Sur la route des festivals en 2014
Dans
cette rubrique « festivals », vous pourrez accompagner, tout au long de
l'année 2014, nos correspondants lors de leurs déplacements sur
l'ensemble des festivals où Jazz Hot est
présent, édités dans un ordre chronologique inversé (les plus récents
en tête). Certains des comptes rendus sont en version bilingue, quand
cela est possible, que vous pouvez repérer par la présence d'un drapeau
correspondant à la langue en tête de texte (sur lequel il faut cliquer
naturellement).
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Padoue, Italie
Padova Jazz, 13-15 novembre 2014
Cité
universitaire de vieilles traditions, riche d’une histoire qui sourd
des monuments et des édifices du centre historique enchanteur, Padoue
abrite un festival de jazz, qui malgré quelques vicissitudes, a
désormais acquis une position solide sur la scène nationale et
européenne. Au cours du prologue, entre les 10 et 12 novembre, l’édition
de cette année, la 17e, a préparé le terrain pour
les grands événements, accueillant différents groupes, parmi lesquels
le sextet Plankton de la saxophoniste Helga Plankensteiner, le quartet
du saxophoniste Rosario Giuliani, le trio de la chanteuse Christine
Tobin et l’Organ Trio du guitariste Phil Robson.
Le
Théâtre Verdi avec sa structure à l’italienne typique a servi de cadre
évocateur à trois concerts d’importance incontestable. De par son
association avec le Trio Medeski Martin & Wood, John Scofield
consolide le lien avec les racines noires de sa musique, caractérisée
par des grooves imprégnés des parfums du blues et du R&B. John
Medeski a mis de côté les synthétiseurs analogiques, la clavinette et le
mélotron pour se concentrer exclusivement sur le piano, sur lequel il
fait preuve d’un toucher sec et d’un phrasé essentiel, et sur l’orgue
Hammond (avec l’annexe Leslie), véhicule pour des improvisations
torrides dans lesquelles se rénove, au moins en partie, la tradition de
l’Organ Trio. Cependant le quartet explore une vaste gamme de références
stylistiques et de formes rythmiques : spirituals, mambo, reggae, la
bossa de Jobim («Brigas nunca mais»), le rock de «Light My Fire» des
Doors. Tout tourne autour du feeling blues qui est absolument dans les
cordes de Scofield qui sont les riches progressions harmoniques, les
riffs contagieux, la manière particulière de moduler le son avec le
bending, et pour finir avec l’utilisation insolite du wah-wah. Billy
Martin se cale dans des dimensions rythmiques multiformes sans se mettre
en avant, tandis que Chris Wood fournit – spécialement à la basse
électrique – une pulsation dense et vitale, évoquant des traits de James
Jamerson, Michael Henderson ou Verdine White.
Dans le sillage de Into the Woodwork,
avec son quintet actuel, Steve Swallow a consolidé certains traits de
sa conception de la composition : des thèmes articulés autour d’une
mélodie sophistiquée, mais au souffle ample ; des harmonies parfois
réduites et suspendues, parfois fluides ; une vision d’ensemble
clairvoyante qui privilégie toujours le collectif. Swallow fait souvent
interagir, quasiment en symbiose, Chris Cheek (ts) et Steve Cardenas (g)
à travers des unissons, des lignes contrapunctiques et des échanges
d’appels et répons. Carla Bley (org) développe un travail obscur, mais
efficace, de raccords et coutures. Dans la variété métrique prévue dans
les exécutions, Jorge Rossi (dm) se distingue par l’esprit du swing, du
drive et de la sensibilité dans le contrôle des dynamiques. Avec sa
proverbiale basse à cinq cordes – traitée presque à la manière d’une
contrebasse (ou dans la terminologie anglo-saxonne, acoustic bass) –
Swallow interprète le rôle d’un authentique centre moteur, créant des
lignes fluides et des propositions rehaussées de fines inventions
mélodiques, qui s’insèrent toujours en fusion dialectique avec la
contribution des collègues.
En
clôture, le festival a offert un juste hommage à Antonio Carlos Jobim,
aux vingt ans de sa mort, en en confiant l’honneur à Jacques Morelenbaum
– pour sa collaboration d’une dizaine d’années avec le compositeur
brésilien – avec le Cello Samba Trio, complété par Lula Galvão (g) et
Rafael Barata (dm). Les célèbres mélodies «Samba de uma nota só» et
«Corcovado», l’entrelacement harmonique raffiné de la moindre note de
«Radamés et Pelé», revivent dans une dimension pratiquement de musique
de chambre, fraîche et gracieuse, animée par les lignes dessinée par le
pizzicato et par les improvisations du violoncelle, par les
harmonisations subtiles et les phrasés ciselés par Galvão, par les
subtiles et inlassables figures de Barata, attentif à toutes les
nuances. L’introduction pour violoncelle seul de «Retrato em branco e
preto» s’est colorée de couleurs quasi bachiennes même si elles sont
empruntées à Villa Lobos. Ces équilibres ne sont pas modifiés
fondamentalement après l’entrée de Paula Morelenbaum (voc), qui a
redonné une voix crédible aux thèmes de «Desafinado», «Ela è carioca»,
«Gabriela», «Água de beber» et «Águas de março».
