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Au programme des chroniques
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• A • Ben Adkins • Ambrose Akinmusire • Akpé Motion • Joey Alexander • Jean-Paul Amouroux • Jean-Paul Amouroux (Plays Boogie Woogie Improvisations) • Arild Andersen • Sébastien Iep Arruti/Craig Klein • A.Z.III • B • Dmitry Baevsky • Marc Benham • Mourad Benhammou • Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle • Eric Bibb • Big Noise • Ellen Birath • Ellen Birath/Paddy Sherlock • Neal Black/Larry Garner • BLM Quartet • Bojan Z/Nils Wogram • Stefano Bollani • Claude Bolling Big Band • Pierre Boussaguet • Albert Bover • Claude Braud/Pierre-Louis Cas/Philippe Chagne/Carl Schlosser • Christian Brenner • Yves Brouqui • Julien Brunetaud • C • José Caparros • Jean-Marie Carniel • Caveau de La Huchette • Marie-Laure Célisse • Philippe Chagne/Olivier Defays • Fred Chapellier • Esaie Cid • Classic Jam Quartet • George Coleman • The Cookers • Marc Copland • Laurent Coq/Walter Smith III • Laurent Courthaliac • Pierre Christophe • D • Renato D'Aiello • Steve Davis • George DeLancey • Bart Defoort • Akua Dixon • Laure Donnat • Philippe Duchemin • E • Echoes of Swing • Jérôme Etcheberry/Michel Pastre/Louis Mazetier • Duane Eubanks • Bill Evans • F • Claudio Fasoli • Jean-Marc Foltz/Stephan Oliva • G • Georges V • Macy Gray • Zule Guerra • Guitar Heroes • H • Scott Hamilton/Karin Krog • The Harlem Art Ensemble • Heads of State • Eddie Henderson • Fred Hersch • Vincent Herring • Dave Holland/Chris Potter • Houben/Loos/Maurane • Sylvia Howard • I • Iordache • J • JATP • Jazz at Lincoln Center Orchestra • Jazz Cookers Workshop • Jazz de Pique • Sean Jones • Nicole Johänntgen • Sweet Screamin' Jones/Boney Fields • K • Matt Kane • Olivier Ker Ourio • Lee Konitz • L • Stan Laferrière • François Laudet • Laura L • Olivier Le Goas • Jobic Le Masson • Dave Liebman/Richie Beirach • David Linx/BJO • David Linx/Paolo Fresu/Diederick Wissels • Ernán López Nussa • Harold Lopez-Nussa • Louis Prima Forever • Joe Lovano • M • Cécile McLorin Salvant • Henry Mancini • Delfeayo Marsalis • Don Menza • Bob Mintzer • Bill Mobley • Thelonious Monk • Moutin Factory Quintet • N • Yves Nahon • Gérard Naulet • New Orleans Roots of Soul • O • Oracasse • P • Michel Pastre • Madeleine Peyroux • Enrico Pieranunzi/André Ceccarelli/Diego Imbert • Michel Portal • Grégory Privat • R • Race Records • François Raulin/Stephan Oliva • Felice Reggio • Bernd Reiter • Herlin Riley • François Rilhac •
Olivier Robin • George Robert • Duke Robillard • Elijah Rock • Mighty Mo Rodgers • Renee Rosnes • S • Nicola Sabato/Jacques di Costanzo • Daahoud Salim • Iñaki Salvador • Perico Sambeat • Christian Sands • Albert Sanz • Julie Saury • Andreas Schaerer • Bruno Schorp • John Scofield • Jimmy Scott • Rhoda Scott • Paddy Sherlock • Trombone Shorty • Wadada Leo Smith • Al Strong • Dave Stryker • T • Claude Tchamitchian • Gonzalo Tejada • Jacky Terrasson/Stéphane Belmondo • Henri Texier • The Dime Notes • The New Orleans Jazz Vipers • Samy Thiébault • David Thomaere • Tiberian/Bahlgren/Betsch • Mircea Tiberian/Toma Dimitriu • Claude Tissendier • Rémi Toulon • Sébastien Troendlé • Steve Turre (Colors...) • V • Ramón Valle/Orlando Maraca Valle • Ben Van Den Dungen • André Villéger/Philippe Milanta/Thomas Bramerie • Vintage Orchestra • Miroslav Vitous • W • Bobby Watson • Ernie Watts • Randy Weston • Warren Wolf • Michael Wollny/Vincent Peirani
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2017
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Michel Pastre Quintet
Feat. Dany Doriz & Ken Peplowski
Downhome
Jump, Shoe Shiners Drag, Avalon, Singin’ the Blues, Hampton Stomp, Don’t Be
That Way, Jack the Bellboy, Ring Dem Bells, Moonglow, Airmail Special, Six
Appeal, Flying Home
Michel Pastre (ts), Malo Mazurié (tp), David
Blenkhorn (g), Sebastien Girardot (b), Guillaume Nouaux (dm) + Ken
Peplowski (cl), Dany Doriz (vib)
Enregistré les 26 janvier et 27 février 2017, Dreux (28)
Durée: 48'49''
Autoproduit MPQ002 (mpastre@sfr.fr)
Ce disque en hommage à
Lionel Hampton s’inscrit dans la suite du précédent album de Michel Pastre,
l’indispensable Charlie Christian Project (Jazz Hot n°673). Le vibraphoniste et
le guitariste ayant été associés au sein des petites formations de Benny
Goodman (on en conserve la trace dans un enregistrement du Benny Goodman Sextet
d’octobre 1939), c’est donc une évocation de ces trois grands musiciens qui
nous est ici proposée. Membre de l’excellente Section Rythmique (qui
accompagnait déjà Michel Pastre dans l’enregistrement antérieur), David Blenkhorn endosse de nouveau le costume de Charlie
Christian. Alors que la formation est ici enrichie de la présence de Malo
Mazurié (un des grands talents de la nouvelle génération), elle accueille deux
invités de marque: Ken Peplowski, souvent comparé à Benny Goodman et qu’il accompagna
d’ailleurs (au saxophone ténor) ainsi que Dany Doriz, fils spirituel de Lionel
Hampton auquel il ne cesse de payer son tribut de concert en concert; soit deux
solides interprètes à la filiation assumée. On a donc ici affaire à une réunion
de solistes tous du meilleur niveau, à commencer par le leader, Michel Pastre,
dont l’expressivité est à son sommet (il est magnifique sur «Moonglow»); le
ténor nîmois ayant assimilé le jazz au point de le pratiquer avec la même
authenticité que les saxophonistes de culture afro-américaine. Le dialogue avec
Malo Mazurié est particulièrement intéressant d’autant que le jeune homme ne
cesse de nous épater par l’intensité de son jeu. Comme à son habitude, la
rythmique Blenkhorn-Girardot-Nouaux nous réserve un accompagnement au cordeau.
On note les solos inspirés de David Blenkhorn, joliment bluesy sur «Singin’ the
Blues», le soutien impeccable de Sebastien Girardot et les introductions énergiques de Guillaume
Nouaux («Avalon» et «Hampton Stomp»). Enfin, les deux maîtres du swing invités
déroulent une belle démonstration: Ken Peplowski (aérien sur «Downhome Jump») comme
Dany Doriz (tout en nuances sur «Don’t Be That Way») nous régalent de leurs
interventions. Et c’est sans doute le swinguissime «Airmail Special» qui,
nous permettant d’apprécier chacun des intervenants, se révèle le titre le plus
réjouissant de ce disque dont on savoure chaque note. Splendide.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Akpé Motion
Migrations
The Clock,
Désert, Migrations, Bedesakalava, Antsiranana, Aurore, MB de Grande Terre,
Automate, Rue Colbert
Alain
Brunet (tp, bg, voc), Jean Gros (g), Sergio Armanelli ou Chacha Taua (b), Pascal
Bouterin (perc), Hanitra, Julia Caldera (voc)
Enregistré
en juillet 2014, Salon-de-Provence (13)
Durée:
46' 43''
Great
Winds 3153 (Musea)
Président du festival Parfum de
jazz, dans la belle Drôme provençale (voir notre compte-rendu dans ce numéro),
Alain Brunet a eu plusieurs vies: grand commis de l’Etat (sous-préfet,
conseiller puis chef de Cabinet de Jack Lang au ministère de la Culture et de l’Education
nationale, co-créateur de La Cinquième,
future France 5…), il n’a jamais
cessé d’être parallèlement trompettiste de jazz. Aujourd’hui retraité, le jazz
l’occupe à plein temps. Globe-trotter dans l’âme, il rencontre Pascal Bouterin de retour d’un voyage au
Togo et fonde avec lui en 2008 le groupe «Akpé» («merci» en togolais).
Migrations est le deuxième album du groupe (après Loco-Motion en 2014), un album entre musiques du monde et un «jazz
psychédélique» qui oscille entre Miles période électrique (la filiation dans le
jeu d’Alain Brunet est sans équivoque) et... Pink Floyd. Le disque, qui s’ouvre
avec la voix d’Alain Brunet récitant un passage du poème «Exil» de Paul Eluard,
évoque l’errance et ses drames épouvantables qui nourrissent l’actualité. Un
projet à réserver aux amateurs de fusion et d’explorations transfrontalières.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Albert Bover Trio
Live in Bilbao
How
Deep Is the Ocean, Luiza, 45’, Verdad Amarga, Sis per Vuit, Nosferatu,
Raynald’s Doubt, The Wedding
Albert
Bover (p), Masa Kamaguchi (b), Jorge Rossy (dm)
Enregistré
en 2011, Bilbao (Espagne)
Durée: 1h 14'
Moskito Rekords 002 (www.jazz-on.org)
Albert
Bover, tout comme Jorge Rossy, sont deux personnalités qui marquent de leur
empreinte, depuis plus de trente ans, le jazz en Espagne. Bover place ce disque
sous le signe du swing et ne perd pas de temps. Dès les premières mesures de «How
Deep Is the Ocean», cette caractéristique du jazz est présente et tant Rossy
que le contrebassiste Kamaguchi –installé à Barcelone– y apportent leur
contribution. «Luiza» est d’une grande douceur avec des notes égrenées
lentement et un travail discret du batteur. Dans «45’», la première des quatre
compositions d’Albert, on relève le beau solo de Kamaguchi; le swing entre
progressivement et le tempo va en accélérant. Le pianiste offre une version
personnelle, une vision jazz, du boléro «Verdad Amarga» à laquelle évidemment
les meilleurs des artistes latinos Consuelo Velázquez, Pablo Milanés, José
Feliciano… ne nous avaient pas habitués. On apprécie la fluidité du style de
Bover. «Sis per Vuit» peine un peu à démarrer mais le swing émerge jusqu’au
délicieux decrescendo final. Une certaine appréhension naît à la lecture du
titre «Nosferatu». Allons-nous entendre un jazz d’outre-tombe? Ce film muet,
historique, a captivé Albert et c’est à une sorte d’hommage à Murnau, son
auteur, que nous convie le pianiste-compositeur. Le thème, très nostalgique, n’est
pas spécialement jazz mais beau. Toute la science du piano que possède Bover
peut être appréciée. Ses partenaires le servent avec discrétion et à propos. Le
thème a plu et le public manifeste son plaisir. Que le live est valorisant! Retour au jazz avec une très belle
composition d’Albert, «Raynald’s Doubt», une sorte d’hommage à un trompettiste
Catalan Raynald Colom. Rossy et Kamaguchi sont excellents derrière Bover et
portent une responsabilité dans l’excellent swing. Bon solo de Jorge. Albert
Bover offre pour terminer une superbe version de l’œuvre d’Abdullah Ibrahim, «The
Wedding». En l’absence d’orchestre à cordes, présent dans The African Suite, ou de saxophones comme lors d’autres prestations
de Ibrahim live, toute l’attention se
porte sur Bover qui étale sa maîtrise du piano et donne au thème une
sensibilité davantage jazz. L’accompagnement se fait tout en nuances et
douceur.
Tout au long du disque on sent une parfaite osmose entre les membres du trio
qui visiblement on la même perspective sur le jazz.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Akua Dixon
Akua's Dance
I Dream a Dream, Dizzy’s Smile, If My Heart Could Speak to
You, Orion’s Gat, Akua’s Dance, Throw It Away, Afrika/Afrika, The Sweetest
Taboo, I’m Gonna Tell God all of My Troubles, Don’t Stop
Akua Dixon (cello, vln, bar, voc), Freddie Bryant, Russel
Malone (g), Kenny Davis, Ron Carter (b), Victor Lewis (dm)
Enregistré en 2016, Union City (New Jersey)
Durée: 55' 07''
Akua’s Music 48103 (www.akuadixon.com)
Dès la première écoute de cet album on sait que l’on
tient une pépite, une rareté qui ravit nos oreilles et notre cœur. On note là d’ailleurs
un vrai dysfonctionnement dans l’économie actuelle du jazz: comment expliquer
qu’aucun label n’ait sorti ce disque (le personnel est un all-stars!), obligeant
le leader à le produire lui-même… Car Akua
Dixon, grande prêtresse du violoncelle, joue aussi du violon et du baryton sur
cet enregistrement, et nous enchante avec un répertoire signé de sa main ou de
grandes dames nommées Abbey Lincoln et Sade.Tous les titres sont dignes d’intérêt et leur traitement, souvent assez
calme, délivre une atmosphère de sérénité dans une maîtrise totale de leur
interprétation. La rythmique excelle, que ce soit Kenny Davis ou Ron Carter à
la contrebasse, leur assise est parfaite, complétement claire, à l’écoute et au
service de la soliste. Idem pour les guitaristes, Freddie Bryant ou le célèbre
Russel Malone dont les notes nous enchantent et dont les solos, toujours brefs
cisèlent les compositions. On peut s’arrêter en particulier sur «Afrika/Afrika», où le dialogue cello/contrebasse, avec
Ron Carter, rejoint par Russel Malone, nous emporte vers des chemins sonores
merveilleux. La reprise de «Throw It Away», où Akua Dixon chante aussi et se
lance le défi de passer après Abbey Lincoln, est réussie; l’arrangement empruntée
à la bossa nova serait sans doute reconnue par la grande chanteuse. La légèreté
de «The Sweetest Taboo» s’élève comme
un hymne au ciel, le son du cello qui remplace le chant nous murmure des douces
notes, sensuelles comme la voix de Sade. Tout est à citer, surtout l’introduction
«I Dream a Dream» qui immédiatement
nous prédit qu’il va s’agir d’un album qui deviendra un album de chevet. Puisant
dans son héritage traditionnel de negro
spiritual «I’m Gonna Tell God all of My Troubles» livre un formidable duo avec Freddie Bryant qui avant le final
nous plonge dans la méditation. Si on se pose la question du swing d’Akua Dixon,
il suffit d’écouter le final «Don’t Stop» qui, dans un crescendo délicat,
flirte de nouveau avec la bossa nova. Il ne faut pas oublier le jeu subtil de
Victor Lewis, grand batteur et fignoleur devant l’éternel: mais depuis l’époque
où il accompagnait Stan Getz on le savait déjà.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Duke Robillard
Blues Full Circle
Lay a Little Lovin’ on Me, Rain Keeps Falling, Mourning
Dove, No More Tears, Last Night*, Fool
about my Money, The Mood Room**, I’ve Got a Feelin’ That You’re Foolin’,
Shufflin’ and Scuffin’°, Blues for Eddie Jones,You Used to Be Sugar, Worth Waitin’ On, Come with Me Baby
Duke Robillard (g, voc), Bruce Bears (p, org), Brad
Hallen(b), Mark teixeira (dm) + Sugar Ray Norcia (voc)*, Kelley Hunt (voc,
p)**, Jimmie Vaughan (g)°, Sax Gordon Beadle (ts, bs)*, Doug James (bar)°
Enregistré en avril 2016, West Greenwich, Pawtucket (Rhode
Island) et Lenexa (Kansas)
Durée: 54' 14''
Dixiefrog 8792 (www.bluesweb.com)
Avec huit nouvelles compositions au compteur, Duke Robillard
continue de faire vivre l’idiome qui lui colle à la peau depuis cinquante ans
maintenant. Ce qu’il propose tient forcément la route. Au menu, guitares
plaintives, voix profondément rocailleuse, éclats de piano, profondeur de notes
d’Hammond, rythmique bien en place et, pour pimenter le tout, des invités de
qualité. Honneur à Jimmie Vaughan, le frère de Stevie Ray toujours présent pour
porter haut les couleurs du Texas. Sur «Shufflin’ and Scufflin’», il reste
relativement sage laissant la lumière à l’orgue de Bruce Bears, mais n’en
demeure pas moins redoutable dans ses
interventions. Sur cette compo du Texan, il bénéficie aussi de la présence Doug
James (bar) pour donner encore plus de rondeurs aux propos. La présence de la
blueswoman Kelley Hunt sur «The Mood Room», apporte une touche de fraîcheur et
de légèreté à cette production, qui permet au programme de se dérouler avec des
variations intéressantes. La voix succède aux notes du piano, les sons de l’Hammond se combinent avec les bending sur la guitare. Avec Blues full Circle, le florilège du blues
s’expose sans retenue pour perpétuer la tradition.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Neal Black / Larry Garner
Guilty Saints
God Today, Guilty, A Friend Like You, Saints of New Orleans,
Better Days, Do Not Stand at My Grave and Weep, Back at It Again, Bad Things Good People, You Can’t Do It, Chances, Ride
with Me, Neighbor Neighbor
Larry Garner (g, voc), Neal Black (g, voc),Pascal Bako Mikaelian (hca), Christophe Duvernet (acc), Mike Lattrell (p,
org), Kris Jefferson (b, perc), Jean Michael Tallet (dm), Larry Crockett
(perc), Leadfoot Rivet (voc)
Enregistré à Baudonvilliers (55) et Carpentras (84), date non précisée
Durée: 52' 40''
Dixiefrog 8787 (www.bluesweb.com)
Après un long break, dû à des problèmes de santé, Larry Garner
revient dans la lumière en compagnie de Neal Black. Pour l’occasion, les deux
compères se sont fendus de plusieurs titres écrits à quatre mains et d’autres
composés séparément. Larry Crocket et Leadfoot Rivet sont là pour les
accompagner sur l’album. Guilty Saintsdébute avec une couleur blues marquée et des chants entrecroisés entre les deux
intervenants. Cette relation au blues profond se perpétue sur les morceaux qui
suivent. L’orgue de Mike Latrell colore
de ses notes profondes «Saints of New Orleans», avant que le combo
ne s’encanaille pour swinguer davantage avec la bénédiction de l’harmonica de
Pascal Bako Mikaelian («Better Days»). La mise en musique du poème
de Mary Frye («Do Not Stand at My Grave and Weep») évoque par moments les premiers albums de Santana,
quand le blues le marquait encore profondément. C’est ensuite une compo de
Garner qui lui succède et qui possède ce côté West Coast doucereux, avec ses arpèges de piano électrique
(«Back at It Again») et ses jolis déroulés de guitare. L’album
se termine comme il avait commencé par des pièces très ancrées dans la
tradition rurale («Ride With Me») ou plus soul («Neighbor,
Neighbor»). De belles ballades entre bayou, église et club pour un voyage réussi.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Fred Chapellier
It Never Comes Easy
It Never Comes Easy, You Only Know my Name, Let Me Be Your
Loving Man, Changed Minds*, A Silent Room, Never Be Fooled Again, Funk It, Made
in Memphis, I Thank You, I Have to Go, Something Strange, In The Lap of the
Gods
Fred Chapellier (g, voc, b*), Charlie Faber (g), Abder
Benachour (b), Denis Palatin (dm), Guillaume Destarac (dm), Johan Dalgaard (kb)
Enregistré à Noyant-la-Gravoyère (49), date non précisée
Durée: 48' 20''
Dixiefrog 8789 (www.bluesweb.com)
Avec ce nouvel opus, Fred
Chapellier reste dans l’univers qui a fait sa réputation: le blues. Sa guitare
télé ou strato est toujours aussi étincelante quand ses doigts partent sur le
manche à la rencontre du corps de son instrument. Ses textes restent eux aussi
dans l’esprit, évoquant, l’amour, la folie ou Memphis. Pour l’accompagner, il a
une nouvelle fois fait appel à Abder Benachour (b) et Denis Palatin (dm). S’il
maîtrise bien les fondements du Chicago blues, il n’hésite pas à aborder le
registre plus soft du west coast blues avec le soutien de Johan Dalgaard (kb)
