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JAZZ RECORDS • Chroniques de disques en cours • Ces chroniques de disques sont parues exclusivement sur internet de 2010 (n°651) à aujourd’hui. Elles sont en libre accès.3 choix possibles: Chroniques en cours (2019), Jazz Records/alphabétique (2010 à 2018 sur internet), Jazz Records/chronologiques (2010 à 2018 sur internet). En cliquant sur le nom du musicien leader dans le programme des chroniques proposées, on accède directement à la chronique. Toutes les autres chroniques sont parues dans les éditions papier de 1935 (n°1) à février 2013 (n°662). Elles sont classées par ordre alphabétique, ici, ou chronologique. A propos des distinctions, elle ne résument que la chronique, pour sacrifier à la tradition déjà ancienne des notations et à la mauvaise habitude moderne d'aller vite, nous avons choisi d'ajouter, en 2019, un niveau (les curiosités) pour donner plus de nuances, car tous les lecteurs ne lisent pas toujours les chroniques en entier. Nous pouvons résumer l'esprit de ces niveaux d'appréciation par un raccourci qualitatif (Indispensables=enregistrement de référence, historique; Sélection=excellent; Découverte= excellent par un(e) artiste pas très connu(e) jusque-là; Curiosité=à écouter; Sans distinction=pas essentiel pour le jazz selon nous). Cela dit, rien ne remplace la lecture de chroniques nuancées et détaillées. C'est dans ces chroniques de disques, quand elles sont sincères, c'est le cas pour Jazz Hot, que les amateurs ont toujours enrichi leur savoir.
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Au programme des chroniques
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A • Lorez Alexandria • Louis Armstrong • Patrick Artero • At Barloyd's • Pauline Atlan • Teodross Avery • B • Chet Baker/Wolfgang Lackerschmid • Gilles Barikosky • Basin Street Records Recording Artists • Jon Batiste • Emmanuel Bex/Philip Catherine/Aldo Romano • Ran Blake/Christine Correa • Ran Blake/Jeanne Lee • Ran Blake/Claire Ritter • Paul Bley/Gary Peacock/Paul Motian • Ray Blue • Mike Bogle • James Booker • Sophie Bourgeois • Vincent Bourgeyx • Thomas Bramerie • Milt Buckner/Jo Jones • Billy Butler/Al Casey/Jackie Williams • Billy Byers/Martial Solal • C • Gwen Cahue • Pablo Campos • Patrice Caratini/Alain Jean-Marie/Roger Raspail • Al Casey/Billy Butler/Jackie Williams • Philip Catherine/Emmanuel Bex/Aldo Romano • Cédric Chauveau • Sue Childs • Pierre Christophe/Joel Frahm/Joe Martin • Evan Christopher/Fapy Lafertin • Esaie Cid • Olivier Collette • John Coltrane • Junior Cook/Louis Hayes • Christine Correa/Ran Blake • Gustavo Cortiñas • Julian Costello • Davell Crawford • D • Dal Sasso Big Band • Miles Davis • Raul De Souza • Joey DeFrancesco • Riccardo Del Fra • Jean-Pierre Derouard • Sacha Distel/John Lewis • Jordon Dixon • Django AllStars • Eric Dolphy • Philippe Duchemin • E • Christian Escoudé • Gil Evans Orchestra • F • Marianne Feder • Laurent Fickelson • Joel Frahm/Pierre Christophe/Joe Martin • Maurice Frank • G • Patrice Galas • Jared Gold • Goldberg(s) • Honi Gordon • Luigi Grasso/Ignasi Terraza • Grant Green • Georges Guy/Olinka Mitroshina • H • Erik Thormod Halvorsen • Connie Han • Jan Harbeck • Louis Hayes/Junior Cook • J.C. Heard/Bill Perkins • Michele Hendricks • Woody Herman • Michel Herr • Billy Hitz • Christopher Hollyday • Ramona Horvath/Nicolas Rageau • Stéphane Huchard • McClenty Hunter Jr. • J • Mahalia Jackson • Bobby Jaspar • Alain Jean-Marie/Patrice Caratini/Roger Raspail • Bill Jennings • Jo Jones/Milt Buckner • K • Célia Kaméni/Vincent Périer • Snorre Kirk • Joachim Kühn • L • L'Affaire Enzo • La Section Rythmique • Wolfgang Lackerschmid/Chet Baker • Fapy Lafertin/Evan Christopher • Steeve Laffont • Guy Lafitte • Jeanne Lee/Ran Blake • Philippe LeJeune • Les Oignons • John Lewis/Sacha Distel • Tcha Limberger • Bo Lindenstrand • Hugo Lippi • Barbara Long • Leroy Lee Lovett • M • Christian McBride • Greig McRitchie • Roberto Magris • Jason Marsalis • Wynton Marsalis • Joe Martin/Pierre Christophe/Joel Frahm • Samuel Martinelli • Xavier Mathiaud • Faby Médina • Mem' Ory • Rossitza Milevska • Olinka Mitroshina/Georges Guy • Paul Motian/Paul Bley/Gary Peacock • N • Fred Nardin • Guillaume Nouaux • O • Odidrep • Leïla Olivesi • Oracasse • P • Lia Pale • Gary Peacock/Paul Bley/Paul Motian • Vincent Périer/Célia Kaméni • Bill Perkins/J.C. Heard • Philippe Petit • Michel Petrucciani (Complete Recordings) • Michel Petrucciani (Colours) • Tom Pierson • Valerio Pontrandolfo • Q • Alvin Queen • R • Rodolphe Raffalli & Renée Garlène • Nicolas Rageau/Ramona Horvath • Roger Raspail/Alain Jean-Marie/Patrice Caratini • Louisiana Red • Scott Reeves • Bastien Ribot • Herlin Riley • Claire Ritter/Ran Blake • Bob Rogers • Aldo Romano/Emmanuel Bex/Philip Catherine • S • Nicola Sabato • Bobby Sanabria • Christian Sands • Dorado Schmitt • Fabrizio Sciacca • Isabelle Seleskovitch • Philippe Soirat • Martial Solal (Histoires improvisées) • Martial Solal (And His Orchestra) • Martial Solal/Billy Byers • Lyn Stanley • Carol Sudhalter • Swing Vibrations • T • Ignasi Terraza • Ignasi Terraza/Luigi Grasso • The Amazing Keystone Big Band • Olivier Anthony Theurillat • Pat Thomas • Three Blind Mice • Timeless Allstars • Claude Tissendier • T.K. Blue (Talib Kibwe) • Marco Trabucco • Sam Trippe • U • René Urtreger • V • Chucho Valdés • Maurice Vander • Jacques Vidal • Romain Vuillemin • W • Reggie Washington • Ernie Watts • Ben Webster • David & Danino Weiss • Barney Wilen • Jackie Williams/Billy Butler/Al Casey • Jeff Williams • Hono Winterstein • |
Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2019
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John Coltrane
Blue WorldNaima (Take
1), Village Blues (Take 2), Blue World, Village Blues (Take 1), Village Blues
(Take 3), Like Sonny, Traneing In, Naima (Take 2)
John
Coltrane (ts), McCoy Tyner (p), Jimmy Garrison (b), Elvin Jones (dm)
Enregistré
le 24 juin 1964, Englewood Cliffs, NJ
Durée: 36’
34”
Impulse! 00602577626524 (Universal)
Enregistrement de courte durée, indispensable, qui prend
place en juin 1964, entre le spirituel Crescent (Impulse! AS66) d’avril 1964 et le preach A
Love Supreme (Impuse! AS77) de décembre 1964, cette musique se place dans
la veine blues and spiritual qui illumine cette période du John Coltrane Quartet,
si marquée de l’atmosphère du temps, la conquête des Droits civils et les
événements tragiques ou épiques qui s’y rattachent. Cette séance, imprévue,
trouve son origine dans la demande d’un cinéaste canadien (Québec), Gilles Groulx,
en vue de la bande-son d’un film en noir & blanc Le Chat dans le sac qui sortira en août 1964, et remportera le
grand prix du long métrage canadien au Festival de Montréal en 1964.
Cela dit pour l’histoire, car la musique de John Coltrane,
qu’il accepta d’enregistrer avec bienveillance grâce à l’entremise de Jimmy
Garrison, vole à 10000 mètres au-dessus d’un film dans l’esprit de la nouvelle
vague française, c’est-à-dire superficiel, sur fond de préoccupation nombriliste
et identitaire (la situation de la minorité québecoise francophone dans le
grand ensemble anglophone canadien et les états d’âme d’un couple immature). Gilles
Groulx, s’imaginant d’avant-garde et revendicatif, devait penser que John
Coltrane était un musicien d’avant-garde (la mode se pensait d’avant-garde), et
a imaginé une analogie entre les situations afro-américaine et québécoise. C’est
pour le moins confondant de naïveté et d'inculture; le film est très pauvre: l’habituel
malentendu de l’époque, l’Europe et la France (le Canada français par
imitation) en particulier ont connu les mêmes approximations-analogies abusives
entre luttes afro-américaines et décolonisation, mouvements estudiantins et
adolescents qui feront le bonheur de la société de consommation, de la musique
commerciale, pop, folk ou de variété.
John Coltrane a, lui, les deux
pieds dans la glaise de sa
culture, dans la réalité tragique du moment, et son art, tout aussi
original
soit-il et grâce à ça justement, est l’émanation, l’expression dans sa
forme de ce que vit dans le réel
la communauté afro-américaine. Il y a chez John Coltrane, et dans tout
le jazz
de toutes les époques d’ailleurs depuis Louis Armstrong, une maturité,
une
profondeur, en rapport avec la dureté de la condition des
Afro-Américains, qui
contrastent totalement avec le caractère artificiel et superficiel des
luttes
adolescentes de l’Europe, perceptibles ici dans ce film québécois: des
«révoltes»
comme le dit un héros qui hésite à se qualifier de «révolutionnaire» dans
son petit confort
bourgeois, bien loin des réalités tragiques de la condition
afro-américaine et des luttes pour en sortir. De
fait, la musique est peu (une dizaine de minutes) et mal utilisée dans
le film,
géante sur fond de dialogues creux, insignifiants. Quelques images
«esthétisantes»,
«photographiques», de mode, car en noir & blanc, confirment ce
malentendu total. Le noir & blanc des images du jazz n'a aucun point
commun avec celui de la nouvelle vague.
Cela dit, il reste la bande-son, une sorte de miracle né d'un malentendu, et elle nous
revient intacte dans sa profondeur car John Coltrane a demandé au fidèle Rudy Van Gelder
d’enregistrer la séance. Le quartet est à l’apogée, les musiciens sont tout
entiers investis dans un son d’ensemble en rapport avec l’expression déterminée
par le leader. Jimmy Garrison, au son très mat, intense; McCoy Tyner, la digne
alternative mélodique du leader, distillant les éclairs brillants de cette
musique qui augmentent le contraste avec son caractère sombre; Elvin Jones a
inventé une nouvelle manière de faire swinguer la batterie, avec ses nappes de
cymbales, de frottements de peaux, accentuant le caractère «stellaire» de la
sonorité du groupe; John Coltrane profond, puissant, spiritual, preacher traçant la route comme un autre Martin Luther King, Jr. Si on avait choisi un film
en symbiose avec sa musique, comme pour Mahalia Jackson, il aurait fallu prendre
un film sur la grande lutte des Droits civils. On espère que ça viendra un jour,
c’est la musique de ce temps tout autant que celle de Louis, de Mahalia, de
Duke, de Billie, d’Ella, de Ray ou de B.B. King. Ces musiques, ces artistes essentiels, ont besoin de
films, d’histoires à leur mesure, bien réelles même quand elles évoquent le vaudou ou la transe, bien humaines, enracinées, tragiques ou
heureuses (cf. notre article «La longue marche vers l’égalité»). Le cinéma italien a parfois réussi la rencontre de la profondeur de la musique et des images.
La base du répertoire de ce Blue World est constitué de blues, et quand le
blues prend cette dimension, cette puissance, cette profondeur, il
devient de
fait du spiritual, pas du gospel mais bien du spiritual. Ecouter deux
versions
de «Naima», «Traneing In», «Blue World», «Village Blue», dans cette
période du
John Coltrane Quartet est un vrai cadeau de Noël de 36 minutes. Le label
Impulse!,
parfois galvaudé depuis quelques années, n’a pas connu pareille fête
depuis des lustres, comme un retour à la source de ce qu'il fut.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Carol Sudhalter Quartet
Live at Saint Peter's ChurchOn a Misty
Night, Park Avenue Petite, Time Remembered, Colin Blues*, Valse Hot, Fun in the
Alley, Gee Baby Ain't Good to You, Luiza
Carol
Sudhalter (bar, ts, fl, voc*), Patrick Poladian (p), Kevin Halley (b), Mike
Campenni (dm)
Enregistré le 7 mars 2018, New York
Durée: 48' 07''
Alpha Project 194 (https://sudhalter.com)
C'est une personnalité
attachante et singulière de la scène du jazz new-yorkais qui vient de produire
son dixième album en concert à la célèbre Saint Peter's Church sur Lexington
Avenue à New York. Carol Sudhalter est une pionnière dans son genre, une
musicienne et pédagogue pour qui le jazz est une leçon de vie au quotidien. Née
en 1943 à Newton (Massachusetts), elle est issue d'une famille de musiciens.
Son père joue de l'alto dans les formations d'Eddy Duchin (p) et Bobby Hackett
(tp), et ses frères, Richard et James, sont également musiciens de jazz. Elle
débute dans les années 1960 à la flûte et étudie la théorie de la musique duthird stream avec Ran Blake (p) et Phil Wilson (tb) au New
England Conservatory of Music avant d'orienter sa carrière vers l'enseignement
et le journalisme, quittant sa ville de Boston pour New York en 1978. C'est à
cette époque qu'elle rejoint le premier groupe féminin de latin jazz
«Latin Fever» et fonde en 1986 le big band Astoria dont les membres, issus du quartier du Queens, travaillent des œuvres
originales mais aussi le répertoire de Mary Lou Williams afin de diffuser le
jazz auprès d'un public plus large. Son travail de sidewoman auprès d'Etta
Jones, Chico Freeman, Duffy Jackson, Jimmy Cobb, Henry Butler ou Jimmy McGriff
démontre une ouverture d'esprit ainsi qu'une connaissance approfondie du jazz.
Elle est également à l'initiative de plusieurs projets, tels les Jazz
Mondays à l'Atens Square Park de 1989 à 2001 ou plus récemment les Monthly Jazz Jam au FlushingTown Hall, ouverts aux étudiants,
musiciens professionnels et enseignants ou simples spectateurs autour d''une
thématique (comme la musique de Louis Armstrong en septembre dernier).
C'est au
saxophone baryton et à la flûte qu'elle s’exprime sur cet album live en
compagnie de son quartet habituel. On sent d'emblée, la cohésion du groupe dans
la mise en place avec une thématique straight ahead faisant
la part belle à
Tadd Dameron, Sonny Rollins, Benny Golson, Bill Evans, Hank Mobley ou
Tom Jobim.
Dès le premier morceau «On a Misty Night», on découvre le jeu tout
en fluidité et la sonorité acérée doublée d'une attaque robuste et
franche au
baryton de Carol Sudhalter. On notera également une forme de légèreté
dans son
approche de l'instrument, qu'on retrouve sur sa version enlevée de
«Valse Hot». A la flûte, elle s'illustre magistralement sur
«Time Remembered» ou «Luiza» avec beaucoup de
délicatesse et un amour pour l'aspect mélodique évoquant la maîtrise
d'un
Herbie Mann. Le trio est un écrin pour le leader comme sur la superbe
ballade
«Park Avenue Petite» démontrant une belle musicalité toujours
proche de la mélodie. On peut regretter la prise de son sur «Colin
Blues» ainsi qu'une prestation vocale non convaincante sur ce même
titre. Un bémol qui n'affectera pas cette heureuse découverte d'une
musicienne ne manquant pas d'authenticité.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Michele Hendricks
A Little Bit of Ella (Now and Then)
Sweet
Georgia Brown (short version), How High the Moon*, Love for Sale, It Don’t Mean
a Thing, Things Ain’t What They Used to Be, Oh Lady Be Good, Our Love Is Here
to Stay, A Little Bit of Ella (Now and Then), Airmail Special, Every Time We
Say Goodbye, Sweet Georgia Brown (extended version)
Michele
Hendricks (voc), Tommy Flanagan (p), Peter Washington (b), Lewis Nash (dm) + selon
les titres, Brian Lynch (tp), Robin Eubanks (tb), David Fathead Newman (ts), Jon
Hendricks (voc)*
Enregistré les 7 et 8 janvier 1998, New York
Durée:
1h 03’ 23’’
Cristal
Records 237 (Sony Music)
Michele Hendricks
Another SideCannonball
Blues, Fulu’s Paradise, The Saga of Moby Dick, Trivia Madness, Ask Inside, Mama
You Told Me, Regulatecha!, Flight of Foos, Why Did You Have to Go?,
Honk if Ya Want It, Don’t Give Your Soul Away, Chicken Scratch, Il y a des cons
partout
Michele Hendricks (voc), Olivier Temime (ts), Arnaud Mattei
(p), Bruno Rousselet (b), Philippe Soirat (dm)
Enregistré en novembre 2018, Rochefort (17)
Durée: 58’ 55’
Cristal Records 290 (Sony Music)
Enfant de la balle, Michele Hendricks, née en 1953, a
toujours su faire entendre sa voix tout en s’inscrivant dans son «lourd»
héritage familial et culturel, celui de son père, le grand Jon
Hendricks
(1921-2018). Il y a vingt-huit ans déjà, elle expliquait à Jazz Hot (n°484, 1991) sa proximité avec lui, avec une certaine
tradition jazzique, de même que sa volonté d’affirmer un style original. Un
héritage qu’elle fait vivre et prospérer à Paris, où elle vit, chante et
enseigne depuis de longues années.
Alors qu’elle sort, en cette fin 2019, un album de
compositions originales ou récentes, Another
Side, nous revenons d’abord sur son précédent disque, A Little Bit of Ella, a contrario constitué de standards, et qui ne
nous était pas parvenu à sa sortie, début 2016. Il n’est jamais trop tard pour
parler d’un bon disque, d’autant que celui-ci a été enregistré en… 1998! Dans
le livret, Michele nous expose le contexte de ces deux sessions new-yorkaises
de janvier 1998: souhaitant rendre hommage à son idole Ella Fitzgerald
(1917-1996, voir notre dossier), la chanteuse contacte Tommy Flanagan
(1930-2001), l’un de ses accompagnateurs emblématiques, qui, sollicité de toutes
parts pour la même raison, a décidé de tout refuser en bloc. Pourtant, il se
ravise un mois plus tard, et il rappelle Michele Hendricks. Elle passe ainsi en
studio pour graver quelques-unes des plus belles chansons d’Ella, et un inédit
de sa main, accompagnée d’un trio de haut-vol –Tommy Flanagan, Peter
Washington, Lewis Nash– et d’invités de marque, dont Jon Hendricks. D’emblée,
Michele, qui est l’auteur de tous les arrangements, affirme sa personnalité
avec un «Sweet Georgia Brown» funky, dont une version longue est livrée en fin
d’album. Plus surprenant encore, «How High the Moon» débute en reggae puis part
sur un scat endiablé où la fille et le père se donnent la réplique de façon
vertigineuse. Loin de toute imitation, c’est par sa technique vocale hors pair
que Michele Hendricks rappelle Ella (et son géniteur), jouant du scat avec une grande
dextérité, notamment sur «Oh Lady Be Good» et «Airmail Special» avec, et sur le
second, deux beaux solos virevoltants de Tommy Flanagan et Fathead Newman. Du
fait de la dimension des intervenants, un véritable all stars, tout est excellent, de l’évocation du
duo Ella-Ellington («It Don’t Mean a Thing», «Things Ain’t What They Used to
Be») au bon original de Michele, «A Little Bit of Ella» avec des paroles bourrées
de références aux grands succès d’Ella Fitzgerald.
Vingt ans après, on retrouve Michele Hendricks dans un autre contexte. Certains des jazz giants qui l’entouraient sur A Little Bit of
Ella ne sont plus de ce monde: Tommy Flanagan, David Newman et bien-sûr
Jon… Elle reste cependant solidement accompagnée sur Another Side, en particulier par le maître rythmicien Philippe
Soirat, qu’on a plaisir à entendre sur un répertoire de compositions récentes de jazzmen de l'hexagone –hormis «Flight of Foos»
(«Flight of the Foo Birds» de Neal Hefti)– sur lesquelles elle a posé des
paroles, ou bien des titres dont elle est entièrement l’auteur. La qualité des
mélodies et des orchestrations offre un beau terrain d’expression à la
chanteuse, dont le scat est toujours étourdissant, voire exubérant (le bien
nommé «Trivia Madness», paroles et musique de Michele Hendricks). Les plus
notables réussites de cet album sont, à notre avis, l’énergique «Cannonball
Blues» (Hervé Meschinet), avec un Olivier Temime à son affaire dans le
rôle principal, «Fulu’s Paradise» (Vincent Magnier) aux rythmes latins chaloupés,
un autre bon blues, «Mama You Told Me» (Michele Hendricks) et bien évidemment
«Flight of Foos», au swing tenu d'une main ferme par la section rythmique. Cet Another Side, qui nous présente
effectivement une autre facette du travail de Michele Hendricks s’achève de
façon humoristique avec un original de la chanteuse, «Il y a des cons
partout», qui évoque l’ancrage français de Michele Hendricks.
Une bonne chanteuse en pleine possession de ses moyens dont on regrette la relative discrétion sur les scènes françaises.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Tom Pierson Orchestra
Last Works CD1: Abandonned, Chandra Lowery's Samba, By the Marty's Decree,
Time Remembered, Winter's End, Dark Story, The Pharaoh's Serpent
CD2: Elipsis, Sultry, 45/8, In God's Name, Two Becoming 3, Among
Strangers
Tom Pierson (p, lead, arr), Blue Lou Marini (ts,as), Mark Vinci (s), Shu
Enomoto (s), Neil Johnson (s), Michael Lutzeier (s), Dominic Derasse (tp), Mike
Ponella (tp), Tim Leopold (tp), Lew Soloff (tp), Ben Herrington (tb), Robinson
Khoury (tb), Dan Levine (tb), Jeff Nelson (tb), Kanoa Mendenhall (b), Pheeroan
Aklaff (dm)
Enregistré du 19 au 23 janvier
2015, New York
Durée: 1h 05' 50'' + 57' 42''
Ratspack Records (https://tompierson.bandcamp.com)
C'est une pièce gigantesque que
nous propose le pianiste, chef d'orchestre, arrangeur et compositeur Tom
Pierson avec ses Last Works. Un
projet qui représente quarante ans de travail autour d’une formation
tout-terrain qui a été choisie par l'institut Smithsonian pour son
évocation
d'une histoire rétrospective du big band jazz intitulé «Big band
Renaissance». L'occasion de découvrir celui qui est «le meilleur
compositeur inconnu que je connaisse» d'après Gil Evans. Un compliment
qui n'est pas dénué de sens tant l'œuvre de Gil Evans est un point de
départ
pour Tom Pierson dans son approche contemporaine du big band, tout comme
le
travail de compositeur et d'arrangeur de Bob Brookmeyer. Il se dégage un
effet de masse, parfois de dissonance, comme sur «45/8»,
avec par moments des passages au swing intense, comme sur
«Abandoned», avec un jeu minimaliste et bluesy du leader, suivit
d'un chorus plein de détermination de Robinson Khoury (tb) très
expressif,
rappelant, en véritable maître du growl, Wycliffe Gordon. Les
changements de
rythmes à l'intérieur de cette thématique originale, au sens large,
dépassent le
cadre du jazz pour s'aventurer sur une création compacte, où l'écriture
laisse
une place non négligeable à d'excellents solistes, tel le brillant Lew
Soloff
(tp) dont c'était le dernier enregistrement. Il est d’ailleurs magistral
sur
«Times Remembered» avec ses longues phrases doublé d'une sonorité
brillante nous ramenant également à son travail avec Gil Evans au Sweet
Basil
au milieu des années 1980.
Quelques mots sur le leader, Thomas Pierson, qui est né en
1948 à Ashland, Wisconsin. Un musicien
au talent précoce puisqu'il est soliste à l'âge de 13 ans au Houston
Symphony. Il fait ses études à la fameuse Juilliard School afin de devenir
pianiste classique, mais il choisit finalement le jazz bien que travaillant pour le
Métropolitan Orchestra l'œuvre de Leonard Bernstein, les musiques de films dontManhattan de Woody Allen. Il
s'installe au Japon au début des années 1990 et dirige son propre orchestre
dont les musiciens sont pour la plupart des vétérans de la scène jazz
new-yorkaise, mais aussi quelques musiciens de studio de haut-vol. Last Works met en exergue le surprenant
Blue Lou Marini plus connu dans l'univers du rhythm and blues, qui, dans ce
contexte, se révèle tant à l'alto qu'au ténor un soliste passionnant avec un jeu
puissant au léger vibrato. Sur«Chandra Lowery's Samba», la
cohésion de la rythmique est à l'honneur, tout comme le jeu coltranien de Lou
Marini. Dans le livret, Tom Pierson évoque son goût pour l'improvisation sur
des pièces plus étendues, un moyen d'échapper à une forme de répétition. La
complexité de l'écriture du leader laisse souvent la place à une évolution
permanente des climats au sein même de
chaque thème. Shu Enomato (ts) nous gratifie d'un superbe chorus sinueux et
lyrique sur le thème modal «By the Martyr's». Au final, Last Works représente à merveille la
riche personnalité d'un musicien singulier du jazz contemporain.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Vincent Bourgeyx
Cosmic Dream Antoine's Song, I Fall in Love too Easily, Lost
Garden, Middle of Nowhere, Cosmic Dream for Blue Shoes, Dong, It's a Girl, One
for the Trouds, Too Much Love, I Love Paris, Nervous Yoyo, Eternal Beginning,
Lush Life, End of Nowhere, Peace
Vincent Bourgeyx (p), David Prez (ts), Matt Penman
(b), Obed Calvaire (dm)
Enregistré les 21
et 22 septembre 2017, Meudon (78)
Durée: 1h
06' 42''
Paris Jazz
Underground 019 (L'Autre Distribution)
Le pianiste
Vincent Bourgeyx sort le sixième album sous son nom, et c'est celui de la
confirmation du talent d'un artiste mais aussi d'un quartet qui avait déjà
enregistré l'excellent Short Trip (Fresh Sound New Talent, 2016) avec en invité la voix de Sara Lazarus. La
formation atteint aujourd'hui une forme de sérénité tant dans l'approche des
standards que dans l'écriture d'une thématique d'une grande fraîcheur. Un jazz
qu'il puise dans une approche post bop du piano jazz dont les fondations
remontent à sa solide formation au Berklee College de Boston au début des
années 1990. Un jazz que le Bordelais, né en 1972, explore à New York, son diplôme en
poche, avec une tournée de plus de deux ans auprès du légendaire Al
Grey (tb) avec Bobby Durham aux baguettes. Il partage également durant près de
cinq ans l'univers particulier de Jane Ira Bloom (ss), avec des musiciens
tels que Mark Dresser (b) ou Bobby Previte (dm). De ses expériences et
rencontres, il restera un profond goût pour un jazz fait de richesses
harmoniques et rythmiques avec toujours en ligne de mire une notion de swing.
C'est avec son ancien complice de Boston, le contrebassiste Matt
Penneman qu'il
fonde sa rythmique. Le batteur de Miami, Obed Calvaire, qui a déjà une
solide
expérience au sein du Mingus Big Band, du trio du pianiste David Kikoski
en
passant par Wynton Marsalis, complète la formule. Un classicisme
revendiqué
sur la pièce en trio dans l'esprit de l'école de Detroit sur «I Fall in
Love too Easily» succédant à l'excellent «Antoine's Song»
rappelant le Hancock des années Blue Note avec un jeu dynamique et
délicat à la
fois. Le leader possède cet art de revisiter de manière singulière
l'univers
des standards en leur donnant une nouvelle dimension, sur les traces de
diverses époques (Ahmad Jamal, Martial Solal…) ou du Jacky Terrasson des
années 1990. Malgré
tout, ce sont ses compositions qui retiennent l'attention avec une forme
de
tension permanente ou l'aspect mélodique laisse la place à une liberté
contrôlée, malgré un équilibre parfait du quartet. David Prez au
ténor se fond à merveille dans ce collectif, avec un léger vibrato et un
lyrisme exacerbé par une sonorité solidement enracinée dans un univers
moderne
évoquant parfois Wayne Shorter comme sur «Lost Garden». Une
réussite pour ce disque qui marque une étape dans la carrière de ce
pianiste
qui affirme un peu plus sa personnalité à l'image d'une génération de
musiciens
tels Laurent Coq, Mark Turner ou David Binney qui sont à la croisée
entre
modernisme et tradition.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Miles Davis
RubberlandRubberband
of Life, This Is It, Paradise, So Emotional, Give It Up, Maze, Carnival Time, I
Love What We Make Together, See I See, Echoes in Time/The Wrinkle, Rubberban
Miles Davis (tp, synth, kb, arr), Randy Hall (g), Attala Zane
Giles (dm, perc, synth), divers musiciens variant selon les plages détaillés
dans le livret
Enregistré d’octobre 1985 à janvier 1986, dans différents
lieux selon les voix et les musiciens enregistrés
Durée: 1h 01’ 42”
Rhino/Warner
Records R2 599464/603497850785 (Warner Bros.)
Miles Davis est une icône, autant pour la communauté
afro-américaine où il incarne la réussite artistique et économique (deux
données inséparables aux Etats-Unis) d’un de leurs membres dans un monde
globalement hostile; au même titre que Nat King Cole, Quincy Jones, Michael
Jackson, et bien d’autres et dans tous les domaines. Miles est aussi une idole
pour les publics européens de grande consommation et/ou simplement
sensibles aux phénomènes de mode. Miles est enfin un monument pour les amateurs
de jazz parce que sa carrière a épousé la deuxième partie du XXe siècle, pour
le meilleur (Charlie Parker, Sonny Rollins, Cannonball Adderley, John
Coltrane
et beaucoup d’autres, ses formations des années 1950-1960). Miles Davis a
aussi
épousé ce temps pour le pire (le pire pour Miles, pour être précis,
quand on
sait qu’il est capable du meilleur), et cette production de caoutchouc
appartient au pire de ce qu’il produisit et représenta: une musique
complaisante épousant l’air du temps (des Etats-Unis), de mode, une
injure à
son œuvre par ailleurs, malgré sa sonorité cuivrée qui surnage comme un
cliché
stéréotypé dans un océan de médiocrité.
De jazz, malgré l’appellation
dans les renseignements
numériques du disque, il n’en est pas question. Il est aux oubliettes:
pas un gramme de blues, de swing ou d’expression.
De la musique d’ascenseur, de ceux qui nous font préférer monter les
escaliers. Miles
n’est ni le premier, ni le seul à avoir sacrifié à la pacotille et à la
mode, c’est-à-dire au prêt à consommer, à jeter. Cela a existé à toutes
les époques du jazz, mais assez rarement. On ne peut même pas parler
d’esthétique dans un univers dépourvu de
la moindre beauté. Miles n’a peut-être pas souhaité la publication de
son
vivant, donc on ne peut pas l’accuser exclusivement de ce naufrage
phonographique. Alors, personne ne
critiquera Miles, ni dans sa
communauté, ni parmi les amateurs de jazz. Les autres n’ont pas vocation
à
critiquer. Quand on aime le jazz, on peut éviter sans remord cette
mauvaise
soupe de grande distribution, pas populaire pour un sou, et se
concentrer sur tout ce que Miles a fait de respectable par ailleurs, c'est déjà monumental.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Dal Sasso Big Band
The Palmer Suite L'Avant Palmer, La Jeune Veuve et le Général,
Le Plus Grand des Domaines, La Décadence, Une Transition Douloureuse, La Saga des
Frères Pereire, Les Vignes en Danger, La Décennie Terrible, Le Vin Blanc
Secret, Le Renouveau, Palmer Aujourd'hui
Christophe Dal Sasso (fl), Julien Alour, Joël
Chausse, Quentin Ghomari (tp, flh), Denis Leloup, Jerry Edwards (tb), Bastien
Stil (tu), Dominique Mandin (as, fl), Sophie Alour (ts, cl, fl), David El-Malek
(ts), Thomas Savy (ts, bcl), Pierre de Bethmann (p), Manuel Marchès (b), Karl
Jannuska (dm)
Enregistré les 2 et 3 juin 2018, Villetaneuse
(93)
Durée:
52' 53''
Jazz & People
819006 (www.jazzandpeople.com)
Leader d'une grande formation évoquant parfois
celle du Gil Evans Orchestra, le flûtiste, compositeur et chef d'orchestre
Christophe Dal Sasso nous propose une œuvre riche et colorée retraçant en
musique deux siècles d'histoire d'un prestigieux vignoble de Bordeaux, le
fameux Château Palmer. Onze fresques où l'écriture côtoie la liberté des
superbes solistes composant ce singulier big band. Depuis neuf ans, le Château
Palmer, qui représente une forme d'excellence dans l'appellation Margaux, est
le théâtre d'un concert de jazz lors de la présentation de son nouveau
millésime. Ainsi, on a vu défiler, il y a peu de temps, quelques musiciens
confirmés tels Jacky Terrasson, Daniel Humair ou Archie Shepp. En 2014, on
fêtait le bicentenaire de l'acquisition du domaine par le général anglais
Charles Palmer à Marie de Gascq. C'est lors de cette édition que son directeur
actuel, Thomas Duroux, commanda une œuvre orchestrale à la hauteur gustative de
ce grand vin à l'un des arrangeurs et compositeurs les plus talentueux de la
scène jazz contemporaine. Christophe Dal Sasso a été un élève d'Ivan
Jullien, et il a fait des débuts remarqués en obtenant dès 1992 le prix
d'orchestre lors d'un concours à La Villette qui l'amena à diriger plus tard un
big band qui se fit remarquer dans les clubs de la capitale. Il collabora
également avec Dave Liebman sur l'album Explorationet orchestra pour ce dernier quelques pièces de l'Ensemble
Inter-Contemporain. On retiendra aussi ses projets avec les frères Belmondo surHymnes au Soleil et Influence avec Yusef Lateef ou Milton
Nascimento.
Après un bel hommage à Coltrane sur son
arrangement de A Love Supreme (2014),
puis un disque de compositions originales, Les
Nébuleuses (2016), il surprend encore l'auditeur avec The Palmer Suite. La qualité des solistes se fait remarquer sur
l'ensemble de l'œuvre dès l'ouverture de «L'Avant Palmer»
avec la sonorité voilée du ténor de Sophie Alour dotée d’un léger vibrato
doublé d'un phrasé élégant. Les climats sont pluriels dans cette œuvre où un
certain classicisme s'installe suivant les thèmes comme «La Jeune Veuve
et le Général» sorte de ballade ellingtonienne ou le swinguant «Le
Plus Grand des Domaines» laissant la place à Pierre de Bethmann, dans un
registre post bop non dénué de virtuosité, et à la belle sonorité de Julien
Alour dans un chorus plein d'autorité. Le jeu linéaire et coltranien de David El
Malek s'illustre sur le modal «Transition Douloureuse» tout comme
la clarinette basse de Thomas Savy dans un souffle dolphien sur «La Saga
des Frères Pereire». «Le Renouveau» marquant une écriture
plus ancrée dans une tradition du big band rappelant Thad Jones & Mel
Lewis, avec un superbe chorus de Denis Leloup à la sonorité droite et
expressive ainsi que le final de Manuel Marchès dans un registre organique et
plein de swing.