L’hommage à Jobim a été précédé par la présentation du livre de Sérgio Cabral; Antonio Carlos Jobim, Una biografia
a été complétée par le concert du chanteur Gino Paoli, dans la matinée
du 16, aidé de Franco Cerri (g) et Danilo Rea (p), dont la recette a
été attribuée à la construction d’une école de musique dans la favela
Rocinha de Rio de Janeiro.
Grâce à la collaboration avec le club
Smalls de New York, on a pu aussi apprécier le quartet du pianiste Spike
Wilner, gérant et directeur artistique de ce local, protagoniste des
concerts d’après-midi et de soirée à l’hôtel Plaza. Mainstream de grande
classe, orienté vers une pure et brillante reformulation du style bebop
grâce à la propulsion incisive de Tyler Mitchell (b) et Enzo
Carpentieri (dm), aux digressions enflammées et aux intuitions
mélodiques de Joe Magnarelli (tp), et à l’habile mise en scène de
Wilner, très chic, allant jusqu’à jouer de la tradition du stride et du
ragtime. Une réalité, celle de la scène new yorkaise, bien représentée
par le livre de Nicola Gaeta BAM, il jazz oggi a New York et par l’exposition Jazz Katz,
basée sur le livre éponyme du photographe Jimmy Katz. La présence d’un
public nombreux, attentif et enthousiaste, a récompensé les efforts des
organisateurs.
Enzo Boddi Traduction Serge Baudot Photos © Michele Giotto by courtesy of Padova Jazz© Jazz Hot n° 670, hiver 2014-2015
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Cormòns, Italie
Jazz & Wine, 24-26 octobre 2014
La 17e
édition du festival frioulan poursuit la consolidation du lien entre la
musique, le territoire et les produits locaux, confirmant son caractère
international grâce à la présence de musiciens de différentes
provenances et à la participation d’un public composé d’Italiens,
d’Autrichiens et de Slovènes. Quant à la production des concerts, le
louable effort de l’association Controtempo a non seulement contribué à
confirmer le rapport soit avec la cave et l’exploitation, ou avec la
Kulturni Dom de Nova Gorica, mais a aussi assuré la disponibilité de
nouveaux et prestigieux espaces tels le Castello de Spessa, l’Abbazia de
Rosazzo et la Chiesetta de Sant’Apollonia. La riche programmation
était comme toujours inspirée de critères de qualité et a réservé pas
mal de surprises, à commencer par la proposition originale de l’Open
Collective du saxophoniste hongrois István Grencsó, synthèse puissante
de jazz modal et d’humeurs populaires.
Le
Quinteto Argentina guidé par le saxophoniste autrichien Karlheinz
Miklin se classe dans un contexte voisin. La grosse implantation
rythmique bâtie par Marcelo Mayor (g), Alejandro Herrera (elb), Quintino
Cinalli (dm) et Mario Gusso (perc) incorpore des éléments de tango,
rumba, samba et calypso dans une mosaïque dépourvue de traits
conventionnels. Plateforme idéale pour les digressions sèches mais
pénétrantes de Gustavo Bergalli (tp, fgh) et pour l’expressivité
multiforme de Miklin, doté d’un phrasé, pointu, plongeant et sanguin au
soprano – dans le sillage de Jackie McLean au contralto, et bigarré au
ténor, capable d’embrasser la lignée depuis Ben Webster jusqu’à Joe
Henderson.
Le quartet de Carlo Maver (bandonéon, fl) explore de
fréquentes références à l’Afrique Subsaharienne, au Maghreb, et à
l’univers afro-brésilien (à travers le chôro) en limitant au maximum
l’influence de Piazzolla et Galiano. On remarque le rôle central de
Pasquale Mirra (vib), la fonction complémentaire d’Achille Succi (bcl)
et le jeu coloriste de Roberto Rossi (dm, perc).
Sur le plan de
la recherche de nouveaux langages, le quintette de Mary Alvorson est
une pointe de diamant dans le jazz contemporain. Dans l’écriture dense,
caractérisée en partie par des encastrements de thèmes géométriques, de
lignes asymétriques et apparemment désarticulées, on perçoit (par les
traits) l’empreinte du maître Braxton.
Sur le solide ancrage de
John Hébert (b) et sur les figures sèches et abstraites scandées par
Ches Smith (dm) se poursuivent les phrasés parallèles de Jon Irabagon
(as), Jonathan Finlayson (tp) et de la guitare qui insère des fragments
essentiels et acérés de distorsions d’origine rock. Il en résulte des
collectifs où tous paradoxalement apparaissent comme des solistes sans
l’être réellement.