sur «Never Be Fooled Again». L’ambiance funk lui convient aussi avec «Funk It»,
puis, telle une randonnée en montagne, Chapellier nous fait redescendre dans les
méandres du Mississippi («I Have to Go»)
et ce départ nous emmène directement vers des rêves étranges qui remplissent
ses nuits de french bluesman. L’album se clôt avec de jolis mouvements de
guitare comme pour nous faire atterrir de ce voyage organisé en pays bleu.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Louis Prima Forever
Joue Disney
Heigh Ho, Bibbidi-Bibbidi-Boo, Everybody Wants to Be a Cat,
I Wanna Be Like You, Someday My Prince Will Come, Dream Medley, Chim Chim
Cher-ee, My Own Home, Supercalifragilisticexpialidocious, Bella note, Whistle
While You Work, The Bare Necessities, Who’s Afraid of the Big Bad Wolf, When
You Wish Upon a Star
Patrick Bacqueville (lead voc, tb), Pauline Atlan (voc),
Michel Bonnet (tp, voc), Claude Braud (ts, voc), Nicolas Peslier (g), Fabien
Saussaye (p), Enzo Mucci (b), Stéphane Roger (dm)
Entregistré les 30, 31 janvier, 1er et 2 février
2017, Paris
Durée: 45' 23''
Autoproduit (stefroger@wanadoo.fr)
Les musiciens de jazz ayant consacré des albums aux chansons
des films de Walt Disney sont nombreux, à commencer par Louis Armstrong (Disney Songs the Satchmo Way, 1968) car
elles constituent un corpus de standards tout à fait valables. C’est
particulièrement vrai des longs-métrages possédant une bande-son jazz: Les 101 dalmatiens (1963), Le
Livre de la jungle (1967), Les
Aristochats (1970) et, plus récemment, La
Princesse et la grenouille (2009) qui prend place à New Orleans et met en
scène, pour la première fois, une héroïne afro-américaine. En outre, Louis
Prima a été étroitement associé à la conception du Livre de la jungle (dernier long-métrage à avoir été supervisé
directement par Walt Disney, décédé en 1966) et a inspiré et doublé le
personnage de King Louie, l’orang-outan. D’où l’idée de la joyeuse bande de
Louis Prima Forever de reprendre, pour son deuxième CD, le répertoire Disney à la façon du «King of
the Swingers». Y figure évidemment deux titres tirés du Livre de la Jungle («I Wanna Be Like You», «The Bare Necessities»)
et un des Aristochats («Everybody
Wants to Be a Cat»), mais ce sont surtout les compositions écrites dans un
esprit proche de Broadway (et fort bien réarrangés, à la sauce jazz, par Michel Bonnet) qui sont l’objet de ce disque, à l’instar de «Someday
My Prince Will Come» (Blanche Neige et
les sept nains, 1937), titre à succès, bien au-delà du film, et adopté de
longue date par les jazzmen (Miles Davis, Bill Evans, Hank Jones…). Si le mimétisme vocal de Patrick Bacqueville avec Prima est
saisissant, le groupe ne se contente pas pour autant d’une imitation-hommage
mais propose un vrai disque de jazz, tout à fait réjouissant, parsemé de clins
d’œil humoristiques. Un CD à offrir aussi aux enfants, pour leur initiation au
jazz.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Paddy Sherlock
Too Good to Be True
You’re too Good to Be True, Sugar Sugar in Your Bowl, Kill
Me With Your Kiss, More, The Girl From Union Hall, Emma Tais-toi, Babe our Love
Is Here to Stay, Take Me Take Me, On Raglan Road, The Girl From Pontchartrain,
By’n By, Going Down Dancing
Paddy Sherlock (voc, tb), Manu Faivre (tp), Mathieu Bost
(as, cl), Stan Noubard Pacha (g), Yarol Poupaud (b, bjo), Melissa Cox (vln),
Hervé Koury (kb, acc), Laurent Griffon (b), Philippe Radin (dm), Jean-Philippe
Naeder (perc), Ellen Birath, Ayélé Labitey, Brisa Roché (voc)
Enregistré en 2017, Paris
Durée: 49' 26''
Autoproduit (www.paddysherlock.com)
Ellen Birath / Paddy Sherlock
Ella & Louis. A Tribute
A Foggy Day, Under a Blanket of Blue, Isn’t This a Lovely
Day, Can’t We Be Friends, The Nearness of You, Cheek to Cheek, Tenderly, Don’t
Be That Way
Ellen Birath (voc), Paddy Sherlock (voc, tb), César Pastre
(p)
Enregistré en 2017, Paris
Durée: 38' 44''
Autoproduit (www.paddysherlock.com)
Le zébulonesque tromboniste-chanteur Paddy Sherlock, qui
anime les dimanche soirs parisiens depuis trente ans (voir son interview dans Jazz Hot n°671), est avant tout un
artiste de scène, un «entertainer». Il offre néanmoins, de temps en temps, une
petite galette en autoproduction à ses afficionados, réalisée avec les
musiciens et le répertoire du moment. Fidèle à l’esprit festif des live, la
cuvée 2017, Too Good to Be True,
propose un mélange de styles (jazz, reggae, folk irlandais…) autour de compositions
originales de Paddy (paroles comprises). On y retrouve les complices de longue
date (Jean-Philippe Naeder, Philippe Radin…) et deux duos avec deux chanteuses
de talent que Paddy a généreusement mis dans la lumière, il y a déjà quelques
années: Brisa Roché sur «Take Me, Take Me» et Ellen Birath sur «You’re too Good
to Be True». Avec la seconde, Paddy Sherlock a enregistré
parallèlement un autre projet, plus centré sur le jazz, issu d’une série de
concerts donnés en trio avec César Pastre, au pub Tennesse-Paris, entre
l’automne 2016 et le printemps 2017 (voir notre compte-rendu dans Jazz Hot n°677). Ce Ella & Louis. A Tribute est un hommage à l’un des sommets de la
discographie jazz: Ella and Louis (Verve, 1956) et Ella and Louis Again (Verve, 1957). Un Everest que les deux vocalistes abordent avec simplicité et
naturel. Dans le rôle d’Ella, Ellen Birath arbore un swing absolument charmant
et l’on ne saurait trop l’encourager à creuser davantage le sillon du jazz,
auquel elle a beaucoup à offrir. Dans le rôle de Louis, Paddy donne la réplique à Ellen avec truculence, laissant libre cours à sa fantaisie, sans chercher l'imitation. Quant
au troisième larron de l’affaire, César, il produit un accompagnement
impeccable, remarquable même sur «The Nearness of You». Un CD délicieux.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Marie-Laure Célisse & The Frenchy's
Dansez sur moi
Douce France, N.O.U.S., Mon homme, C’est merveilleux,
Déhanche toi, Honnête morose et à sec, La Javanaise, Nationale 7*, Caravane,
Avec toi je m’sens jeune, Bohème, Dansez sur moi
Marie-Laure Célisse (voc, fl), César Pastre (p), Brahim
Haiouani (b), Lucio Tomasi (dm) + Drew Davies (ts)*
Enregistré les 18 et 19 février 2017, Fère-en-Tardenois (02)
Durée: 57' 18''
Autoproduit MLC17001 (mlaure.celisse@gmail.com)
Le disque dont il est ici question est né de la complicité
(à la scène comme à la ville) entre une jeune flûtiste classique devenue
chanteuse, Marie-Laure Célisse, et un non moins jeune pianiste tombé dans le
swing dès sa petite enfance, César Pastre (que nous vous présentons dans ce
numéro 681). Au menu de ce premier album, des standards du jazz chantés en
français ou des chansons françaises chantées en jazz (et une composition). Un parti pris intéressant
(l’exercice a connu de nombreux précédents: Mimi Perrin, entre autres) qui
prend ici la forme d’une rencontre entre deux expressions musicales: d’un côté,
la chanson (Marie-Laure) de l’autre, le jazz, avec le trio des «Frenchy’s».
Deux expressions qui se superposent ici fort bien (Trenet, Gainsbourg ou
Nougaro, judicieusement choisis, illustrent cette tradition de la chanson française
imprégnée de jazz); tandis que, lorsque elle intervient à la flûte, Marie-Laure
Célisse embrasse le registre du jazz à l’unisson de ses musiciens, les
protagonistes du disque formant alors un véritable quartet (on apprécie
d’ailleurs, tout particulièrement, la partie instrumentale sur
«Caravane»/«Caravan»). On aurait aimé en entendre davantage sur ce plan-là et
sans doute qu’il y aurait matière à nourrir de futurs projets. A moins que
Marie-Laure Célisse ne fasse usage de sa personnalité pour construire une œuvre
originale, orientée vers une «chanson à texte» au plus près du
jazz, façon Nougaro. On reste curieux de voir comment ses chemins musicaux vont
se dessiner.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Bobby Watson
Made in America
The Aviator «For Wendell Pruitt», The
Guitarist «For Grant Green», The Butterfly «For Butterfly McQueen», The Cyclist
«For Major Taylor», The G.O.A.T. «For Sammy Davis, Jr.», The Entrepreneur «For
Madam C. J. Walker», The Jockey «For Isaac Murphy», A Moment of Silence, The
Real Lone Ranger «For Bass Reeves», The Computer Scientist «For Dr. Mark Dean»,
I've Gotta Be Me
Bobby Watson (as), Curtis Lundy Trio (b),
Stephen Scott (p), Lewis Nash (dm)
Enregistré le 13 décembre 2016, New York
Durée: 1h 03' 30''
Smoke Sessions Records 1703 (www.smokesessionsrecords.com)
«C’est dans les vieilles marmites qu’on fait
les meilleurs confitures». Ce proverbe très français (donc tourné vers la
dimension gustative de notre culture) convient très bien au jazz et
particulièrement à Bobby Watson, aujourd’hui un aîné, qui nous donne un disque
exceptionnel, en brillante compagnie du trio de Curtis Lundy, avec un bon
Stephen Scott et le grand Lewis Nash. Bobby Watson (Jazz Hot n°664 et Spécial 2005, entre autres) appartient à la
longue liste des Messengers d’Art Blakey dont il a été l’un des directeurs
musicaux; plus de 25 ans après la disparition de l’emblématique leader, il
continue de porter la bonne parole du jazz, à New York comme ici, ou dans son
Kansas City et lors de tournées en Europe. Le jazz pour Bobby Watson et nombre de ses
pairs musiciens, artistes, comme pour nous à Jazz Hot, ne s’arrête pas à une expression formellement codifié ou
une étiquette de vente, mais il est l’expression d’une culture populaire, le
fruit d’une longue histoire, artistique mais pas seulement, dans laquelle la
déportation et l’esclavage restent les étapes fondatrices de leur art, et pour
laquelle l’émancipation réelle (l’égalité réelle, pas celle de façade ou des
textes légaux) demeure un objectif à ne jamais perdre de vue. On les comprend
au regard de l’actualité américaine, on le sent dans ce XXIe siècle
où les inégalités s’accroissent de concert avec les communautarismes et les
privilèges.
C’est pourquoi, de nombreuses œuvres
artistiques afro-américaines, pas seulement musicales, y font toujours
référence, et ce disque est l’une d’elles, qui propose une suite de onze
compositions dédiées à des personnalités afro-américaines qui ont contribué à
cette quête, qui reste, comme celle du Graal, une ligne d’horizon, un idéal: ainsi
sont présents dans le choix de Bobby Watson l’aviateur Wendell Oliver
Pruitt (1920-1945),
l’un des célèbres Tuskegee
Airman (la première unité de pilotes afro-américaine qui
s’illustra dans la Seconde Guerre mondiale); l’actrice Butterfly McQueen (1911-1995), le champion
cycliste Marshall Major Taylor (1878-1932), champion du monde en 1899. Madame
C.J. Walker (1867-1919), célèbre femme
d'affaires. Isaac
Burns Murphy (1861-1896),
le plus célèbre des jockeys américains; Bass Reeves (1838-1910), le premier US Marshall à l’ouest du Mississippi; Mark E. Dean (1957, l’un des inventeurs
de l’ordinateur personnel). La musique n’est pas oublié avec Grant Green, le
guitariste dont le sens mélodique est pour beaucoup dans l’esthétique de Blue
Note (époque Alfred Lion-Francis Wolff), et le polyvalent Sammy Davis, Jr. est
gratifié de GOAT (Greatest of All Time) pour ses talents multidimensionnels, y
compris dans le cadre de la lutte pour l’émancipation.
Au-delà
de Martin Luther King, qui fait partie –pour les Afro-Américains et ils ont
raison– des pères fondateurs des Etats-Unis, au même titre que Washington,
Jefferson, Franklin, Lincoln, ce genre d’hommage à des membres célèbres de la
société civile afro-américaine est fréquent dans ce monde américain plus ségrégué
que jamais en 2017, où toutes les communautés, mêmes les natives (les
Amérindiens), ont besoin de se sentir exister à côté de «l’aristocratie» supposée
des Euro-Américains, et entre elles. Même la pauvreté y est redevenue une cause
de ségrégation majeure et être une femme reste, comme toujours et partout, la
cause de ségrégation la plus répandue. Les
titres choisis pour cette galerie de portraits musicale sont évocateurs. La
musique est de haut niveau pour cet album composé en totalité par Bobby Watson,
à l’exception d’un titre de Curtis Lundy, un de Stephen Scott et d’un standard
très particulier que chanta d’ailleurs Sammy Davis, Jr. et dont le premier
couplet dit justement:
«Whether
I'm right or whether I'm wrong
Whether I find a place in this
world or never belong
I gotta be me, I've gotta be
me
What else can I be but what I
am»
Le
message de ce disque, sous la forme d’un bel album d’une excellente musique, est
donc on ne peut plus clair. Il prolonge celui de Louis Armstrong, Duke
Ellington, Ella Fitzgerald (qui chanta aussi ce thème), Billie Holiday, Charlie
Parker, Dizzy Gillespie, Max Roach, Mahalia Jackson, Ray Charles («Georgia»),
Charles Mingus, John Coltrane pour ne parler que des plus célèbres. C’est aussi
à ce point très précis, et pas si fréquent, qu’on discerne avec une
certaine évidence ce qui est de l’art et
du jazz de ce qui n’en est pas. C’est toujours le révélateur, le marqueur
absolu. Les artifices, même techniquement sophistiqués, ne peuvent jamais se
substituer à cette sublimation indispensable de la condition humaine. Bobby
Watson, en bon disciple du grand Art Blakey, nous rappelle le message avec sa
modestie habituelle.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Heads of State
Four in One
Four in One, And He Called Himself a Messenger, Dance
Cadaverous, Moose the Mooche, Aloysius, The Day You Said Goodbye, Milestones,
Keep the Master in Mind, Someone to Watch Over Me, Sippin' at Bells, Freedom
Jazz Dance
Gary Bartz (as), Larry Willis (p), David Williams (b), Al
Foster (dm)
Enregistré le 1er novembre 2016, New York
Durée: 1h 12' 15''
Smoke Sessions Records 1702 (www.smokesessionsrecords.com)
D’une telle formation, on attend le meilleur du jazz. Et la
conception de ce disque n’échappe pas à l’idée d’anthologie, autant par le all-stars
réuni que par le choix des thèmes, très étudié. Ces quatre musiciens sont sans
doute aujourd’hui de second plan en matière de notoriété. Et pourtant, ils sont
de premier ordre en matière de jazz. Ils mériteraient d’être en haut des
affiches de nos scènes festivalières de jazz. Ils sont l’essence du jazz,
chacun sur leur instrument.
Dans ce disque, chacun apporte une composition. Les autres
thèmes sont de la plume de Thelonious Monk, Wayne Shorter, Charlie Parker, John
Lewis, Miles Davis, Eddie Harris et des frères Gershwin. Rien n’est donc laissé
au hasard, et la musique d’une précision presque académique, s’il pouvait
exister une académie libre de sa création et culturellement ancrée. C’est
simplement parfait, sans effet, simplement direct et évident: du jazz et du
meilleur par des artistes. Ces musiciens ont tous fait une carrière exceptionnelle, et
on vous renvoie à vos Jazz Hot pour
en faire le tour; c’est en fait le tour des formations du jazz parmi les
meilleures apparues depuis les années 1960. Ils continuent d’inventer une belle
musique qui ne surprendra pas parce qu’ils sont des classiques: Gary Bartz est
passionnant sur le second thème de sa composition, comme Larry Willis est
magnifique sur la sienne, Al Foster aérien dans son «Aloysius» et David
Williams a apporté une splendide valse jazzée «Keep the Master in Mind» qui
aurait pu servir de titre à cet album construit jusqu’au plus petit détail.
Mais tous les thèmes sont servis avec un égal souci d’excellence, et ça donne
72 minutes de grande musique de jazz.
Dans la production discographique, ces albums restent
des bornes de beauté et de culture jazz, et ce sont des nouveautés de 2017.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Eric Bibb
Migrations Blues
Refugee Moan, Delta Getaway, Diego’s Blues, Praying for
Shore°, Migration Blues, Four Years, No Rain, We Have to Move, Masters of War,
Brotherly Love, La Vie c’est comme un oignon,With a Dolla’ in My Pocket*, This Lnad Is Your Land, Postcard From
Booker, Blacktop, Mornin’ Train°°
Eric Bibb (g, bjo, b, voc), Michael Jerome Browne (g, voc,
bjo, mandolin, triangle), Jean Jacques Milteua (hca), Olle Linder (dm, perc, b*),
Big Daddy Wilson (voc)°, Ulrika Bibb (voc)°°
Enregistré à Sherbrooke (Québec), date non précisée
Durée: 48' 05''
Dixiefrog 8795 (www.bluesweb.com)
Eric Bibb
The Happiest Man in the World
The Happiest Man in the World, Toolin’ Down the Road, I’ll
Farm for You, Tassin’ and Turnin’, Creole Café, Born to Be Your Man, Perison of Time, King Size Bed, On the Porch,
Skiing Disaster, Tell Ol’ Bill, Wish I Could Hold You Now, Blueberry Boy, You
Really Got Me
Eric Bibb (g, bjo, voc), Danny Thompson (b), Olli Haavisto (pedal
steel, g), Petri Hakala (mandolin, fiddle, g), Michael Jerome Browne (g), Janne Haavisto (dm, perc), Ulrika Ponten Bibb
(voc), Mary Murphy (Irish whistle), Pepe Aldqvist (hca)
Enregistré à Norfolk (Royaume-Uni), date non précisée
Durée: 48' 13''
Dixiefrog 8790 (www.bluesweb.com)
Eric Bibb
Guitar Tab Songbook. Vol. 1
Champagne Habits, Come Back Baby, Connected, Don’t Ever Let
Nobody Drag Your Spirit Down, Goin’ Down Slow, In my Father’s House, Needed
Time, On my Way to Bamako, Saucer 'n' Cup
Eric Bibb (g)
Enregistré les 17 et 18 Mai 2014, à Paris
Durée: 1h13'
Dixiefrog 8778 (www.bluesweb.com)
Voici trois jolies galettes d’Eric Bibb à se mettre sous le coin de l’oreille. Le
bluesman continue sa mission de mettre en avant un idiome qui n’en finit plus
de se renouveler. Migration Blues est un album tout en délicatesse qui aborde
une question d’actualité: celle des réfugiés. C’est d’ailleurs «Refugee Moan»,
qui ouvre ce CD et le propos de cette chanson aurait pu être le même il y a un
siècle, quand les grandes migrations jetaient sur les routes des milliers d’Afro-Américains
fuyant la misère. Le bluesman fait en tous cas clairement le lien entre ces
deux tragédies. Sa voix envoutante transmet
de profonds frissons («Brotherly Love»). Quand il ne chante pas, il
cède à la place à ses amis pour lui tenir compagnie. Ainsi, Michael Jerome
Browne se met en lumière avec sa mandoline sur «With a Dolla’ in my
Pocket», tandis que Jean Jacques Milteau, présent aussi pour l’occasion,
fait apprécier la qualité de son phrasé en jouant très en retrait sur «Prayin’ for
Shore». Big Dadddy Wilson fait entendre sa voix soft et profonde sur
«Prayin for Shore» et Ulrika
Bibb en accompagnement de «Mornin’ Train».