The Palmer
Suite est à déguster évidemment autour d'un verre de Bordeaux, sans
modération.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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T.K. Blue
The Rhythms ContinueKasbah, The
Wise One Speaks, Going to the East, Night in Medina, Kucheza Blues, Insomnia, The
Last Day, At the Crossroads of Touba, A Gathering of Elders, Where, Hi Fly, Ifrane,
Reverence for Those Who Came Before, Just Waiting: A Sister's Lament, Faith For
Those Who Come After, Dinner Chez Gladys, Uncle Nemo, A Solo Journey to
Paradise, World 3:The Last Goodbye
T.K. Blue
(comp, as, ss, fl, perc), Alex Blake (b,eb, 1,3,5,11,16), Vince Ector (dm, 1,3,5,11,16),
Chief Baba Neil Clarke (perc, 2,3,5,8,9,11,13,15,16), Billy Harper (ts, 5,11),
Min Xiao Fen (chinese pipa, 19), Sharp Radway (p,1,3,5,16,19), Mike King (p,
11), Keith Brown (p, 11), Kelly Green (p, 6,14)
Enregistré le 24 février 2019, Union City, NJ
Durée: 1h 00’ 06”
JAJA Records 005 (tkblue@comcast.net)
The Rhythms continue restera sans doute comme le plus émouvant hommage musical au grand Randy Weston
disparu le 1er septembre 2018, parce qu’il y a dans cette réunion de
la famille spirituelle de «Baba Randy», du 24 février 2019 enregistrée en
studio autour de son enfant le plus emblématique T.K. Blue (aka Talib Kibwe), une véritable
cérémonie en mémoire mêlant ce que le jazz a de plus essentiel: une relecture
inventive du patrimoine même le plus lointain utilisant les codes du jazz
(blues, swing, expression hot), avec
les couleurs, les inspirations que Randy Weston a magnifié dans sa
musique, du
continent américain mais aussi des grands espaces africains rêvés et
interprétés par son imagination et son humanisme. Alex Blake, Vince
Ector, Chief Baba Neil Clarke, Billy Harper, sont les autres compagnons,
disciples, frères, enfants de Randy Weston, de cette galaxie si
particulière
d’un jazz pourtant si new-yorkais car originaire de Brooklyn. La
dernière pièce de
Talib Kibwe, «World 3: The Last Goodbye», étend les couleurs jusqu’à la
Chine
avec la présence de Min Xiao Fen. L'album comprend dix-neuf pièces,
parfois très courtes, qui, mises en perspective, restituent toute la
beauté et
la complexité de l’univers du pianiste, porté ici par un T.K. Blue qu’on
a
rarement entendu aussi inspiré, puissant, «sonore», profond («Kasbah»,
«The
Last Day», «Night in Medina»), comme si, en disparaissant, Randy Weston
avait libéré chez son héritier une force supplémentaire, après l’avoir
accompagné depuis 40 ans
dans l’élaboration d’une voix déjà passionnante de leader. La musique
possède ici
une énergie, une profondeur, une intensité, une sombre beauté parfois
(«Insomnia»), qui font penser que Randy Weston est toujours présent,
au-delà de
sa disparition, parce qu’il habite véritablement les musiciens qui ont
participé à cet enregistrement, particulièrement son fils en musique,
T.K.
Blue.
Le répertoire est constitué de onze originaux de T.K. Blue, de
sept thèmes de Randy Weston, de deux thèmes de Melba Liston, l’arrangeuse de
prédilection de Randy Weston (et pas seulement). C’est une longue suite de couleurs,
d’atmosphères, un grand voyage dans le monde de celui à qui est dédié ce disque,
mais plus largement de cette fratrie autour de T.K. Blue qui demeure pour
perpétuer le message musical, esthétique et philosophique de Randy Weston.
Alex
Blake est, comme il l’était avec Randy,
indissociable de cet univers, virtuose et expressif, un son mat à la
Mingus et un fredonnement à la Slam Stewart. Les percussions très
nombreuses, d’inspiration africaine ou caribéenne, jouent un rôle
essentiel
dans la couleur musicale d’un ensemble qui ne quitte jamais les rails du
jazz («Kucheza
Blues»), le «parfumant» des couleurs du monde. Tous les musiciens sont
en phase, sincères, engagés pour faire de ce
disque un hommage in the spirit («Hi Fly»). Les parties en soliste, en duos
alternent avec des pièces en quartet, quintet, sextet, octet pendant une heure qui
passe comme un bel éclair de musique de jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Louis Armstrong
Live in EuropeMuskrat Ramble, Rockin' Chair, Rose Room, Royal Garden Blues , Panama,
Sunny Side of the Street, Mahogany Hall Stomp, Black and Blue, Them There Eyes,
My Bucket Got a Hole in It, Way Down Yonder in New Orleans, Coquette, Love Come
Back to Me*, Can Anyone Explain*, Tin Roof Blues, A Kiss to Build a Dream On
Louis Armstrong (tp, voc), Jack Teagarden (tb, voc), Trummy Young (tb),
Barney Bigard (cl), Bob McCracken (cl, voc), Earl Hines, Marty Napoleon (p),
Arvell Shaw (b), Sid Catlett, Cozy Cole (dm), Velma Middleton (voc*)
Enregistré les 22 & 23 février 1948, Nice et le 12 octobre 1952, Berlin
Durée: 1h10'25''
Dot Time Records 8015 (www.dottimerecords.com)
Sortie annoncée pour le 27 septembre 2019, JazzTimes publie: «Difficile à croire, mais près de 50 ans
après sa mort nous écoutons encore de nouveaux enregistrements de Louis Armstrong.Live in Europe, la 4e publication
de la série pionniers du jazz de la Dot Time Records Legacy Series, comprend
des sets venant du 1er Festival International de Jazz de Nice en
1948 et d'une prestation de 1952 à Berlin. Ces enregistrements, jamais publiés
avant, ont été trouvés dans les archives du Louis Armstrong House Museum». Plusieurs
remarques: pour les jeunes générations, le nom Armstrong évoque un astronaute ou
peut-être un cycliste. Si dans le milieu des cuivres, les noms de Maurice André
et Louis Armstrong représentent le sommet au XXe siècle, ce qui est déjà bien,
les écoute-t-on encore vraiment? Dans ce qui reste du monde du jazz, Louis a
certes inscrit durablement son nom et une influence indirecte depuis que Wynton
Marsalis a cherché à intégrer des éléments à son propre style. Mais, beaucoup,
débutant la préhistoire du jazz à Charlie Parker, ne l'écoute pas ou très peu.
C'est comme le portrait d'un ancêtre sur la cheminée, si familier qu'on y prête
plus attention. Ce disque leur sera utile pour exhiber la présence du maître
dans une discothèque de «spécialiste» qui s'égare bien sûr hors des
fondamentaux. Car l'utilité pour les rares connaisseurs résiduels est
discutable. Il est surprenant que le Louis Armstrong House Museum ignore la
publication de ce matériel. La prestation à Nice du grand Louis Armstrong
admirablement entouré de Teagarden, Bigard, Hines, Shaw et Catlett (!) a fait
l'objet d'une édition soigneuse, plus complète et dans l'ordre, joué à l'Opéra
de Nice les 22 et 23 février 1948: c'est dans l'intégrale, volume 14 titré Constellation
48 chez Frémeaux & Associés (FA 1364), et nous en avons donné une
chronique détaillée dans le Jazz Hot n°676.
Il faut dire que les Etats-Unis ignorent souvent le
travail fourni hors de leur territoire. Ne revenons pas sur le caractère
historique de l'évènement, premier du genre, où le directeur musical,
Hugues
Panassié se devait de proposer celui par qui tout a pris une dimension
hors
norme dans ce qu'on appelle jazz: Louis Armstrong. A 47 ans seulement,
Louis
Armstrong est en pleine forme comme le démontre cette version de «Black
and
Blue» (Jazz Society AA613 & AFG10, matrice Part.8051):
L'expressivité vocale
à son comble, un timing qu'il a inventé et une plénitude et puissance de
trompette restées sans égal avec un tel panache. Le chant de Louis
Armstrong
dans «Them There Eyes» est une leçon de swing qui serait aujourd'hui
profitable
à tout le monde. Jack Teagarden n'est pas l'horreur que Panassié a
dénoncée à ses fidèles; c'est un virtuose du trombone doté d'une
personnalité artistique
qui fera «école». Il y a les «spécialités» du All-Stars, rebaptisé «Hot
Five» pour la circonstance, comme «Rose Room» par le merveilleux Barney
Bigard, une
référence pour la sonorité de clarinette (Sid Catlett y déploie aussi
son grand
talent).
En 1952, le personnel est un peu différent: Trummy Young et Cozy Cole,
rien moins, succèdent à Teagarden et Catlett. Le Texan Bob McCracken
(1904-1972) n'est pas Bigard mais assume correctement. Il jouera dès 1953 pour
Kid Ory. Ici, il partage avec Louis la partie chantée de «My Bucket Got a Hole
in It», un blues low-down pris sur un
tempo parfait pour le swing. Bien entendu, Louis Armstrong et ses musiciens
reprennent à peu de choses près les mêmes interprétations d'une soirée à
l'autre. Il n'y a que la France pour croire qu'en jazz il faille toujours
improviser. Quand ça s'impose, ils savent faire; sinon, la qualité et le
respect du public (qui va au-delà des jazzophiles) poussent à la chose bien
rodée. Ce qui compte outre le swing, ici toujours présent, c'est le traitement
du son comme le démontre Trummy Young dans ses solos sur «Way Down Yonder in
New Orleans» et «Tin Roof Blues» ou dès l'exposé musclé de «Coquette» (et non «Croquette»!).
Bien entendu, Louis Armstrong est impérial et chacune de ses notes est
indispensable quel que soit le package.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Michel Herr
PositiveThe Right
Choices?, Pages and Chapters, Unexpected Encounters, The Positive Side, I Think
of You*, Modules, Chemistry and Mystery, String Positive, Second Look
Michel Herr
(comp, arr, dir), Bert Joris (flh, tp), Paul Heller (ts), Peter Hertmans (g),
Nathalie Loriers (p), Sam Gerstmans (b), Dré Pallemaerts (dm)
Quartet à cordes: Benoît Leseure (1st vln),
Pierre Heneaux (2nd vln), Jean-François Durdu (avln), Merryl Havard
(cello), Tutu Poane* (voc)
Enregistré du 8 au 10 novembre 2018, Bruxelles
Durée: 1h 02’ 47”
Igloo Records
308 (Socadisc)
Michel Herr (né en 1949, à Bruxelles) présente l’originalité
d’avoir choisi, dès son début de carrière dans le jazz, à 20 ans, le double
parcours de musicien de scène et de compositeur-arrangeur. Son activité
d’écriture est même sans doute fondatrice dans sa vocation, lié à son premier
amour, la musique classique. Il raconte, dans une interview de Jazz Hot dont il faisait la couverture
en 2008 (n°641), que, né
dans la musique classique, il a basculé dans le jazz «par hasard» (un ami), et,
au fond, par nécessité car cette musique offrait à son parcours d’autodidacte
de l’écriture et de la musique le cadre de liberté pour donner libre court à son besoin
d’expression. Il a, en cinquante ans de cheminement effectué avec beaucoup de
curiosité et de travail (ses échanges avec Wolfgang Engstfeld), contribué en
tant que musicien-pianiste, sideman ou leader, à la grande histoire du jazz aux
côtés de toutes les générations de musiciens, belges (Félix Simtaine, Robert
Jeanne, Toots Thielemans, Steve Houben, Jack Van Poll, Philip Catherine, Bert
Joris, Richard Rousselet, Phil Abraham, Ivan Paduart, Guy Cabay, Fabrice
Alleman,…) mais aussi plus ou moins belges d’adoption comme Chet Baker et Joe
Lovano, voire simplement de la scène jazz internationale (Joe Henderson, Billy
Hart, Ray Drummond…). Il a ainsi tourné dans le monde entier. Mais c’est devant
sa feuille blanche de compositeur et d’arrangeur qu’il a sans doute passé le
plus de temps, participant à un nombre incalculable de projets d’écriture pour
le compte du jazz, pour la scène, les studios d’enregistrement, la télévision
ou le cinéma.
Musicien savant, musicien de la transmission, il conserve
dans ses expressions un respect profond de l’histoire de la musique, du jazz en
particulier et de ses codes, et la qualité de son écoute curieuse lui a permis
de développer des qualités d’écriture et d’arrangement très cinématographiques,
comme en témoigne ce disque («String Positive»), d’une belle unité esthétique, alliées
à cette fibre mélodiste propre à nombre de musiciens belges (René Thomas, Toots
Thielemans, Philip Catherine sont réputés pour ça, mais c’est une qualité largement partagée
au-delà des Ardennes). Michel Herr possède ainsi cette qualité de développer
des récits émouvants, intimes ou rêveurs, «mis en scène» par une science
d’harmoniste et d’arrangeur pour faire qu’un disque comme celui-ci soit une
sorte de voyage en jazz qui commence à la première note et se termine à la
dernière note du disque. Les épreuves de la vie font que Michel Herr se consacre
aujourd’hui et depuis déjà quelques années entièrement à la composition et à
l’arrangement, et l’écoute de ce disque consacré à sa musique, où il a réuni un
véritable all stars et un quartet à cordes, nous confirme dans l’idée que le
plus essentiel de ce que Michel Herr possède est cette maîtrise de la matière
sonore et cette intuition pour raconter des histoires.
Servi par les excellents Paul Heller, Bert Joris, Peter
Hertmans et une belle rythmique Nathalie
Loriers, Sam Gerstmans, Dré Pallemaerts, Michel Herr sait parfaitement faire
intervenir les cordes du quatuor dans l’univers du jazz, sans faire perdre son
swing à la musique et sans rigidifier les musiciens, ni sans perdre le caractère classique des cordes, même
celles de la contrebasse («Pages and Chapters», «Unexpected Encounters») qui
forment dans son écriture un beau contraste avec les beaux sons jazz de Bert
Joris ou de Paul Heller, la guitare en single notes de Peter Hertmans, les
jaillissements de Nathalie Loriers ou les accents virtuoses de Dré Pallemaerts.
L’intervention de Tutu Poane sur «I Think of You» (ou «Thinking of You») est
très réussie, apportant la chaleur de sa voix à une composition éthérée, et propose
une belle alternative à la version que Michel Herr, pianiste, donnait de son
beau standard (avec Hein Van De Geyn et Leroy Lowe) toujours chez Igloo.
«Modules» rappelle l’amour de Michel Herr pour la musique de
Miles Davis, aidé par Bert Joris, et Paul Heller y fait preuve de toutes ses
qualités. «Chemistry and Mystery» est sans doute une réflexion de
Michel Herr sur son goût pour les alliages, et l’aspect magique de certaines
rencontres sonores. «Second Look» conclut avec une poésie omniprésente ce beau
voyage proposé par Michel Herr, introduites par les cordes du quatuor, de Peter
Hertmans et de Sam Gerstmans nous gratifiant de beaux chorus mis en valeur par
un quatuor à cordes complice, avec un Paul Heller hendersonien, un Bert Joris toujours
aussi doué pour les atmosphères, et une section rythmique toujours aussi soucieuse
de musique.
Les mélodies sont sans fausse complexité ou provocation sonore,
comme déjà familières, permettant à n’importe
quel amateur de rentrer dans l’univers de Michel Herr, mais aussi sans
complaisance, et ce
qu’en font les musiciens, quartet à cordes compris, sur les arrangements
savants et inventifs de Michel Herr, est simplement beau. Cet album réunit le
travail récent et l’apport en général de l’artiste Michel Herr, qui, pour ne
plus être sur la scène en tant que pianiste, n’en continue pas moins de
l’animer avec qualité.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Guillaume Nouaux
& The Clarinet KingsTitres
précisés dans le livret
Guillaume
Nouaux (dm), Evan Christopher, Antti Sarpila, Engelbert Wrobel, Eiji Hanaoka,
Aurélie Tropez, Lars Frank, David Lukacs, Jérôme Gatius, Esaie Cid, Frank Roberscheuten,
Jean-François Bonnel (cl), Luca Filastro, Alain Barrabès, Harry Kanters,
Jacques Schneck (p)
Enregistré
entre janvier et juin 2019, lieux non précisés
Durée:
1h 41' 08''
Autoproduit
(www.guillaumenouaux.com)
Voilà une bonne idée! Le
trio clarinette-piano-batterie est une formule trop rare. On doit à Jelly Roll
Morton ses premières réussites, avec les frères Johnny et Baby Dodds (1927, «Wolverine
Blues»), puis Omer Simeon et Tommy Benford (1928, «Shreveport Stomp») et
enfin avec Barney Bigard et Zutty Singleton (1929, «Turtle Twist»). Ne
négligeons pas le trio Benny Goodman (avec Teddy Wilson et Gene Krupa, juillet
1935: «Body ad Soul») ni Albert Nicholas avec Claude Bolling et Kansas Fields
(juin 1955, «High Society»)! Quel bonheur de voir que Guillaume Nouaux relève
le défi. Le résultat est inespéré en 2019. Non seulement ça tient la route face
à ces repères historiques mais c'est vivant, pas de reconstitution au quart de
croche près de la matrice n°XXX! Oh, il y a bien eu quelques réussites
antérieures à ce double CD, comme Live Hot Jazz par Kenny Davern et Dick
Wellstood avec Chuck Riggs (1986, Jazzology 177), la Mauve Decades par
Bobby Gordon, Keith Ingham et Hal Smith (1993, Sackville 2-2033) et les New
Orleans Trios de Trevor Richards, héritier du matériel de Zutty, en 1990 (avec
Peter Müller et Butch Thompson, Stomp Off 1222) et en 1994 (avec Orange Kellin
et Red Richards, NOJP CD-1). Mais ici, c'est plus énorme et le projet a été difficile
et long à concrétiser! Onze clarinettistes de nationalités diverses et quatre
pianistes dans un programme riche en bonheurs d'écoute. Ne comptez pas sur moi
pour établir un classement! Ils ont tous réservé le meilleur pour Guillaume
Nouaux.
Le CD1 débute par un «Minor
Drag» avec Esaie Cid où le drumming de Guillaume rappelle ce qu'il doit à Zutty
Singleton! L'introduction d'Evan Christopher à «Melancholy Blues» doit plaire
là-haut à Johnny Dodds. Notons que les tempos entre chaque thème sont variés.
Il y a quelque chose de Bob Wilber dans le solo d'Antti Sarpila sur «Yours Is
My Heart Alone». Surprise: le 4e titre, «Moanin'» de Bobby Timmons
est un duo batterie et piano de 3'53'' qui confirme qu'un batteur-musicien ça
existe. Belle homogénéité de registres d'Eiji Hanaoka dans «Stealin' Apples».
Jolie prestation d'Harry Kanters dans «Sophisticated Lady» avec un David Lukacs
goodmanien dans l'introduction. «Tokyo Express» est bien introduit par Frank
Roberscheuten et Guillaume Nouaux. Emotion ensuite avec le trio régulier de
Guillaume Nouaux qui ne pâlit en rien dans cette «confrontation»: l'admirable
Jérôme Gatius nous propose le «Burgundy Street Blues»! Beau registre grave de
Lars Frank dans «Honeysuckle Rose». Sur un tempo légèrement plus lent que
d'habitude on admire la musicalité digne de Bigard d'Aurélie Tropez dans «Confessin'».
L'interconnexion entre Engelbert Wrobel et Nouaux est parfaite pour «China Boy».
Enfin Jean-François Bonnel est admirable de lyrisme dans la coda de «Blue
Turning Grey Over You».
CD2: retour de Zutty dans l'introduction à «Nouaux-Leans
Strut» un original signé Evan Christopher qui bien sûr n'oublie pas la touche
latine. Nouaux passe à une démonstration de balais dont il est un
incontournable dans «Just One of Those Things» joué sur tempo vif en compagnie
de David Lukacs (né à Breda en 1978) et Harry Kanters. Gene Krupa aurait été
sidéré. Comme Max Roach devant ce «Broadway», deuxième duo batterie-piano avec
Jacques Schneck. Le Norvégien Lars Frank fait une belle démonstration dans «Liza».
Le Nééerlandais Frank Roberscheuten rend hommage à Bigard dans sa très belle
composition «Ballad for the Man From the South». Le trio régulier propose «Shreveport
Stomp» dont on connait les difficultés dont Jérôme Gatius n'a que faire. Benny
Goodman s'étonnerait qu'on fasse aussi bien que lui dans «Moonglow» ici
interprété par Wrobel, Barrabès et l'attentif leader. Aurélie Tropez dévoile
cette fois sa virtuosité et son swing (avec quelques trilles à la Noone!) dans «Somebody
Stole My Gal». Le Japonais Eiji Hanaoka qui a joué avec Buddy de Franco,
Peanuts Hucko, Bob Wilber se hausse à leur niveau dans «Candy». Belle
introduction de clarinette et jeu de balais à ce «If Dreams Come True» que nous
propose Jean-François Bonnel. Luca Filastro a concocté une jolie introduction à
ce «Wrap Your Troubles in Dreams» joué par le Barcelonais Esaie Cid qui évoque
Bigard dans les graves pour mieux s'en échapper au-delà. On termine avec le
Finlandais Antti Sarpila qui, avec la complicité de Luca Filastro, annonce de
façon «opératique» un «Avalon» en up tempo.
A moins d'être clarinettophobe ou
hostile aux batteurs, ce serait dommage de se passer de cette réussite
artistique.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Ray Blue
WorkWork, Lift Every Voice
and Sing, My Friend and I Took a Walk*°°, Sweet Emma, That's All*°°, Mellow
Mood, Amsterdam After Dark, Teach Me Tonight*°+, Don't Know Why, Our
Day Will Come, Everything Happens to Me, Attitude, That's All (duo Ray
Blue-Kirk Lightsey)*+
Ray Blue (ts), Ron
Wilkins (tb), Sharp Radway (p) sauf *,
Jeff Barone (g), Essiet Okon Essiet (b) sauf °, Steve Johns (dm), Neil Clark
(perc) + Kirk Lightsey (p)+, Belden Bullock (b)°, Benito Gonzalez
(p)°°
Enregistré à New York, dates non précisées
Durée: 1h 04’ 04”
Jazzheads 1235 (www.jazzheads.com)
Ray Blue appartient à la grande tradition des beaux sons du
saxophone ténor. Il fait évidemment penser par sa sensibilité particulière, son
beau son et son swing irrémédiablement ancré dans le blues à la lignée de Ben
Webster, Houston Person (remercié sur le livret) mais aussi George Coleman dont il partage, bien que plus
jeune (il est né en 1950, à Portsmouth, VA) la trop modeste notoriété internationale. Plus dommageable
pour Ray Blue, sa bien trop légère discographie ne lui rend pas justice. Ce
disque, excellent, est d’ailleurs composé d’enregistrements regroupés effectués
en plusieurs lieux.
Nous avons croisé pour la première fois Ray Blue pour un
anniversaire de Jazz Hot, à La
Huchette en 2005, où il avait épaté une fort nombreuse assistance par son
talent au-dessus de la moyenne et par une disponibilité qui lui avait valu de
rester jusqu’à tard entouré de jeunes musiciens à son écoute (vocale, car il est enseignant, et instrumentale). Il a fait
son apprentissage à Peekskill, NY, une localité non loin de la mégapole
new-yorkaise, avec un cursus dans le cadre scolaire de bonne qualité, comme il
l’explique dans une interview (Jazz Hot n°685), entouré des fondamentaux du jazz: la culture de ses parents –Duke
Ellington, Count Basie, l’église et la chorale locale– plus le rhythm and blues de sa génération, le funk.
Les big bands et l’amour des grands ténors du jazz, Coleman Hawkins, Ben
Webster, Sonny Stitt, Sonny Rollins, John Coltrane, Houston Person… mais aussi
King Curtis et Junior Walker, ont formé chez lui cette tradition pleinement
intégrée, des grands classiques du gros son et ténors du rhythm and blues,
avec ses accents blues, le
côté dansant
et dynamique de la musique, qui font le plaisir particulier d’écouter
Ray Blue.
Cet éclectisme au cœur du jazz lui a permis de participer à l’Arkestra
de Sun
Ra où John Gilmore le prend sous son aile, au Spirit Life Ensemble,
aussi bien
qu’aux formations de John Patton, de Bobby Battle, du regretté Larry
Willis, d’Eddie
Henderson, de Joe Lee Wilson… Il possède cette intégrité artistique de
cette génération des années 1970 qui ont maintenu et enrichi la
tradition du jazz. Tout indique dans son parcours un musicien de
haut niveau, mais sa discographie reste désespérante par la rareté des
traces
sonores qui relatent sa déjà longue carrière. Ray Blue reste
principalement un enseignant
et un musicien de scène, et comme les scènes jazz du monde (les
festivals) sont aujourd’hui souvent occupées par beaucoup d’autres
musiques, découvrir ou écouter Ray Blue sur le
disque ou à la scène (il a longtemps vécu en Allemagne mais est revenu à
New
York depuis quelques années), dépend essentiellement de la curiosité des
amateurs de jazz. Dans ce disque où le principal est en sextet-septet, Ray Blue fait
la démonstration de ses qualités de son, de swing et de blues, et aborde, avec sa personnalité sonore, les
registres de l’histoire du jazz de Ben Webster à George Coleman, dans une bonne
synthèse de plusieurs époques. On trouve aussi une curiosité avec ce beau final
en duo entre Ray Blue et Kirk Lightsey, une légende vivante pas honorée comme
elle le devrait. Les deux musiciens y donnent un petit récital de jazz de 5’
48”, très savoureux…
On note dans le parcours discographique de Ray Blue deux autoproductions:
en 1996, Always with a Purpose et, en
2004, Live at Liars; puis, en 2006, Transvision, sur le label allemand
Neuklang; en 2010, Berries and Blueschez Funky Records/Monopol Records. Ce Workest donc, pour la plupart des amateurs de jazz, une occasion rare de découvrir un
magnifique saxophoniste de jazz… septuagénaire en 2020.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Evan Christopher / Fapy Lafertin
A Summit in ParisWild
Man Blues, Clair de Lune, Old Sober March, Plachterida, After You've Gone,
Sweet Chorus, A Summit in Paris, Cinzano, In a Sentimental Mood, Bechet's
Fantasy, J'attendrai, Swing That Music, Little Creole Lullaby
Evan
Christopher (cl), Fapy Lafertin, Dave Kelbie (g), Sébastien Girardot (b)
Enregistré
les 23-24 juillet 2019, Montreuil (93)
Durée:
1h 02' 19''
Camille
Productions 072019 (Socadisc)
Dans ce nouvel album, Evan
Christopher poursuit dans la lignée de son Django à la Créole (2008).
Cette fois, c'est en compagnie d'un héritier de Django Reinhardt, Fapy
Lafertin. On sait que Django avait remplacé le violon de Stéphane Grappelli par
la clarinette d'Hubert Rostaing, Maurice Meunier ou Gérard Lévêcque. Pas
d'hérésie donc! La rencontre Sidney Bechet-Django Reinhardt aurait pu se faire
en 1949-53, d'autant plus que tous deux ont œuvré pour le même label, Vogue.
Fapy Lafertin (1950) est considéré comme l'un des principaux représentants
actuels du «jazz manouche» belgo-néerlandais. Il a débuté la guitare à l'âge de
5 ans, il a eu l'occasion de jouer avec Benny Waters et, brièvement, Stéphane
Grappelli.
Dès «Wild Man Blues», qui salue Louis Armstrong mais aussi Johnny
Dodds, le mariage entre l'expressivité créole d'Evan et le feeling à la Django
de Fapy marche à la perfection! La sonorité charnue et boisée d'Evan Christopher
évoque Dodds, une trille à la Jimmie Noone près. Dans ce titre qui ouvre le
programme, Sébastien Girardot prend un excellent solo. Evan et Fapy rivalisent
de vitalité et de dextérité. En avril 1947, Django a enregistré son «Clair de
Lune» avec Michel de Villers (cl) et Willy Lockwood (b, un parent de Didier).
Nous avons là une belle version qui, comme dans l'originale, est introduite de
main de maître par la guitare solo avant de passer le relais à une clarinette
rêveuse dont la magie n'opère que si la sonorité a le charme nécessaire. Ce qui
est ici le cas. L'atout de la sonorité chaude, profonde de cette clarinette
dérivée des maîtres louisianais fait aussi le prix de cette version sur tempo
paisible d'«After You've Gone». Evan Christopher dispose d'une belle
homogénéité du registre du grave à l’aigu. A noter l'effet de surprise bien venu
de l'arrêt brusque du solo de Fapy avant la reprise du thème qui clôt ce bel
échange entre la clarinette et la guitare. C'est en octobre 1936 que Django a
gravé pour Gramophone ce «Sweet Chorus» avec Stéphane Grappelli, Joseph
Reinhardt, Baro Ferret et Louis Vola, sur un tempo plus enlevé que la présente
version. La clarinette plaintive d'Evan Christopher est un substitut parfait au
classicisme distingué de Grappelli. Fapy Lafertin est totalement dans l'esprit
du monstre sacré Django. L'interaction Evan-Fapy balance bien, et les pieds
s'activent. La superbe ballade «In a Sentimental Mood» de Duke Ellington donne
à Fapy Lafertin l'occasion d'offrir un solo flamboyant et plein de lyrisme. La
qualité de timbre d'Evan Christopher n'est pas sans évoquer celle du regretté
Bob Wilber. C'est en janvier 1941 que Sidney Bechet enregistre son «Egyptian
Fantasy» pour RCA avec Red Allen. Moins connu et au piano, Bechet a remis ça à
New Orleans pour John Reid en juin 1944 avec la source de la clarinette
néo-orléanaise: Alphonse Picou et Big Eye Louis Nelson. La présente version
permet d'entendre un solo concis et efficace de Sébastien Girardot avant une
impressionnante envolée de Christopher. «J'attendrai» enregistré par Rina Ketty
en 1938 est l'adaptation d'une chanson italienne (musique de Dino Olivieri) et
elle fait aussi penser à Django filmé en jouant ce titre en 1939 avec son
Quintette du HCF. De ce fait, c'est devenu un classique de la «musique à Django»
défendu par Fapy Lafertin (1996), Raphaël Faÿs (2000), Jimmy Rosenberg (2000),
Angelo Debarre (2007)... et d'autres. La présente version n'est pas la plus
négligeable. Le «Swing That Music» lancé en 1938 par Louis Armstrong reste
inégalable bien que le quartet délivre beaucoup de swing dans son adaptation
(bon solo de Sébastien Girardot). Enfin, «Little Creole Lullaby» de Sidney
Bechet, qui a été enregistré par Claude Luter en 1961 (Vogue 45-880), n'est pas
sans évoquer «La Rosita» de Paul Dupont enregistrée par Eddie South (décembre 1927)
puis par Coleman Hawkins et Ben Webster ensemble (octobre 1957). Cette jolie
mélodie figure aussi dans l'album Spreadin' Joy de Bob Wilber dans la
continuité duquel s'inscrit Evan Christopher. A côté de ces classiques du jazz,
le tandem nous propose des thèmes originaux. Signés Evan Christopher, nous avons
«Old Sober March» qui swingue bien pour une marche (solo de guitare totalement
dans le style de Django inflexions comprises), «A Summit in Paris» (tempo
médium propice à laisser chanter la clarinette). Signés Fapy Lafertin nous
découvrons «Plachterida» (introduction hispanisante avant de nous faire danser
le tango –le spanish tinge cher à
Jelly Roll Morton), «Cinzano» (tourbillon d'une virtuosité valsée).
Un disque
qui se laisse écouter avec plaisir.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Paul Bley / Gary Peacock / Paul Motian
When Will the Blues Leave
Mazatlan, Flame, Told You So, Moor, Longer, Dialogue
Amour, When Will The Blues Leave, I Loves You Porgy
Paul Bley (p), Gary Peacock (b), Paul Motian (dm)
Enregistré
le 18 mars 1999, Lugano-Trevano (Suisse)
Durée:
56' 10''
ECM
774 0423 (Universal)
Il
y a chez Paul Bley cet art de cultiver le mystère au détour d’une phrase et ce
sentiment de sortir du cadre du trio en lui imposant une forme de
liberté. Il est peut-être le plus traditionnel des pianistes avant-gardistes de
par son parcours qui lui a fait côtoyer Sonny Rollins et Charles Mingus avant d’affirmer
une personnalité singulière. Un jeu tout en retenue où les silences succèdent à
un phrasé à la fois puissant et délicat, où la mélodie se trouve au bout du
chemin. Bien
qu’ayant exploré les formules du duo comme du piano solo, c’est en trio que, depuis
1962, Paul Bley a développé son style. Il rencontre Gary Peacock la même année
dans le trio de Don Ellis puis collabore avec Paul Motian sur divers projets,
notamment des duos dans les années 1980. L’album Not Two, Not One, paru en 1998 (ECM) marque les retrouvailles
du trio et préfigure déjà une tournée à venir en Europe et aux
Etats-Unis. C’est l’un de ses concerts qui est ici présenté, démontrant
une fois encore la fraîcheur d’une formule toujours en quête d’une musicalité
intériorisée et aventureuse. L’art du trio porté à son paroxysme avec une
interactivité permanente dans un discours au swing suggéré.
