui témoigne
d’une vraie imagination très «cinématographique» («Lullaby», «Synopsis»,
«New Orleans Drunk Party») qui évoquent d'autres références, les
compositions de Charles Mingus ou Horace Silver par exemple. Ils ont eu
droit à un rappel mérité («Lost in My Dreams» de Bastien Ballaz). Un
musicien à suivre!
La
seconde partie invitait un groupe allemand, le Lutz Krajenski Bib Band,
composé de 13 musiciens dont deux chanteurs très intéressants, Ken
Norris, parfaitement francophone car séjournant régulièrement en France,
et Myra Maud, une très belle Parisienne aux racines malgaches et martiniquaises, tous deux possédant de réelles qualités musicales et un métier certain. Lutz
Krajenski est le leader, pianiste et organiste de cet orchestre, aussi
professionnel que d’autres dans ce festival, mais avec une touche
supplémentaire qui confère une dimension plus dynamique au spectacle. Le
public ne s’y est pas trompé, et c’est dans cette soirée que les
danseurs sont venus sur le devant de la scène pour participer à un
moment fort de cette édition.
Le
répertoire éclectique, parfois variété américaine, soul, teintée de
jazz ou de ferveur avec ses deux chanteurs talentueux, parfois même
brésilien, parfois broadway (West Side Story), sans être le plus
jazz de la semaine, possédait cette étincelle qui a déclenché
l’enthousiasme du public et une bonne soirée. De beaux arrangements,
avec des ensembles de flûtes en particulier, donnait une couleur
particulière au big band, et il y avait dans chaque pupitre un solide
soliste capable d’enrichir les ensembles de bons chorus. Terminé sur un
beau «Everytime We Say Goodbye» par l’excellent Ken Norris et sur un
rappel enfiévré sur l’inusable «Cheek to Cheek» et un bon duo Ken
Norris-Myra Maud, ce moment a permis de vérifier qu’en matière de big
band, l’énergie, la conviction sont une des composantes importantes pour
le public, un élément de métier autant qu’une donnée générale de
l’expression artistique.
Le 6 août, c’est le sextet d’Olivier Lalauze (b, comp, arr) qui ouvrait la soirée de clôture, en compagnie d’Ezéquiel Célada (ts),
Alexandre Lantieri (as, cl), Romain Morello (tb), Gabriel Manzanèque
(g). Après une formation au sein de l’IMFP de Salon-de-Provence, puis du
Conservatoire d’Aix-en-Provence, Olivier Lalauze en parallèle à ces
activités d’accompagnateur (Cécile McLorin-Salvant, Archie Shepp, Cie
Nine Spirit, Jean-François Bonnel…) développe depuis 2012 un projet en
sextet. C’est un groupe bien soudé qui défend un répertoire original.
Fort d’un prix au Tremplin Jazz de Porquerolles en 2015 qui lui valut
une programmation à Jazz sur la Ville puis à assurer un première partie
d’Otis Taylor cet été, le sextet se produit régulièrement sur les scènes
du Sud dont il est l’une des jeunes formations les mieux rodées. Sa
musique s’inspire autant de Charlie Mingus, époque petit combo, que de
la musique contemporaine et se présente souvent comme des petites
suites. L’attention du public est requise car le groupe ne pratique pas
les habituelles séquences du jazz (exposition-chorus) dans un festival
où le public a été formé à ça. Le pari fut réussi malgré parfois
quelques silences interrogateurs. Pour le rappel, Olivier Lalauze a
proposé un thème sur la Guerre d’Espagne, revu et corrigé dans l'esprit du Liberation Music Orchestra de Charlie Haden.
Le
dernier concert du festival était très attendu, avec le programme
annoncé en deux parties, musique profane-musique sacrée, du Duke
Orchestra de Laurent Mignard qui consacre son travail à une relecture
proche de l’original de l’œuvre de Duke Ellington (cf. Jazz Hot
n°656). Le concert avait lieu à guichets fermés, ce qui a été le cas de
la plupart des soirées, et, ce soir-là, on a refusé du monde…
La
première partie a été l’occasion de constater que l’orchestre a les
moyens artistiques de ses ambitions, et le public a répondu par une
belle ovation à un set de haut niveau. Sur les «standards» du répertoire
ellingtonien «I’m Beginning to See the Light», «Take the ‘A’ Train»
(chorus Philippe Milanta, Jérôme Etcheberry), «Cotton Tail» (Carl
Schlosser, Fred Couderc), «Rocks in My Bed» (Sylvia Howard), «Just
Squeeze Me» (Sylvia Howard, Jérôme Etcheberry), etc., l’orchestre répond
au défi avec beaucoup d’énergie, de mise en place et de sensibilité à
cette musique. Le savant et grand pianiste Philippe Milanta est
l’élément indispensable de l’ensemble comme en témoigne l’extraordinaire
«Rockin’ in Rhythm», et Jérôme Etcheberry apporte ses contrechants et
sa puissance à la Cootie Williams, quand Richard Blanchet colore
l’ensemble de ses aigus dans la tradition de Cat Anderson. Myra Maud,
présente la veille, est à nouveau de la fête, et c’est sur un «It Don’t
Mean a Thing» incandescent, en présence des deux chanteuses et du
danseur Fabien Ruiz (claquettes) que se termine ce premier set
exceptionnel.
La
seconde partie proposait une relecture de la musique sacrée de Duke
Ellington, l’orchestre étant soutenu pour l’occasion par deux chorales
(Chorale du Pays d’Aix, Chorale Free Son). Si le travail est encore ici
considérable, la réussite est moindre. La musique religieuse américaine,
même celle du Duke, nécessite une certaine ferveur qu’ont pu rendre les
deux chanteuses, elles-mêmes de cette culture ou de ce feeling, mais
étrangère au reste de l’orchestre et surtout aux chorales. Très
attentifs au respect de cette musique, ils ne possèdent pourtant pas
cette conviction intérieure nécessaire à ce registre. Bien sûr le «Come
Sunday», immortalisé par Mahalia Jackson et Duke Ellington, reste un
magnifique moment, et cela n’enlève rien ni au talent, ni au travail
exceptionnel de cet ensemble pour cette partie du répertoire, mais si le
jazz d’Ellington, dans sa tradition instrumentale non sacrée, peut
supporter des relectures extérieures au monde afro-américain, fidèles ou
moins fidèles, pour peu que les instrumentistes solistes aient une
vraie intériorisation du blues et du swing et un respect de l'œuvre,
cela devient contestable pour la musique à vocation religieuse ou le
blues, la voix ne pardonne pas. L’ensemble manquait d’âme, malgré les
excellentes Sylvia Howard et Myra Maud, un Philippe Milanta hors pair et
un chef très pédagogique.
Cela n’empêcha pas une conclusion
enthousiaste, un public debout et une fin de festival chaleureuse, où
Laurent Mignard –qu'il faut féliciter pour l'étendue de son travail
autour de l'œuvre d'Ellington, un grand compositeur du XXe siècle– n’en finissait pas de remercier avec son talent de showman, et
son humour, un Léandre Grau et son équipe (une sonorisation de big bands
sans faute pendant une semaine, bravo!) qui le méritent, et qui ont eu
droit, tout au long d’un festival bien rempli et pourtant convivial,
sans service d’ordre intempestif, aux éloges de tous les orchestres,
pour le son, l’organisation, l’accueil et l’ensemble.
Un festival
de jazz, avec un programme jazz, populaire à tous les sens de
l’adjectif, qui ne sombre pas dans la mondanité, est donc encore
possible, et c’est tant mieux pour le jazz qui retrouve ses valeurs!
Yves Sportis
Photos Ellen Bertet, Christian Palen et Marcel Morello by courtesy of Jazz à Pertuis
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
1/8/2016
Tartôprunes
Valentin Halin (tp), Romain Morello (tb, arr, dir), Arnaud Farcy (as), Ezequiel Celada (ts), Bastien Roblot (voc, g), Caroline Such (clav), Clément Serre (g), Philippe Ruffin (g), Alexandre Chagvardieff (b), Maxime Briard (dm)
Big Band de Pertuis
Léandre Grau (dir, arr)
Alice Martinez (voc)
tp: Yves Douste, Lionel Aymes, Nicolas Sanchez, Roger Arnaldi, Valentin Halin
tb: Yves Martin, Loni Martin, Romain Morello, Hugo Soggia,
Tuba contrebasse: Bernard Jaubert
sax:
Christophe Allemand (ts, fl), Michaël Bez (as), Yvan Combeau (as, fl),
Laurence Arnaldi (ts), Arnaud Farcy (as), Jérémy Laures (bar)
Yves Ravoux (p), Bruno Roumestan (b), Gérard Grelet (g), Maxime Briard (dm)
2/8/2016
Phocean Jazz Orchestra
Thierry Amiot (dir, tp)
tp: Augustin Héraud, Benjamin Deleuil, Pierre-Olivier Bernard, Fan Hao Kong
tb: Hugo Soggia, Bertrand Chappa, Félix Perreira, Alain Delzant (btb)
sax: Thomas Dubousquet (as), Aurore Guidaliah (as), Antoine Lucchini (ts) Thierry Laloum (ts), Samuel Modestine (bar)
Jean Sallier-Dolette (p, clav), Franck Blanchard (b, cb), Nicolas Reboud (dm)
3/8/2016
Azur Big Band
Olivier Boutry (dir, as)
tp: Philippe Giuli, Jean Vincent Lanzillotti, Cyrille Jacquet, Benoît Roiron
tb: Bela Lorant, Gilles Barrosi, Jean-Louis Zanelli, Cyril Galamini
sax: Michael Labour (as), Eric Polchi (ts), Alexis Roiron (bar)
Philippe Villa (p), Michel Romero (b), Olivier Giraudo (g), Max Miguel (dm)
voc: Jilly Jackson, Ricky Lee Green
5/8/2016
Lutz Krajenski Big Band
Lutz "Hammond” Krajenski (dir, arr, p, clav)
tp: Axel Beineke (tp, flh), Benny Brown (tp, flh)
tb: Andreas Barkhoff, Sebastian John
sax: Ulrich Orth (as, fl), Thomas Zander (bar, fl), Gabriel Coburger (ts, fl), Felix Petry (as, fl)
Hervé Jeanne (b, elecb), Matthias Meusel (dm)
voc: Myra Maud, Ken Norris
6/8/2016
Duke Orchestra-Laurent Mignard
Laurent Mignard (dir)
tp: Jerôme Etcheberry, Sylvain Gontard, Gilles Relisieux, Richard Blanchet
tb: Jerry Edwards, Michaël Ballue, Nicolas Grymonprez
sax: Fred Couderc (ts), Carl Sclosser (ts), Didier Desbois (as) Aurélie Tropez (as, cl), Philippe Chagne (bar)
Pierre Maingourd (b), Philippe Milanta (p), Julie Saury (dm)
Myra Maud (voc), Sylvia Howard (voc), Fabien Ruiz (claquettes)
Chorale du Pays d’Aix, Chorale Free Son
|
Marciac, Gers
Jazz in Marciac, 29 juillet au 15 août 2016
Les
considérations générales (lieux de spectacles) n'ont pas changé. Mais
cette année, un choix s'impose pour ces 17 soirées données parallèlement
sous chapiteau et à L'Astrada (souvent deux concerts par soir). Un
total de 18 jours avec 59 concerts payants, pour environ 140 gratuits au
Festival Bis officiel (la place, La Péniche). Pour de multiples
raisons, ce 39e Jazz in Marciac (JiM)
a connu des fléchissements de fréquentation. Il y eut les contraintes
sécuritaires qui alourdissent les conditions de travail de reportage
(interdicton d'accès au back stage). Sans parler des dictats des
producteurs: 32 balances fermées pour 29 ouvertes. La programmation
«diverse» est typique de JiM (cf. Hot News). Abordons des moments choisis de ce que nous avons pu entendre.
La trompette lance le festival, le 29, via le Bis, à 11h30 avec le jeune Niels' Trio d'où se détache Noé Codjia (tp) qui
donne toute sa dimension expressive en tempo lent (beau son, sobriété,
feeling et gestion de la tension: «Alfie» de Rollins). Puis c'est la
première prestation de Malo Mazurié (tp), solide et inspiré dans le
funky Sophie Alour (ts, ss) 5tet («Unsatisfied» de Stanley Turrentine
avec Hugo Lippi, genre Grant Green, et Fédéric Nardin, org), avant la
soirée sous le chapiteau où, en première partie du récital Diana Krall
(sous influence King Cole, avec l'excellent Bob Hurst, b, «Let's Fall in
Love», «I've Got You Under My Skin»), Christian Scott (tp) a fait sa
seconde apparition ici (Stretch Music). Une musique dense où contrastent
le style «exaspéré» de Braxton Cook (son à la Jackie McLean) et la
paisible Elena Pinderhugues (fl) sur un drumming binaire («New Heroes»).
Christian Scott joue en force et que dans la nuance ff. Ses effets sur le travail du son dans le micro retiennent l'attention («Last Chieftain»).
Le
30/07, nous avons choisi, à L'Astrada, la rencontre du Quatuor Debussy
et du duo Jean-Philippe Collard-Jean-Louis Rassinfosse: un traitement du
son classique avec les improvisations du pianiste (dans leur adaptation
du Concerto en fa mineur pour clavecin de Bach, la lecture stricte de la partition balance plus que les développements).
Le
31/07, avant une démonstration d'énergie par les frères Moutin, nous
avons eu l'excellente performance du Nicolas Folmer Electric Group.
Folmer s'inspire du Miles Davis des années 1970 (pédale wa-wa) et 1980.
Il délivre une musique spectacuaire (thèmes-riffs accrocheurs comme
«Safari»), bien épaulé par Laurent Coulondre (org), Damien Schmitt (dm)
et le «guitar hero» Olivier Louvel («Jungle Rock»). Sur tempo rapide les
souffleurs jouent avec la précision d'un ordinateur. A noter un passage
en duo «section de trompettes» (grâce à l'électronique) et drums, et
bien sûr le son avec la sourdine harmon notamment dans «Kiss kiss bang
bang» (médium répétitif, avec changement de tempo pour le solo décapant
d'Antoine Favennec, as).
Le 1/08, 7000 personnes sous le chapiteau venues pour Ibrahim Maalouf (synthé, tp) et son show «participatif» Red & Black Light (lumières, volume sonore, rythmique rock)! Son introduction dans
«Improbable» est une démonstration du son arabe à la trompette
(utilisation du 4e piston mais aussi bends avec
les lèvres). A cette occasion, Stéphane Belmondo put jouer
(magnifiquement) devant une vaste audience. En trio (Thomas Bramerie, b,
Jesse Van Ruller, g), il nous a délivré son programme Love for Chet,
surtout au bugle (son rond, chaud). Nous avons tout spécialement
apprécié «la chanson d'Hélène» de Philippe Sarde tirée du film Les choses de la vie, où il souffle les notes sans attaque pour plus de feeling.
Le
2/08, Ellis Marsalis a offert un bref concert (1h30) strictement bop,
avec des références à Monk («Rhythm-A-Ning», «Evidence», «Epistrophy»)
et un «Broadway» très réussi (citation de «Straight No Chaser» du très
parkerien Jesse Davis et excellent solo de Darryl Hall).
Le
3/08, la charmante Cyrille Aimée a fait dans la variété (de «T'es beau,
tu sais» créé par Edith Piaf à «But Not for Me» en duo avec Shaw Conley,
b, en passant par «Three Little Words» avec solo à la Django d'Adrien
Moignard), puis, comme l'an dernier (cf. compte-rendu), Lisa Simone
s'est imposée par son sens de la scène et une ferveur digne d'une
chanteuse gospel («Work Song» torride). Elle sait chanter le blues
(«Don't Wanna Go», Hervé Samb, g -passé en Bis avec son groupe).
Le
4/08, Ahmad Jamal a donné en exclusivité «Marseille» chanté en français
et anglais par Mina Agossi en début de soirée: bon motif mélodique. Dès
le second titre, Herlin Riley (dm) a confirmé sa stature unique (bons
solos de James Cammack, b, Manolo Badrena, perc). Jamal a utilisé des
mélodies simples ou connues («Perfidia», «Poinciana») et un style de
piano, sobre et très percutant (ce qui, avec ses trois accompagnateurs,
nous a valu une orgie rythmique).
La soirée contrebasse (5/08)
permit d'apprécier avant le virtuose Avishai Cohen (bonne version de «A
Child Is Born») la formation de Kyle Eastwood augmentée de Stefano di
Battista (as, ss) qui ne manqua pas de swing («Boogie Stop Shuffle» de
Mingus, bons solos de tous; «Marciac» avec Quentin Collins au bugle;
«Blow the Blues Away» avec alternative Brandon Allen-di
Battista-Collins).
Retour aux cuivres le 6/08, avec la 6e rencontre du LTP3 et d'une harmonie: celle de Roquefort des Landes
(dir. Sylvie Labèque). Compositions (festives, souvent dansantes) de
Michel Marre (flh, tp de poche) tant à quatre («Etoile Rouge», «Down to
the Festa»,…) qu'avec l'harmonie («Mestre 'Amor» d'après «You Don't Know
What Love Is», «Bagad Cafe» avec multiphonie du tubiste,…). Feu
d'artifices de cuivres avec l'humour de Marre, la virtuosité de
Jean-Louis Pommier et François Thuiller!
Peu
de monde sous le chapiteau le 7/08 pour la soirée dédiée à André
Clergeat. Du trio Cyrus Chestnut, nous retiendrons la sonorité pleine de
Buster Williams (b) («Dedication» de Lenny White). Puis, ce fut une
heureuse surprise!, Wynton Marsalis avait réuni 9 jeunes artistes (et
une tap danseuse, Michela Lerman) qui, connaissant parfaitement l'idiome
(sonorités, swing), se sont consacrés à Duke Ellington: Julian Lee (ts,
cl) a arrangé (pas de copie!) «Happy Go Lucky Local» (avec en
introduction «Single Petal of Rose» joué par Lee à la Ben Webster) où
Reuben Fox (ts, véhément) et Patrick Bartley (cl, genre Procope) se sont
d'emblée fait remarquer, et «Creole Love Call» (beau travail de Wynton
Marsalis avec le plunger, solos de Joel Ross, vib, Russell Hall, b).
Puis ce furent des versions enchaînées de «Johnny Come Lately» (Mathis
Picard, p stravinskien, Anthony Hervey, prodige disciple de Wynton
Marsalis) et «Such Sweet Thunder» (Sam Chess, tb sweet digne de Lawrence
Brown, beau son de la section de sax). Trois «head charts» ensuite:
«All Too Soon» (Gabe Schnider, g, Sam Chess avec la sourdine clear tone,
Fox, ts websterien), «Take the ‘A’ Train» (Wynton Marsalis et Bartley,
as –inspiration libre–, démonstration stride de Picard), «Heaven»
(Wynton Marsalis avec la sourdine harmon, bons solos de Schnider, Ross,
Picard, et Hall avec l'archet). Sous le choc d'une telle concentration
de swing, le public n'a pas voulu les lâcher. Trois bis: «Rockin' in
Rhythm» (alternative de ténor entre Fox et Lee qui a un son plus large,
solo de Kyle Poole, dm, Bartley, cl et conclusion avec «Single Petal of
Rose»), «Blood Count», ballade à la Hodges (Bartley) interrompue par un
«Portrait of Louis Armstrong» (alternative Anthony Hervey-Wynton
Marsalis...match nul!!!) et «Take the ‘A’ Train» (Herlin Riley
remplaçant Poole: excellents solos de Ross, Chess, Hervey, Marsalis,
Bratley, Lee, Fox, Schnider, Picard, Hall et...Riley!). Il fallait tout
décrire, car ce fut LE concert jazz de ce 39e Festival.
Soirée
des riffs funk le 8/08 avec Fred Wesley (tb, voc) en première partie
(Gary Winters, tp-flh, solide) d'un Maceo Parker épaulé par Greg Boyer
(tb) (bref «Satin Doll» du leader pour démontrer qu'il n'est pas
jazzman).
Kamasi Washington (ts), par sa sonorité massive, s'apparente à John Coltrane-Albert Ayler (9/08).
L'alliage
voix-ténor-trombone (Ryan Porter) est intéressant et son traitement de
«Cherokee» original. Abraham Mosley est un peu le Jimi Hendrix de la
contrebasse. Même filiation coltranienne chez David Sanchez (ts, perc)
en quartet (10/08).
Lucky Peterson (org, voc) a préludé son Tribute to Jimmy Smith du 11/08 par un passage au Bis en trio (Kelyn Crapp, g, Herlin Riley, dm) d'une heure et demie, 2
jours plus tôt («The Champ», etc). Sous le chapiteau son concert fut de
premier ordre, entouré des mêmes et de Keith Anderson (ts, as) (beau
prêcheur dans «Purple Rain»). L'invité officiel, Nicolas Folmer, fut bon
dans «Everyday I Have the Blues», l'invité surprise, Wynton Marsalis, a
pris un solo dans «Blues in B flat». Le Wynton Marsalis 5tet a ensuite
occupé la scène (avec en invité Herlin Riley, tambourin, dans «My Soul,
My Jazz»). Musique de haut niveau (un seul bis) par une équipe
très soudée (Walter Blanding, ts-ss, Dan Nimmers, p, Carlos Henriquez,
b, Ali Jackson, dm) autour du leader bon dans la ballade («The Very
Thought of You») comme dans l'utilisation du plunger («America»).
Le
12/08, Charles Lloyd s'est présenté entouré de Jason Moran (p, bon dans
ce contexte), Harish Raghavan (b, solide) et Eric Harland (dm). Au
ténor, il retrouve l'aspect serein de Coltrane dans les ballades («How
Can I Tell You?») et il opte pour la flûte sur des motifs dansants
(«Tagore»).
Le torride James Carter (ts, as, ss) lui fit suite avec
Gerard Gibbs (org, excellent) et Alex White (dm) dans un programme
prenant Django en alibi («Manoir de mes rêves», «Valse des niglos»,
etc.): ampleur de son (ténor), slap tongue, multiphonie, respiration
circulaire et swing.
Le 13/08, soirée dédiée à
Michel Petrucciani par Philippe Petrucciani (g) et Nathalie Blanc (voc):
certains titres sollicitaient Nicolas Folmer (tp, grande forme: «c'est
une carioca»), Francesco Castellani (tb), Sylvain Beuf (ts, ss), et en
invité André Ceccarelli (dm).
L'Astrada a terminé le
14/08 par le fervent gospel, surtout instrumental, des Campbell Bros
(la steel guitar de Chuck et Darick Campbell évoque la voix; Phil
Campbell, g-voc, aurait fait un bon bluesman, mais «Hell no, Heaven
yes”!).
Le festival Bis,
comme chaque année propose des talents médiatiquement négligés. Nous
avons remarqué le virtuose Bastien Ribot (vln) (30/07, invité du
Corsican Trio: «Night in Tunisia»), Julien Alour (tp, flh) en 5tet
(31/07, François Theberge, ts: «Blue Monk», «Big Bang»), Antoine Hervier
(p) (hommage à Oscar Peterson), Pierre Christophe 4tet (1/08, Fabien
Marcoz, b, Mourad Benhamou, dm, Olivier Zanot, as disciple de Paul
Desmond: «Fats Meets Erroll»), le swing de Guillaume Nouaux (3/08, Paul
Chéron 6tet: «Pee Wee's Blues»), Francis Guéro (tb) (6/08, Ting a Ling:
«You Always Hurt», «Girl of My Dreams»), Philippe Petit (org) (6/08 avec
Florence Grimal, voc: «Gone with the Wind», «Lady is a Tramp»), Mélanie
Buso (fl) (7/08, Music'Halle Toulouse: «Another Stupid Death»), les
Soul Jazz Rebels (10/08, Jean Vernheres, ts, Hervé Saint-Guirons, org,
Cyril Amourette, g, Tonton Salut, dm), Alain Brunet (flh, tp) (Sylvia
Howard-Black Label: «In a Sentimental Mood», 13/08, «Lover Man», 14/08),
Damien Argentieri (p) (13/08, Véronique Hermann: «Sweet Georgia
Brown»), la soul de Nicole Quinteta Whitlock alias Ms Nickki (14-15/08,
«Big Girl», «Stand by Me»,...) et le funk de Nicolas Gardel (tp
virtuose) (14/08, Headbangers: «What is this thing called jazz?»).
Ces bons moments vécus masquent les profonds changements sociaux. Que seront les 40 ans de JiM?
Michel Laplace
Texte et photos
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
|
Fano, Italie
Jazz by the Sea, 28-30 juillet 2016
Après
quelques années d'une restructuration due aux lourdes coupes dans le
financement, Fano Jazz by the Sea a relancé son activité avec une 24e édition riche de points de réflexions et de propositions réparties dans des lieux divers selon un projet bien défini.
Les
concerts grand public avaient lieu au Teatro della Fortuna où l’on a vu
défiler des protagonistes –avec l’immanquable succès public– tels que
le trio Scofield-Mehldau-Guiliana, Yellowjackets, le Volcan Trio (les
Cubains Gonzalo Rubalcaba, Armando Gola et Horacio «El Negro» Hernández)
et le Kenny Garrett Quintet.
Les
événements programmés dans la Corte Sant’Arcangelo pour être sur un
créneau plus confidentiel, n’en sont pas moins intéressants. Guidé par
le bassiste danois Høiby, Phronesis est une des formations les plus
intéressantes de la scène européenne actuelle. La poétique du trio est
basée sur une interaction constante faite de continuels échanges de
stimulations et de signaux. Les compositions reposent sur une harmonie
ouverte, des implantations modales, des structures polyrythmiques
développées avec un recours aux mètres impairs, des passages en tempo
libre, et des thèmes d’une articulation dense. Høiby dirige les
exécutions avec un phrasé fluide et dialectique qui rappelle de loin
Gary Peacock, et un son somptueux qui d’une certaine manière rappelle
son regretté compatriote Niels-Henning Ørsted Pedersen. En collaboration
et en contraste en même temps, le Norvégien Anton Eger se distingue par
un drumming fiévreux et découpé, et par des décompositions et des
fractures continuelles, enrichi par une attention particulière aux
timbres. L’Anglais Ivo Neame (p) intègre le dialogue en produisant une
confrontation profitable sur des plans verticaux et horizontaux,
creusant à fond la substance harmonique par des interventions incisives.