Le
duo Garrison Fewell (g) – Boris Savoldelli (voc) oscille entre une
spiritualité retenue – qui contient des dédicaces à Albert Ayler et Roy
Campbell et des vers de «Cosmic Equation» de Sun Ra – et une expérience
mimétique vocale, qui joue souvent sur des cellules rythmiques et sur
les ressources fournies par le Delay. L’arrangement de « Dear Prudence »
des Beatles en est un exemple criant, où les stratifications des voix
font fonction de contrebasse, deux violons, deux violoncelles, deux cors
anglais et un hautbois. D’autre part une ample gamme de nuances redonne
une nouvelle sève tant à «You Don’t Know What Love Is» qu’à «Perfect
Day» de Lou Reed.
Le festival a accordé plus
de place aux trios. Tino Tracanna propose des thèmes fortement
structurés, avec des espaces libres et une grande respiration. Sa
conception doit autant à Ornette Coleman, qu’aux trios de Joe Henderson
et Paul Motian, spécialement dans les morceaux ouverts posés sur tempo
libre. Certaines veines sanguines du ténor rappellent le premier Archie
Shepp, tandis que le phrasé complexe et acéré du soprano rappelle David
Liebman. Vittorio Marinoni (dm) et Giulio Corini (b) avec un coup
d’archet dense et des lignes fluides et enveloppantes, épaulent Tracanna
dans leur intense dialogue.
Avec
Michel Godard et Patrice Héral, Christof Lauer forme un trio réellement
paritaire. Doté d’une charge expressive notable, Lauer (ts, ss)
développe de longs parcours en de véritables rideaux de sons,
travaillant sur les dynamiques et leurs harmoniques, développant ainsi
d’une autre façon la matrice coltranienne. Godard construit de
puissantes architectures au tuba, des spirales sinueuses avec le
serpent, et de solides soutiens rythmiques à la basse électriques ;
Heral superpose d’abondantes polyrythmies et couleurs.
De
l’approche de James Brandon Lewis (ts) émanent à la fois une force
intérieure et spirituelle. Dans le son et le phrasé on trouve le souffle
de Coltrane, le sens du blues de Dewey Redman, l’impétuosité
destructrice de Ayler et Shepp. Toutefois, Lewis développe tous ces
éléments dans une synthèse originale qui dérive souvent de l’élaboration
méticuleuse (et à traits obsessifs) de cellules rythmiques et de
motifs en parfaite symbiose avec Max Johnson (b) et Dominic Fragman
(dm). La déstructuration de «Somewhere over the Rainbow» se révèle
exemplaire en ce sens. L’infrastructure de gospel et spirituals est
palpable aussi dans certaines courbes amples et mélodiques, tant dans la
dissection de «Swing Low, Sweet Chariot» que de «Sometimes I Feel Like a
Motherless Child».
Dans le dernier des trois événements
au Teatro Comunale, Avishai Cohen (b) a mis en avant un interplay
constant et fécond avec Nitai Hershkovits (p) et Daniel Dor (dm): une
interaction qui prévoit de continuels changements de rôle, malgré la
tendance du leader à centrer les exécutions sur lui. Du reste, les
thèmes sont architecturés de façon harmoniquement impeccable, dotés d’un
exquis sens mélodique et d’un développement fluide et jamais
prévisible. Dans l’installation modale de nombreux morceaux ils
développent en fait des échelles typiques de la musique hébraïque, du
domaine moyen-oriental et d’origine judéo-espagnole. Finalement, sur le
plan délicieusement technique, l’aisance de Cohen dans le phrasé, et la
capacité de Hershkovits d’élargir les noyaux harmoniques, sont
impressionnantes.
Parmi les autres concerts du Comunale, la
coréenne Yun Sun Nah offre un exemple de vocalité à ronde-bosse :
autodiscipline inflexible, contrôle total de l’improvisation, technique
d’origine classique qui lui permet de couvrir un vaste spectre
d’octaves, capacité formidable de glisser des registres graves et
grotesques à des passages d’une pureté cristalline. A noter l’accord au
point de vue rythmique avec Ulf Wakenius (g) comme sur «Hurt», morceau
des « Nine Inch Nails » rendu célèbre par une émouvante version de
Johnny Cash. Dans le cadre d’un répertoire hétérogène – comprenant aussi
du folklore coréen, suédois et anglais – il faut mettre en avant le
rôle de Vincent Peirani (acc) et Simon Tailleu (b).
Avec Greg
Leisz (g, pedal steel), Tony Scherr (b) et Kenny Wollesen (dm), Bill
Frisell poursuit son exploration proverbiale au sein de la tradition
populaire américaine. L’essence jazzistique est réduite à l’os et se
manifeste plutôt dans la façon de moduler le son et de traiter les
dynamiques. Dans les croisements à travers les guitares on trouve de
nettes influences country et des éléments du premier rock-and-roll,
spécialement par ses liens avec le rythm-and-blues. Bien que plaisante,
cette dialectique finit par freiner (et par moments aplatir) la
rythmique. On apprécie les meilleurs résultats sur les tempos très lents
et dans les franges d’où émerge le blues.
La chaleureuse réponse
du public, que ce soit à ceux-ci ou à d‘autres événements, atteste la
qualité de l’offre : riche, variée, mais jamais soumise aux logiques du
marché.