Le trio a une façon particulière de surprendre l’auditeur par une harmonie inattendue comme sur ce blues
d’Ornette Coleman qu’il jouait déjà à la fin des années 1950 et qui donnera le
titre de l’album. La thématique repose sur des compositions originales telles
que le classique de Gary Peacock «Moor» ou les tempos lents de
«Flame» et «Dialogue Amour» déjà enregistré pour ce
dernier en studio lors de la séance précédente. Un avant-gardisme qui assume sa
part d’héritage en donnant à l’improvisation ses lettres de noblesse. L’apport
de Paul Motian, véritable coloriste du rythme et partenaire privilégier du
pianiste est un élément primordial au sein du trio. Ce concert inédit, marque
les retrouvailles d’une formation de légende qui peut se hisser sans doute au
niveau de celui de Montréal en 1989 avec Charlie Haden et son partenaire idéal
de conversation Paul Motian. Un jazz qui doit aussi bien à Debussy qu’à
Tristano ou Bill Evans pour son sens de l’esthétique et un lyrisme introverti. La
profondeur de la sonorité boisée de Gary Peacock reste un modèle du genre avec
une économie de moyens qui se fond au cœur de la formule donnant le change à
merveille au pianiste notamment sur «I Love You Porgy» longtemps
associé à la version de Bill Evans et qui dans ce cas-là évite toutes
similitudes. Paul Bley démontre une fois de plus son audace et cette notion de
liberté qu'il exprime le mieux en trio.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Tcha Limberger Trio
Live in FoixMy Blue
Heaven, Avalon, Pour que ma vie demeure, I Surrender Dear*, Moonglow, Topsy,
Flamingo, Someday You'll Be Sorry*, Some of These Days, Clair de lune, What Is
This Thing Called Love*
Tcha Limberger
(vln, voc*), Mozes Rosenberg (g), Dave Kelbie (g), Sébastien Girardot (b)
Enregistré le 23 juillet 2015, Foix (Ariège)
Durée: 1h 00’ 12”
Lejazzetal/Frémeaux & Associés 8558 (Socadisc)
Dans le registre de la musique de Django, voici un excellent
enregistrement porté par une culture populaire qui continue de rayonner
en
Europe par sa qualité et le nombre élevé de musiciens de talent qui la
transmettent. Ici, nous avons le très expressif Tcha Limberger, dont le
violon semble traduire l’histoire et l’âme de l’Europe, en particulier dans des aigus
d’une sensibilité extrême et par une sonorité profonde. L’autre
soliste de
cette rencontre est Mozes Rosenberg, le frère de Stochelo Rosenberg, une
de ces
grandes familles tziganes (de Hollande) qui transmet la musique de
Django avec
une exceptionnelle virtuosité, une qualité totalement maîtrisée pour
donner à
la musique la plénitude expressive nécessaire. Mozes est donc non
seulement très
brillant mais aussi parfait de clarté dans ses chorus («Someday You'll
Be
Sorry»), ses contre-chants («I Surrender Dear»), ses échanges («Topsy»)
avec
Tcha Limberger. La rythmique assurée par le fondamental Sébastien
Girardot et
par Dave Kelbie (guitare rythmique), le producteur du disque, complète
un ensemble
de très bon niveau où la personnalité extravertie de Tcha Limberger
apporte une
chaleur particulière, et Mozes les éclats virtuoses de sa guitare
(«Flamingo»,
l’introduction). Notons que comme pour Les Trois Mousquetaires, le Tcha Limberger Trio sont quatre avec Mozes Rosenberg…
Le répertoire est fait de beaux standards américains («Avalon», «Moonglow», etc.) ou
français («Pour que ma vie demeure», «Clair de Lune»). Il y a ainsi tous les
ingrédients d’un très bon disque avec le plaisir supplémentaire de retrouver
Tcha Limberger dans le jazz où il a beaucoup d’âme (sur son violon et dans son
chant, avec son cœur, naturel: «I Surrender Dear», «Someday You'll Be Sorry»,
«What Is This Thing Called Love») et celui de découvrir Mozes Rosenberg en soliste de
haut niveau. Les amateurs de la musique de Django trouveront aussi
dans cette heure de musique tout ce qui fait le caractère exceptionnel de cette
expression: l’énergie du live, la
profondeur de la sincérité, l’originalité toujours renouvelée dans un langage familier
et un ancrage dans tout ce qui fait la magie de cette musique, la combinaison
du swing et des mânes ancestrales de la musique populaire européenne la plus
élaborée, la plus essentielle, magnifiée par la synthèse de génie du jazz de
Django Reinhardt, il y a bientôt un siècle.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Jeff Williams
BloomScattershot, Another Time, Short Tune,
Scrunge/Search Me, Ballad of the Weak, New York Landing, She Can’t Be a Spy,
Air Dancing, A Word Edgewise, Northwest, Chant
Jeff Williams (dm), Carmen Staaf (p),
Michael Formanek (b)
Enregistré le 17 août 2018, Astoria, NY
Durée: 1h 00’ 10’’
Whirlwind Recordings 4737 (www.whirlwindrecordings.com)
C’est un beau trio de jazz contemporain que celui du batteur Jeff
Williams, qui surprend par sa musicalité et son équilibre. Une première après
diverses expériences en quartet, quintet et sextet documentées sur les
dernières productions du label Whirlwind Recordings. Né en 1950 à Mount Vernon (Ohio),
Jeff Williams est devenu au fil du temps l'un des piliers de la scène de Boston
puis de celle de New York, travaillant notamment avec des musiciens tels que Dave
Liebman, Stan Getz, Lee Konitz ou Paul Bley. Il garde de ses expériences un
goût pour une esthétique proche de l’univers tristanien, travaillant sur
l’espace avec une parfaite maîtrise du son et des silences sans toutefois
s’éloigner de la notion de swing.
Pour ce projet en trio, Jeff Williams s’est entouré du
solide contrebassiste Michael Formanek, avec lequel il a collaboré dans les
années 1970, et de la pianiste Carmen Staaf, véritable révélation de la séance.
Cette session a été réalisée dans le studio de l’hôtel Samurai dans le quartier
du Queens, après une seule répétition et avec une thématique originale donnant
à l’ensemble une certaine fraîcheur. Cette jeune pianiste diplômée en
anthropologie de l’Université de Tufts et du New England Conservatory est la
plus jeune enseignante du corps professoral du Berklee College of Music;
elle s’est fait un nom sur scène aux côtés de Dee Dee Bridgewater, Wayne
Shorter, Herbie Hancock ou encore Wynton Marsalis lors d’une série de concerts
au Lincoln Center. La pianiste se révèle dès le thème d’ouverture
«Scattershot», sous forme d’improvisation collective, avant
d’installer sa composition monkienne «Short Tune». L’influence de
Bill Evans se fait sentir sur des thèmes plus mélodiques tels que
«Another Time» ou «Ballad of the Weak », où elle joue avec sensibilité et élégance, avec en soutien le jeu délicat et
coloré du leader Jeff Williams aux balais. Carmen Staaf ne se limite d’ailleurs
pas à cet héritage, car elle explore aussi la singularité d’Herbie Nichols,
jouant le blues avec originalité comme sur «New York Landing». A
son sujet, le leader explique dans les notes de pochette qu’au début de l’année
2018, alors qu’il se produisait au Smalls, elle avait remplacé son pianiste
habituel au pied levé: «Comment pouvais-je
ne pas connaître quelqu'un d'aussi accompli sur le plan musical? J'ai
adoré son approche aventureuse de la musique.», écrit-il. Il y a dans
ce trio une superbe cohésion d’ensemble qui s’exprime tout au long de l’album
et qui atteint son zénith sur le thème de Buster Williams «Air
Dancing» en forme de valse sur tempo moyen, où Michael Formanek se veut
plus mélodique en référence à son compositeur. On a avec Bloom un titre d’album qui pourrait devenir, pourquoi pas, un nom
de groupe…
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Fabrizio Sciacca Quartet
Gettin' It ThereOne for
Amos, Lullaby in Central Park, Zellmar's Delight*, For Sir Ron, A Nightingale
Sang in Berkley Square, Lonely Goddess*, One Second Please*
Fabrizio
Sciacca (b), Jed Levy* (ts), Donald Vega (p), Billy Drummond (dm)
Date et lieu d’enregistrement non précisés (prob. 2018-2019)
Durée: 44’ 12”
Autoproduit (sans coordonnées)
Pour
ce premier disque autoproduit d’un contrebassiste né en
Italie, et installé à New York depuis 2015, on va commencer par les
reproches.
Le livret, pourtant présent et réussi en apparence, ne sert à rien: pas
de
texte pour évoquer la biographie, le parcours du leader, pas de date et
de lieu
d’enregistrement, pas de contact où joindre le musicien ou la
production; tout juste le nom des musiciens en dehors de quelques mots
judicieux de Ron Carter. Tout cela peut empêcher nombre
d’amateurs de découvrir le disque d’un musicien brillamment entouré,
voire
à nombre de professionnels de pouvoir le distribuer.
C’est dommage car la musique vaut le détour. Dédié à un
autre contrebassiste, le grand Ron Carter, avec en particulier un thème
intitulé «For Sir Ron», cet enregistrement est préfacé par quelques
mots enthousiastes de Ron Carter sur l’ensemble des musiciens, dont un
éloge du leader: «a wonderful bassist». Ces mots de Ron
Carter sur un confrère définissent assez rapidement la talent d’instrumentiste
de Fabrizio Sciacca, et l’attaque du disque avec le
soutien des balais de Billy Drummond («One for Amos» de Sam Jones, un autre
bassiste d’exception) de quelques accords de mise en place de Donald Vega
disent avec évidence qu’on a affaire à un contrebassiste de haute volée, au
swing sans faille, sachant ce que le blues a d’essentiel dans l’expression
jazz, à la dextérité hors norme, doté d’un son d’une clarté digne de celui de son
inspiration avouée, Ron Carter.
La suite ne dément rien, en particulier le thème dédié à Ron
Carter («For Sir Ron»), un morceau de bravoure du bassiste. Tout est de belle
facture, un Billy Drummond exceptionnel de musicalité sur ses brushes, aérien sur ses cymbales, Donald
Vega, un pianiste lyrique et blues dans ses inflexions, et un contrebassiste
leader au service de la musique avec des moyens surdimensionnés pour faire de
son gros instrument un exemple de légèreté, de virtuosité et de swing,
l’instrument d’un soliste de premier plan. Le répertoire qui fait appel, outre Sam Jones à Sonny Clark
(un très beau «Zellmar’s Delight») et Elmo Hope (un intense «One Second
Please»), précise l’univers jazzique choisi par le contrebassiste italien, avec
aussi deux standards, un original du bassiste et un original de l’invité de ce
trio sur trois thèmes, Jed Levy, lui aussi à son meilleur niveau.
L’accomplissement est tel qu’on peut comprendre l’étonnement et le ravissement de
Ron Carter dont le perfectionnisme a peu d’équivalent quand il a reçu dans un
petit paquet artisanal ce qui devait être le pré-disque. Cette autoproduction et ce beau musicien qu’est
Fabrizio Sciacca, en dehors de nos critiques initiales sur la réalisation du
produit, méritent de rencontrer un label digne de son talent. C’est la vocation de ce disque.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Billy Butler / Al Casey / Jackie Williams
Guitar Odyssey
Tea for
Two, St Louis Blues, Ghost of a Chance, Take the "A” Train, Three Little Words, Indian Summer, Prologue for a Blues, Al
& Billy Blues, Mack The Knife, Who (take 1 & 2), Al & Billy Fast
Blues
Billy Butler, Al Casey (g), Jackie Williams (dm)
Enregistré:
les 11 et 12 juillet 1974, New York
Durée:
1h 00' 17''
Frémeaux
& Associés 5689 (Socadisc)
Il s’agit de la réédition
du vinyle Jazz Odyssey 012 mais les titres sont placés dans l'ordre du
déroulement des deux séances en y insérant à leur place, des morceaux qui ne figurent pas dans le 33 tours original («Three
Little Words», «Indian Summer», «Al & Billy Fast Blues») et une prise
alternative de «Who». En fait, il y a déjà eu une édition CD identique (Jazz
Odyssey CD 07). C'est Hugues Panassié qui a eu l'idée de cette séance avec une
instrumentation inhabituelle. La réalisation étant déléguée à son fils Louis.
Décédé le 8 décembre 1974, Hugues Panassié a eu l'opportunité d'en apprécier le
résultat et de rédiger le texte reproduit dans le livret. Le disque est à la hauteur de l'estime qu'il
portait à ces trois musiciens. D’Al Casey (1915-2005), ex-sideman de Fats
Waller, il écrit en 1971: «Eminent guitariste
au swing souple, sensible, intense... L'emploi de la guitare électrique
ayant amené Al Casey à beaucoup moins utiliser les accords dans ses solos.» Billy Butler (1924-1991), guitariste de classe chez Bill Doggett et pour Dinah
Washington: «Excelle autant dans
l'accompagnement que comme soliste. Swingue énormément et joue suprêmement bien
le blues.» Enfin Jackie Williams (1933) qui a joué pendant 18 ans pour Doc
Cheatham, et qui ne figure pas dans son dictionnaire, est pour lui, en 1974: «un des meilleurs batteurs, si ce n'est le
meilleur qui se soit révélé au cours de ces dernières années.»
Le
disque, loin de toute
considération de «figue moisie», propose une musique pure, hors mode. Le
swing
est paisible dans «Tea for Two» exposé par Al Casey (qui opte pour
quelques
inflexions à la Django, son guitariste préféré selon Panassié). Dans
«St. Louis
Blues», c'est Billy Butler qui expose le thème avec des effets musicaux
(!) de
pédale évoquant l’archet d'un violon. On appréciera la sobriété de
l'accompagnement d'Al Casey. Casey prend un solo puis, plus blues,
Butler. Le
jeu de balais de Jackie Williams est juste ce qu'il faut. Le contraste
entre
les deux styles évite au disque la monotonie qu’on pouvait craindre. Le
tendre
exposé de Billy Butler mêlant single note et accords pour «Ghost of a
Chance»
n'a rien de «ringard». Le solo d'Al Casey est très inspiré. Un petit
changement
de tempo relance l'interprétation avec Butler en solo et Casey à
l'accompagnement riche et subtil: du pur jazz intemporel. Wes Montgomery
déjà
décédé ou George Benson, soutenus par Panassié, pas moins, n'avaient
rien à leur
apprendre. Il n'y a pas de progrès en art, sauf pour les imbéciles.
Jackie
Williams aux baguettes est plus présent sans encombrer dans «Take the
"A” Train»
pris sur un tempo médium propice au swing. Il y a une minime accroche de
Billy
Butler dans l'attaque de son solo sur «Three Little Words», possible
raison
pour laquelle cette prise n'a pas été retenue initialement. Mais ce
solo, inspiré et incisif à souhait, méritait d'être connu. Al Casey
enchaîne avec
un court rappel du thème comme tout solo de jazz devrait le faire. Billy
Butler
exploite à nouveau son gimmick de pseudo-son de violon par l'usage d'une pédale
pour l'exposé et la coda d'«Indian Summer». Après un court prologue avec faux
départ (0'27'') Billy Butler, maître dans le genre, lance un «Al & Billy
Blues» sur tempo médium soutenu par un Jackie Williams égal d’un Fred Below: on
est au cœur du sujet. Ainsi va la qualité et la complicité jusqu'au «Al &
Billy Fast Blues» de 7’26” pour conclure ce programme aussi original que
swing. Ce disque est un exemple de l'idée qu'Hugues Panassié se faisait du «jazz
contemporain», c'est-à-dire tel qu'on le rencontrait encore au cours des années
1970.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Django AllStars
New York SessionsAttitude
manouche, Troublant Roméo, Late Train, Lovely Wife, Laugh with Charlie, Around
Toots , Balkanic Dance, Nocturne, Schindler's
List, Tsigane Fantasy, Viens chez Django
Sansom Shmitt (g), Pierre Blanchard (vln), Ludovic Beier
(acc), Philippe Doudou Cuillerier (g, voc), Antonio Licusati (b)
Enregistré en juillet 2017, New York
Durée: 54’ 17”
Label Ouest 304 046-2 (L’Autre Distribution)
Après une tournée américaine, voici la
tradition de Django brillamment représentée par des musiciens qui
incarnent,
individuellement et collectivement, la
virtuosité au service de l’expression. Il y a Pierre Blanchard,
l’un des plus émouvants héritiers de la tradition du violon. Il y a
l’excellent et sensible Samson Schmitt qui porte en son for intérieur
l’histoire d’une des grandes familles de la tradition de Django, dont le
chef
de file, Dorado, a si généreusement transmis l’âme. Il y a encore un
Ludovic
Beier au sommet de son art, et les solides Doudou Cuillerier (au chant
aussi) et Antonio Licusati qui baignent dans cette
tradition depuis de longues années. Cette formule renouvelée du
quintette de la filiation Django,
avec trois solistes, guitare, accordéon et violon, est lyrique, un
caractère accentué par le jeu tendre
de violon de Pierre Blanchard. C’est donc une heure de musique chantante, expressive qui rejoint, avec
originalité (tous les thèmes sont écrits par les
musiciens du quintette, à l’exception de «Schindler’s List» de John
Williams), l’esprit d’Alma Sinti du regretté
Patrick Saussois par le caractère mélodique des versions, Patrick
Saussois étant plus parisien par son inspiration et cet ensemble étant
plus inspiré par l'Europe centrale. Cette musique, accessible à toutes
les oreilles sans préjugés,
devrait plaire à la terre entière, et le seul mystère, en dehors de
celui qui présida à l’apparition de Django Reinhardt, reste pour nous
que cette
musique ne supplante pas dans le cœur des publics, la
médiocre musique commerciale, les sous-cultures de tous les horizons qui
polluent
les ondes.
On doit ce quintette et ce disque à une productrice
américaine, Pat Phillips, qui œuvre outre-Atlantique à la promotion de la
tradition de Django Reinhardt, à travers notamment le Django Reinhardt New York
Festival, une institution aujourd’hui. Le lien entre la France et les jazz, et l’histoire transatlantique se poursuivent
donc entre Django et le jazz…
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Woody Herman
The Quintessence
Titres
et personnels communiqués sur le livret
Enregistré:
entre le 12 avril 1939 et le 20 décembre 1962
Durée:
2h 26' 57''
Frémeaux
& Associés 3070 (Socadisc)
L'orchestre de Woody
Herman, qui survit à son chef, a fait preuve d'une grande longévité et fait
mentir le cliché de la fin des big bands après ladite Swing Era. Dans cette période 1939-1962, l’œuvre de Duke Ellington
et Count Basie, ainsi que la virgule aussi dynamique que créative du big band
de Dizzy Gillespie en 1946-49, nous semblent plus indispensables que celle de
Woody Herman (avis non partagé par feu Leonard Feather). L'orchestre n'a
d'ailleurs pas un «son» personnel comme ceux signalés et celui de Jimmie Lunceford
si l'on excepte la couleur trois sax ténor+1 baryton à partir de 1947. Le
clarinettiste Woody Herman, pas ridicule, n'a pas la virtuosité de Benny
Goodman et d'Artie Shaw ni l'étrange créativité de Pee Wee Russell. Mais
aujourd'hui, où d'infiniment plus virtuoses que ces Herds qui sont pourtant, à
leur époque, avec les éléments de Stan Kenton parmi les maîtres de la
technique, sont incapables d'émettre un phrasé balancé, ces faces deviennent
indispensables. On pourrait chipoter le choix des enregistrements ici proposés
comme «quintessence». On passe de 1939 et son incontournable «At
the Woodchopper's Ball» de Joe Bishop (pionnier de l'utilisation du bugle
en jazz) –qui influença même George
Lewis–, à 1945, ce qui nous prive de la chanteuse-trompettiste Billie Rogers
(une des premières femmes instrumentistes dans un orchestre majeur de mâles,
1942, «We'll Meet Again», Decca 18314) et de la présence en 1944 d'artistes
comme Cappy Lewis, Ben Webster, Budd Johnson, Ernie Caceres, Georgie Auld, Ray
Nance, Juan Tizol, Johnny Hodges pour ne citer qu'eux. On insiste sur ce que
l'on croit être «moderne»; sans influence bop pas de salut, le monde attendait
le bop! On ne saurait nier le swing d'«Apple Honey» avec en soliste Flip
Phillips (ts, sous-estimé), la tête de turc de Boris Vian, Bill Harris (tb), la
dame Marjorie Hyams (vib) et le chef, sur le drumming superlatif de Dave Tough
(bonne entente performante avec Billy Bauer, g, Chubby Jackson, b). Notez aussi
le punch de Pete Candoli qui «drive» la section de cuivres (auteur de la folle
coda dans l'aigu). Woody Herman est un chanteur acceptable pour ce «hit» de
1945, «Caldonia», qu'il partage avec Louis Jordan et l'oublié Erskine Hawkins:
des précurseurs du rock and roll. Certes, Flip Phillips est bon, mais le passage
écrit pour la section de trompette est rendu sans bavure (Pete Candoli, Carl
Warwick, Ray Wetzel, Charlie Frankhauser, Sonny Berman!). Le «Northwest Passage»
n'est pas sans évoquer la couleur de son du Gramercy Five d'Artie Shaw (Hyams,
vib, Phillips, ts). Le chef n'est pas mal dans «Blowin' Up a Storm» (Don
Lamond, dm). Deux titres arrangés par Neal Hefti viennent du concert à Carnegie
Hall en mars 1946 (Conrad Gozzo, lead tp). Red Norvo (vib) est dans «Wildroot».
En Nonet, à Chicago, en mai 1946, Woody Herman évoque Barney Bigard dans «Steps»
arrangé par Shorty Rogers (bons solos de Flip Phillips, Jimmy Rowles).
Le Herd de 1947, le mieux connu, avec Herbie Stewart, Stan Getz, Zoot Sims et Serge
Chaloff, est bien sûr très représenté (Bernie Glow, lead tp, Ernie Royal,
screamer): «Four Brothers» de Jimmy Giuffre appartient à l'histoire. L’alto
chantant de Woody Herman intervient dans «Summer Sequence», de manière très louable,
mais on retiendra sans doute le solo de Stan Getz et le passage en section de
sax (Ralph Burns, arr). Terry Gibbs (vib) est en vedette dans «That's Right»
(alternative bop entre Red Rodney et Ernie Royal). L'opportunisme bop marque «Lemon
Drop» (trio vocal Chubby Jackson-Terry Gibbs-Shorty Rogers, ce dernier tp
solo). «Early Autumn» est aussi célèbre que «Four Brothers» pour son travail en
section de sax (Al Cohn remplace Stewart, 1948). Le passage d'alto du chef
s'inspirant de Johnny Hodges est bien, mais on n'a retenu que le solo de Getz.
En 1949, Gene Ammons (ts) est soliste dans «More Moon» (Al Porcino, lead tp,
Shelly Manne, dm). L'orgue de Nat Pierce dans «Men From Mars» (1953) est une
belle trouvaille notamment derrière le solo de Dick Hafer (ts): Carl
Fontana imite un peu Bill Harris; bon solo de Don Fagerquist (tp). Jimmy
Giuffre a conçu une réplique à «Four Brothers» confiée aux trombones titrée «Four
Others» (Frank Rehak, Urbie Green, Vernon Friley, Kai Winding). Mais on revient
en 1954 à la marque du Herd pour 3 sax ténors et 1 baryton, sur laquelle le chef
pose de l'alto («Misty Morning», 1954: Bill Perkins plus getzien que le modèle,
en solo). Influence de Basie sur «Autobahn Blues» (Nat Pierce, p). Alternative
entre Bill Perkins et Dick Hafer dans «Wild Apple Honey» (Cy Touff, btp, Dick
Collins et Charlie Walp, tp, Al Porcino, screamer). Manny Alban est l'auteur de
«Captain Ahab» (up tempo) qui aligne des alternatives: Cy Touff (btp)-Dick
Kenney (tb), Richie Kamuca-Dick Hafer (ts), Charlie Walp-Dick Collins (tp)
(juin 1955). En décembre 1955, Woody Herman enregistre d'intéressantes faces en
Octet arrangées par John Coppola (tp) qui font la part belle à Richie Kamuca,
Cy Touff et Dick Collins («9:20 Special», «Jumpin' at the Woodside», «The Theme»
et non pas «The Boot» comme indiqué). Bob Brookmeyer (vtb) se fait entendre
dans «It's Coolin' Time» d'Al Cohn (1958). Les trois titres Jazzland de l'été
1959 offre un espace à l'excellent Nat Adderley (cnt). Le filon de la section
de sax marche toujours: «Lullaby of Birdland» (1958, Gene Roland, arr, Willie
Dennis, tb) et «Skoobeedoobee» (Monterey, 1959, Zoot Sims, ts, Urbie Green,
tb). Don Lanphere (ts) est soliste dans les deux titres pour Crown (1960). En
1962, disciple de Paul Gonsalves, Sal Nestico (ts) anime «Sister Sadie» (1962),
tandis que Phil Wilson (tb) et surtout Paul Gonsalves lui-même, notamment en
alternative avec Woody Herman (cl) font vivre «Freud's and Alice's» de Gene
Roland. De quoi réhabiliter Woody Herman!
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Hugo Lippi
Comfort ZoneManoir de
mes rêves, Letter to J, Choices, Humty Dimpty, Clementine, God Bless the Child,
Here’s That Rainy Day, Just in Time, Freedom Jazz Dance, Comfort Zone, While
We’re Young, 12th
Hugo Lippi
(g), Fred Nardin (p), Ben Wolfe (b), Donald Edwards (dm)
Enregistré le 19 avril 2018, New York
Durée: 49’ 41’’
Gaya Music Production 048 (L’Autre Distribution)
Né en Angleterre en 1977 où il a vécu ses deux premières années, Hugo
Lippi a grandi au Havre où il a connu sa formation initiale, entre cours
particuliers et orchestres de bal. A 21 ans, il s'installe à Paris afin de poursuivre une carrière de musicien
professionnel. Du Petit Opportun à Autour de Midi… et Minuit, il se mêle aux
jeunes boppers de sa génération: Xavier Richardeau, Mourad Benhammou, Fabien
Mary, Esaie Cid, entre autres. Ses qualités d’accompagnateur lui ont permis de multiplier
les expériences, avec les grands aînés (Marcel Azzola, Marc Fosset, Michel
Legrand, Alain Jean-Marie, Christian Escoudé…) comme avec les musiciens de son
âge (Pierrick Pédron, Samy Thiébault, Brisa Roché…); il a par ailleurs été
membre du Vintage Orchestra.
Comfort Zone est
son quatrième album en leader. Il y présente, sur une tonalité plutôt intimiste,
un répertoire comprenant cinq originaux et des standards. Il
est bien entouré par le solide Fred Nardin
(Cécile McLorin-Salvant, Wayne Escoffery…) ainsi que par
deux grands sidemen qu’on a notamment vus aux côtés de Wynton et Branford
Marsalis: Ben Wolfe (égalementcontrebassiste de Marcus Roberts et Mary Stallings) et Donald
Edwards
(batteur pour le Mingus Big Band, Tom Harrell, Dave Holland). Côté
standards,
le disque s’ouvre avec «Manoir de mes rêves» joliment arrangé, la
touche Django, le dialogue délicat avec Fred Nardin restituant la
dimension
poétique de ce titre. C’est avec une même finesse qu’Hugo aborde «God
Bless the
Child» immortalisé par Billie Holiday, à l’unisson du raffiné jeu de
balais de Donald
Edwards. Sur tempo rapide («Justin Time»), il fait preuve d’une
virtuosité jamais démonstrative laissant la part belle à ses
excellents complices. Par ailleurs, la présence du «Humpty Dumpty» de
Chick
Corea et de «Freedom Jazz Dance» d'Eddie Harris marque la diversité des
univers jazz abordés, assimilés avec cohérence. Les originaux («Choices», «Clementine», «Comfort Zone», «12th») des ballades, mettent en valeur la sensibilité et le swing du leader, en
particulier le réussi «Letter to J» hispanisant (le mystère n’est pas levé dans le livret). Le disque réussi d'un musicien-artisan qui s'exprime sans artifice.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Hono Winterstein
HorizonLolita,
Dreamer*, I Remember April, Lune de Miel 2020°, Yesterdays*, Fascinating
Rhythm, Pique-Nique°, So in Love°, A little Love a Little Kiss, Dewis, Jingle,
Notre Histoire°
Hono
Winterstein, Brady Winterstein (g), Jean-Yves Jung (p), Diego Imbert (b), Sara
Lazarus*, Claudio Favari (voc)°
Enregistré
en 2019, Malakoff (92)
Durée:
48'56''
Trebim
Music 057 (L’Autre Distribution)
Les complices de Biréli
Lagrène que sont Jean-Yves Jung, Diego Imbert et Hono Winterstein se retrouvent
ici sous la houlette de ce dernier que l'on découvre compositeur («Lolita»,
«Lune de Miel 2020») et responsable du casting, ayant sollicité son neveu Brady
et des cordes vocales dans six titres sur douze. Hono Winterstein, originaire
de Forbach, en Lorraine, que l'on a pu voir dans le film Django aux côté
de Reda Kateb (2007) et dans les festivals comme celui de Marciac, est une
référence comme rythmicien du style dit
manouche. Outre Biréli Lagrène, il a joué avec Dorado Schmitt, Stochelo
Rosenberg, Tal Farlow.
Dès
le premier titre, «Lolita»,
une réussite musicale, sa pompe fait merveille et la «couleur» de
l'album est
donnée avec la présence, rare dans le genre, d'un piano sobre et
efficace et
d'une guitare solo dont la volubilité vient en droite ligne de Django.
Jean-Yves Jung et Brady Winterstein se conjuguent parfaitement et sont
avec
l'accompagnement d'Hono et de Diego Imbert l'atout de l'album. Nous
sommes
moins convaincus par les titres chantés. Ce n'est certes pas mauvais.
L'introduction de «Dreamer» ne nous enthousiasme pas, tandis que la
suite bénéficie d'une interprétation illuminée par de très bons solos de
Jean-Yves
Jung et Brady Winterstein. Après une courte introduction de guitare à
«Yesterdays»,
Sara Lazarus phrase bien et le solo de piano est excellent. On sait que
Jean
Sablon s'est fait accompagner par Django. Pas d'hérésie donc. Mais cette
«Lune
de Miel 2020» (dont on a les paroles dans le livret), sur tempo lent,
chanté
par l'auteur, Claudio Favari, ne retient notre attention que grâce au
solo de
grande classe et «chantant» de Brady. Mieux, pour nous, est
«Pique-nique» où le
texte est délivré à l'unisson avec la guitare qui prend dans la foulée
un bon
solo suivi de celui de piano et d'un scat sur le pont (très bien). Puis,
c'est
la conclusion du texte chanté de façon virtuose avec la guitare. Chanté
en
anglais «So in Love» est une jolie version de cette chanson d'amour.
Jean-Yves
Jung y délivre un solo d'une remarquable musicalité et d'une sobriété
bien
venues. On écoute ensuite les contrechants de Brady et l'accompagnement
d'Hono
avec un vif intérêt. Bonne introduction à deux guitares dans la valse
«Notre
Histoire» (paroles de Claudio Favari). Deux guitares se répondent dans
le solo
sur la pompe d'accompagnement (re-recording de Brady, plus que possible
car
c'est le même style et son). Les instrumentaux remportent notre
adhésion. Sur
tempo très vif, «Fascinating Rhythm» s'impose dès l'introduction grâce à
la
pompe d'Hono puis c'est le feu d'artifice d'un solo de guitare
magistral. Diego
Imbert y donne un bon solo avec l'archet et le toucher très clair de
Jung au
piano est à goûter sans réserve. «I Remember April» alterne piano et
guitare
solo de belle façon soutenant ainsi notre intérêt. «A Little Love, a
Little
Kiss (un peu d'amour)» de Lao Silesu (1883-1953) a été enregistré en
solo par
Eddie Lang, puis en 1937 par la Quintette du HCF. Pas de piano ici,
cette belle
version est entièrement consacrée à la guitare de Brady Winterstein, 25
ans,
qui pratique l'instrument depuis l'âge de 11 ans lorsqu'il est tombé
sous le
charme de Django dont il rend aujourd'hui fort bien la flamboyance.
Influence
classique dans l'introduction. Il est aussi l'auteur de «Dewis», thème
introduit par le piano. Puis, la guitare chante le thème de cette
superbe
ballade. Bon solo pizzicato de Diego Imbert. Enfin «Jingle», thème-riff
énoncé
à l'unisson piano-guitare, est l'hommage, en rien incompatible, à Wes
Montgomery. Swing des cordes pincées et frappées! Grande complicité de
Jean-Yves Jung et Brady Winterstein sur la pompe infaillible d'Hono
Winterstein.
Un bon disque.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Julian Costello Quartet
TransitionsWaves,
Ducks, Corners, A Manic Episode, Tongue in Cheeck, Patience, Earworm, Buraki
Ziemniaki, Mirage (intro), Mirage, Panettone, Walking Through the Jungle,
Corners Reprise
Julian
Costello (ts, ss), Maciek Pysz (eg, g), Yuri Gouloubev (b), Adam Teixeira (dm)
Enregistré du 6 au 8 avril 2017, Cavalicco
(Italie)
Durée: 1h 00’ 13’’
33 Jazz Records 268 (www.33jazz.com)
Originaire du quartier de Chelsea, à Londres, Julian
Costello est de cette génération d’adolescents britanniques marqués par le rock
punk de la fin des années 1970. D’abord batteur amateur, il s’intéresse à Jimi
Hendrix et à John Coltrane et finit par passer à la pratique du saxophone. Il
engage par la suite des études musicales qui le mèneront à intégrer le big band
universitaire de Bobby Lamb (tb). Au milieu des années 1990, après avoir sorti un
premier album sous son nom, il se met en retrait de la scène pour se consacrer
à l’enseignement. Il y reviendra quelques années plus tard.
Influencé par l’esthétique ECM (il a effectué cet
enregistrement dans les studios du label Artesuono, dans la province d’Udine,
qui se situe dans un esprit similaire), Julian Costello a formé en 2016 son
quartet dont les membres viennent d’horizons divers: le guitariste Maciek
Pysz est polonais, le contrebassiste Yuri Gouloubev russe et le batteur Adam
Teixeira canadien. Si le disque s’ouvre avec un long solo crépusculaire de
ténor («Waves»), pouvant évoquer l’une des influences majeures de Julian
Costello, Jan Garbarek, la suite a heureusement plus de relief. Parmi les
compositions du leader, certaines sortent du lot, comme «Earworm» où l’on peut
apprécier son beau son de soprano, de même que le duo très réussi avec Maciek
Pysz dont les interventions sont très poétiques. Le tout avec un soutien
impeccable de la rythmique. Autre titre rompant avec la tonalité très intimiste
du disque, un peu trop linéaire, «Walking Through the Jungle», où
le swing se fait le plus ressentir et qui bénéficie lui aussi des
développements Maciek Pysz, cette fois à la guitare électrique.Une formation intéressante et qui tourne régulièrement
en France. A découvrir.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Steeve Laffont Trio
Night in CorsicaSwing for Jess, I've Got Rhythm, Minute, Made in Perpignan, For
Didier, Caravan, Over the Rainbow, Les Fenêtres de Moscou, Joseph Joseph, Yo se
te voy a amar, Tchoumia Catalunya, Night in Corsica
Steeve Laffont (g), Rudy Rabuffetti (g), Costel Nitescu
(vln), Guillaume Bouthié (b)
Enregistré à Perpignan, date non communiquée (prob. 2018)
Durée: 44’ 24”
Cristal Records 272 (Sony Music)
Steeve Laffont est du Midi (Perpignan), donc catalan avec
une ascendance piémontaise et tzigane, et c’est un habitué des scènes du
Sud-Ouest où il entretient avec simplicité, talent et conviction la
tradition
de Django. Il invite ici un bon violoniste, Costel Nitescu, avec lequel
il a
continué de partager la scène en 2019. Costel est un vrai virtuose de
son
instrument («Joseph Joseph»). Le disque rend d’ailleurs un hommage à
Didier
Lockwood, un autre virtuose disparu en 2018 avec un thème composé par
Costel Nitescu. Le répertoire est bien équilibré entre quatre originaux
et standards
du jazz plus un thème de Vinicius de Moraes joliment tourné. On retrouve
ce qui
fait le charme de la tradition de Django, une musique sincère, populaire
et
chantante fondée sur les traditions conjuguées du jazz et des musiques
tziganes. On entend évidemment cette fameuse pulsation swing entretenue
par la
guitare rythmique et ces envolées virtuoses des solistes, guitariste et
violoniste dialoguant à leur aise sur la bonne assise rythmique fournie
par
Guillaume Bouthié et Rudy Rabuffetti, par ailleurs luthier à Pamiers
(Ariège)
et préparateur des guitares du groupe.