Sur la base des deux récents volumes des Liberetto,
le contrebassiste Lars Danielsson fait preuve d’une prédilection pour
les harmonies riches et ensorceleuses, et des thèmes finement ciselés,
souvent sur la base de mélodies chantantes. Dans cette formulation, se
localisent aussi bien l’infrastructure classique que les racines du folk
scandinave et d’autres formes de la tradition populaire européenne,
comme la Passacaglia in 4/4 le met en évidence, élaboration de la
structure conventionnelle en 3/4. Il en résulte une proposition
musicale plaisante, ingénieusement construite, mais à traits très
narcissiques, et finalement trop méticuleuse dans les détails, qui
n’exclut pas l’improvisation mais renonce à affronter le moindre risque.
Dans ce cadre l’habileté des musiciens passe au premier plan de toute
façon. En premier lieu le pizzicato limpide du leader à la manière d’un
violoncelle, particulièrement dans les intros et les interventions en
soliste. La dynamique hétérogène de Magnus Öström (ancien batteur de
E.S.T.) obtenue par les balais et les différents types de baguettes, est
en équilibre entre le swing, les rythmes binaires d’origine rock et son
jeu frénétique et proverbial entre la charleston et la caisse claire.
D’autre part la science rythmico-harmonique de John Parricelli (g) et sa
discrétion dans la distribution des timbres, est « transgressée »,
seulement dans un long solo au phrasé rock et en couleurs blues. Pour
finir, le toucher rythmique de Grégory Privat (p), remplaçant Tigran
Hamasyan, nous valut quelques progressions en solo basées sur des
séquences télégraphiques et vertigineuses.
Chargé
par la direction artistique de Fano Jazz de présenter un nouveau
projet, Roberto Gatto a rassemblé une formation de musiciens avec
lesquels il collabore dans des contextes différents: le fidèle Dario
Deidda (b), Sam Yahel (p) et Javier Vercher (ts). Malheureusement il a
déçu les attentes en proposant un répertoire composé de peu d’originaux
et de nombreux standards exécutés avec le critère habituel de la
succession des expositions du thème-séquence, avec des solos en reprises
du thème. C’est dommage car le début informel, en tempo libre et
glissements atonaux, avait laissé présager des développements des plus
intéressants. Une version en trio piano de «Moonlight in Vermont» a fait
exception, jouée sur la pointe des pieds avec des pauses savantes et de
subtiles dynamiques. On a évidemment apprécié la maîtrise individuelle
des membres du groupe: le swing fluide et décontracté, la gamme
dynamique du batteur; l’invention mélodique de Deidda capable de faire
sonner l’instrument électrique comme une contrebasse; le jeu de
soustraction et les phrases essentielles de Yahel, un talentueux
spécialiste de l’orgue Hammmond dans d’autres contextes; le timbre
puissant, voisin de celui de Joe Henderson, de Vercher.
Sur
la base d’une heureuse intuition du directeur artistique Adriano
Pedini, la Pinacoteca di San Domenico accueillit une exposition des
concerts de l’après-midi sous le titre Gli echi della migrazione,
on ne peut plus en phase avec les événements de ces dernières années.
Evénements sonores en solos, tout à fait appropriés à la dimension
acoustique de l’église désacralisée, qui ont vu se succéder le
trompettiste Luca Aquino, le percussionniste Michele Rabbia et les
saxophonistes Dimitri Grechi Espinoza et Gavino Murgia.
Oreb-Preghiera Sonora de Grechi Espinoza est un vrai projet, quant au son et aux structures.
On pourrait le définir comme une « architecture sonore », étant donné
qu’il exploite précisément l’interaction entre les espaces et les
volumes architectoniques. L’opération est née des expériences réalisées
dans le «duomo romanico di Barga», qui s’est ensuite concrétisée par un
enregistrement effectué au baptistère de Pise et visibles sur Angel’s Blows.
Grechi Espinoza construit un monologue-dialogue intérieur grâce à la
réverbération naturelle. La voix du ténor se prête bien au projet par sa
gamme de timbres particuliers et dynamiques. Dans les mouvements qui
composent la suite, Grechi Espinoza développe des cellules mélodiques
avec une méticulosité de chartreux, procédant par accumulation et
stratification progressives, créant par moments des passages
contrapuntiques. Plus que le phrasé, l’élément jazzistique de
l’opération s’individualise dans l’énoncé et dans le procédé exécutif
qui ne renonce pas à l’improvisation, ou à une citation occasionnelle,
comme il advient dans le cas des structures élaborées sur la base d’un
minuscule fragment de «’Round Midnight». L’auditeur assiste à une longue
prière affligée qui s’extériorise en un blues réduit à son essence et
élevé au rang de spiritual.
Profondément attaché à ses
racines sardes natales, Murgia remplit de façon exemplaire le rôle d’un
musicien européen moderne capable de greffer le langage du jazz sur le
substrat de sa propre culture, les repeignant avec des instruments
traditionnels, mais toujours avec le filtre de l’improvisation. Murcia
est également membre d’un quartette vocal sarde spécialisé dans les
chants traditionnels a tenore. Par la suite, il exploite son
registre de basse et certains traits gutturaux, soit pour exécuter un
solo riche de dynamiques et de multiplications de cellules rythmiques,
soit pour préparer une base polyphonique d’échantillons sur laquelle
improviser au soprano. Murgia maîtrise aussi les instruments sardes
traditionnels comme il sulittu (flûte piccolo, ou zufilo en canne), et les antiques launeddas,
anches jouées avec la technique du souffle continu, formé d’une double
canne avec laquelle on crée un bourdon, et une canne seule avec laquelle
on exécute la mélodie. Le lien avec sa terre se perçoit dans l’approche
plus délicieusement jazzistique; dans le phrasé sinueux du soprano, en
pleine dialectique avec la réverbération de l’église, ou sur une base
préenregistrée; dans la voix puissante du ténor qui se superpose à un
fond électronique. Une poétique qui place Murgia sur les traces des
expériences réalisées par John Surman et Jan Garbarek, mais qui révèle
en même temps une identité forte et bien définie.
Dans le merveilleux décor nocturne de l’église en ruine de San Francesco, l’exposition YoungStage a proposé un thème cher à Fano Jazz, qui montre une belle attention aux
jeunes musiciens italiens. Parmi les concerts, on a distingué le trio
du contrebassiste Matteo Bortone, très actif sur la scène française.
Bortone, Enrico Zanisi (p) et Stefano Tamborrino (dm) sont non seulement
des talents émergents qui s’imposent, mais ils témoignent du fait
d’avoir dépassé la dépendance aux modèles afro-américains, définissant
ainsi une identité et une poétique originales. Les compositions de
Bortone mettent en évidence une conception architectonique accomplie,
minimaliste et de tempos libres. On perçoit à l’intérieur un sens
mélodique aigu, libéré de la stricte dépendance au thème. Assez souvent,
en fait, on assiste à un renversement du déroulement performatif. Ils
séparent l’empathie et la syntonie avec lesquelles Bortone et ses
collègues contribuent au processus de l’improvisation. Zanisi apporte
des interventions concises et prégnantes, avec un toucher limpide,
quasiment classique et avec un riche langage harmonique. Bortone
privilégie les lignes sèches, les pédales, et les phrases essentielles
et en même temps mélodiques. Tamborrino complète le cadre avec une ample
gamme dynamique, une nette propension pour les couleurs et une rare
capacité d’écoute. Une démonstration efficace et peu commune de comment
on devrait interpréter le piano trio aujourd’hui. Et c’est aussi la
confirmation (l’énième) que l’avenir des festivals de jazz en Italie ne
peut faire abstraction d’une promotion adéquate du riche réservoir de
nouvelles idées que la scène nationale propose.
Enzo Boddi
Traduction Serge Baudot
photos Maurizio Tagliatesta by courtesy of Fano Jazz by the Sea
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Marseille, Bouches-du-Rhône
Marseille, Jazz des Cinq Continents, 20-29 juillet 2016
Pour cette 17e édition,
le Marseille Jazz des Cinq Continents (MJ5C) était associé à
différentes manifestations, regroupées dans son programme sous
l’appellation «Marseille Heure du jazz» qui ont commencé dès le 2 juin.
Ces différents concerts, expositions, films, conférences, master-classes, présentés dans de beaux parcs (Maison Blanche, de la Moline),
des Bibliothèques (l’Alcazar, Gaston Defferre), le Conservatoire
national de région ou des hôtels, a permis d’élargir le public et
d’animer différents points de la ville. On retiendra, la petite
exposition «ECM, une autre esthétique du Jazz» inaugurée en présence de
Manfred Eicher, son fondateur toujours très sobre et précis, avec en
fond musical le percussionniste Don Moye en trio. On passera rapidement
sur l’exposition «Accordé O Jazz» consacrée aux archives musicales du
Mucem qui semblent bien pauvres ou mal exploitées, avec néanmoins la
présence en vidéo du regretté guitariste marseillais Claude Djaoui. Côté
masters classes, elles étaient animées par Thomas Bramerie (b), André
Ceccarelli (dm) et Didier Lockwood (vln), musiciens qu’on retrouva en
concert durant le festival, ces manifestations bénéficiant a priori
d’autres budgets gérés par chacun des organisateurs.
Acte 1-Toit terrasse de la Friche de la Belle de Mai
Mercredi 20 Juillet–Ilhan Ersahin’s Istanbul Sessions: Ilhan Ersahin (ts), Alp Ersonnez (b), Turgut Alp Bekogiu (dm), Itzen Kizil (perc)
Le
coup d’envoi a été lancé par un concert électrique du saxophoniste
turc, Ilhan Ersahin, sur le toit terrasse de la Friche de la Belle de
Mai. Cet espace rassemble un public jeune, souvent habitué de ce lieu
ouvert le soir en été. Il faut dire que le concert était gratuit et que
la soirée sous les étoiles était attractive. A son habitude, ce groupe a
donné toute sa fougue à une musique puisée dans sa tradition orientale
revisitée par l’électro-jazz. Ilhan Ersahin anime à New York son propre
club ouvert à l’underground qui brasse largement toutes les tendances et
les mouvances actuelles. En fait, c'est un des rares résidents
new-yorkais du festival. Le groupe s’était produit à Marseille il y a
quelques années en compagnie d’Erik Truffaz.
Acte 2-Théâtre Sylvain
Jeudi 21 juillet-Didier Lockwood Quartet: Didier Lockwood (vln), Antonio Farao (p), André Ceccarelli (dm), Darryl Hall (b)
Didier
Lockwood, musicien familier de Marseille (il prépare d’ailleurs un
spectacle sur Léo Ferré avec le comédien-metteur en scène Richard
Martin), proposait un groupe composé de valeurs sûres permettant
notamment de retrouver le pianiste italien Antonio Farao rare sur les
scènes locales. Dans le cadre magnifique du Théâtre Sylvain, bel amphithéâtre très bien éclairé sur la Corniche, retrouvait son lustre d’antan (fin XIXe siècle). Si le concert ne fut pas des plus originaux, le professionnalisme de l’équipe assura un premier set agréable.
Lars Danielsson European Sound Trend: Lars Danielsson (cb), Cæcilie Norby (voc), Itamar Borochov (tp), Iiro
Rantala (p) Theodosii Spassov (kaval ) Gérard Pansanel (g) Hussam Aliwat
(oud) Wolfgang Haffner (dm). Ce nouveau groupe European Sound Trend,
dirigé par le contrebassiste suédois, était la création maison du MJ5C.
Avec cette création, le festival voulait symboliser son ancrage dans un
jazz ouvert à tous les continents. Tout d’abord la distribution était à
cette image, car elle réunissait des musiciens venus (dans l’ordre) de
Suède, Danemark, Israël, Italie, Finlande, Bulgarie, France, Palestine et
Allemagne, et se voulait ouverte à des sources d’inspiration populaires
ou classiques. Le mélange, malgré les risques, fut réussi, et le public
fut touché par cet ensemble a priori hétéroclite. On connaissait ce
musicien nordique pour ses albums chez Act, toujours bien réalisés.
Cette première (a priori sans autre point de chute pour le moment)
permet de vérifier son talent de rassembleur dans une formule originale.
Ce groupe devrait trouver preneur, nous le lui souhaitons, dans le
réseau des festivals de l’Association Jazzé Croisé dont le MJ5C fait
partie. Affaire à suivre.
Vendredi 22 Juillet-Jan Garbarek featuring Trilok Gurtu:
Jan Garbarek (sax pic/ts), Trilok Gurtu (perc, dm, voc), Yuri Daniel
(b), Rainer Bürninghaus (clav,p). Qui mieux que Jan Garbarek, à part
Keith Jarrett, pouvait représenter le label ECM, musicien symbolique du
label allemand. A noter que le label a enregistré, depuis ses débuts, la
majeure partie de sa production au Talent Studio à Oslo en Norvège,
pays de Garbarek. Dans un amphithéâtre quasi complet et sous le chant
des cigales, Jan Garbarek, démarre son set au piccolo sax avec un
maîtrise parfaite, soutenu par un groupe rodé. Pour un second titre au
ténor, son staff est au complet et vraisemblablement c’est son ingénieur
du son qui est aux manettes, hyper basses qui couvrent un peu la voix
et pad électronique de Trilok Gurtu, un morceau un peu trop répétitif
mais qui plaît au grand public. Trilok Gurtu se distinguera dès le
troisième morceau, tirant la couverture à lui et soulevant
l'enthousiasme du public. Jan Garbarek a toujours divisé les amateurs de
jazz, certains le rangeant dans une froideur nordique, seulement sauvés
par ses anciennes collaborations avec Jarrett ou Egberto Gismonti,
d’autres le plaçant au sommet des musiciens européens. Il est sûr que ce
n’est pas un musicien qui swingue mais force est de reconnaître que
certains passèrent une belle soirée. Il ne s’était pas produit à
Marseille depuis fort longtemps.
Acte 3-Mucem
Samedi 23 Juillet-Sarah McKenzie: Sarah McKenzie (voc, p), Joe Caleb (g), Pierre Boussaguet (cb), Marco Valeri (dm).
Sous
un ciel orageux, la soirée a pu commencer avec un léger retard et un
léger changement d’ordre de programmation. On passera sur la mauvaise
organisation de l’accueil du Mucem (qui
se renouvèlera le lendemain) pour se rattraper sur les belles visions
nocturnes et les paysages que nous offre ses remparts. Dans la lignée
des nouvelles chanteuses (et ici aussi pianiste), la belle Sarah
McKenzie très sympathique et très pro’ nous interpréta, avec une belle
assurance, le répertoire de son dernier disque. Répertoire classique,
compositions personnelles et encore jazz bossa, devenu le passage
inévitable pour «se vendre» dont on peut préférer les versions
originales. Reste une question, voire deux: est-ce parce qu’elle est
signée sur le label Impulse! (légendaire mais cédé à de nombreuses
reprises depuis l'origine) ou parce qu’elle est australienne que son
étoile brille bien plus que de nombreuses autres chanteuses plus
authentiques. Bien fait, bien propre, mais aucune trace de blues dans se
prestation, bien épaulé avec notamment l’excellent contrebassiste
Pierre Boussaguet.
Onefoot: Yessaï Karapetian (clav, fl),
Marc Karapetian (b, synt), Marc Font (dr, sampling). Le jeune groupe
marseillais qui monte, d’abord à la capitale où les deux frères
Karapetian se retrouvent au Conservatoire national supérieur de musique
dans la classe de jazz, dirigé par Riccardo Del Fra, et sur la scène
nationale avec la signature chez un producteur important dans le réseau
electro et funk. Après un premier EP paru fin juin, des dates dans des
scènes de musiques actuelles, des concerts remarqués aux Transmusicales
de Rennes, au Festival de Vienne, à Jazz à la Défense, sans décrocher
hélas de prix, le groupe affrontait une scène importante à Marseille.
Livrant une musique électrique fraîche, sans compromis mais dans son
époque, il n’hésita pas à interpréter deux titres emblématiques
d’Arménie, prouvant à son auditoire que la transition peut se faire dans
la tradition, certes bien revisitée et mondialisée. Disposant d’un
temps de balance assez court (dû aux intempéries), le groupe réussit
quand même à avoir son «son», servi par son technicien (Fabien Terrail).
Sans aucun doute le groupe le plus filmé, enregistré et retransmis sur
les réseaux sociaux.
Minuit 10: Thibaud Rouvière (voc,g),
Sylvain Rouvière (g,cl,voc), Mathis Regnault (bs, voc), Etienne Rouvière
(dr,pad elec,voc). Issu de l’Institut musical de formation
professionnelle de Salon-de-Provence, cette jeune formation s’intègre
dans la lignée d’un jazz rock progressif. Découvert grâce au réseau Jazz
Emergence qui réunit des écoles de musiques, Minuit 10 était le coup de
cœur du Conseil Départemental. Une autre fratrie pour une musique
électrique. Ces deux jeunes groupes prouvent que le jazz intéresse la
jeunesse et peur élargir un public qui ce soir là était déjà
intergénérationnel.
Kyle Eastwood: Kyle Eastwood (b, cb), Quentin Collins (tp) Brandon Allen (saxes), Andrew
McCormack (p), Chris Higginbottom (dm). Toujours très classe, ce
séducteur de Kyle livra un énième concert de bonne qualité; pas de
nouveauté ici, il interpréta les titres de son dernier album. Très
présent sur les scènes du sud cette saison, son groupe, inchangé, à le
mérite d’assurer lors de chaque représentation, un parfait équilibre de
jazz classique et moderne. Très disponible, il participa à l’Alcazar à
une rencontre autour de l’œuvre de son père intitulé «Eastwood after
hours».
Dimanche 24 Juillet-Hugh Coltman/Shadows-Songs of Nat King Cole: Hugh Coltman (voc) Thomas Naïm (g), Gaël Rakotondrabe (p), Christophe Minck (cb), Raphaël Chassin (dm)
De
«Mona Lisa» à «Nature Boy», le crooner anglais rend hommage à la voix
du célébrissime chanteur de charme et pianiste, Nat King Cole, un des
premiers musiciens afro-américain à avoir été admis dans la haute-société
blanche. Hugh Coltman est sans aucun doute sincère et très humble
devant son inspirateur; hélas, il manque un peu de conviction et le tout
reste trop poli, sans doute par un trop grand respect à son icone.
Terminant sur un blues, sorte d’hommage au pionnier anglais du revival
de ce style outre manche, Alexis Korner, il sera salué par un public en
petit nombre par rapport à la veille.
Jean-Pierre Como/Express Europa. Jean-Pierre Como (p), Hugh Coltman et Walter Ricci (voc), Stéphane Guillaume (sax),
Louis Winsberg (g), Thomas Bramerie (cb), Stéphane Huchard (dm). En 95,
Jean-Pierre Como, après ses aventures avec Sixun, signait l’album Express Paris Roma.
Vingt ans après, il renouvelle le voyage qui consiste à intégrer dans
le jazz la chanson, italienne en particulier. Après la création de ce
nouveau projet en octobre dernier au Café de la Danse, avec presque la
même équipe renforcée de quelques invités, il semblait intéressant
d’écouter le résultat après maturation. Bonne surprise, le répertoire et
son interprétation se sont épanouis, et le groupe sonne parfaitement.
Stéphane Guillaume, en remplacement de Stefano Di Battista, donne son
maximum et assure entièrement sa partie; Louis Winsberg, toujours
l’esprit ouvert, contribue à l’enrichissement des compositions. On
saluera la performance du jeune chanteur napolitain, Walter Ricci, qui
est de plus en plus sollicité en France. Quant à Jean-Pierre Como,
simple et discret, il sait diriger ses musiciens vers son but. Il est
vrai que la rythmique, contrebasse, batterie n’a plus rien à prouver et
sert de tremplin à maître Como. En l’occurrence, une soirée agréable
marquée par le chant entre le blues, la méditerranée et la mer.
Les concerts des soirées au Mucem étaient présentés en coproduction par le MJ5C et le Mucem.
Acte 4 – Palais Longchamp
Lundi 25 Juillet-Ester Rada: Ester Rada (voc)
Chanteuse
israélienne d’origine éthiopienne, Ester Rada est apparue, après une
carrière d’actrice, sur la scène musicale en 2013. Sa musique, définie «comme une rencontre où s’entremêlent Ethio-Jazz, funk, soul et R&B, avec des nuances de groove issues de la black music» reflète le mélange de ses goûts et influences qui vont de Nina Simone
au Fugees. Epaulée par un bon groupe, elle nous a offert une chaude
première partie appréciée par un public venue en majorité pour la
seconde partie.
Ibrahim Maalouf/Oum Kalthoum: Ibrahim Maalouf (tp), Franck Woeste (p), Rick Margitza (ts), Christophe Wallemme (cb), Nicolas Charlier (dm).
Ibrahim Maalouf/Red & Black Light Tour-10 ans de Live: Ibrahim Maalouf (tp, cl), Martin Saccardy (tp), Yann Martin (tp), Youenn Le Cam (biniou, fl, tp), Eric Legnini & Franck Woeste (cl, fender rhodes), François Delporte (g), Antoine Guillemestre (b), Stéphane
Galland (dm). Depuis le début de sa notoriété Ibrahim Maalouf était
pour la quatrième fois l’invité du festival. Une sorte d’hommage à la
place qu’il tient aujourd’hui. Il fera en décembre un concert à
l’AccordHotels Arena, ex-Bercy, soit une des plus grandes salles de
France. Peu ou pas de jazzmen ont réussi cet exploit, mais le statut
d'Ibrahim Maalouf est déjà au-delà du jazz. Salué, primé et presque
béatifié, il faut admettre qu’aujourd’hui il tient une place
particulière. Présent sur tous les fronts, albums, concerts, musiques de
films, enseignement, son omniprésence galvanise le public qui en
redemande. On
le voit beaucoup plus que d’autres trompettistes talentueux du jazz, mais il faut lui reconnaître le grand mérite d’être
un véritable showman.
Pour cette soirée il avait
décidé d’intervertir l’ordre prévu des deux groupes pour commencer par
son hommage à Oum Kalthoum, dont la tournée était déjà terminée et finir
la soirée par son super groupe électrique. Les deux groupes ont plu à
la grande audience, la seule soirée à guichets fermés. La célébration d'Oum Kalthoum par
le groupe fut très chaleureuse, Rick Margitza, saxophoniste méconnu
(malgré son passage chez Miles Davis) se pose en alter ego du
trompettiste et contribue pleinement à la réussite de ce répertoire. Le
second groupe annonçait la fête et, Maalouf en maître de cérémonie,
véritable Monsieur Loyal du Parc Longchamp, alluma le feu. Seul regret, un changement de plateau un peu long.
Mardi 26-Christian Scott/Atunde Adjuah presents Stretch Music: Christian Scott (tp, flh), Braxton Cook (saxes), Elena Pinderhughes (fl, voc), Lawrence
Fields (p, clav), Kris Funn (b), Corey Fonville (dm). Pour beaucoup la
«seule soirée vraiment jazz» du festival et, hélas, un public moins
nombreux, un Palais Longchamp à moitié-plein pour les optimistes, a
moitié-vide pour les autres. Mais les présents, dont de nombreux
musiciens, ont pu savourer deux excellents concerts donnés par des
musiciens de haut niveau. Christian Scott, comme il y a deux ans sur la
même scène, arrive avec un groupe très carré, en fait un vrai groupe
avec des musiciens qui jouent ensemble depuis des années, et cela
s’entend. Compositions originales baignées d’un esprit néo-orléannais au
service d’un jazz puissant, puisant sa force dans le passé mais collant
à l’actualité, un jazz vivant. Chaque soliste, le pianiste Lawrence
Fields, le saxophoniste Braxton Cook, le batteur Corey Fonville et Elena
Pinderhughes, merveilleuse lutine de la soirée, marquent de leur
empreinte le son du groupe. Christian Scott les remerciera pour leur
talent, leur fidèle compagnonnage et, dans une présentation, parfois un
peu bavarde, contera leurs parcours. Quant au leader, on ne peut que
saluer sa prestation, sobre efficace, concise, pleine d’imagination pour
un répertoire sans cesse renouvelé, bref un grand, un vrai jazzman!
Snarky
Puppy: Michael League (b, direction), Chris Bullock (sax, fl), Mike
Maher (tp), Justin Stanton (tp, clav), Shaun Martin (cl) Bill Laurance
(cl) Bob Lanzetti (g), Larnell Lewis (dm), Marcelo Woloski (perc).
Groupe
a géométrie variable allant jusqu’à 25 membres (dont Cory Henry),
Snarky Puppy a conquis un vaste public avec une dizaine d’albums et un
réseau internet des plus efficaces. Vu sur la toile dans le monde
entier! Avec des centaines de concerts dans les pattes, le groupe, ici
en formule réduite, tourne au quart de tour, et le moteur est
parfaitement réglé. Pour leur premier concert à Marseille, on aurait pu
espérer un plus grand nombre de fans, mais le groupe a rempli son
contrat. Véritable machine, Snarky Puppy enchaîne les titres, morceaux
de bravoure, avec efficacité, entre
Blood Sweat and Tears et Frank Zappa sans le génie et l’humour. Ce mini
big-band moderne louche entre le rock et le jazz. Les «Chiots Moqueurs»
seront rejoint par Christian Scott et Elena Pinderhughes dans le final
pour un mariage sympathique entre New York et New Orleans.
Mercredi 27 Juillet-Jacob Collier Solo (p, g, dm, b, voc, machines)
Chanteur
et multiinstrumentiste, Jacob Collier a été annoncé comme la découverte
jazz de l’été en France. Ce jeune anglais de 22 ans, parrainé par
Quincy Jones, et dont le premier album, In My Room, paru en 2015, distribué par Sony –ce qui ouvre bien des portes– a été baptisé par le Guardian «nouveau messie du jazz»,
rien de moins! En fait de messie, il s’agit avant tout d’un bon
touche-à-tout, très sympathique et très séducteur qui ravirait les
belles mères. Son show efficace, en parfaite coordination avec
l’ingénieur du son et les lumières, séduit d’abord mais lasse vite. On a
compris, il sait tout faire mais le recours systématique aux techniques
de studio, reverb, juxtaposition, echo… font sonner ces compositions,
assez banales, comme très monotones. Vu sur le net en solo au chant et
piano, plus sobre ou avec Snarky Puppy, bien entouré, sa qualité devrait
s’affirmer à moins qu’il ne préfère une carrière sous les paillettes.