Enzo Boddi Traduction : Serge Baudot
© Jazz Hot n° 670, hiver 2014-2015
Monterey, USA
Monterey Jazz Festival , 19-21 septembre 2014
Mettre
en avant un moment particulier bien défini de n'importe qu'elle édition
du Festival de Jazz de Monterey peut se révéler particulièrement
difficile car c'est un festival qui volontairement supporte et présente
l'idée d'un jazz comportant de multiples directions et de nombreux sous
genres. Tim Jackson, le directeur artistique s'en tient fermement à
cette idée et cet objectif de présenter le jazz dans sa diversité lors
de représentations sur de multiples scène au cours de trois soirées et
de deux jours chaque troisième week end de septembre depuis 1958.
Et
d'ailleurs, d'une certaine façon, nous en avons eu une démonstration
avec la captivante chanteuse française Cécile McLorin-Salvant qui
ouvrait cette année le festival sur la scène principale, puis chantait
dans les salles plus intimes – et toujours combles – des clubs du
Monterey County Fairgrounds amassant des vagues de félicitations
justifiées pour son approche très mature de l'art du jazz vocal,
évoquant Billie Holiday, Bessie Smith et autres précurseurs, mais
également incluant des éléments plus théâtraux et personnalisés dans son
travail. Elle se nourrit de l'histoire et travaille une personnalité
actuelle tournée vers le futur, couvrant un très large spectre et
servant donc d'introduction idéale au programme de Monterey.
Plus
tard au cours de la soire d'ouverture, le travail de changement de
registres et de genres s'est poursuivi avec plus d'électronique
accompagnée d'un groove de lignes funk de l'orchestre électrique
d'Herbie Hancock injectant ses vieux succès comme «Chameleon» et «Rock It»
avec des touches de sophistication subversive. Avec une génération
encore plus jeune, la scène principale a été secouée par la musique
infusée dans le hip hop du toujours très inspiré (et récompensé d'un
Grammy Award) Robert Glasper Experiment. A mon goût, avant que les
claviers et les synthétiseurs envahissent la scène, j'ai préféré le
moment où il s'est embarqué pour quinze minutes dans un duo de piano
acoustique avec Jason Moran, se déplaçant dans dans une stratégie très
blues en hommage au pianiste récemment disparu Joe Sample (né à Houston
Texas tout comme Moran et Glasper) avec des moments de free jazz et une
grande tendresse mélodique.
Ce mini-concert en duo a constitué
l'une des belles surprises et a ouvert la voie vers la proche Coffee
House Gallery (la scène annuelle du festival pour l'art du trio de
piano) où Harold Mabern discourait dans son habituelle manière enflammée
et élégante. D'autres prouesses pianistiques sont venues du trio de
Geoffrey Keezer au cours de trois sets le dimanche. Autres grands
moments des « scènes secondaires » la dynamique et unique chanteuse de
Corée du Sud Youn Sun Nah (avec le guitariste tout terrain Ulf Wakenius)
sur la scène extérieure du Garden Stage suivie par Brian Blade et
Fellowship, orchestre inspiré par le gospel et animé d'un chaude
spiritualité. Sur l'agenda des chanteuses cette année, il fallait
également se pencher sur la merveilleuse et originale sensation Becca Stevens,
poète de folk-jazz. Elle a produit une vive mais très sensible
impression avec sa musique post-Joni Mitchell, soit avec son propre
orchestre, soit en rendant visite aux concerts d'Ambrose Akinmusire
(elle apparaît sur son dernier album The Imagined Savior Is Far Easier to Paint) et elle apparaît comme une chanteuse parfaitement adapté dans l'album de Billy Childs en hommage à Laura Nyro, Map to the Treasure.
Les
derniers concerts sur la scène principale étaient consacrés à plaire au
plus grand nombre avec beaucoup d'énergie, comparés aux travaux
beaucoup plus subtils plus tôt dans la soirée.
Cette année le
programme du dernier spectacle de la nuit était constitué par le
populaire orchestre d'Herbie Hancock, The Roots, le respecté et
hautement créateur de groove qui officie dans le show télévisé, Late Night with Jimmy Fallon.
Aussi distrayants et énergiques qu'ils soient, ils paraissaient un peu
déplacés et pauvres en jazz : ils auraient certainement été plus en
accord avec la traditionnelle programmation du dimanche après midi à
Monterey où Marcus Miller a creusé son sillon funk dans les cœurs et les
esprits de la foule.
Couronnant le festival sur la scène
principale, Michael Feinstein offrit son swing de salon consacré à
Sinatra avec un grand orchestre qui est apparu un peu plat pour un
concert final. Heureusement, le toujours affamé de jazz pouvait se
rendre en un lieu appelé Dizzy's Den où Voyager dEric
Harland (avec le jeune guitariste phénomène Julian Lage dans un mode
plus rock et d'atmosphère peu habituel pour lui) faisait chauffer des
recettes pleines de groove et de fraîches improvisations, donnant les
dernières notes du festival.