Un disque dans la tradition qui offre une petite heure de
musique sans autre prétention que de participer à la grande histoire de la
musique de Django, et c’est déjà beaucoup car ces musiciens en ont l’esprit.
Steeve Laffont possède les codes de cette musique et propose un enregistrement qui en témoigne, par son jeu de
guitare et par la complicité de cette formation.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Stéphane Huchard Cultisons Trio
Off-Off BroadwayWithout a Song,
Just in Time, My Heart Belongs to Daddy, You Go to My Head, If I Should Lose
You, It Could Happen to You, I Love You, Every Time We Say Goodbye, The Way You
Look Tonight, So in Love, Darn That Dream, How Long Has This Been Going On, I
Concentrate on You, My Foolish Heart
Stéphane Huchard (dm), Stéphane Guillaume (ts, as, ss),
Thomas Bramerie (b)
Enregistré les 9 et 10 juin 2017, Renaison (42)
Durée: 1h 00’ 37’’
Jazz Eleven 11003 (www.jazzeleven.com)
On connaît bien l’excellent batteur Stéphane Huchard (55
ans), installé depuis longtemps dans le paysage jazz hexagonal. Passé par l’école de Dante Agostini, il a participé à de très
nombreuses aventures, particulièrement dans la sphère du jazz dit «créatif» –de
l’ONJ au Big Band Lumière de Laurent Cugny, de François Jeanneau à Andy Emler,
de Stefano Di Battista à David Linx– mais aussi aux côtés de Romane,
Stochelo Rosenberg ou Tana Maria. Quelques albums en leader, dont les deux premiers
chez Blue Note (avec Pierre de Bethmann et Stéphane Guillaume), il y a déjà
vingt ans, ont assis son caractère éclectique revendiqué, bien que toujours
appuyé sur un groove très jazz. Déjà auteur, il y a plus de dix ans, d’un
hommage intéressant à Art Blakey, mêlant percussions africaines et hard bop, il
livre ici un disque de standards, Off-Off
Broadway, soit un répertoire issu des grands compositeurs de la comédie
musicale et de la musique populaire américaines (Cole Porter, George Gershwin,
Jerome Kern…). Stéphane Huchard aborde ainsi le Great American Songbook de façon très personnelle, avec un trio sax-contrebasse-batterie
où le lyrisme de Stéphane Guillaume répond à la volubilité rythmique du leader.
Au demeurant, les standards, s’ils sont abordés de façon différente qu’ils le
seraient par des musiciens de style middle jazz, sont traités avec respect,
sans ironie. Stéphane Guillaume est ainsi étonnant au soprano sur «Without a
Song», très néo-orléanais dans l’esprit, tout comme Stéphane Huchard qui
développe ici un jeu très coloré. Suivent un bop nerveux avec «Just in Time» et
une belle version de «My Heart Belongs to Daddy», servie par un
ténor coltranien. Le reste est à l’avenant, oscillant entre free, bop et swing
et porté par une rythmique ciselée.
Outre ses qualités proprement musicales, ce disque a
de plus le mérite de rappeler qu’un musicien de jazz n’aime pas, à juste titre, être enfermé dans une
esthétique précise qui le couperait de ses racines.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Pat Thomas - Barbara Long
Jazz Patterns + SoulTitres
communiqués dans le livret
1-11:
Pat Thomas (voc), Booker Little (tp), Curtis Fuller (tb), Roland Alexander (ts,
fl), Teddy Charles (vib), Tommy Flanagan (p), Reggie Workman (b), Charli Persip
(dm)
12-23:
Barbara Long (voc), Billy Howell (tp, arr), Booker Ervin (ts), Nat Phipps (p),
George Tucker (b), Al Harewood (dm)
Enregistré
fin 1960, New York et 5-10 janvier 1961, Newark, NJ
Durée:
1h 08' 22''
Fresh
Sound Records V114 (Socadisc)
Honi Gordon - Sue Childs
Sings + Introducing
Titres
communiqués dans le livret
1-9:
Honi Gordon (voc), Ken McIntyre (as, fl), Jaki Byard (p), Wally Richardson (g),
George Duvivier (b), Ed Shaughnessy (dm)
10-19:
Sue Childs (voc), Sherman Mitchell (tb), Tony Sotos (ts, bs, fl, ld), J.R.
Montrose (ts-10, 14), Bill Pasquale (g), Bruce Anderson (b), Gaetan Caviola
(dm), Gerry LaFurn (tp, arr)
Enregistré:
23 mars 1962, Englewood Cliffs, NJ, et 1964, Rock Island, IL
Durée:
1h 04' 38''
Fresh
Sound Records V113 (Socadisc) Fresh Sound a lancé une
série, déjà riche, «The best voices time forgot» où l'on trouve quelques noms
restés en mémoire (Mae Barnes, Barbara Long, Jane Harvey,...) et beaucoup
d'oubliées. D'où vient ce cruel tri du temps? Chez les jazzfans du XXe siècle,
le prénom suffisait à l'évocation: Bessie, Ella, Billie, Sarah, Dinah, Nina.
Elles ont en commun une dimension expressive hors norme mais aussi une vraie
personnalité qui les rendaient identifiables dès la première mesure. La règle
vaut pour tous les genres: Edith Piaf est un exemple. Une œuvre pouvait même
évoquer une interprète unique comme l'air «Casta Diva» de Norma (Bellini)
qui impose le nom de Maria Callas... chez les gens ayant une culture musicale
minimale. Bref, cette dimension, les chanteuses de ces rééditions ne l'ont pas.
Ce qui ne veut pas dire que leurs disques ne valent rien.
Nous avons ici la
réédition, y compris des textes de pochette, des albums Jazz Patterns de
Pat Thomas (Strand SL 1015), Soul de Barbara Long (Savoy MG12161), Honi
Gordon Sings (Prestige 7230) et Introducing Sue Childs (Studio 4
SS-200). Pat Thomas (1938-1992) a une sœur chanteuse, Mildred (pour Norman
Simmons), et un frère, Earl Teddy, batteur (pour Dakota Staton et Carmen
McRae). Si Ella Fitzgerald est la préférée de Pat, c'est l'influence de Sarah
Vaughan que l'on entend ici («It Could Happen to You», «Star Eyes», «Sometimes
I'm Happy»). Son album témoigne d'une certaine recherche en mettant en vedette
un instrumentiste différent par titre: Roland Alexander au ténor («Mean to Me»)
et à la flûte («Blue Room»), Curtis Fuller («It Could Happen to You» et «Sometimes
I'm Happy» pour le solo tandis que Booker Little, avec sourdine, y donne sa
seule contribution pour l'énoncé du thème et un contrechant), Teddy Charles («Almost
Like Being in Love», «Star Eyes», le court «Stella by Starlight»). Elle
multiplie les formules comme «My One and Only Love» en duo avec Kenny Burrell,
ou au sein d'un titre tel «I Didn't Know What Time It Was» des passages en duo
(avec Reggie Workman, puis avec Tommy Flanagan) et en trio (avec Flanagan et
Burrell). Ce qui rend cette lecture des standards très agréable. Il n'y a que
dans «Strike Up the Band» où est mis en valeur Charli Persip, un grand batteur
que révéla le big band de Dizzy Gillespie.
Barbara Long (1932) débute son album
en up tempo sur «The Trolley Song» qui révèle le plus oublié encore
Billy Howell et confirme le solide Booker Ervin resté un nom familier. Elle se
calme avec «Gee Baby» où elle fait preuve d'expressivité qui, de plus, ne doit
rien à Billie ou Sarah (la partie de basse de George Tucker et les balais d'Al
Harewood, qui nous sont familiers, sont parfaits). Au plus, une vague influence
de Sarah Vaughan se remarque à la tournure d'une phrase dans «Serenade». Outre
une personnalité de style, Barbara Long sait swinguer comme dans «When You're
Smiling» (solos de Billy Howell qui fait le complexe Clifford Brown et d'un
Booker Ervin digne de sa collaboration avec Charlie Mingus). Les arrangements
de Billy Howell sont convenus mais bons («Call Me Darling»). Le toucher de Nat
Phipps (1931) fait merveille notamment dans «Where Is Lonesome» (contrechants
d'Howell avec sourdine dignes de Brownie). Au total un album très plaisant qui
fait aussi découvrir un disciple de Clifford Brown, Billy Howell qui est ici
plus en vedette que Booker Ervin («Green Dolphin' Street», «You Don't Know What
Love Is»).
Honi Gordon bénéficie du travail de son père, George Gordon, qui lui
a écrit des passages qui simulent l'improvisation («Strollin'», «My Kokomo»).
Mais dès les premières notes chantées par Honi Gordon sur «Strollin'» de
Mingus, on est en présence d'une imitatrice de Sarah Vaughan. L'intérêt vient
alors du remarquable solo de Jaki Byard qui s'appuie sur les superbes lignes de
basse de George Duvivier et sur le travail efficace d'Ed Shaughnessy et de
Wally Richardson (qui enregistrera chez Prestige pour Willis Jackson, Illinois
Jacquet). Wally Richardson prend un bon solo dans «My Kokomo» et «Love Affair».
Ken McIntyre qui n'intervient pas dans tous les titres prend un solo d'alto
dans «Walkin' Out the Door» de Mary Lou Williams qui balance bien, sinon il
joue de la flûte (solos dans «I’ll Wind» et «Love Affair»). Jaki Byard est en
valeur dans «Why Try to Change Me Now?» et dans des introductions comme pour «Why».
Sue Childs originaire de Flint, nous présente une vedette locale Sherman
Mitchell (1930-2013), tromboniste qui a joué pour Dizzy Gillespie et J.C.
Heard. Certaines chanteuses euro-américaines, comme Mildred Bailey, Lee Wiley,
June Christy, Julie London, etc. n'ont évité l'oubli que grâce à une
originalité expressive (les rangs étant encombrés, aujourd'hui encore). Sue
Childs ne manque pas de personnalité. On ne trouve aucune trace de Sarah, tout
au plus un peu d'Ella («Out of Nowhere»). Elle bénéficie d'arrangements
originaux signés Gerry LaFurn qui a travaillé pour Stan Kenton, Woody Herman et
Buddy Rich. «Honeysuckle Rose» débute par «Scrapple From the Apple» et offre de
bons solos de Tony Sotos (ts, connu dans le rock’n’roll), Mitchell (virtuose)
et, à la trompette, non signalé nulle part, Gerry LaFurn (que l'on retrouve sur
cet instrument dans «All or Nothing at All», «You'd Be So Nice», «You Make Me
Feel So Young», «Lonesome Road»). Sotos intervient au baryton
dans «You'll Never Know», «You Make Me Feel So Young» et en alternance avec
J.R. Montrose dans «You'd Be So Nice». Montrose intervient aussi,
sans solo, dans «All or Nothing at All». «Lollipops n' Roses» est un duo
voix-guitare. Une découverte pour beaucoup.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Thomas Bramerie Trio
Side Stories
Pichot Bebei, Played Twice, Here*, Yeinou? Now**, Side Stories**, All
Alone*, Un jour tu verras°, Chantez, Emile, Work Song, Salut D'amour, Troç De
Vida°, Avec le temps
Thomas
Bramerie (b), Carl-Henri Morisset (p), Elie-Martin Charrière (dm) + Eric
Legnini (elp)*, Jacky Terrasson (p)**, Stéphane Belmondo (tp, flh)°
Enregistré du
8 au 14 janvier 2018, Pompignan (82)
Durée:
56' 30''
Jazz Eleven 11002 (www.jazzeleven.com)
Voilà le beau projet
d'un musicien qui arrive à maturité artistique après
une carrière de sideman commencé à la fin des années 1980. Un premier
album en
leader pour Thomas Bramerie démontrant la personnalité singulière de ce
contrebassiste qui a toujours su mettre en valeur les solistes qu'il a
accompagnés. Né en 1965 à Bergerac, Thomas Bramerie est un enfant de la
rade,
lui qui a étudié avec le guitariste Tony Petrucciani, et fréquente la
scène de
Toulon comme les frères Belmondo. En parallèle, il débute une carrière
de
sideman en participant à des tournées de prestigieux solistes tels Peter
King,
Ted Nash, Bobby Porcelli ou des concerts auprès de Chet Baker, Johnny
Griffin,
Barney Wilen et Steve Grossman. En 1992, il forme la célèbre rythmique
du club
de la capitale, au club La Villa, avec son ami pianiste Olivier Hutman
et les batteurs
Sangoma Everett et George Brown. Une véritable école qui lui fait
partager la scène avec une part de la mémoire du jazz, celle qui se
transmet sur scène par les aînés qu'il côtoie à l'image de Frank Wess,
Benny Golson, James Moody,
Clifford Jordan ou Tom Harrell. Une expérience de vie qui lui permettra
de se
forger une personnalité riche tout en cultivant son rôle de musicien
pour
musicien un peu comme son aîné Riccardo Del Fra. Les années qui suivent
sont
celles de la confirmation de son talent. Il devient membre de diverses
formations, comme le trio de Laurent de Wilde ou de la chanteuse
Michelle
Hendricks, tout en prolongeant ses rencontres d'un soir avec des leaders
d'exception. On se souvient de ses concerts avec Tommy Flanagan, Clark
Terry
ou de celui enregistré à La Villa en compagnie de Teddy Edwards en 1993
avec
Alain Jean-Marie et Christian Escoudé. Son long séjour à New York à la
fin des
années 1990 est pour lui l'occasion d'assoir un peu plus son rôle de
sideman en
s'imprégnant de ses rencontres multiples.
Pour son premier opus, il revisite une formule du trio qu'il connaît bien avec deux jeunes
musiciens prometteurs sortis du CNSM: le pianiste Carl-Henri Morisset et
le batteur Elie-Martin Charrière. D'emblée, sur «Pichot Bebei», il
exécute une superbe walking bass pleine
de maîtrise avec une sonorité ronde, puissante et boisée dans l'esprit de l’école
Ray Brown. «Played Twice» prolonge la pièce précédente dans un bop
monkien débordant de swing. La contrebasse, bien qu'étant au premier plan lors
des nombreux échanges, ne tire pas la couverture à elle et s'inscrit dans un
projet global tout en insistant sur l’aspect mélodique et rythmique de
l'instrument. Les invités sont mis en lumière notamment le piano de Jacky
Terrasson véritable sculpteur d'espace évoquant le meilleur d'Ahmad Jamal ou le
lyrisme et la belle sonorité de Stéphane Belmondo sur «Side Story»
le titre de l'album. Le trompettiste est toujours un amoureux de la mélodie et nous
le démontre sur «Un jour tu verras», immortalisé par Mouloudji.
L'autre invité est Eric Legnini au Fender Rhodes sur «All Alone»,
sorte de marche funky au groove léger et swinguant. Ce premier album est une
réussite sur le plan musical et sur celui des mots associés aux notes de
pochettes car chaque thème s'accompagne d'un texte qui présente la vision du
jazz du leader et une réflexion sur la société contemporaine.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Leroy Lee Lovett
Jazz Dance Party / Lee+3Titres
communiqués dans le livret
Leroy
Lee Lovett (p, arr), Bob Brown (ts, as, bs), Sam Reed, Kent Pope (as, cl), Al Hall
(b), Butch Ballard (dm)
Enregistré
en 1959, Philadelphie, PA
Durée:
1h 00' 05''
Fresh
Sound Records 981 (Socadisc)
Fresh Sound réédite les
oubliés de l'histoire (du jazz) comme Bill Jennings, J.C. Heard, Lorez
Alexandria, etc. Nous ne nous en plaignons pas, car nous estimons que cette
histoire a été mal traitée, et les lauriers distribués avec approximation (à une
poignée d'incontournables près). Mais qui achètera une réédition de Leroy
Lovett en 2019? Le pianiste-compositeur-arrangeur Leroy Lovett (1919-2013) n'a
publié que deux albums sous son nom, Jazz Dance Party (Wynne WYB37) et Lee+3(Wynne WYB44) que voici. Il y a aussi un EP Atlantic 1058 réalisé à New York le
15 mars 1955 qui n'aurait pas été de trop pour compléter ce travail.
L'indispensabilité vaut pour Bob Brown qui intervient en soliste dans 8 titres
en big band et 4 de ceux en combo. Ce Bob Brown avait éveillé notre intérêt
dans le LP In Atlantic City (face B, RCA 730702) de Johnny Hodges-Wild
Bill Davis avec Lawrence Brown (1966) au point que son souvenir l’a écarté de
l’oubli dans un cerveau vieillissant. De très loin, il est ici le soliste le
plus intéressant. Lovett né à Germantown, Pennsylvanie, a formé son propre
orchestre à Philadelphie. Il a aidé Cat Anderson, Mercer Ellington et Johnny
Hodges à monter des orchestres avant de se lancer dans l'édition musicale
(1952).
Vers 1958, il est retourné à Philadelphie pour former ce big band de 13
musiciens qui a réalisé le premier album (tous les titres sauf deux sont des
compostions de Lovett). La Jazz Discographyde Walter Bruyninckx n'est d'aucun secours pour l'identité des trois trompettes,
deux trombones et le tuba. Nous sont bien connus Al Hall (1915-1988), bassiste
pour Teddy Wilson et Mary Lou Williams, et Butch Ballard (1918-2011), batteur
pour Count Basie et Duke Ellington. Leroy Lovett est un compositeur efficace
parce qu'il ne cherche pas la complication. «Bright Feeling» est un thème
simple exposé par les sax avec réponse de cuivres. Le clarinette solo (Kent
Pope) a un son droit sans vibrato (il prend tous les solos de clarinette dans
cette séance). Bob Brown frappe par l'épaisseur de sa sonorité. Caractéristique
confirmée dans «Blob's Burning» l'inscrivant dans les suiveurs de
Coleman Hawkins. Ce morceau est introduit en trio rythmique par Lovett à la
manière de Duke Ellington (ce qui est aussi le cas pour «True Blues From Philly»).
Les solos de trompette (mauvaise sonorité) et trombone sont moyens (d'où
l'anonymat?). C'est Bob Brown qui joue au ténor la ballade, «Brown in Blue»,
avec lyrisme et un son digne de Sam «The Man» Taylor. Très bon. Il est un
hargneux au swing intense dans «Relax-A-Tradition» où on entend aussi un alto
(Sam Reed qui passera 12 ans dans l'Uptown Theater du Nord de Philadelphie), le
même trompette (phrasé bop) et des breaks de Ballard. Alternative pas mal entre
Sam Reed et Bob Brown dans «What's Buzzin'». Nous pensons que c'est Bob Brown
l'alto solo (entre Johnny Hodges et Marshall Royal) vedette de «You Are too
Beautiful» (il joue aussi le lead alto pour le passage en section de sax).
Après une introduction de Lovett à la Duke, l'orchestre joue «I Like Dat» dans
le style Basie (solos d'un autre trompette plus classique, de Pope, cl, et Bob
Brown, ts). Le dialogue entre piano et orchestre dans la ballade «I've Grown
Accustomed to Your Face» est un peu à l'eau de rose. Enfin on retrouve Bob
Brown, en trompettiste médiocre, et des breaks de Butch Ballard dans «True Blues
from Philly». On passe ensuite à l'album en combo où Ballard est plus en
évidence. Bob Brown joue de l'alto (influence Hodges) dans «Angel Eyes», mais
aussi de façon bien différente dans «A.B.C. Hop» dont il est l'auteur: beaucoup
plus parkérien avec un passage accompagné par basse-batterie sans piano (le
solo avec block chords de Lovett
n'est pas mal). Contrairement à ce qui est indiqué, Bob Brown ne joue pas de
l'alto dans «My Funny Valentine» mais du ténor. Certes l'exposé du thème (avec
léger vibrato) dans l'aigu peut tromper (belle technique!) mais il retrouve
ensuite la nature du ténor. Son déboulé au ténor dans «Plum Street» est
impressionnant. Il prend un solo (une fois encore sans piano) très intense et
sa virile coda est digne d'un Arnett Cobb. Un crooner intervient dans «Judaline»
en hommage sans doute à Nat King Cole. Les autres titres sont du piano bar qui
ne ferait pas de mal à une mouche (de la belle variété, paisible). Vive Bob
Brown!
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Riccardo Del Fra
Moving People
Moving People,
Ressac, The Sea Behind, Children Walking (Through a Minefield), Around the Fire,
Ephemeral Refractions, Wind on an Open Book II, Street Scenes, Moving People –
Epilogue, Cieli Sereni, Let's Call This Evidence (+ titre bonus, uniquement en
digital)
Riccardo Del
Fra (b), Kurt Rosenwinkel (g), Jan Prax (as, ss), Tomasz Dabrowski (tp), Rémi
Fox (ss, bs), Carl-Henri Morisset (p), Jason Brown (dm)
Enregistré en mai, juin et juillet
2018, Pernes-Les-Fontaines (84)
Durée:
52' 52''
Cristal
Records 276 (Sony Music)
Moving People est un projet
ambitieux autour des peuples en mouvement, d'une géopolitique incertaine et
vulnérable. Un véritable manifeste pour une prise de conscience autour d'une
dizaine de compositions du contrebassiste italien Riccardo Del Fra. Né à Rome
en 1956, cet amoureux de la belle note est associé à sa rencontre avec Chet
Baker en 1979 qui sera déterminant dans son approche de la musique et qu’il
célèbre dans trois de ses disques précédents: A Slip of Your Touch, Chet My
Song et Chet Visions. Une collaboration
qui dura neuf ans mais qui ne l'empêcha pas de travailler dans différents
contextes, d'Art Farmer à Paul Motian, en passant par Dave Liebman et Bob
Brookmeyer. Une activité de sideman prolongée par la création d'une superbe
rythmique pour le club de jazz parisien Le Dreher avec le regretté Al Levitt
(dm), accompagnant les solistes de passages tels Sonny Stitt, Clifford Jordan
ou Horace Parlan. Son apport dans les quartet de Barney Willen et Johnny
Griffin dans les années 1980 et 1990 n'est pasnon plus négligeable tant ses lignes de basse d'une grande clarté,
toujours équilibrés, et son sens raffiné du swing en font un partenaire recherché.
Pour ce Moving People, il s'est
entouré d'un septet international où l'on retrouve le guitariste
américain Kurt
Rozenwinkel dans un registre qu'on lui connaît avec une complexité
harmonique
doublée d’une grande musicalité. Les thèmes évoquent l'actualité des
migrants
cherchant une nouvelle vie tout en laissant derrière eux une part
d'eux-mêmes, entre espoir et résignation face à l'indifférence. «Ressac»
est
tout aussi explicite dans son approche violente rappelant cet enfant
mort sur
une plage où «Children Walking (Through a Minefield)» sorte de
musique joyeuse et dynamique qui finit sur une explosion de violence
prolongée
par une citation du 3e mouvement de la 6e Symphonie de
Beethoven telle une interrogation faite à l'Europe. Toutes les émotions sont
retranscrites dans les compositions de Riccardo Del Fra, le tout avec une
grande cohésion des musiciens avec des effets de masse pour les pièces en
septet. L'écriture est toujours d'une grande musicalité sans virtuosité
gratuite. Les climats varient à l'intérieur même de chaque thème, tant sur
le plan rythmique qu'harmonique. Une façon de surprendre l'auditeur au détour
d'une phrase avec toujours cette élégance dans ses chorus et cet art de
prolonger la note avec lyrisme. On retiendra l'excellente assise rythmique
amenée par la justesse de Jason Brown et les interventions du leader. De
la belle musique dont le jazz n'est qu'un élément parmi d'autres.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Lyn Stanley
The Moonlight Sessions. Volume OneAll or Nothing at All**, Willow Weep fo Me°, Moonlight
Serenade**, My Funny Valentine*, Embreceable You°, Why Don’t You Do Right?,
Girl Talk*, Crazy*, Close Your Eyes*, How Intensive°, Break It to Me Gently*,
In the Wee Small Hours
Lyn Stanley (voc), Chuck Findley (tp), John Chiodini (g),
Mike Garson*, Christian Jacob**, Tamir Hendelman° (p), Chuck Berghofer (b),
Luis Conte, (perc), reste du personnel détaillé dans le livret
Enregistré en 2017, Hollywood, CA
Durée: 50’ 56’’
A.T. Music LLC 3105 (lynstanley.com)
Lyn Stanley
The Moonlight Sessions. Volume TwoMakin’ Whoopie, The Very Thought of You**°°, That Old
Feeling*°°, The Summer Knows**°°, Over the Rainbow**°°, How Deep Is the Ocean?
*°°, Angel Eyes*°°, At Seventeen*°°, You’ve Changed*°°, Smile**°°, How
Insensitive°, Love Me or Leave Me**, Since I Fell for You*°°, I’ll Be Seing You°°
Lyn Stanley (voc), Chuck Findley (tp), John Chiodini (g),
Mike Garson*, Christian Jacob**, Tamir Hendelman° (p), Chuck Berghofer (b),
Luis Conte, (perc) + Budapest Scoring Symphonic Orchestra (strings)°°, reste du
personnel détaillé dans le livret
Enregistré entre février et mai 2017, Hollywood, CA
Durée: 58’ 17’’
A.T. Music LLC 3106 (lynstanley.com)
Lyn Stanley
London Calling. A Toast to Julie LondonMakin’ Whoopie, The Very Thought of You**°°, That Old
Feeling*°°, The Summer Knows**°°, Over the Rainbow**°°, How Deep Is the Ocean?
*°°, Angel Eyes*°°, At Seventeen*°°, You’ve Changed*°°, Smile**°°, How
Insensitive°, Love Me or Leave Me**, Since I Fell for You*°°, I’ll Be Seing You°°
Lyn Stanley (voc), Chuck Findley (tp), John Chiodini (g),
Mike Garson*, Christian Jacob**, Tamir Hendelman° (p), Chuck Berghofer (b),
Luis Conte, (perc) + Budapest Scoring Symphonic Orchestra (strings)°°, reste du
personnel détaillé dans le livret
Enregistré en 2018, Hollywood, CA
Durée: 58’ 17’’
A.T. Music LLC 3107 (lynstanley.com)
Lyn Stanley
London With a Twist. Live at Bernie'sRoute 66, Pink Cadillac, Lover Man, Blue Moon, Let There Be
You, You Never Can Tell, Goody Goody, Love Letters, Bye Bye Blackbird, I’ve Got
You Under My Skin, Body and Soul, In the Still of the Night
Lyn Stanley (voc), John Chiodini (g), Otmaro Ruiz, Mike Lang
(p), Chuck Berghofer (b), Aaron Serfaty (dm), Luis Conte (perc)
Enregistré les 19 et 20 janvier 2019, Hollywood, CA
Durée: 44’ 19’’
A.T. Music LLC 3108 (lynstanley.com)
Originaire de Tacoma (près de Seattle, WA) mais active dans
la région de Los Angeles, la chanteuse Lyn Stanley évoque assez le style de son
modèle, Julie London (à laquelle sont consacrés deux des disques traités ici). Elle
a débuté son parcours musical tardivement, à l’issue d’une carrière dans la
publicité et le marketing durant laquelle elle a, à l’évidence, acquis des
compétences dont elle sait user pour se promouvoir, ainsi que des moyens non
négligeables vu la bonne réalisation de ces autoproductions (nombre élevé de musiciens sur
chaque disque, présentation des livrets, etc.). Réalisant un rêve de jeunesse, Lyn Stanley a
ainsi commencé à prendre des cours de chant en 2010. Semble-t-il à la même
période, elle est repérée par Paul Smith (1922-2013), connu pour avoir été le
pianiste d’Ella Fitzgerald. Il devient son mentor et, quelques mois seulement
après leur rencontre, la fait monter sur scène avec son trio. Lancée dans sa
nouvelle vie, Lyn Stanley sort en 2013 un premier disque, Lost in Romance, qu’elle produit avec son propre label, A.T. Music,
et auquel participe un batteur qui n’est pas des moindres: Jeff Hamilton. Les
albums depuis s’enchaînent (Potions,
2014, Interludes, 2015), avec succès,
jusqu’aux quatre derniers que nous découvrons ici, gravés entre 2017 et 2019.
The Moonlight Sessions,
volumes 1 et 2, ont très probablement été conçus en même temps ou à la suite, les
mêmes musiciens étant présents (une quinzaine, dont trois pianistes et trois
batteurs!) sur les deux disques. Au programme, de beaux standards bien
interprétés. Lyn Stanley possède un joli timbre clair et chaleureux, doté d’une sensualité certaine. L’accompagnement est impeccable. On regrette simplement
que le livret, pour le Volume 1, ne précise pas la formation sur chacun des
morceaux (on a toutefois le détail des pianistes si on lit le CD sur un
ordinateur). Mais puisqu’il n’y a qu’un trompettiste, on sait que c’est Chuck
Findley qui introduit et conclut «All or Nothing at All» en citant la Rhapsodie in Blue de George
Gershwin. A signaler en particulier, un beau duo piano-voix sur «My Funny
Valentine» avec Mike Garson, tout en sobriété, une version très swing de «Why
Don’t You Do Right?» adroitement soutenue par le guitariste John Chiodini et le
bassiste Chuck Berghofer, (présents sur les quatre albums) ou encore «Crazy»
enluminé tant par le jeu ici très blues de Mike Garson que par les couleurs des
cuivres. S’il y avait un disque de Lyn Stanley à distinguer dans les quatre de
cette chronique, ce devrait être celui-là.
The Moonlight Sessions. Volume Two, malgré un personnel
identique (ici détaillé dans le livret) est plus «hollywoodien» avec l’ajout d’un ensemble de cordes, le Budapest
Scoring Symphonic Orchestra (présent sur presque tous les titres), d’ailleurs
spécialisé dans l’enregistrement de musiques de film et de séries télévisées. Le
résultat reste de bonne facture et plaisant à l’écoute, notamment «How
Deep Is the Ocean?» avec encore un bon accompagnement de Mike Garson. Trois titres se passent des cordes: «Makin’ Whoopie» (réussi, avec harmonica et guitare), «Love Me or Leave Me»
(très jazz) et «How Intensive» (dont l’ordre des plages
est inversé sur le CD et le livret avec «Love Me or Leave Me»). Ce
dernier est un standard d’Antonio Carlos Jobim, adapté du «Prélude Op. 28 n°4»
de Frédéric Chopin, longuement introduit
(1’52’’) en piano solo par Tamir Hendelman, suivi de la guitare de John
Chiodini, dans une expression relevant de la musique classique, avant de
glisser progressivement vers la bossa nova en compagnie de Lyn Stanley.
Sur London Calling. A
Toast to Julie London, l’orchestre est une petite formation; on retrouve les
principaux acteurs des deux premiers opus, notamment les excellents John
Chiodini (accompagnateur et musicien de studio expérimenté), Mike Garson (1945,
une double carrière jazz et rock auprès de David Bowie, Anne Peacock, Stanley
Clarke…) et Chuck Berghofer (1937) qui
fut membre du trio de Bobby Troup (p), mari de Julie London, et accompagna donc
l’idole de Lyn Stanley. Cet hommage, sobre et de bon goût (subtilité des
arrangements), renoue avec les qualités de The
Moonlight Sessions. Volume One. Sur un livret de 20 pages (richement
illustré de photos «glamour» de Mrs. Stanley), l’histoire de chacune des
chansons choisies est précisée, dont son rapport avec Julie London. Les titres
les plus réussis sont «Goody Goody» (où John Chiodini et Mike Garson sont
swingissimes), «Bye Bye Blackbird» (dans un duo feutré avec Chuck Berghofer) et
deux belles versions de «Summertime»: l’une en sextet, bien chaloupée, l’autre,
en duo avec Mike Garson, plus intimiste.
L’évocation de Julie London se poursuit avec London With a Twist. Live at Bernie’s.
Le livret insiste sur la méthode d’enregistrement de ce CD «direct to disc»
censée donner un rendu brut de la performance live, sans les applaudissements…
On reste sur la lancée du précédent disque, avec les fidèles John
Chiodini et Chuck Berghofer mais deux nouveaux pianistes: Otmaro Ruiz et Mike
Lang (dont la présence n’est pas toujours signalée). Dans ce quatrième album, on trouve plaisir à écouter un bon «Route
66» (composition que l’on doit à Bobby Troup «mais que Julie London
n’aurait jamais chantée») de même que «I’ve Got You Under My Skin» à
retenir au moins pour le solo de John Chiodini.
Lyn Staney donne un travail très soigné et élaboré ne manquant pas d'âme, marquée par un goût évident pour la manière de Julie London et le song book américain. C'est un pan entier de la culture américaine, dont les Bing Crosby, Frank Sinatra, Julie London sont les grands jalons, une grande et bonne variété américaine durablement marquée par le jazz.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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David & Danino Weiss Quartett
Violets for Your FursWhy, Bavaria on Mind of Brazil, Dancing
in the Dark, Ready Know That You Are, Violets for Your Furs, Elia, My Special
Moment in Emotion, Chez moi, You're Mine You, Without Words
David Weiss (acc), Danino
Weiss (p), Alexander Haas (b), Guido May (dm) + Giovanni Weiss (g), Jeffrey
Weiss (b), Bernd Reiter (dm), Biboul Darouiche (perc)
Date et lieu d’enregistrement
non précisés
Durée: 44'54''
GLM/Edition Collage 582-2 (www.glm.de)
Le label
GLM de Munich sort le premier album sous leur nom de David et Danino Weiss,
neveux de Traubell Weiss, guitariste, chef d'orchestre et leur initiateur. Ceux
qui connaissent et aiment les accordéonistes Art Van Damme et Frédéric Schlick
trouveront sans doute plaisir à l'écoute de ce disque. Danino Weiss est un
pianiste au son clair qui charge un peu en notes comme le «Why» de Michel
Petrucciani (bizarrement orthographié sur le livret) nous le présente d'emblée
alors qu'à l'inverse le jeu de David Weiss est plus sobre. «Bavaria in Mind
of Brazil» signé Danino Weiss est de l'agréable musique de variété où David
Weiss prend un bon solo plus dynamique que dans le titre d'ouverture. Le swing
intervient, mais pas grâce à Guido May, dans «Dancing in the Dark» où Danino
Weiss imite Erroll Garner (les lignes de basse et le solo d'Alexander Haas ne
sont pas mal). Le solo de David Weiss est hélas un peu brouillon. On est loin
des Gus Viseur, Tony Murena et même Gorni Kramer. Giovanni Weiss, disciple de
Django, anime «Ready Know That You Are» où Danino swingue, mais son propos n'est
pas clair. Il ne manque pas de virtuosité comme l'indique l'introduction à «Violets
For Your Furs», mais ça n'a rien à voir avec la cohérence de l'improvisation.