Changement de décor avecThe
Happiest Man in the World. Cet opus est construit sur la base de souvenirs partagés avec les frères
Haavisto: Janne (dm) et Olli (guitare Dobro), rencontrés à Helsinki alors
que Bibb y résidait. Ensemble, ils ont mis en commun leur vécu, notamment sur
la route. Un être central est apparu dans leurs dialogues en la personne de
Danny Thompson. Il n’en fallait pas plus pour se fixer un challenge: enregistrer
avec ce légendaire contrebassiste, ce qui fait d’Eric Bibb «l’homme le
plus heureux du monde». La couleur générale de ce disque est proche
de celle de Migration Blues. La voix
du guitariste est toujours aussi douce et feutrée pour exposer des thèmes
souvent langoureux («Creole café»). Les sonorités acoustiques vous
pénètrent, pour vous faire apprécier la beauté de la ruralité («I’ll Farm
for You») ou pour parler d’amour, encore, mais n’est-ce pas la vocation
première du blues («Born to Be Your man»)? «1912 Skiing
Disaster» est dédiée aux fans de la six-cordes, tellement cette pièce est
merveilleuse à savourer. Si on retrouve
une certaine linéarité dans la douceur de cette production, Bibb parvient aussi
à la faire décoller légèrement en usant d’artifices naturels avec le soutien
épais de Danny Thompson (b) et Olli Haavisto (pedal steel) pour
«Blueberry Boy». En bonus, Eric Bibb offre une chanson des Kinks
(«You Really Got Me»), une totale originalité dans ce paysage
paisible et fruité des guitares et autres instruments acoustiques, dont celui
de Pepe Ahlqvist (hca).
Enfin, pour les mordus d’Eric
Bibb, un pack CD-DVD-CD Rom propose de s’entrainer à jouer sa musique. Le CD
comprend neuf morceaux avec à chaque fois un exposé à la guitare puis avec la
voix. On retrouve des classiques de ce troubadour comme «In my Father’s House»,
«Champagne Habits» ou «Connected». Avec cette troisième
production, Eric Bibb ajoute une autre dimension à son travail de valorisation
du blues. Un bel acte de foi.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Bruno Schorp
Into the World
Into the
World, Mister K, Le Lien, A nos parents, Katmandou, A Noite, I Heard About a
Thing in You, Travessia, Louise
Bruno Schorp
(b), Christophe Panzani (ss, bcl) Leonardo Montana (p, fender), Gautier
Garrigue (dm) + Nelson Veras (g), Charlotte Wassy (voc)
Enregistré en
2015, Poitiers (86)
Durée: 42'
Shed Music
006 (Absilone)
La belle quarantaine, Bruno Schorp a choisi sa fidèle
équipe pour nous livrer un troisième album en leader très imprégné de son vécu
et de ses inspirations. A part deux titres d’évocation brésilienne -«Travessia»
de Milton Nascimento, bien revisitée, et «A Noite», signé par le pianiste Leonardo
Montana (qui a grandi au Brésil)-, il est l’auteur de la totalité des compositions. Les morceaux assez sombres peuvent paraître un peu monotones, mais il
faut se laisser envelopper par l'atmosphère du disque pour en apprécier le nectar.
Chaque thème est bien exposé, soutenu par un batteur original où le dialogue
laisse place au jeu de tous les solistes. Christophe Panzani, très présent,
apporte sa solitude contribution, surtout au soprano, quant à Leonardo Montana,
ses courts solos imprègnent de sa légèreté et brillance la tonalité de l’album.
Nelson Veras, sur «Le Lien», exprime tout son savoir-faire avec élégance. D’une
maîtrise parfaite et d’une solidité sans faille, Bruno Schorp sait échapper aux
longs solos plombant pour se mettre entièrement au service de sa musique. Le
final «Louise», sans doute dédiée à un amour passé ou présent, avec une délicatesse
distillée par le Fender Rhodes, nous invite à une méditation de courte durée. Un
album où le temps s’écoule trop vite. Remarqué aux côtés de vétérans tels qu’Aldo
Romano, il joue actuellement dans les groupes de Jean-Pierre Como, d’Eric Séva,
dans le Christophe Panzani Large Ensemble et avec Vincent Peirani.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Jean-Marie Carniel Trio
This I Dig You
This I Dig You, Witch Hunt, The Peacocks, All of You, I Hear
a Rhapsody, Jardin d’hiver, I Remember Boris, Yesterdays
Jean-Marie Carniel (b), Denis Césaro (p), Cédrick Bec
(dm)
Enregistré les 20 et 21 décembre 2016, Fuveau (13)
Durée: 52'
Autoproduit MMCD01/1 (jmcarniel@aol.com)
Le contrebassiste toulonnais, Jean-Marie Carniel, qui depuis
des années soutien de sa rythmique impeccable de nombreux groupes, a décidé de
signer un opus plus personnel. Le titre éponyme de l’album vient d’Hank Mobley
qui introduit un répertoire choisi au sein de standards de Gershwin à Cole
Porter… mais aussi de thèmes plus rarement repris tels «Witch Hunt» de Wayne Shorter
ou «The Peacoks» signé par Jimmy Rowles. Un disque délicat qui met en valeur la
technique subtile de musiciens de haut niveau: le déjà vétéran pianiste Denis
Césaro, hélas trop absent en leader, et l’encore jeune batteur (très sollicité) Cédrick Bec. Revisitant la
chanson contemporaine française il s’empare de «Jardin d’Hiver» de Benjamin
Biolay, qu’Henri Salvador interprété, pour en extraire une belle version
romantique. Les doigts du pianiste caressent un thème qui se révèle
parfaitement adapté à une ballade nostalgique jazz et Jean-Marie Carniel nous
offre une traversée solitaire empli d’émotion. Seul titre original, signé par
le leader, «I Remember Boris», peut-être dédié à Vian, poursuit un répertoire
nostalgique dans son introduction, servie a perfection par le jeu du pianiste,
pour ensuite se lancer dans une belle sarabande maîtrisée. L’album se conclut
sur «Yesterdays» de Jerome Kern qui poursuit un dialogue de vieux
complices de pianiste et contrebassiste démarré il y a déjà bien des années et
qui a fait le bonheur de groupes sudistes. Un album dans une juste durée qui
laisse écouler le temps nécessaire à apprécier un beau répertoire bien
interprété.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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André Villéger / Philippe Milanta / Thomas Bramerie
Strictly Strayhorn
Low Key Lightly, Satin Doll, Lotus Blossom, Cap Strayhorn,
Lush Life, Johnny Come Lately, Exquise, Boo-Dah, My Little Brown Book, Smada,
Multi-colored Blue, Passion Flower, Blood Count
André Villéger (ts, ss, bar, bcl), Philippe Milanta (p),
Thomas Bramerie (b)
Enregistré les 12-13 octobre 2016, Meudon (78)
Durée: 1h 09' 05''
Camille Productions MS012017 (Socadisc)
Même si tout n’est pas indispensable dans ce disque, il y a
d’abord l’idée indispensable de faire vivre un répertoire d’une beauté sans
égale, celui du grand Billy Strayhorn, en respectant l’auteur. Comme il s’agit
d’un pianiste, compositeur, arrangeur, et que dans notre trio se trouve un autre
indispensable de l’instrument, Philippe Milanta, voici au moins deux raisons pertinentes de distinguer ce disque; elles ne sont pas les seules.
Philippe Milanta a cette qualité rare parmi les musiciens
non afro-américains d’être en mesure d’endosser le répertoire du jazz,
ellingtonien en particulier, et donc aussi celui de Billy Strayhorn qui en fut l’une
des plus belles couleurs. Il possède cette musique de l’intérieur, body and soul, et son excellence
pianistique n’explique pas tout dans la magie qui pointe au bout des dix doigts
de ce pianiste hors norme: il maîtrise en fait les codes intimes de cette
musique, le blues, le swing bien entendu, mais aussi cette maturité artistique
qui fait que chez lui la reprise d’un répertoire n’est pas une exécution mais
une appropriation, une véritable réinvention. C’est particulièrement sensible
dans cet enregistrement, non que ses compagnons ne soient pas remarquables, ils
le sont, mais parce que Philippe survole littéralement ce répertoire depuis l'Eden musical auquel n’accèdent
que les plus talentueux du jazz (assez nombreux, notamment en matière
pianistique, car le jazz est une musique très généreuse en artistes
d’exception). Sa composition «Exquise» rejoint l’excellence du grand
compositeur mis à l’honneur dans ce disque. Pour illustrer ces propos, il y a
mille exemples dans ce disque comme l’intro' de «Smada», «Lush Life», «Passion
Flower», mais en fait, il serait plus simple et plus exact de dire que Philippe
est dans l’âge d’or de son expression et toutes ses interventions sont
indispensables: du grand art!
André Villéger continue de (se) régaler dans le jazz, et il
le fait en savant, avec le bon goût de la grande culture qu’il possède, plus
expressif à notre sens au ténor, où son beau son feutré fait merveille («Low Key
Lightly», «Satin Doll», «Smada», «Multi-colored Blue»…) que sur ses
autres instruments plus coloristes qu’expressifs. Il reste aussi plus rivé au
texte, très beau il vrai dans son épure, alors que Philippe le développe,
l’enrichit. Thomas Bramerie se joint avec ses qualités de bassiste
accompli, parfois discret, à cette paire d’artistes de haut vol déjà si
complices depuis de nombreuses années, car, c’est à relever, cet enregistrement
fait partie d’une série commencée en 1999, consacrée à l’univers ellingtonien (Duke Ellington and Billy
Strayhorn’s Sound of Love, 1999, Jazz aux Remparts, cf. Jazz Hot, n°569, et For Duke and Paul, Camille
Productions, 2015, cf. Jazz Hot n°673) que Michel Stochitch a la grande idée de perpétuer sur son excellent
label, Camille Productions, dans ces petites configurations si belles et si
libres quand les artistes savent peupler l’espace comme ici.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Laure Donnat
Afro Blue
Afro Blue, Summertime, September Song, That’s All, Do
Nothing Till You Hear From Me, ‘Round Midnight, You Go to My Head, I’M Old
Fashioned, Dat Dere, Alfonsina y el Mar, Old Devil Moon
Laure Donnat (voc), Sébastien Germain (p), Lilian Bencini
(b), Frédéric Pasqua (dm)
Enregistrée en juin 2016, Pernes les Fontaines (84)
Durée: 1h
Aneto 1604 (www.anetomusic.com)
Si le début de sa notoriété commence avec sa
participation à l’ONJ en 2000, sous la direction de Paolo Damiani, la chanteuse
Laure Donnat mène une riche carrière qui échappe encore à la médiatisation et
la reconnaissance nationale qu’elle mérite. Avec cet album, espérons que les
programmateurs et journalistes ouvriront un peu plus leurs oreilles qui restent
trop bouchées quand il s’agit d’artistes qui ont décidé de vivre loin de Paris.
Son parcours a croisé les hommages à Hendrix et Police menés par le guitariste
Rémi Charmasson, mais aussi des parcours plus improvisés aux côtés de Raymond
Boni ou René Botlang. Au-delà des genres, sa voix s’est affirmée dans des
projets personnels vers la musique africaine avec Tamalalou ou des vibrants hommages au Brésil métissé et énergique
avec Rio-Mandingue et Brasil Project. Mais c’est sans aucun doute dans les
traces du jazz qu’elle exprime au mieux sa passion. Elle dirige ses propres
formations, son quintet, le Trio Mémoires, le JaZzMin Quartet ou encore le magnifique duo Billie’s Blues avec le contrebassiste
Lilian Bencini, (album Billie’s Blues, 2010, autoproduction).
Après Le Temps d’Agir et Straight
Ahead, elle signe avec Afro Blue son troisième album et abandonne son répertoire de compositions personnelles
pour un répertoire de standards revisités. Elle ose reprendre en introduction «Afro
Blue» dont la superbe version d’Abbey
Lincoln marque encore la mémoire; pari réussi mais qui mériterait un peu plus
de folie dans l’improvisation des musiciens,laquelle doit sans doute être bien plus vibrante sur scène. Les titres de
Georges Gershwin, Kurt Weil, Duke Ellington, Jerome Kern, etc., qui ont été
maintes fois repris, sont ici bien illustrés et avec des versions intéressantes.
Les arrangements sont signés de Lilian Bencini qui depuis des années apporte sa
précieuse collaboration à la chanteuse qui mène son équipe avec un grand professionnalisme.
Fred Pasqua, comme d’habitude, assure un soutien parfait et si l’on regrette le
manque de fureur de Sébastien Germain, il tient à merveille sa place. Les trois
derniers titres sont tirés d’un répertoire plus original: «Dat Dere» est
signé par Bobby Timmons et Oscar Brown qui l’a créé, puis repris par Sheila
Jordan entre autres; «Alfonsina y el Mar» a été chanté par Mercedes Sosa,
Maurane ou encore Shakira; «Old Devil Moon», rendu célèbre par Frank
Sinatra ou Chet Baker; ces trois compositions connaissent ainsi un
traitement qui ne démérite pas des versions originales. Un album et un groupe
plus qu’intéressant à découvrir.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Cécile McLorin Salvant
Dreams and Daggers
Part 1: And Yet°, Devil May Care,
Mad About the Boy, Sam Jones' Blues, More°, Never Will I Marry, Somehow I Never
Could Believe, If a Girl Isn't Pretty, Red Instead°, Runnin' Wild, The Best Thing
For You (Would Be Me); Part 2: You're My Thrill°, I Didn't Know What Time It
Was, Tell Me What They're Saying Can't Be True, Nothing Like You, You've Got to
Give Me Some*, The Worm°, My Man's Gone Now, Let's Face the Music and Dance, Si
J'étais Blanche, Fascination°, Wild Women Don't Have the Blues, You're Getting
to Be a Habit With Me
Cécile McLorin Salvant (voc),
Aaron Diehl (p), Paul Sikivie (b), Lawrence Leathers (dm), Sullivan Fortner
(p)*, Catalyst Quartet: Karla Donehew Perez (vln), Suliman Tekkali (vln),
Paul Laraia (avln), Karlos Rodriguez (cello)°
Enregistré les 9, 10, 11
septembre 2016 et le 13 décembre 2016, New York
Durée: 47' 39'' + 1h 04' 21''
Mack Avenue 1120 (www.mackavenue.com)
Remarquable personnalité et
splendide enregistrement –en partie live au Village Vanguard, l’autre partie en
studio au DiMenna Center for Classical Music, avec un quartet à cordes– voilà les
remarques qui peuvent résumer l’impression profonde laissé par ce double album
qui ponctue de la plus belle des manières le début de carrière de Cécile
McLorin Salvant, car la chanteuse est maintenant dans le gotha des artistes de
jazz. Cécile a sidéré la scène du jazz en élevant sans concession et sans
complexe l’art vocal à un niveau artistique atteint seulement par quelques
chanteuses de l’âge d’or du jazz; d’un autre temps donc. Cécile McLorin Salvant est de son
temps, et ne fait pas dans la recette, la mode, le fac simile ou la reprise.
Cultivée, curieuse, intelligente, miraculeusement enracinée dans le jazz en
dépit d’une culture franco-américano-caribéenne qui aurait pu provoquer une
recherche sans fin d’une identité artistique, elle est parvenue en très peu de
temps à une synthèse artistique et à une expression d’une maturité qui lui
ressemble: joyeuse, contestatrice, directe et originale, douée d’humour et de
finesse, et qui rassemble tous les fils d’une histoire personnelle étonnante dans
le cadre de l’histoire du jazz. Sa culture en matière de musique
classique, comme ses capacités virtuoses en matière vocale, n’ont pas non plus
déterminé les habituelles rigidités de l’enseignement académique. Comme pour les
grands artistes du jazz, la forte personnalité naturelle et la culture ont
distillé l’apprentissage pour le mettre avec naturel au service d’un projet
expressif enraciné dans le grand récit collectif du jazz.
La culture et la curiosité de
Cécile McLorin Salvant lui font choisir un répertoire toujours très original,
personnel dans sa thématique: standards (Gershwin, Berlin…) ou jazz (Bob
Dorought, les beaux «Nothing Like You», «Devil May Care»), traditionnels et
originaux (d’elle-même, de Paul Sikivie), chanson française ou poèmes de
Langston Hugues mis en musique par Kurt Weil ou par elle-même… Culture et curiosité qui lui font
aussi embrasser l’ensemble stylistique du jazz sans a priori d’époque ou de
mode, mettant toujours le blues, le swing et l’expression au cœur de sa musique.
Elle s’approprie sans préjugé le répertoire très blues des premières vocalistes
(«You've Got to Give Me Some», Bessie Smith, 1928, avec l’excellent Sullivan
Fortner, «Wild Women Don't Have the Blues», Ida Cox, 1924) aussi bien que celui
de Gershwin, Billie Holiday («You’re My Thrill»), Dinah Washington («Mad About
the Boy»), Joséphine Baker («Si j’étais blanche») et parfois Damia (pas ici
mais à Marciac, cet été 2017), n’hésitant jamais à le prolonger par ses propres
compositions ou celles des musiciens de son groupe. Elle possède la familiarité
naturelle avec le monde classique pour faire de la partie avec le quartet à
cordes de magnifiques moments de musique («More»), de poésie baroque par les
arrangements («Fascination») et de jazz («You're My Thrill», splendide!). Exercice
de maturité, la rencontre des cordes et du jazz n’est jamais évidente. Cécile
en joue avec naturel avec de bons arrangements sans perdre une once
d’authenticité. Son égale et parfaite maîtrise du
français et de l’anglais enfin donne à ses interprétations dans les deux
langues cette aisance dans l’expression qui vient du naturel de la culture
native.