Comme c'est souvent le cas à
Monterey il y eut des pollinisations croisées et des moments d'échange
de contexte tout au long du festival. Le batteur vedette Eric
Harland a joué avec le quartet de Charles Lloyd aussi bien qu'avec le
trio Sangam, conduit sur toute la planète par Lloyd, et il a dirigé son
orchestre Voyager. Trompettiste en progrès et artiste de la note,
Akinmusire avec son orchestre a injecté une puissante nouvelle poésie du
jazz à la salle du Night Club le dimanche (peut être le spectacle le
plus puissant de tout le festival). Il a pu également être entendu dans
la rencontre des jeunes artistes Blue Note (avec également Robert
Glasper, Marcus Strickland, Lionel Loueke, Derrick Hodge et Kendrick
Scott) intitulé «Our Point of View» (notre point de vue) pour célébrer
le 75e anniversaire du label. Akinmusire est
encore apparu tel un artiste caméléon sur l'hommage à Laura Nyro par
Billy Childs sur la grande scène.
L'excellent pianiste Aaron
Diehl apporte son toucher élégant à l'orchestre de Salvant, mais on a
également pu l'entendre avec son propre orchestre – comme artiste invité
subventionné – sur la scène principale le samedi. Il a alors présenté
son esthétique élégante, en n'oubliant pas de donner un salut
respectueux à John Lewis, (une influence majeure qui fut depuis ses
débuts et pendant un quart de siècle le directeur artistique du Monterey
Jazz Festival) au travers d'une pièce subventionnée de vingt minutes
appelée « The Third Streams of Expression », les Trois Courants de
l'Expression. Dans ce travail des éléments d'un chaud bebop bien tempéré
et du Baroque se mêlaient agréablement, dans la grande tradition
formelle du MJQ de John Lewis.
Une
autre résurgence de l'histoire de Monterey a été évidente aux yeux de
tous lorsque Charles Lloyd a joué sur la scène principale pour la
première fois depuis 2006. Le set incluait sa composition historique
«Forest Flower» qui avait fait sensation et créé une grande vague de
popularité lorsque son orchestre original, avec Keith Jarrett, l'avait
joué sur cette même scène en 1966. Il était impossible d'éviter le
message circulaire de l'histoire et les résurgences du passé à Monterey,
en partie à cause de sa propre programmation et en partie parce que le
festival lui-même a été tissé dans la même étoffe de l'évolution et des
changements du jazz au cours du dernier demi-siècle.
Lors de sa 57e
édition annuelle, le festival de Jazz de Monterey a une fois de plus
prouvé sa volonté d'être le meilleur festival de jazz de la Côte Ouest,
et l'un des meilleurs du monde. Au milieu de ces trois jours bien
remplis, vous pouvez être balayé par la chaleur et par l'action de tous
les stimuli. En regardant les notes et le programme des concerts, vous
réalisez, à un certain degré que vous avez reçu une leçon sur ce qu'est
le jazz aujourd'hui – et sur ce qu'il était dans le passé.
Josef Woodard (texte et photo) Traduction Guy Reynard
© Jazz Hot n° 670, hiver 2014-2015
Bar-sur-Aube, AubeJazzàBar, 12-14 septembre 2014 Du 12 au 14 septembre 2014 avait lieu la 6e
édition de JazzàBar, à Bar-sur-Aube, dans la région Champagne-Ardenne.
Un festival bien connu maintenant que les Baralbins ne manquent pas de
soutenir avec une forte envie de découverte et beaucoup d’enthousiasme.
Au fil des ans, JazzàBar progresse sur le panorama international, et
confirme une réelle passion de faire vivre la musique, le tout dans une
ambiance conviviale et chaleureuse. JazzàBar mélange jazz, swing, un
peu de blues-rock, une orchestration quelque peu éclectique qui offre
néanmoins un événement relativement unique dans la région. Cela donne la
possibilité de transmettre aux jeunes générations, comme aux plus
avancées, une connaissance des différentes traditions musicales.Le la
est donné par Jean-Pierre Chouleur qui, à la soirée d’ouverture,
prononce un discours plein d’humour rapportant la genèse du festival et
annonçant la programmation. Il manie la langue avec élégance et,
phénomène rare de nos jours, fait montre d’une grande sincérité dans ses
propos. Il n’hésite pas, par exemple, à affirmer devant un auditoire de
plus de 400 personnes qu’il a commis une erreur de programmation, s’en
excuse, et on le sent désolé. De surcroît, il affirme que dorénavant, il
se déplacera pour écouter les musiciens avant de les programmer afin de
ne pas décevoir le public fidèle à cet événement annuel.Le
soir du 12 septembre, le groupe Tcha Limberger Trio était à l’honneur.