St Germain:
Ludovic Navarre-St Germain (pad, etc.), Didier Davidas (p), Cheikh
Diallo (kora), Sadio Kone (n’goni), Guimba Kouyate (g), Edouard Labor
(sax), Sullyvan Rhino (b), Jorge Bezerra (dm, perc). Venu
par curiosité pour Jacob Tellier, je pensais repartir juste après,
erreur de ma part car St Germain «roi de la Frenchtouch» revisitait une Afrique Enchantée avec
un groupe plein d’énergie. Certes, nous ne sommes plus dans le domaine
du jazz, mais ce groupe nous emmène joyeusement vers les rives des
fleuves du continent noir. Efficace, sans état d’âme, bien que peu
originaux, on se laisse prendre aux solos de kora et aux polyrythmies.
Le temps du disque d’or est bien terminé celui qui à l’époque de son
album Tourist, vendu a des milliers d‘exemplaire, avait rempli la
pelouse du Palais a du se contenter ce soir, lui aussi, d’une audience
très moyenne.
Jeudi 28 Juillet-Autour de Chet: Luca
Aquino, Stéphane Belmondo, Airelle Besson, Erick Truffaz (tp), Hugh
Coltman, José James, Camélia Jordana, Sandra NkaKé (voc), Bojan Z (p,
clav), Cyril Atef (dm, perc), Christophe Mink (cb), Pierre-François
Dufour (dm,cello) + violons. Présenté comme ce qui devait être un grand
moment du festival et malgré la qualité des interprètes, l'idée de
prolonger le succès de l’album Autour de Chet, paru en avril
dernier chez Verve/Universal, ne semble qu’une formule de producteur. Le
plateau réinvitait la plupart des participants de l’album, et si on
peut saluer les belles prestations des chanteuses (un duo inventif) de
Camélia Jordan et Sandra Nkaké, de José James et des trompettistes Luca
Aquino et Stéphane Belmondo, on reste déçu sur l’ensemble. On aurait pu
rêver d'une rythmique plus fine comme la voix de Chet.
Jamie Cullum:
Jamie Cullum (voc,p), Tom Richards (sax), Rory Simmons (tp,g), Loz
Garratt (b). Nouvelle invitation au pianiste-chanteur anglais dans sa
formule quartet où il assure le show en permanence. Entre jazz, rythm’n
blues, rock et variétés, Jamie Cullum sait faire plaisir à son public
venu tout autant pour sa musique que pour sa belle gueule d’amour. Si
son dernier album, Interlude, rend hommage à Nina Simone et Sarah
Vaughan, il emprunta ce soir-là une piste royale bordé de bonnes
intentions. Il sait y faire. Il se double depuis quelques années d’un
talent d’animateur d’un programme de jazz sur BBC2 et connaît son
auditoire. Pas de surprise donc, un groupe qui soutient son leader
depuis longtemps, une musique bien travaillée qui s’intègre aussi bien
sur les scènes des grands théâtres que sur la scène plus jazz du Ronnie
Scott Club de Londres où Jamie Cullum est régulièrement programmé.
Vendredi 29 juillet-Aron Ottignon: Aron Ottignon (p), Rodi Kirk (electroniques), Sam Dubois (steel drums, perc)- Seal
Je
ne ferai pas le correspondant de guerre commentant l’actualité depuis
le bord de la piscine. Je n’ai pas assisté à ces concerts dont les échos
furent variables, grand spectacle et ravissement pour les fans de Seal,
dure première partie pour Aron Ottignon (dixit musicien local présent) qui n’a pas enthousiasmé les présents.
Malgré
le grand succès des manifestations gratuites, on note une audience
moyenne sur les concerts payants, à part pour les concerts événements
qui sont de moins en moins du jazz. Ce phénomène se retrouve d’ailleurs
dans de nombreux grands festivals aux capacités d'accueil importantes
qui évacuent le jazz pour des spectacles intéressants sans doute, mais
dont le parcours et les concerts relèvent d’autres esthétiques et
d’autres histoires. Paradoxalement (pour le souci de rentabilité), on
remarque des plateaux «maisons» très chers, clefs en main, qui peu à peu
remplacent l’artistique pour une rentabilité non avérée, au détriment
d’une véritable esthétique qui pourrait être la marque de fabrique et la
fierté d’un festival de jazz. Pour cette édition, dédiée à Bernard
Souroque, premier directeur artistique du festival qui nous a quittés en
octobre 2015, l’équipe a suivi ses indications. Force est de constater
qu’en 17 ans, le festival n’a pas réussi à créer un vrai public de
fidèles, curieux de jazz et de son renouveau. Peut-être une formule à
repenser, des prix d’entrée à revoir, notamment au Palais Longchamp où
le public est mal assis ou debout, subit les nuisances d'un restaurant
trop proche et un manque de visibilité de la scène. Un public plus
bavard et mondain qu'à l'écoute, car justement pas formé par une
démarche de longue haleine. Enfin, dernière surprise de cette édition,
juste avant le début du festival, on apprenait le départ de Stéphane
Kochoyan, appelé à remplacer Bernard Souroque. Il dirige par ailleurs les festivals
de jazz à Orléans, Barcelonnette, Nîmes et après s’être chargé du Festival de Vienne, il venait à peine d’être engagé à Marseille en mars dernier comme nouveau
directeur artistique. Compte tenu du budget pour une fois à la
hauteur des plus grandes ambitions, on attend mieux d'un grand festival
de la capitale méditerranéenne, vieux bastion du jazz en Europe!
Dominique Michel
Photos Florence Ducommun
et Valentine Kieffer by courtesy of Marseille Jazz des Cinq Continents.
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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San Sebastián, Espagne
San Sebastián Jazzaldia,
20 au 25 juillet 2016
Cette
édition qui s'est déroulée de la meilleure des façons sur le plan
musical, où il y a eu d'excellents moments, a été ternie par le
comportement de certains «artistes» ou de leur environnement, empêchant
les photographes accrédités de faire ce qu'ils font depuis que le jazz
existe et qui est tout à l'honneur du jazz, de l’art ou du reportage
photographique, c'est-à-dire prendre des photos. Décidément, la
démocratie et l'art en général vivent une sale période, et bien que ce
ne soit pas le seul fait de ce grand festival, on comprend mal que les
festivals, dans leur ensemble, ne s'organisent pas collectivement pour
empêcher cette dérive de quelques stars, la plupart du temps, que nous
détaillons en conclusion car cela commence à devenir insupportable.
20 juillet. Le 51 Heineken Jazzaldia a accueilli cette année la 10e édition du Festival 12 Points dédié à la découverte de nouveaux talents du jazz européen. 12 concerts
de 12 groupes de douze villes européennes composaient le noyau de 12 Points, qui comportaient en plus un séminaire de personnalités expertes en jazz (Jazz Futures), et des jam sessions nocturnes (European Jams)
dans le récemment étrenné Kutxa Kultur Kluba de Tabakalera. Voilà
pourquoi les nocturnes au Musée San Telmo sont devenues des matinales.
21
juillet. La première matinale au San Telmo a présenté le concert
d'Ainara Ortega «Scat», l’excellent groupe dont nous avons déjà parlé
dans la chronique du Festival de Getxo de cette même année.
L’habituel
Jazz Band Ball sur les terrasses du Kursaal a démarré sur le concert de
Dave Douglas «High Risk». Le trompettiste est venu accompagné du DJ
Shigeto et, comme base rythmique, Jonathan Maron (elecb), et Ian Chang
(dm). C'est une leçon de jazz contemporain très proche du Miles Davis
électrique.
Le guitariste Norvégien Terje Rypdal et Elephant Nine ont fait un concert plus proche du rock progressif que du jazz.
Gloria
Gaynor a rendu hommage à Diana Ross, Roberta Flack, Barry White,
Pharrell Williams ou Police et n'a pas oublié ses succès les plus
populaires. L’apothéose finale fut, bien sûr, son «I Will Survive».
Marc
Ribot et ses Young Philadelphians, trio à cordes, ont fait danser le
public avec leurs versions enfiévrées des grands succès du Philadelphia
Sound. Le guitariste Américain, accompagné de Mari Halvorson, Jamaaladen
Tacuma, et Grant Calvin Weston, a joué des morceaux emblématique du
genre («The Hustle», «Love Rollarcoaster», «Love Epidemic», la suite «TSOP'» ou «You Are Everything»), utilisant sa manière, la distorsion portée à la limite.
En
même temps, le trio composé par Cyrus Chestnut (p), Buster Williams
(b) et Lenny White (dm) se produisait sur la scène Frigo. Cyrus
Chestnut était souriant. De leur côté, Buster Williams et Lenny White
ont été le support rythmique parfait pour le phrasé du pianiste. Le
trio, parfaitement cohérent, a joué ses propres morceaux («I Remember»)
ainsi que des standards («I Cover the Waterfront») qui sont dans son
disque Natural Essence.
22 juillet. A la matinale, le saxophoniste Mikel Andueza a présenté son disque Cada 5 segundos.
Le concert a commencé par «Mr. MB», un hommage à Michael Brecker.
Après, ils ont joué des morceaux comme «Zortziko para Mauro», «Kenny»
(dédié à Kenny Garrett) ou «Axuri Beltza», un arrangement d’une chanson
populaire de Navarre. Mikel Andueza est, sans aucune doute, l'un des
grands du jazz espagnol, comme ses partenaires: Iñaki Salvador (p, kb),
Gonzalo Tejada (cb, b), Chris Kase (tp), Gonzalo del Val (dm) et Dani
Pérez Amboage(g).
Ellis Marsalis fait partie de l’histoire du
Jazz. Malgré son âge, il possède toujours beaucoup de musique en lui. Il
s’est produit à la Place de la Trinidad, accompagné par Jesse Davis
(as) , Darryl Hall (b) et Mario Gonzi (dm): un jazz bebop d'une grande
élégance et serein. Il nous a donné, entre autres, un très beau «With
a Song in My Heart». Le concert terminé, son fils Brandford, qui
officiait pour le deuxième set, lui a remis le prix Donostiako Jazzaldia
de cette édition. Après la cérémonie, ils nous ont offert un ravissant
duo piano sax soprano sur l'éternel «Do You Know What It Means to Miss New Orleans».
Dans
la seconde partie, après un puissant démarrage du quartet de Branford,
l'invité d'honneur de ce groupe dans sa tournée estivale, Kurt Elling,
est monté sur la scène. Dès sa première intervention, le chanteur de
Chicago a démontré encore une fois sa maîtrise de la scène et de l'art
vocal. Pendant les deux heures environ du concert, ont résonné «I'm Not Promising the Moon», la bossa de Jobim «Só Tinha d'Être Com Você», «Blue Gardenia», «One Island to Another», «Mama Said», «As Long As You're Living», toujours soutenu par le soprano et le tenor de Branford. Pour finir, le traditionnel «St. James Infirmary», a permis à Kurt Elling de reproduire une sonorité de trompette-sourdine avec un gobelet en carton.
23
juillet. À la Trini, une séance de jazz sérieux, dur, intense, sans
concession, est à mettre au compte de DeJohnette, Ravi Coltrane et
Matthew Garrison au premier set. In Movement, est le dernier
projet de Jack DeJohnette où il réunit avec la descendance des membres
du quartet de John Coltrane, Ravi et Matthew, pour récréer des morceaux
de Coltrane, Miles Davis, Earth Wind & Fire mais aussi des
originaux. Le concert a été divisé en deux suites qui intégraient des
morceaux comme «Alabama», «Two Jimmys«, «Serpentine Fire» ou «Lydia». A souligner aussi, la version de «Blue in Green» avec DeJohnette au piano.
Steve
Coleman, au deuxième set, nous a offert le meilleur concert que nous
l’avons vu donner depuis plus de vingt ans. Accompagné par Jonathan
Finlayson (tp), Miles Okazaki (g), Anthony Tidd (b) et Sean Rickman
(dm), Steve Coleman a joué des longs développements musicaux agrémentés
de quelques surprenants changements de rythme. «Round Midnight» a été l'un des temps forts. L'autre a été l'apparition de Ravi Coltrane invité pour un dernier morceau passionnant.
24
juillet. Jerry Bergonzi (ts) et Perico Sambeat (as) se sont produits à
midi, au Club du Théâtre Victoria Eugenia. Jerry Bergonzi, un vrai
maître du ténor, déployait un son parfait, propre, dans la tradition
coltranienne. Perico Sambeat était plus lyrique. Leurs deux partenaires
n'ont pas été en reste: Renato Chicco (Hammond B3), et Andrea Michelutti
(dm), ont démontré leurs qualités rythmiques sur lesquelles les deux
saxophonistes ont pu s’appuyer.
Au
Musée San Telmo, le Workshop de Lyon (Jean Aussanaire, Jean Paul Autin,
Jean Bolcato et Cristian Rollet) a présenté son spectacle «Lettre à des
Amis Lointains», plein d’humour, de poésie et à la sauce free jazz, le
tout bien équilibré. Chaque morceau était un monde plein de saveurs de
chansons folkloriques, d'airs sud-africains, arabes, arméniens, de
ballades ou des moments de bruit infernal, mais parfaitement disposés et
cuisinés pour que le public en profite.
L'après-midi,
l’auditoire du Kursaal a reçu le saxophoniste Jan Garbarek et le
percussionniste Trilok Gurtu. Garbarek a répété en plusieurs reprises
qu'il ne faisait pas de jazz mais de la musique improvisée, ce qui est
très honnête de sa part, et très juste. De toute façon, sa musique
méditative, introspective et quelque part religieuse plaît beaucoup au
public de San Sebastián.
A la Place de la Trinidad, accompagné
d'un trio que commandait le grand batteur Nate Smith, José James a
présenté quelques-uns des morceaux qu'il va inclure dans son prochain
disque, Love in a Time of Madness. Au contraire d'autres
chanteurs de jazz plus orthodoxes, James se caractérise par son
ouverture à d'autres styles, spécialement le rap. Mais ce chanteur
maîtrise aussi la tradition du soul et du meilleur jazz, une évidence
dans son disque Yesterday I Had the Blues: the Music of Billie Holiday. Ça nous aurait bien plu qu'il intègre quelques thèmes de ce beau travail, mais nous avons dû nous contenter de «Park Bench People», «Grandma's Hands», «Come to My Door», et d’hommages à Bill Whiters («Ain't No Sunshine») et David Bowie («Man Who Stole the World»). Pour le bis,
le trompettiste Christian Scott s'est joint au groupe; son intervention
a fait monter le niveau d'un concert qui avait décliné.
Le deuxième set de la soirée a accueilli Steps Ahead «Réunion Tour». Une bonne partie des morceaux appartenaient à leur disque Holding Together (1999) dont «Bowing to Bud», «Pools» et «Copland», qu'ils ont complété
avec deux standards («The Time Is Now» et «Lush Life» (beau chorus de
Mike Manieri). En outre Manieri, cette réunion rassemblait les anciens
du groupe, Marc Johnson (b), Bill Kilson (dm) et Eliane Elias (p). Le
«petit nouveau» était le saxophoniste Donny McCaslin, un indispensables
du big band de Maria Schneider; Donny a joué fort et bien, combinant
ses interventions avec le vibraphone de Manieri. Il y a eu dans ce
concert deux détails qui ne sont pas passé inaperçus pour les plus
attentifs; primo, la pianiste Eliane Elias a ordonné de braquer deux
projecteurs supplémentaires sur elle seule; secundo, elle a demandé à
plusieurs reprises à la sonorisation de monter le son du piano dans une
lutte avec le saxophoniste qui n'a échappé à personne…
25
juillet. Au Théâtre Victoria Eugenia, La Marmite Infernale est venu
pour présenter son dernier travail «Les Hommes … Maintenant». Un projet
inattendu du groupe de 13 musiciens capables de tout. Le groupe a joué
du free jazz, du funk, du rock, du folklore, du classique, etc. Tout
était réuni pour un tabac, mais leur performance n'a reçu qu'une tiède
ovation imputable à la surprise de l'auditoire.
A la Trini, le pianiste suédois Bobo Stenson a présenté son dernier disque, Indicum.
Stenson, accompagné d’Anders Jormin (b) et Jon Fait (dm), a offert un
vrai récital. Lyrique et tranquille, il a commencé par «La
Peregrinación», la chanson d'Ariel Ramirez que Mercedes Sosa a rendu
célèbre en son temps. La suite est allée crescendo avec les morceaux
«Gysing», «Linnea», «Symphony of Birds» ou «Post scriptum», une fin idéale pour son concert.
Au
Kursaal, Christian Scott a offert le dernier grand concert de cette
édition du Jazzaldia, son projet «Stretch Music». Avec Braxton Cook
(as), Lawrence Fields (clav), Kris Funn (b), Corey Fonville (dm) et
Elena Pinderhughes (fl, voc), Christian Scott a alterné des parties
acoustiques et électriques avec de bons chorus de la flûtiste, du
saxophoniste, en dehors des siens. A souligner, l'hommage à Herbie
Hanckok ( «Hurricane»), et en bis «Equinox» de John Coltrane. Malgré
quelques problèmes de son, un beau final final pour cette 51e édition du grand festival de San Sebastián.
Le
bilan de ce Jazzaldia 2016 est donc très bon sur le plan musical avec
beaucoup de temps forts. Sur les diverses scènes, la programmation des
concerts de jazz a été variée, récupérant l'équilibre qui avait fait
défaut à l'édition précédente.
Néanmoins, il faut revenir sur
l’attitude de certains artistes qui a obscurci le festival, imposant des
conditions inacceptables au travail des reporters photographes.
Heureusement, ces faits n’étaient pas généralisés, mais, par leur
répétition, ils traduisent une tendance plus qu'inquiétante.
- Le 22 juillet, encore une fois Brad Mehldau a interdit la présence de photographes accrédités.
-
Le 23 juillet, Ibrahim Maalouf a exigé des photographes accrédités
qu'ils signent un soi-disant contrat de renonciation à leurs droits.
- Le 24 juillet, Eliane Elias a essayé d'imposer ces conditions aux photographes accrédités; le reste des artistes du Steps Ahead Réunion Tour n'ayant posé, eux, aucune condition.
-
Le 25 juillet, Diana Krall a exigé des photographes accrédités la
signature d'un soi-disant contrat qui attente à leurs droits d'auteur.
Il faut ajouter l’interdiction de scène pour l'organisation qui n'a pas
remis le traditionnel bouquet. L'interdiction de photographier, même pour
le public, a provoqué les huées mais, malgré les efforts de la
road-manager, la prise d'images n'a pas pu être empêchée. Avec la
prolifération des smartphones, le résultat de ces interdictions est qu'il n'y a plus que des photos et des vidéos de qualité médiocre.
Lauri Fernández et Jose Horna
Photos Jose horna
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Toulon, Var
Jazz à Toulon, 19-28 juillet 2016
Respectant
les trois jours de deuil national suite aux événements tragiques de
Nice, le Festival Jazz à Toulon, prévu à partir du 15 juillet, n'a
démarré que le 19. Les concerts annulés, en accord avec les musiciens,
ont pu être reportés après ces dates.
19 juillet, Sylvain Luc-Luis Salinas (g). Silvain
Luc et Luis Salinas donnaient le départ du Festival sur une Place Louis
Blanc bondé où le public assis et debout écoutait en silence, dans un
profond respect des musiciens et des autres spectateurs. A chaque
édition ce public très attentif me surprend, à l’écoute des solistes,
les ovationnant à chaque passage de bravoure, et applaudissant
chaleureusement à la fin de chaque titre. Et pourtant c’est gratuit; on
pourrait penser qu’il n’est que de passage et se fiche du plateau mais,
bravo, c’est le contraire! En comparaison de nombreux festivals, dont le
prix d’entrée est de plus en plus élevé, recueillent un public bavard, sans
aucune attention pour la musique, ignorant la présence de ses voisins
et les abreuvant de banalités téléphonés ou histoires insipides.
Digression faîte, retournons à cette rencontre inédite pour une première
tournée française. Si l’Argentin, Luc Salinas, est bien connu du public
sud-américain et des aficionados de la guitare, il reste à découvrir en
France, malgré un album sur le label Dreyfus. Sylvain Luc a fait le bon
choix et s’est entouré d’amis fidèles avec André Ceccarelli (maintes
fois son partenaire) et Remi Vignolo qui faisait à cette occasion son
retour à la contrebasse après l’avoir délaissée plusieurs années pour la
batterie. Cette belle équipe a alterné solos, duos et quartet dans un
répertoire qui puise plus dans la chanson populaire que dans les
standards de jazz. D’inspiration mondiale, on passera de «You Are the
Sunshine of My Life» de Stevie Wonder à «Estate» de Bruno Martino
sacralisé par João Gilberto, Chet Baker ou Michel Petrucciani, en
passant par «Someday My Prince Will Come». Un répertoire grand public
entrecoupé de solos de maestria; on peut regretter un manque de
profondeur dans les formules de ces rencontres d’été mais, pour ce
groupe, la technique et l’inspiration pallient à cette impression. Pour
le rappel, face à une audience très satisfaite, le jeune Juan Salinas,
digne fils de son père, est venu compléter ce quartet pour une brève
joute amicale s’inspirant du flamenco revisité jazz.
21 juillet, Robin McKelle. Autre
Place historique dans l’histoire du festival, la dénommée, Martin
Bidouré, où la scène est installée devant le parvis d’une église qui
illumine le soir, comme aurait dit Claude Nougaro. Robin McKelle démarre
un show réglé à la perfection, servi pas des musiciens bien rodés. Elle
interprète quasiment les titres de son dernier album The Looking Glass dont
elle a signé la totalité des compositions. Depuis son premier album
consacré au jazz et ses concerts accompagnés par un big band, Robin Mc
Kelle a choisi un voie nettement plus soul, voire country rock. Très
inspirée a ses débuts par Ella Fitzgerald, elle penche aujourd’hui vers
les reines de la soul comme Gladys Knight qu’elle cite souvent comme une
de ses références, et dont elle reprendra un hit pour le rappel. Alternant tempos rapides et ballades, elle séduit un
public qui se lève à chaque demande, et qui l’applaudit chaleureusement.
Présente à Paris pour un concert le soir des attentats de novembre 2015
et suite à celui de Nice, elle remercie le public d’avoir le courage de
venir aux concerts, de résister, puis rend hommage aux victimes dans un
solo vocal-piano très sombre et élégant, dédié aussi à Prince. Derniers
roulements de tambour en deux titres funky avant de quitter la scène et
de re-saluer ses fidèles musiciens et le public très nombreux. Mentions
spéciales à Jake Sherman (p, fender, org HB3) et à Eli Menezes (g)
renforcés d’une rythmique efficace, Matt Brandau (b) et Adam Jackson
(dm).
23 juillet. Bill Evans (saxophones, fender rhodes), Darryl Jones (b), Keith Carlock (b), Dean Brown (g), Plages du Mourillon. Juste
quelques jours avant le début de la tournée européenne qui démarrait
par Toulon, Mike Stern s’est fait renversé par une voiture et a dû
annuler sa participation au groupe. Bill Evans a donc fait appel au
guitariste Dean Brown, fidèle compagnon de route, qui a déjà fait parti
de ses groupes antérieurs. Tâche pas si ardue pour Dean Brown qui n’est pas le premier venu, car il joué et enregistré aux côtés de Marcus
Miller, The Brecker Brothers, Billy Cobham, David Sanborn, Bob James,
George Duke, Roberta Flack ou Joe Zawinul, et qui dirige son propre
quartet. Cette véritable machine de guerre avec Darryl Jones (Miles
Davis, Rolling Stones) et Keith Carlock (Sting, Steely Dan, Diana
Ross, Mike Stern) était prête à dompter un ciel plus que menaçant et
chasser au loin les nuages. Programme presque habituel depuis des années
pour Bill Evans qui pratique, au delà de sa fusion, un style très
proche du funk et du bluegrass. Dans son dernier album en leader Rise Above il a même fait appel aux musiciens très country blues du dernier Allman Brothers Band.
Sans
surprise véritable, le groupe trouve ses marques et assènent sa
puissance rythmique dévastatrice et balaie toute hésitation. Pour la
soirée du festival qui rassemble le plus de monde, le long des plages du
Mourillon, le choix était parfait; touristes et amateurs ont répondu
présents et sont repartis satisfaits et repus de son. Au contraire des
différentes places de dimension variable mais conviviales, le concert
sur le grand parking du Mourillon revêt souvent un caractère plus festif
et nécessite un renfort de sonorisation qui chaque fois est très bien
maîtrisé. Le choix de Bill Evans, qui a donné un concert sans
concession, peut sembler risqué, mais il n’en était rien: qualité et
populaire ont fait une excellente alchimie. Même si la musique de Bill
Evans au fil des albums et des concerts se ressemble, elle a le mérite
d’être très bien interprétée par un vrai groupe quasi permanent,
l’exception (Mike Stern) ce soir-là confirma la règle.
24 juillet, Olivier Ker Ourio Quartet «Oversea». La
petite place Monseigneur Deydier, dans le Mourillon Village, était
parfaite pour accueillir le coup de cœur du festival, hélas les patients
spectateurs sous leur parapluie n’auront pas eu le plaisir d’écouter ce
groupe original. Après l’attente de l’accalmie, qui n’est pas venue,
c’est finalement la météo marine qui a été la plus forte et le concert a
dû être annulé. Mathias Allemane, l’original de l’étape, avait roulé
700 kilomètres pour célébrer cette fête à la grenouille.
Jazz à
Toulon s'est poursuivi avec le report des concerts prévus du 15 au 18
juillet, mais nous n’y étions plus. Une bonne édition comme toujours,
malgré des circonstances très lourdes. Un baptême difficile mais réunssi
pour la nouvelle présidente de jazz à Toulon, Bernadette Guelfucci (une
ancienne de l'équipe qui a succédé à Daniel Michel), à qui nous
souhaitons beaucoup de prochaines éditions dans une atmosphère plus
légère.