Elle a trouvé avec l’assurance de
la grande artiste, musicienne et instrumentiste, une formation qui correspond
parfaitement à son projet: Aaron Diehl, leader d’un excellent trio, est un
pianiste dont l’étendue du talent («Let’s Face the Music and Dance») et l’art
de l’accompagnement («Si j’étais blanche», «Wild Women Don't Have the Blues»)
est un idéal pour Cécile McLorin Salvant; Paul Sikivie, bon contrebassiste, est
l’auteur de nombre d’arrangements et de certaines compositions, sa complicité
avec Cécile fait merveille («You're Getting to Be a Habit With Me»); Lawrence
Leathers est très musical, parfaitement à l’écoute, subtil. L’accueil du public, perceptible
sur cet enregistrement en live, dit
assez la fascination qu’elle exerce sur son auditoire, et les réactions qu’elle
provoque de tous les publics. Cet enregistrement prend en live une dimension particulière, car sa voix est le plus bel
instrument à ce degré de vérité expressive, un vrai miracle du jazz!
Enfin, ce disque est une étape importante, sans doute
le premier de Cécile McLorin Salvant à rassembler autant d’éléments
caractéristiques de sa personnalité aussi affirmée que complexe, le premier à synthétiser
aussi clairement ses choix artistiques: ils sont en tous points parfaits.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Jazz at Lincoln Center Orchestra
The Music of John Lewis
2 Degrees East, 3 Degrees West**, Animal Dance**, Django,
Delaunay's Dilemma, La Cantatrice*, Piazza Navona*, Pulcinella*, Spanish Steps*,
Two Bass Hit
Wynton Marsalis (tp), Jon Batiste (p), Chris Crenshaw (tb, dir),
Sherman Irby, Ted Nash (as), Victor Goines (ts, cl), Walter Blanding (ts), Paul
Nedzela (bar), Ryan Kisor, Kenny Rampton, Tim Hagans (tp), Vincent Gardner,
Elliot Mason (tb), Carlos Henriquez (b), Ali Jackson (dm) + Howard Johnson
(tu)*, Doug Wamble (g)**
Enregistré le 19 janvier 2013, New York
Durée: 51' 31''
Blue Engine Records 0008 (www.jazz.org/blueengine)
En se dotant de son propre label, Blue Engine Records, Jazz at Lincoln
Center a ajouté une nouvelle dimension à son activité. Certes, les concerts du
Lincoln Center Jazz Orchestra de Wynton Marsalis ont déjà laissé des traces
discographiques (chez Columbia, EmArcy), mais on peut parier que ce nouveau
label, entièrement dédié au JLCO, à ses solistes, voire à quelques familiers de
JALC, va permettre une large mise à disposition des enregistrements live de ce
fabuleux orchestre (il en a des dizaines en réserve), lequel, plusieurs fois
par an, présente des programmes thématiques, souvent autour d’un musicien appartenant
à la grande Histoire du jazz. Le présent enregistrement, sorti au printemps de
cette année, a été réalisé en 2013 dans le Frederick P. Rose Hall du Lincoln
Center. Il est consacré à John Lewis, artisan d’un bebop sophistiqué qui, tout
en jetant un pont avec la musique classique européenne, est resté fermement
enraciné dans le jazz, ne cessant jamais d’être autre chose qu’un immense
jazzman. Pour rendre hommage au pianiste du Modern Jazz Quartet, le big band de
Wynton Marsalis avait invité le jeune prodige louisianais, Jon Batiste, qui, à
30 ans à peine (26 ans à l’époque du concert), a derrière lui une carrière déjà
longue et bien remplie.
Neuf compositions de John Lewis sont l’objet de ce disque. Six sont
tirés de deux albums du Modern Jazz Quartet (Django, Prestige, 1953-55, et The
Comedy, Atlantic, 1960-62), «Two Bass Hit» fut d’abord enregistrée par le
big band de Dizzy Gillespie, tandis que les deux titres restant appartiennent à
la discographie en leader de John Lewis. Ce sont d’ailleurs ces deux morceaux
qui ouvrent le disque. En premier lieu, «2 Degrees East, 3 Degrees West» (Grand Encounter, Pacific Jazz, 1956) est
introduit par un solo de Victor Goines (cl), soutenu par la guitare bluesy de
Doug Wamble et les baguettes d’Ali Jackson. Quel swing! Avec peu de moyens (le
grand orchestre n’est pas encore entré dans la danse), nous voilà déjà pris par
la fièvre. Jon Batiste prend le relais simplement en trio et porte d’emblée
l’art du jazz au plus haut. Changement d’ambiance avec «Animal Dance» (Animal Dance, Atlantic, 1962) dominés
par les cuivres rugissant du big band. La pièce suivante, «Django»,
chef-d’œuvre de John Lewis (et certainement l’une des ballades les plus belles
du jazz) est interprétée en solo par Jon Batiste qui, étirant la mélodie en des
circonvolutions surprenantes (la «surprise» étant l’essence du jazz pour John
Lewis, voir Jazz Hot n° Spécial
2001), dessine son propre chemin, rappelant la virtuosité créatrice d’un Marcus
Roberts. Le résultat est tout simplement somptueux. Suit logiquement «Delaunay's
Dilemma». Le choix de ce morceau dans la set-list ne doit sans doute rien au
hasard (cf. l’intervention de Wynton à Jazz in Marciac en août dernier). On
retrouve le ton badin de l’original, la trompette du directeur de JALC ayant remplacée
le vibraphone de Milt Jackson. C’est l’occasion d’un solo brillant, précédant les
interventions non moins réjouissantes de Ted Nash (as) et de Chris Crenshaw
(tb). Les quatre titres suivants proviennent tous de The Comedy, album particulièrement représentatif de la «third steam» incarnée par le MJQ. Le big
band confère évidemment à ces pièces une dimension orchestrale et met en
exergue l’influence ellingtonienne du compositeur John Lewis (en particulier
sur «Piazza Navona»). Parmi les détails
savoureux à retenir de cette adaptation, le clin d’œil à New Orleans sur
«Pulcinella»: en quelques mesures, Jon Batiste nous transporte de la commedia dell’arte au Preservation Hall!
Le final gillespien, «Two Bass It» est intense, concluant cet hommage dans l’excellence
propre au JALC. Un disque très élaboré (avec un livret proposant des
informations détaillées ainsi qu’un texte sur John Lewis signé de Jon Batiste)
dont on découvre les richesses et les subtilités à chaque nouvelle écoute.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Sébastien Iep Arruti / Craig Klein
Got Bone?
This
Could Be the Start of Something Big*, If I Could Hug You, New Orleans, I've
Never Been in Love Before, Drop Me Off in Harlem, Avalon, Zergatik Ez Esan,
Slide By Slide, Come Sunday*, Cheek to Cheek, Naima
Craig
Klein, Sébastien Iep Arruti (tb), Jean-Marc Montaut (p), Sebastien Girardot
(b), Guillaume Nouaux (dm) + Fidel Fourneyron*, Gaëtan Martin (tb)*
Enregistré
les 1er et 2 septembre 2008, lieu non précisé
Durée
: 42' 35''
Autoproduit
IEP 2 (endaiako@gmail.com)
Nous avons là un disque
réjouissant, indispensable aux amoureux du swing et/ou du trombone. D'autant
plus que Craig Klein n'a pas, malgré son talent, une discographie pléthorique.
Le programme est très bien conçu, alternant les climats. Les deux quatuors de
trombones sont parfaits: «This Could Be the Start» (pas besoin d'être long
pour être bon) et «Come Sunday» (bel arrangement ; pas de solo). Craig Klein
est le compositeur de «If I Could Hug You», un thème simple donc
efficace. Sur un drumming de parade (évidemment impeccable avec Guillaume
Nouaux), il est exposé par Craig (avec contre-chants de Sébastien Arruti), puis
il chante plaisamment. Sebastien Girardot y prend un superbe solo en slap.
Roulements très New Orleans de Guillaume Nouaux dans «New Orleans»
(court). Même parfum New Orleans dans «Avalon» (solo solide avec
growl de Craig Klein). Guillaume Nouaux prend un solo dans «Slide by
Slide» (tempo vif, avec solo virtuose d'Arruti, suivi de Klein
admirablement soutenu par Girardot) et dans «Naima» (belle
introduction de piano, caractère vocal du solo d'Arruti avec plunger). Montaut
prend un bon solo low down dans «Cheek to Cheek» sur les lignes de
basse de classe de Girardot (Craig Klein expose le thème avec les contre-chants
de Sébastien Arruti). Craig Klein a la solidité qui va au caractère funky de «I've
Never Been in Love Before». Indiscutablement, un CD plus intéressant que
l'avalanche des "trucs" médiatisés.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Gérard Naulet
Viaje a la amistad
Guajirando, Danzón para dos
corazones, Arriba mi montuno, Alena, Astorias, Tu mi delirio, Descarga para
dos, Obsesión, Decídete (Dejala que siga andando), Rive gauche, Ronda, Talking
to Simone
Gérard Naulet
(p), Orlando Maraca Valle (fl, dir, arr), Orlando Poleo (perc), Simon
Ville-Renon (perc/timbales), Felipe Cabrera/Felix Toca/Jean-Michel Charbonel
(b), Philippe Slominski/Tony Russo (tp), Irving Acao (ts)
Enregistré du 6 au 10 octobre 2015,
Forges-les-Eaux (76)
Durée: 1h 09' 07''
Adlib GN 20151 (Outhere)
Au fil des douze morceaux dont quatre
standards cubains et huit compositions originales des trois mousquetaires, la
rigueur de la structure rythmique solide soutient l’élégance des phrasés et
permet toutes les libertés de la convivialité et de la connivence entre ces amigos. Pour fêter leurs vingt ans de
voyage (cf interview de Gérard Naulet dans ce Jazz Hot n°681), Gérard Naulet et
«ses deux Orlando» nous offrent la fluidité et l’évidence de leur conversation.
La souplesse et le moelleux des thèmes nous invitent dans leur confortable
complicité; les clins d’œil et surprises percussifs nous ressourcent et
stimulent la curiosité; la générosité de leur latin jazz est le fruit de leur perceptible et authentique amistad: Gérard, entre jazz et Cuba,
Maraca, entre Paris et Cuba, et Orlando Poleo, le Mage Yoruba partout chez lui, devaient
se rencontrer; par-delà les océans et leurs parcours.
Embarquons:
«Guajirando» de José Fajardo, introduit avec le tumbao (rythme) piano/percussions, force voix et la flûte enchantée
de Maraca, le feeling tone (perception directe) de Cuba, irréversible, inconditionnel, c’est fini, nous
sommes déjà pris par l’hypnose vaudoue. Avec «Danzón para dos corazones», nous
sommes dans les rues de La Havane, puis sur le Malecón, la mythique promenade
du bord de mer, avec tout le lyrisme dû à sa beauté, jazz dans les couleurs et
cadence des vagues sans fin. «Arriba mi montuno» est une composition d’Orlando
Poleo qui sait tout des Caraïbes et de l’Amérique centrale, entre percussions,
cuivres et voix; un condensé d’authenticité sur la civilisation melting pot du Golfe du Mexique qui
harponne tout amateur de rythme envoûtant et d’atmosphère dense. «Alena»,
d’Orlando Maraca Valle, est dédiée à sa fille. C’est une douce ballade
chaloupée introduite à la contrebasse par Felipe Cabrera, puis balayée par la
brise qui vient de la flûte du Papa et du saxophone d’Irving Acao.
L’arrangement est soigné, c’est celui d’un grand orchestre très intégré, une
belle horloge. Avec «Astorias» (Gérard Naulet), nous voilà repartis faire la
fête, le tour des lieux de musique de la capitale mondiale du cigare et du
rhum, jusqu’à la fin de la nuit, entre phrasé jazz des chorus et danses latines
dans la respiration du tempo. «Tu mi delirio» de Cesar Portillo de la Luz,
c’est la mélancolie du crépuscule avec le vibrato de Maraca et le contre-chant
de Gérard Naulet très syncopé, une vraie déclaration d’amour poétique et
lumineuse, une séance de charme à deux. «Descarga para dos» (Gérard Naulet)
fait penser à la frénésie des grandes villes, chacun affairé sur ses riffs et
pourtant tous synchronisés grâce au rythme inflexible des percussions.
«Obsesión» de Pedro Flores nous offre dans l’introduction une halte alanguie et
réflexive après l’agitation, puis le tumbao revient, plus métronomique que
jamais, inflexible, sur lequel Philippe Slominski développe un beau chant triste
à la trompette. Mais déjà «Decídete» (Dejala que siga andando) de José Antonio
Méndez-Reinaldo Bolagnos, nous ramène à la gaîté de la boite à rythme
ensoleillée, entre perçu, piano, flûte, voix, saxo et trompette, une effervescence
vivfiante. «Rive gauche» (Gérard Naulet) évoque le charme de la Place
Furstenberg et de ses illustres fantômes du jazz, en duo avec la contrebasse de
Jean-Michel Charbonel. «Ronda» (Gérard Naulet) nous renvoie dans le tourbillon
implacable du quotidien avec une belle maestria des deux percussionnistes. Dans
«Talking to Simone», Gérard Naulet nous parle de ses papotages avec Simone
Ginibre, Madame Grande Parade du Jazz de
Nice, de leurs années de complicité, de rires, de potins, de vitalité, de
confidences, entre jazz, latin, jazz latin et latin jazz.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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José Caparros
A Walk in Love
A Walk in Love, Isa, Brooklyn Bridge, Mymou, Nancy (With
the Laughing Face), Barbara, Song for R.C., Tomy
José Caparros (tp), Michael Cheret (as, ts,), Wilhelm
Coppey (p), Brice Berrerd (b), Thierry Larosa (dm)
Enregistré les 16, 17 et 18 octobre 2015, Fuveau (13)
Durée: 45’
Autoproduit JCCD 001 (josecaparros@wanadoo.fr)
Sans prétention mais avec sureté, José Caparros,
trompettiste très actif dans le sud-est de la France, et dont la notoriété a
gagné l’international, propose un nouveau quintet qui tourne à fond. Pour cet
album autoproduit, il signe six compositions originales, inspirées ou dédiées à
ses amis, ses voyages et «Song for R.C.» en hommage à son père,
Roger. Les deux autres titres, reprennent des superbes thèmes de James Van
Heusen, «Nancy (With the Laughing Face)» et «Barbara», orthographiée à la française,
d’Horace Silver. D’entrée on pourrait penser à un groupe de McCoy Tyner à cause
du son du piano et du style mais on s’oriente vite dans un univers proche
d’Horace Silver, d’Art Blakey et tout simplement le sien. Sur «Isa», le pianiste Wilhem Copley marie à souhait l’ébène de ses touches à la sensibilité
de la trompette bouchée pour une ballade plus que poignante. Cette formule du
hard bop revisité, expose parfaitement les nuances et chacun peux s’y exprimer
à souhait, tels les échanges du saxophoniste, Michael Cheret répliquant à José
Caparros sur une rythmique précise et swingante. Les titres en général, assez
cours, autour de cinq minutes donnent les intentions de cet album où alternent
mélodies plutôt lentes et tempos accélérés. Pour l’avoir écouté maintes fois en
concert, je connaissais les qualités de José Caparros mais cet album où il est
parfaitement entouré est vraiment une belle surprise. Certes il ne propose pas
une révolution mais assure dans la tradition du jazz un bon moment dont les
concerts doivent être encore être meilleurs à déguster en live.
Cet album
permet aussi de découvrir des accompagnateurs de haut niveau. Le saxophoniste,
Michael Cherret, a forgé ses armes au CNSM de Paris sous la direction de
François Jeanneau et a joué notamment dans les big bands de Frank Lacy ou d’Antoine
Hervé; il dirige aujourd'hui son propre groupe et a signé en leader un troisième album, Manavérem. Brice Berrerd, et Wilhelm Copley (médaille d’or du Conservatoire
National de Lyon, dirigé par Mario Stantchev) évoluent dans la région Rhône-Alpes
et jouent avec de nombreux groupes lyonnais. Quant à Thierry Larosa, compagnon
de route de José Caparros depuis de longues années, il complète avec son savoir-faire
et une assise parfaite ce brillant attelage. Un seul regret: aucun livret
ne vient détailler ce bel enregistrement dont l’intégralité a été réalisée avec
finesse et sérieux par le pianiste mais aussi ingénieur du son, Lionel Dandine,
dans son «Studio B» à Fuveau.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Jobic Le Masson Trio + Steve Potts
Song
Cervione,
Round Table for Four, Song, Tangle, C, Waldron Well, Brook, Double Dutch Treat,
Idania, Backache, You must think I’m Crazy
Jobic
Le Masson (p), Peter Giron (b), John Betsch (dm) + Steve Potts (as,ss)
Enregistré les 1er et 2 septembre 2015,
Paris
Durée: 1h 08' 31''
Enja 9644-2 (L’Autre Distribution)
Cet album de Jobic Le Masson (qui était à l’honneur
dans notre précédent numéro) est une perle du jazz contemporain, une de ces pépites
pour aficionados autrefois échangées sous le manteau pour ce qu’elles recélaient
de promesses artistiques réservées à un public de connaisseurs. Depuis que
Steve Potts a rejoint le groupe il y a quelques années déjà, le trio devenu
quartet ne cesse d’évoluer et de séduire, aux termes d’une démarche artistique empreinte
d’intégrité et de sincérité, une passion pour la connaissance finalement très conforme
aux valeurs originelles du jazz et du blues. Bien sûr, John Betsch et Steve
Potts ont joué des années durant avec Steve Lacy, ce qui confère une couleur
free jazz à la musique proposée ici,
mais l’hymne à la liberté fondamentalement formulé sur Song va bien au-delà de l’appartenance à un courant formel défini, ou
de l’obligation de maintenir des codes d’appartenance plus ou moins pertinents.
Car c’est à un véritable jeu de pistes que cet album longuement muri nous
convie, chaque pièce évoquant une mosaïque ou un puzzle que l’auditeur aurait
hâte de compléter, à l’instar d’une bonne saga musicale dont le spectateur
attendrait impatiemment le fin mot. Une citation de Steve Lacy accompagne les
notes du livret, mettant l’accent sur l’importance du jeu en groupe au sein
d’une formation durable et non fluctuante. Ce paramètre, encore très courant
pendant l’âge d’or des clubs, où il n’était pas rare de pouvoir écouter chaque
soir le même combo durant une semaine ou plus, est souvent réduit à la portion
congrue aujourd’hui, avec des musiciens fréquemment contraints au rôle de
session man pour survivre au quotidien dans une économie problématique. Rien de
tel, cependant, avec Jobic Le Masson et ses compagnons, qui assurent à leur
musique un ancrage très social, quitte à devoir renoncer à une audience plus large
sacrifiée au profit d’une démarche collective et solidaire qui fait honneur au
jazz en même temps qu’elle sert admirablement leur propos. Des lieux comme Les
Sept Lézards, le Bab’Ilo, ou Les Ateliers du Chaudron, chers au cœur du
pianiste, permettent de par les idéaux communautaires qu’ils promeuvent, le
développement d’affinités électives entre des musiciens dont la cohésion est comme
renforcée par l’amitié, raison pour laquelle l’énorme travail préalable nécessité
par la conception de Song a pu être
concentré sur deux jours lors de l’enregistrement au studio Davout. Autre particularité, chacun des
musiciens sert audiblement la section rythmique, ainsi qu’en témoigne «Cervione»,
avec le groove impitoyable de Peter Giron et sur lequel plane l’ombre de Cecil
Taylor. Sur «Tangle», on réalise pleinement ce qu’apporte Steve
Potts au niveau de la structure interne des titres, tant la composition évolue
sur un fil sans jamais trébucher, ni donner dans l’assonance gratuite.