Une musique aux marges du jazz hot et qui certes n’a pas un instant
manqué de swing. Tcha Limberger est un violoniste, guitariste, chanteur,
ancré dans le respect de la tradition du jazz-manouche. Le thème «My
Blue Heaven» transparaît tout en nuance au violon suivi d’un solo
pertinent du contrebassiste australien Sébastien Girardot. S’ensuit un
morceau que Tcha nomme «La Souffrance» et qu’il joue et chante avec
beaucoup d’émotion, moment au cours duquel on a presque ressenti une
douleur lancinante. Le remarquable Dave Kelbie, guitariste rythmique
très solide, empli de talent, assume son rôle d’accompagnateur avec
parfaite maîtrise, subtilité et abnégation. Un magnifique concert, tant
par sa virtuosité que par sa sensibilité, le tout donné avec beaucoup
d’humilité. Tcha a le don de pouvoir raconter son histoire à travers la
musique ce qui a ému bon nombre de spectateurs. La gentillesse des
musiciens manifestée auprès du public à l’issue du concert fut un moment
fort agréable pour tous.En 2e partie de
soirée, le FAB Swing constitué d’Olivier Hutman (p), Tony Bonfils (cb)
et Charly Ménassé (dm, voc), rendait un hommage assez particulier aux
« Beatles ». Mélangeant rythmes rock, rap, hip-hop, swing de temps en
temps, cette musique trop pleine de décibels fut parfois à la limite du
supportable auditif et ce, malgré une mise en place irréprochable. On
pourrait imaginer Charly Ménassé quelque peu dans l’esprit de Bobby
Durham mais certainement pas dans la constance du swing. Les jolis solos
d’Olivier Hutman se construisent grâce une vaste connaissance et une
utilisation fluide de l’harmonie. A mon grand désarroi, je n’ai pas
ressenti de symbiose particulière, ni même d’interaction palpable entre
chaque musicien. Un concert problablement trop «professionnel» et joué
par des «grands professionnels», comme s’en réclame Tony Bonfils.Le
lendemain, jour du marché, j'ai pris part vers 11h à l’animation jazz;
flottait dans les rues une ambiance bon enfant. Il y régnaient des airs
de New Orleans sous un soleil au zénith très Sud. La formation Be-Bop
Stompers, composée de Pierre Guicquèro (tb) (enfant du pays), Julien
Silvand (tb), Nathalie Renauld (bjo) et Raphael Gouthière (sousaphone),
déambulait gaiement dans les rues. Pierre Guicquèro mène brillamment ce
marching band fondé sur un esprit redoutablement swing. Une mise en
valeur des standards comme «Four in One», «A Night in Tunisia»,
«Freedom Jazz Dance» ou encore «Afro Blue », des incontournables
élégamment joués dans la tradition du jazz. Les badauds qui passaient
devant ce groupe ne pouvaient que s’arrêter pour écouter une musique
enjouée, pétillante tout comme certaines bulles auxquelles la région
doit une partie de sa réputation. Ce genre de « concert » dans des
lieux improbables a le mérite de faire découvrir le jazz à un large
public, non initié au contact des musiciens. Ce fut une très bonne mise
en oreille avant de déjeuner au restaurant où l’on put encore entendre
quelques notes de ce marching band avant de passer à la formation de
Lorenzo Sanchez (g) avec Philippe Billoin (clv), Philippe Dandrimont (b)
et Pat Machenaud (dm). Du blues-rock à la sauce quelque peu réchauffée,
parfois à haute température, et malgré tout, des musiciens sensibles,
non dénués de talent, certainement capables de bien mieux dans un autre
contexte!En
début de soirée était programmé le Pablo Campos trio, un jeune pianiste
talentueux accompagné de Patrick Quillard (cb), menant paisiblement sa
retraite de kinésithérapeute, et de Jean Duverdier (dm), dessinateur
humoriste. Relativement ancrée dans la tradition d’Oscar Peterson, la
musique swingue, les notes vivent et retracent une bonne partie de
l’histoire du jazz. La musique est très intertextuelle, reprenant des
phrases parfaitement reproduites de Duke Ellington, Charlie Parker,
Horace Silver, Oscar Peterson pour ne citer qu’eux. La contrebasse et la
batterie très attentives et subtiles, manquent toutefois d’un peu de
présence. Jean Duverdier se réclame musicien amateur mais sa finesse de
frappe est bien rare chez les batteurs actuels. Il est de surcroît
sensible et à l’écoute, comme son complice Patrick Quillard, tous deux
au service de la musique et de leur leader. Pablo Campos est un bon
leader, il joue à la quasi perfection les maîtres du jazz et ce avec
beaucoup d’élégance et de respect. Après le premier concert, le
programme annonçait l’ambiance à venir avec un show, «Tribute to the
Blues Brothers». Dix musiciens sur scène, une rythmique groove très
percussive, sans réelles nuances. Fabrice et David usent de leurs voix
et d’harmonicas pour mener la danse avec un jeu de scène quasi semblable
à celui de leurs inspirateurs. Ils n’hésitent pas, pour une danse, à
convier Jean-Pierre Chouleur qui participe activement au spectacle le
temps d’un morceau. Le public fut très réceptif à un show qui combla
tous les âges. Une musique un peu clichée qui fit pourtant lever les
spectateurs entraînés par un groove soutenu et une nostalgie tangible
dans des thèmes comme «Sweet Home, Chicago» ou «Everybody needs Somebody
to love». Le lendemain en fin de matinée était organisé dans
une cave à champagne, un concert apéritif avec un groupe « amateur » de
jeunes musiciens, le « Vertigo quartet » constitué de Raphaël Fauquier
(ts, ss), Benjamin Branle (g), Bastien Branle (g) et Teddy Moire (cb).