Michel Antonelli
Photos Ellen Bertet et Michel Antonelli
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Toucy, Yonne
Toucy Jazz Festival, 15-16 juillet 2016
Le
Toucy Jazz Festival est né en 2008 sous l’impulsion de Ricky Ford et de
son épouse Dominique. Ce saxophoniste américain installé en Bourgogne,
qui a joué entre autres avec le Duke Ellington Orchestra et Charles
Mingus, organise, chaque année dans cette petite ville de la Puisaye,
une véritable fête du jazz. Après une édition 2015 circonscrite pour
l’essentiel à l'église toucycoise, principalement pour des raisons
économiques, le Toucy Jazz Festival profite d’une météo ensoleillée et
renoue avec les concerts de plein air dans le parc de la Glaudonnerie en
2016. Ces réjouissances se voient malheureusement entachées par
l’ignoble attentat de Nice, qui nous vaudra une minute de silence
pétrifiante et lourde de signification à l’entame de la manifestation,
chacun ayant sans doute alors en tête le rêve de fraternité et de paix
porté par le jazz, avant que Ricky Ford ne puisse officiellement ouvrir
le festival en ce vendredi 15 juillet 2016.
La vie reprenant ses
droits coûte que coûte, force est de constater qu’une volonté
d’ouverture caractérise cette édition, marquée par la présence de deux
formations clairement liées au patrimoine musical africain. L’une des
têtes d’affiche de ces 15-16 juillet 2016 est en effet Manu Dibango,
figure emblématique de la World Music, et Ricky Ford prendra à son heure
la tête de son quartet African Connection pour cette édition particulière, qui, circonstances obligent, comporte un fort relent de «life goes on».
Pour
débuter, un groupe béninois du nom de Eyo’N, le Brass Band, prend place
sur la petite scène du belvédère pour une session haute en couleurs.
Tentant le grand écart entre musiques issues du golfe de Guinée et
répertoire de la chanson française, ils égayent les esprits au moyen de
relectures très fun du «Poinçonneur des Lilas» de Gainsbourg, et du
«Temps ne fait rien à l’affaire» de Brassens. Le nom du groupe a pour
signification «Réjouissez-vous», et l’aspect fanfare clairement assumé
fait voisiner des aspects urbains façon Tambours du Bronx avec
l’esthétique steel drums du folklore caribéen, un positionnement
parfaitement illustré par leur récente tournée avec les Ogres de
Barback. Une joie de jouer contagieuse et jamais prise en défaut les
anime.
Manu
Dibango est le saxophoniste camerounais emblématique par excellence.
Promoteur d’une esthétique dont l’ambition est de restituer à la
musique afro-américaine ses origines africaines, il nous propose ce
soir un concept très métissé, Africadelic, un nom qui fait immédiatement
penser à ce que George Clinton et Bootsy Collins réalisaient sous la
bannière de Funkadelic, en même temps qu’une tentative d’ancrer le jazz
dans un certain œcuménisme. Née dans les années 70, la "World Music
s’incarne notamment dans le makossa camerounais, et évolue depuis lors
dans un territoire ondoyant qui unit certaines des composantes de la
soul, du jazz et du rythm'n blues au sein d’un même creuset.
Lors des
balances, Manu Dibango vient tancer ses jeunes et fougueux musiciens en
modérant des ardeurs jugées préjudiciables à la simple écoute de la
musique. Ce concert fédérateur eut le mérite d’attirer plus de public
que les sièges du parc ne pouvaient en accueillir. Cette affiche
hétéroclite ayant vocation à fédérer bien au-delà du seul public jazz,
Dominique Ford escomptait au moins 400 personnes, et de ce point de vue,
ce premier concert en tête d’affiche de l’édition 2016 est une totale
réussite.
L’artiste annonce d’emblée la couleur en parlant
d’un «safari musical»au public pour évoquer le défrichage de terres
exotiques en forme d’afro-jazz funk auquel il s’adonne ce soir. Notes de
guitare saturée, pédale wah-wah, orgue Hammond ou sonorités de Fender
Rhodes, le paysage instrumental fait penser au travail de Dominic
Miller, David Sancious ou encore Branford Marsalis.
Tout au long du
concert, on songe aussi tour à tour à l’univers musical de Youssou
N’Dour, Salif Keita ou Papa Wemba, à Angélique Kidjo, Peter Gabriel, et
Manu Katché, notamment au travers du superbe travail vocal des
choristes, omniprésents tout au long du concert. Les musiciens ne
bougent quasiment pas de leur emplacement initial sur la scène. Ce parti
pris, qui sert le charisme du leader, prive parfois ses musiciens d’une
mise en valeur méritée sur scène lorsqu’ils exécutent une partie qui
les voit briller individuellement. C’est particulièrement le cas lors de
ce superbe hommage à l’Argentine et à la poétesse Alfonsina Storni
«Alfonsina y el mar», un moment qui nous rappelle que le jazz, à
l’instar de toute forme d’art authentique, a partie liée avec l’histoire
de la démocratie et la quête de l’égalité des droits.
L’usage de
syncopes permet au groupe de jouer du reggae avec naturel, en utilisant
des sonorités plus liquides pour ses cocottes funky. On note aussi
l’emploi de deux snare drums chez le batteur. La profondeur du saxophone
de Dibango est accentuée par l’utilisation d’une réverbération assez
prononcée. Dès que le leader se fait plus discret, on évolue très près
des terres défrichées en leur temps par le Santana Band ou Jimi Hendrix,
alliant psychédélisme et influences latines sud-américaines greffées
sur les racines africaines de Manu Dibango.
C’est sans doute lors
d’un hommage chanté à son village natal que le leader se sera le plus
éloigné de l’idiome jazz ce soir. Comme à l’accoutumée, le set de
Dibango se clôt sur une interprétation endiablée de «Soul Makossa»,
titre pourtant destiné à constituer une face B de single en 1972, et qui
est depuis devenu le plus grand succès de l’artiste. C’est le moment
que choisit Ricky Ford pour rejoindre une première fois la scène du
Toucy Jazz Festival, en s’adonnant avec une vigueur et une joie de jouer
communicative à l’une de ces jams qui marquent les esprits. Le concert
se termine par un ultime rappel sous forme d’hommage à Sidney Bechet et à
La Nouvelle-Orléans, lors d’une émouvante et magnifique improvisation
solo de Manu Dibango autour du thème de «Petite Fleur» sous le clair de
lune de Toucy. L’image du saxophoniste seul sur scène avec au-dessus de
lui le disque de la lune constitue l’une des images fortes d’un week-end
qui n’en a d’ailleurs pas manqué. Un instant magique qui nous ramène
dans ce qui fut l’aurore du world jazz.
Après cette fête de
tous les sens, la Vandoren Jam Session accueille Clément Prioul à
l’orgue et Baptiste Castets à la batterie. Ensemble, ils vont rendre
hommage à Jimmy Smith et Larry Young, deux figures mythiques de l’orgue
Hammond, en plusieurs occurrences tout au long du week-end. On peut
ressentir l’exercice comme plutôt scolaire dans l’ensemble, mais la
sincérité évidente de l’interprétation de même que la fidélité absolue
manifestée envers l’œuvre de Jimmy Smith achève ce soir de convaincre
ceux des membres du public qui n’ont pas quitté immédiatement les lieux
après le concert de Manu Dibango. Clément Prioul nous confiera le
lendemain utiliser un authentique Cabin Leslie pour recréer le son
tournoyant caractéristique de l’orgue Hammond B3 (il nous cite aussi
deux musiciens rock, qui comptent certainement parmi ses influences
personnelles, comme ayant particulièrement popularisé l’instrument
auprès des mélomanes, Jon Lord et Keith Emerson). L’absence de bassiste
est totalement dans l’esprit des œuvres de Jimmy Smith, même si
l’obligation de recréer les lignes de basse à la main gauche limite
vraisemblablement l’audace harmonique des lignes mélodiques jouées par
la main droite. L’aspect par trop percutant de la batterie Pearl est
nuancé par l’usage de baguettes et de balais en fonction des titres
interprétés. Fred Burgazzi, un tromboniste qui rend régulièrement
hommage au swing traditionnel avec Ricky Ford au sein de Ze Big Band en
Bretagne, s’adjoindra le lendemain au duo lors du festival off.
Le
samedi 16 juillet, ce sont plusieurs sessions off organisées toute la
journée au cœur de la Ville qui retiennent notre attention.
Concomitantes du grand marché de Toucy, les prestations matinales de
Bobby Few et Clément Prioul ont lieu dans un climat d’agitation qui a
peu à voir avec l’ambiance des clubs new-yorkais. Bobby Few est
désormais un habitué du festival de Toucy où le retiennent ses attaches
amicales avec Ricky et Dominique Ford. Cette année, il nous propose deux
mini-concerts en solo au sein même de la Galerie14, lieu où Dominique
organise des expositions d’art. C’est donc dans un contexte plus
intimiste et sous des toiles colorées que la légende de Cleveland
interprète deux sets dans la même journée. La première prestation revêt
des apprêts d’une grande simplicité, eu égard au contexte précité et à
l’heure sans doute fort matinale pour un musicien de jazz. La seconde,
en revanche, constituera l’un des moments forts du festival, au moment
où une certaine torpeur s’est emparée de Toucy après le marché et
l’heure du repas. Bobby est manifestement fébrile avant de commencer son
set, le trac étreint donc jusqu’aux plus grands et expérimentés des
musiciens. Après quelques notes égrenées sans conviction particulière,
une sorte de mise en train destinée à conjurer l’angoisse liminaire, les
hommages aux grandes figures du jazz défilent. C’est à un véritable
voyage dans le temps et l’histoire du jazz que Bobby nous convie en
cette après-midi radieuse. Miles Davis, Thelonious Monk, Gershwin ou une
fantaisie en La mineur qui ressuscite l’esprit de Scott Joplin
émaillent une prestation à la fois intimiste et puissante, qui attire
l’attention de passants pas spécialement présents pour assister à un
concert de jazz en cette heure normalement plus propice à la sieste. La
performance comporte un aspect expressionniste. D’un chaos de formes
digne du chef-d’œuvre inconnu de Balzac émergent des accords, des
harmonies qui prennent forme devant nous comme le feraient les avatars
perçus au sein d’une toile pointilliste. L’émotion s’empare de
l’assistance, et des larmes roulent sous les paupières tandis que
l’artiste finit son set.
Le samedi soir retour au in avec
African Connection, Ricky Ford nous offre un succédané de ses plus
récentes expériences musicales, animées d’un désir de concilier un
certain avant-gardisme avec l’héritage du blues et du jazz
traditionnels. Composé de Raymond Doumbe (b), de Steve McCraven (dm) et
d'Alex Legrand (g), le quartet de Ricky Ford se distingue d’emblée par
la vigueur d’ensemble qui l’anime. Les différents titres sont annoncés
par le leader sous forme de numéros. Une démarche originale qui a le
mérite d’évoquer de prime abord l’aspect fortement structuré des
prestations du combo. La Gibson ES 335 du guitariste introduit des notes
chaleureuses et sensuelles dans la structure même des morceaux
interprétés, combinées avec des accents plus lyriques lors des parties
en solo. Le timbre de Ricky Ford et la conviction qui empreint chacune
de ses interventions sont les deux choses qui frappent immédiatement
l’esprit lorsqu’il s’empare de son instrument. Plus proche en cela de
Coleman Hawkins que de Lester Young, il détache les notes les unes des
autres, ne recourant au phrasé legato que pour des motifs ornementaux.
Avant le concert, Alex Legrand nous confiait combien il se sentait
honoré de jouer avec une légende comme Ricky Ford, insistant sur la
beauté du timbre de son saxophone et sur la source d’inspiration qu’il
représente pour les jeunes musiciens de jazz. Entrecoupé de commentaires
très personnels du leader, les titres s’enchainent rapidement et
semblent animés d’une rigueur presque mathématique. Le numéro quatre
aurait été composé en à peine une demi-heure et comporte quelques
syncopes hybrides sur des figures binaires. Le numéro 5 est dédié à
Charlie Mingus et semble une sorte d’adultération d’un thème de John
Coltrane. Le final fait penser aux excès en vigueur dans la musique
contemporaine, dans une ambiance très jazz fusion à la Weather Report.
C’est
maintenant l’heure du Kirk Lightsey Quartet qui célèbre le bebop de
Charlie Parker et Dexter Gordon. Il s’agit là de la formation la plus
jazz, au sens le plus traditionnel du terme, parmi toutes celles
présentes sur l’affiche. De ce point de vue, la foule d’admirateurs
présents semble à la fois bien moins nombreuse et plus «parisienne» que
celle présente pour le concert de Manu Dibango (200 personnes tout au
plus, à rapprocher des 600 annoncées par Dominique Ford la veille). Ce
clivage illustre la complexité des choix qui s’offrent aux organisateurs
de festivals contemporains, partagés entre fidélité à un héritage
immémorial et devoir de viabilité financière. Ricky Ford nous a confié
l’après-midi espérer un maximum de suffrages pour ce concert vedette, et
on comprend implicitement qu’il tente de concilier l’aspect musical
aventureux des formations auxquelles il s’associe et les préoccupations
commerciales qui en assurent la visibilité.
Les principales
influences de Lightsey sont ses «professeurs» de piano Hank Jones et
Tommy Flanagan. Il revendique également la filiation de Bud Powell et
d’Art Tatum, Son intérêt réitéré pour les chanteurs nous vaut ce soir la
présence de Fred Tuxx pour sa première au festival de Toucy. Il nous
demande d’ailleurs de faire en sorte qu’il se sente le bienvenu parmi
nous, avec un humour qui ne se démentira pas au cours de ce très long
set vespéral. De par le classicisme évident de la prestation, on songe à
l’influence des collaborations du leader avec des orchestres de musique
classique. Avec en tête la figure tutélaire de Dexter Gordon, Lightsey
essaie d’ouvrir le jazz à un plus large public, tout en rendant hommage
aux grands artistes qui lui donnèrent envie de faire de la scène. De ce
point de vue, on peut dire qu’il remplit la mission qu’il s’est assignée
avec une grande classe, tant l’élégance de ses traits mélodiques et
l’inspiration constante dont il fait preuve ravissent l’esprit de
l’amateur de jazz le plus exigeant ce soir. Jouant sur un piano de
location, Lightsey nous offre une introduction purement acoustique de
toute beauté, dans la brume de laquelle on jurerait voir se dégager une
ambiance urbaine digne des plus grandes métropoles. Un Sangora Everett
sobre (dm) confère une assise solide à l’ensemble. Son drumming subtil
et peu démonstratif développe un jeu de cymbales parmi les plus fins qui
soient, jouant au fond du temps, bien calé sur Thibaud Soulas (b) qui
anime le set de sa vigueur et de sa précision rythmique. Au fil de
l’écoute, on comprend que le travail presque primal du contrebassiste
est destiné à offrir un contrepoint esthétique à la sophistication
harmonique du leader. L’apport de Fred Tuxx, quant à lui, relève
davantage de la tradition du music-hall et de Broadway. La prestation
atteint son apogée sur le classique «All or Nothing at All», sur lequel
Fred Tuxx approche le niveau des meilleurs crooners, avec un timbre de
voix similaire à celui d’Al Jarreau. On se serait peut-être passé de
quelques rires et jeux de scène un peu forcés du chanteur, mais c’est
déjà la fin du festival et pour conclure cette très belle édition, qui
dédaignera une nouvelle jam avec notre hôte Ricky Ford dont les
admirateurs scandent le nom lors du rappel ? Pas nous en tout cas, car
celle-ci atteint un niveau de complicité combiné à une folle envie de
jouer qui font oublier l’horreur des faits de terrorisme qui endeuillent
le monde aujourd’hui. «La beauté sera convulsive ou ne sera pas». Un
bien beau moment de musique, d’art et de partage.
Jean-Pierre Alenda
Photos Patrick Martineau
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Vitoria, Espagne
Festival de Jazz de Vitoria-Gasteiz, 12-16 juillet 2016
Le mardi 12 juillet a démarré au Théâtre Principal la 40e édition du Festival de Jazz de Vitoria avec le contrebassiste Pablo
Martín Caminero et le saxophoniste Américain Chris Cheek. Pour une
nouvelle édition de la proposition «Konexioa» (connexion), ces deux
musiciens, accompagnés par Albert Sanz (p) et Borja Barrueta (dm), ont
entremêlé les styles, de la «Soleá de Gasteiz», de Martín Caminero, au
«Panels» de Cheek– avec sagesse et bon goût. Les jours suivants, la même
scène a accueilli les concerts du guitariste valencien Ximo Tebar, le
trio GoGo Penguin, le pianiste Yaron Herman et le saxophoniste Rudresh
Mahanthappa, qui présentait son projet plebiscité «Bird Calls».
Revenons
sur la première journée, le 12, dans le Complexe omnisports de
Mendizorroza: le gospel était au programme, comme d’habitude, à cette
occasion-là sous la férule de Bryant Jones & The Victory Singers.
Malgré la qualité des voix, cette sorte de format et ces répertoires se
répètent excessivement.
Le mercredi 13 juillet, Mendizorroza a dédié sa programmation au blues.
Au
premier set, Ruthie Foster a débuté son concert avec «Singing the
Blues». Les réminiscences de la southern music américaine ont établi le
point de départ de quelque chose qui est allée au-delà du blues.
Elle-même l’avait dit: «du gospel, du blues, de la soul et un peu de
reggae». Accompagnée par Larry Fulcher (b, 5 cordes), Samantha Banks
(dm) et Hadden Sayers (g), Foster a parcouru tous les chemins annoncés.
Au
deuxième set, Taj Mahal a aussi proposé au public un voyage qui allait
dès bayous de La Louisiane jusqu'aux abords africains. «Good Morning
Little Schoolgirl», «Corrina, Corrina», «Fishin’ Blues» et «C.C. Rider»,
parmi d’autres, ont émergé de la voix, des cordes ou des touches des
différents instruments dont s’est servi Taj Mahal pour une grande soirée
mémorable.
La
nuit du 14, le jazz est revenu en force au Complexe omnisports grâce à
la double performance de Tom Harrell (tp, flh), et de Joshua Redman (ts,
ss) à la tête de leur quartet respectif.
Voir et écouter
Harrell, c’est une expérience, tenir un fil qui semble pouvoir se briser
à tout moment. Ses silences sont mortels et perturbants, mais, quand il
embouche la trompette ou le bugle, tout semble coller et s’écouler en
altitude. Accompagné par Ralph Moore (ts), Okegwo (bs) et Adam Cruz
(dm), Harrell a égrené «Adventures of a Quixotic Character», «Sunday» ou
«Shuffle»… Un moment moment tenu en haleine le public, c’est
l'interprétation d'un «Body and Soul» mémorable, où Tom Harrell n’a
bénéficié que du soutien d’Ugonna Okegwo.
Après
lui, Joshua Redman a présenté son nouveau projet avec Kevin Hays (p),
Joe Sanders (b) et Jorge Rosy (dm). Le répertoire, qui recueillait des
compositions des quatre membres du quartet, a permis d’écouter des
magistraux jeux de dynamiques ou des déroulements de solos passionnants,
dans une proposition d’un haut niveau musical. Reste à savoir si
l’actuelle veine lyrique de Redman, de grande qualité, va faire
disparaître ou pas ses déchaînements hardbop d’il y a vingt-deux ans …
Le
vendredi 15 juillet, Mendizorroza a présenté deux concerts
diamétralement opposés par l’esprit: Kenny Barron et Dave Holland au
premier set et Jamie Cullum au deuxième.
Avec des morceaux
comme «Pass It On» ou «Waltz for Wheeler», Barron (p) et Holland (b) ont
recréé la magie du jazz. Ils ont joué une musique élégante qui ne
s'appuyait pas sur la virtuosité mais sur un savoir-faire ancré dans
leur énorme capacité de création artistique. L’intensité se
démultipliait dans leurs échanges, à l’image de leur enregistrement The Art of Conversation.
«Rain» et «Seascape» de Barron, «Segment» de Charlie Parker, ou «In
Walked Bud» de Thelonious Monk en fin de concert ont trouvé sur la scène
une nouvelle dimension.
A propos de Jamie Cullum, on
ne peut rien dire de plus que dans les précédentes chroniques: Cullum
lui-même reconnaît, dans une interview récente, qu'il n’est pas un
pianiste de jazz. Ses concerts sont un show où domine le spectacle
par-dessus tout (les sauts du haut du piano, les courses d’un bout à
l’autre de la scène, les coups de cymbales à tout bout de champ…) Un
standard de jazz et le bis où il a joué la chanson de Kyle
Eastwood «Grand Torino» (musique du film) ont été les seuls moments
d’originalité. Il a massacré indifféremment «Wind Cries Mary» de Jimi
Hendrix et «Love for Sale» de Cole Porter, mieux vaut ne pas s’en
souvenir…
Le samedi 16 juillet, Pat Metheny et Ron Carter, puis Cécile McLorin Salvant ont mis le point final au 40e Anniversaire du Festival de Jazz de Vitoria.
Il
est difficile de ne pas établir de parallèle entre ce duo avec Carter
et celui que Metheny a fait avec Charlie Haden il y a quelques années.
Et non parce que Ron Carter n’a pas été à la hauteur, mais par
l'attitude quelque peu erratique du guitariste. Cette année, nous
n'avons pas trouvé la complicité et le feeling qu’il avait entretenu
avec Haden dans le disque Beyond the Missouri Skyes, au concert
de 2009 sur la même scène, ou encore au Jazzaldia de San-Sebastian en
2001. Le concert a pris quelque peu corps dans «Manhá de Carnaval» ou
«Saint Thomas», mais le concert durant, les moments beaucoup trop plats
ont foisonné, ternes malgré les efforts de Ron Carter, auteur du
meilleur chorus de la nuit, entremêlant avec un goût exquis une fugue de
Bach et la très populaire chanson «You Are My Sunshine».
Pour
la seconde partie, Aaron Diehl (p), Paul Sikivie (b) et Lawrence
Leathers (dm), ont introduit la jeune Dame du jazz, Cécile McLorin
Salvant. Cécile est, avant tout, une voix miraculeuse! En dehors de
l’opéra contemporain de Kurt Weill et Langston Hughes («Somehow I Never
Could Believe») ou du plus classique «Devil May Care», son set a repris
«What a Little Moonlight Can Do», «Wild Women Don't Have the Blues»,
«Wives and Lovers» de Burt Bacharach au programme dans son récent
disque. Son concert a été intense et d’une extraordinaire générosité
avec ses musiciens auxquels elle a laissé des chorus en toute liberté,
notamment au formidable Aaron Diehl. Comme touche finale, Cécile a
chanté en espagnol «Alfonsina y el mar», coupant le souffle à un public
par ailleurs déjà totalement fasciné.
Lauri Fernández et Jose Horna
photos © Jose Horna
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Iseo, Italie
Iseo Jazz/La Casa del jazz italiano, 10-17 juillet 2016
Iseo
est une petite ville pittoresque de Lombardie dans la province de
Brescia, située sur les bords du lac homonyme dans un écrin naturel de
grande beauté, à quelques kilomètres au nord de la Franciacorta, région
renommée pour ses excellents vins. Depuis 24 ans, Iseo abrite un
festival qui, sous l‘appellation «La casa del jazz italiano» se focalise
sur une programmation bien précise: réserver de l’espace aux musiciens
italiens, illustrant la scène nationale dans son ampleur et privilégiant
par dessus tout de vrais projets et des productions originales. Une
chose qui ne compte pas pour rien, en considérant le peu d’attention que
prête la plupart des festivals aux jazzmen italiens.
La direction
artistique est confiée au musicologue Maurizio Franco enseignant aux
«Civici Corsi di Jazz della Civica Scuola di Musica» de Milan. En outre,
ce qui n’est pas du tout négligeable, la manifestation tient aussi
compte du rapport avec le territoire, répartissant quelques événements
dans d’autres localités bresciannes.
Dans
la cour du Palazzo Municipale di Palazzuolo sull’Oglio le quartet de
Roberto Rossi a présenté un projet expressément conçu pour le festival,
dédié à Clifford Brown, compositeur: loin des intentions philologiques
ou revivalistes, l’opération a mis en lumière la vitalité des matériaux
examinés. Le mérite en revient à l’ample vocabulaire bien maîtrisé du
tromboniste, grâce sa féconde interaction avec Giacomo Uncini (tp), un
jeune et brillant virtuose, et au solide support de Larco Vaggi (b) et
Tony Arco (dm).
Le trio de Stefano Battaglia a proposé le répertoire de In the Morning (ECM), disque basé sur les musiques d’Alec Wilder. Une analyse
brillante et profonde valorisée par le bagage culturel du pianiste et
par la dialectique empathique instaurée avec Salvatore Maiore (b) et
Roberto Dani (dm). C’est assurément un trio piano actuel des plus
intéressants pour l’audace harmonique et la recherche des timbres.
La
Villa Mazzotti de Chiari a constitué le décor pour un autre projet
spécial: la représentation en forme interdisciplinaire de «Such Sweet
Thunder» d’Ellington au moyen d’une des émanations du Civici Corsi di
Jazz, le workshop Big Band, dirigé par Luca Missiti, en collaboration
avec les acteurs et les danseurs sous la direction de Valentina
Mignogna.