«Waldron Well» exprime mieux qu’un long discours la dette envers
les grandes figures du jazz, permettant au leader de prendre un chorus très
enraciné, jamais oublieux des qualités rythmiques parfois laissées de côté par
des solistes à succès, et «Double Dutch Treat» génère, par son
caractère incantatoire, une danse de Saint-Guy aux effets fondamentalement très
viraux. Le CD se termine sur une note intime et humoristique avec «You Must Think I’m Crazy». Un disque formidable. Définitivement l’un des "must have" parus ces dernières années.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Yves Brouqui Trio
How Little We Know
How
Little We Know, These Are Soulful Days, Between You and Me, Love Letters, Close
Your Eyes, Lament, Street of Dreams, Blues for PM, Lazy Bird, Something like
Bags, This Is New
Yves
Brouqui (g), Kenji Rabson (b), Joe Strasser (dm)
Enregistré
le 23 mars 2015, Paris
Durée:
1h 08' 39''
Gaya Music
Production 036 (Socadisc)
Yves
Brouqui est un guitariste dont le style montre par l’exemple qu’un classicisme achevé
peut se conjuguer avec une grande modernité, aux termes d’un parcours et d’une
démarche artistique des plus accomplis. Comme le professait René Char, il fait
cortège à ses sources en nourrissant son art des plus grandes références, sans
jamais se les approprier de manière servile, à la manière de certains copistes
obséquieux. Son phrasé très délié charrie tous les matériaux glanés au fil des
nombreuses sessions effectuées en tant que leader ou que sideman, ce qui lui
permet d’appréhender les standards du jazz de façon fluide et naturelle, en y
apposant une patte personnelle devenue synonyme d’évidence. Sa maturité,
désormais éclatante, lui permet d’alterner classiques du genre et compositions
personnelles en les enchainant sans rupture audible. On reconnaît tout au long
du disque cette faconde qui lui est propre sur des hommages rendus aux plus grandes
figures du jazz, et sa maitrise achevée lui permet d’explorer des contrées
musicales loin de se limiter à l’univers de la guitare. Cet œcuménisme était
déjà celui du CD The Music of Horace
Silver qui avait fourni l’alpha et l’oméga d’une versatilité sans cesse
plus prolixe et plus aboutie, et qui, par son dépouillement apparent, portait
déjà la marque d’un sens de l’orchestration spécifique. On peut d’ailleurs aisément
avoir le sentiment que son travail avec des musiciens comme Alain Jean-Marie ou Jacques Pelzer n’est pas étranger au fait
d’avoir pu développer un vocabulaire digne de maîtres tels René Thomas et Django
Reinhardt. Mais Yves Brouqui ne s’est pas contenté de faire ses gammes dans
l’ombre des grands anciens. Collaborant avec des musiciens épris de liberté
comme Steve Potts ou Christian Vander, il
développe sur la scène un art des possibles harmoniques toujours en connexion
avec l’héritage des légendes du jazz. Son séjour à New York,et les sessions du Smalls Jazz Club lui offrent succès
artistique et critique, ainsi qu’en atteste le Live at Smalls, une expérience irremplaçable qui se prolonge dans
la chaleur blanche et l’émulation générées par le club Smoke. A son retour en France, il travaille et enregistre avec Fabien Mary, Laurent Courthaliac, David
Sauzay ou Mourad Benhammou et devient guitariste du «Duc Des Lombards Jazz Affair»,
sous la houlette de Xavier Richardeau,
accompagnant également le saxophoniste Dmitry
Baevsky lors de ses séjours dans la capitale.
Sur How Little We Know, Yves Brouqui met pour
la première fois de sa carrière la formule du trio en lumière, au cœur d’un projet offrant liberté d’expression et interactions
entre les musiciens étendues, qui bousculent le champ du possible en matière d’improvisation. La batterie de Joe Strasser fait ici montre
d’une très grande souplesse, tandis
que la contrebasse de Kenji
Rabson sert le caractère protéiforme du trio en conférant des propriétés
presque félines au tempo, assorti de parties de guitare qui ne dépareraient pas
sur un enregistrement de Grant Green. L’hommage à Wes Montgomery
«Something Like Bags» est de ce point de vue tout à fait
emblématique des possibilités entrevues en détaillant le background du
guitariste, avec ses qualités de précision, de fougue et de brio instrumental
parfaitement dosés. Le travail de six cordes allie sensibilité des bends et un vibrato
tout de tact et de parcimonie, des propriétés heureuses qu’on retrouve également
dans l’univers musical de Jim Hall, avec, peut-être, des tonalités moins
oniriques et plus rondes, quoi que tout aussi subtiles en ce qui concerne les nuances
et le toucher. Le swing est présent tout au long des onze plages du disque, et
les mélodies envahissent l’espace pour ne plus vous quitter («Between You
and Me»). Mention spéciale à «These Are Soulful Days» dont la
mélodie évoque la maestria de Pat Martino, «Lament» dont la beauté originelle
est servie par un sens de la sobriété que n’aurait pas renié Kenny Burrell, et
«Lazy Bird» qui témoigne d’une liberté de traitement très
coltranienne, tout en étant ancré dans une tradition qu’on pourrait qualifier
de bien française, au meilleur sens du mot. Une œuvre phare de la part d’un
musicien désormais au sommet de son art.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Andrea Motis
Emotional Dance
He's Funny That Way, I
Didn't Tell Them Why, Matilda, Chega de Saudade, If You Give Them More Than You
Can, Never Will I Marry, Emotional Dance, You'd Be so Nice, La Gavina, Baby
Girl, Save the Orangutan, I Remember You, Senor Blues, Louisiana O Els Camps De
Coto
Andrea Motis (voc, tp),
Ignasi Terraza (p), Josep Traver (g), Joan Chamorro (b, ts, fl), Esteve Pi (dm)
+ Joel Frahm (ts), Warren Wolf (vib, marimba), Scott Robinson (bs), Joel Frahm
(ts), Perico Sambeat (ss, as), Cafe da Silva (perc), Gil Goldstein (acc)
Enregistré du 25 au 30
mars 2016, lieu non précisé
Durée: 1h 02' 26''
Impulse! 0602557317947 (Universal)
Andrea Motis
He's Funny That Way
He's Funny That Way, If You
Give Them More Than You Can, I Remember You
Andrea Motis (voc, tp),
Ignasi Terraza (p), Josep Traver (g), Joan Chamorro (b), Esteve Pi (dm) + Joel
Frahm (ts), Warren Wolf (vib), Scott Robinson (bs)
Enregistré du 25 au 30
mars 2016, lieu non précisé
Durée: 13' 27''
Impulse! 0602547485106 (Universal)
Andrea Motis, née en 1995 à Barcelone, a commencé à 7 ans la trompette
puis elle fut révélée dans le très swing Sant Andreu Jazz Band de Joan
Chamorro, au sax alto et surtout à la trompette, ce qui lui a donné très tôt
l'occasion de se frotter à des jazzmen d'expérience comme Pepe Robles, Wycliffe
Gordon, Bobby Gordon, Dick Oatts. C'est toute la différence de l'enseignement
de Chamorro –par rapport aux institutions dites de jazz d'Europe–, il y forme
des swingmen/women sur un partage avec les aînés. D'où la déception relative à
l'écoute de ce premier album d'Andrea Motis, chez Impulse!, dans lequel le
swing n'est pas toujours convié. De plus la chanteuse a, ici, pris le pas sur
la trompettiste, et nous avons déjà plus que beaucoup de jeunes chanteuses à la
voix charmante! On pourra donc se contenter du EP He's Funny That Way,
extrait de l'album Emotional Dance. Ce qui ne signifie pas que ce soit
mauvais. La voix d'Andrea Motis est bien sûr plaisante, mais il est exagéré de
la comparer à celle de Billie Holiday car il n'y a pas la charge émotionnelle
de Lady Day. Par contre, Andrea évoque bien Eddie Jefferson par sa façon de
phraser dans «Baby Girl» (en re-recording elle tient la trompette dans le
background). Notons que l'introduction au sax ténor de Joan Chamorro est un
délice d'expressivité et l'accompagnement d'orgue bien venu. C'est la meilleure
ballade de l'album. A l'inverse, «If You Give Them More Than You Can» composé
par Andrea Motis est soporifique et Perico Sambeat au soprano est d'un «modernisme»
convenu épouvantable (pire encore dans «Matilda»). Andrea Motis sauve le titre
avec son solo de trompette. Elle a aussi signé «Save The Orangutan», du pur
hard bop où tous les solos sont bons (Ignasi Terraza comme toujours, Motis,
Frahm). Trois titres sont chantés en catalan dont «La Gavina» avec le
coltranien Joel Frahm. Parmi les meilleurs titres: «He's Funny That Way»
(excellents solos de Terraza, Traver, Robinson, Motis), «Never Will I Marry»
(solos de Motis, Terraza superbe! Notons que Sambeat est plus supportable à
l'alto), «You'd Be so Nice» (belles prestations de Motis, Robinson qui font
aussi une alternative avec Esteve Pi) et «I Remember You» (bons solos de Wolf
et Motis). Ignasi Terraza qui est le meilleur soliste, est aussi le compositeur
d'«Emotional Dance», une jolie ballade. Andrea Motis, invitée en mai 2017 à la
Conférence de l'International Trumpet Guild, a une bonne sonorité charnue,
parfois au timbre un peu sombre comme un bugle, un phrasé jazz, un jeu sans
surcharges en notes et sans effets dans l'aigu. Si elle veut bien se concentrer
sur le jeu de trompette, nous tenons un beau talent.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz Ladies
1924-1962
Lil
Hardin Armstrong, Mary Lou Williams, Hazel Scott, Dorothy Donegan, Yvonne
Blanc, Barbara Carroll, Marian McPartland, Jutta Hipp, Lorraine Geller, Terry
Pollard, Patti Brown, Pat Moran, Toshiko Akiyoshi, Joyce Collins, Lovie Austin,
Dolly Jones, Blanche Calloway, Mills Cavalcade Orchestra, Valaida Snow, Melba
Liston, Mary Osborne, Clora Bryant, Kathy Stobart, Shirley Scott, Dorothy
Ashby, Vi Redd, Ina Ray Hutton, International Sweethearts of Rhythm, Hip
Chicks, Ivy Benton, Vivien Garry, Beryl Booker.
Enregistré
entre novembre 1924 et le 22 mai 1962, Chicago, New York, Londres, Hackensack,
Paris, Livingston, Los Angeles, Frankfurt, Boston, Camden, Stockholm, Hollywood
Durée:
3h 47' 37''
Frémeaux
& Associés 5663 (Socadisc)
Le livret nous affirme
qu'«à la ségrégation noir/blanc vient
s'ajouter celle homme/femme». C'est vrai, mais la seconde fut en art, la
plus marquée. La misogynie avait court d'égale manière dans les deux
communautés. Le texte peut laisser à penser que les difficultés des femmes
musiciennes ne se sont manifestées que dans les milieux jazz. Faux. On lira la
page 19 de ma préface au DVD-Rom Le Monde de la Trompette et des Cuivres,
où je soulève aussi, contrairement au texte du livret, la vraie question pour les
instrumentistes: existe-t-il une particularité expressive féminine? Cette bonne
compilation écarte les chanteuses qui n'eurent pas à souffrir de cette mise à
l'écart, sans doute parce que les timbres de voix et maniérismes amènent la
touche féminine qui n'existe pas chez l'instrumentiste. Nous nous félicitons de
trouver Dolly Jones, Valaida Snow, Clora Bryant (tp) et Melba Liston (tb).
Engagée par Dizzy Gillespie, cette dernière raconte dans To Be or Not to Bop la condition féminine (p. 402): «une fois
à New York, j'ai entendu des commentaires du genre; 'Bon Dieu, mais pourquoi
a-t-il fait venir de Californie un trombone femelle?'». Après que
l'orchestre ait déchiffré un arrangement de Melba: «Ils ont tous dit: 'C'est bien ce qu'a fait la petite mère, là'.
J'étais devenu la petite mère au lieu de la femelle». Voici les perles de
cette compilation. D'abord une entorse à la règle car Lil Hardin Armstrong
apparait comme chanteuse (Teddy Cole, p) dans «Doin' The Suzie-Q» où brillent
Joe Thomas (tp) et Chu Berry (ts). Sinon le CD1 est
évidemment consacré aux pianistes. Mary Lou Williams est sous l'influence de
Willie Le Lion Smith dans «Swingin' for Joy». Hazel Scott démontre que femme et
swing vont bien ensemble dans «Embraceable You». Notons le solo de Charles
Mingus et l'alternative entre Hazel et Max Roach dans «The Jeep Is Jumpin'».
Dorothy Donegan donne un bon «Over the Rainbow» (1957) et Terry Pollard une
plaisante version de «Laura» (1955). Une des têtes de turc de Boris Vian était
Yvonne Blanc qui prouve avec ce «Limehouse Blues» qu'il avait tort (bons solos
de René Duchossoir, g et Arthur Motta, dm). Marian McPartland donne une belle
alternative avec Joe Morello dans «Four Brothers» tout comme Lorraine Geller avec
Bruz Freeman dans «Clash by Night». Le «Poinciana» de Lorraine Geller en solo
est bien. Entourée d'Ed Thigpen (dm) et Peter Ind (b), Jutta Hipp est excellente
dans «Horacio». Le travail de Roy Haynes (dm) et Oscar Pettiford (b) sert à
merveille Toshiko Akiyoshi dans «Pee, Bee and Lee». Le grand Frank Butler (dm)
est derrière Joyce Collins dans «Just in Time». Le CD2 est consacré
aux instrumentistes divers, néanmoins il y a une chanteuse, Blanche Calloway (influence
d'Ethel Waters dans «Mosery») à la tête d'un bon big band (deux titres réédités
en Classics 783). On commence par les combos de Lovie Austin (titres réédités
en Classics 756), «Steppin' on the Blues» (Tommy Ladnier, cnt) et «Frog Tongue
Stomp» (j'avais déjà signalé que c'est Al Wynn et non Kid Ory, tb, et
probablement Jimmy Cobb, cnt). On n'est pas sûr que ce soit Dolly Jones
l'excellente cornettiste dans «That Creole Band» (et ce n'est pas Barney
Bigard, ss-ts). Elvira Rohl (tp) participe aux faces du Mills Cavalcade Orchestra
(solo un peu fragile dans «Rhythm Lullaby») avec un groupe vocal féminin. Deux
trompettistes-chanteuses connues sont là, Valaida Snow et Clora Bryant. Valaida
est bien entourée dans «High Hat, Trumpet and Rhythm» (Freddy Gardner, ts,
réédité en Classics 1158) et elle prend un solo de trompette fragile mais bien
senti dans «My Heart Belongs to Daddy» (réédité en Classics 1122). Des deux
titres de Clora Bryant, «This Can't Be Love» est le meilleur. Elle y prend un
solo solide qui ne la distingue en rien d'un collègue masculin. Dans «Mischevious
Lady» du quintet Dexter Gordon, excellent (réédité en Masters of Jazz 156),
Melba Liston est encore débutante et les progrès sont nets dans «My Reverie»
avec le big band Dizzy Gillespie (cf. supra) où elle vaut largement le niveau
d'un Slide Hampton. «The Throlley Song» par son ensemble de trombones (Bennie
Green, Al Grey, Benny Powell) est de premier ordre. Les deux titres de Mary
Osborne (g) en quintet sans souffleur (Tommy Flanagan, Danny Barker, Tommy
Potter, Jo Jones) sont d'un haut niveau. Kathy Stobart (ts) a un son pulpeux
dans «Gee Baby» (avec Humphrey Littelton) comme Lockjaw Davis dans un décapant «Land
of Dreams» avec l'organiste Shirley Scott, également remarquable en trio dans «All
of You». Comme le piano, la harpe est considérée comme un instrument pour les
femmes [sic]. Dorothy Ashby, harpiste pas très swing, est illustrée dans deux
titres, «Aeolian Groove» (Frank Wess, fl, Eddie Jones!, b, Ed Thigpen!, dm) et «With
Strings Attached» (Terry Pollard, vib). Nous avons connu Vi Redd (as, voc) en
vedette de Count Basie. Elle a un style bien venu, proche de celui d'Eddie
Vinson («If I Should Lose You», «I'd Rather Have a Memory Than a Dream» avec
Herb Ellis, g). Le CD3 est dévolu aux ensembles féminins. Ina Ray Hutton et les
International Sweethearts of Rhythm laissent des films (disponibles sur YouTube). Le personnel de ces Melodears
de Hutton est imprécis (sax baryton, vibraphone). La même trompettiste
intervient avec classe en solo dans «Wild Party», «24 Hours in Georgia», «Witch
Doctor» de Hutton (Elvira Roth?). Cinq titres pour les Sweethearts c'est
justice. Même punch que tous les swing bands masculins de cette période
1944-45. En solo, l'extravertie et solide Tiny Davis (tp, née en 1909) et
surtout l'expressive Vi Burnside (ts, née en 1915: «Vi Vigor»!). «Striptease»
permet d'apprécier Marjorie et L'Ana Hyams (vib, ts) et surtout Jean Starr (tp,
ex-Sweethearts). Elle est une remarquable boppeuse, remarquée par Dizzy
Gillespie, comme le prouve «7 Riffs with the Right Women» (Vicki Zimmer!, p).
Rose Gottesman (dm) assure derrière Marjorie Hyams, Mary Osborne et Mary Lou
Williams dans «Conversation» (1946). Les trios de Mary Lou Williams et de Beryl
Booker ne méritent pas l'oubli. Gracie Cole, disciple d'Harry James s'illustre
dans l'orchestre de variétés d'Ivy Benson (as). Deux des meilleurs combos
féminins ont été retenus, celui de Vivien Garry (b) qui vaut pour Edna Williams
(tp) et Ginger Smock (vln) (3 titres) et celui de Terry Pollard avec la
boppeuse méconnue Norma Carson (3 titres)! Le livret donne de brèves
biographies de certaines de ces dames qui nous font passer là un bon moment!