Dans cette ballade, David Weiss parvient
à un sommet de lourdeur. Danino Weiss est l'auteur d'«Elia», jolie musique sur
rythmes latins; le solo de guitare de Giovanni Weiss (né à Hambourg, 1980) y
est d'un bon niveau. C'est dans son propre thème «My Special Moment in Emotion»
que David Weiss est le plus convaincant, sous l'ombre non comparable de Richard
Galliano. Le «Chez Moi» de Paul Misraki fut popularisé par Lucienne Boyer: les
quatre Weiss s'en sortent bien, surtout le guitariste. Chet Baker avait donné
une version en duo avec Kenny Burrell de «You're Mine, You», pour ne rien dire
de celle de Sarah Vaughan avec Quincy Jones (1962). On pouvait craindre la comparaison, mais
les quatre Weiss s'en sortent dans cette ballade qui exige surtout du feeling
(qu'ils confondent un peu avec de la «sentimentalité»). Bernd Reiter remplace
Guido May dans «Without Words» qui ne gagne pas en légèreté. Ceci étant dit,
les Weiss peuvent faire passer un bon moment en Off d'un festival et les
auditeurs achèteront ce CD en souvenir.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Olinka Mitroshina / Georges Guy
Gershwin's BuesBackwater
Blues, Fascinating Rhythm, Good Morning Blues Remix°, My Man’s Gone Now, Blues
Stay Away From Me, Bessie’s Mood**, I Got Rhythm, Somebody Loves Me, Green
River Song°, I Got Rhythm ver.2*, But Not for Me, Nice Work if You Can
Get It, It Ain’t Necessary So, Bess You Is My Woman Now, Hear Me Talkin’ to Ya
Olinka
Mitroshina (p, voc), Georges Guy (g), Serge Hessler (tp), Marine Thibault (fl,
voc, electronics)°, Pascal Pitone (p)*, Thescam (electronics)**
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée: 1h 10’ 27’’
Disques Dom 1257 (Disques Dom)
Olinka Mitroshina se produit chaque semaine, en solo, dans
des bistrots du Quartier Latin et de Montmartre. On peut aussi l’entendre
régulièrement en club (Marcounet, Café Laurent…) en duo avec le contrebassiste Alexei
Derevitsky. La pianiste-chanteuse est originaire de Lettonie (de culture
russe), où elle a reçu une solide éducation musicale classique. Arrivée en
France en 1999, elle vit à Paris depuis 2012. Qu’elle consacre son premier
album (sorti il y a déjà quelques temps) à l’œuvre de George Gershwin (Jazz Hot Spécial 99’) –dont la famille était originaire de Saint-Pétersbourg– fait donc sens. Le «Nouveau
Monde» musical, original, qu’il a fait naître étant forcément
inspirant pour une musicienne avec le parcours d’Olinka Mitroshina. En outre,
la jeune femme aborde Gershwin avec une dimension blues, très personnelle, qui
donne tout son intérêt à sa démarche, également ouverte sur d’autres univers
esthétiques (pour le meilleur mais parfois aussi au risque d’une dispersion qui
lui fait perdre un peu de sa profondeur).
Enregistré avec un complice de longue date, le guitariste
alsacien Georges Guy (la plupart des titres sont en duo), ce Gershwin’s Blues capte l’attention dès
le premier morceau: «Backwater Blues» de Bessie Smith, où l’on est
saisi par le timbre blues d’Olinka, dont la voix semble surgir des
plaines du
Mississippi, bien éloignées pourtant des rives de la mer Baltique!
L’accompagnement au piano témoigne lui-aussi d’un langage jazz-blues
assimilé.
Et de la même façon, la guitare très blues de Georges Guy fonctionne à
merveille sur «Fascinating Rhythm». La plupart des autres morceaux,
dans le même esprit, se savourent avec un plaisir comparable. Au
registre des
curiosités, notons deux versions de «I Got Rhythm», avec des
traitements très différents: la première sur tempo lent en duo avec la
guitare bluesy, la seconde valant pour les beaux arrangements de
piano de Pascal Pistone qui donne de superbes variations entre musique
classique et ragtime. Deux titres, «Good Morning Blues Remix» et «Bessie’s Mood», sont moins convaincants. Olinka Mitroshina est une personnalité à découvrir.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Pierre Christophe / Joel Frahm / Joe Martin
Live at Smalls
Just Rollin’ Along, D.D.L.J., Valparaiso, Aluminum Baby,
African Beauty, Flirtibird, Softly, William, Softly
Pierre Christophe (p), Joel Frahm (ts), Joe Martin (b)
Enregistré le 22 août 2018, New York
Durée: 56’ 23”
Camille Productions 062019 (Socadisc)
Retour à New York pour Pierre Christophe sur les traces du
Maître avec lequel il a approfondi l’univers du jazz, Jaki Byard, dont trois
compositions sont reprises ici, notamment celle qui ouvre le disque, un blues-spiritual. C’est un enregistrement en live, dans le bon club new-yorkais, le Smalls, dirigé par le
pianiste Spike Wilner. L’absence de texte (liner
notes) nous empêche de connaître, dans le détail, les circonstances de cette
bonne rencontre sans batteur, en août 2018 à New York, entre trois musiciens
déjà confirmés. La musique fait plus penser en effet à une rencontre qu’à un
trio avec leader, même si la promotion du disque évoque davantage Pierre
Christophe que ses compagnons du jour. Mais le disque lui-même fait des trois
musiciens les coleaders de cet enregistrement, dans sa présentation autant que
dans la musique enregistrée. Chacun des musiciens a beaucoup de place pour
s’exprimer, et si l’on retrouve tout le brillant du jeu de Pierre Christophe, proche
souvent de Jaki Byard («D.D.L.J.»), ainsi que deux de ses thèmes, Joel
Frahm et Joe Martin sont plus que des
sidemen de circonstance, apportant à l’ensemble leurs couleurs et leurs
inspirations.
C’est un disque en live,
avec cette qualité d’énergie qui distingue les rencontres avec le public, très
proche ici.
On présente Joel Frahm, pas très connu en France: il est né
en 1969 dans le Wisconsin, à Racine, où il commence à étudier le ténor avant
que sa famille migre dans le Connecticut. A la High School, il croise la
route de Brad Mehldau avec qui il partage quelques concerts localement. Il
poursuit ses études à Rutgers University et à la Manhattan School of Music,
intégrant le Betty Carter’s Jazz Ahead Workshop. Il liste dans ses influences
John Coltrane, Stan Getz et Chris Potter, et nous entendons sur ce disque un ténor
bop assez classique et de bon niveau. Le bassiste, Joe Martin, est né en 1970 à Kansas City, a construit une belle discographie en sideman et trois albums en leader. Il a accompagné
Andy Bey, Bill Charlap, Billy Drummond, Art Farmer, Aaron Goldberg, Brad
Mehldau, Mark Turner et d’autres artistes confirmés de la scène du jazz, ce qui atteste autant de ses qualités que de sa capacité d'adaptation à des contextes variés. Il a
beaucoup de facilité sur son instrument comme en témoigne les nombreux chorus
qu’il prend ici, avec un son rond et précis.
On connaît mieux en France Pierre Christophe, et s’il
fait preuve de ses belles fulgurances transmises par Jaki Byard, sa culture
jazz très étendue lui permet de faire de cette rencontre un moment de jazz dans
un registre moins personnel qu'à l'ordinaire, mais plus étendu sur le plan stylistique, car il a l’intelligence de tenir
compte de ses compagnons, et de les suivre y compris en dehors de ses sentiers
habituels. Un bon enregistrement en live.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Raul De Souza
Blue VoyageVila
Mariana, St. Martin, Blue Voyage, Primavera Em Paris, Chegada, Bolero à
Chamonix, To My Brother Sonny, Night in Bangalore
Raul De Souza (btb, ts), Leo Montana* (p, 1-4,7,8), Alex
Correa (p, 5,6), Glauco Sölter (eb), Mauro Martins (dm)
Enregistré du 20 au 23 mars 2017, Chamonix (74)
Durée: 43’ 49”
Selo Sesc 0119/18 (www.sescsp.org.br)
Nous avons raconté le beau concert qu’a donné Raul De
Souza, un excellent tromboniste (trombone basse) lors de son passage à Jazz in
Langourla en cet été 2019. C’est sensiblement avec la même formation qu’il a
enregistré cet opus en 2017 à la Maison des Artistes de Chamonix, à savoir les
bons Leo Montana, Glauco Sölter et Mauro Martins, plus un invité sur deux
thèmes, Alex Correa. Il fêtait à l’occasion de ce disque 60 ans d’une belle carrière
qui l’a vu côtoyer le jazz américain en Amérique, Sonny Rollins en particulier dont
il resté un ami et à qui il dédicace un thème ici (il a enregistré en 1975 pour
Sonny Rollins sur Nucleus, Milestone),
mais aussi Ron Carter, Cal Tjader (Amazonas),
Airto Moreira, George Duke, Gonzalo Rubalcaba, Azar Lawrence (Solstice)… Sous son nom, il a enregistré
une vingtaine de disques dont Colors (avec Cannonball Adderley, Sahib Shihab, Oscar Brashear, Richard Davis, Jack
DeJohnette…), Sweet Lucy (avec Freddie Hubbard, Airto Moreira…). Raul De Souza
a aussi fait le tour du monde, de la France, une autre patrie pour lui,
jusqu’en Chine en 2019, pour porter sa synthèse du jazz marquée par une belle
musicalité toute brésilienne, faisant chanter et danser son gros trombone avec
la légèreté et la suavité de l’accent brésilien. Dans son pays, il est évidemment la légende
vivante de son instrument, et s’il a beaucoup voyagé, il n’a jamais vraiment
quitté son pays dans lequel il séjourne une partie de l’année.
Toutes les compositions sont de Raul, très mélodiques, elles
mêmes imprégnées de cette âme du grand pays d’Amérique du Sud («Chegada»),
pleine d’une douceur poétique et d’une forme de nostalgie («To My Brother
Sonny»), alternant avec des rythmes riches pleins de joie, bien que dans leur
développement et dans l’esprit (l’improvisation), elles appartiennent aussi au
jazz. C’est très savant, et le beau son de ce grand-père brésilien, octogénaire
toujours plein d’énergie, au trombone basse mais aussi au saxophone ténor, est
un vrai régal en live, et cela reste
perceptible sur cet enregistrement. Raul est brillamment soutenu par trois
musiciens de haut niveau: Leo Montana, très lyrique, Glauco Sölter, un
bassiste dansant et énergisant, et un batteur virtuose dont le Brésil a le
secret car il possède des qualités de musicalité et de polyrythmie hors normes.
Ces musiciens sont aussi des amis, et la musique traduit cette complicité.Le grand Raul De Souza, né en 1934, sorti de ses
pantoufles pour monter sur scène à Langourla, étonna et subjugua l’assistance
par la vitalité de sa musique, sa puissance, son lyrisme: LE concert du festival! Cet indispensable est
là pour distinguer autant la musique de Raul dans ce disque que saluer le long parcours
d’un musicien aussi brillant que généreux et humain.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Ben Webster
Valentine's Day 1964 Live!Caravan
(1), Ben's Blues, Chelsea Bridge, How Long Has This Been Going On, Cottontail,
Danny Boy, Indiana, The Theme, Tenderly, Caravan (2)
Ben
Webster (ts), Dave Frishberg (p), Richard Davis (b), Grady Tate (dm)
Enregistré:
le 14 février 1964, New York
Durée:
1h 02’ 22’’
Dot
Time Records 8006 (www.dottimerecords.com)
Ces titres pris sur le
vif au Half Note de New York étaient jusqu'ici inédits. Michael Cuscuna commet
une erreur dans les notes du livret en datant ce concert le 14 février 1963.
C'est bien comme le titre l'indique 1964. Par ailleurs, le titre n°8 n'est pas «52nd
Street Theme» de Thelonious Monk mais «The Theme» de Miles
Davis. Ben Webster est un très grand jazzman sur le sax ténor. On lit ici et
là qu'il est l'un des trois grands avec Coleman Hawkins et Lester Young. Non,
le Bean et le Pres ont inventé un style. Comme Dizzy Gillespie l'a dit, on
consacre la grandeur d'un artiste au nombre de ses disciples. Donc, Hawk et
Lester pour le jazz mainstream sont les créateurs d'une approche amplement
copiée. La plupart des stylistes de haut vol ont pris à l'un ou l'autre, voire
aux deux. Ben Webster est l'un des plus grands disciples de Coleman Hawkins
avec notamment Don Byas et Lucky Thompson. Mais en effet, dans le créneau
Hawkins, Ben Webster a trouvé sa personnalité, et on le reconnaît dès les
premières notes. Ben Webster, c'est avant tout un son et bien sûr du swing.
Malgré son talent hors norme, Ben n'a pas réalisé beaucoup de disques sous son
nom. Entre un dernier LP Verve avec Oscar Peterson (1959) et le suivant chez
Reprise avec des cordes (1961), il s'est passé deux ans. Il faut attendre deux
autres années pour qu'il nous offre deux albums d'un coup, l'un avec Junior
Mance, l'autre avec Thad Jones (Riverside). Ce concert se situe avant le disque
Impulse! A65 (mars 1964) et son départ pour l'Europe (1965). En 1963-64, il
employait souvent Richard Davis, virtuose de la contrebasse que nous retrouvons
ici.
Que dire? C'est du pur
Ben Webster au son épais et sensuel, brutal et tendre. Chacune de ses notes est
de l'émotion. Le piano est pourri. Dave Frishberg en tire le
meilleur parti possible («How Long Has This Been Going On»). Mais certaines oreilles
ne le supporteront pas. Ben et Richard Davis sont bien enregistrés. Richard
Davis a des lignes de basse magistrales derrière ce qui tient lieu de piano («Caravan
(1)», «Cottontail») et le pulpeux ténor («Ben's Blues»,
«Tenderly»). Il prend des solos impressionnants («Ben's Blues»,
«Cottontail»). On entend un judicieux coup d'archet derrière Ben
dans la coda de «How Long Has This Been Going On» et du court «Tenderly».
Il est évident que ce n'est pas répété, et on entend la voix du leader donner
des directives au début des morceaux. C'est très amusant («Indiana»).
Grady Tate est excellent dans «Cottontail», l'incontournable thème
de Duke qui a imposé Ben Webster, «Indiana», «The Theme»,
«Caravan (2)» (bien enregistré). Vivre cette ambiance club avec un sax
ténor aussi énorme, ça se mérite: c'est pour les connaisseurs en jazz!
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Bobby Jaspar
Early Years: From "Bop" to "Cool", 1947-1951Oop Bop Sh'
Bam, Moonlight in Vermont, Anthropology, Thelonious, Our Delight, Embraceable
You, Wee-Dot, I Can't Get Started, When I Grow too Old to Dream, Relaxin' at
Camarillo, Jack the Hipster, That's My Desire, Boppin' at the Doge, Pastel Blue,
Embraceable You, Boppin' For Haig, Tenderly, If I Had You, Bobby's Beep, How
About, Don't Be That Way, I've Found a New Baby, Ain't Misbehavin', Things
Ain't What They Used to Be, Body and Soul
1945. Bruxelles, Hôtel Cosmopolite: Bobby Jaspar (cl),
Vicky Thunus (p), Oscar Averson (g), Paul Dubois (b, p), Jean-Pierre Ackermans
(dm)
1946. Liège, The Bob Shots: Bobby Jaspar (cl, ts),
Armand Bilak (tp), Jacques Pelzer (as), Sadi (p, voc), Pierre Robert (g),
Charles Libon (b), André Putsage (dm)
1947. Bruxelles, The Bob Shots: Bobby Jaspar (cl, ts),
Jean Bourguignon (tp), Jacques Pelzer (as), Jean-Marie Vandresse (p), Pierre
Robert (g), Charles Libon (b), André Putsage (dm)
1948. Nice,
The Bob Shots: Bobby Jaspar (ts), Herman Sandy (tp), Jacques Pelzer (as),
Jean Leclère (p), Sadi (vib), Pierre Robert (g), Vic Geets (b), Geo Steene (dm)
1948. Liège,
Bobby Jaspar Quartet: Bobby Jaspar (ts), René Thomas (g), Sadi (vib), Georges
Leclercq (b)
1948. Liège, The Bob Shots: Bobby Jaspar (ts), Jean
Bourguignon (tp), Jacques Pelzer (as), Jean-Marie Vandresse (p), Pierre Robert
(g, voc), Georges Leclercq (b), André Putsage (dm)
1949.
Paris, The Bob Shots: Bobby Jaspar (ts), Jean Bourguignon (tp), Jacques Pelzer
(as), Pierre Robert (g), Francy Boland (p), Sadi (vib, voc), Georges Leclercq
(b), Geo Steene (dm), John ward (dm),
1951. Bobby Jaspar Quartet: Bobby Jaspar (ts), Henri Renaud
(p), Pierre Michelot (b), Pierre Lemarchand (dm)
Durée:
1h 09’ 56”
Fresh Sound
Records 977 (Socadisc)
Voici le premier volume d’une édition consacrée à Bobby
Jaspar, le saxophoniste ténor (et clarinettiste à ses débuts) phare du jazz de
l’après Seconde Guerre mondiale en Belgique, un âge d’or, qui comptait dans cette
génération le grand René Thomas, et des musiciens de haut niveau comme Jacques
Pelzer, Sadi, Toots Thielemans, Francy Boland, Benoît Quersin, Jack Sels, parmi
d’autres qui sont restés moins connus. Cette édition est l’indispensable vademecum, l’illustration sonore
importante puisqu’on parle de musique, du copieux ouvrage de Jean-Pol Schroeder
qui raconte, avec un luxe de détails biographiques mais aussi historiques, et
avec un certain nombre de commentaires stylistiques, le parcours trop bref de
Robert (Bobby) Jaspar né le 20 février 1926 à Liège, une cité essentielle pour
l’histoire du jazz en Belgique, où se trouve d’ailleurs de nos jours la Maison
du Jazz, justement organisée et animée par Jean-Pol Schroeder, qui est sans
doute la meilleure institution européenne consacrée à la préservation du jazz.
Luxe supplémentaire de ce disque qui commence le récit
sonore de la carrière de Bobby Jaspar, on trouve en bonus les tout premiers
enregistrements du ténor, rarissimes de 1945 et 1946, que Jean-Pol appelle de
ses vœux («le jour où l’on publiera une
Intégrale Bobby Jaspar», ces deux titres ne détonnerons nullement en tête du
volume I»). C’est aussi pourquoi, dans la notice ci-dessus, nous prenons la
liberté de remettre les bonus tracks de Jordi Pujol (en fin d’enregistrement de ce volume I) dans l’ordre
chronologique.
On y entend en effet, et c’est tout l’intérêt de ce volume,
le premier Jaspar, à la clarinette («Don't Be That Way», «I've Found a New
Baby»), puis au ténor à la Coleman Hawkins, naturellement, sur «Body and Soul».
On y entend aussi un Sadi, au piano, chantant Fats Waller comme Fats lui-même,
avec un contre-chant à la clarinette de Jaspar et on y découvre du Duke dans
l’esprit d’Ellington. Cela pour dire que si cette génération de jeunes gens est
connue pour avoir «adopté» le bebop, elle possédait déjà une culture jazz
d’oreille (par le disque) de l’ensemble de l’histoire –par des musiciens et des
amateurs qui ont participé à la transmission, des passeurs, comme le
saxophoniste Raoul Faisant (cf. Jean-Pol Schroeder)– qu’elle en maîtrisait les
codes, et que le glissement vers l’esthétique bop s’est fait d’autant plus
facilement et rapidement, comme aux Etats-Unis, que les codes du blues,
du swing et de l’expression étaient acceptés avec une ferveur et un
enthousiasme qui s’entend. Sadi, encore, chante en 1949, alors qu’il est au
vibraphone, dans un registre plus moderne dit «bebop», à la manière de Louis
Armstrong, et sans aucun hiatus. René Thomas est déjà très moderne dans son chorus sur «Body
and Soul», où il annonce avec un brio prémonitoire la nouvelle guitare, celle de
Joe Pass par exemple, en contre-chant d’un Jaspar aussi moderne que Hawkins l’a
toujours été.
L’après-guerre en Belgique, c’est aussi les Bop Shots,
groupe légendaire qui réunit la confrérie liégeoise, et pas seulement, à la fin
des années 1940, sous la férule à l’origine du guitariste Pierre Robert,
rescapé des camps de concentration, entouré de cette génération de jeunes
musiciens avides de jazz, de nouveauté, de liberté parce qu’on sort aussi d’une
terrible guerre. C’est dans ce groupe que la génération des musiciens belges,
de Liège en particulier, va acquérir à grande vitesse les codes d’une musique
de jazz qui évolue comme l’éclair aux Etats-Unis sous la pression des
Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Thelonious Monk, Bud Powell, Kenny Clarke parmi
d’autres; les autres musiciens des courants existants continuant eux
aussi à évoluer (Art Tatum et Coleman Hawkins y sont pour beaucoup),
contrairement à certaines analyses très réductrices de ce qu’est le jazz, à
l’époque et encore maintenant, et qui ont vite fait de parler de révolution
quand le jazz avance avec assurance dans son processus créatif: la seule
révolution au fond étant le jazz lui-même depuis son origine. Comme en France,
quelques musiciens en Belgique sont très prompts à se saisir de cette nouvelle manière,
venue avec le disque et l’armée américaine, même si les codes au fond ne font
que se transformer, évoluer tout en gardant les principes de base: blues, swing
et expression hot.
Une anecdote (à versions multiples) dans l’ouvrage de
Jean-Pol Schroeder raconte l’arrivée en Belgique de Don Byas qui, on le suppose, n’a pas été pour rien dans cette évolution, bien qu’il soit un «moderne» tout à
fait «classique» et réciproquement. Cela s’entend encore mieux aujourd’hui, avec le recul et
avec la disponibilité de ces enregistrements, une sorte de miracle de la
préservation, rendu possible par le travail des Jordi Pujol, Jean-Pol
Schroeder, qui nous racontent, avec le son et le
texte, plus quelques photos,
ce récit exaltant de la renaissance d’après-guerre en Belgique. On en
arrive donc à la fin de ce premier volume, après six ans de musique
intense, après René Thomas, Sadi, Jack Pelzer, et les autres, au quartet
de
Bobby Jaspar avec Henri Renaud, Pierre Michelot et Pierre Lemarchand, à
Paris
en 1951, pour les labels Saturn et Vogue, où un Bobby Jaspar, très lazy, est lestérien (Lester Young),
donc très classique ou éternellement moderne, et plus précisément plus
mûr dans sa nouvelle manière, comme sur l’émouvant «How
About» la paraphrase d’un standard bien connu, mais c’est une autre
histoire…
Ce disque est donc le début de l’histoire, d’une histoire courte pour Bobby Jaspar
puisqu’elle se terminera tragiquement en 1963 à New York. Pour mieux la connaître, nous avons le luxe de l’ouvrage
très fouillé de Jean-Pol Schroeder, Bobby
Jaspar, Itinéraires d’un jazzman européen (1926-1963), 500 pages denses
avec des millions d’informations, un vrai roman aussi, parce que la réalité est
souvent plus profonde que la fiction, et maintenant le privilège du début de
l’édition de l’intégrale de Bobby Jaspar, chez Fresh Sound de Jordi Pujol, qui
va sans doute poursuivre son indispensable travail pour Bobby Jaspar, comme il
le fait pour d’autres aux Etats-Unis, en France et ailleurs. Le multimédia,
c’est ça: croiser des lectures avec des enregistrements.Ce genre d’édition-réédition (les thèmes de 1945
étaient sur acétate, donc difficilement trouvables en dehors des collectionneurs)
appelleraient d’autres commentaires, mais puisque le livre en a déjà fait le
principal, et qu’on peut écouter la musique, chacun peut maintenant apprécier
Bobby Jaspar et s’en faire son idée ou son rêve.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Valerio Pontrandolfo
Out of This WorldWalk Spirit, Talk Spirit, Water on Mars, Out Of This
World, Blues for George, I See Your Face Before Me, Dreams, Mi Little Suede
Shoes, I Love Pan
Valerio Pontrandolfo (ts), Nico Menci (p), John Webber
(b), Joe Fansworth (dm), Kalifa Kone (perc)
Enregistré
le 5 juillet 2018, Bologne (Italie)
Durée: 54' 20''
In Jazz We Trust Records 002 (www.valeriopontrandolfo.it)
Valerio
Pontrandolfo est une figure incontournable de la scène jazz de Bologne. Un
musicien rare et authentique qui joue un jazz de culture ancré dans un idiome
post bop et coltranien. Né en 1975 à Ponteza, il découvre le jazz auprès du
guitariste Emanuele Basentini lui aussi issu de la scène locale. Ses premières années d’apprentissage auprès de Piero
Odorici (un proche de Cedar Walton) sont primordiales avant de prendre
régulièrement, dès 1999 des cours, d’harmonie et d’improvisation avec le
pianiste Barry Harris. Une fois son diplôme du conservatoire de Bologne en
poche, il poursuit ses études sous la direction de George Coleman et Steve
Grossman. Il fera d’ailleurs partie d’un quintet à deux ténors de 2005 à 2012
avec Steve Grossman tout en collaborant avec les musiciens de passage qu’il
invitera dans ses formations, tels que les batteurs Bobby Duhram, Greg Hutchinson,
Willie Jones III ou les pianistes Spike Wilner et Danny Grisset. A partir de
2014, il tourne en Italie avec le trio d’Harold Mabern pendant deux ans et
enregistre avec lui son premier album,
le superbe Are You Sirius? (Jazz Hot n°675) en compagnie de John
Webber (b) et Joe Farnsworth (dm).
Pour
son deuxième opus, Out of This World,
il plonge dans l’univers coltranien avec la rythmique d’Harold Mabern et
le
pianiste Nico Menci. L’ajout de Kalifa Kone, aux percussions, sur la
moitié des titres apporte
une couleur supplémentaire à ce jazz modal où, sur le «Walk Spirit,
Talk Spirit» de McCoy Tyner, le leader se met en évidence au ténor dans
un jeu à la fois lyrique et puissant, attaquant les notes dans un
registre
élevé rappelant son modèle en improvisant de longues phrases
expressives. Le
discours post hard bop permet à Nico Menci de s’exprimer avec un jeu
virtuose et percussif à la fois, évoquant McCoy Tyner. «Blues for
George»
est un bel hommage à son professeur et mentor George Coleman dans un
esprit
plus hard bop en quartet, tout comme la composition «Dreams». La
rythmique a trouvé un certain équilibre assurant un soutien sans faille,
toujours au service du swing. Joe Farnsworth fournit le drive marqué
par sa netteté de frappe rappelant Billy Higgins,
à l'image de son chorus sur «Out of the World». Sur la superbe
ballade «I See Your Face Before Me» Valerio Pontrandolfo met en avant un
léger vibrato à la sonorité à peine voilée évoquant Joe Henderson. De
l’excellent
jazz.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Roberto Magris Sextet
Sun StoneSun Stone,
Innamorati a Milano, Planet of Love, Maliblues, Beauty Is Forever, Look at the
Stars, Sun Stone II
Roberto
Magris (p), Ira Sullivan (fl, as, ss), Shareef Clayton (tp), Mark Colby (ts),
Jamie Ousley (b), Rodolfo Zuniga (dm)
Enregistré le 7 décembre 2017, Miami, FL
Durée: 1h 06’ 47”
JMood Records 017 (www.jmoodrecords.com)
Avec ce disque, l’excellent Roberto Magris nous plonge dans
le meilleur de l’atmosphère du jazz qui a émergé dans les années 1970-80, un
jazz d’excellence bien qu’au creux de la vague sur le plan de la notoriété. Il
s’inspire de ces beaux groupes post bop qui de Stanley Cowell à Woody
Shaw, en passant par McCoy Tyner, Bobby Hutcherson, Mingus Dysnasty, Horace Silver, Art Blakey et une
multitude de très grands musiciens de jazz ont permis au jazz non seulement de
perdurer, mais de donner parmi ses plus belles pages, renouvelant le langage du
jazz loin des tentations de l’époque et des modes, en lui gardant cette fondation
essentielle que sont le blues, le swing et le caractère hot.
Roberto Magris, un pianiste à la carrière bien remplie, né en
1959 à Trieste, et résidant périodique aux Etats-Unis où il enregistre
le
principal de son œuvre artistique pour le label JMood basé à Kansas City
(une
petite vingtaine d’albums pour ce seul label, plus d’autres par
ailleurs),
possède en effet toutes les clés de ce monde du jazz qu’il évoque ici, y
compris la «couleur américaine» malgré sa naissance transalpine: la
virtuosité, une musicalité et un lyrisme qui confirment ses origines
italiennes, mais aussi une pleine possession des codes du jazz, du
blues, de l’expressivité,
un swing tout à fait dans l’esprit du jazz, du
piano jazz.
Dans cet opus, il est l’auteur de l’ensemble des
compositions, et il n’y a rien à redire car elles possèdent les qualités
d’urgence, d’intensité et de puissance nécessaires à cette musique fille de
celle de McCoy Tyner, et si on entend bien de ces groupes de la fin du
XXe siècle, Mingus Dynasty, Timeless All Stars, Chico Freeman, les
Leaders, les Cookers et autres groupes issus de l’héritage des Dizzy Gillespie,
Lee Morgan, Grant Green, d’où se dégageaient une atmosphère très marquée par le
blues, l'intensité et la conviction de l’expression.
Roberto Magris est brillamment entouré d’un all stars, avec
le vétéran de Chicago, Ira Sullivan (1931), multi-instrumentiste (il joue aussi
de la trompette) qui se consacre ici au saxophone et à la flûte. Ira est une
légende, il a côtoyé Charlie Parker, Lester Young, Roy Eldridge, Wardell Gray,
Art Blakey, Red Rodney et Lin Halliday, une autre légende de Chicago. Ira
Sullivan apporte la couleur de la tradition parkérienne (lestérienne aussi), et
enracine un peu plus cet enregistrement.
Le puissant trompettiste de Miami,
Shareef Clayton (Duke Ellington Orchestra, Bobby Sanabria Big Band…) contribue par son punch à cette musique qui en demande.
Mark
Colby est un solide ténor, né à New York (Brooklyn, en 1949) qui a accompagné
Maynard Ferguson et Bob James. Il dirige par ailleurs son quartet et enseigne.
Jamie
Ousley, comme le trompettiste et le batteur, est basé en Floride où il
enseigne.
Rodolfo Zuniga est un batteur natif du Costa Rica,
installé à Miami. Il a accompagné Dave Douglas et a fait partie du Betty
Carter’s Jazz Ahead
Group.
Roberto Magris enfin est the right
man in the right place dans cette musique qu’il maîtrise à la
perfection.
Son jeu de piano est un classique du genre, alliant le blues, à la mise
en résonance de son instrument à la manière du pianiste du John Coltrane
Quartet, avec les jaillissements d’un Don Pullen, le
lyrisme d’un Hugh Lawson, avec autant de puissance que de finesse dans
la
compréhension de cet univers musical intense jusqu'à la transe. Roberto Magris mérite qu’on s’intéresse de près à son
parcours, il est en pleine possession de son art,
possède une discographie respectable. En attendant, prenons le temps d’écouter
cet enregistrement très cohérent (un autre vient de paraître, Suite!, toujours sur ce label), et concentrons-nous sur cette musique, sur
un intense «Look at the Stars, sur
les deux prises de «Sun Stone», sur les tempos médium («Planet of Love», «Maliblues») et les ballades («Innamorati a Milano», «Beauty Is Forever») qui ne sont pas sans rappeler le meilleur du
Mingus Dynasty de George Adams, Don Pullen et Dannie Richmond, c’est-à-dire
l’intensité au service de la conviction: l’esprit du jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Wolfgang Lackerschmid and Chet Baker
Ballads for TwoBlue
Bossa, Five Years Ago, Why Shouldn't You Cry (1), Dessert, Softly as in a
Morning Sunrise, You Don't Know What Love Is, Waltz for Susan, Double 0, Why
Shouldn't You Cry (2)
Chet
Baker (tp), Wolfgang Lackerschmid (vib, perc)
Enregistré:
en 1979 (non précisé)
Durée:
47’ 31’’
Dot
Time Records 8012 (www.dottimerecords.com)
Miles Davis et Chet
Baker
ont en commun moins des éléments de style (sauf superficiellement au
niveau du
son avec la sourdine harmon comme ici dans «Dessert») que
l'intelligence d'avoir construit une façon de jouer de la trompette à
partir
d'insuffisances techniques. L'un et l'autre ont beaucoup de disciples.
Il est
certain que lorsqu'on est limite dans la maîtrise de la trompette, il
est plus
aisé de les copier que de plagier Dizzy Gillespie et Louis Armstrong. Il
n'en
est pas moins vrai que l'un et l'autre ont enregistré de la musique
superbe,
car la technique n'est pas une fin en soi et, oui, on peut être un
instrumentiste moyen et un artiste. Chet Baker (1929-1988) a atteint la
légende
surtout par l'émotion qu'engendre son approche qui se complait bien avec
une
ambiance intimiste (comme le trio avec contrebasse et guitare par
exemple). Un
beau registre grave et médium, des aigus qu'il évite, sur des standards
(il en connaissait un nombre conséquent), avec une émission de son plus
soufflée
qu'attaquée, ont séduit un public au-delà de l'étiquette jazz. Ce Chet
là, on
le retrouve ici dans «You Don't Know What Love Is». L'ambiance
intimiste est bien là aussi. Mais «grâce» au vibraphoniste allemand,
Wolfgang
Lackerschmid (né en 1956), il n'y a aucun swing. Wolfgang
Lacherschmid écrit «tunes like
'Five Years Ago' would not be like the music Chet is used to play». En effet, à l'époque de cet enregistrement marginal
dans l'œuvre de Chet, en 1979 (non indiqué dans le livret), la musique
improvisée européenne s'était déjà imposée, et même pour certains substituée au
jazz (pour la confusion et au final, la perte du jazz). Comme tout musicien
professionnel, Chet Baker s'intéresse (de près et de loin) à tout
phénomène sonore. Il a voulu tenter une expérience qui ne prouve rien car un
bon improvisateur peut improviser sur n'importe quoi. Bref, ce CD propose d'un
bout à l'autre une musique monotone. Il intéressera les amis de Wolfgang
Lackerschmid et les inconditionnels de Chet.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Jeanne Lee / Ran Blake
The Newest Sound You Never Heard
CD1: Misterioso,
Honeysuckle Rose*, On Green Dolphin Street, A Hard Day's Night, I Can't Give
You Anything But Love, Hallelujah-I Love Him So, Night and Day, Ja-Da (Take 1),
Something's Coming, Just Squeeze Me, God's Image*, Retribution, Smoke After
Smoke*, Parker's Mood, Caravan, Beautiful City, Birmingham U.S.A., Ja-Da (Take
2), Take The A-Train
CD2: Out of
This World, Mister Tambourine Man, Round About, Moonlight in Vermont, The Frog the
Fountain and Aunt Jane*, Billie's Blues°, Night in Tunisia, My Favorite Things,
Blue Monk, Lonely Woman, Caravan, The Man I Love, Something to Live For, Spring
Can Really Hang You Up the Most
Jeanne Lee (voc, voc solo°), Ran Blake (p, p solo*)
Enregistré le 21 octobre 1966 (CD1) et en 1967 (CD2), Bruxelles
Durée: 57’
27” + 52’ 05”
A-Side 0005
(www.a-siderecords.com)
Pour qui apprécie l’art si particulier de Ran Blake qu’il
développe depuis six décennies, il y a ici un trésor: deux enregistrements
inédits sortis des tournées européennes en 1966 et 1967 avec Jeanne Lee, cette
magnifique voix du jazz, la collaboration en duo la plus emblématique du
pianiste, commencée dès 1961 (The Newest
Sound Around, RCA Victor, en trio alors avec George Duvivier, b) dont
l’œuvre est constellée depuis les débuts de ces échanges intimes, en duo
souvent, entre voix et piano. Et ça continue pour Ran Blake, comme on peut le lire dans les
chroniques de ses enregistrements plus récents avec Christine Correa (The Road Keeps Winding et Streaming). Ran Blake répondait à nos questions dans le Jazz Hot n°667 pour expliquer ses partis
pris et son parcours si original. Amateur d’abstraction et d’art contemporain
(quelques pièces en solo le confirment ici, et il venait d’enregistrer en 1965
pour le label avant-gardiste ESP avant cet enregistrement), il a introduit cette composante dans son jeu
sans pour autant se priver de la confrontation avec les racines voire avec
cette civilisation du jazz qui le fascine. Le résultat de sa démarche est une
confrontation entre deux mondes, et la rareté, c’est qu’elle fonctionne souvent, parce
que la partenaire adopte le même principe de son côté de découvrir le monde de
l’autre, comme le fait Jeanne Lee en restant elle-même.