L’Auditorium de Darfo a abrité une soirée
réservée à Gershwin. Ex-élève de Marco Fumo (parmi les meilleurs
spécialistes mondiaux du ragtime et des musiques afro-américaines
savantes), le pianiste Michele Di Toro a affronté des pages
contraignantes comme Rhapsody in Blue et Prelude n° 2, en plus de «Rialto Ripples» appartenant à la production de jeunesse de Gershwin. Dans la version piano de la Rhapsody in Blue,
plutôt rare, Di Toro a correctement marqué ces aspects rythmiques
souvent ignorés ou négligées dans beaucoup d’exécutions classiques, y
insérant aussi des parties improvisées –prévues du reste dans la version
originale du compositeur– avec un toucher limpide, cristallin, et
d’opportunes variations dynamiques. Il a également mis en valeur la
section d’inspiration afro-cubaine, introduite par des notes répétées,
et en exaltant l’utilisation des block-chords dans les passages
importants. Di Toro a interprété plus librement et avec bonheur le Prélude n°2»
en l’appréhendant avec une variation sur le thème de «Summertime»
carrément déstructuré, duquel il a successivement exploité quelques
fragments pour y imprégner la ligne thématique du prélude, énoncée par
étapes avec un grand sens du blues. Dans «Rialto Ripples», il a
reproposé le Gershwin amoureux du ragtime et du novelty, y incorporant
des figures de stride et quelques dissonances.
En
duo avec la chanteuse américaine Joyce Yuille, le pianiste Enrico Intra
(directeur du Civica Jazz Band) a proposé une étude avec son habituelle
finesse pour interpréter des standards majeurs de Gershwin :
«Embraceable You», moyennant sa pratique insolite de faire précéder le
thème avec le couplet «I Got Rhythm», vidé et dépouillé des approches
conventionnelles: «I’ve Got a Crush on You» caractérisé par d’efficaces
glissements des syllabes et des accents flûtés: «They Can’t Take That
Away From Me» riche de brefs rappels à James P. Johnson, Fats Waller,
Teddy Wilson et Erroll Garner. Dans la version en solo de «Summertime»
avec une introduction en ostinato lancinant, y entremêlant des fragments
du thème, d’abord savourés et puis enrichis par des ornementations,
revenant ensuite–avec des variations de thème et d’atmosphère– à une
forme de «Walking». Dotée d’un contralto puissant, Joyce nous a réservé
une version a cappella émouvante de «Motherless Child».
Tous
les autres concerts se sont déroulés à Iseo dans deux cadres
évocateurs: le côté sacré de l’église paroissiale romaine de Sant’Andrea
et le Lido di Sassabanek. La vocalité est réapparue sous des formes
diverses dans le duo Boris Savoldelli (voc) et Walter Beltrami (g),
musiciens de la région brescianne, mais également actif sur la scène
internationale. Avec le support de l’électronique, Salvoldelli et
Beltrami appliquent un traitement radical à de notables standards et de
vieilles chansons italiennes. Comme le démontrent le bouleversement de
«Caravan» grâce aux stratifications vocales obtenues avec un
échantillonneur; la tonalité désuète imprimée à «Giorgia on My Mind»; la
présentation étrange, quasi psychédélique, d’une chansonnette comme
«Pipo non lo sa»; le coupage rock appliqué à un classique comme «Ma
l’amore no». Fort d’une gamme caméléonique, Salvelli est un
expérimentateur curieux; de son côté, Beltrami joue son rôle de
guitariste moderne, maître d’un vocabulaire étendu.
A sa 30e année d’existence le quartet Enten Eller a confirmé les traits
distinctifs de sa poétique. On note une propension à dépouiller les
mélodies greffées sur des installations essentiellement modales et pour
des thèmes géométriques de goût vaguement «ornettien». Dans ce cadre,
trompette (Alberto Mandarini) et guitare (Maurizio Brunod) dessinent de
substantiels unissons, parfois avec le filtre de l’électronique. Même
dans les passages les plus informels, la rythmique jouit d’une ample
respiration en vertu des longs coups d’archet, des lignes pénétrantes et
des pédales puissantes de Giovanni Maier (b) et de la discrétion de
Massimo Barbiero (dm) dans l’utilisation de ces dynamiques et de ces
couleurs qui sont la marque de la philosophie du quartet.
Le
piano solo original d’Oscar Del Barba, un autre «local hero», nous a
réservé une très belle surprise. Son approche se sert des mouvements de
l’arrière plan européen cultivé, ce qui lui permet d’élaborer les
cellules des thèmes d’une structure dodécaphonique construisant des
formes polytonales et polyrythmiques avec la méthode de la
superposition. Son jeu de piano se trouve au confluent d’éléments
post-wéberniens et des influences de Tristano et Bley, spécialement dans
le jeu rythmique sur le registre grave. En outre, Del Barba fait la
preuve qu'il sait dialoguer efficacement avec le silence par
l’utilisation du staccato et des pauses.
Résidant
en France depuis longtemps, le contrebassiste Riccardo Del Fra a fourni
avec son quintet italo-français une grande preuve de cohésion et de
maîtrise interprétatives. Des éléments tangibles dans l’approche
critique et dans la coupe moderne appliquées à «But Not For Me» et «I’m
Old Fashioned», complètement revitalisés, ou bien un «Love For Sale»
transposé dans une implantation soul jazz ravivée à la teinte funk. Del
Fra interagit avantageusement avec Ariel Tessier (dm), tandis que
Maurizio Giammarco (ts, ss) et Francesco Lento (tp) en font autant: le
premier avec un langage transversal, riche d’intuitions, spécialement au
soprano; le second avec des phrases articulées, mais toujours méditées.
Bruno Ruder (p) fait preuve d’un style brillant, avec des traces
d’Herbie Hancock et McCoy Tyner. Le traitement réservé par Del Fra à
«I’m a Fool to Want You», dans un duo poétique avec Ruder, constitue un
sommet de rare expressivité: le contrebassiste exécute le thème en le
scandant méticuleusement, et puis «chante» littéralement dans la partie
improvisée.
Maria Pia De Vito (voc) et
Rita Marcotulli (p) peuvent se permettre d’affronter n’importe quel type
de matériau avec perspicacité critique et créativité fertile, en
maintenant dans un esprit inaltéré un langage rythmico-harmonique et
d’accent jazz. Les compositions de Marcotulli privilégient des figures
rythmiques articulées sur lesquelles De Vito s’aventure dans des
acrobaties dangereuses, en utilisant la voix à la manière d’un
instrument à vent ou à percussion, dans une dialectique serrée et
symbiotique. L’essence mélodique, propre à l’infrastructure du chanteur,
s’extériorise dans l’usage du napolitain, notamment dans «Voccuccia de
no pierzeco» (villanella du XVIe siècle) et dans
la traduction d’un texte de Borgès. Il pénètre ensuite dans des aires
disparates, se confrontant à la chanson d’auteur; c’est le cas de
«Rainbow Sleeves», écrite par Tom Waits pour Rickie Lee Jones. Le Prix
Iseo a été attribué à De Vito.
Enzo
Jannacci (Milan, 1935-2013) était l’un des chanteurs italiens les plus
géniaux, auteur de chansons surréalistes au goût doux-amer, riches de
trouvailles ingénieuses. A son actif, on peut aussi revendiquer des
expériences de jeunesse comme pianiste de jazz, accompagnateur de
musiciens américains de passage. Réuni par le clarinettiste Paolo
Tomolleri, l’Orchestra Jannacci est un sextette formé de musiciens qui
avaient collaboré avec l’auteur-chanteur milanais: Marco Brioschi (tp),
Paolo Brioschi (p), Sergio Farina (g), Piero Orsini (b) et Flaviano
Cuffari (dm). Ciao Enzo in jazz est un projet spécial du festival, dédié affectueusement à l’ami disparu, composé des versions des chansons («L’Armando», «Il tassì», «Vincenzina», «Veronica», «El portava il scarp del tennis»)
déjà prévues harmoniquement à une réélaboration jazz. Un savoureux
mainstream riche de swing, un rappel au dixieland, et une substantielle
pointe de bossa.
A la clôture du festival, on retient 7 Wheels for Wheeler, que la Bocconi Jazz Business Unit a centré sur les compositions de Kenny Wheeler, et un autre projet spécial: Dalla monferrina à Kurt Weill,
dédié à Umberto Eco et accompagné de textes écrits et récités par
Maurizio Franco pour Gianluigi Trovesi (cl) et Gianni Coscia (acc), ce
dernier concitoyen et ami fraternel d’Eco. Les étapes de la narration
sillonnent le parcours du talentueux duo, qui comme de coutume explore
de vastes territoires à travers les musiques savantes et populaires: du
folk de l’Italie du Nord aux Balkans, de la Renaissance à Offenbach, de
Fiorenzo Carpi à Weill, jusqu’à la chanson italienne d’antan.
Le
festival d’Iseo prend donc en grande considération les multiples
aspects de l’actualité nationale, cherchant à affirmer une identité
commune à travers une empreinte fortement en rapport avec un projet. Arrivederci en 2017 pour le 25e anniversaire.
Enzo Boddi
Traduction Serge Baudot
Photos X by courtesy of Iseo Jazz
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Pescara, Italie
Pescara Jazz, 8-10 juillet 2016
Malgré les problèmes qui en phase de préparation avaient semblé quasiment compromettre sa réalisation, la 44e édition de Pescara Jazz a offert un programme varié et de bon niveau, suivi comme toujours par un public fidèle et nombreux.
Avec
l’E-Collective, Terence Blanchard s’empare de la tendance, propre à de
nombreux représentants du jazz afro-américain, à interpréter les
différents segments de la black music actuelle et de les traduire en
stimuli pour leurs propres créations. La conception de Blanchard est
aussi alimentée par un souffle socio-politique. Une grande partie de la
jeune population afro-américaine a orienté ses préférences vers le hip
hop, le rap, le drum’n’bass, le jungle, tout comme leurs parents ou
grands-parents avaient une prédilection pour le rhythm and blues, la
soul et le funk. Blanchard cherche à donner une même dignité à tous ces
genres pour montrer leur plein droit d’appartenir à l’univers
afro-américain. Avec des hauts et des bas, malgré tout, il poursuit une
opération intellectuellement honnête, intégrant l’électronique dans la
palette sonore. La programmation par ordinateur est utilisée pour
insérer de courts extraits de récitatif avec des connotations précises
de protestation sociale et de références aux tensions récentes («I Can’t
Breathe»). Le parcours touche à différents territoires: des allusions
au Davis électrique, des rythmiques funk et jungle, des crachements
mélodiques à la Michael Jackson, des riffs rock. La seule limite est
dans le filtrage constant du son de la trompette qui rend le phrasé
irritant, presque guitaristique, mais aussi terriblement uniforme.
Le grave accident de Mike Stern à trois jours du départ pour la tournée européenne a contraint Bill Evans à
le remplacer par un habitué des tournées, Dean Brown, bouleversant
ainsi le répertoire. Point fort du groupe, l’inébranlable couple
rythmique, Dennis Chambers (dm)-Darryl Jones (b). Ce dernier, très
jeune encore, fut membre, comme Evans, du groupe de Miles Davis. Depuis
longtemps, Evans poursuit avec ses groupes la mise au point d’un mélange
entre jazz, R&B, funk et rock. Certes, c‘est une opération qui
n’est pas sans arrières pensées commerciales, conduite en leur temps par
David Sanborn et les Brecker Brothers, et définie tout simplement comme
musique populaire. On saisit dans le phrasé et les inflexions du ténor
le son d’une lointaine connexion coltranienne, en affinité avec le
regretté Bob Berg et de nets rappels du R&B. La matrice de Wayne
Shorter apparaît au soprano dans une version efficace de «Jean-Pierre»
de Miles Davis. Dean Brown s’est inséré dans ce contexte avec une
variété de solutions de timbres, une syntaxe plus proche du rock et un
phrasé saccadé, corrosif, teinté de nuances hendrixiennes.
A
74 ans, Jack DeJohnette ne se repose certes pas sur ses lauriers. Le
trio constitué avec Ravi Coltrane et Matthew Garrison (documenté par In Movement)
témoigne d’une poussée constante vers l’exploration de nouvelles
conceptions et de modalités d'exécution. Il prend son envol, souvent à
égalité avec des interactions alimentées et soutenues par le batteur,
qui atteint des sommets de grande expressivité même dans les passages
informels sur tempo libre. La gamme des timbres s’enrichit de l’éventail
des solutions choisies mijotées par Garrison aussi bien à la basse
électrique qu’avec des inserts électroniques pilotés à travers le
pédalier et l'ordinateur. Avec des pédales denses, dans un domaine
essentiellement modal, et de sèches lignes mélodiques qui par traits
évoquent la figure du père, il intègre le jeu polyrythmique et les
démontages de DeJohnette. Coltrane a désormais acquis sa propre
identité, qui au ténor l’éloigne résolument des comparaisons
inconfortables avec le père, tandis qu’au soprano et surtout au
sopranino il construit des parcours frétillants, asymétriques et à
traits abrasifs, contrastant violemment avec le flux rythmique. Quand le
trio affronte «Alabama», affleure inévitablement l’esprit des pères,
Coltrane et Garrison, mais la montée en tension trace une nette et
opportune distinction par rapport à l’original.
Ceux
qui s’attendaient à un kaléidoscope de latin jazz crépitant avec le
sextet d’Arturo Sandoval seront restés partiellement déçus. Surtout dans
la première partie du concert où le trompettiste cubain s’est étendu
sur une manière entertainment, s’adonnant aux timbales et au chant. Un
processus d’américanisation, interprété comme façon de concevoir la
performance, plutôt tape-à-l’œil et un peu kitsch, avec des greffes
vocales qui s’étendent d’un improbable crooning à un scat emprunté au
maître Gillespie. Evidemment, quand il embouche la trompette, Sandoval
est encore un formidable virtuose capable de monter dans les aigus et
les suraigus avec une enviable netteté. Quand il s’identifie avec les
racines puisant dans le patrimoine afro-cubain, il exploite les
possibilités du groupe avec ces stratifications polyrythmiques, qui,
partant de la superposition classique clave et montuno, ont donné la
rumba, le mambo et la salsa. Appliquant cette formule à «A Night in
Tunisia» et surtout à «Seven Steps to Heaven», le groupe a obtenu des
résultats encore plus efficaces.
Le
trio bien établi, Carla Bley-Steve Swallow-Andy Sheppard, a
indubitablement recueilli l’héritage, et développé les intuitions des
formations nées dans le sillage des innovations de Lennie Tristano: en
premier lieu le trio de Jimmy Giuffre, dont le bassiste a longtemps été
membre. Encore plus que dans un passé récent, le trio applique aux
compositions de la pianiste un soin maniaque pour le son, les timbres et
la dynamique, traduit en phrases ciselées avec un raffinement
méticuleux. L’attention à la page écrite n’entame pas le processus
créatif, ni ne porte préjudice aux espaces pour l’improvisation. De
temps à autres, un goût pour le contrepoint moderne émerge, source
d’efficaces entrelacements à travers les voix instrumentales. L’apport
du piano est dépouillé, fréquemment basé sur l’usage du staccato. Comme
à l’accoutumée, Swallow déroule une double fonction rythmico-mélodique
avec ses lignes riches carrément guitaristiques. Sheppard, surtout au
ténor, développe ses phrases sur la pointe des pieds, avec une sorte de
souffle vital qui semble avoir de lointaines racines dans Lester Young
et une référence évidente à Wayne Marsh. Dans l’unique morceau qui ne
soit pas un original, «Misterioso», l’arrangement de Carla Bley prévoit
une intro’ et une coda quasi classiques et opposées aux cellules du
thème, tandis que les développements ramènent avec force à la lumière
l’essence du blues de l’écriture de Monk.
Dans le sillage de Upward Spiral,
Branford Marsalis a inséré solidement Kurt Elling dans son quartet,
dans le but de disposer -plus que d’un chanteur– d’un alter ego avec qui
inter-réagir. Le vocaliste de Chicago possède un sens inné de la scène,
une maîtrise des ressources et du matériel explorés. Il affronte avec
un swing décontracté «There’s a Boat Dat’s Leavin’ Soon for New York»
(de Porgy and Bess), module avec adresse les pauses et les
inflexions des vers de la ballade «Blue Gardenia» de Nat King Cole,
traite avec un ton rythmique incisif «Só tinha de ser com você» de
Jobim. Il est en outre doté d’une diction claire, d’une articulation
fluide pour le scat et d’une capacité remarquable de sauter d’un
registre à l’autre. Les caractéristiques des originaux sont encore plus
évidentes, d’où émergent l’habileté narrative et un processus accompli
d’identification avec le texte. Le quartet bien rôdé bénéficie de la
propulsion massive de Eric Revis (b) et Justin Faulkner (dm), et de
l’ample soutien harmonique de Calderazzo (p), également protagoniste de
quelques apparitions en solo qui exploraient les implications des
morceaux. Que ce soit au ténor ou au soprano, Marsalis renonce à la
virtuosité, en faveur de constructions calibrées. L’intense duo avec
Elling, sur la base d’appels et réponses, sur «I’m a Fool to Want You»
exprime la profonde conscience de la tradition et produit un sommet
expressif au grand impact émotionnel.
On ne peut que souhaiter longue vie à Pescara Jazz, en dépit des difficultés affrontées ces années dernières. Le 50e anniversaire n’est pas loin!
Enzo Boddi
Traduction Serge Baudot
Photos Alessandra Freguja
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
Jazz à Beaupré, 8-9 juillet 2016
Ce
n’est pas exagérer –même quand on est de Marseille– que d’affirmer que
Jazz à Beaupré se tient dans l’un des plus beaux sites offerts à un
festival de jazz en France: le parc, planté de platanes vénérables,
d’une propriété viticole, le Château de Beaupré où s’élève ledit
château, une élégante bastide provençale, à quelques kilomètres
d’Aix-en-Provence, tel est le décor raffiné d’un festival qui se
consacre au «beau» piano jazz et plus si affinité, et qui continue
d’être porté avec passion par ses créateurs, Roger Mennillo, lui-même
excellent pianiste, et Chris Brégoli. Chaque soirée débute autour d’un
verre (issu de la production du domaine, bien entendu) que l’on déguste à
l’heure où la température se fait plus aimable, en regardant le soleil
se coucher. Puis le «speaker», Jean Pelle, le légendaire patron du
Pelle-Mêle, club mythique du Vieux-Port de Marseille, invite les
spectateurs à se presser de rejoindre leurs places. Et Môssieur Pelle
d’introduire chacun des musiciens avant leur entrée en scène avec un art
certain de la prise de parole didactique et décontractée.
Une
place de choix était réservée cette année à Cuba puisque, sur les
quatre concerts répartis sur les deux soirées de festivals, la moitié
mettait à l’honneur des musiciens caribéens. Ainsi, c’est Harold
López-Nussa, 33 ans, étoile montante du piano cubain qui a ouvert les
festivités. Diplômé de piano classique, il débute sa carrière au sein de
plusieurs orchestres symphoniques tout en se joignant à des formations
de musique traditionnelle et de jazz. Il fait d’ailleurs le choix du
jazz en 2007, montant son propre groupe, tourne de 2008 à 2011 avec
Omara Portuondo (voc) et aujourd’hui se joint régulièrement à Orlando
Maraca Valle (fl). A Beaupré, il était en trio avec Felipe Cabrera (b)
et son frère Adrián López-Nussa (dm). Le répertoire présenté est
essentiellement celui tiré de son disque à sortir en septembre, El viaje (Mack Avenue), dominé par des compositions de son cru. López-Nussa est à
la croisée des chemins: sur les ballades, on entend le pianiste de
formation classique, délicat, introspectif; sur les thèmes rapides
émergent les racines latines et ce rapport naturel au rythme qui se
marie si bien avec le jazz. C’est dans ce second registre qu’on le
préfère, d’autant que le soutien de Cabrera est impeccable. On retient
toutefois un bel original, sur tempo lent, «Herencia», issu d’un
précédent album.
Le
second concert de cette première soirée proposait un duo prometteur:
Kenny Barron (déjà présent avec son trio l’année précédente) et Dado
Moroni se faisant face, chacun derrière son piano. Quelle merveille de
concert! Le dialogue a été riche, chacun parlant le langage du jazz avec
son propre accent: Moroni, très mélodique, tricote autour des thèmes de
belles notes perlées; Barron, plus rugueux, arbore un jeu percussif
davantage ancré dans les graves. De Gershwin à Monk, en passant par
Randy Weston («Hi Fly»), le duo a donné à entendre du jazz essentiel. A
noter quelques jolies compositions de Dado Moroni dans le répertoire
abordé, comme «First Smile» par laquelle l’Italien évoquait la naissance
de son premier enfant. Le concert s’est achevé sur une invitation qui a
ému plus d’un habitué du festival: Dado Moroni a cédé sa place à Roger
Mennillo qui a partagé, avec l’entrain d’un jeune homme, un blues coloré
en compagnie de Kenny Barron.
La
soirée du lendemain a débuté avec le trio de Pierre de Bethmann (p),
composé de Sylvain Romano (b, le régional de l’étape) et de Tony Rabeson
(dm). A 51 ans (malgré des allures de jeune homme timide), De Bethmann a
atteint la plénitude de son art. C’est ainsi qu’il s’est attaché –avec
une indéniable réussite– à traduire en jazz quelques titres marquants de
la chanson française ou thèmes du patrimoine hexagonal (projet qui est
au centre de son dernier album, Essais. Volume 1, chroniqué l’hiver dernier dans Jazz Hot).
Si pour certains titres, le lien avec le jazz est évident («La Mer» de
Charles Trenet, qui est depuis longtemps devenu un standard), d’autres
adaptations sont plus inattendues («Pull marine» de Serge Gainsbourg).
La reprise d’«Indifference» de Tony Murena fut d’une grande beauté, le
trio parvenant à rendre toute l’intensité de l’interprétation originale à
l’accordéon. En revanche, le pianiste n’a pu faire émerger le swing de
la «Sicilienne» de Fauré, se heurtant à la limite de l’exercice: le
passage d’un idiome musical à un autre. Toujours est-il que De Bethmann,
maniant l’improvisation avec une poésie onirique, a réalisé une bonne
synthèse entre jazz et culture musicale européenne.
Enfin, retour
à Cuba avec Omar Sosa (p) et Cuarteto Afrocubano. Pour autant qu’elle
fût festive et jubilatoire, la musique de Sosa se situe au-delà des
frontières du jazz. On a cependant apprécié tout ce qui relevait d’une
expression authentique, de la joyeuse convocation des rythmes de La
Havane, nous rappelant que la piano est un instrument basé sur un
système de percussion; on a été moins convaincu par les ambiances
planantes de quelques compositions.
Beaupré est devenu en
quelques années un rendez-vous incontournable pour les amoureux du
piano, et cela sans aucun doute par la science jazzique de son directeur
artistique, Roger Mennillo, et ses atouts de charme nous rendent
impatients de la prochaine édition.
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Gent/Gand, Belgique
Gent Jazz, 7-8 juillet 2016
Evacués
les 175 mm² de précipitations du mois de juin! Les canaux gantois ont
retrouvé leur quiétude et les vergers du Bijloke (abbaye) leurs pommes
sauvages. La quinzième édition du festival de jazz peut alors dérouler
son programme de sept jours en deux week-ends. L’entreprise est
gigantesque: deux podiums – un petit et un grand, cinq cents artistes
et des infrastructures de gastronomie et de confort remarquables. Nous
avons choisi de vous brosser l’ambiance des deux premiers jours.
Jeudi,
dès l’entrée, en salle de presse, les chroniqueurs débattaient en
toutes langues des velléités de réduction des subventions accordées à la
Culture par la Région Flamande. Dans la foulée, on murmurait que
l’organisateur gantois avait sollicité 750000 euros auprès des sponsors
institutionnels. Il n’en aurait finalement reçu que 315000 alors que,
l’an dernier, la manne en comptait encore 350000! Mais, revenons au
programme…
Le 7, dès 16h30, Terence Blanchard (tp) et son «E. Collective Band» essuyaient les plâtres (sic)
sous la grande tente devant un public encore confidentiel. Pour ceux
qui gardent en mémoire les prestations d’un jeune trompettiste
néo-orléanais avec les Messengers d’Art Blakey (1982), ce fut une grande
gifle. Blanchard use du modèle d’instrument qui fit la réputation de
son concitoyen Wynton Marsalis, mais Terence, 54 ans, compositeur et
arrangeur, s’inscrit dans son époque: celle des moogs, des loops, des
synthés et des fusions-modulations-distorsions. L’électronique, présente
dans la plupart des groupes de ce festival, est ancrée dans la musique
du siècle. Elle est généralement bien maitrisée. Les rythmes du quintet,
souvent orientés two beats, font immanquablement penser au
Miles-électro. C’était au début des années 80… déjà! Les arrangements
de Terence Blanchard sont parfaits; l’usage des synthés est
discrètement maîtrisé; la mise en place des jeunes accompagnateurs:
impeccable: Charles Alture (g), Taylor Eigsti (p), Gene Coye (b) et
David Ginyard (dm). C’était bien; un calque de l’album «Breathless»
publié par Blue Note l’année dernière.
Après un interlude au petit podium, le pianiste Wout Gooris présentait à 18h30, en quintet: une musique de climats,
sorte de longue suite incantatoire. L’œuvre est bien écrite, dans
l’esprit - sans surprise - du tronc commun des diplômés des
conservatoires belges. En solistes, on retrouvait avec plaisir Erwin
Vann (ts), doublé par le néo-zélandais Hayden Chisholm (as). La musique
du groupe est intéressante mais prévisible («Twaalf»); elle est
acoustique, en contraste total avec ce qui s’était passé avant et tout
ce qui se passera après!
Dans
la foulée de la publication de son triple album «The Epic», Kamasi
Washington (ts) est apparu à la tête d’une tribu afro-américaine, funk
et jazz, de dix musiciens. Les compositions et les arrangements sont
signés par le leader avec la volonté de pulser une énergie proche de la
transe (une expression chère à Robert Goffin, malheureusement tombée en désuétude);
un jazz moderne pour la jeunesse des banlieues. Du bruit, beaucoup de
bruit avec deux drummers (Tony Austin et Ronald Bruner JR.) et un
contrebassiste: Miles Mosley, qui tire à tout va, comme un diable dans
un bénitier (solo à l’archet sur «Askim»). De cet orphéon polymorphe,
on peut retenir quelques chorus intéressants de Miles Mosley (b), de
Brandon Coleman (kb), de Cameron Graves (p) et d’un flutiste apparu en
fin de concert sur une composition dédiée à la mère de Kamasi. Je n’ai
pas pu saisir le nom du flutiste, mais il s’agit d’un membre de la
famille Washington (son père?). A jeter néanmoins: la vocaliste
Patrice Quinn! Kamasi Washington n’est pas un nouveau Coltrane; son
écriture et ses arrangements valent bien mieux que ses solos. Issu
d’Inglewood (LA), il met dans sa musique la force revendicative des
Noirs de la côte Ouest. Le jazz est revivifié, proche du peuple,
accessible mais contemporain. Héritier de Sun Ra, de Mingus, d’Albert
Ayler et des Black Panthers, il mâtine tout l’héritage, des marching
bands jusqu’au hip hop en passant par le rhythm and blues, le groove, le
jazz et, bien sûr: l’électro-jazz. Cette fusion vigoureuse est
intelligente et séduisante pour tous!