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Laura Dubin
Live at the Xerox Rochester International Jazz Festival
Titres communiqués dans
le livret
Laura Dubin (p), Kieran
Hanlon (b), Antonio H. Guerrero (dm)
Enregistré: le 2 juillet
2016, Rochester (New York)
Durée: 1h 55' 46''
Autoproduction (www.lauradubin.com)
Charl Du Plessis Trio
Baroque Swing Vol. 2
Titres communiqués dans
le livret
Charl du Plessis (p),
Werner Spies (b), Hugo Radyn (dm)
Enregistré le 26 juillet
2015, Ernen (Suisse)
Durée: 1h 03' 45''
Claves Recors 50-1609 (www.claves.ch)
Née à Rochester (New
York), Laura Dubin, épouse du batteur Antonio H. Guerrero, n'est pas sans
évoquer Oscar Peterson dans le meilleur des cas («This Could Be the Start of
Something Big», «Something's Cooking», «Ode to O.P.» et «Green Arrow» de sa
composition) et un peu Bill Evans («Waltz for Bill»). Mais elle n'a pas
vraiment de style car elle peut aussi jouer «stride» (en solo: «Handful of Keys»)
et plonger dans le genre modal à la McCoy Tyner («Thunderstorm»). Elle signe pas
mal de thèmes «Invention for Nina» évidemment inspiré par...Bach, le bluesy «Doc
Z»). Laura Dubin s'est fait la spécialité de coupler des standards américains
avec un auteur classique: Le Tombeau de Couperin / «My Favorite Things»
(pauvres Ravel/Rodgers & Hammerstein), «Prelude to a Kiss» / Valse n°1
opus 64 (Ellington/Chopin), en solo et pas mal Reflets dans l'eau /
«Our Love Is Here to Stay» (Debussy/Gershwin). Un gadget «easy listening». Ce
peut être enfin le fait de «jazzer» une pièce classique (Sonate Pathétique
n°8 de Beethoven). Elle a une bonne technique, c'est propre. Le trio est
bien rodé, les musiciens sont soudés. Rien de désagréable, rien
d'enthousiasmant non plus comme la plupart des produits labellisés «jazz»,
aujourd'hui. Deux CD c'est bien long, un seul aurait suffit. Inutile de dire que jouer
les compositeurs baroques en jazz (ou supposé tel) n'est pas nouveau! Ce fut
même une mode autour de 1965. Puis notre Claude Bolling fut un pionnier de ce
qu'on étiquette «cross over», genre qui est revendiqué par le trio sud-africain
Charl du Plessis. La formation a déjà donné
un premier volume en 2013. Cette fois, elle s'en prend à Gershwin (sic), Gluck,
Vivaldi, Haendel et inévitablement à Bach, un compositeur d'exception car même
mal joué il reste plaisant! Ce sont d'ailleurs les œuvres de Bach qui se prêtent
le mieux à cet exercice: la Toccata & Fugue en ré mineur retient
l'attention et les musiciens y démontrent leur compétence. Les Inventions (ici
n°8, 4, 13) ont toujours été travaillées par des jazzmen, notamment la n°4 qui
figure dans un recueil de Bud Brisbois pour la trompette; ça swingue mieux
quand on évite d'improviser dessus. Belle démonstration du batteur dans la n°4,
mais c'est trop long. C'est intéressant quand on connait bien l'œuvre, pour l'avoir
joué soi-même, descellant ainsi les contributions qui paraissent prétentieuses
en comparaison de l'immensité de J.S. Bach. Le trio aborde aussi le Prélude
et Fugue n°3 en do dièse majeur et propose une «New Jazz-Suite» en six
mouvements conçue à partir de diverses compositions de Bach (extraits de Suites,
des Variations Goldberg, de Cantates). L'extrait de la Suite
en ré mineur de Haendel est choix qui fonctionne. La Mélodie d'Orphée
& Eurydice de Gluck est superbe en elle-même et l'improvisation qui en
découle est sans utilité. Dans le «Ballet des Ombres heureuses» tiré de la même œuvre,
le trio swingue bien et le bassiste comme le batteur (aux balais) ont un talent
réel. Ce domaine du «cross over» est très «easy listening». En d'autres termes plus
français c'est de la bonne musique de variétés. On écoute sans déplaisir et on
constate que ces pianistes improvisateurs en cherchant le respect et la
musicalité, sonnent tous de la même façon dépassés qu'ils sont par la qualité
thématique de ces compositeurs d'exception.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sébastien Troendlé
Boogies on the Ball
A
la la, Winter Boogie, Boogaudébut Ragalafin, Woodywood Pecker Boogie, Tendinite
Blues, Boogie On The Ball, Chapel Street Boogie, Grosse Gauche, Charlie's
Boogie, Sorti du Four, Let the Left Hand Roll, African Dream, C'est Si Bémol,
Quelques Flocons
Sébastien
Troendlé (p)
Enregistré
en décembre 2016 et janvier 2017, lieu non précisé
Durée:
1h 00' 42''
Frémeaux
& Associés 8537 (Socadisc)
Nous sommes devant une
avalanche de CDs de boogie woogie! Voici que Sébastien Troendlé (né en 1977)
vient gonfler l'offre. Y-a-t-il une telle demande? Ceux qui achètent ces disques,
souvent au détours d'un concert, consacrent-ils autant d'intérêt à Pinetop
Smith, Cow Cow Davenport, Jimmy Yancey, Pete Johnson, Albert Ammons, Sammy
Price, voir même Fats Domino? Non. Nous sommes dans une niche commerciale.
Sébastien Troendlé sait en tirer profit. Après un Rag'n Boogie (Frémeaux
& Associés 8507), la sortie de sa méthode de Boogie-Woogie (2016, éditions
Henry Lemoine), cet ex-élève de l'Académie de Bâle et ex-enseignant à l'école
de musique de Haguenau, nous propose quatorze de ses compositions boogie. Il
déploie beaucoup d'énergie sans éviter la lourdeur («A la la», «Winter
Boogie», etc). On en vient à regretter la pratique plus nuancée d'un
Jean-Paul Amouroux. De toute façon le "grand public" n'est, aujourd'hui, pas
apte à distinguer un dandy d'un bûcheron. Non pas que ce CD soit totalement
dépourvu d'intérêt d'ailleurs: il y a de bons passages dans «Boogaudébut
Ragalafin» (pour la fin justement qui tire vers le stride), le début
low-down de «Tendinite Blues», la courte introduction perlée à «African
Dream» et «C'est Si Bémol» dans le genre Pr Longhair / James
Booker. Mais trop de boogie tue, sinon le boogie, la santé des chroniqueurs
(tout au moins celle du signataire).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jean-Paul Amouroux
Plays Boogie Woogie Improvisations
Boogie
Woogie Piano Solo, Boogie Woogie Train, Walkin' the Basses, Express Special,
Warming Up The Steinway, Lazy Boogie Woogie, Boogie for Piano &
Harpsichord, Shakin' and Stompin', September 23 Boogie, 88 Special, Barrel
House Shuffle, Riffin' the Boogie, Boogie for Piano & Organ, Bluesin' the
Boogie, Perpetual Boogie Woogie, JP Blues for Véronique, Rollin' the Basses,
Boogie for Piano & Celesta, Boogie All Day Long, Shufflin' and Swingin',
Marcal Boogie Woogie
Jean-Paul
Amouroux (p, org, kb, celesta)
Enregistré
le 23 septembre 1994, Paris
Durée:
1 h03' 46''
Black
& Blue 851 2 (Socadisc)
Le hasard des éditions
Black & Blue? C'est le second CD de Jean-Paul Amouroux en peu de temps. Le
précédent a été chroniqué dans Jazz Hot n°678 de l'hiver 2016-2017
(enregistré en 2015)! Celui-ci a tardé à resortir (1994). A quoi bon une
discographie aussi pléthorique? Quel que soit le talent de Jean-Paul Amouroux,
ne vaut-il pas mieux écouter en priorité les fondateurs du genre tels Albert
Ammons, Pete Johnson, Jimmy Yancey, Big Maceo, Memphis Slim, etc? Nous le
pensons. La réédition de ces maîtres s'impose plus que celle-ci qu'Alain
Balalas estime, dans le texte du livret, être «le meilleur de tous ceux de Jean-Paul Amouroux». Il est en effet
bon parmi les milliers de disques d'un genre aussi réjouissant que monotone,
même lorsque l'interprète sait, comme ici, y diffuser l'indispensable swing.
Une qualité d'Amouroux est la stabilité de son tempo. Il fait au mieux pour
varier les climats d'un titre à l'autre, et dans trois titres il sollicite le
clavecin, le celesta ou l'orgue (pas mal) pour diversifier. Mais le genre est
ce qu'il est. Nous aimons lorsqu'il y a un peu de tripes comme dans «Barrel House
Shuffle», «Bluesin' the Boogie» (nuances) et surtout le beau «JP Blues
for Véronique». Un disque pour les inconditionnels de Jean-Paul Amouroux
et/ou du boogie woogie.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Rémi Toulon
Adagiorinho
Adagiorinho,
Musset, Sambamaya, Elisa, Calle De Las Fiestas, Bagoola, Fuen, Tes Mots,
Jogral, You Don't Know What Love Is
Rémi
Toulon (p, ep), Sébastien Charlier (hca), Jean-Luc Arramy (b), Vincent Frade (dm),
Zé Luis Nascimento (perc)
Enregistré:
les 1er, 2 et 3 novembre 2016, Meudon (78)
Durée:
53' 52''
Alien
Beats Records 17AB (Inouïe Distribution)
Un CD bien dans l'air du
temps. Si Rémi Toulon (né en 1980) a été repéré et lancé par Jean-Pierre
Bertrand et Fabrice Eulry c'est à son professeur, Bernard Maury, qu'il doit son
orientation stylistique evansienne bien servie par sa formation classique («Tes
Mots»). Les percussions sont là pour donner l'inévitable touche latine («Adagiorinho»).
Il joue volontiers piano et Rhodes à la fois («Bagoola»). C'est
plutôt agréable («Calle De Las Fiestas»). Jean-Luc Arramy a une
belle qualité de son. Mais pour nous, qui nous ennuyons sans souffleur,
l'attrait du disque est la présence de Sébastien Charlier (né en 1971),
virtuose de l'harmonica diatonique Hohner dans six titres dont «Sambamaya»,
le dansant «Fuen» et le standard «You Don't Know What Love Is».
Il expose fort bien le thème (un peu long à venir) d'«Elisa» de Serge
Gainsbourg, l'un des trois titres qui ne soient pas de Rémi Toulon.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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The Dime Notes
The Dime Notes
Original
Jelly Roll Blues, Alabamy Bound, Aunt Hagar's Children's Blues, Black Stick
Blues, The Pearls, T'Ain't Clean, Otis Stomp, Si tu vois ma mère, The Camel
Walk, The Crave, I Believe in Miracles, Ole Miss, Turtle Twist, What A Dream
David
Horniblow (cl), Andrew Oliver (p), Dave Kelbie (g), Tom Wheatley (b)
Enregistré:
le 6 juin 2016, Londres
Durée:
55' 48''
Lejazzetal
Records 16 (www.lejazzetal.com)
Voici un disque bien
enregistré et luxueusement présenté. Ces «disciples-exécutants»
(selon l'expression de Dizzy Gillespie) sont bons, mais il est indispensable de
ne se procurer un tel disque qu'après l'écoute intensive de «Black Stick»
par Sidney Bechet avec les Noble Sissle's Swingsters du 10 février 1938 (Jazz
Classics 632), des Red Hot Peppers de Jelly Roll Morton dans «Original
Jelly Roll Blues» (avec Omer Simeon, cl, 16 décembre 1926) et «The
Pearls» (avec Johnny Dodds, cl, 10 juin 1927) et de l'historique trio de
Jelly Roll Morton avec Barney Bigard (cl) et Zutty Singleton (dm) («Turtle
Twist», 17 décembre 1929, Classics 642). Si en effet, David Horniblow
(beau nom pour un souffleur!) se réfère à Sidney Bechet, notamment dans «Si
tu vois ma mère» (le discrètement efficace David Kelbie y est audible),
nous ne trouvons rien de Barney Bigard, Johnny Dodds et surtout Jimmie Noone
dans son jeu contrairement à l'opinion d'Evan Christopher, auteur du texte du
livret. Il y a un peu de Simeon et d'Edmund Hall (growl dans «The Crave»,
autre composition de Morton). Nous n'aimons pas ses notes tenues avec trop de
vibrato («T'Ain't Clean»), criardes («Turtle Twist») ou
chevrotantes («I Believe in Miracles»). Et pourtant Horniblow,
ex-élève en clarinette à la Guildhall School, a confronté sa belle technique à
la fréquentation des vétérans Kenny Ball, Acker Bilk et Chris Barber. Ce
quartet sympathique n'évite pas la caricature («Ole Miss»
sautillant), mais c'est globalement un groupe qui devrait plaire aux animations
off des festivals d'aujourd'hui. Parmi les points forts, il y a le bassiste
londonien Tom Wheatley (qui slappe dans «Alabamy Bound»), le
pianiste américain fixé à Londres, Andrew Oliver (il a étudié à New Orleans
avant l'ouragan Katrina) partout excellent (notamment dans sa composition, «Otis
Stomp») et l'intérêt porté à Jelly Roll Morton scandaleusement négligé de
nos jours.).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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L'Anthologie du Caveau de La Huchette
1965-2017
Titres et personnels
détaillés dans le livret
Enregistré entre le 29
mars 1951 et le 8 mars 2017, Paris
Durée: 3h 48' 48''
Frémeaux &
Associés 5676 (Socadisc)
Cet établissement
historique à plus d'un titre mérite d'être salué! C'est à partir de l'automne
1948 que le lieu est converti par Maurice Goregues au jazz qui se danse. Dany
Doriz en prit la direction en janvier 1970. Tout ceci est rappelé dans le texte
du livret signé Jean-Michel Proust agrémenté de photos symboliques. La présente
illustration sonore est plus que sympathique, tout ne relevant pas de prises
sur le vif dans les lieux comme le magistral «Fireworks» par Roy Eldridge
en duo avec Claude Bolling. Pour des raisons d'accès sans doute, il y a des
absents tels que Al Grey, Cat Anderson, Harry Edison, Art Blakey, Rhoda Scott,
Raymond Fonsèque, Géo Daly ou les New Old Sharks de Fred Gérard (1986) avec
Roger Guérin (j'étais assis à ses pieds,
importuné par les jupons de danseuses déterminées). L’équipe de Jazz Hot y a célébré à plusieurs reprise l’anniversaire de la revue, animations
musicales à la clé (Brisa Roché, Sarah Morrow, Sylvia Howard, etc). Il suffit
de lire la liste des intervenants pour se douter de l'hétérogénéité des genres
bien que tous dansables. A côté d'un jazz on ne peut plus orthodoxe, il y a la
proximité du yéyé (Mac Kac: «cette sacré télé», 1965, qui est le sax ténor?),
de la chanson française («La Belle vie», «Un scotch, un bourbon, une
bière», «La Mer» - instrumental, pas de vocal de Marc Fosset!), de
la valse musette (Marcel Azzola, «Double Scotch») et du rock'n’roll (Mighty
Flea Conners, «Shake Rattle & Roll», 1990, Claude Braud, ts; King Pleasure;
Al Copley) qui, nous l'avons souvent écrit, est du jazz aussi. Les
renseignements discographiques posent de mineurs problèmes. Par exemple, «Caldonia»
du CD1 est par Alton Purnell (et non Turnell) également chanteur (bon solo de
Boss Quéraud, tp), page 18 bugle ne prend qu'un «g», qui est trompette dans le
titre de Jean-Paul Amouroux-Sam Wooyard (1976, François Biensan?), nous sommes
privés du nom des membres du big band Lionel Hampton qui, certes, est la seule
vedette (vib, voc) de ce «In The Mood» comme de celui de Jeff Hoffman, de
l'identité du chanteur dans «Moanin'» (Duffy Jackson bien sûr – à noter les
grands Georges Arvanitas, p, Eddie Jones, b), du guitariste avec Sweet System («Fever»),
le trompette dans «On the Alamo» (Jérôme Etcheberry me semble-t-il). Il n'en
est pas moins vrai qu'il y a beaucoup à glaner. Ainsi dans le CD1, Wani Hinder
(ts) avec Milt Buckner (org) dans le «Boogie Woogie au Caveau de la Huchette»
(1975), Michel Denis (dm) excellent avec Memphis Slim («Shake Rattle and Roll»,
1977), Stéphane Guérault (ts) avec Wild Bill Davis-Kenny Clarke («Indiana»,
1977), Bill Coleman («On Green Dolphin' Street», 1979), Alain Bouchet (tp) et
Patrick Bacqueville (tb) avec Maxim Saury («La Huchette», 1981), Carl Schlosser
(ts) dans l'Octet Dany Doriz (1990) et Yannick Singery (p) avec Jacky
Milliet-Claude Luter (1991). Dans le CD2: Carl Schlosser tonique avec Wild Bill
Davis-Dany Doriz-Sacha Distel, Claude Gousset (tb) avec Zanini, Patrice Galas
(p) avec l'excellente Gilda Solve, le goodmanien Bob Wilber (Doriz, Arvanitas,
Butch Miles, dm, Eddie Jones, b!), Patricia Lebeugle («Fanfreluche»), Finn
Ziegler (vln), un boogie par Claude Bolling (2003), Philippe Duchemin («Good
Vibes», 2004). Le CD3 est strictement XXIe siècle (2012-17) pour se
convaincre de la survivance du genre à l'écart des incongruités festivalières,
avec au gré des plages aux côtés de déjà vétérans (Scott Hamilton, Claude
Tissendier, Boney Fields,...), de précieux irréductibles (Malo Mazurié,
Sébastien Gillot, Ronald Baker, Jérôme Etcheberry, tp/cnt, Drew Davies, Michel
Pastre, ts, César Pastre, Franck Jaccard, p, Philippe Petit, org/p, Sébastien
Girardot, b, Guillaume Nouaux, François Laudet, Didier Dorise, dm, etc). Bien
sûr Dany Doriz est omniprésent, c'est bien naturel et un plaisir au swing
constant. Un coffret qui est bon pour la santé mentale des jazz fans... pour ne
rien dire des pieds des danseurs.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Stan Laferrière Big One
A Big Band Jazz Saga
Dirty
Rag (Ragtime, 1915), L'Oreille est hardie (Ballroom, 1923), To Bix (Collective
Chicago, 1926), Slap That Band (Washingtonians, 1930), Jumpin' Count (Riff,
1935), Swing Swang Swung (Swing Clarinet, 1937), Glenn's Train (Train bounce,
1938), Clarinet Serenade (Moonlight, 1939), Harlem Jungle Jive (Jungle, 1940),
Dizzysphere (Be-bop, 1945), Crazy Moon (Tenor Ballad, 1948), Cuban Scent (Bop
latin, 1949), Deb's Darling (Big band ballad, 1954), Duke's Places (Groovy
shuffle, 1956), Sorry For Lovin' You So (Crooner, 1958), Lalo's Waltz (TV
Movie, 1960), Back to Roots (Soul, 1962), Funny Sixties (Bossa-twist, 1964),
Climber Man (Modern ballad, 1970), Patouchamontoche (Funky, 1980)
Stan
Laferrière (p, g, bj, dir), Benjamin Belloir, Mathieu Haage, Julien Rousseau
(tp, flh), Anthony Caillet (tp, sousa), Nicolas Grymonprez, Cyril Dubilé,
Bertrand Luzignant (tb), Jean Crozat (btb), Pierre Desassis, David Fettmann,
Christophe Allemand, Olivier Bernard, Cyril Dumeaux, Frédéric Couderc (ss, as,
ts, bar, bs, cl, fl), Sébastien Maire (b), Xavier Sauze (dm), Orlando
Poleo (perc), James Copley (voc)
Enregistré
en janvier 2017, lieu non précisé
Durée:
1h10’ 51’’
Frémeaux
& Associés 8545 (Socadisc)
Une part de ces musiciens
a joué dans le Big Band de la Musique de l'Air déjà dirigé par Stan Laferrière.
L'éditeur ne prend même plus soin de donner le prénom des musiciens. Par
ailleurs, nous avons indiqué dans la notice de cette chronique les sous-titres qui
précisent un peu l'objectif du morceau, car il ne s'agit que de compositions
originales de Stan Laferrière. Celui-ci nous livre aussi "son" histoire des big
bands, dans le texte du livret. Heureusement, il est meilleur musicien
qu'historien... On aurait aimé l'identification des solistes pour chaque titre,
nous permettant ainsi de mieux connaître des artistes encore jeunes qui n'ont
pas, pour l'instant, la notoriété des Louis Armstrong, Bix, Jack Teagarden,
Benny Goodman, Dizzy Gillespie, etc. Le «Dirty Rag» est délicieux (presque trop
swinguant pour évoquer 1915) avec un superbe solo de trombone (Nicolas
Grymonprez?). Il est plaisant que l'on pense à Fletcher Henderson, en effet
père du big band jazz avant qu'Ellington ne "se" trouve. On lui dédie un «L'Oreille
est hardie» (belle astuce) qui "danse" bien. Belle qualité de son du trombone
solo, solo de cornet...bixien (Mathieu Haage?) et un remarquable solo de ténor
(Anthony Caillet, solide au sousaphone dans la rythmique). Le «To Bix» est une
évocation parfaite du Gang (petite formation!) de Beiderbecke, avec saxo-basse.