Raphaël ne laisse pas insensible et utilise intelligemment de nombreux
plans saxophonistiques, toujours avec le souci de la mélodie. Parmi ses
influences, on put entendre celle de Michael Brecker. Les guitaristes et
le contrebassiste ne sont pas en reste et jouent avec virtuosité et
décontraction mais aussi beaucoup de concentration. Un concert vraiment
agréable avec des musiciens sans prétention et pleins de sympathie.En
guise de dénouement, les deux concerts annoncés se situaient au point
culminant. 1er concert annoncé, « Tribute to Nat King Cole », avec le
trio « Three for Swing » composé de Christophe Davot (g, voc), Jacques
Schneck (p) et Enzo Mucci (cb). Christophe est un enfant du pays, feu son père
Jean-Pierre Davot, à qui la ville a rendu un hommage fort en donnant
son nom à la salle de spectacles où se jouent tous les concerts du soir,
fut maire de Bar-sur-Aube. Christophe Davot s’illustra magistralement
ce soir-là. Jacques Schneck illumine les notes de son piano avec grâce
et révérence. Enzo Mucci le suit dans cette envolée en assurant un
soutien indéfectible à la contrebasse, tout en nuances et swing
pétillant, pour livrer un solo digne des maîtres. Les mises en place
réalisées à la perfection et l’extrême contrôle des nuances dans les
thèmes entre le piano et la guitare sont particulèrement rares à
entendre de nos jours. Ce fut un réel plaisir d’entendre ce swing
savamment orchestré qui bouscule l’âme. Ce groupe fit voyager le public
dans l’intemporalité avec le superbe répertoire de Nat King Cole.
Christophe Davot est un guitariste d’une grande dextérité doublé d’un
chanteur à la sensibilité exarcerbée, dont la voix fait du bien. Ses
compères sont eux aussi accomplis et ont juste besoin non de prouver
leur talent mais de l’exprimer. Un concert rempli d‘émotions, subjuguant
de beauté et de tendresse tant la musique s’exprimait avec chaleur et
amour, le tout brillamment mené. Il est à espérer que ce trio, trop peu
programmé dans les festivals, sera plus souvent entendu.Après
une longue pause, le groupe Nikki and Jules, composé de Nicolle Rochelle
(voc, dm), Julien Brunetaud (p, voc), Claude Braud (ts), Jean-Baptiste
Gaudray (g), Bruno Rousselet (cb) et Julie Saury (dr) montait sur scène.
Le concert débute avec un blues plein de swing et de groove ; Nicolle
Rochelle arrive avec une énergie flamboyante, s’empare de la scène et
captive une salle comble d’admirateurs. Une magnifique présence de tous
les musiciens où les regards complices fusent autant que les solos, ce
qui fait plaisir à voir et à entendre. Julien Brunetaud et Nicolle
Rochelle dirigent avec conviction et sans désir de s’imposer, donnant à
chaque musicien la liberté de s’exprimer pleinement. Le public est
attentionné et participatif, il n’hésite pas à faire écho à la voix de
l’envoûtante Nicolle Rochelle qui se donne sans compter. Sa voix à la
fois douce et puissante conjugue joie, bonheur, et parfois tristesse.
Julie Saury (dm) prodigue un solo absolument redoutable de virtuosité,
avec le brio rythmique et mélodique qu’on lui connaît, laissant le
public quelque peu médusé. Claude Braud (ts) intervient avec de beaux
solos blues, dotés d’un son ample et nostalgique qui laisse
transparaître une émotion intense. Jean-Baptiste Gaudray (g) et Bruno
Rousselet (cb) offrent aussi des solos d’une belle profondeur qui
témoignent de la sensibilité de cet ensemble. On écoutera à nouveau cet
orchestre avec un plaisir non dissimulé. Ce festival est mené de
main de maître par Jean-Pierre Chouleur et sa femme Myriam, doués d’une
énergie débordante et d’un sens aigu de l’organisation. Jean-Pierre et
sa femme ont commencé à développer leur passion il y a de cela plus de
vingt ans en invitant des musiciens à leur domicile pour y donner des
concerts mêlant passions et amitiés. Ils drivent désormais cette
manifestation avec une régularité métronomique. Jean-Pierre passionné de
jazz, programme au long de l’année quelques concerts dans sa région.
Cet ancien professeur de lettres, fort de ses convictions, remporte le
pari d’avoir une salle quasiment pleine chaque soir. Par ailleurs,
il est à signaler que cette manifestation a la particularité de
fonctionner sans subvention publique, ce qui contraint à chercher
activement des sponsors privés qui croient en la musique et encouragent
sa diffusion. On attend la saison prochaine avec un vif intérêt. Adrien Varachaud photos et texte
© Jazz Hot n° 670, hiver 2014-2015
Bruxelles, Belgique
Saint-Jazz-Ten-Noode, 12-13 septembre 2014
Marni
Jazz à Ixelles, Toots Festival à La Hulpe (CR à lire par ailleurs),
Jazz At Home à Malines et Saint-Jazz-ten-Noode à Saint-Josse! Quatre
festivals le même week-end à Bruxelles et alentours! Il y avait de
quoi paniquer pour les organisateurs et s’arracher les cheveux pour les
spectateurs! Et pourtant, à Saint-Josse comme à La Hulpe, où nous
étions, le succès fut garanti.