Sur
le petit podium (Garden Stage) on pouvait écouter, en trois passages
alternés: l’autre feeling, celui de la Côte Est (N.Y) avec les jeunes
jazzmen de Kneebody (Adam Benjamin/kb, Shane Endsley/tp, Ben Wendel/ts,
Kaveh Rastegar/b et Nate Wood/dm) alliés au DJ-sampler Aka Daedelus
(Alfred Darlington). Une autre manière (blanche) de mixer le jazz
post-bop et le scratch; une manière plus proche de ce qui se joue chez
nous. Contrastes côtiers, choix; voix divergentes ou voies parallèles?
En
clôture de la première journée, Ibrahim Maalouf (tp) proposait son
hommage à Oum Kalthoum (voc). Cette symphonie sur un poème de la
chanteuse égyptienne ne laissera pas un souvenir impérissable. Elle
pêche par sa longueur et notre langueur, nonobstant (j’aime cet adverbe) l’originalité d’arrangements aux rythmes variés et des solistes,
excellents accompagnateurs: Mark Turner (ts), Frank Woeste (p) et les
sublimes Scott Colley (b) et Clarence Penn (dm).
Deux
rencontres inhabituelles encadraient la seconde journée, le 8. La
première, en lever de rideau: Pat Metheny (g) avec Ron Carter (b); la
deuxième, en clôture: John Scofield (g), Brad Mehldau (p, kb) et Mark
Guiliana (dm). Etonnés, nous espérions trouver dans ces rencontres
matière à orgasmes auditifs. Ça commence très mal, avec deux standards:
«Tristesse» et «My Funny Valentine». Pat Metheny n’est pas du tout
dans le coup: mauvaise pince, idées absentes. On court à la catastrophe
jusqu’à ce qu’un blues et un beau solo de basse de Ron Carter lui
permette de respirer. C’est réparé, croyons-nous, avec une ballade en
cinquième morceau; les notes sonnent pleines. Enfin? Suivent
«Question and Answer», puis «Freddie Freeloader» et le solo de
guitare retombe dans les banalités; Carter prend la suite, inventif,
merveilleux en rythmes, remettant la syncope à sa place - une syncope
qui fait totalement défaut chez Metheny. Au huitième titre, la
multi-manche «Pikasso 42» remplace la guitare «Ibanez» et le
guitariste est chez lui, dans son groove. Pour suivre, avec une valse
lente, nous aurons droit à un beau solo de basse relayé aux doigts sur
une guitare sèche de type espagnol. Une chansonnette insignifiante
précède, «The Theme» pour terminer l’affrontement. Pat Metheny n’avait
peut-être pas encore récupéré du jet-lag? En sera-t-il remis le
lendemain à Rotterdam?
Moins
décevante était la rencontre de Brad Mehldau (p, kb, moog, synthés)
avec John Scofield (g, eb). Rencontre de l’eau et du feu? C’est ce qui nous préoccupait! Palliant l’absence (voulue) de bassiste, le pianiste assure la ligne rythmique en accompagnant le guitariste de la main gauche sur le «moog»; lorsque Mehldau prend un solo, Scofield échange sa guitare pour une basse électrique. Les solos sont de longueurs
démesurées. Le guitariste est en retenue, en-deçà des envolées rockeuses qui le caractérisent. Brad Mehldau glisse sous ses notes des ondes
joliment colorées à l’aide du piano, des claviers et des synthés. «Wake
Up», «He Was What He Was!». Avec ses compositions, Mehldau est à
l’aise, construisant, comme il en a l’habitude, par
répétitions-progressions. Mark Guiliana (dm) accompagne discrètement; Il faut attendre la fin du concert pour qu’il s’envole dans un solo qui
n’ajoute rien à la conversation. «Love the Most» conclut une rencontre
intéressante, tempérée. En devenir?
Au
cours de cette seconde journée, le Garden Stage offrait d’écouter en
carte blanche le saxophoniste Steven Delannoye en trois formules
acoustiques; un duo avec Nicola Andrioli (p); un trio avec les mêmes +
Lode Vercampt (cello); un quartet avec Andrioli (p), Jean-Paul
Estiévenart (tp), Reinier Baas (g) et Mark Schilders (dm). Une
consécration méritée pour ce sympathique saxophoniste passé par le
Lemmensinstituut de Leuven et la Manhattan School of Music de New York.
Airelle Besson (tp) et son quartet avait été ajoutés en supplément after midnight.
J’aurais sans doute pu l’écouter plutôt que de passer deux heures dans
les embouteillages au retour vers Bruxelles! La rencontre avait été
manquée à la Jazz Station, mais je l’avais écoutée et vue sur Mezzo.
Nous
avions découvert «De Beren Gieren» l’an dernier au festival de
Middelheim (Anvers). Le trio de Fulco Ottervanger (p,kb) n’a rien perdu
de sa créativité et de son énergie. A la manière de feu E.S.T, il
procède par petites structures évolutives. Le pianiste hollandais
percute les notes et les cordes, envoûté, voire: endiablé. La rythmique
est collée aux pulsions du leader; bassiste et batteur s’affichent à
tour de rôle alors que le claviériste joue des harmonies modulées en
vagues graduelles. Lieven Van Pée (b) est remarquable par son
accompagnement obsessionnel en quatre ou cinq notes; lorsqu’il est
soliste, il use joliment de l’archet, montant en harmoniques pour créer
la tension. Sur des structures répétitives du bassiste, breakées aux
drums, Fulco Ottervanger (p) improvise, inspiré, usant des résonances
piano-keyboards. L’osmose entre les musiciens est fusionnelle. Le swing
explose. Ce furent sans doute les meilleurs moments de ces deux
premières journées!
Après
la proclamation des Sabam Jazz Awards 2016: Bram De Looze (p): jeune
talent et Peter Vermeersch (cl, sax, compos): talent confirmé, le
chanteur Hugh Coltman est venu rappeler les douces heures de Nat King
Cole. La voix charme les flemish mamies («Sweet Lorraine», «Mona
Lisa»). Avec «Smile», la perle de Chaplin, il monte en voix de tête.
Suit «Nature Boy». Au fil des morceaux, le crooner passe du sirop au rhythm ’n’ blues; il prend deux petits chorus à l’harmonica, s’en va chanter dans l’ouïe du Steinway, feature ses accompagnateurs et termine en force, conquérant, ovationné pour un show bien rodé.
Le
Gent Jazz Festival est devenu un événement incontournable et très
couru, malgré la proximité du gigantesque Festival de Northsea de Rotterdam. Tous
les concerts ne sont pas du même niveau, il y a des rencontres ratées,
mais aussi quelques instants de vrai bonheur… Ça, ça vaut le
déplacement!
Jean-Marie Hacquier
Photos: Bruno Bollaert © by courtesy of Gent Jazz
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Pléneuf-Val-André, Côtes-d’Armor
Jazz à l’Amirauté, 5 juillet-23 août 2016
Depuis 20 ans (c’est la 21e édition), l’association Jazz à l’Amirauté, en étroite collaboration
avec la municipalité aujourd’hui dirigée par M. Jean-Yves Lebas, promeut
le jazz en cette magnifique station balnéaire sur la côte nord de la
Bretagne, la Côte d'émeraude (en raison disent certains de la couleur de
la mer, je pense plutôt en raison de celle de certaines roches), dans
un des plus beaux départements de France, toujours authentique ouvert à
un tourisme encore équilibré, familial.
Tous les mardis donc de ces
mois de juillet et d’août 2016, la trentaine de bénévoles de
l’association, coordonnée avec beaucoup d’efficacité par Elie Guilmoto,
met en œuvre une belle scène de jazz, ouverte et gratuite, où se presse
une assistance remarquable (1000 à 2000 personnes selon les soirs).
Dans cette charmante station qui offre encore un beau décor début de XXe siècle, le cadre est enchanteur pour le jazz dans ce verdoyant parc de
l’Amirauté, en référence au généreux donateur du parc et de la belle
demeure, l’Amiral Charner.
Parrainé par Philippe Duchemin, qui
apporte sa contribution à l'élaboration d'une programmation très jazz et
variée, l’équipe est maintenant très bien organisée et rodée. Attrait
supplémentaire, l’atmosphère malgré la grande affluence, reste
familiale, simple et sans aucun des travers qui s’accumulent aujourd’hui
dans beaucoup de festivals. Tout reste à l’échelle, du jazz, de la
ville, et c’est la meilleure façon d’aborder un festival.
Il
ne nous était pas possible de couvrir tous les mardis, et dans un bon
programme qui faisait la part belle aux pianistes avec Arnaud Labastie
Trio (le 5/7), Olivier Leveau Quartet (12/7) et Pierre Le Bot (23/8),
qui proposait du jazz d’inspiration ou filiation new orleans les 19/7 et
2/8 avec The New Washboard Band (19/7), le Santadrea Jazz Band (2/8),
Daniel Sidney Bechet (9/8), Mathieu Boré Quintet (16/8), nous avions
donc choisi de nous arrêter le 26/7, pour cette première visite de Jazz Hot à Pléneuf-Val-André, et d’assister au bel hommage à Claude Nougaro, intitulé «Danser sur Nougaro», multidimensionnel et conçu par le parrain du festival Philippe Duchemin (p), entouré
de son trio habituel (Les frères Christophe, b, et Philippe Le Van,
dm), de Christophe Davot (voc, g), et d’un ensemble à cordes de 12
musiciens, Cenoman, sous la direction d’Arnaud Aguergaray (vln).
L’ensemble classique comprenait 12 musiciens, violons, altos,
violoncelles et contrebasse.
Le leader du jour, pas vraiment
perturbé par un bras dans le plâtre, résultat d’un enthousiasme peu
raisonnable pour le Tour de France, a dirigé cette belle heure et demie
de musique de son clavier, n’hésitant pas de sa main valide à non
seulement accompagner mais également à improviser dans d’acrobatiques
chorus de main droite, bien appréciés par le public. Au demeurant, Ravel
a composé un Concerto pour main gauche, et, dans le jazz, Bud Powell, pour taquiner Art Tatum, avait lui aussi joué une pièce virtuose pour la main gauche.
Les
arrangements recherchés du leader, aux tonalités originales car ils
mêlent la couleur jazz de Duchemin, jazzy de Nougaro et classique de
l’ensemble à cordes, ont fait la part du lion à l’excellent Christophe
Davot, le chanteur indispensable et courageux pour un tel hommage, car
il n’est pas facile de passer derrière l’interprète Nougaro de ses
propres chansons et poésies. Christophe Davot donna aussi un échantillon
de ses qualités guitaristiques et fut, de fait, au centre de ce bon
spectacle musical.
Dans le registre poétique, l’utilisation des
cordes a été particulièrement appréciable, et le dynamisme du
trio-quartet jazz a permis de mettre en valeur le côté jazzy du
répertoire du Toulousain. On aurait même aimé que les cordes soient
présentes sur «Rimes» joué sans les cordes.
Le répertoire est
forcément sans surprise tant Claude Nougaro a enchaîné les succès et
imprégné l’imaginaire collectif. Commencé avec «La Pluie fait des
claquettes», malgré le beau temps du jour, le concert s’est fini sur
l’inévitable «Le Jazz et la java» lors du rappel des 1200 spectateurs
ravis. «Ma Femme», «Cécile, ma fille», «Armstrong», «Le Déjeuner sur
l’herbe» (en référence à Renoir, peut-être Jean plus qu’Auguste, et pas à
Manet, «Les Mains d’une femme dans la farine», «Prisonnier des nuages»,
«Rimes», «Tu verras», «Le Coq et la pendule», «Dansez sur moi»…
On
retient en particulier «Berceuse à Pépé», «Toulouse» où Christophe Davot
fut excellent; on note un blues instrumental du trio au milieu du set;
on apprécia la couleur poétique des cordes et des arrangements sur
plusieurs des thèmes, et au final le public ne s’y est pas trompé en
faisant une belle ovation à ces musiciens et à cette soirée, où chacun
fredonna avec l’orchestre ce qui est au sens littéral du domaine public,
l’univers de Claude Nougaro.
Bravo donc à l’initiateur du
projet, Philippe Duchemin, aux organisateurs du festival, car la soirée
fut un simple mais très appréciable moment de poésie musicale dans la
période actuelle. Quand on aime le jazz, et lorsque le programme, la
qualité de l’organisation et de l’environnement se conjuguent avec une
telle harmonie, il est recommandé d’en profiter pour découvrir une
région splendide, toujours très authentique.
Yves Sportis
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Getxo, Espagne
Getxo Jazz Festival 2016, du 1er au 5 juillet 2016
40e
édition du Festival International de Jazz de Getxo, avec cette année
des vedettes de l'envergure de Dee Dee Bridgewater, Esperanza Spalding,
Uri Caine, Hermeto Pascoal, et Jorge Pardo. A ces concerts vedettes se
sont ajoutés en outre ceux du concours de groupes et de la partie
«Troisième Millénaire», ainsi que les jam sessions nocturnes.
Lors
de la première journée, après le groupe du concours –Wilfried Wilde
Quintet– le saxophoniste et flûtiste Madrilène, Jorge Pardo, a dédié son
intervention au guitariste flamenco Juan Habichuela (83 ans), décédé la
veille. Voilà pourquoi son guitariste officiel, Josemi Carmona (neveu
d’Habichuela), n’a pas pu venir à Getxo et a été remplacé par Rycardo
Moreno. Pardo a présenté quelques morceaux de son disque Huellas («Puerta del Sol Expresso», «Sanlúcar-Mojácar») avec d’autres classiques comme «Historia de un amor» ou le standard très connu «Caravan»,
toujours dans la ligne du métissage jazz-flamenco qui le caractérise.
Avec sa guitare acoustique, Rycardo Brun a apporté des nuances plus
proches du jazz, tandis que Pablo Baez, à la contrebasse, et le
percussionniste José Manuel Ruiz «Bandolero» fournissaient une adéquate
base rythmique.
Pour
la deuxième journée, après le groupe du concours –Tomasz Wendt Trio–,
le trio d’Uri Caine a offert un concert solide et imaginatif avec sept
morceaux où il a fait alterner plusieurs perspectives musicales. Caine
(p, Fender), aux côtés de l’excellent John Hébert (b) et de Ben Perowski
(dm), a parcouru divers chemins, du funk à l'élégance classique, en
passant sur de beaux moments de scintillement minimaliste, sans oublier
non plus la facette politique et revendicative, dédiant le blues ragtime
«Smelly» (puant) au pathétique Donald Trump.
Lors
de la troisième journée, après le groupe du concours –Francesco Colombo
Trio–, s’est produit le groupe d’Hermeto Pascoal, l'un des grands
artisans de la fusion entre la musique traditionnelle brésilienne, le
jazz et d'autres musiques encore… On ne peut nier que c'était un concert
amusant et du goût du public, où il y a eu des moments de qualité, en
particulier du coté de Vinicius Dorin (sax) et d’Andrés Marques (p);
mais le jeu proprement dit d’Hermeto a eu des inégalités qui faisaient
penser plutôt à un one man show, basé sur ses traits
humoristiques habituels (l'imitation de Jerry Lee Lewis au piano, les
sons avec baigneurs ou la cafetière/trompette pleine d’eau…). Pour être
juste, disons qu'il y a eu aussi des moments musicaux de bon niveau
(«Irmãos Latino», «Frevo Em Maceio», ou même le numéro de toute la bande
soufflant dans des bouteilles en verre), néanmoins le bilan global
reste marqué par les clins d'œil faciles (un pasodoble espagnol
absolument oubliable), voire les auto-parodies…
Lors
de la quatrième journée, après le dernier groupe du concours –Daahoud
Salim Quintet–, le festival a présenté la star la plus remarquable du
programme 2016, la chanteuse Dee Dee Bridgewater. Elle s’est produite à
la tête d'un quintet de jeunes musiciens d'un bon niveau –Theo Crocker
(tp), Anthony Ware (s, fl), Michael King (clav), Eric
Wheeler (b), Kassa Overall (dm). Encore une fois, la chanteuse a
témoigné de l'étendue de son registre vocal, de son talent théâtral et
de sa capacité à se mettre le public dans la poche dès son entrée en
scène, lui offrant deux bis d'un style inhabituel, avec le public
dansant de tous côtés: le soul de Stevie Wonder, «Livin’ For the City»,
et le funk «Compared to What», chanté en son temps par Roberta Flack et
révisé ici par Dee Dee, qui a ajouté danse et bonds avec sa section à
vent. Le jazz était dans le répertoire précédant les bis: «Afro Blue» de
Mongo Santamaría, «The Music Is the Magique» d'Abbey Lincoln, ou
«Filthy McNasty» d’Horace Silver. Le meilleur a été deux morceaux en
scat de Dee Dee mimant le son des instruments avec sa bouche: un
trombone dans le génial «Blue Monk» de Thelonius Monk, et une trompette
avec sourdine dans le traditionnel de New Orléans «St. James Infirmary».
En définitive, un beau succès!
Pour
la cinquième et dernière journée, la contrebassiste Esperanza Spalding a
présenté son projet «Emily's D+Evolution», un show qui, paradoxalement,
n'a rien eu à voir avec le jazz. C'était plutôt une opéra-rock, une
performance conceptuelle ou une sorte de thérapie personnelle avec un
fond musical. L'histoire qu'elle tentait de raconter (d'une
compréhension difficile même si on maîtrise l'anglais) portait sur son
anti-évolution et sur son évolution comme femme et artiste, racontée par
l'intermédiaire des aventures d'Emily, comme une sorte d'alter ego. Le
format choisi, avec une guitare et une batterie de hard rock, et un
chœur genre high school, a beaucoup trop pesé jusqu'à estomper la
puissance d'Espérance Spalding comme bassiste. A notre avis, un
faux-pas dans son parcours musical.
Le gagnant du concours de
groupes a été le Daahoud Salim Quintet. Le pianiste et compositeur
Daahoud Salim, fils du saxophoniste Abdu Salim, est parvenu, chose
impossible depuis des années, à faire coïncider le jury et la voix du
public pour un prix qui, depuis cette édition, va s'appeler «Prix Juan
Claudio Cifuentes», du nom du regretté critique de jazz «Cifu», pour le
prix de meilleur groupe comme pour celui de meilleur soliste. Le
deuxième prix est allé au trio du saxophoniste Polonais Tomasz Wendt.
Il
faut ajouter au programme les concerts du «Troisième Millénaire» où de
jeunes projets comme Laurent Coulondre Trio et Ainara Ortega «Scat» ont
partagé l’affiche avec des anciens tels que Kiko Berenguer ou Gonzalo
del Val. Il faut aussi souligner que la Salle Torrene a accueilli
l'exposition de mosaïques «Le Jazz ? Yes!» de l'artiste Javier de la
Torre, d’après des photographies de jazz.
Le bilan de Getxo Jazz pour son 40e anniversaire a été bon tant pour la qualité artistique que sur le plan
de l’affluence. Seul point négatif, les lumières de scène avec des
effets visuels hors de propos. Il y avait beaucoup plus de réflecteurs
pour ces jeux de lumières ou d'images projetées –éblouissant
complètement les premiers rangs du public– que pour illuminer les
musiciens eux-mêmes! Une anecdote: pendant la samba jouée par le groupe
d’Hermeto Pascoal, un paysage arctique était projeté sur la toile de
fond… A résoudre pour les prochaines éditions de ce grand Festival!
Lauri Fernández et Jose Horna
Texte et photos
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Montréal, Québec, Canada
Festival International de Jazz de Montréal,
29 juin-9 juillet 2016
On
peut imaginer le déroulement des festivals de jazz de l'été canadien
comme une énorme vague d’énergie musicale roulant vers l’Est, sautant
par dessus le continent, devenu phénomène saisonnier traditionnel. Phénomène qui est son véritable ADN. Tout
débute avec l’impressionnante chaîne des festivals canadiens, qui
démarre sur les franges ouest de Vancouver, passe par l’Alberta,
Toronto, pour arriver au grand et remarquable festival de Montréal,
avant de s’en aller vers l’Est, vers les festivals européens.
Une fois de plus, le Festival international de Jazz de Montréal (FIJM), dans sa 37e édition cette année, prouve sa puissance et sa valeur artistique, avec une vision large de ce qu’il y a de mieux dans le jazz aujourd’hui.
Le
FIJM n’hésite pas présenter de la pop, du R&B et d’autres musiques à
côté du jazz, afin d’obtenir des subventions et dattirer ceux qui
n’éprouvent aucun intérêt pour un festival de jazz. Cet appât pour un
public de masse est apparu sous la forme de noms tels que Brian Wilson
et Melody Gardot. Mais le festival ne sacrifie ni ne lésine jamais avec
sa principale mission de présenter une gerbe de quelques-uns des
artistes de jazz parmi les meilleurs et les plus significatifs du
moment, aussi bien d’expression contemporaine que de la tradition, même
si les fans de l’avant-garde ont pu se sentir lésés, puisque la
programmation contemporaine a été pratiquement supprimée.
Cette
année, le concert d’ouverture a tracé une ligne ténue entre le jazz et
la pop, sous les traits du chanteur Gregory Porter, devenu rapidement
l’un des plus populaires chanteurs de « jazz », mais dont le charme
s’étend à une plus large audience qu’à celle plus strictement jazz. Avec
son répertoire inédit, Porter est en symbiose avec l’héritage et les
influences évidentes de Bill Withers, Marvin Gaye et Donny Hathaway qui
lui attirent les amateurs de « soul », tandis que son phrasé souple, sa
fluidité dans l’improvisation (son album «Liquid Spirit» est un modèle
pertinent de ce don) et son langage harmonique, titillent l’essence du
jazz.
En concert, au Théâtre Maisonneuve, place des Arts, centre du
festival et carrefour des lieux de concert, Porter entra sur scène sur
une annonce élogieuse quand le directeur artistique, André Ménard, le
présenta en vainqueur du «Festival’s Ella Fitzgerald Award»: «Je
la prends, dit Porter avec un sourire malicieux. Elle appartient aussi à
mon orchestre. Cependant elle restera chez moi.»
La grande
soirée Porter dans la grande salle faisait contraste avec le style vocal
de Cyrille Aimée, dont le répertoire à l’Astral Night-club allait de
Michael Jackson’s «Off the Wall» à «Light as a Feather» de Corea
(rappelant Flora Purim). Ses variations sur le thème de «Gypsy» alliaient des gestes théâtraux à sa musicalité.
Une
autre soirée, un autre style de chanteur, avec Rufus Wainwright, qui
s’en tira bien avec son œuvre pleine de promesse « La pop rencontre
l’opéra », dans la grande salle Wilfrid-Pelletier. Elevé à Montréal,
dans une dynastie musicale, fils de Loudon Wainwright III et de la
regrettée Kate MacGarrigle, frère de la talentueuse et sous estimée
Martha, il s’est créé un style unique, travaillant depuis la pop
sophistiquée de «Poses» « Cigarettes and Chocolate Milk», «California», jusqu’à un opéra ambitieux, de sa conception « Prima
Donna » à propos de Maria Callas, présenté ici dans une version
multimédia. Un «Show Capper» de sa version particulière de
«Hallelujah» de Leonard Cohen (autre Montréalais célèbre) lui permit
d’inviter sur scène les membres de la famille : Martha, Lily et Sylvia.
Pour
la captivante «Invitation Series », en première partie, le festival
avait dirigé les projecteurs sur le trompettiste multi-style, Christian
Scott, suivi par trois concerts qui démarrèrent avec Kenny Barron, (mais
j’étais alors déjà parti). Le Scott’s Band qui invitait la jeune et
étonnante flûtiste en pleine ascension, Elena Pinderhughes, avec le
saxophoniste aux doigts agiles, Braxton Cook, s’aventura dans un
répertoire à la fois électrifié et post-mainstream, qui est en quelque
sorte le concept de « Stretch Music » du trompettiste. D’autres invités
se produisirent à la soirée suivante, tout d’abord le guitariste à sept
cordes Charlie Hunter, qui donne son meilleur en lignes groove mâtinée
de funk, et la chanteuse Lizz Wright, une artiste en milieu de carrière
et qui est maintenant à son niveau le plus haut. Quand Scott eut chanté
chaleureusement et avec générosité les louanges de la chanteuse et dit
que sa musique lui était une source d’inspiration, l’élégante et
truculente chanteuse déclara à la foule : « Pour la première fois de ma
vie, je suis la plus vieille personne sur scène. » Son répertoire
incluait une nouvelle reprise de Neil Young’s «Old Man» et les
poignants gospels «Freedom» et «Surrender», tandis que son orchestre
occasionnel composé de copains lui construisait un soubassement ferme et
expressif.
Marsalis’ JALC Big Band, encore et toujours l’un des
meilleurs, joua pour un public totalement différent dans ce nouveau
Concert Hall, la Maison Symphonique de Montréal, à l’architecture et à
l’acoustique enchanteresses. L’orchestre était sur son trente-et-un,
aussi bien côté costume que musicalement. Comme toujours dans cet
orchestre, les racines du jazz se mêlent à la modernité.
L’orchestre est parti de Jelly Roll Morton («Le premier musicien de jazz intellectuel»,
commenta Marsalis) pour aller jusqu’à l’arrangement de Don Redman sur
«I Got Rhythm» et à l’esthétique plus récente de « Armageddon » de Wayne
Shorter, élégamment arrangé par le trompettiste Marcus Printup. Le
«Crescent City» de Victor Goines, s’enrichissait délicieusement des
percussions et des balancements de la valse, tandis que le «Jackson
Pollock» de Ted Nash (de Nash’s Art-Minded Portrait in Seven Shades)
était étourdissant, coloré par des traits rapides comme le jet des
couleurs dans l’action painting, tout en mettant en avant un solo du
trompettiste Ryan Kisor.