Le solo de cornet bixien est fin. La rythmique opte pour la contrebasse dès «Slap
That Band» qui offre d'excellents solos de ténor, trombone et une belle
écriture pour section de saxes. La rythmique devient basienne pour «Jumpin'
Count» sur un tempo médium parfait pour le swing. On passe ensuite à une
évocation de «Sing Sing Sing» et de Benny Goodman. Excellents solos de
trompette avec plunger, ténor velu, trombone avec plunger dans «Glenn's
Serenade» très Miller (comme l'évocation suivante genre «Moonlight Serenade»).
Les tutti de trompettes avec sourdine sont très fins.
Le Big One démontre dans
ce disque, outre une connaissance des styles, un haut niveau professionnel
(richesse des nuances). Même si le style jungle est très antérieur à 1940, ce «Harlem
Jungle Jive» l'évoque bien (bon solo de trombone!). On se doute à qui «Dizzysphere»
s'adresse. A noter que le solo d'alto est plus dans la lignée Lee Konitz que
Charlie Parker et le solo de trompette sonne comme du bugle (pas employé par
les boppers de 1945). Beau travail du lead trompette en coda. Orlando Poleo
participe évidemment à «Cuban Scent» très Machito et James Copley à «Sorry for
Lovin' You So». «Crazy Moon» est un solo de ténor avec une qualité de son
devenue rare chez les jeunes instrumentistes. Si Stan Laferrière revisite Count
Basie («Deb's Darling») et Duke Ellington («Duke's Places» presque... marsalien
en coda), il choisit aussi l'hommage à Lalo Schifrin («Lalo's Waltz»), Quincy
Jones («Back to Roots», «Funny Sixties») et... Bob Mintzer («Patouchamontoche»).
Peu importe si nous sommes très réservés sur la vision historique, la musique
proposée est de qualité; c'est ce qu'on attend d'un musicien (historien et
musicologue sont aussi des métiers). Un travail presque pédagogique qui devrait
figurer dans les festivals pour nous aider à les supporter. Bravo à Stan
Laferrière et au Big One.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Claude Tissendier
Swingin' Bolling
Jazzomania,
Blue Kiss From Brazil, La Belle et le Blues, Borsalino, Here Comes the Blues,
When the Band Begins to Play Their Music, Dors Bonhomme, Just for Fun,
Louisiana Waltz, Duke on My Mind, Take a Break
Claude
Tissendier (as, cl, arr), Patrick Artero (tp, flh), Philippe Milanta (p),
Pierre Maingourd (b), Vincent Cordelette (dm), Faby Médina (voc)
Enregistré
les 12 et 13 avril 2016, Chérisy (28)
Durée:
51' 56''
Black
& Blue 818.2 (Socadisc)
Ce sont toutes des
compositions de Claude Bolling arrangées pour quintet par Claude Tissendier.
L'idée vint à l'issue du dernier concert de Claude Bolling donné en trio
(Maingourd, Cordelette) le 24 juin 2014 au Petit Journal Saint-Michel à Paris.
Claude Tissendier et Patrick Artero étaient alors venus étoffer le trio et
donner une suite à cette expérience s'imposait. Faby Médina, chanteuse de
l'orchestre Claude Bolling depuis 2001, intervient dans «When the Band Begins
to Play Their Music» (alias «Lazy Girl», paroles de Virginia Vee), «Louisiana
Waltz» (tirée du film Louisiane) et «La Belle et le Blues» composé pour
Brigitte Bardot avec des paroles de Serge Gainsbourg (belle prestation avec le
plunger de Patrick Artero). Claude Tissendier est remarquable à l'alto avec ici
quelques tournures à la Benny Carter («Jazzomania») et là, une sonorité dans la
lignée de Johnny Hodges («Duke on My Mind» qui met en valeur Pierre Maingourd).
Claude Tissendier ne sollicite la clarinette que dans «Borsalino» où Philippe
Milanta surprend par un solo qui du boogie passe au stride puis à Erroll
Garner. Nous n'avions pas remarqué jusqu'ici combien Patrick Artero se
rapproche aujourd'hui de Bill Coleman par le son, le phrasé, les attaques, à la
trompette parfois («Here Comes The Blues»; le basien «Take a Break» où le jeu
de balais de Vincent Cordelette est la vedette) et surtout au bugle dans «Blue
Kiss From Brazil» (bon solo de Maingourd), «Borsalino», «Just For Fun»
(excellent solo de Milanta et belle alternative de Cordelette avec trompette, sax
et piano). En revanche, dans «Dors Bonhomme», à la trompette avec sourdine
harmon, Patrick Artero évoque le Miles Davis de L'Ascenseur pour l'échafaud (dialogue avec Tissendier) et du «Nature Boy» de Blue Moods. Une
réussite collective et un hommage mérité à Claude Bolling.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sean Jones
Live From Jazz at the Bistro
Art's
Variable, Lost then Found, Piscean Dichotomy, Doc's Holiday, The Ungentrified
Blues, Prof, BJ's Tune
Sean
Jones (tp, flh), Brian Hogans (as, ss), Orrin Evans (p), Luques Curtis (b),
Obed Calvaire, Mark Whitfield, Jr. (dm)
Enregistré
les 3-5 décembre 2015, St. Louis (Missouri)
Durée:
1h 04' 04''
Mark
Avenue 1111 (www.mackavenue.com)
Sean Jones, diplômé de la
Rutgers University, n'est plus un inconnu depuis son passage dans le Jazz at
Lincoln Center Orchestra (six ans) et dans le groupe de Marcus Miller (Jazz in
Marciac, etc.). Il dirige un quartet comprenant Orrin Evans, Luques Curtis et
Obed Calvaire depuis onze ans. C'est avec eux, et deux autres qu'il se présente ici en quartet
ou quintet. «Art's Variable» est censé saluer Art Blakey, sans doute de façon
abstraite car Mark Whitfield, Jr. n'instaure pas un tempo; il commente en percussionniste.
Le solo de Sean Jones à la trompette révèle une filiation de sonorité avec
Freddie Hubbard. Il utilise le piston mi-course pour des effets et gère bien
une tension crescendo vers l'aigu. La contrebasse ouvre «Lost, Then Found» en
quintet avec Brian Hogans (ss). Cette fois le titulaire Obed Calvaire tient la
batterie, mais le style est le même. Dans ce contexte modal sur tempo médium,
l'improvisation est très libre. Sean Jones a une belle qualité de son au bugle.
Le «Piscean Dichotomy» ne manque pas de dynamisme. Brian Hogans y joue de
l'alto. Sean Jones et le groupe retrouvent là le style du Quintet Miles Davis
de la deuxième moitié des années 1960. Une continuité rythmique sur tempo
médium marque «Doc's Holiday» dans lequel Sean Jones improvise de façon libre
avec des résurgences de Don Cherry et Booker Little. Le solo de piano qui suit,
plus structuré, n'en paraît que plus «traditionnel» tout comme, ensuite,
l'excellent solo de Luques Curtis. Brian Hogans n'intervient que dans le thème
volontairement anfractueux (signé Orrin Evans), ce qui semble étonnant (la
prise de concert serait-elle tronquée?). Bien sûr, «The Ungentrified Blues»,
sur tempo médium, est, pour nous, le meilleur moment du disque. Sean Jones y
fait enfin une musique de tripes, enracinée, avec des effets bienvenus
(growl, note tenue, inflexions, notes répétées pour générer la tension, montées
dans l'aigu bien senties). On notera que sa sonorité n'en paraît que plus belle
notamment dans son deuxième solo plus détendu menant à une coda sobre
(influence de Wynton Marsalis). Orrin Evans a compris que dans le blues, il ne
faut pas compliquer le propos. Quant à Luques Curtis et Mark Whitfield, Jr., ils
assurent la continuité rythmique fermement. «Prof» qui porte l'influence
d'Ornette Coleman période Atlantic, est une composition de Sean Jones qu'il a
dédié à son professeur William Fielder. C'est un thème de quinze mesures (!)
utilisant les quartes. Après un solo de Brian Hogans (as), Sean Jones déploie
une virtuosité avec plus de pertinence. Mais l'arrivée d'une paisible ballade
en quartet, «BJ's Tune», au thème simple et répétitif, jouée avec élégance au
bugle, fait du bien (la coda est «Amazing Grace» ad libitum). Bilan? Comme à
peu près toute la production actuelle, ce disque ne laissera pas de trace. Rien
d'essentiel comme peuvent l'être encore, «West End Blues» par Louis Armstrong
(1928), «Groovin' High» de Dizzy Gillespie (1945), «Stardust» par Clifford
Brown (1955), «Booker's Waltz» de Booker Little (1961) ou «The Majesty of the
Blues» de Wynton Marsalis (1988). La survie et la mort à la fois, viennent de
l'académisme installé depuis que le jazz est enseigné. Sean Jones est
d'ailleurs impliqué dans l'enseignement à la Duquesne University, l'Oberlin
Conservatory of Music et, actuellement, au département des cuivres du Berklee
College of Music. Il montre donc à ses élèves comment fonctionnent ses
recettes. Mais Sean Jones, comme la majorité de ses confrères, n'a pas fait
l'effort personnel d'un Wynton Marsalis ou d'un Nicholas Payton d'aller en
profondeur dans l'héritage expressif des plus anciens. Tout récemment encore
c'est Nicholas Payton qui a conseillé à Greg Tardy d'écouter Ben Webster;
est-ce bien sérieux? Attend-t-on d'un artiste d'aujourd'hui et d'un enseignant
qu'il débute la musique par Miles Davis? On écoutera ce disque pour «The
Ungentrified Blues» et «BJ's Tune».
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Iñaki Salvador Trio
Lilurarik Ez
Ihesa, Dembora Es da Luzea, Kontatu Didate, Ezer Gabe,
Diálogos con Miguel, Izarren Inguruan, Improvisación sobre Txoria, Txori,
Variaciones sobre Baga, Biga, Higa
Iñaki Salvador (p), Javier Mayor de la Iglesia (b), Hasier Oleaga (dm)
Enregistré en avril 2010, San Sebastián (Espagne)
Durée: 1h 01’
Vaivén Producciones (www.vaivenproducciones.com)
Un petit rappel pour situer ce disque: Mikel Laboa
(1934), médecin, psychiatre, musicien, figure incontournable de la chanson et
de la culture basques, disparaît en 2008 laissant un immense vide. Le pianiste
Iñaki Salvador, artiste trop peu visible, hors du cercle des jazzmen ou des
amateurs de culture basque, qui a travaillé avec Laboa de nombreuses années,
est invité en 2009 à lui rendre hommage par un concert. Iñaki s’attache à
réaliser des versions des chansons que Laboa avait enregistrées dans les années
60 avec des textes de Brecht. Ce disque Lilurarik
Ez est issu de ce projet et met en évidence les qualités pianistiques de
Salvador. Le traitement des chansons, certaines selon une esthétique
jazzistique, est particulièrement remarquable. Dans cette optique on appréciera
tout particulièrement «Ihesa, Dembora Es Da Luzea» qui débute sur
un tempo lent, berçant l’oreille, avant de pénétrer dans un jazz plein de swing
dont l’intensité va crescendo, parsemée de retours au calme. Iñaki bénéficie ici,
comme dans la plupart des autres thèmes, d’un excellent soutien de ses deux
partenaires, inconnus de l’auteur de ces lignes mais offrant eux aussi de
belles qualités. «Izaren Inguruan» est lancé de la même façon, très
calmement au piano, sans les partenaires, puis les balais et quelques accords
de contrebasse viennent en soutien. Le swing émerge. Le jazzman qu’est Iñaki
Salvador s’illustre encore et magnifiquement dans les deux derniers thèmes, «Improvisación»
et «Variaciones». Les deux thèmes comme les autres demandent de la
patience à l’auditeur pour entrer dans le swing. Cette patience permet à chaque
fois de se délecter de la technique du pianiste.
Les autres plages offrent un esprit différent. «Kontatu Didate»
veut rester au plus près de la manière de travailler de Laboa. Drum et
contrebasse recherchent cette fidélité et le thème ainsi joué s’éloigne du
jazz. On relève dans «Ezer Gabe» la délicatesse du jeu de Salvador.
«Diálogos con Miguel» fait appel à la voix du chanteur basque qui est
insérée dans la prestation du trio. De larges espaces laissent la possibilité à
Iñaki d’improviser. Un disque qui offre une nouvelle opportunité à ceux qui ne
le connaissent toujours pas de découvrir Iñaki Salvador.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ramón Valle / Orlando Maraca Valle
The Art of Two
Johana, Love for Marah, El Guanajo relleno, Alena,
Monologo, Latin for Two, Tú mi Delirio, Mi Guajira con Tumbao, Puentes, Amigos
Ramón Valle (p), Orlando Maraca Valle (fl)
Enregistré le 17 octobre 2015, Amsterdam (Pays-Bas)
Durée: 46'
In + Out Record 77131 (http://ramonvallemusic.com)
Ce disque des deux cousins cubains est un petit joyau
musical. Ramón, pianiste installé aux Pays Bas, nous avait proposé par le passé
d’excellents enregistrements comme Levitandoet brille sur les scènes européennes à la tête de son trio. Orlando «Maraca»
vit à La Havane mais est quasiment parisien et il est peu de recoins de
l’hexagone auxquels il n’a pas rendu visite. Depuis longtemps l’idée de
travailler ensemble était dans l’air et, après une lente préparation, c’est
dans un studio hollandais que la magie est née. Ramón et Maraca créent de la
beauté, c’est tout. Le pianiste, dans l’ensemble moins percussif que d’autres
confrères Cubains, égrène calmement les notes, distille sa maîtrise technique,
sa classe. Aucune note superflue, aucune débauche sonore. Quant à Orlando, son travail
avec le Latin Jazz All Stars ou encore ses récents disques, plutôt festifs,
sont bien connus. Cette apparition en duo lui permet, sinon de rompre avec ces
précédents travaux, à tout le moins de mettre clairement en évidence pour ceux
qui écoutent plutôt la globalité des prestations de ses formations, l’étendue
de ses aptitudes, la maîtrise qu’il a de la flûte, la fluidité de son jeu, ses
détachés superbes. Orlando s’appuie sur le travail de Ramón sans qu’aucun autre
instrument ne vienne distraire l’écoute. Tous deux sont en parfaite osmose.
Le disque comprend quatre compositions de Ramón, trois
de Maraca et est complété par trois thèmes issus des standards cubains. «Johana»
est de l’autorité de Ramón et allie le lyrisme à cette fluidité mentionnée
précédemment. Il n’y a pas de rupture avec le thème suivant «Love for Marah» d’Orlando
pris sur un tempo très lent. Ramón pose un minimum de notes. L’hommage à deux femmes
est une évidence. Le flutiste offre «Alena». L’esprit reste le même. Les deux partenaires
sont extrêmement à l’écoute l’un de l’autre: The Art of Two est bien nommé! Si «Monologo» est écrit par le
pianiste, ce thème est offert largement au flûtiste. On pénètre un peu plus dans
le jazz avec «Latin for Two». Le tempo est plus rapide, le jeu est vif, tant de
la part de Ramón que d’Orlando. Des trois classiquesde la musique cubaine
proposés ici «El Guanajo relleno» est arrangé par Ramón mais perd largement ses
caractéristiques soneras pour
s’inscrire complètement dans l’esprit du disque. «Mi Guajira con Tumbao»,
toujours arrangé par le pianiste est épuré mais conserve un superbe tumbao, ce swing cubain assuré par
le piano sur lequel s’exprime le flutiste. Appréciez-le davantage encore à 3'30''!
Le maestro César Portillo de la Luz, figure emblématique du feeling cubain,
fournit le troisième thème, «Tú mi Delirio». Le piano est discret, la flûte qui
n’a jamais été très utilisée dans le feeling devient le protagoniste principal.
Il faut relever les beaux vibratos. Le disque s’achève sur deux compositions de
Rámon. Il y exprime pleinement son style personnel, plus percussif cette fois,
dans un passage sans flûte de «Puentes», thème chargé de mélancolie. «Amigos»,
très sobre, conclut parfaitement le disque montrant, comme le dit Leonardo
Padura dans le livret, que si l’Art est bon; deux artistes suffisent.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Marc Copland
Better by Far
Day
and Night, Better by Far, Mr Dj, Gone Now, Twister, Room Enough
for Stars, Evidence, Dark Passage, Who Said Swing?
Marc Copland (p), Ralph Alessi (tp), Drew Gress (b), Joey
Baron (dm)
Enregistré
en janvier 2017, New York
Durée:
1h 02' 28''
InnerVoice Jazz Records 103 (www.innervoicejazz.com)
On retrouve l’élégance
naturelle de Marc Copland qui signe seul ou avec ses musiciens (à part
«Evidence» de Thelonious Monk), l’intégralité des titres de cet album. Il
s’agit ici d’affaires courantes tant l’équipe est habitué à jouer ensemble:
la rythmique, Marc Copland compris, accompagne depuis des années John Abercrombie
sur disque et en tournée. Le jeu du pianiste est limpide et le son de chaque instrument
est parfaitement restitué: on apprécie la clarté des cordes de la
contrebasse et le scintillement discret mais omniprésent des cymbales de Joey
Baron. Il s’agit bien sûr d’un pianiste leader mais ici en compagnie d’amis, c’est
un vrai quartet régulier et non pas des invités juste pour la captation de
quelques thèmes vite répétés. L’équilibre des compositions est mis en valeur
par la justesse du propos et bien que le répertoire soit de nature calme, la
haute qualité de chacun des solistes en fait un rubis à offrir. L’univers de
Marc Copland n’est pas vraiment celui du swing mais plus celui de la caresse de
l’ivoire et de l’ébène qui sertissent la note vers le bleu ou le blues du cœur.
Le titre éponyme de l’album, célèbre la tendre noce entre le clavier et la
trompette dans une cérémonie sincère et respectueuse de l’un envers l’autre.
Bien plus triste, mais superbe, «Gone Now» doit évoquer la rupture amoureuse
comme un regret du passé, le jeu au ballet de Joey Baron souligne le trait de
la trompette bouchée sur piano nostalgique, une ballade dans une forêt
automnale ou la contrebasse bruisse sur les feuilles envolées : 9’40’’ à
savourer. Autre thème rempli de «saudade» comme l’on dirait au Brésil, «Room
Enough for Stars» qui toujours sur le fil du funambule semble chavirer vers la
chute du regret mais résiste au souffle du vent, Drew Gress en soliste de haut
vol, suit la droite ligne suspendu dans le ciel. Comme son nom semble
l’indiquer «Dark passage» emprunte une voie tourmentée mais à découvrir comme
un long cheminement vers «Who Said Swing?». L’album présente une grande unité
qui restitue sans aucun doute l’univers musical de Marc Copland, rappelant ainsi
le rôle particulier qu’il joue sur l’échiquier actuel du jazz, qui, comme le
dit l’album, nous emmène «mieux que loin».
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dmitry Baevsky
The Day After
Would You?,
Rollin', Chant, Minor Delay, Hotel Baudin Thes Wise Ones, The Day After, Four
Seven Nine One, Delilah, I’ve Told Evry Little Star
Dmitry Baevsky (as), Jeb Patton (p), David Wong (b), Joe Strasser (dm)
Enregistré
les 23 juillet et 16 août 2016, New York
Durée: 1h 08'
Jazz Family 017 (Socadisc)
On retrouve aux côtés de
Dmitry Baevsky, pour son sixième album en leader, son équipe new-yorkaise habituelle.