Dans ce
respect mutuel se noue une relation où
chanteuse et pianiste conservent leur langage, leur phrasé, leur rythme,
leur
expression grâce à une écoute mutuelle, tout en parvenant à mettre en
valeur le discours de l'autre. Ran Blake est ainsi très attentif au
déroulement proposé par la chanteuse, parfois classique dans son
accompagnement
qu’il organise assez traditionnellement dans la construction
(introduction,
commentaires, mise en valeur de la voix…), pendant que la chanteuse
propose une
expression très libre en matière de mise en place pour laisser beaucoup
de
place et de liberté aux commentaires du pianiste, les deux jouant du
contraste
entre l’expression très blues et enracinée de la chanteuse et le jeu
très
classique-moderne-contemporain du pianiste, accompagné d’éclats sonores
et d’un
discours délibérément privés de blues et de swing pour accentuer le
contraste. Le miracle est donc que ça fonctionne bien à l’écoute, même
si on
se dit qu’une chanteuse aussi profonde que Jeanne Lee («Billie’s Blues»,
en
solo) se serait aussi bien accommodée, sur le plan de son expression, de
ces
dizaines de pianistes d’exception qui peuplent le jazz de culture. Ses
enregistrements
avec Mal Waldron nous le disent. Mais le parti de Jeanne Lee, comme
celui
d’ailleurs de Mal Waldron, a toujours été de chercher dans la rencontre
de «l’autre
monde», dans une idée de la modernité, une manière originale d’exprimer
sa personnalité
artistique. C’est une recherche d’époque de ces années 1960 où les
artistes,
comme les populations, cherchent à dépasser les mondes communautaires si
pesants aux Etats-Unis, à se libérer des limites «imposées», même si
c’est ce que le jazz a déjà
réussi à faire depuis qu’il existe (son universalité), devançant,
préparant les Civil Rights avant l’heure (ce dont
n’ont pas conscience tous les artistes afro-américains et encore moins les
autres, car si la jazz à dépassé la frontière, ce n'est pas encore le cas de leur quotidien).
De fait, et en accord avec Ran Blake, il n’est pas question
pour Jeanne Lee de nier ni la culture ni le répertoire du jazz depuis l’origine
mais plutôt d’en donner une relecture originale: car le jazz est la matière principale
de ces enregistrements (il et elle ont choisi les plus beaux thèmes du jazz, de
«Honeysuckle Rose» de Fats Waller à «Misterioso» de Thelonious Monk, en passant
par «Hallelujah-I Love Her (Him) So» de Ray Charles, «Parker’s Mood» de Charlie
Parker, «Caravan» d’Ellington, «Night in Tunisia» de Dizzy, «Lonely Woman»
d’Ornette, etc., les standards «The Man I Love», «Night and Day», etc., plus
quelques hits de pop de cette époque de
John Lennon et Bob Dylan, une sorte de manifeste d’ouverture qui était l’esprit
de ce temps, et c’est très réussi pour «Mister Tambourine Man» de Dylan ), sous
la forme pour l’essentiel de pièces courtes, une dominante stylistique chez Ran
Blake.
Il y a des réussites exceptionnelles, même si la
systématisation
produit parfois une impression de «recette», comme pour Ornette Coleman
(même
époque, même recherches, mêmes conséquences), plus que d’expression
libre
culturellement, c’est-à-dire naturelle au sens de non systématisée et
induite par l'individu, comme chez
Charlie Parker, Thelonious Monk ou John Coltrane, également épris de
modernité,
d’originalité, mais qui ont conservé tous les codes essentiels du jazz
sans
jamais chercher à systématiser leur expression ou une quelconque
modernité. Cela dit, pourquoi pas? Le jazz est à la fois l’expression
d’une civilisation (Armstrong, Ellington, Billie, Ella, Gillespie,
Parker, Monk,
Ray Charles, Coltrane…) et un champ de recherche, une musique de
divertissement
et une grande maison artistique au sens plus restreint ou superficiel
bien que
déjà très intéressant, où chacun est libre de son chemin.
Il y a dans ces enregistrements une
matière passionnante, autant pour l’écoute que pour la réflexion de ce qu’est
la création et l’art. Sil est indispensable de définir pour décrire une expression
pour permettre un dialogue sur l’art et partager une passion, un résultat
sonore, il n’est pas utile de réduire les artistes à des étiquettes car ils sont
très ouverts à toutes les influences, à leur environnement, leur époque, et
eux-mêmes en recherche permanente. On ne va pas s’en plaindre aujourd’hui où cette
démarche est devenue plus rare car la recherche de modernité (concept relatif) qui
allait avec la recherche d’originalité (concept essentiel du jazz) s’est transformée en une obligation de
modernité par conformité, esprit de
système, sous peine d’exclusion, médiatique parfois, en dehors de toute humanité.
Jeanne Lee est
une splendide voix du jazz; Ran Blake
est un virtuose discret du piano contemporain qui n’étale pas son
savoir; c’est
un accompagnateur exceptionnel, et ce qu’ont choisi comme voie ces deux
artistes, pour donner tant de beauté, n’a rien de simple. Une nouveauté
de plus de
cinquante ans (1966, le second disque est daté de 1967, sans précision, à
vérifier, pourquoi pas 1966?) qui retrace cette rencontre, enregistré à
la Radio-télévision
Flamande –BRT à l’époque, devenue par la suite VRT– donc à priori à
Bruxelles,
dans le cadre d’une tournée qui les avait vus se produire également en
Suède en
novembre 1966 (Free Standards,
Columbia), c’est indispensable!
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Goldberg(s)
Family BusinessStardust,
When I Take My Sugar to Tea, I'll Be OK, Sail Away, There's a Small Hotel,
Syracuse, I've Just Seen Her, The Good Life, Put On a Happy Face, Springtime
for Hitler, You Must Believe in Spring, My Melancholy Baby, Blues for Mel
Michel
Goldberg (ts, ss), Dexter Goldberg (p)
Enregistré
les 22, 23 et 24 août 2017, Paris
Durée:
1h 00’ 20’’
Ahead 836.2
(Socadisc)
Ici, Michel Goldberg rend
hommage à son père Harry à travers des standards américains et à sa mère avec
des chansons françaises (signées Michel Legrand, Sacha Distel, Henri Salvador)
auxquels s'ajoutent une composition personnelle («Blues for Mel»,
pour son petit-fils dont on entend la voix) et une de son fils Dexter («I'll
Be OK»). C'est aussi la famille des saxophonistes puisque Carl Schlosser
est l'ingénieur du son et Pierre-Louis Cas, dit Pilou, a préparé les fichiers
audio. Bien sûr, c'est au sax ténor que Michel Goldberg nous séduit le plus
avec sa pulpeuse épaisseur de son («Stardust»). La complicité est
parfaite avec Dexter Goldberg qui sait swinguer dans la bonne humeur («When
I Take My Sugar to Tea»). Le pianiste est aussi remarquable dans
l'accompagnement aux nuances variées qu'en solo («There's a Small Hotel»,
«Put On a Happy Face»). Michel Goldberg sait chanter avec son
saxophone habillé d'un léger vibrato en fin de phrases («The Good Life»,
surtout «Syracuse»). Il sait aussi rivaliser de dextérité avec le
pianiste («Springtime for Hitler» de Mel Brooks tiré de The Producers, 1967). Un disque que l'on
écoute avec plaisir.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Ran Blake / Claire Ritter
Eclipse OrangeClaire
Ritter Story, Blue Monk, Eclipse Orange, Backbone, Short Life of Barbara Monk,
I Mean You, In Between, Blue Grits, Emerald & the Breeze, Hightop Sneakers,
Summertime, Waltzing the Splendor, Improvisation on Selma, Karma Waltz,
Breakthru, Cool Digs, There's Been a Change, Brazil Medley, Over the Rainbow,
Integrity
Ran Blake
(p), Claire Ritter (p), Kent O’Doherthy (sax)
Enregistré le 7 octobre 2017, Charlotte, NC
Durée: 54’ 05”
Zoning
Recordings 1013 (www.claireritter.com)
Pour cet album, enregistré en live à la Queens University de
Charlotte, pour célébrer le
centenaire de Thelonious Monk en Caroline du Nord (l’Etat qui a vu
naître le
grand pianiste et compositeur de jazz), il ne faut pas attendre de
Claire
Ritter et Ran Blake un hommage habituel. Claire Ritter a rencontré Ran
Blake au
New England Conservatory de Boston en 1981 quand elle est venue suivre
son
enseignement, et la voie qu’elle a choisie n’est pas celle du jazz qui
n’est
pas sa culture, mais la musique contemporaine dans sa version
américaine, une
sorte de troisième courant fréquent aux Etats-Unis, entre musique
classique,
moderne, contemporaine et jazz. Ran Blake, lui-même, malgré une plus
grande proximité avec le
jazz par ses rencontres, appartient plutôt à ce monde d’une musique
américaine, distanciée du fonds expressif afro-américain mais non sans
amour pour lui,
tirant de ce monde (sa liberté, son intensité) un part de son
inspiration et une certaine liberté de
création. Pour le blues autant que pour le swing et le caractère hot de l’expression, il faut chercher
ailleurs.
On devine que Ran Blake est l’invité d’honneur de ce duo,
parfois trio avec quelques interventions du saxophoniste d’origine australienne
Ken O’Doherthy. Ces musiciens –ils le disent et on peut croire à l’honnêteté de
leur démarche– ne veulent pas ignorer le jazz, et ils en retirent une
inspiration pour l’élaboration de leur musique. C’est du beau piano tel que le
prodigue depuis toujours Ran Blake, aux riches harmonies, aux angles parfois
acérés, aux éclats de lumière, aux atmosphères aériennes, et Claire Ritter n’est
pas en reste en bonne disciple. Il et elle proposent une musique très
riche sur le plan harmonique, lointaine descendance de la musique de Debussy:
du beau piano. Thelonious Monk, objet de cet hommage et de ce concert, par
la nature de ses compositions et par ses recherches harmoniques savantes, ne
pouvait manquer de fasciner ces deux pianistes. Leur hommage est donc très
sincère et en même temps très distant, décalé, avec seulement deux pièces de 2
minutes reprises dans cet ensemble de vingt pièces courtes de 2 minutes chacune, en dehors du
«Brazil Medley» et de la «Claire Ritter
Story» qui ouvre le disque, guère plus longues. L’assistance est polie et applaudit comme dans une salle de
concert classique, sans véritable réponse aux artistes, on est loin de l’Eglise
baptiste ou du club «enfumé» (même si on est aujourd'hui obligé de la rêver). On est dans un autre monde que le jazz pour cette
révérence à un grand artiste du jazz. Pourquoi pas? C’est globalement de la
bonne et belle musique. Le caractère populaire de l’inspiration est
absent de l’ensemble, ce qui peut sembler paradoxal et un brin provocateur dans un concert célébrant
le centenaire d’un musicien de jazz.Les amateurs de beau
piano y trouveront leur content. Cette musique surprendra peut-être
certains amateurs de jazz de culture pour un
hommage rendu au grand Thelonious Sphere Monk, même si l’«Integrity» des
artistes, et qui clôt comme un message cet enregistrement, ne peut être
remise
en cause, car ils font à deux pianos un effort louable pour restituer
sur ce
titre quelque chose de ce balancement rythmique si cher à Mr. Monk et si
essentiel au jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Lorez Alexandria
On King 1957-1959 - Plus Her 1954-1956 - Blue Lake & Chess RecordingsTitres
détaillés dans le livret
Lorez
Alexandria (voc), reste du personnel détaillé dans le livret
Enregistré
entre 1954 et 1959, Chicago
Durée:
2 h 20' 29''
Fresh
Sound Records 979 (Socadisc)
Dolorez Alexandria
Turner, connue sous le nom de Lorez Alexandria (1929-2001), née à Chicago, est
quelque peu oubliée. On peut comprendre pourquoi à l'écoute de ce double CD.
Lorez est une copie conforme de Sarah Vaughan (en blindford test, on se
tromperait volontiers). Et une Sarah suffit à la postérité. Ce qui n'implique
pas que la musique soit mauvaise. Bien au contraire, c'est souvent excellent.
Le CD1 est la réédition des LPs This is Lorez (King 542), Lorez Sings
Pres (King 565), des 45 tours Blue Lake 104 (1954) et Chess 1633 (1956).
Les 12 premiers titres enregistrés entre février et mars 1957 avec King Fleming
(p) nous présentent Lorez et son art de chanter comme Sarah Vaughan. On
retiendra «I'm Glad There Is You» (même timbre et maniérisme que son modèle)
avec un hautbois discret en contre-chant, «Thou Swell» (solo de Fleming), «Penthouse
Serenade» (solo de Ronald Wilson, fl), «I'm Making Believe» et «You Stepped Out
of a Dream» (solos de Wilbur Wynne, g). L'album suivant, en public (restreint à
ce qu'on entend), les 6 et 13 novembre 1957 retient plus l'attention car Lorez
Alexandria est bien accompagné par un sextet dirigé par King Fleming.
Curieusement, puisqu'il est dédié au Pres (Lester Young), il n'y a pas de sax,
mais trompette (Paul Serrano) et trompette basse (Cy Touff). Le scat très à la
manière de Sarah Vaughan a la part belle. Cy Touff (qui sonne comme un trombone
à pistons) et le bopper Paul Serrano prennent de bons solos dans «Fine and
Dandy», «Polka Dots and Moonbeams», «There Will Never Be Another You» et «No
Eyes Blues». Dans «Jumpin' with Symphony Sid» tout le monde prend un solo,
outre Touff et Serrano, il y a Charles Stepney (vib), probablement Earl May
(b). A noter que le bon batteur est Vernell Fournier (jeu de balais dans «This
Year's Kisses»).
Le 45 tours Blue Lake nous fait entendre du bon rhythm’n’blues
avec un ténor lestérien, John Neely («Williams' Blues») et un clin d'œil à
Count Basie par King Fleming (piano non accordé) et John Neely («One O'Clock
Jump»). S'il s'agit toujours de John Neely dans le 45 tours Chess, sa sonorité
s'est élargie («Please Come Back» en quartet vocal autour de Lorez), et il prend
un solo musclé et plein de swing dans «Stomping at the Savoy».
Le CD2 est une
curiosité. C'est la réédition des LPs de 1959, The Band Swings-Lorez Sings(King 657) et Standards With a Slight Touch of Jazz (King 676).
L'arrivée de la bande magnétique pour réaliser les enregistrements a créé une
musique artificielle. Ainsi le «School Days» joué à Pleyel par Dizzy Gillespie
en 1953 est devenu avec des coupures «Paris Swing» édité en LP par Mode 9200.
Pour l'édition originale de l'album Louis Armstrong Plays W.C. Handy en
LP CBS, «Atlanta Blues» est un montage avec l'utilisation de deux prises pour
le solo de Barney Bigard, mais le raccord perd les trois-quarts d'une mesure au
début du solo ce qui fait que Barrett Deems paraît jouer à contretemps (1954).
Mais aussi, c'est l'exploitation du son sur le son (re-recording), ainsi Louis
Armstrong chante un contre-chant à sa propre voix dans «I've Got a Feeling I'm
Falling» (album Stach plays Fats, 1955). Le 28 septembre 1953, Fred
Gérard, Fernand Verstraete et les autres n'ont pas vu le soliste lorsqu'ils
enregistrent pour Vogue des arrangements de Gigi Gryce en big band; Clifford
Brown a ajouté ses improvisations plus tard en re-recording («Brown Skin»). Et
ainsi de suite! La pratique devint systématique dans les variétés, le chanteur
ajoutant sa voix aux prises orchestrales préalables. Et bien c'est le cas pour
Lorez Alexandria en 1959 chez King, firme qui a acheté à l'American Federation
of Musicians (Local 802) des backgrounds mis en boîte en 1955-57 pour le label
Bethlehem et utilisés par d'autres, notamment Frances Faye. Pour cette fois, les
musiciens ont été payés deux fois! Dans la réalité, Lorez Alexandria n'a pas
chanté avec Russ Garcia & his Four Trombone Band (Maynard Ferguson, vtb,
Herbie Harper, Frank Rosolino, Tommy Pederson, tb, 1955), mais on l'entend ici
chanter sur cet orchestre («What Is This Called Love» offre un 4-4 entre Stan
Levey, dm, et les trombones).
Lorsqu'Alain Goraguer arrangeait et dirigeait les
séances de requins en 1958-59 (Roger Guérin, Georges Grenu, Pierre Michelot,
Christian Garros, etc.) pour Serge Gainsbourg, il y avait au moins un travail
préparatoire commun entre le chanteur-compositeur et l'arrangeur-chef
d'orchestre. Ici, Lorez Alexandria ajoute juste, avec talent, son style
vaughanien d'après un score, respectant les places pour tuttis orchestraux et
les solos (Allen Eager, ts dans «Don't Blame Me», arr. Frank Hunter). Dès lors
le travail des arrangeurs est aussi important que celui de la chanteuse: Frank
Hunter, Russ Garcia, Johnny Richards, Ralph Burns.
L'album The Band
Swings-Lorez Sings propose 9 titres avec l'orchestre Frank Hunter et deux
avec les trombones de Russ Garcia que l'on retrouve dans 4 titres de l'album
suivant Standards with a Slight Touch of Jazz complété par des morceaux
avec Richard Wess (avec plus de cordes que le seul Harry Lookofsky, vln), le
trop rare Al Belletto Sextet (1957, «Sometimes I'm Happy»), Johnny Richards,
Ralph Sharon et Ralph Burns. Le tout est plaisant. Lorez trouve une
décontraction digne d'un Frank Sinatra («Just You, Just Me», Nick Travis, tp
solo) et peut ajouter des scats («Dancing on the Ceiling»; «Just One of Those
Things», Rosolino, tb). Ici et là, on trouve des alliages intéressants (flûte
d'Herbie Mann dans «The Thrill is Gone», Bernie Glow, lead tp) et des solos
aussi bons que courts (Donald Trenner, p: «My Baby Just Cares for Me»; Urbie
Green, tb: «Then I'll Be Tired of You»; Stu Williamson, tp, Frank Rosolino, tb:
«Long Ago and Far Away»; Tommy Pederson, tb: «But Beautiful»; Ralph Sharon, p,
Jay Cave, b: «I'm Beginning to See the Light»; Jimmy Raney, g: «Spring is Here»;
Jerry Sanfino, Romeo Penque, hautbois-sax alto: «Better Luck Next Time»).
L'excellent «I Can't Believe that You're in Love With Me» est à mon sens
attribuable à Russ Garcia et non à Al Belletto. Bref l'étiquette jazz prend
donc très tôt les habitudes de la pop. Mais ici, la qualité musicale n'en pâtit
pas encore. L'écoute de cette réédition permet de (re)découvrir Lorez
Alexandria d'un niveau tellement supérieur aux offres actuelles!
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Ignasi Terraza Trio
High Up on the TerrazaTake the
Boussline, Grooving for Jaume, You Took Advantage of Me, A Flower Is a
Lovesomething, Whats This Thing Called Love, Bess & Flowers, Cris, Time on
My Hands, Volem Pa Amb Oli, Paraules D'amor, High and Up
Ignasi Terraza (p), Pierre Boussaguet (b), Victor Jones (dm)
Enregistré les 29-30 octobre 2018, Barcelone
Durée: 46’ 27”
Swit
Records 28 (www.freshsoundrecords.com)
Ignasi Terraza, dont nous suivons le parcours depuis de
longues années, ne cesse encore de nous étonner avec cet enregistrement plein
d’une fougue et d’un enthousiasme juvénile, malgré la maturation qu’apporte
l’âge à son expression et qui fait aujourd’hui merveille. «L’autre» pianiste
catalan, après le grand Tete Montoliu, porte l’héritage de son devancier au
plus niveau, avec cette particularité d’embrasser l’histoire du piano jazz dans
son ensemble, non seulement celle de Tete Montoliu mais aussi le jazz
mainstream aussi bien que le langage le plus moderne du piano jazz de culture,
dans la lignée de ce qui se fait de mieux sur l’instrument, de Phineas Newborn,
Ray Bryant, Kenny Barron, Tommy Flanagan jusqu’à Benny Green. Du beau piano
jazz qui non seulement swingue mais qui éclabousse de sa virtuosité sans
esbroufe, et surtout qui possède cet élément profond indispensable à cette
expression: le blues et la conviction («High and Up» qui évoque Ray Bryant et
Phineas Newborn sans aucune faiblesse). Du mainstream, Ignasi retient dans ce disque la maestria
d’Art Tatum et de Teddy Wilson dont il rappelle, en le décalant à sa manière, la
vertigineuse dimension pianistique en particulier dans un «You Took Advantage
of Me» d’acrobate du clavier qui ne perd jamais son charme classique et se
permet quelques détours classiques, chez Bach cette fois… Indispensable, on
vous l’a dit!
Ignasi s’est entouré de la crème des musiciens, en la
personne d’un Pierre Boussaguet toujours aussi brillant et chantant («Take the
Boussline», une composition d’Ignasi en hommage à Pierre, «A Flower Is a
Lovesomething») mais qui ne perd jamais de vue sa mission de renforcer le swing
et garder le tempo. Enfin, le grand Victor Jones, tout en nuances, apporte sa
contribution à un beau trio qui renouvelle, comme à chaque fois avec Ignasi, le
plaisir du genre. Le répertoire propose quatre originaux, des standards, des traditionnels, avec
un bon équilibre, une entrée en matière et une conclusion énergiques encadrant
des climats et des tempos variés, reflets de l’Art d’Ignasi Terraza.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Leïla Olivesi Nonet
Suite andamaneSatin
Doll, Black Widow, Geri’s House, Les Amants, Suite andamane I: Jeu de
Vagues, Suite andamane II: Le Chemin du Levant, Suite andamane III:
Fleur andamane, Suite andamane IV: Le Course du ciel, From New
York to Nouadhibou, Ascaria Tree, Skype Tear
Leïla Olivesi (p, voc) et, selon les titres, Quentin Ghomari
(tp, flh), Glenn Ferris (tb), Baptiste Herbin (as, fl), Adrien Sanchez (ts)
Jean-Charles Richard (bar), Manu Codjia (g), Yoni Zelnik (b), Donald Kontomanou
(dm), Chloé Cailleton (voc)
Enregistré du 2 au 4 janvier 2019, Meudon (78)
Durée: 59’ 01’’
Attention Fragile/ACEL AC5LSA387 (L’Autre Distribution)
Née en Normandie
en
1978, Leïla Olivesi a grandi à Paris dans un milieu artistique sensible
au
jazz. Elle est diplômée de philosophie (Sorbonne) et de musique (IACP)
et a
débuté sa carrière dès l’âge de 13 ans, au sein de la troupe de
musiciens en
herbe des P’tits Loups du Jazz. Elle a publié quatre albums entre 2004
et 2015 où elle développe des compositions marquées par des inspirations
mythologiques,
historiques ou littéraires (les ouvrages de Cyrano de Bergerac pour Utopia, Jazz & People, 2015). Un travail
qui a notamment été salué par la Maison du Duke (1er prix Sacem du
concours «Ellington Composers» 2013) où la pianiste donne des conférences
depuis 2015.
Auréolée de reconnaissance institutionnelle (qui se traduit
aussi par des commandes) et médiatique, Leïla Olivesi publie Suite andamane,
un album qui propose une
suite orchestrale éponyme en quatre mouvements mais aussi d’autres
compositions
sans rapport et un standard ellingtonien. Inspiré, nous dit-on, par un
voyage
sur la mer d’Andaman (qui est bordée par les côtes de la Birmanie, de la
Thaïlande et les Îles d'Andaman et de Nicobar) cette «Suite andamane»,
qui
par moment peut évoquer quelque peu la Far
East Suite de Duke Ellington, n’est pas malhabile avec un deuxième
mouvement particulièrement réussi, «Le Chemin du Levant», le plus swing
dans
son écriture et son interprétation, porté par la bonne rythmique Yoni
Zelnik/Donald Kontomanou et des soufflants qui donnent à cette œuvre de
belles
couleurs. Cette suite relativement brève (21’ 36’’ au total) aurait
mérité un album à part entière car les autres morceaux originaux sont
d’un intérêt moindre, si ce
n’est «Geri’s House», en hommage à Geri Allen. Un titre instrumental,
comme la
«Suite andamane». Les autres plages du disque ne tirant pas avantage de
la
présence de Chloé Cailleton qui chante dans un registre étranger au
jazz: une cohabitation particulièrement difficile sur «Satin Doll». Au total, un disque qui n'est pas sans qualité mais inégal selon nous.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Eric Dolphy
Musical ProphetCD 1: Jitterbug Waltz (3), Music Matador (4), Love Me
(2), Alone Together (1), Muses for Richard Davis (1), Muses for Richard Davis
(1) [Alternate Take]
CD 2: Iron Man (3), Mandrake (3), Come Sunday (1),
Burning Spear (3), Ode to Charlie Parker (1), A Personal Statement (5)
CD 3: Music Matador (4)[Alternate Take], Love Me (2) [Alternate
Take 1], Love Me (2) [Alternate Take 2], Alone Together (1) [Alternate Take],
Jitterbug Waltz (3) [Alternate Take], Mandrake (3) [Alternate Take], Burning
Spear (3) [Alternate Take]
(1) Enregistré le 1erjuillet 1963, New York
Eric Dolphy (as, fl, bcl), Richard Davis (b)
Alone Together, Come Sunday, Ode to Charlie Parker, Muses
for Richard Davis (inédit), Muses for
Richard Davis [Alternate Take] (inédit)
(2) Enregistré le 1erjuillet 1963, New York
Eric Dolphy (as solo)
Love Me, Love Me [Alternate Take 1], Love Me
[Alternate Take 2]
(3) Enregistré le 3 juillet 1963, New York
Eric Dolphy
(as, bcl, fl), Woody Shaw (tp), Clifford Jordan (ss), Sonny Simmons (as),
Prince Lasha (fl), Bobby Hutcherson (vib), Richard Davis (b)* ou Eddie Kahn
(b), J.C. Moses (dm)
Burning
Spear, Jitterburg Waltz, Iron Man, Mandrake*
(4) Enregistré le 3 juillet 1963, New York
Eric Dolphy
(as, bcl, fl) Clifford Jordan (sop) Sonny Simmons (as) Prince Lasha (fl)
Richard Davis (b) , Charles Moffett (dm)
Music
Matador, Music Matador [Alternate Take]
(5) Enregistré
le 2 mars 1964, Ann Arbor, MI
Eric Dolphy (as, bcl, fl), Bob James (p), Ron Brooks
(b), Robert Pozar (perc), David Schwartz (voc)
A Personal
Statement (inédit)
Durée: CD1: 49’ 54” + CD2: 55’ 37” + CD3: 52’ 58”
Resonance
Records 2035 (www.resonancerecords.org)
A l’origine, Zev Feldman, le coproducteur de cette réédition
comportant aussi des inédits, est informé par Jason Moran de l’existence de
bandes magnétiques d’Eric Dolphy, en partie inédites, détenues par James Newton (fl, comp) qui en a hérité après un curieux parcours. Les masters (stéréo) ayant servi
au pressage des deux albums (Labels FM et Douglas) reprenant partiellement ces
sessions enregistrées au Music Makers Studio de New York en 1963 se sont
volatilisés ou ont été détruits. Les bandes magnétiques personnelles d’Eric
Dolphy, en mono, deviennent ainsi un précieux document.
Eric Dolphy part en
Europe au printemps 1964 pour ce qui sera son dernier voyage puisqu’il décède à
Berlin le 29 juin 1964. Il a confié avant son départ ses affaires à des amis,
Hale et Juanita Smith, qui les transmettront à James Newton quand ils
apprendront le décès d’Eric Dolphy. James Newton, avec l’accord de la famille
Dolphy, transmet la plupart des affaires d’Eric Dolphy à la Library of Congress, et garde sous le
coude ces bandes qui deviennent essentielles puisqu’elles restituent, en
continu on peut le supposer, le contenu de ces journées d’enregistrement de
début juillet 1963.
Si la qualité est moindre que celle des masters pour ce que
nous connaissons déjà (qui a été repris également et partiellement dans Music Matador, le Jazz 14, empruntant
aux deux disques originaux), les bandes offrent non seulement le déroulement,
malheureusement pas exploité dans cette édition, mais aussi des inédits, pour
l’essentiel des alternate takes (la matière
ici du troisième CD), et un inédit intégral pour «The Muses», ici rebaptisé
«Muses for Richard Davis» (2 prises), un thème composé par Roland Hanna (p), et
qui donnera son titre à l’album Muses for
Richard Davis de Richard Davis en 1969, enregistré chez MPS, avec Roland
Hanna, Freddie Hubbard, Jimmy Knepper, Pepper Adams, Jerry Dodgion, Eddie
Daniels, Louis Hayes.
Dans cette édition, il y a au total une dizaine d’inédits si
on inclut la bonus track, enregistrée
à Ann Harbor, MI, en mars 1964, une pièce de musique contemporaine, même si Eric Dolphy y reste lui-même. Elle est donc une pièce de choix pour les dolphynomanes,
et ils sont relativement nombreux car la disparition prématurée de ce musicien au
langage si particulier et reconnaissable (il «parle» littéralement sa musique),
central dans l’élaboration de la «new thing» au tournant des années 1960,
a laissé un halo de légende comme c’est souvent le cas pour les surdoués du
jazz qui disparaissent trop vite (Clifford Brown, Booker Little, pour n’en
citer que deux, il sont nombreux dans le jazz). Central, car Eric Dolphy a
beaucoup enregistré avec la plupart des musiciens déterminants qui enrichissent
alors la déjà grande histoire du jazz: Charles Mingus, qu’il a connu à Los Angeles,
Chico Hamilton, John Coltrane (Africa
Brass), Ornette Coleman (Free Jazz),
Oliver Nelson (The Blues and the Abstract
Truth), Booker Little (At the Five Spot, Memorial Album), Mal Waldron, Ron
Carter (Where?), etc. Eric Dolphy est
omniprésent avec d’autres musiciens de cette génération et d’autres générations,
réputés free ou pas: John Lewis, Jaki Byard, Booker Ervin, Woody Shaw, Eddie
Lockjaw Davis, Clifford Jordan, Bobby Hutcherson, Herbie Hancock, Sonny
Simmons, Prince Lasha… Certaines de ses semaines d’enregistrement, quand on
retrace sa discographie, lui font alterner Charles Mingus et Oliver Nelson,
Booker Little et Ornette Coleman, c’est une vie d’une intensité rare sur le
plan musical, se produisant même en compagnie d’orchestres symphoniques, de
musiciens contemporains.
Eric Dolphy vivait la musique au quotidien, heure après heure, en homme pressé. Sa courte existence lui a donné raison. Dans ses
enregistrements en leader ou sideman, il apporte son phrasé inimitable, cette
façon de parler avec ses instruments, sa couleur musicale si déterminante comme
un grand ancien, un autre Johnny Hodges des années 1950-1960. Il est sans doute le
plus «vocal» des instrumentistes, même si les amateurs de jazz ont parfois des
difficultés à suivre sa curiosité sans borne et trouve sa musique quelque peu atonale.
Les formations mouvantes dans ces sessions en studio de 1963
font penser à des séances de travail enregistrées, même si une partie a été éditée en disque
après le décès de Dolphy, plusieurs musiciens se succédant sur le même
instrument, les formations changeant, les recherches étant très diverses.
Un intéressant livret, illustré comme l’ensemble de l’objet
de belles photos (Chuck Stewart, Don Schlitten, Jan Persson/CTSImages, Burt
Goldblatt, etc.) fait intervenir de nombreux musiciens et amis qui ont admiré,
connu voire côtoyé Eric Dolphy ou qui ont cherché à s’en inspirer: Han Bennink,
Henry Threadgill, James Newton, Joe Chambers, Juanita Smith, Marty Ehrlich,
Nicole Mitchell, Oliver Lake, Richard Davis, Sonny Rollins, Sonny Simmons,
Steve Coleman, etc., sans oublier Zev Feldman, coproducteur avec James Newton,
le dépositaire des bandes.
Au chapitre des critiques, les renseignements
discographiques sont difficilement lisibles malgré les bonnes intentions, car l’édition est mal pensée sur
le plan discographique en dépit de la simplicité relative de ces sessions. Les albums
originaux semaient déjà la confusion en raison du découpage de ces séances
entre Conversations, FM 208 (Vee-Jay)
et Iron Man, Douglas 785. Il eut été
plus clair de reprendre les sessions dans leur ordre d’enregistrement, grâce
aux bandes, puisqu’en fait il n’y a eu que deux jours d’enregistrement, en
dehors de l’ajout d’une bonus track,
issue d’une autre session neuf mois plus tard. Reproduire les visuels des deux
albums originaux et la mention de leur contenu, auraient seulement fait partie
de la documentation plutôt que de reprendre le fouillis installé par les
éditions des albums originaux. Nous avons donc, dans la notice, réorganisé
l’aspect discographique pour permettre de se repérer plus simplement.