Pour la soirée suivante, un ensemble de
taille moyenne représentait une autre strate de la culture jazz, celle
de jeunes et solides musiciens qui composent la nouvelle génération de
Blue Note Records. Ce Blue Note 75 Band renvoie au 75e anniversaire
de l’auguste label en 2014, prouvant que la vie continue. Ce
groupe était composé de Robert Glasper (clav), d’Ambrose Akinmusire
(tp), de Marcus Strickland (sax), de Derrick Hodge (b), de Kendrick
Scott (dm) et, légèrement plus âgé, de Lionel Lueke (g), tous
d’impressionnants interprètes qui ont fait preuve de sensibilité et de
force expressive sur la scène.
En même temps ils ont rendu hommage au
fonds musical de Blue Note, démarrant avec «Witch Hunt» de Wayne
Shorter, et passant par des originaux des artistes des débuts de Blue
Note. Les clous de la soirée furent le méditatif «Henya» d’Akinmusire ;
Scott, en post-hard-bopper sur «Cycling through Reality»; et le joli
«Bayyinah» de Glasper, ouvrant le solo de piano sur d’habiles
entrelacements. Ils terminèrent avec un classique sans référance à Blue
Note, le «Turnaround» d’Ornette Coleman, en transformant avec un peu de
dérision la mélodie de «Turnaround» en un motif en boucles.
Au
risque d’en faire trop par rapport à ma brève apparition au festival, je
trouve que cette boucle hypnotique de «Turnaround» symbolisait avec
force le message, sous-jacent et partagé par tout le monde, de ce
festival aussi considérable et couvrant un si vaste champ. Après tout,
le jazz est une boucle, un chœur de voix fantomatiques et de mémoire de
la musicale ancestrale, confrontés à l’arrivée et à l’évolution de «New
Thing». L’ancien a rencontré le nouveau à Montréal, pour l’englober et
en prouver la justesse, comme cela arrive habituellement ici chaque été.
Josef Woodard
Traduction et Adaptation Serge Baudot
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Vienne, Isère (alternate)
Jazz à Vienne, 28 juin-15 juillet 2016
Il
a joué au sommet des Alpes dans la neige, a vécu un temps à Annecy et a
même ouvert un club de jazz au Maroc, entre la fin des années 1960 et
le début des années 1970, invitant des musiciens gnawas comme Abdellah
Boulkhair El Gourd à partager la scène avec lui. Il fête cette année ses
90 ans, et sa musique est de plus en plus belle. Bon pied, bon œil (et
surtout excellente oreille!), Randy Weston nous a enchantés lors de son
concert au Théâtre antique de Vienne ce lundi 4 juillet 2016. Guy
Reynard vous l’a déjà dit.
Je voulais juste ici rajouter quelques
lignes sur la profonde humilité, la profonde humanité, de ce pianiste
hors du commun qui fut parmi les premiers à réunir les musiciens des
deux continents, l’africain et l’américain. Mention toute spéciale à
Alex Blake, son formidable contrebassiste, assis sur une chaise basse,
la «grand-mère» presque couchée sur le corps, en jouant quasiment comme
d’une guitare flamenco, tout en accords, sans que jamais ce jeu atypique
puisse être assimilé à un quelconque procédé spectaculaire.
Randy
Weston, 90 ans de musique au cœur, était précédé de Lisa Simone.
J’avais rencontré sa maman en 1992 dans un festival à Pointe-à-Pitre.
Pas facile, la maman… Et vie tout aussi pas facile pour Lisa, sa fille.
Mais l’ancienne de l’US Air Force est d’abord excellente chanteuse et
compositrice. Surtout, elle est en empathie immédiate avec son public et
ceux qu’elle rencontre. Conséquence: ce jour-là, elle nous a accordé
deux petites séances photos en mode street photography puis en mode glamour en studio! C’est aujourd’hui devenu si rare (l’empathie, tout comme la
liberté photographique) qu’il faut saluer le changement d’attitude du
service de presse du festival cette année. Service qui mérite enfin son
nom après tant d’années de prise de pouvoir de la part de l’entourage
des musiciens, souvent trop habitué aux usages du show business et peu
sensible à l’univers particulier du jazz.
Soirée
féminine le samedi 9 juillet avec un joli plateau qui semble a priori
très hétéroclite: Esperanza Spalding en première partie, suivie du duo
Ibeyi, puis de la formation de la chanteuse Yael Naim. D’Esperanza
Spalding, on dira qu’elle a du culot. Et ce sera un euphémisme. Cette
fille est folle! Vous la croyez contrebassiste? Esperanza Spalding
habite son corps de liane comme si elle était une danseuse du grave pour
une sorte d’opéra jazz surréaliste et ébouriffé. Je l’ai connue en
2009. Plutôt sage. La voici en athlète de sa cinq cordes… Dix ans tout
juste après son premier album, Junjo, presque orthodoxe, il y a aujourd’hui du Frank Zappa dans Emily’s D+Evolution,
son nouvel opus (autobiographique!). Richesse des timbres et de
l’écriture, textes déjantés (et parfaitement incompréhensibles pour un
Français, même correctement anglophone), mise en scène et en costumes,
chorégraphies, bref, pure poésie que ce spectacle qui rugit d’une belle
énergie juvénile. Succès auprès du public. Moins auprès de la critique
jazz. Moi, j’aime l’audace insolente de cette compositrice d’à peine 30
ans, avec son parcours de première de la classe, son enfance dans les
quartiers difficiles de Portland (Oregon) et sa chevelure (en effet)
ébouriffée, qui se fiche de l’avis de ceux du sérail, tente le diable
et, au fond, aime d’amour son instrument comme son public. Quelqu’un,
qui vous remercie de citer «Silence», ce merveilleux thème composé par
Charlie Haden qu’elle interprète de façon impromptue sur le prototype
d’un instrument que lui a apporté backstage un luthier de la région, ne peut être qu’une grande musicienne!
Peu
commune, non plus, le prestation de Lisa-Kaïndé Diaz (chant et piano)
et Naomi Diaz (chant et percussions). Elles sont les filles (jumelles)
de feu le grand percussionniste cubain Miguel «Anga» Díaz qui joua avec
l’Irakere de Chucho Valdes, que j’avais croisé avec le pianiste Omar
Sosa à Tanger en 2005, et qui est décédé, trop tôt, l’année suivante, à
l’âge de 45 ans. Il y a peu, j’avais retrouvé Lisa et Naomi au festival
des Enfants du jazz à Barcelonnette, dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Elles étaient alors… stagiaires! Aujourd’hui, elles ont créé le duo
Ibeyi. Beau chemin parcouru, les filles! Bel hommage à votre papa. Un
univers musical singulier qui, s’il est en effet un peu éloigné du jazz,
n’en reste pas moins sincère, exigeant et diablement séduisant. Lisa et
Naomi préparent actuellement un deuxième album avec quelques friends invités. On a hâte d’écouter…
Sincérité
et exigence sont deux qualificatifs qui s’appliquent également
parfaitement à Yael Naim. Il y a quelques mois, je l’ai vue à Lyon, avec
son homme, David Donatien, dans une formule atypique et musicalement
risquée, accompagnés par une formation classique: le quatuor Debussy.
Presque acoustique et tout en finesse. Ce samedi, les voici avec leur
propre orchestre. Dans un registre extrêmement différent, mais tout
aussi attachant. Arrangements aux petits oignons, sens du spectacle et
surtout, quelle voix! Message personnel: Yael, ne sois pas timide! À
quand l’enregistrement du répertoire jazz de Joni Mitchell entendu ici
même, au théâtre antique de Vienne, il y a quelques années?
Exceptionnellement, après sa traditionnelle All Night Jazz qui s’achève aux aurores, Jazz à Vienne s’est poursuivi en proposant
une soirée blues. Il ne fallait pas y rater Shakura S’Aida, une grande
chanteuse de blues américaine encore trop méconnue de ce côté-ci de
l’Atlantique que j’avais rencontrée en 2009 au festival Tanjazz avec le
pianiste français Rachid Bahri. Pas de doute: Shakura sait faire le show
et emballe les sept mille spectateurs du festival. Une parfaite
introduction au concert de Buddy Guy qui, lui aussi, distille un blues
qui plonge aux racines du genre. A bientôt 80 ans, chemise à pois, as usual,
Papy Guy a su garder son âme d’enfant et ne nous a rien épargné:
gratter avec les dents les cordes de sa Fender Stratocaster (laquelle a
la touche blanchie par endroits à force de bends), distribuer ses
médiators aux premiers rangs, prendre un chorus avec la guitare dans le
dos, s’amuser avec l’effet larsen, descendre de scène pour aller à la
rencontre de son public, jouer avec son… ventre (!), la guitare à
l’envers, la frapper avec une baguette de batterie, s’amuser de ses
effets de distorsion voire faire de la musique avec une… serviette de
bain! Jamais rien pourtant qui puisse sembler emprunté ou
superfétatoire. Buddy Guy? Un festival de blue notes pour marquer la fin du festival. Avec gourmandise!
Pascal Kober
Texte et photos
PS
du photographe aux organisateurs: remettez-nous donc la belle affiche
dessinée par Bruno Théry en fond de scène plutôt que ces infâmes effets
de lumières que l’on voit partout, rejetons de ces satanées boules à
facettes des boîtes de nuit des années 1970!
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Vienne, Isère
Jazz à Vienne, 28 juin-15 juillet 2016
Comme
à l'accoutumée, Jazz à Vienne 2016 propose un programme soutenu qui
s'étale sur la journée, de 12h30 sur la scène de Cybèle jusqu'à tard
dans la nuit avec le club de minuit dans un petit théâtre à l'italienne.
Tous ces concerts sont gratuits à l'exception du Théâtre antique où
passent les têtes d'affiche du festival. Les quatre journées auxquelles
nous étions invités présentaient donc beaucoup de musiques, et il n'est
pas incongru de mettre musiques au pluriel car le champ culturel du
festival s'élargit, ici comme ailleurs, à des projets qui s'éloignent de
plus en plus du jazz. Nous avions choisi ces quatre jours car le jazz y
était dominant.
Lundi
4 juillet. Lisa Simone ouvre la soirée au Théâtre antique. Il n'y a
aucune affectation mais une présence sympathique et décontractée. Le
soleil est encore présent, et la chanteuse se présente avec un grand
chapeau africain en cuir et des lunettes de soleil. Elle ne les garde
que peu temps et entre dans son spectacle habituel. On sait que Lisa
Simone a beaucoup fréquenté Broadway et la comédie musicale. Elle a
également chanté dans des groupes de gospel, et tous ces éléments se
retrouvent dans son spectacle. Elle est une chanteuse de soul naturelle
qui se rapproche de plus en plus du jazz. Elle possède une belle voix
chaude, et la comédie musicale lui a enseigné à mettre en scène ses
chansons. Son incursion dans le public, sans être spontanée, est
différente d'un spectacle à l'autre et varie selon les réactions du
public (certains sont plus intéressés par les selfies que par la
musique!). La musique demeure soul avec des éléments gospel, blues et
jazz et la touche personnelle d'une chanteuse qui s'est rapidement fait
un prénom en se distinguant de son illustre mère. Son quartet est très
soudé: Hervé Samb (g acoustique) et Reggie Washington (b) assurent
l'accompagnement, et lorsque Sonny Troupé (dm) se lance dans un chorus, c'est un percussionniste mélodiste qui réussit à faire
chanter les tambours. Lisa Simone a réuni un orchestre idéal pour
communiquer avec le public.
Randy Weston propose son African
Rhythms Quintet. A plus de 90 ans, il n'a rien perdu de ses qualité de
pianiste et de son enthousiasme pour retrouver le chaînon manquant entre
l'Afrique et la musique afro-américaine. Les deux saxophonistes se
complètent parfaitement: Billy Harper est d'une grande rigueur dans des
solos très élaborés alors que T.K. Blue qui a beaucoup joué avec les
musiciens sud-africains (Chris McGregor, Abdullah Ibrahim) est plus
effervescent. Neil Clarke aux percussions africaines est certes le plus
proche de l'Afrique tandis que le fidèle Alex Blake assure la maîtrise
rythmique de l'ensemble. Randy Weston joue plutôt sur des tempos assez
lents au cours de cette première partie où ses compositions constituent
le répertoire. «Hi Fly» qui termine cette première partie est d'abord
esquissé au piano sur un tempo assez lent avant de prendre son essor
avec l'entrée des saxophonistes. La deuxième partie constraste
complètement avec la première. Les saxophonistes sortent et Cheik
Tidiane Seck (elec p), Ablaye Sissoko (kora) et Mohamed Abouzekry (oud).
Mais la musique ne semble pas vraiment décoller malgré quelques bons
solos, montrant toute la difficulté à fusionner des musiques de
tradition différente.
Mardi
5 juillet. C'est le chanteur anglais Hugh Coltman qui ouvre la soirée
pour Diana Krall. Il se place dans la lignée du music-hall. Il a choisi
des chansons de Nat King Cole qu'il explore avec une voix sans
aspérités, douce. Il propose ainsi une belle séance nostalgique tournée
vers le swing des années 1950-60.
Diana Krall effectue également un
retour vers le passé, mais il s'agit ici de celui des débuts de sa
carrière. Elle n'a malheureusement pas oublié sa paranoia envers les
photographes. Pour ce retour vers le jazz Diana Krall a choisi un
orchestre de très haut niveau avec Anthony Wilson (g), Bob Hurst (b) et
Kerriem Riggins (dm). La chanteuse ne quitte pas son piano et distille
des mélodies swinguantes. Les tentations rock and roll sont ici
oubliées, et ses accompagnateurs sont choisis en fonction de ce retour à
ses premières amours. De belles mélodies bien insérées dans le jazz
peuvent aussi continuer à lui amener un fidèle public.
Mercredi
7 juillet. Cette soirée, largement consacrée à Django Reinhardt, débute
avec le quintet d'Angelo Debarre (g) avec Marius Apostol (vln). Le
quintet se place naturellement dans la tradition du Quintet du Hot Club
de France à la fois par l'instrumentation ainsi que par le répertoire et
la manière. Les deux solistes ont leur propre personnalité. Le
violoniste est beaucoup plus tourné vers la tradition tzigane. Soixante
ans après la disparition du «Divin Manouche», la forme a un peu tendance
à se figer.
Il
y a deux ans dans ce même théâtre antique le Amazing Keystone Big Band
proposait des arrangements sur la musique de Quincy Jones présent alors
sur scène. Cette fois, c'est la musique de Django Reinhardt en grand
orchestre. Une plus grande cohérence se fait sentir grâce aux
arrangements. Trois invités viennent exposer leur vision de Django.
Stochelo Rosenberg, un grand soliste, parvient parfaitement à s'adapter
au grand orchestre. Marian Badoï (accord) apporte sa sensibilité de l’Europe
orientale tandis que James Carter qui a déjà exploré la musique du
guitariste manouche, est nettement plus disert. Pour le final, avec
l'orchestre et les quatre solistes invités, «Nuages» est naturellement
convoqué.
Jeudi
8 juillet. Poursuivant ses recherches électriques, Brad Mehldau
retrouve Mark Guiliana (dm) avec lequel il a déjà beaucoup exploré le
duo. Et il a invité John Scofield (g) qui met beaucoup de blues dans son
jazz. Brad Mehldau refuse toute photo et, utilisant piano acoustique,
Fender Rhodes et synthétiseurs vintage, au son parfois pas très net,
n'est pas toujours en accord avec les autres instruments. Autant le trio
fonctionne bien sur la musique électrique avec Mark Guiliana, autant le
piano acoustique s'accorde très mal à ce même jeu de batterie. Les
mélodies de Brad Mehldau ont du mal à résister au travail rythmique de
Mark Guiliana, fait de profondes ruptures. John Scofield joue à la fois
de la basse et de la guitare et sa musique est toujours teintée de blues
et de retours au jazz des année 1970. Un projet hybride.
Rien de tel chez John McLaughlin dont le groupe, The 4th Dimension, existe depuis plusieurs années avec une remarquable
stabilité (Emile Mbappe, b, Gary Husband, clav). Seul Ranjit Barot (dm)
est indien. La musique reste indienne. Le jeu de guitare de McLaughlin
est fait à la fois de longues phrases et de bouffées où croît
l'intensité et le rythme du morceau. Quel que soit le groupe qui
l'accompagne, le jeu virtuose de John Mclaughlin est personnel, lyrique.
Les autres musiciens s'intègrent bien au projet et tous participent à
l'univers rythmique et mélodique d'un concert varié mais toujours d'une
belle unité.
A noter, pour finir sur une note ludique, un blindfold test proposé par le biographe Ashley Khan à James Carter avec pour thème, bien sûr, le saxophone…
Guy Reynard
texte et photos
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Ascona, Suisse
JazzAscona, 23 juin-2 juillet 2016
Ascona
est la capitale européenne des musiques de la Nouvelle-Orléans, et,
donc, on y a entendu en provenance de la Cité du Croissant, des artistes
en exclusivité comme Glen David Andrews, Aurora Nealand (ss, cl, voc,
Tom McDermott, p, Bechet revu), Jazz Vipers, Tremé Brass Band (Shamarr
Allen, tp, Terrence Tarpin, tb, Benny Jones, b dm), Palm Court All
Stars, Davell Crawford Trio (Herlin Riley), John Michael Bradford, Leon
Brown, les Boutté. Ces artistes absents de nos programmations
constituent la raison principale pour laquelle un jazzfan français
choisit de venir à Ascona. Il n'y avait pas de changement significatif
dans l'organisation.
Le premier jour, Glen Davis Andrews (tb-voc, showman) s'est produit avec un percutant trio soul-funk (org, g, dm). La découverte fut Jazz Vipers, à l'instrumentation inhabituelle, qui
swinguent les standards. La rythmique tourne avec Joshua Gouzy (b) et
Molly Reeves (g -genre Danny Barker). La front-line est excellente,
Kevin Louis (cnt), Craig Klein (tb), les Bonie, Earl (cl, ts) et Oliver
(bs): «Dinah» (Craig Klein, tb-voc), «I want a Little Girl» (Kevin
Louis, voc), «Shake It & Break It» (belles nuances).
Le
25, leur invité John Michael Bradford (tp, voc) a confirmé son
potentiel (en trio avec la rythmique: «Stardust»). L’Ascona Jazz Award
2016 a été décerné décerné à Davell Crawford qui nous donna un copieux
récital avec Barry Stephenson et l'incroyable, Herlin Riley (des
évocations de Ray Charles et surtout de Fats Domino –«It Ain't a Shame«, «I'm Walking«, «Blueberry Hill»–, un bon «St. James Infirmary»).
L'événement
du festival fut la Piano Night du 26 (2 pianos et 6 pianistes) au
Teatro del Gatto, conçue par Davell Crawford qui l'a présenté, et, en
solo, l'a ouverte (bel «Amazing Grace») et achevée («Do You Know What It
Means»). Nul mieux que lui, Tom McDermott et Paul Longstreth pouvaient
évoquer la lignée louisianaise du clavier (Fats Domino, James Booker,
Henry Butler, Dr. John). En valeur ajoutée, Herlin Riley, mais aussi
Barry Stephenson (pour David Paquette: solo à l'archet dans «New
Orleans» et en slap dans «Shake It & Break It»). Notons un «Maple
Leaf Rag» par McDermott tel que ne l'a pas pensé Scott Joplin, un bon
duo Paquette-Crawford sur «St Louis Blues», un «St. James Infirmary» par Silvan Zingg et un final sur «My Mojo Working» par les six pianistes (Christian
Willisohn, aussi)!
Autour de Lillian Boutté, Thomas L'Etienne
a réuni un All Star (Uli Wunner, as-cl, Fessor Lindgren, tb, Shannon
Powell, dm) dans un répertoire varié ouvert aux invités (belle soirée
Armstrong avec John Michael Bradford, Leon Brown, Shamarr Allen, tp,
28/06). Lars Edegran a réuni au sein des Palm Court All Stars des
vétérans que l'on a plaisir à retrouver, Gregg Stafford (tp, voc:
«Second Line»), Sammy Rimington (cl: «I Grow too Old to Dream»; as,
«Little Tenderness», avec Topsy Chapman, voc), bien soutenus par Richard
Moten (b: «Sweet Georgia Brown») et Jason Marsalis, parfait dans le
jazz tradtionnel («Avalon»).
Nous avons donc eu plusieurs
générations de trompettistes dont Gregg Stafford, qui fait désormais
figure de flambeau de la tradition (le 01/07, son «Moonlight Bay» vient
directement de Kid Thomas). Shamarr Allen a un style compatible avec le
traditionnel («Bogalusa Strut» avec Jazz Vipers, 30/06), mais sa vraie
nature est post bop, et c'est aussi le cas pour John Michael Bradford
(qui était à l'aise dans le funk de Glen David Andrews, 30/06). Tous
deux dotés d'une excellente technique, jouent fortissimo, sans nuances,
contrairement à Leon «Kid Chocolate» Brown qui soigne la sonorité («La
Vie en Rose», 01/07), et Kevin Louis, au phrasé souple, capable
d'envolées spectaculaires sans sacrifier la qualité du son et les
diverses dynamiques.
Il
n'y a pas que les Néo-Orléanais; le programme est complété par des
artistes européens. Des jazzfans suisses m'ont témoigné leur
enthousiasme pour le groupe Jazz à Bichon (avec remplaçants) qui fit le
plein à Piazzetta (26/06). La Section Rythmique (Guillaume Nouaux, dm,
Sébastien Girardot, b, David Blenkhorn, g) fait l'unanimité (avec Hetty
Kate, voc). Notons l'exploit de Pierre Guicquéro (tb) remplaçant au pied
levé dans les Primatics (vif succès). Pour les Français, les jazzmen
actifs en Italie sont à découvrir. L'Italo-américain, Michael Supnick
(tp, tb, voc) a démonstré au Pontile (26/06) tout ce qu'il doit à Louis
Armstrong: «Confessin'», «I Can Give You Anything But Love», etc. Le
vétéran Emilio Soana (tp) au sein du SMUM Big Band fit bonne figure avec
John Michael Bradford en guest (26/06). On a retrouvé Red Pellini (ts)
avec le Gotha Swing. Enfin, le talent d'Alfredo Ferrario (cl) et du
styliste, percutant et élégant à la fois, Fabrizio Cattaneo (tp) fut un
atout pour Anaïs St. John, fille de Marion Brown qui, plus qu'une
chanteuse, est une interprète («Is You Is», «Gee Baby», etc.).
Ceux qui souhaitent découvrir les artistes dont il est ici question doivent aller à Ascona!
Michel Laplace
texte et photos
© Jazz Hot n° 677, automne 2016
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Bruxelles, Belgique
Brussels Jazz Marathon, 22 mai 2016
Alors
que le marathon se déroule le vendredi et le samedi dans les clubs, les
bistrots et sur les places de la capitale, le dimanche, la Grand-Place
est réservée aux Lundis d’Hortense pour la promotion de quatre des
meilleurs groupes belges du moment. C'est sur le dimanche que nous nous sommes focalisés.
Les frères Dellanoye et leur
Delvita Group ouvraient dès 15h.15. Nous avons écouté avec attention et
admiration le quartet de Jan De Haas. On voit souvent Jan derrière une
batterie, mais on oublie parfois qu’il est un excellent vibraphoniste
(trois albums à son nom). C’est d’ailleurs accompagné par les musiciens
de son dernier album (W.E.R.F. 123) qu’il avait choisi de se produire
–Ivan Paduart (p), Sal La Rocca (b), Mimi Verderame (dm). Le répertoire
est principalement construit autour des compositions du vibraphoniste
qu’on rapproche facilement de Sadi pour les valses. Moins excessif que
l’Andennais sur les tempos rapides, il a le bon goût de doubler ses
solos sur des toms placés en avant-scène. La cohésion du quartet est
excellente. Les sidemen ont apporté quelques-unes de leurs compositions
mais ils restent au service d’une jolie musique, collective, de facture
classique.
Vint
ensuite, le groupe de Lorenzo Di Maio (g): Cédric Raymond (b), Nicola
Andrioli (p), Antoine Pierre (dm) et Jean-Paul Estiévenart (tp). Cédric
est l’ainé ; les autres ont moins de trente ans et ça se ressent dans la
manière dont ils jouent (très bien): plus appuyée, avec des prises de
risques, des question/réponses et des structures qui soulignent la
complémentarité des solistes («Detachment», «No Other Way», «September
Song»). «Santo Spirito» joué en finale mit en lumière l’approche
surréaliste à la belge du pianiste transalpin. La musique est gaie!
Elle
le sera plus encore avec le dernier groupe : celui du batteur Yves
Peeters: Dree Peremans (tb), Nicolas Kummert (ts), Axel Gilain (eb),
Bruce James (p, voc) et François Vaiana (voc). Reflet de leur album Gumbo publié
chez WERF, le band propose un patchwork d’originaux («Lighthouse» de
Kummert), des lyriques écrits par François Vaiana, des backings
ténor/trombone et un feeling très Bourbon Street impulsé par Bruce James (p, voc).
Sur
le chemin du retour, nos pas nous ont heureusement entraînés à la porte
de L’Archiduc. Le mythique club art déco servait de cadre au duo Johan
Dupont (p)–Steve Houben (as). Dos à la porte, assoiffés, incapables de
nous faufiler au comptoir, nous nous sommes délectés du swing intense à la Fats Waller de Johan Dupont et des réparties élégantes de Steve Houben. Renaud
Crols (vln) se faufila en douce et tout swing dans ce concert-coda d’un
soir jouitif («Lament», «La Javanaise», etc.).