Toujours aussi talentueux, le jeune prodige russe mène désormais une carrière
entre le vieux continent et les Etats-Unis. Originaire de Saint-Pétersbourg, il
découvre l’Amérique auprès de Cedar Walton et Jimmy Cobb, présents sur son
premier disque, et depuis mène son bout de chemin. Toujours de bonne facture, ce
nouvel album s’inscrit comme une nouvelle étape au service de la tradition hard
bop revisitée avec grand cœur. Outre cinq de ses compositions, on retrouve une
relecture du thème, très peu repris, «Chant», du pianiste Duke Pearson, immortalisé
par Donald Byrd sur l’album A New Perspective,
paru chez Blue Note ou encore une superbe version de «Delilah», signé par
Victor Young et souvent interprétée par le quartet de Clifford Brown et Max
Roach. Côté hommage aux anciens, il met à l’honneur le tromboniste Tom McIntosh
(90 ans) avec la composition «The Day After», qui donne son nom à l’album, et
conclut avec «I’ve Told Evry Little Star» de Jerome Kern. N’oubliant pas ses
compagnons de scène et de studio, il emprunte la plume de pianiste Jeb Patton
pour enluminer «The Wises Ones». La totalité des titres s’enchaîne avec brio et
élégance. Technique parfaite, maîtrise de l’instrument, cohésion de l’ensemble;
juste un regret: le manque de folie qui en ferait un album plus enflammé.
Toujours parfait en concert, sa musique mérite le détour.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Nicola Sabato & Jacques di Costanzo Quartet
The Music of Ray Brown & Milt Jackson. Live in Capbreton
Now Hear My Meaning, Small Fry, One
Loved, Back to Bologna, The Nearness of You, Think Positive, Sad Blues, Be-Bop,
It Don’t Mean a Thing (If It Ain’t Got That Swing), Captain Bill
Nicola Sabato (b), Jacques di Costanzo (vib), Pablo Campos
(p), Germain Cornet (dm)
Enregistré le 3 février 2017,
Capbreton (40)
Durée: 1h 05'
Autoproduit (Socadisc)
Bien qu’il s’agisse d’un hommage à
deux piliers de l’histoire du jazz, les titres choisis ne reprennent que deux
thèmes signés par Ray Brown («Captain Bill») et Milt Jackson («Think
Positive»); c’est donc le répertoire interprété par ces prestigieux
musiciens qui constitue le matériau de ce
«live» enregistré à Capbreton. Le quartet de Nicola Sabato et Jacques di
Costanzo se plonge complétement dans l’univers de leurs maîtres et modèles, et
comme ils le précisent dans le livret, «ils
sont des fans» et, en tant que tels, restent fidèles à leur idoles. Plus
qu’une restitution, il s’agit pour le quartet de saisir l’esprit musical de
cette époque et d’en donner leur approche mais qui reste dans la tradition. Les
dialogues et solos du vibraphoniste et du pianiste ne détonnent jamais et il
remarquable pour des musiciens (encore jeunes) de vouloir conserver et faire
vibrer ces grands thèmes. Nicola Sabato, en tant que coleader reste discret
bien que ses solos arrivent à point nommé. Durant l’ensemble du disque, une
grande unité et un grand équilibre permettent au groupe de sauter tous les
obstacles que peut présager un tel parcours. Que ce soit des ballades («The
Nearness of You») ou sur des tempos rapides («It Don’t Mean a Thing») le public est conquis
et le fait savoir à l’applaudimètre. Sur le thème
final «Captain Bill» l’introduction à la contrebasse surlignée par les ballets
de Germain Cornet donne une conclusion parfaite à ce concert.
Un jazz au classicisme de
bon aloi que l’on prend plaisir à écouter.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Nicole Johänntgen
Henry
Henry, Oh Yes My Friend, Nola, Slowly,
The Kids From New Orleans, They Missed Love, Take the Stream Train
Nicole Johänntgen (as), Jon Ramm (tb),
Steven Glenn (sousaph), Paul Thibodeaux (dm)
Enregistré le 25 mai 2016, New Orleans
(Louisiane)
Durée: 37' 27''
Autoproduit (www.nicolejohaenntgen.com)
La saxophoniste allemande Nicole
Johänntgen a passé plusieurs mois à New York en 2016 (voir son
interview dans Jazz Hot n°675) afin d’y composer tout en
s’imprégnant de la scène jazz locale. Curieusement, le premier
souvenir de voyage qu’elle a rapporté est un disque enregistré à…
New Orleans (alors qu’elle était sur le sol américain depuis deux
mois). Autre surprise, bien que son univers
habituel se situe entre fusion et musique improvisée, voilà que la
Louisiane a ramené Nicole Johänntgen vers le jazz. Un
jazz marqué par la culture néo-orléanaise (puisqu’elle s’est
entourée de trois musiciens de Crescent City) mais où s’exprime
néanmoins la personnalité de l’altiste qui signe toutes les
compositions de cet album. Il s’avère qu’elle avait depuis
longtemps en tête de rendre hommage au jazz de New Orleans, que son
père (tromboniste) jouait dans son orchestre amateur. On imagine que
son arrivée aux Etats-Unis a été l’élément déclencheur du
projet (malheureusement, le disque ne comporte pas de notes de
pochettes nous éclairant sur les intentions du leader…). Toujours
est-il que Nicole Johänntgen nous livre ici un disque rythmé,
irrigué par le swing néo-orléanais au sein duquel son alto aux
accents free (on entend l’influence de son mentor Dave Liebman) dialogue très
naturellement avec le trombone et le soubassophone (le morceau qui
ouvre le disque et lui donne son nom, «Henry», est particulièrement
réussi). Sur «Oh Yes My Friend» (blues lent dans l’esprit de
«Basin Street Blues»), les interventions de Nicole ont même des
faux-airs de Sidney Bechet! Les jazzmen européens en quête
permanente de multiplier les métissages vont chercher l’inspiration
dans des contrées étrangères au jazz qu’ils considèrent comme
une musique du monde. L’expérience menée par Nicole Johänntgen
(qui ne sera peut-être qu’une parenthèse dans sa carrière)
prouve qu’en puisant aux sources du jazz un musicien peut tout
aussi bien se renouveler et produire un discours original.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Philippe Duchemin
Passerelle
Qu’est-ce qu’on
attend pour être heureux, Luisa, Concerto Brandebourgeois, Hymn,
Cassie, Blame It on My Youth, Brazilian Like, When Johnny Comes
Marching Home, Prelude Op 18, Valse Discrète, Symphonie n°7
Philippe Duchemin (p, arr), Christophe Le Van (b), Philippe Le
Van (dm), Julien Kadirimdjian (vln), Estelle Imbert (vln), Marin
Trouvé (avln, Annie Le Prev (cello)
Enregistré les 1er-2
février et le 4 mai 2016, Draveil (91)
Durée: 51' 08''
Black
& Blue 815-2 (Socadisc)
Philippe Duchemin est l’un des
dignes représentants français du legs d’Oscar Peterson au
patrimoine du jazz. Depuis toujours, il refuse le clivage entre
l’héritage de la musique classique et celui
des musiciens de jazz, réfutant l’esprit de chapelle qui voue les
uns aux conservatoires, les autres aux clubs dédiés. Cette
conviction, le pianiste la met en exergue dans ses concerts, avec une
fascination particulière pour la période baroque et l’art du
contrepoint de Jean-Sébastien Bach («Take Bach»). Pour la première
fois, sur ce disque judicieusement nommé Passerelle, il
fait intervenir un authentique orchestre à cordes,le
quatuor du Maine, pour qui il a écrit spécifiquement. A l’instar
de Jacques Loussier et de John Lewis, sa vocation de directeur musical naît sur les brisées
d’une formation classique, qui irrigue depuis lors sa musique de
riches alluvions. Là où ses enregistrements antérieurs proposaient
quelques explorations classiques épiçant une musique d’ores et
déjà fleurie, il met ici sur un même premier plan ses deux
courants d’influence majeurs, en refusant de les opposer ou de les
aborder tour à tour. Par souci de cohérence, il donne tout de même
un traitement jazz aux thèmes classiques égrenés, ce qui soustrait
les cordes à leur rôle d’accompagnement usuel pour leur donner
une fonction prééminente qui n’a guère d’antécédents en
jazz, en dehors des outrances sucrées de quelques crooners. Au
passage, le choix du «Second Mouvement de la Symphonie n°7» de
Beethoven ajoute une couleur plus romantique à la palette de
Philippe Duchemin, option qui se verra confirmée par une magnifique
relecture du «Prélude op 18» de César Franck, ouvrant le champ
d’expériences jusqu’aux abords de l’époque moderne. S’il
n’est pas aisé d’entrer dans le détail des orchestrations
proposées sur le disque, il est néanmoins clair que le propos
développé n’est nullement censé trancher le débat sur et autour
de la musique classique, telle qu’elle est susceptible ou non de
s’intégrer harmonieusement au vocabulaire musical du jazz
américain. Il n’en demeure pas moins qu’un souci de cohérence,
et donc de crédibilité, anime cette mosaïque de tons et
d’influences, preuve que la sincérité des artistes prime toujours
sur les discours théoriques lorsqu’il s’agit d’émouvoir le
mélomane. C’est peut-être d’ailleurs sur les thèmes de «Luisa»
et de «Valse Discrète», titres de couleur jazz inspirés de
l’écriture de compositeurs classiques, que le parti pris de
Philippe Duchemin trouve ses accents les plus convaincants, l’aspect
ludique propre aux différentes réexpositions des mélodies
s’inscrivant parfaitement dans l’univers de l’artiste. Des
standards jazz comme «Brazilian Like» ou «Blame It on My Youth»
se voient agrémentés de courtes séquences empruntées à la
musique populaire, comme pour désamorcer un esprit de sérieux
susceptible d’empeser le discours, et semant parfois le trouble
chez l’auditeur qui ne s’attend pas à ce qu’un mélisme aussi
prononcé émaille des classiques passés à la postérité. De ce
point de vue, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes dont Passerelle est porteur, «When Johnny Comes Marching Home», avec ses harmonies
irlandaises et son parfum traditionaliste assumé, est sans doute une
des plus belles réussites de l’album, de même que le morceau
d’ouverture «Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux» dont
le classicisme enjoué est de nature à rallier tous les suffrages à
sa cause. Au-delà du caractère irréprochable de la prestation du
quatuor du Maine, la cohésion rythmique des frères Le Van à la
basse et à la batterie force l’admiration (voir notre compte-rendu
du concert au Jazz-Club Etoile du 30 mars dernier, Jazz
Hot n°679),
qui soutient l’ensemble des compositions d’une fougue et d’une
verve du meilleur aloi. Un disque conçu comme un magnum opus, avec
un son et une production des plus remarquables.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Macy Gray
Stripped
Annabelle, Sweet Baby, I Try, Slowly,
She Ain’t Right for You, First Time, Nothing Else Matters,
Redemption Song, The Heart, Lucy Macy Gray (voc), Russel Malone (g),
Wallace Roney (tp), Daryl Johns (b), Ari Hoenig (dm)
Enregistré les 7 et 8 avril 2016, New
York
Durée: 52’
Chesky Records JD
389 (Harmonia Mundi)
Les frères Chesky, fondateurs et
producteur du label Chesky Records, aiment utiliser des lieux à
l’acoustique particulière et ont choisi pour cet album celui du
Hirsch Center à Brooklyn qui sonne une peu comme une église.
L’album a été enregistré en deux jours autour, paraît-il, d’un
seul micro. Retour vers la simplicité pour Macy Gray, véritable
icône du rythm’n'blues, qui a connu une carrière en dent de scie.
Ici elle retourne aux racines du blues servies par un excellent
groupe de jazz. Cet album de la diva marque un réel tournant dans sa
carrière car elle échappe aux paillettes pour se draper de la
pureté d’une Billie Holiday à qui on l’avait comparé au début
de sa carrière. Dès l’introduction à la guitare de Russel
Malone, le ton est donné, il s’agit d’un album de blues, même
Russel sonne comme un bluesman électrique du delta. Le jeune Daryl
Johns fignole un tempo, véritable métronome en quatre temps et Ari
Hoenig, hyper épuré joue essentiellement des balais sur la caisse
claire. Climat installé, «Annabelle»
débute un album digne des grands labels de blues de Chess Records à
Alligator Record. La voix éraillée de Macy Gray s’envole sur fond
de solo de Russel Malone. «Sweet
Baby», tempo marqué par
les balais sur la caisse claire envoie la locomotive sur les rails,
Wallace Roney déboule avec sa trompette bouchée, contre voix et
solo, on ne s’est pas trompé on est tombé dans le blues. Macy
Gray reprend son plus grand succès qui l’a lancée, «I
Try», presque susurrée,
elle confesse ses turpitudes sur les lignes claires de Russel Malone
qui la pousse doucement à élever la voix. Comment ne pas succomber
à «Slowly»
(prononcer «slololy»),
qui, comme le dit son titre, pourrait devenir une danse langoureuse
de séduction de l’autre (bref mais superbe solo de Wallace Roney)?
Séduit, on le reste avec la totalité de l’album où elle reprend
«Nothing Else Matters»,
signé du groupe Metallica et une version très torturée et sublime
de «Redemption Song»
de Bob Marley. Justement un album de rédemption comme pour se laver
du show-biz, et montrait que son talent vient aussi de sa pureté
puisée dans le blues originel. Pureté aussi du son cristallin pour
un «First Time»
à écouter comme un hymne à l’amour. Enfin, «Heart»
nous touche droit au cœur, tandis qu «Lucy»
recherche un homme (comme dans tout bon blues ou souvent c’est
l’homme qui cherche une femme) avec encore de brèves insertions de
Wallace Roney, des cris dans le bayou. On ne peut que rappeler
l’excellence du groupe et cet expérience pourrait donner lieu à
une tournée qui serait exemplaire.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Thelonious Monk
Les Liaisons Dangereuses 1960
CD1: Rhythm-a-Ning*, Crepuscule With
Nellie*, Six in One (solo blues improvisation), Well, You Needn't,
Pannonica (solo), Pannonica (solo), Pannonica (quartet), Ba-Lue
Bolivar Ba-Lues-Are*, Light Blue, By and By (We'll Understand It
Better By and By) CD2: Rhythm-a-Ning*, Crepuscule With
Nellie*, Pannonica, Light Blue, Well, You Needn’t, Light Blue
(making of)
Thelonious Monk (p), Charlie Rouse
(ts), Barney Wilen (ts)*, Sam Jones (b), Art Taylor (dm)
Enregistré le 27 juillet 1959, New
York
Durée: 43' 35'' + 40' 04''
Sam/Saga 5 051083 118477 (Universal)
Le silence des artistes. On sait
Monk un Maître du silence, un de ceux dont le silence est le plus
bruyant, osons le paradoxe car il est utilisé avec virtuosité pour
découper le temps et donner à son discours musical des angles, un
relief, des formes et des hauteurs ou des profondeurs inattendues
autant que sombres et brillantes. Chez les grands musiciens de la
tradition afro-américaine, depuis avant même le jazz, c’est la
gestion du temps, de la respiration humaine qui donne au jazz ce
qu’il est par essence. Louis Armstrong l’a en quelque sorte
codifié, mais l’expression dans le blues et la musique religieuse
afro-américaine possède depuis sa naissance cette faculté spéciale
d’humaniser le temps et le rythme, au point que la respiration de
chaque musicien a permis que chacune de ses notes soit la sienne et
pas celle du voisin. Chez Monk, quel que soit le contexte et quelle
que soit la matière, chaque note est la sienne, en solo ou en
formation, sur ses compositions ou sur les standards, ce qui rend sa
musique identifiable même pour un néophyte.
Cet enregistrement,
réalisé à l’été 1959 au Nola Penthouse Studios, qui devint une
partie de la musique du film Les Liaisons dangereuses de Roger
Vadim (1960), l’autre étant due à Art Blakey et Duke Jordan
(Vadim s’est-il rendu compte de sa chance?), est inédit sur
disque, contrairement à celui de Blakey. Il est ressorti
«miraculeusement», selon le texte du livret (en anglais
uniquement), des archives de Marcel Romano, un activiste de longue
date du jazz (disparu en 2007), un autre ancien de l’équipe de Jazz Hot avec Alain Tercinet qui vient de s’éteindre,
l’auteur d’une partie des notes de livret (p. 6 à 12). A côté
de ces deux acteurs de cette production, on trouve également côté
américain, le bon Brian Priestley (un biographe de Charles Mingus)
et un certain Robin D. G. Kelley, universitaire et auteur de Thelonious Monk: The Life and Times of an American Original (Free Press, 2009), la biographie la plus intime écrite sur
Thelonious Monk, fondée sur les archives familiales en particulier.
La synthèse discographique est due à Daniel Richard et aurait
mérité de détailler les musiciens présents sur chaque thème,
même si ça s’entend. Cela dit, la musique est, comme
toujours avec Thelonious Monk, indispensable, d’autant que les
musiciens sont au sommet de leur expression. Le répertoire, détaillé
par Brian Priestley sur le livret, est dû à Monk, en dehors de «By
and By». On retient le rare «Six in One», un blues en solo de
Monk, un bonheur absolu; le reste de l’enregistrement est
magnifique et, comme il en a coutume, c’est sur un répertoire
complètement possédé, répété et rejoué sans cesse, que Monk
ajoute, enregistrement après enregistrement, une variante, par ci,
par là, sans jamais renoncer à la perfection d’une construction
qui relève autant de la composition que de l’exécution, et du
langage à proprement parler du pianiste qui ne fait qu’enrichir un
monde somme toute très bien défini.
Le silence du milieu. Reste le
côté déplaisant de la production, la loi du silence, de l’omerta
serait plus précis et adapté, celle du milieu du jazz en France,
qui malgré l’impossibilité de ne pas citer, de manière très
incomplète et partiale, Jazz Hot qui reste le fondement de
son information et de sa mémoire, et qui en dehors de se priver de
communiquer pour cette production avec les lecteurs de Jazz Hot,
bien que la mémoire en soit pour bonne partie dans Jazz Hot (toute l’année 1959 du n°142 au n°148, n°147 en particulier de Jazz Hot, pages 11 à 13), ne pense même pas à remercier Jazz Hot dans une liste pourtant sans fin, parfois surréaliste
quand on pense à Monk et à ceux qui sont remerciés. Il y avait
pourtant un ancien de Jazz Hot à l’origine de ces bandes,
un autre à l’écriture: aucune note d’Alain Tercinet (p.12) ne
fait référence à Jazz Hot, alors que son récit trouve
toute sa substance dans Jazz Hot, un comble de manque
d’élégance. Charles Delaunay, le producteur pour Swing du premier
disque de jazz en Europe de Thelonious Monk, en 1954 en solo, à
l’origine du Salon du jazz qui invita Monk pour la première fois
en France, il n’est même pas cité. Les quelques "amis" de Jazz
Hot, présents dans cette production, n’ont pas rompu l’omerta.
Triste…
Il est des silences qui disent que,
malgré un passé d’une incroyable richesse, la mémoire du jazz en
France n’a pas d’avenir car instrumentalisée sous des couches
d’intérêts de milieu, personnels. Elle est déjà cassée,
triturée, manipulée, réécrite pour les servir mais pas pour
servir le jazz et sa mémoire.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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