Saint-Jazz,
d’abord: Jean Demannez n’est plus le Bourgmestre de la petite commune
de Saint-Josse-ten-Noode. Rivalités politiques obligent: exit la place
communale où se tenait le festival convivial. Néanmoins et fort
heureusement, Jean reste le Président du Centre Culturel Le Botanique
mais aussi l’Administrateur Délégué de la Jazz Station qu’il a créée en
2005 (Jazz Hot n°623). C’est donc à la Jazz Station et au
Botanique que le festival prend dorénavant ses quartiers. Nous étions à
la J.S., le vendredi soir, pour écouter, serrés comme une centaine de
frites dans un cornet : la première soirée de la29e édition de ce sympathique rendez-vous de la rentrée artistique.
Le LG Jazz Collective, dirigé par Guillaume Vierset (g), s’est petit à petit fait une sérieuse réputation depuis le trophée des Jeunes Talents
des Leffe Jazz Nights 2012 ; avec quelques changements de personnel
mais aussi en élargissant son répertoire à des compositions écrites par
des jazzmen belges qui ne sont pas que liégeois. Ainsi «Toscane» de
Philip Catherine, «Jazz At The Olympics» de Nathalie Loriers,
«Carmignano» d’Eric Legnini et un très beau «A» de Lionel Beuvens. La
rythmique est désormais constituée d’Igor Gehenot (p), Félix Zurstrassen
(b, eb) et Toni Vitacolonna (dm) qui remplace Antoine Pierre parti se
faire les dents à New York. Les solistes sont Jean-Paul Estiévenart (tp,
flh), Laurent Barbier (as), Steven Delannoye (ts) et Guillaume Vierset
(g), auteur de la plupart des arrangements. joliment structurés (5/7
sur «Nick D»), distribuent les solos mettant en valeur chaque
instrumentiste : fougue de Laurent Barbier (as) sur le tube Nathalie
Loriers : «Jazz At the Olympics», profondeur de Steven Delannoye (ts)
sur «Grace Moment», hardiesses de Guillaume Vierset (g) sur «Toscane» de
Philip Catherine, solo de basse (« The End Is Always Sad ») et de
basse-électrique pour Félix Zurstrassen ; chabadas de biais à la
high-hat par Toni Vitacolonna (dm) sur «Positive Mind» ; sons étranglés,
modulés, de Jean-Paul Estiévenart (tp) sur le même «Positive Mind» ;
changements de tempo sur « The End Is Always Sad » ; question-réponse
entre Steven Delannoye (ts) et Laurent Barbier (as) sur «Carmignano» ;
ensemble ténor-guitare sur «New Feel»… La musique tourne, assurée et
joyeuse et la foule exulte, consciente qu’elle assiste là à la
prestation des meilleures musiciens de la dernière génération.
En
seconde partie, Sal La Rocca Band. Le contrebassiste belgo-sicilien
propose l’essentiel de son dernier album paru chez Igloo : «It Could Be
The End». Petit frère de la flibuste, Lorenzo Di Maio (g) explose à
nouveau son talent dès le premier thème : «Insomnia». L’influence de
Scofield est présente mais l’approche est un peu moins rockisante, plus
chantante, comme sur «Bluemondo» et sur cette belle valse «Stand
Point». Jouxtant le Royaume des Deux-Siciles, l’onde s’offre aux marins
bataves; Hans van Oosterhout (dm) d’abord, dont on ne se lasse pas
d’apprécier le travail aux balais («Osuna») - ici comme à La Hulpe, le
lendemain, avec Philip Catherine. Mete Erker, Hollandais virevoltant et
souriant, assure au ténor («Season Heat») et au soprano («Crescent»).
Remplaçant de Jacques Schwarz-Bart parti solliciter les vaudous
haïtiens, il est magnifique lorsqu’il relit Coltrane. Rêveur, modeste
mais efficace : Pascal Mohy (p) est surprenant d’inventivité quand il
sort de son apparente torpeur («Insomnia», «Osuna»). Compositeur et
leader, Sal La Rocca (b) impose ses tempos, distribue les solos et fait
tourner (guitare + ténor + piano sur «It Could Be the End»). Ca balance
full of afterbeat ; Sal et son saxophoniste ne se privent d’ailleurs pas
de ponctuer et danser, le sourire aux lèvres (solo de basse sur
«Bluemondo»). C’est beau, c’est très bien et ils le savent, puisqu’en
réponse à nos applaudissements ils jouent en bis une dernière compo :
«Evidence». Cette soirée fut terrible! Satisfaction! Oh Yeah!
Jean-Marie Hacquier Texte et Photo © Jazz Hot n° 670, hiver 2014-2015
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