Jean-Marie Hacquier
Photos Pierre Hembise
© Jazz Hot n° 676, été 2016
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Saint-Gaudens, Haute-Garonne
Jazz en Comminges, 4 au 8 mai 2016
Le
week-end de l'Ascension est depuis 14 ans la période choisie par les
fondateurs de Jazz en Comminges pour héberger leur festival, aujourd'hui
sur 5 journées pour le Off gratuit et 4 soirées pour le festival
officiel, avec toujours deux concerts chaque soir. Si l'on ajoute les
orchestres présents dans plusieurs bars et restaurants, le cinéma local
qui présente des films de jazz, les expositions, on peut dire que pendant
ces cinq journées, la ville entière vit au rythme du jazz.
Cette année
l'Ascension étant très précoce, les Pyrénées, toutes proches, étaient
encore largement recouvertes de neige. Le programme, comme à l'habitude,
est centré sur le jazz actuel sans exclusive de style, d'une belle
cohérence malgré quelques assemblages parfois curieux. Le cru 2016 ne
dérogeait pas, et la musique toujours extrêmement intéressante
avec une acoustique parfaite, dans un lieu qui n'est pas fait a priori
pour la musique mais parfaitement aménagé, et des techniciens du son et
de la lumière parfaitement efficace,.
La
première soirée est à guichets fermés. Le public très nombreux est
certainement venu, plus attiré par l'accordéon de Richard Galliano et le
violon de Didier Lockwood que par David Sanborn qui surfe depuis
plusieurs décennies sur les différentes modes. Il ne faut certes par
oublier Philip Catherine qui complète le trio. Quelques dizaines
d'années auparavant, ainsi que le rappelle Didier Lockwood, un premier
trio avait déjà existé avec Christian Escoudé, remplacé aujourd'hui pour
Richard Galliano. Chacun des musicien reste dans son propre univers et
prend des chorus parfaitement en place, mais au bout de quelques thèmes
le son du trio n'apparaît toujours pas: il reste une juxtaposition de
brillants solistes, et personne n'a la volonté de prendre la direction
de l'ensemble, sauf sur ses propres compositions. Les trois musiciens
proposent certes de belles musiques, mais on attend toujours ce jeu
collectif qui est la base du jazz, aussi brillantes que soient les
interventions personnelles.
David Sanborn a toujours voulu se
couler dans la mode de son temps. Ainsi dans les années 70 et 80, il
privilégiait le son de son saxo alto et donnait à sa musique une
direction très proche d'une sorte de smooth jazz, peu dérangeant, qui
flirtait avec la fusion, mais sans jamais dépasser les limites d'une
musique médiane loin des outrances du free et même du bebop et hard bop,
trop loin de la musique susceptible de toucher le grand public. Il
effectue aujourd'hui un virage complet, introduisant une partie plus
funk à son orchestre, et parfois même quelques ouvertures vers le free
dont on ne voit pas trop l'utilité. Heureusement l'organiste Ricky
Peterson replace cette musique dans une voie plus proche du jazz et la
batterie de Billy Kilson demeure dans cette même veine et pallie
largement l'absence du percussionniste annoncé. André Berry à la basse
donne la direction funk à la musique tandis que le guitariste Nicky
Moroch reste assez discret. Mais en cherchant trop à rester au goût du
jour, il n'est pas certain que David Sanborn y retrouve vraiment une
sonorité personnelle et son public.
La deuxième soirée du
festival est très différente car les deux orchestres présentés sont
certes très différents, mais il s'agit cette fois de véritables groupes.
Le trio du pianiste Rémi Panossian, présenté en partenariat avec le
Conseil Général de Haute Garonne, est une découverte de Jazz sur son 31,
le festival automnal de Toulouse. Les trois musiciens forment un trio
très soudé, et Maxime Delporte à la basse et Frédéric Petiprez à la
batterie, apportent plus qu'un soutien au pianiste, et sont partie
prenante à l'élaboration de la musique. Celle-ci joue plus sur les
couleurs et les textures que sur le swing et le groove, mais chaque
pièce est parfaitement mise en place. De belles improvisations sont
suscitées par les parties d'ensemble et une belle dose d'humour vient
pondérer une musique parfois très sérieuse avec des compositions comme
«Brian le Raton Laveur» ou «Into the Wine». Même si le rock n'est jamais
très loin, la sonorité d'ensemble demeure très européenne avec des
références à l'harmonie de la musique classique.
Deux
ans auparavant, Chucho Valdés était déjà présent sur cette même scène,
mais en petite formation où dominaient les percussions. Cette fois-ci,
avec un mini Irakere, il réalise un parfait équilibre entre section
rythmique et souffleurs. Ces derniers sont présentés en une ligne qui
fait face aux percussionnistes et au pianiste. La musique prend tout de
suite une grande ampleur avec les percussions et le piano qui créent la
mélodie tandis que les trois trompettes et les deux saxos apportent les
riffs de la musique cubaines qui soulignent les percussions. Cela ne les
empêche d'ailleurs pas de prendre tour à tour quelques solos décidés
par le pianiste. Dreiser Durruthy Bombalé percussionniste, chanteur et
danseur, fait office de maître de cérémonie et paraît diriger l'office
païen dédié aux divinités importées d'Afrique et largement transformées
au contact du christianisme. Cependant Chucho Valdés garde constamment
la direction des opérations et relance régulièrement les solos ou les
ensembles. Même lorsqu'il dirige avec beaucoup d'humour un «Take Five» à
la mode cubaine, il demeure d'une grande impassibilité sans jamais se
permettre le moindre sourire. On pense naturellement à Irakere et à la
réussite de cet Orchestre National de Jazz de Cuba où, tout en demeurant
toujours fidèle à la musique cubaine et au jazz, Chucho a réussi et
réussit toujours à créer une musique enthousiasmante de très haut
niveau.
La
troisième soirée présentait un plateau où la Nouvelle-Orléans et la
trompette étaient les vedettes de la soirée. Certes la star annoncée
était Dee Dee Bridgewater. Le dernier disque l'avait présentée beaucoup
plus sobre avec le trompettiste Irvin Mayfield dirigeant le New Orleans
Jazz Orchestra. C'est une formation réduite qui l'accompagne à
Saint-Gaudens où demeurent malgré tout Irvin Mayfield, Victor Atkins (p)
et Adonis Rose (dm). Le saxophoniste Irwin Hall vient de New York et le
bassiste annoncé n'est pas non plus celui du disque. D'emblée, Dee Dee
Bridgewater se place dans le spectacle, présentant longuement chacun de
ses musiciens avant même qu'une note n'ait été jouée. Lorsqu'enfin la
musique commence, elle s'attache à mettre le spectacle en valeur. Le
chant très émouvant du disque est un peu éclipsé par le show. Irvin
Mayfield et l'orchestre, auxquels la chanteuse laisse avec bonheur une
large place, restent d'une belle sobriété qui contraste avec le goût du
spectacle de la chanteuse. Mais ceci n'enlève rien au concert qui reste
toujours intéressant grâce à la maîtrise d’Irvin Mayfield et à la
capacité de Dee Dee Bridgewater de captiver le spectateur et de susciter
l'émotion.
Dee
Dee Bridgewater et Irvin Mayfield avaient été précédés par Christian
Scott qui a abandonné, provisoirement nous l'espérons, son excellent
septet. Seuls restent dans sa formation le batteur Corey Fonville et le
bassiste Kris Funn. Logan Richardson est le saxophoniste et Tony Tixier
le pianiste. Christian Scott nous apprendra d'ailleurs que Tony Tixier a
rejoint l'orchestre une semaine auparavant. Le trompettiste a dessiné
les quatre trompettes qui ont été réalisées pour lui, et il en utilise
deux dans les concerts. Même si la longueur totale du tube demeure la
même, les différences de courbures modifient profondément le son, et
l'on a vu Irvin Mayfield essayer l'une des deux trompettes utilisées. Il
définit sa musique comme de la «stretch music» terme qui peut prendre
plusieurs sens en anglais mais qui signifie à la fois se tendre et se
détendre, s'étendre, s'étirer. Malgré les changements de personnel, ce
concept permet au son de chaque musicien de s'intégrer dans celui
l'orchestre. Ainsi Tony Tixier est dans une veine où dominent le swing
et le groove alors que Logan Richardson est plus porté vers une
esthétique free. Christian Scott propose un discours très lyrique, porté
par ses diverses expériences et les musiques actuelles qu'il intègre à
son discours. Il utilise les compositions personnelles de son dernier
disque West of the West, The Last Chieftain ainsi que Eye of the Hurricane de Herbie Hancock. Avec son jeu sans vibrato, il atteint assez vite
l'émotion qui lui permet ensuite d'aller au delà de ce qui a été fait
tout en restant ancré dans la tradition. Peut-être est-ce cela tout
simplement la stretch music.
La
dernière soirée est beaucoup plus éclectique. Joe Lovano présente
modestement son Classic Quartet avec Laurence Fields au piano, le
bassiste bulgare Peter Slavov et le batteur d'origine kosovar Lami
Estrefi. Le quartet est parfaitement défini par le terme classique qui
est non pas un retour vers le passé mais bien plutôt une adaptation
actuelle des styles du passé. Joe Lovano excelle à se couler dans les
styles qui ont marqué sa famille au travers de son père lui aussi
excellent saxophoniste, de ses années de formation et des grands anciens
de l'instrument. Même si sa sonorité n'est pas reconnaissable dès la
première note, il possède un style bien à lui avec beaucoup d'énergie.
Le quintet fonctionne parfaitement bien avec de belles interactions
entre les quatre musiciens, et les hommages à Wayne Shorter et Michel
Petrucciani sont de parfaites réussites car ils ne se contentent pas de
reproduire les originaux, mais Joe Lovano sait se les approprier pour
rendre l'hommage plus personnel et donc plus émouvant encore.
Changement
complet de décor avec Al Di Meola et son trio qu'il intitule «Elysium
& More». Longtemps adepte de la guitare électrique et des formations
de fusion après des débuts avec Chick Corea dans la deuxième mouture de
Return to Forever. Lassé des décibels, il a désormais décidé de
se consacrer à la musique acoustique à la tête de formations plus ou
moins étoffées. Pour Jazz en Comminges, il a choisi de venir en petite
formation avec Peo Alfonsi (g) et Peter Koszas (dm). Mais la musique
n'est pas très différente de celle des formations plus étoffées par
l'utilisation d'effets électroniques qui permettent de doubler les sons
produits. Le batteur est confiné derrière une sorte de barrière en
plexiglas et apparaît vraiment isolé des deux guitaristes. La musique
est présentée en longues suites plus proches de la world music que du
jazz. Al Di Meola, avec de belles envolées lyriques, abandonne
réellement le rôle de «guitar hero» qu'il tenait dans les formations
électriques: il joue assis avec des partitions vers lesquelles il
penche la tête et recherche avant tout une sonorité personnelle aussi
bien sur ses propres compositions que sur une reprise comme le «Because»
des Beatles. Malgré tout, l'amateur de jazz reste un peu sur sa faim
avec une musique un peu trop au-delà, mais largement appréciée par le
grand public qui ne s'est pas fait prier pour rejoindre le devant de la
scène lorsque Al Di Meola le lui a demandé.
Jazz en Comminges a
connu un beau succès public avec quatre soirées bien remplies, et il a
fallu rajouter des chaises lors de deux soirées. Le programme se veut
éclectique et le programme demeure toujours alléchant. Le seul bémol
viendrait de trop de changement de personnels de dernière minute qui,
s'ils ne changent pas la qualité de la prestation, compliquent un peu le
travail du chroniqueur. Un affichage des line-ups serait sans nul doute
un moyen d'y remédier. La 14e édition de Jazz en
Comminges reste un grand cru avec plusieurs concerts de haute volée dans
une très agréable atmosphère de convivialité.
Guy Reynard
Texte et photos
© Jazz Hot n° 676, été 2016
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St-Leu-la-Forêt, Val d'Oise
Arts & Swing, 2 avril 2016
Organisé
par l’association Graines de Swing depuis 7 ans, ce petit festival
permet aux musiciens de la région de se produire sur scène ainsi qu'à
d'autres artistes-artisans des environs –luthiers, peintres, sculpteurs,
photographes, etc.– de venir y exposer leurs œuvres. Cette année
Philippe Drillon, luthier, présente les différentes étapes de la
fabrication d’une guitare. Chaque année aussi un musicien de renom est
invité comme tête d’affiche pour le grand concert de soirée; cette
année, c’est Samson Schmitt…
Fond de Caisse, la
formation des organisateurs Christophe Quarez (g, voc), Yves Paris (g),
Michel Taché (g) et Michel Bartissol (b), fait l’ouverture du festival
dans un répertoire constitué de chansons françaises, de jazz de Django
et de bossa nova. Le quartet laisse la place à l’Ecole de musique de
St-Leu, sous la direction de Sylvain Guichard, qui aborde les standards
de jazz. La jeune Julie Fraisse (g) se distingue par son jeu fluide;
puis le duo Sophia (g, voc) et Déon (voc) enchaîne sur des arrangements
pop et hip hop, un ton surprenant pour ce festival. Retour au jazz avec
le trio Kdoublevé (p-b-dm) de Julien Krywyk (p), qui revisitent les
standards et avec le trio ZAF de Serge Zafalon, professeur de guitare à
Montmorency, qui nous ramène à la musique de Django et clôture cette
première partie.
L’ambiance cabaret voulue par les organisateurs
rassemble petit à petit les visiteurs le long du bar pendant que le
plateau se vide de ses instruments pour accueillir Amalgam, groupe de
jazz vocal de 30 artistes créé en 1983 sous la direction de Paul Anquez.
Passant de la comédie musicale au jazz et aux rythmes brésiliens, cette
chorale a capella présente des tableaux syncopés de toute beauté.
Intermède classique avec Olivier de Valette, 1er prix
du Conservatoire de Paris, qui interprète brillamment des musiques
Andalouses et des compositions de Georges Gershwin. Retour au jazz avec
le SG Trio de Sylvain Guichard (g), Gabriel (g) et Eric Métais (b) qui
s’inspire aussi des standards du jazz et Monalisa Jazz Quintet, composé
de Marc Merli (p), Hugo Lagos (g), Sacha Leroy (b), Thierry Cassard
(dm), qui nous propose un jazz électrique en prélude à l’invité du grand
concert, Samson Schmitt.
Clôture
du festival avec Samson Schmitt (g), l’enfant de Forbach. Il a donné
son premier concert à 12 ans, et il est considéré avec son quartet, avec
qui il a déjà enregistré deux albums (Djieske en 2002 et Alicia en 2007), comme l’un des meilleurs groupes français de jazz de la
tradition de Django Reinhardt. Il joue ce soir en trio avec Pascal
Bordeau (g) et Claudius Dupont (b), et ils reprennent essentiellement
des morceaux de l’album Vocal et Swing, produit à partir des
compositions de Pascal Bordeau sur des arrangements de Samson Schmitt:
«La Tête qu’on fait», «La Crise», «Carole», etc. Ces morceaux permettent
à Samson Schmitt d’étaler la beauté de son jeu, sa personnalité et sa
virtuosité, et la mise en avant de ses musiciens, l’humour et le partage
sur scène témoignent du bon esprit du groupe. Le public apprécie, en
redemande, debout au dernier rappel.
Ce petit festival d'un jour,
autour de la musique de Django et des arts qui s'y rattachent, mérite
un détour. Rendez-vous pour la prochaine édition!
Patrick Martineau
texte et photos
© Jazz Hot n° 675, printemps 2016
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Bergame, Italie
Bergamo Jazz, 17-20 mars 2016
Après la gestion de quatre ans d’Enrico Rava, Dave Douglas a repris la direction artistique de la 38e édition de Bergamo Jazz, lui imprimant un tour peut-être moins
innovant, mais en maintenant la haute qualité et la variété des
propositions.
La richesse de l’affiche a été comme toujours
complétée par des événements collatéraux, comprenant des concerts de
musiciens locaux, des présentations de livres et des rencontres, comme
celles peaufinées par le Centro Didattico Produzione Musica avec des élèves de écoles primaires et secondaires, ou bien le débat entre Dave Douglas et Franco d’Andrea.
Comme
de coutume les concerts se sont déroulés entre le Teatro Donizetti, le
Teatro Sociale, l’Auditorium della Libertà et la galleria d’arte Gamec.
Le public, nombreux et attentif, s’est pratiquement trouvé face à une
ample gamme de thèmes, avec avant tout, l’approche de la tradition,
conjuguée en modes divers.
Le
trio D’Andrea, intégrant Han Bennink, constitue pour le pianiste une
clé efficace pour greffer les polyphonies du jazz new orleans (pratiqué
pendant sa jeunesse) sur une organisation polyrythmique dans laquelle
coexistent des références à Waller, Ellington, Tristano et Monk, et des
empiètements dans le domaine atonal. Puis affleure une matrice
africaine, comme le démontrent les figures sombres dans le registre
grave qui déconstruisent «Caravan», et émerge la dialectique constante
avec Han Bennink, héritière entre autres de Baby Dodds, le tout inclus
dans le solo à la caisse claire et sur toutes les surfaces
environnantes. Daniele D’Agaro (cl) et Mauro Ottolini (tb) représentent
le versant polyphonique d’une ample gamme de timbres et d’expressions,
interprètes modernes d’un parcours qui d’une part unit Johnny Dodds,
Barney Bigard et Pee Wee Russell à Jimmy Giuffre et Anthony Braxton, et
d’autre part à Kid Ory, Tricky Sam Nanton et Jack Teagarden à Roswell
Rudd et Ray Anderson.
Dans
une période dans laquelle certains musiciens afro-américains (Nicholas
Payton en tête) réfutent le terme jazz en faveur de l’acronyme BAM
(Black American Music), Geri Allen, dans un solo de piano dédié à
Detroit et Motown, a démontré comment on peut exécuter de la grande
musique en se contrefichant des étiquettes. Sans écarts stylistiques,
Miss Allen a fait preuve de profondeur harmonique, d’un choix de phrasé,
d’un méticuleux travail rythmique (avec un usage efficace du registre
grave) et d’une pensée mélodique limpide et pure, même dans la relecture
des classiques Motown comme «That Girl» de Stevie Wonder, «The Tears of
a Clown», écrit par le même Wonder pour Smokey Robinson, «Save the
Children» de Marvin Gaye et «Wanna Be Startin’ Something» de Michael
Jackson.
Avec
son nouveau quartet –Lawrence Fields (p), Peter Slavov (b), Lamy
Estrefi (dm)– Joe Lovano présente une poétique désormais consolidée:
implantation modale de matrice coltranienne, thèmes élégants et bien
agencés, successions de solos torrentiels dans lesquels se détache le
langage sec de Fields, digne de Red Garland et soutenu par une pompe
rythmique, mémoire de McCoy Tyner. Mainstream moderne? Classicisme? Le
débat est ouvert.
Kenny
Barron a offert une authentique leçon de style et de mesure. En trio
avec Kiyoshi Kitagawa (b) et Johnathan Blake (dm), le pianiste de
Philadelphie a concentré en une synthèse efficace l’héritage du bebop (à
travers le morceau éponyme de Dizzy Gillespie), les tensions
rythmiques-harmoniques du hard bop, la leçon de Garland et Monk, son
association passée avec Charlie Haden («Nightfall»). Blake se révèle un
partenaire idéal, en vertu d’un drumming éclectique et riche d’analyses.
Dans
le quartet Wicked Knee, le batteur Billy Martin a rassemblé trois
cuivres, le tuba de Michel Godard, fondement de l’incessante pulsation
rythmique et protagoniste de quelques solos estimables; le trombone de
Brian Drye, riche d’inflexions qui parcourent l’histoire de
l’instrument; la trompette (également slide) de Steven Bernstein, en
parfaite opposition aux stimuli rythmiques dictés par le leader qui part
de la tradition des Marching Bands pour poursuivre à travers des
figures rythmiques enrichissant le tissu avec les couleurs de multiples
percussions. Avec cette position, semblable au Pocket Brass Band de Ray
Anderson et au Brass Ecstasy de Dave Douglas, le quartet embrasse la
polyphonie de New Orleans, le premier Ellington («It Don’t Mean a
Thing») jusqu’au «Peace» d’Ornette Coleman.
Balkan
Bop est la dénomination forgée par le pianiste albanais Markelian
Kapedani pour son trio multi-ethnique, complété par l’Israélien Asaf
Sirkis (dm), et le Russe Yuri Goloubev (b), doté d’un son somptueux et
d’une belle inventivité mélodique. Par moments, d’évidents rappels à la
tradition balkanique émergent par l’adoption de mesures impaires comme
le 7/4 et le 9/8, et par les échos populaires de certaines mélodies.
Tout est filtré à travers une esthétique mainstream et le fréquent
recours aux rythmes latins. Dans le jeu de piano de Kapedani, on
retrouve des traces de Red Garland, Bobby Timmons, Cedar Walton et
Herbie Hancock.
La
poétique de la clarinettiste israélienne Anat Cohen est bien plus
impressionnante tant elle possède une gamme de timbres et un spectre
dynamique vraiment impressionnants, ainsi qu’un accent qui unit une
infrastructure classique, des nuances jazzistiques, des inflexions et
des modulations hébraïques évoquant les grands solistes traditionnels
comme Naftule Brandwein et Dave Tarras, ou d’extraction classique comme
Giora Feidman et David Krakauer. Son apport majeur consiste dans la
combinaison d’un arrière plan hébraïque avec des mélodies et des formes
brésiliennes, avec comme exemples frappants «Lilia» de Milton Nascimento
de veine mélancolique, ou les chôros «Espinha de bacalhau» de Severino
Araújo et «Um a zero» de Pixinguinha. Objectif atteint aussi grâce à
l’apport infatigable de Daniel Freedman (dm), aux lignes pulsantes de
Tal Mashiach (b) et aux incursions téméraires de Gadi Lehavy (p).
De
nombreux éléments du patrimoine latino-américain, largement présents
dans le Melting Pot de New York, sont traduits dans un contexte actuel
par le groupe Catharsis du tromboniste Ryan Keberle, avec des références
évidentes à Cuba, au Brésil et à la Colombie. Instrumentiste formidable
et fin compositeur, Keberle intrique des lignes contrapuntiques et
produit de denses amalgames avec Mike Rodriguez (tp). Jorge Roeder (b)
et Eric Doob (dm), qui réunissent le dynamisme, la cohésion et
d’intéressantes trouvailles mélodiques. La voix de Camila Meza, parfois
insérée dans les lignes des soufflants, possède un timbre éthéré et une
tessiture limitée, mais en fait elle fonctionne bien dans le contexte.
Aujourd’hui
il est rare qu’un concert de jazz attire de nombreux jeunes. La thèse a
été démentie par le Jazz Quartet de Mark Giuliana, en vertu de sa
participation au Blackstar de David Bowie. L’écriture du batteur prévoit
des thèmes mélodieux construits sur des structures harmoniques
ingénieuses, avec des développements mélodiques de bon goût et
d’extraction populaire, secondées par une poétique chère à Bad Plus et
Bill Frisell. Tandis que l’apport du groupe –Jason Rigby (ts), Fabian
Almazan (p), Chris Morrissey (b)– est purement fonctionnel dans le
collectif. Giuliana met en évidence une certaine originalité de langage
par l’utilisation coloriste de la batterie, avec des contretemps sur la
caisse claire, la grosse caisse et la charleston, et la scansion
simultanée des quatre temps sur la ride et la crash.
Bergamo
Jazz a accordé un peu de place à la recherche. Les deux Tino
Tracanna-Massimiliano Milesi (ts) ont conduit une analyse sur le rapport
entre le son, l’espace et le temps au moyen d’une ample gamme de
thèmes: échos de la Renaissance, anaphores minimalistes, contrepoints à
la Bach, constructions rythmiques, éclats d’improvisation totale et une
version de «The Train and the River» de Jimmy Giuffre.
Le
quintet scandinave Atomic recueille idéalement l’hérédité du Free
historique et de l’improvisation radicale européenne des années 70, et
il la projette dans une synthèse fraîche et incisive. Dans le cadre
d’une même exécution s’alternent de puissants collectifs, des thèmes
dépouillés, des progressions sur up tempo swinguants, de
fréquents changements métriques, des phases atonales, des structures
asymétriques qui rappellent la conception harmolodique d’Ornette
Coleman. Sous la mise en scène de Håvard Wiik (p), tête du groupe, se
mêlent les entrées en scène foudroyantes de Magnus Broo (tp) et Fredrik
Ljungkvist (ts, cl), alimentées par la masse sonore produite par
Ingebrigt Håker Flaten (b) et enrichie par les inventions coloristes de
Hans Hulbækmo (dm).
On
rencontre de très solides racines historiques et identitaires dans le 5
Blokes de Louis Moholo-Moholo, avec lesquelles le batteur sud-africain
ravive l’esprit, et en partie, le répertoire des blue notes. Composé de
musiciens anglais, le quintet traduit dans une forme vive et crédible le
legs des regrettés Mongesi Feza, Dudu Pukwana, Johnny Dyani et Chris
McGregor. Ainsi se rétablit, idéalement mais pas filologiquement, la
connexion entre la scène free anglaise et les expatriés sud-africains.
Shabaka
Hutchings (ts, bcl) et Jason Yarde (as, ss, bs) entreprennent de
torrides digressions, souvent entrecroisées. Alexander Hawkins (p) fait
souvent fonction de raccord entre les différentes phases des longues
exécutions avec sa frappe lancinante. John Edwards (b) possède un phrasé
violent qui produit une onde de choc sur laquelle se greffe le drumming
hétérodoxe du leader: une série exténuante de roulements, de
contretemps, quasiment un solo sans fin. L’homogénéité du collectif se
détache et prévaut dans une sorte d’imaginaire de rencontre entre des
hymnes sud-africains et Albert Ayler.
Comme dit précédemment, le
festival a mis en évidence la tendance des artistes américains à avoir
des réflexions sur leurs propres traditions, mettant en évidence
l’effort des musiciens d’une autre provenance pour greffer sur le
langage jazzistique des éléments de leur culture propre. Connaissant
l’ouverture d’esprit et la variété des intérêts de Dave Douglas, il est
licite de s’attendre à des nouveautés substantielles et des choix plus
courageux pour les prochaines éditions.
Enzo Boddi
Traduction: Serge Baudot
Photos Gianfranco Rota by courtesy of Bergamo Jazz
© Jazz Hot n° 675, Printemps 2016
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