La musique d’Eric Dolphy ici n’est pas la plus
passionnante si on considère l’ensemble de son œuvre où il existe de splendides
enregistrements, renforçant notre impression d’une séance de travail, même si
la recherche fait partie du processus de création. Mais, on vous l’a dit, c’est
un document, ce qui justifie l’indispensable, car les vrais amateurs de jazz en
sont friands et curieux.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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The Gil Evans Orchestra
Hidden Treasures. Volume One: Monday NightsSubway, LL Funk, I Surrender,
Groove From the Louvre, Lunar Eclipse, Moonstruck, Eleven
Miles Evans (tp), Shunzo Ohno
(tp), John Clark (flh), David Taylor (tb), Alex Foster (ts, ss), Chris Hunter
(as, fl), Pete Levin (kb), Mark Egan (b), Kenwood Dennard (dm), Mino Cinelu
(perc) + selon les titres, Alex Sipiagin, Jon Faddis (tp), Birch Johnson, Dave
Bargeron (tb), Gary Smulyan, Alden Banta (bar), Gabby Abularach, Vernon Reid (g),
Gil Goldstein (p), Charles Blenzig (p, kb), Delmar Brown, Paul Shaffer (kb), Matthew
Garrison, Darryl Jones (b)
Enregistré le 14 juin 2016 et le 17 juillet 2017, New York
Durée: 47'18''
Bopper Spock Suns Music Geo
34752 (www.gilevans.com)
Gil Evans (1912-1988) reste l’un des chefs d’orchestre et
arrangeurs marquants de l’histoire du jazz. Sa féconde collaboration avec Miles
Davis (de Birth of the Cool à Sketchs of Spain) n’est évidemment pas
étrangère à cela, de même que ces recherches stylistiques, tel un peintre en
quête de nouvelles couleurs (comme avec l’utilisation du cor, du tuba ou des
synthétiseurs). Un travail de création qui aura permis de révéler des solistes
tels que Lew Soloff, Billy Harper, George Adams ou Jon Faddis.
Le présent album est le premier enregistrement du Gil Evans
Orchestra en studio depuis quarante ans et cherche à convoquer l’esprit des
concerts qu’il donnait le lundi soir au Sweet Basil (1983-1994) et qui aboutirent
à quelques excellents enregistrements. La réactivation du big band s’est
effectuée à l’initiative des fils de Gil, le trompettiste Miles Evans et son
frère Noah, qui proposent une musique contemporaine (constituée à la fois du
répertoire original de l’orchestre et de nouvelles compositions), nourrie par les
différents idiomes qui ont traversé l’œuvre de Gil Evans, du swing à la fusion,
avec toujours ce besoin de liberté tant dans l’approche de l’écriture que dans
les arrangements, ce qui permet d’ailleurs à ces continuateurs d’éviter le
piège d’une imitation servile. Les originaux du maître, «Monstruck»,
courte pièce avec de beaux passages d’ensembles, qui introduit
«Eleven», évocation des «Petits Machins (Little Stuff)» paru en
1968 sur l’album Filles de Killimandjaro de
Miles Davis, mettant pour cette séance en valeur le ténor coltranien d’Alex
Foster. Tandis que l’arrangement du titre de Masabumi Kikuchi «Lunar
Eclipse» met à l’honneur le piano de Gil Goldstein. «LL Funk»
est plus anecdotique, dans un style évoquant un funk daté des années 1980. On
peut regretter la lourdeur relative de Kenwood Dennard (dm) forçant parfois le
trait. Al Foster aurait été le batteur idéal d’une telle formation maniant une
polyrythmie binaire et ternaire sans oublier de swinguer. Ce Monday
Nights est le premier volume d’un triptyque, Hidden Treasures, qui devrait s’enrichir d’un deuxième, intitulé The Classics, consacré aux compositions
de Gil Evans dont «My Ship» et «The Meaning of the
Blues» (Miles Ahead) puis d’un
troisième, Gil and Anita, avec lequel
Miles et Noah rendront hommage à leurs deux parents.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Maurice Vander
Piano Jazz. Trio SessionsTitres
détaillés dans le livret
Maurice
Vander (p), Benoît Quersin, Pierre Michelot (b), Jacques David, Kenny Clarke
(dm)
Enregistré
entre 1955 et 1961, Paris
Durée:
1h 12’ 37’’
Fresh
Sound Records 974 (Socadisc)
Fresh Sound poursuit la
réédition des mines enregistrées en France dans les années 1950-60, c'est à
dire au cours d'un âge d'or. Maurice Vander (1929-2017) fut chez nous un
incontournable sur lequel nous avons écrit l'essentiel dans Jazz Hot n°679
(printemps 2017). A son propos, le livret est très bien documenté. Disons que
Maurice Vander a fait ses débuts de pianiste de jazz en 1948. Il a une activité
de sideman étoffée pour Noël Chiboust, Hubert Rostaing, Django Reinhardt, Don Byas,
Pierre Gossez, Bobby Jaspar, Clifford Brown, Jimmy Raney, Fats Sadi, Aimé
Barelli et Tony Proteau avant de se lancer comme leader et en 1955 enregistrer
ces premiers disques sous son nom. Nous avons là 26 titres, tous des standards,
dont deux versions de «My Funny Valentine» (exercice obligé à
l'époque et personne ne s'en plaignait) qui sont la réédition du LP Jazz
Piano (Véga V35 M721), du 45 tours Véga V45P1611, du LP Piano for Dance sous le nom de Steve Anderson (Bel Air 7025/Musidisc CV 1180). Ce CD peut avoir
une utilité pédagogique pour montrer l'approche bop issue de George Shearing («Everything
Happens to Me», 1955) et surtout de Bud Powell («Strike Up the Band», «How
About You?», 1955; «Over the Rainbow», 1961). Maurice Vander compte parmi les meilleurs
pianistes français de sa catégorie avec Martial Solal, René Urtreger, Bernard
Peiffer, Raymond Fol, Georges Arvanitas. Il joue les ballades avec beaucoup
d'élégance et de musicalité («Autumn in New York» où il n'oublie
pas l'empreinte initiale d'Art Tatum; «Stella by Starlight» et «Love
for Sale», brefs clins d'œil à Erroll Garner, 1961). Ses développements
improvisés sont logiques servis par une élégance de phrasé et un toucher
délicat. Le choix des tempos est parfait («Fascinating Rhythm» par
exemple). Le piano est roi. Donc peu de solos par ses complices: Benoît Quersin
dans «Pennies From Heaven», Pierre Michelot et Kenny Clarke dans «Mack
the Knife», une alternative avec Jacques David dans «Strike Up the
Band» et une très courte avec Kenny Clarke dans «Night and Day».
Evidemment, la séance de 1961, très bien enregistrée, nous monte d'un cran.
Elle permet aussi d'apprécier les lignes de basse rondes de Pierre Michelot et
le drumming d'exception de Kenny Clarke («Cheek to Cheek», «Love
for Sale», «Dream», etc). Cette équipe fut enregistrée sous
le pseudonyme de Steve Anderson pour toucher un public plus large d'où cette
couleur à la Erroll Garner que Vander adjoint judicieusement à son jeu pour
notre bonheur. Cette séance avec Clarke et Michelot rend cette réédition
indispensable. Si un seul disque de Maurice Vander est souhaité, celui-ci fera
l'affaire.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Rossitza Milevska
StepsNa krivo,
Introduction Lole li si, Lole li si, Song for Steps, Enjoy the Silence, Valse,
No Matter, Samba Rag, Melody, Comme une valse, Sol, Human Nature
Rossitza
Milevska (harp, voc), Frédérique Lacroix (b), Franck Le Donne (eb, perc),
Cédric Le Donne (dm, perc)
Enregistré en
2019, Antibes (06)
Durée:
49’
Autoproduit (www.rossitzamilevska.com)
Instrument
rare dans le jazz, la harpe a deux représentantes en France, Christine Lutz et
Rossitza Milevska. La seconde, après les prix du soliste et du public obtenus
en 2010 au tremplin de Jazz à Hyères, a sorti une premier disque, As I Am, en 2011. La revoici avec un troisième
album d’une inspiration un peu différente. La harpiste-chanteuse est d’origine bulgare, pays des fameuses
«Voix Bulgares». Elle en a retenu quelque chose dans la voix, un
côté aigrelet et enfantin, ce qui lui donne sa couleur particulière. Elle chante
aussi bien en bulgare qu’en anglais. Pour la harpe, c’est un jeu plutôt piano,
pas étonnant puisqu’elle est aussi pianiste. Cette fois-ci, pas de standards,
elle est l’auteur de tous les morceaux et des paroles en bulgare. Pour
l’anglais, elles sont dues à Martin L. Gore. Côté musiciens, ce sont les fidèles
depuis le début, plus Franck Le Donne pour ce disque. Comme beaucoup de
musiciens de jazz ayant des racines dans une autre culture, Rossitza Milevska
plonge dans la musique bulgare, comme par exemple Claude Tchamitchian l’avait
fait à partir de ses origines arméniennes dans son disque Traces. La harpiste s’y frotte avec réussite dans «Lole li
si» avec un lyrisme balkanique enflammé. Elle s’attaque à la samba sur «Samba
Rag» avec un beau travail de la rythmique et un solo très mélodique de la
basse électrique. Une incursion réussie dans la Soul, c’est «Melody»
chanté en anglais avec une belle intensité. On peut goûter les qualités de la
harpiste en solo sur «Introduction Lale li si». Son goût pour la
vase s’épanouit dans «Valse» ou encore «Comme une
valse», très tendre.
Rossitza
Milevska s’aventure sur divers terrains musicaux avec grâce et réussite, soutenue
par une rythmique discrète mais toujours là où il faut et comme il faut. Même
si ce disque n’est pas tout à fait dans les canons du jazz, il procure un
délicieux plaisir d’écoute.
Serge Baudot
© Jazz Hot 2019
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Billy Byers and Martial Solal
Jazz on the Left Bank + Réunion à ParisSalute
to Vo, Softly as in a Morning Sunrise, There Will Never Be Another You, Jaguar,
The Long Nite, Patti’s N.Y. Blues, I Guess (Madna), You Don’t Know What Love
Is, Sixty-Eight, Leila, Trianon, Kenny’s Special, Illusion, Love Me or Leave
Me, Cinerama, Vogue, Buyer’s Blues
Billy
Byers (tb, arr), Martial Solal (p, arr), Dick Mills, Jimmy Deuchar (tp), William
Boucaya (ts, bar), Allen Eager (ts), Benoît Quersin (b), Wessel Ilcken, Kenny
Clarke (dm)
Enregistré
en septembre 1956, Paris
Durée:
1h 12' 11''
Fresh
Sound Records 978 (Socadisc)
C'est la réédition des
LPs Jazz on the Left Bank de Billy Byers (Philips B08112L) et Réunion
à Paris de l'International All Stars (Swing LDM 30048). Ils ont en commun
l'Américain Billy Byers, le Français Martial Solal et le Belge Benoît Quersin.
Comme d'habitude, Fresh Sound fait un beau travail de présentation et de
restitution sonore. Dommage qu'en guise de livret l’on ait reproduit le texte
originel de la pochette du Jazz on the Left Bank signé Nat Hentoff
(1956) qui récite les clichés progressistes qui ont formaté les amateurs de
l'époque (qui ne se sont pas recyclés à la lumière des documents ultérieurs).
Hentoff se soumet aux considérations d'André Hodeir. Bref, les Hentoff,
Feather, Ulanov, Hodeir et leurs disciples serviles sont responsables de l'état
actuel du jazz. Il eut été préférable de mettre en lumière Billy Byers
(1927-1996), tromboniste, arrangeur, compositeur, requin de studio dont
l'importance est sous-évaluée.
Né à Los Angeles, Il a étudié le piano et la
composition. Un problème d'arthrite le fait abandonner le piano pour le
trombone à l'âge de 14 ans. Après son service militaire (1944-45), il étoffe
son expérience d'instrumentiste chez Georgie Auld, Buddy Rich, Benny Goodman,
Charlie Ventura, Teddy Powell. A la discipline du big band, il ajoute vite
l'expérience du musicien de studio. Il vient travailler à Paris en 1956-57 pour
Ray Ventura. C'est l'époque de ce disque qu'il signe sous son nom pour Philips.
Il revient en France avec Quincy Jones (1959-60). C'est un homme de l'ombre efficace
car c'est lui qui recrutait à Paris les musiciens, notamment pour Duke
Ellington (Turcaret, 1960) ou des musiques de film (qu'il écrira parfois
pour le compte d'un autre). Il est ici responsable de l'arrangement des 10
premiers titres. Le «Salute to Vo» ne met en valeur que le batteur néerlandais
Wessel Ilcken (1923-1957), mari de la chanteuse Rita Reys, et le trompettiste
Dick Mills (1925), né à Seattle qui s'exprime dans le même style que Shorty
Rogers.
Mills n'a pas la classe de Don Fagerquist ni les moyens techniques des
frères Candoli, mais il est typique du genre dit West Coast. Il a étudié la
trompette dès l'âge de 6 ans auprès du père de Red Nichols, à San Jose. Il a
ensuite étudié la musique auprès de Darius Milhaud (Mills College de San
Francisco, puis Paris). Dick Mills a joué pour Kenny Clarke (Paris, 1948-50),
Dave Brubeck (1950), Charlie Barnet (1951), Les Brown, Woody Herman (d'où le
disque des Herdsmen avec Henri Renaud, 1954), puis Brew Moore (1956). Dans les
exposés de «There'll Never Be Another You» et «You Don't Know What Love Is», il
a un lien avec Chet Baker (tandis que Byers est aussi fin styliste qu'Urbie
Green). Mais c'est la similitude avec Shorty Rogers qui domine. Dick Mills quitta
la musique en 1962. Dans «Softly as in a Morning Sunrise», pris sur un bon
tempo médium, tout le monde sauf Ilcken prend un solo, notamment Benoît Quersin
(1927-1993) et au baryton, William Boucaya.
Venu d'Alger, Boucaya a
commencé sa carrière parisienne chez Hubert Rostaing (1947). Il a ensuite joué
pour Claude Bolling et Michel Legrand. Il fut, comme ici, un bon disciple de
Gerry Mulligan. Boucaya n'utilise le ténor que dans quelques ensembles et une
fois en solo dans le sombre «You Don't Know What Love Is». On retrouve l'art de
Martial Solal qui fait dialoguer le piano solo et l'orchestre dans «Jaguar»
qu'il a signé, mais l'arrangement de Byers donne aussi un espace pour un solo
par les trois souffleurs.
L'écriture de Byers est sophistiquée et complexe dans
son «The Long Nite». Il y prend un solo (belle aisance de registre), ainsi que
Boucaya (bs), Mills, Solal (raffiné) et Quersin. Remarquons que l'ordre des
solos varie d'un morceau à l'autre. Dans «I Guess», Ilcken assure une courte
alternative avec Solal et les trois souffleurs. Byers, Solal et Quersin se
retrouvent en studio le 24 septembre avec l'Ecossais Jimmy Deuchar (1930-1993)
et deux Américains vivant à Paris, Allen Eager (1927-2003) et Kenny Clarke
(1914-1985). L'esthétique est la même, dite cool et west coast par les «spécialistes»
de l'époque. Un standard («Love Me or Leave Me»), un thème de Byers et cinq
compositions de Solal constituent l'album. Byers est toujours d'une aisance à
la Urbie Green («Kenny's Special», «Illusion» dans le registre aigu, «Buyer's
Blues») et Solal d'une musicalité qui fait passer pour sobre ce qui est
virtuose (rien à voir avec les pianistes actuels). Jimmy Deuchar se rapproche
de Conte Candoli: un discours ferme, souvent inspiré mais pas une grande
sonorité. Il est techniquement au-dessus de Dick Mills. Allen Eager est un
bopper lestérien de qualité dans tous les titres dont «Illusion» pour la
tendresse. Kenny Clarke est un maître, léger et précis («Kenny's Special», «Buyer's
Blues»). Il assure de belles alternatives avec les trois souffleurs dans «Love
Me or Leave Me» et, augmentés de Solal, dans «Vogue». L'écriture de Martial
Solal, on le sait, peut-être complexe comme ce «Vogue» est un exemple. Au total
un document représentatif d'une époque que l'on est en droit d'aimer.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Ernie Watts Quartet
Home LightI Forgot August, Cafe Central Zam, Distant
Friends, Frequie Flyers, Horizon, O.P., Spinning Wheel, Joe, Home Light
Ernie Watts (ts), Christof Saenger (p),
Rudi Engel (b), Heinrich Koebberling (dm)
Enregistré les 11 et 12 décembre 2017, Cologne (Allemagne)
Durée: 1h 07’ 58’’
Flying Dolphin Records 1012 (www.erniewatts.com)
A 73 ans, le saxophoniste ténor Ernie Watts est un vétéran de la
Côte Ouest qui aura abordé une multitude de styles, diluant ainsi son talent
d’instrumentiste dans un éparpillement aux marges du jazz, surtout dans son
activité de leader. Il eut pourtant le privilège de partager quelques notes
avec Count Basie, dès le collège, avant d’intégrer la fameuse école Berklee de Boston.
Ce lecteur hors pair fit les beaux jours du big band de Buddy Rich avant
d’entamer une carrière de musicien de studio touchant aussi bien l’univers de
la pop, de la fusion que celui des musiques de films. Il resta toutefois proche
du jazz en croisant la route de Cannonball Adderley, Monk, Oliver Nelson ainsi
que des grandes formations de Gerald Wilson ou de Dave Grusin. C’est toutefois au sein du
Liberation Music Orchestra de Charlie Haden, et plus tard avec son fameux
Quartet West, qu’il laissa ses plus belles traces d’enregistrement en tant que
sideman. Avec son épouse, il a créé le
label Flying Dolphin pour une série d’albums dans un prolongement post bop de
qualité.
Son nouvel opus est une excellente occasion de redécouvrir ce
musicien attachant et talentueux à la virtuosité non dénuée de musicalité et à
la sonorité incisive évoquant parfois Coltrane. Autour de lui, un solide trio
d’Outre-Rhin avec qui il collabore depuis une quinzaine d’années amené par
l’excellent pianiste Christof Saenger. Home Light est une
production qui a du sens dans un jazz de culture bien défini et qui débute par
un superbe «I Forgot August» sur les harmonies du classique
«I Remember April». Le pianiste s’exprime dans un langage bop se
gardant de tout effet, dans un souci permanent de swinguer, entouré d’une
superbe rythmique au service d’une musicalité d’exception. «Cafe Central
Zam» du batteur Heinrich Koebberling est bluesy à souhait, mettant en
exergue la sonorité mince et parfois lisse doublée d’un léger vibrato du leader
évoquant les productions acoustiques de Michael Brecker. «O.P.» (composition
de Sam Jones en hommage à Oscar Pettiford) est un grand moment du disque avec
des passages ténor et contrebasse à l’unisson avec un excellent chorus de
Rudi Engel, tout comme «Joe», composition du trompettiste Brad
Goode, avec lequel Ernie Watts a déjà travaillé, et qui est un bel hommage
latin jazz à Joe Henderson où le leader double son discours au ténor et au
soprano. Cet album est une réussite qui comptera dans la riche et
éclectique discographie du saxophoniste.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Pablo Campos
People Will SayNobody Else But Me, Golden Earrings*, Beautiful Moons Ago*,
At Long Last Love, Spring Can Really Hang You Up the Most*, 60 East 12th Street*,
No More, People Will Say We’re in Love, Washington Heights, Thou Swell, I Got
in His Arms*, By Myself
Pablo Campos (p, voc), Peter Washington (b), Kenny
Washington (dm) + Dave Blenkhorn (g)*
Enregistré à New York, date non précisée
Durée: 58’ 03’’
Jazztime Records 196102 (UVM Distribution)
Cela fait déjà quelques années que nous croisons
régulièrement dans les clubs parisiens le pianiste et chanteur Pablo Campos,
tout juste 30 ans cette année. D’origine argentine et basque, le jeune homme a
la particularité d’être un musicien autodidacte et d’avoir choisi le jazz après
avoir été diplômé de Sciences-Po’ Bordeaux. Il n’en a pas moins été exposé à
l’enseignement de plusieurs maîtres, de Barry Harris à Marc Thomas. On l’a
d’abord connu au sein du Swingin’ Bayonne de Patrick Quillart (b) et Jean
Duverdier (dm, également talentueux dessinateur de presse, notamment pour Jazz Hot). A Paris, c’est son aîné
Nicola Sabato (b) qui l’a pris sous son aile, en trio avec un autre «jeune lion»,
Germain Cornet (dm). Accompagnateur apprécié (notamment pour Cecil L. Recchia),
participant volontiers à de multiples projets (le Zoot Collectif, groupe vocal
Shades, West Side Story avec
l’Amazing Keystone Big Band…), Pablo Campos soigne également sa carrière de
leader et possède un groupe régulier constitué de Viktor Nyberg (b), Philip
Maniez (dm) et Dave Blenkhorn.
On retrouve d’ailleurs –invité sur cinq titres– le
guitariste australien (que l’on apprécie notamment pour son travail au sein de
La Section Rythmique, cf. notre chronique) sur cet album enregistré à Brooklyn
avec une rythmique de rêve: Peter et Kenny Washington. Rappelons que s’ils ne
sont pas de la même famille, mais simplement homonymes, Kenny est le frère du
contrebassiste Reggie Washington, basé en Belgique. Friand de la compagnie des
musiciens plus expérimentés et de ce qu’ils ont à transmettre sur le plan
musical et humain, Pablo Campos, pour ce premier disque sous son seul nom,
s’est fait plaisir. Peter et Kenny Washington ont un curriculum vitae des plus prestigieux (Art Blakey, Tommy Flanagan,
George Cables pour le premier, Dizzy Gillespie, Houston Person, Lee Konitz pour
le second; ils sont en outre tous deux membres du trio de Bill Charlap parmi d’autres encore), et on
imagine que Pablo a dû se régaler pendant cette séance de
leurs histoires. Ainsi luxueusement accompagné, il a choisi de s’attaquer au Great American Songbook à
la manière de
Nat King Cole, son inspiration, même si vocalement il se rapprocherait
davantage
du timbre d’un Harry Connick Jr. Deux très bonnes compositions
originales du leader viennent
compléter le répertoire: «60 East 12th Street» et «Washington Heights»,
morceau
instrumental qui permet de savourer tout particulièrement le swing du
trio et
les qualités rythmiques du pianiste Pablo Campos, car sur son instrument
Pablo Campos est étonnant! Sa bonne culture jazz et son goût de la
transmission nous offre un album fort réussi et
qui doit beaucoup évidemment à l’excellence de ses compagnons musiciens.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Christian McBride
New JawnWalkin'
Funny, Ke-Kelli Sketch, Ballad of Ernie Washington, The Middle Man, Pier One
Import, Kush*, Seek the Source, John Day*, Sightseeing
Christian
McBride (b), Josh Evans (tp), Marcus Strickland (ts, bcl*), Nasheet Waits (dm)
Enregistré
les 25-27 mai et 20 septembre 2017, St Louis, New York
Durée:
57'43''
Mack
Avenue 1133 (www.mackavenue.com)
On a vraiment changé
d'époque car il n'y a aucun texte de pochette, mais une liste de pas moins de
sept personnes concernées par la production de ce disque… Pour autant, la musique
relève d'un autre temps. Dès les premières notes de «Walkin' Funny»,
on se dit que ce n'est guère différent de Out to Lunch! d'Eric Dolphy
(1964). Et que le drumming (ou plutôt la partie de percussion) dans le
déroulement free de «Ke-Kelli Sketch» reste en deçà de la
contribution de Sonny (Sunny) Murray du Ghosts d'Albert Ayler (1964 encore).
Quant à la formule sans piano, cela nous est familier de Gerry Mulligan à Ornette
Coleman. Les titres, sauf «Sightseeing» de Wayne Shorter, sont
signés par les membres de ce quartet. Christian McBride (né en 1972) n'est plus
à présenter. Sa technique est superlative avec une sonorité remarquable comme
on peut en juger dans ses solos sur «Seek the Source» et «John
Day», ainsi que dans ses lignes de basse derrière les souffleurs (par
exemple: «Sightseeing», up
tempo). Il manie l'archet comme Charlie Mingus («Ke-Kelli Sketch»)
et avec maîtrise pour donner une couleur, couplé à la clarinette basse («Kush»).
A peine plus âgé, Nasheet Waits (né en 1971), fils du percussionniste Freddie
Waits, fut tenu en estime par Ed Thigpen et Max Roach. Il passe du up tempo bop aux effets libres de
percussion avec classe. On n'a pas ici abusé de ses solos (coda de «Seek the Source»). Mais on peut apprécier la
diversité de son accompagnement. Les souffleurs sont plus jeunes mais à
l'unisson pour le langage musical. Marcus Strickland (né en 1979), remarqué dès
1997, est un sax ténor lyrique. Son solo à la clarinette basse dans «John
Day» est dans la veine d'Eric Dolphy. Il serait tellement intéressant de
l'entendre plus sur cet instrument, il y a tellement de sax ténor dans son
style. Josh Evans (né en 1985) fut marqué, très jeune, par Jackie McLean et
Rashied Ali. Il joue de la trompette depuis l'âge de dix ans et a donc développé
une solide technique. Il s’exprime avec un son large même pour un discours
véloce bop («Sightseeing»), certainement grâce à l'emploi d'une
embouchure large (contrepartie, il n'abuse pas du suraigu). Il est dans la
lignée de Freddie Hubbard («The Middle Man», up tempo) sans ignorer Don Cherry avec plus de technique comme il
se doit aujourd'hui («Kush»). Il ne manque pas de musicalité comme
les deux ballades, points forts du disque, en témoignent: «Kush» et
surtout «Ballad of Ernie Washington» qu'il a écrit. Un disque qui
se veut moderne même si le résultat évoque des contributions d'il y a
cinquante-cinq ans et même plus. De ce fait, des lecteurs y trouveront leurs
repères.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Chucho Valdés
Jazz Batá 2Obatalá, Son XXI, Luces, Ochún*, Chucho’s Mood, 100 Años De
Bebo*, El GüIje, The Clown
Chucho Valdés (p)Yelsi Heredia (b), Dreiser Durruthy Bombalé
(batás, voc), Yaroldi Abreu Robles (perc), Regina Carter (vln)*
Enregistré en 2018, South Orange, NJ
Durée: 56’ 17”
Mack Avenue 1146 (mackavenue.com)
Retour
aux sources du tambour sacré batá pour Chucho
Valdés, après le Jazz Bata original qui en 1972 le révélait, avant la
création
de son groupe Irakere. Un ressourcement qui n’en conserve pas moins son
attachement au jazz pour une synthèse dont il a été coutumier. Son
aisance
instrumentale et son enracinement toujours réactivé ont toujours permis à
ce
pianiste une grande liberté, car la musique –élaborée, savante et
populaire–
est son monde, sans frontière, comme on l’entend sur un premier thème où
il
évolue au milieu des rythmes cubains tout en proposant un langage très
libre,
proche par instant de la musique contemporaine («Obatalá», «Son XXI»),
sur un
fond vocal en relation directe avec les chants traditionnels et les
rythmiques
de la tradition cubaine. Une alchimie savante qui pourrait relever de la
magie,
si on y est sensible, ou, pour les sceptiques, du grand savoir de ce
musicien
accompli pétri de culture populaire au sein d'une famille qui vit dans
la musique cubaine depuis plusieurs générations. Au milieu de ce
répertoire, il peut glisser vers le
répertoire le plus «spiritual» qui soit, au sens nord-américain
(«Ochún»), avec
une invité de marque, Regina Carter, puis s’orienter vers la couleur
afro-cubaine de Dizzy Gillespie et Chano Pozo («Chucho’s Mood»), non
sans de
nombreuses citations de Duke Ellington, dans une veine pianistique très
brillante, car il est phénoménal sur son instrument. Sur le thème
suivant, «100 Años De Bebo», pour un hommage à Bebo, son pianiste
de père, qui jouait encore il y a peu de temps sur les scènes du monde,
et pour
le centenaire de sa naissance, il invite à nouveau Regina Carter dans
une veine
cubaine traditionnelle empruntant autant au rythme chaloupé qu’à la
musique
classique, pour une musique empreinte de nostalgie, pour son père c’est
certain, mais aussi pour toute une époque musicale pleine de poésie. Les
trois musiciens qui l’accompagnent ici apportent le
complément parfait, notamment dans les parties ou pièces les plus
traditionnelles («El GüIje»). La sophistication des percussionnistes et
des
rythmes cubains n’est plus à vanter. Chucho Valdés conclut ce bel opus
par un thème qui évoque la
musique française classique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, de
Debussy et Satie à Ravel dans une pièce, «The Clown», en piano solo, où il
glisse sa félinité rythmique sans perdre aucunement ce qui fait la légèreté, la
poésie et l’esprit de la musique de cette époque. Un grand moment du disque et
de virtuosité au service d’une musique qui fait rêver.
Malgré sa relation forte au jazz, Chucho Valdés est
inclassable, comme quelques rares avant lui (Django Reinhardt); il a su
produire une synthèse musicale personnelle sans renoncer à son amour pour le
jazz, la musique traditionnelle cubaine, la musique classique, l’art
pianistique. Il le fait avec naturel, sans ostentation, en malaxant la matière
pour en faire son langage, construire un univers original.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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John Lewis / Sacha Distel
Afternoon in ParisI Cover the Waterfront°,
Dear Old Stockholm°, Afternoon in Paris°, All the Things You Are*, Bag’s Groove*,
Willow Weep for Me*
John Lewis (p), Sacha
Distel (g), Barney Wilen (ts), Percy Heath*, Pierre Michelot° (b), Kenny
Clarke*, Connie Kay° (dm)
Enregistré le 4* et le 7° décembre 1956, Paris
Durée: 43’ 06’’
Decca/Jazz in Paris 572902-9 (Universal)
Universal réédite sobrement, via sa collection
«Jazz in Paris», le fameux duo parisien entre John Lewis et Sacha
Distel. Le court texte du livret rappelle brièvement le
contexte de cette session que la lecture des numéros de Jazz Hot de l’époque permet d’éclairer davantage: en novembre
1956, le Modern Jazz Quartet participe à la tournée européenne «Birdland
‘56» qui aligne une affiche de rêve: Miles Davis, Lester Young et Bud
Powell, et traverse les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne de l’Ouest, la
Suède, le Danemark, la Suisse et l’Italie pour s’achever en France où elle
avait démarrée le 2 novembre, à la Salle Pleyel (compte-rendu enthousiaste de
ce «Birdland Show» dans Jazz
Hot n°116, décembre 1956). Le Club Saint-Germain où Lester Young vient de
faire un tabac et dans lequel Jazz Hot voit un nouveau Birdland de la Rive Gauche, saisit l’opportunité de
cette
présence et programme le MJQ pour deux semaines du 26 novembre au 9
décembre
1956. C’est en outre l’occasion de retrouvailles amicales entre John
Lewis et
Sacha Distel qui avaient sympathisé deux ans plus tôt lors du précédent
séjour à Paris du pianiste. On imagine que le club de la rue
Saint-Benoît en a été le théâtre, puisqu’à la même période le guitariste
y assurait les matinées des samedi et dimanche (16h30-19h30) accompagné
du tout
jeune Barney Wilen (ts, 19 ans), René Urtreger (p), Bibi Rovère (b) et
Al
Levitt (dm). Sacha Distel saisit lui aussi l’opportunité. Travaillant
auprès de son
oncle, Ray Ventura, qui a recentré ses activités sur le cinéma, la
production
phonographique et a récemment créé le label Versailles, il souhaite
enregistrer
avec le MJQ ce qu’Atlantic Records (exclusivité) ne permet pas, nous dit
le livret. D’où l’absence de Milt
Jackson sur cette session qui s’effectue sous le seul nom de John Lewis,
mais
avec la participation de Percy Heath et Connie Kay. On peut s’étonner de
cette version car
Atlantic et Versailles sont alors partenaires, le label de Ray Ventura
venant de
sortir l’édition française de l’album Fontessa du MJQ. De même, Atlantic commercialisa (avec succès) l’édition américaine d’Afternoon in Paris, et celle d’autres
disques de musiciens français produits par Versailles, ce qu’annonce Sacha
Distel en mars 1958 (Jazz Hot n°130).
Toujours est-il que c’est une double rythmique qui officie: Percy Heath
et Kenny Clarke (membre fondateur du MJQ et qui retrouve ainsi ses anciens
compagnons) le 4 décembre (face B du LP); Pierre Michelot et
Connie Kay le 7 (face A). Le jeune prodige du ténor, Barney Wilen, est
également de la partie, sur les deux séances. Les qualités d’expression de
chacun des protagonistes font de cet enregistrement un témoignage édifiant du
niveau de la scène parisienne de l’époque, fertilisée par la présence américaine. Face à la stature d'un John Lewis, magnifique d’élégance et de swing, et du talent étonnant du rollinsien Barney
Wilen, Sacha Distel, 23 ans –consacré par le referendum Jazz Hot de janvier 1956 (n°106) et bientôt de janvier 1957 (n°117)– apparaît comme un digne représentant de l'école Jimmy Raney.
On connaît la suite de l’histoire: le guitariste de jazz s’effacera
devant le succès du chanteur de charme, et ne reviendra qu'épisodiquement
à son art premier; c'est le «Distel’s Dilemma»… Du bebop au Third Steam,
John Lewis laissera en revanche une œuvre de pianiste, de compositeur et d’arrangeur exceptionnelle
(cf. Jazz Hot n°486, Spécial 2001 et 580), tenant une place à part dans l'histoire du jazz de la seconde moitié du XXe siècle. Un parcours également marqué par sa relation étroite avec la France et la fidélité aux amitiés qu’il y a nouées; il
enregistrera, une vingtaine d’année plus tard un nouvel Afternoon in Paris chez Dreyfus Records. Parmi ses amitiés: Sacha Distel, il prénommera d'ailleurs son fils «Sasha», mais
aussi Charles Delaunay, dont il préfacera l’autobiographie portant le titre de la célèbre composition («Delaunay Dilemma») qu’il dédia au fondateur de Jazz Hot, rencontré en 1948, lors du concert du Dizzy Gillespie Big Band à Paris, celui-là même qui fit entrer en jazz le jeune Distel.
Notons
que Sam Records a réédité de son côté le LP Versailles MEDX 12005 d’origine en
fac-simile, avec la belle photo de couverture de Jean-Claude
Bernath, qui donne une dimension quasi cinématographique à cette histoire humaine et artistique.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Barney Wilen Quartet
Live in Tokyo '91CD1: Introduction, Beautiful Love, L'Âme des poètes, Mon
blouson (c'est ma maison), Que reste-t-il de nos amours?, Besame Mucho
CD2: How Deep Is the Ocean, Little Lu, Old Folks,
Latin Alley, Bass Blues, No Problem (From Liaisons Dangereuses), Goodbye, Doxy
(Encore)
Barney Wilen (ts), Olivier Hutman (p), Gilles Naturel (b),
Peter Gritz (dm)
Enregistré le 11 février 1991, Keystone Korner, Tokyo (Japon)
Durée: 1h 00’ 20” + 1h 15’ 54”
Elemental Music 5990434 (Distrijazz)
Barney Wilen, c’est la légende, même de son vivant, car le
personnage est lui-même atypique, un artiste à l’américaine, avec cette
dose
d’irrationalité apparente et de liberté sans limites qui alimente la
légende.
Né en 1937 à Nice, il est de père américain et de mère française, et
après un
séjour américain pendant la guerre (1940-46), il débarque dans le jazz
en
France un beau jour de 1953 à 16-17 ans après un apprentissage en
autodidacte –Gilles Naturel le dit dans l’interview qui vient de
paraître, comme beaucoup
d’autres. Mais selon nous, son apprentissage pourrait avoir été plus
solide à l’écoute de ce qu’a produit
Barney Wilen qui est d’une sophistication rare, notamment dans son feeling du jazz.
Barney Wilen suscite tout de suite un engouement rarement vu dans une époque ou
le jazz américain est au cœur du jazz en France, et où peu de musiciens de
l’Hexagone sont en mesure de suivre une évolution du jazz qui est très rapide
outre-Atlantique. Pas de problème pour Barney, à 20 ans ou moins, il accompagne
sans complexe Henri Renaud, Jimmy Gourley, Bobby Jaspar, puis Roy Haynes et
enfin Miles Davis, Bud Powell, John Lewis, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie,
ramassant prix et concours avec la même facilité que son adaptation aux
musiciens de jazz les plus confirmés qu’il rencontre, imposé jusqu’à l’excès il
est vrai par l’actif Marcel Romano, qui s’est institué son agent et son
impresario pour le cinéma, non sans quelques frictions, comme le rappelle le
gentil René Urtreger, sur le livret de ces deux CDs que nous devons à Patrick
Wilen, le fils de Barney.
Les années 1960 et 1970 le verront emporté comme la plume au
vent par tous les courants, les curiosités et expérimentations qui traversent
ces périodes, avec de multiples absences-disparitions, alimentant la légende,
sans doute sans le vouloir car l’homme est simplement marginal et curieux de
tout, qu’il est jeune, et que l’époque est vivante. Le free jazz, la musique
indienne, le jazz-rock, le retour en Afrique… Après ces années de maturation, sa deuxième moitié des
années 1980 voit son retour, et celui de la confirmation, de la maturation
d’une expression qui faisait déjà sa légende dans les années 1950, le hard bop,
dans une tradition pas très éloignée de Sonny Rollins, il en a les moyens et le
talent, mais avec une sonorité différente, moins grave et profonde, plus douce
et aérienne, tout aussi belle. Toujours la même conviction, la même
originalité, et cet inédit au Keystone Korner de Tokyo vient nous rappeler le
meilleur de ce beau saxophoniste, dans un Japon devenu la deuxième patrie du
jazz en ces années, un pays où il est une véritable légende, alliant le jazz à
l’américaine avec la touche française qui plaît tant alors aux amateurs du
Soleil Levant. Il est entouré de jeunes musiciens, Gilles Naturel (31 ans),
Olivier Hutman (37 ans), Peter Gritz (la trentaine également), qu’il entraîne
avec sa fougue et son art comme déjà un grand ancien. Le répertoire ressemble à
Barney Wilen, jazz et poésie, Charles Trenet, les standards, les belles
compositions du jazz, et ses jeunes accompagnateurs sont excellents, tous dans
l’esprit de cette musique où le leader donne tout ce qu’il a sans calcul.
On a dit que Barney Wilen était paranoïaque; le livret
l’évoque, parce qu’il n’appréciait pas les petites magouilles et mesquineries
du milieu du jazz, et on peut en comprendre les raisons. Car ce bel
enregistrement me rappelle l’irruption de Barney Wilen dans les bureaux de Jazz Hot en fin 1989; j’étais le
nouveau venu de la rédaction d’une revue, Jazz
Hot (l’équipe De Chocqueuse alors). Barney était très en colère,
verbalement, après une chronique (n°467) où l’auteur terminait son texte très
négatif sur la musique de Barney par «le
feeling finit par prendre la tangente» dans une époque où le jazz se devait
d’être non seulement «français» mais aussi «créatif et inouï» et surtout
pas enraciné pour avoir bonne presse et subventions. On comprend, avec le recul,
le ridicule de ce discours daté, de l’esprit de système qui apparaît dans cette
chronique (les années Lang du «jazz français» subventionné où un bon musicien
américain était forcément mort ou vieux, où le jazz traditionnel, mainstream ou
bop était «ringard» à cause du blues et du swing, où Archie Shepp et David Murray jouaient, selon les mêmes, faux parce qu'ils jouaient free), et plus largement dans une
atmosphère de clientélisme franchouillard qui expliquait une réaction de Barney Wilen qui devait tout à la réalité des faits et rien à la
paranoïa.
La colère de Barney Wilen, plus instinctive que réfléchie
sur l’état du jazz d’alors en France, parce qu’elle partait de sa conviction
musicale, de son œuvre pour le jazz, scandalisa la corporation et le petit
milieu, un milieu qui existe encore même si son discours de langue de bois a
évolué en fonction du vent de ses intérêts publics-privés et de sa faiblesse
théorique. Aujourd’hui, tout le monde est beau et gentil à condition d’être
dans le réseau de quelques fortunes qui se font plaisir, les oligarques du jazz
(forcément plus modestes sur le plan des fortunes). Les mêmes qui, il y a 30 ans,
vouaient Barney à la paranoïa, ont sans doute tressé des lauriers à cette
sortie de 2019, maintenant que Barney Wilen n’est plus là. Rares étaient en ce
temps et sont les musiciens à réagir et à se souvenir. Barney Wilen était de
ces rares, il avait raison, et son emportement correspond à la conviction, au
feeling qu’il mettait dans sa musique, il n’y a nul paranoïa dans cette colère,
mais l’indignation légitime, la conviction face à un discours de système d’une
époque. Il aurait fallu d’autres Barney Wilen, avec ce courage, pour défendre
alors le jazz, comme il en faudrait aujourd’hui. Cet opus témoigne de son art
en ce temps, sans concession, naturel et libre. Il n’est pas sûr que beaucoup
aient le feeling pour apprécier cette musique. Merci à Patrick Wilen pour cet
inédit.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Patrice Galas Trio
Nuits ensoleilléesUte, The Key, Nuits ensoleillées,
Elizondo, Doudeaublues, Karena’s Tune, Danny Boy, Mister Fofo, Blackbird, Si
demain, Song for Anaïs, Sylive
Patrice Galas (p), Alune Wade (eb), Conti Bilong (dm)
Enregistré en 2017, lieu non précisé
Durée: 44’ 27’’
JMS 012019 (www.jazz-music-shop.com)
Musicien discret aux collaborations prestigieuses (Marc
Fosset, Kenny Clarke, Johnny Griffin, Dizzy Gillespie, Max Roach, Stan Getz,
Dexter Gordon, Benny Golson, Scott Hamilton, Marcel Azzola… voir le détail dans Jazz Hot n°561), Patrice Galas est
une mémoire vivante des clubs parisiens où il sert le jazz avec talent
et
modestie depuis cinquante ans, du Gill’s Club de Gérard Terronès au
Caveau de
La Huchette de Dany Doriz, lequel en a fait le pianiste titulaire de son
big
band. On le connaît aussi bien sûr pour sa longue association avec Gilda
Solve
(voc) et son engagement militant dans l’enseignement du jazz (il est
l’auteur
d’une méthode pédagogique et a fait partie de la première équipe de
professeurs
du CIM, Centre d’Informations Musicales, créé en 1976, à une époque où
ce type d'école manquait de moyens mais pas de conviction).
Moins de dix albums en leader documentent la carrière
personnelle de Patrice Galas (dont un disque en duo avec le regretté Georges
Arvanitas), le dernier, A Time for Jazz
Trios, étant sorti en 2004. Sur ces Nuits
ensoleillées le pianiste a choisi de s’exprimer de façon originale et intime, à
travers ses propres compositions, pour l’essentiel. Plus étonnant, il est
ici accompagné d’une rythmique africaine –Alune Wade (eb) et Conti Bilong (dm)–
plutôt orientée jazz-rock. Il en résulte un enregistrement inattendu, inégal parfois, mais non sans
qualités, d’où émergent plusieurs bons titres, notamment «Ute»,
dans un esthétique proche de la fusion, «Elizondo», au
tempérament latin, «Doudeaublues», une ballade bluesy bien
troussée, mais aussi «The Key», «Si demain» et
«Sylive» où l’on retrouve le Patrice Galas swinguant qu’on a
l’habitude d’apprécier.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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J.C. Heard & Bill Perkins Quintet, feat. Joe Pass
Live at the Lighthouse 1964Bob's Blues, Passion Flower, Don't Stand Up, Blues in Hoss'
Flat, There Will Never Be Another You (Incomplete), Cute (Incomplete), J.C.'s
Tune, Sometime Ago, Mambo Bop
J.C. Heard (dm), Bill Perkins (ts, bar), Joe Pass (g), Frank
Strazzeri (p), Jim Hughart (b)
Enregistré en février 1964, Hermosa Beach, CA
Durée: 56’ 55”
Fresh Sound Records 976 (Socadisc)
Voici un inédit, et c’est une des raisons de l’indispensable,
enregistré en live au fameux club Lighthouse
d’Hermosa Beach, 30 Pier avenue, dans l’aire métropolitaine de Los Angeles, CA.
Le club fut acheté après guerre par John Levine, sur la recommandation d’Howard Rumsey,
contrebassiste et membre de l’orchestre de Stan Kenton en 1941, qui le dirigea
pendant vingt ans, en devint copropriétaire, et où il proposa du jazz à partir du
printemps de 1949. The Lighthouse fut une véritable vitrine du jazz de la Côte
Ouest, Howard Rumsey y installant en particulier son Lighthouse All Stars de
1951 à 1960 (Jimmy Giuffre, Shorty Rodgers, Max Roach, Stan Levey…).
A partir de 1960, le groupe laissa la place à de nombreuses autres formations, dont
celle présente sur ce disque, dont Bill Perkins est semble-t-il le vrai leader de
session car il est véritablement chez lui en Californie et dans ce club. Il est
né à San Francisco en 1924, et est décédé en 2003 toujours en Californie. Il a,
en 1964, déjà plusieurs enregistrements à son actif depuis 1956 avec ce qui se
fait de mieux localement: Carl Fontana, Bud Shank, Red Mitchell, Mel Lewis,
Richie Kamuca (ils font un beau duo de ténors, cf. Tenors Head-On, Blue Note, 1956), Stan Levey, Art Pepper, Hampton
Hawes, Jimmy Rowles et Frank Strazzeri, présent également sur cet
enregistrement. Il a même enregistré avec John Lewis, Percy Heath, Jim Hall et
Chico Hamilton (Grand Encounter,
Vogue/Jazztone, 1956). Bill Perkins (ts, bar, fl) est sur le plan esthétique
installé dans un bebop qui swingue de manière très mainstream ici, avec un beau
son, avec moins d’intensité que la Côte Est si on évoque Charlie Parker et Bud
Powell. Il a fait partie des orchestres de Woody Herman, Maynard Ferguson,
Stan Kenton, puis plus tard fera partie de ceux d’Oliver Nelson, Benny Carter
et Lew Tabackin, et sera présent à la Grande Parade du jazz de Nice en 1985.
Non loin par le son de Stan Getz, son jeu ne manque pas d’énergie ni de
qualités expressives («Bob's Blues»).
Le pianiste Frank Strazzeri est un compagnon au long cours
de Bill Perkins; il enregistrera encore un duo avec lui en 1991. Son talent
d’accompagnateur en font un pianiste recherché: Oliver Nelson, Kai Winding, Art
Pepper, Cal Tjader, Zoot Sims, Chet Baker (il participe au film Let’s Get Lost de Bruce Weber consacré
au trompettiste), Frank Rosolino, Joe Pass, sont quelques-unes de ses très
nombreuses collaborations. Il est très élégant dans son jeu, assez classique et
excellent soutien comme un Hank Jones.
Jim Hughart (1936, Minneapolis, MN), accompagna trois ans Ella
Fitzgerald sur la recommandation de Ray Brown, avant de s’installer en 1964 sur
la Côte Ouest, et de faire une très riche carrière (plus de 200 enregistrements),
dans le jazz (Joe Pass, Oscar Peterson, Zoot Sims…) mais surtout dans la pop
(Frank Sinatra, Tom Waits, Joni Mitchell, Joan Baez, Diana Ross, Peggy Lee…).
La surprise de cette session est Joe Pass, déjà invité de
luxe car il démontre non seulement des qualités de swing et de virtuosité exceptionnelle
(vélocité incroyable sur «Don’t Stand Up», «Cute») mais aussi, dès cette époque
un feeling particulier sur les ballades toutes en douceurs induites par un
Brésil qui vient de colorer le jazz («Sometine Ago»). Ce sera sa marque de
fabrique tout au long d’un brillantissime parcours sur lequel on ne revient pas
(Oscar Peterson, Ella Fitzgerald, et beaucoup d'autres, c’est sans fin).
Enfin, et on le gardait pour la fin, il y a dans cette
séance un exceptionnel batteur qui a fait le bonheur du jazz, gratifié à ce titre
du rôle de coleader par Jordi Pujol, le producteur de ce disque pour le bon
label Fresh Sound, et peut-être par Bill Perkins qui a dû en faire un invité
de marque ce soir de février 1964.
Né à Dayton, Ohio, le 8 octobre 1917 (décédé en 1988), il
est un exceptionnel percussionniste («Bob’s Blues», «Mambo-Bop»), un de ces
batteurs dont la carrière et les enregistrements démontrent que ses pairs
musiciens ont perçu chez lui un talent hors norme, mais dont le nom ne reste
malheureusement pas parmi les pères de l’instrument qu’il est sans aucun doute.
L’écouter sur ce disque en particulier donne une petite idée de
tout ce que lui doivent tous les batteurs du monde, car il est l’égal sur son instrument
des Art Blakey, Max Roach, Jo Jones (son inspiration), Philly Joe Jones: c’est
un monument de l’instrument. Son soutien est propulsif et ses chorus sont brillants,
d’une exceptionnelle musicalité et virtuosité: il partage avec Art Blakey le
privilège de pouvoir faire durer un chorus à l’infini sans longueurs, créant
une tension qu’il module à sa volonté jusqu’à la transe. Il a cette qualité de
drive, de shuffle qui ont inspiré toute l’histoire du jazz, mais aussi cette
souplesse féline, ce sens de l’accompagnement luxuriant et aéré qui lui ont
permis d’être génial dans tous les contextes. Ses collaborations, témoins de
son talent, sont innombrables et toujours de haut niveau: Billie
Holiday, Ella Fitzgerald, Etta Jones, Ethel Waters, Sarah Vaughan, Helen Humes,
Sidney Bechet, Cab Calloway, Count Basie, Benny Goodman, Dizzy Gillespie, Coleman
Hawkins, Johnny Hodges, Lester Young, Gene Ammons, Roland Kirk, Doc Cheatham,
Sammy Price, Teddy Wilson (avec qui il débute son parcours), Charlie Parker,
Ike Quebec, Rex Stewart… Là encore, plus encore que pour Joe Pass, la liste est
sans fin.
En 1964, J.C. Heard fait un détour à l’Ouest, par Las Vegas
avec Red Norvo, et par Los Angeles, ici avec Bill Perkins. C’est donc lui,
l’invité de marque, le leader par respect du musicien Bill Perkins envers l’un
des grands batteurs de l’histoire du jazz, sans doute enfin parce qu’il est
pour beaucoup dans le caractère particulièrement hot de la session. Le répertoire lui-même semble avoir été décidé
par J.C Heard, avec au programme Oliver Nelson, Billy Strayhorn, Frank Foster,
Neal Hefti, un standard et deux originaux de J.C. Heard.
Les «vieux» inédits, comme cet enregistrement, sont
intéressants quand ils proposent quelques musiciens exceptionnels, pas tous
très (re)connus, et c’est pourquoi nous sommes revenus sur leur parcours. En
petite formation, comme ici, on les apprécie d’autant plus qu’ils ont davantage
de place pour exprimer l’étendue de leur talent: c’est vrai pour J.C. Heard,
mais aussi pour Bill Perkins, très hot sur ce disque, en dépit de l’étiquette cool qui lui colle aux basques; c’est
vrai pour Joe Pass, qui montre dans un environnement au drive incandescent
qu’il est tout à fait capable de chauffer l’atmosphère. Bonne découverte!
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Ramona Horvath
Lotus BlossomStrange Hats, Black Butterfly, Lotus
Blossom, Place Dauphine, All the Things You Are, Micutul Valse, In A Flat, They
Say It’s Wonderful, I Love You, I’m Old Fashioned
Ramona Horvath (p), André
Villéger (ts), Nicolas Rageau (b), Philippe Soirat (dm)
Enregistré les 10, 11, 12 décembre 2017, Paris
Durée: 59’ 29’’
Black & Blue 858-2 (Socadisc)
Ramona Horvath & Nicolas Rageau
Le Sucrier VeloursLe Sucrier Velours, Drop Me Off in Harlem, Esmeralda, Hot
House, Le Contre-bossu de Notre-Dame, Pennies From Heaven, Procrastination
Blues, Upper Manhattan Medical Group, Calea Victoriei, My Romance
Enregistré les 11 juillet et 15 octobre 2018, Paris
Durée: 47’ 32’’
Black & Blue 1076-2 (Socadisc)
Vous pouvez découvrir la personnalité et le chemin de Ramona Horvath, venue d'un grand pays de musique, la Roumanie, dans l'interview qu'elle a accordée à Jazz Hot. De culture classique mais autodidacte dans son abord du jazz avant d’approfondir au côté de Jancy Körössy, l'un des chefs de file du piano jazz en Roumanie, Ramona Horvath propose un jeu marqué par l'influence d’Oscar
Peterson, comme remarqué dans la chronique de son premier album en leader (cf. Jazz Hot n°674),
mais aussi par le goût du beau piano jazz de la riche tradition bebop
des années 1950-60, de Kenny Drew, Phineas Newborn à Tadd Dameron, Tommy
Flanagan, Hank Jones, Kenny Barron, et beaucoup d'autres, parvenue
jusqu'à nous par de grands survivants ou héritiers comme Benny Green,
etc., et si on va au fond de ses influences, par un amour certain de la
comédie musicale américaine dont on retrouve les traces dans les
standards et dans ses exposés. Le caractère très détaché de ses notes,
la clarté d'émission personnalisent son jeu à travers la mémoire acquise
de sa bonne technique classique. Son emphase presque déclamatoire des
thèmes dans les exposés, son toucher du clavier reprennent également les
techniques d'expression et de doigtés venues du classique,
intelligemment mises au service d'un jazz qui swingue avec beaucoup de
brio pour personnaliser son jeu. Les deux disques témoignent de ses
qualités pianistiques. Ils proposent un répertoire essentiellement
constitué
de standards, de compositions du jazz, avec un accent sur le répertoire
ellingtonien qui se retrouve
dans le choix des titres de ces deux albums.On
retrouve sur ces deux disques l'excellent Nicolas Rageau, dont la
carrière est marquée par de prestigieuses collaborations, de Johnny
Griffin à Benny Golson en passant par Alain Jean-Marie, et qui fait un
beau parcours dans le jazz avec cette constance et cette application qui
font la particularité des grands devanciers de l'instrument.
Lotus Blossom, enregistré en quartet, avec une rythmique de haut-niveau complétée par l’excellent Philippe Soirat (Jazz Hot n°686), toujours aussi délicat aux balais et présent pour relancer dans la parties plus enlevées, offre un invité de marque, le grand André Villéger, incarnant une
mémoire du jazz tout autant qu’un beau lignage du ténor, non loin ici de la sonorité de Lester Young en un peu moins lazy.
Tout est passionnant: la finesse de
Philippe Soirat,
véritable gardien du tempo avec un Nicolas Rageau qui prend beaucoup de
libertés sans abandonner son rôle de base. Ils installent
une écrin rythmique où s’épanouissent les interventions élégantes et
éclatantes de Ramona Horvath et d'un André
Villéger aérien. On atteint des sommets de sensibilité dans cette
conversation à quatre pour «Black Butterfly» et le «Lotus Blossom» de Billy Strayhorn.
Ramona Horvath interprète avec autant d'éclat que de poésie et de
romantisme, pendant qu’André Villéger apporte sa contribution avec
l'excellence qu'on lui connaît, toujours respectueux du texte sans
jamais perdre sa capacité d'invention et ses qualités de son. «All the
Things You Are», d’abord exposé avec une délicatesse méticuleuse par la
pianiste, est habillé par le saxophoniste de sa sonorité chaleureuse et
veloutée.
L’écoute des compositions personnelles de
Ramona Horvath («Stange Hats», «Place Dauphine», «In A Flat», font apprécier son talent de compositrice; le dynamique «In a Flat» met en avant le swing et la dynamique du quartet. «Micutul Valse» est une belle composition de Nicolas Rageau en trio. Le Sucrier Velours, est un vrai prolongement du premier enregistrement dans un cadre plus intimiste, se réduisant au
duo très complice que forment la pianiste et le contrebassiste, déjà deviné dans le premier opus («They Say It’s Wonderful», «I Love You», «I’m Old Fashioned»).
L’osmose entre les deux complices et le traitement plus épuré servent
admirablement la clarté des deux techniciens, la sophistication du
langage et une expression à la fois élégante, romantique, poétique, et
un répertoire de thèmes du jazz ou de standards («Hot House» de Tadd
Dameron,
«Pennies From Heaven» de Johnston & Burke, «My Romance» de Richard
Rodgers), avec toujours cette attirance pour les compositions de
l'univers Duke Ellington («Le Sucrier Velours», «Drop Me
Off in Harlem», «UMMG»). Là encore, quelques originaux personnalisent le
répertoire: «Calea Victoriei» (le chemin de la victoire), «Esmeralda» de Ramona Horvath et «Contre-Bossu de Notre-Dame», «Procrastination Blues» de Nicolas Rageau font
apprécier les qualités de composition, d'invention de la pianiste et du
contrebassiste, autant que la mise en place, et sont, par l'esprit,
parfaitement intégrés à l'univers général de l'enregistrement.
Ramona Horvath est
une artiste que les amateurs de
jazz et de piano auront plaisir à découvrir en duo avec Nicolas Rageau
comme en quartet avec d'aussi bons musiciens qu’André Villéger et
Philippe Soirat.
Jérôme Partage & Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Bill Jennings
The Complete Bill Jennings on Prestige 1959-1960Enough Said!:
Enough Said, Tough Gain, Volare (a.k.a Nel Blu, Dipinto Di Blu), Dark Eyes, It
Could Happen to You, Blue Jams, Dig Uncle Will
Guitar Soul: It's
Alvin Again
Glide On: Glide
On, Alexandria Virginia, Billin’ and Bluin’, There’ll Never Be Another You,
Azure/Te (Paris Blues), Fiddlin’, Cole Slaw, Hey Mrs. Jones
Bill Jennings (g), Jack McDuff (org), Albert Jennings (vib, g), Wendell
Marshall (b), Alvin Johnson (dm)
Enregistrés les 21 août 1959 (Enought Said!) et 12 janvier 1960 (Glide On), Englewood Cliffs, NJ
Durée: 1h 19’ 38”
Fresh Sound Records 973 (Socadisc)
On
fêterait tout juste juste le centenaire de Bill Jennings,
guitariste né le 12 septembre 1919 à Indianapolis, s’il n’était décédé
sans
laisser de souvenirs aux amateurs de jazz le 29 novembre 1978 dans
l’hôpital
des Vétérans (anciens combattants) de sa ville de naissance, car il a
servi dans la Navy. Et surtout, si la notoriété de celui qui fut baptisé
«l’architecte
du soul jazz» n’avait pas été confinée à l’anonymat par la critique de
jazz
plus avide de nouveautés que de la glaise du jazz. Sa synthèse entre le
blues,
le jazz et le son church-soul, son amour des petites formations avec
orgue
(comme l’atteste ses collaborations), lui avait valu ce surnom qui ne
lui a
guère servi à se faire davantage connaître. Pourtant, B. B. King en
personne en
fit l’une de ses principales inspirations, et son itinéraire auprès des
Louis
Jordan, King Curtis, Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Willis Gator
Jackson (de
nombreux enregistrements sous le nom du saxophoniste avec Bill
Jennings),
Brother Jack McDuff, Leo Parker, Bill Doggett, etc., auraient pu
également le
garder dans nos mémoires oublieuses. Les dictionnaires du jazz l’ont
tous
oublié également, et il faut aller retrouver celui d’Hugues Panassié et
Madeleine Gautier, si partiel par ailleurs sur certains pans entiers du
jazz,
pour avoir mention de ce guitariste qui n’est pas sans qualités comme
nous le
montrent ces enregistrements et en particulier «Dig Uncle Will», «It's
Alvin
Again», «Alexandria, Virginia», «Billin’ and Bluin’» dans le registre du
blues
où l’on comprend ce qu’ont voulu signifier
B.B. King, et d'autres qui ont apprécié Bill Jennings.
Prestige, un label de premier plan à cette époque, lui fit
même la proposition d’enregistrer deux albums, qui sont repris ici: Enough Said! et Glide On de la fin 1959 au début de l’année 1960, et c’est cette
matière que le sagace Jordi Pujol a repris sur son éminent label Fresh Sound
pour nous raviver la mémoire sur ce guitariste de la single note, amoureux du
mariage guitare-orgue, si prolifique et essentiel dans le jazz, blues &
spiritual. Précisons qu’un thème, en bonus track, «It's Alvin Again», est issu du disque Guitar Soul paru sous le nom de Kenny
Burrell, Bill Jennings et Tiny Grimes (Status/New Jazz 8318).
Dernière curiosité, et non des moindres pour les
guitaristes, Bill Jennings partage avec le regretté Patrick Saussois la
particularité de jouer de la main gauche (sa main droite sur le manche), et de
ne pas inverser les cordes (les graves en bas, et donc la guitare totalement à l’envers).
Bill Jennings sera donc une découverte pour la plupart des
amateurs de jazz, de swing, de blues, de soul, de petits combos guitare-orgue,
et même vibraphone, car Al Jennings, le frère, participe à Glide On, avec des unissons guitare-vibraphone maîtrisés par la
proximité des deux frères.
Notons enfin que Glide
On (1960) fut le dernier album en leader de ce guitariste dont l’œuvre
enregistrée se continua essentiellement aux côtés du saxophoniste Willis
Jackson. Il y eut des enregistrements en leader au cours des années 1950 pour
les labels King et Audio Lab déjà repris par le label Fresh Sound. Il faut en
effet féliciter Jordi Pujol de ne pas lâcher le morceau, toujours à l’affût
d’une perle égarée, et qui complète ainsi avec cette intégrale Bill Jennings on Prestige le précédent
CD du guitariste en leader: Bill
Jennings: The Architect of Soul Jazz-The Complete Early Recordings 1951-57(Fresh Sound 816-2), déjà paru.
Quand on ajoute que les légendaires Brother Jack Mc Duff à
l’orgue, et Wendell Marshall à la contrebasse plus l’excellent Alvin Johnson à
la batterie complètent la formation, on sait déjà que Wild Bill Jennings est de
ces illustres inconnus qui font la pâte authentique et si diversifiée du jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Reggie Washington
Vintage New AcousticAlways Moving, Fall, Eleanor Rigby, Half
Position Woody, Afro Blue*, E.S.P, Thoughts Of Buckshot, Footprints, Moanin’, B3
Blues 4 Leroy, Always Moving (alt. take)
Reggie Washington (b), Bobby Sparks (p, org, key),
Fabrice Alleman (ts, ss), E.J. Strickland (dm), Ulrich Yul Edorh (dm)*
Enregistré du 12 au 14 mai 2018, Marseille
(13)
Durée: 59' 12''
Jammin' Colors Records 18-007-2 (www.jammincolors.com)
On connaissait Reggie Washington à travers sa
collaboration au mouvement Mbase de Steve Coleman et de ses expériences dans
l’univers du jazz fusion avec les guitaristes David Gilmore ou Jef Lee Johnson
d’où cette surprise que de découvrir ce Vintage
New Acoustic où il délaisse sa basse électrique pour la contrebasse. Un
projet qui est né en fait du désir d’explorer un peu plus son côté acoustique
qu’il a pratiqué auprès d’Archie Shepp, Chico Hamilton ou Regina Carter. C’est
le festival Like a Jazz Machine Festival, à Dudelange au Luxembourg, qui lui a
donné l’opportunité de lancer ce projet et d’enchaîner par trois jours intenses
d’enregistrement en studio. Pour ce faire, il s’entoure de musiciens partageant
le même parcours tels le claviériste Bobby Sparks révélé au sein du RH Factor
de Roy Hargrove et du batteur E.J. Strickland qui lui aussi avec son frère
Marcus au ténor a exploré une forme de jazz fusion électrique contemporaine.
L’ensemble est complété par le lyrisme «shorterien» de Fabrice
Alleman qui s’inscrit à merveille dans ce Vintage New Acoustic Quartet. Après
une courte introduction («Always Moving»), le groupe se lance dans
une évocation du Miles Davis électrique des années 1980, période Tutu, sur «Fall» de Wayne
Shorter. L’album décolle véritablement avec l’original «Half Position
Woody» au swing omniprésent, où le chaseentre le ténor et la batterie élève le débat. Fabrice Alleman oscille entre le
Coltrane des années Miles et Wayne Shorter avec un recours aux phrases longues
et un lyrisme exacerbé. Le jeu de Reggie Washington se veut percussif, massif
avec une sonorité large et boisée. Son sens du tempo semble infaillible
notamment sur «ESP» de Wayne Shorter et mélodique à la fois comme
sur son duo avec Ulrich Yul Eldorth sur «Afro Blue». Bobby Spark
est un véritable pianiste de jazz avec un jeu modal à la MCoy Tyner doublé
d’une sonorité brillante et d’un réel sens du swing à l’image de son chorus sur
«Footprints». La version de «Moanin’» de Bobby Timmons
en solo à la basse électrique ne manque pas de groove avec sa reprise du chorus
de Lee Morgan note pour note. Un thèmechurchy amenant un blues classique «B3 Blues 4 Leroy» en forme
d’hommage à Jimmy Smith vient clôturer un bel album.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Lia Pale
The Brahms Song BookFaith in Love, Melancholy, That I Would No More See You,
Sleeping Beauty*, A Song , Little
Red Rose, Tell Me My Sweet Sheperdess, The Cool of Night, Resonance, The Little
Sandman, Red Evening Clouds, My Only Light, Echoes, No House No Home, Night of
the Moon
Lia Pale (voc, fl, bfl), Mathias Rüegg (p, melodica, arr),
Joris Roelofs (cl, bcl), Hans Strasser (b), Ingrid Oberkanins (perc), Anna Bux
(whistle*)
Enregistré du 20 au 22 décembre 2018, Mitteretzbach,
Autriche
Durée: 47’ 58”
Lotus Records 19052 (www.lotusrecords.at)
Lia Pale continue l’enregistrement des Song Books consacrés pour l’essentiel à la musique mais aussi à la
poésie romantiques du cœur de l’Europe (allemande, autrichienne…), en
l’occurrence celle de Brahms après avoir abordé Schubert, Schumann et pour les
textes Heinrich Heine, Rainer
Maria Rilke, Johann Wolfgang von Goethe, Joseph von Eichendorff, pour ne citer
que les plus connus. Pour réaliser cette œuvre
au long cours, maintenant commencée depuis une petite dizaine d’années, elle
conserve une fidèle équipe autour de Maître Mathias Rüegg, arrangeur de talent
mais aussi déterminant pour la couleur très particulière empruntant à la
musique classique autant qu’au jazz, pour un résultat n’étant ni l’un ni
l’autre, ou peut-être –c’est notre avis– appartenant pleinement au prolongement
naturel d’une musique classique, la tradition européenne de la musique savante,
qui n’exclut pas le caractère populaire, qui ouvrirait ses oreilles à d’autres
influences, celle du jazz en particulier. C’était le cas au début du XXe siècle, et personne ne s’en est plaint. La percussionniste Ingrid
Oberkanins, le bassiste Hans Strasser sont toujours présents, et Lia Pale
varie les invitations selon les albums: ici le clarinettiste Joris Roelofs est
mis en avant sur beaucoup de thèmes, et Anna Bux nous rappelle que
siffler peut être une belle expression, un vrai instrument.
La méthode n’a pas changé pour cette relecture des années 2000
d’un patrimoine culturel ancien de près de deux siècles: Lia Pale chante les
textes en anglais. Sa voix est d’une précision de mise en place et d’une
justesse très instrumentale, avec quelques inflexions jazz, des effets, des modulations,
et quelques claquements de doigts, de mains, qui humanisent et personnalisent son
interprétation. Mathias Rüegg et l’orchestre alternent et mixent les manières
classiques et jazz, alternant cadences classiques et blocks chords, variant autant
dans le phrasé que pour le toucher.
Dans cet enregistrement, Lia Pale aborde le compositeur
Johannes Brahms, avec des textes de différents écrivains dont Goethe, Eichendorff, les plus connus d’entre
eux. Brahms (1833-1897) a fait le principal de sa vie musicale à Vienne (de
1862 à sa mort), c’est peut-être l’une des raisons de ce choix, dans la seconde
partie du XIXe siècle. Né dans une famille impliquée dans la musique, il est
très vite devenu un virtuose du clavier, écumant les cabarets et tavernes où il
se produit encore jeune dans un registre populaire, côtoyant au hasard de ses
rencontres (le violoniste hongrois Eduard Reményi) la musique tzigane qui sera
une de ses inspirations. Il rencontre alors Liszt puis le violoniste Joseph
Joachim qui le recommandent à Schumann qui en fait une célébrité à 20 ans…
Robert et Clara deviennent très proches, jusqu’à la passion entre Clara et
Johannes. C’est à Vienne que Brahms compose l’essentiel de son œuvre arrivée
jusqu’à nous, car il en a détruit lui-même une partie qu’il jugeait
insatisfaisante. Il est enterré comme Beethoven et Schubert au cimetière de
Vienne. Une querelle esthétique occupa cette partie du siècle entre
Brahms (le réputé conservateur parce qu’il revendiquait dans ses inspirations
la musique baroque, Palestrina, Bach et Beethoven) et Wagner (le réputé
novateur avec sa musique du futur), avec la participation des musiciens (Hans
von Bülow…) et de la critique musicale d’alors (Eduard Hanslick…) pour faire
pencher à Vienne la balance vers Brahms. Alors que ses compositions orchestrales voient le jour principalement
à partir de la quarantaine, Brahms composa tout au long de sa vie environ 300
lieder (chansons) au caractère
souvent populaire mais avec la manière très achevée du compositeur académique.
Quelques-uns ont un caractère plus fouillés autour de thèmes ou de cycles (plusieurs
chansons sur un thème), sorte de poèmes musicaux. Ici, Lia Pale reprend
quelques lieder éparpillés, dont certains font partie de suites («A Song»). Brahms
en matière de lieder est donc une source inépuisable…
Revenons au projet de Lia Pale: on se reportera utilement
aux chroniques dans Jazz Hot sur les
précédents épisodes de ce work in
progress, pour ne pas répéter les mêmes mots, mais aussi pour mieux
apprécier la cohérence d’ensemble (Gone too Far/A Winter’s Journey, n°663; My Poet Love, °671; The Schumann Song Book, n°682).
Cela peut surprendre l’amateur du déjà célèbre Mathias Rüegg
ou de jazz de culture (le blues n’a aucune place dans ces enregistrements de
Lia Pale si ce n’est comme couleur), mais mieux, cela pourrait titiller la
curiosité, la réflexion car cette démarche, outre son originalité et son
intégrité artistique, sa beauté formelle, est une réflexion traduite en actes
sur ce qu’il est possible de (bien) produire en matière artistique quand on
n’est pas né-es avec le patrimoine culturel africain et l’héritage encore
perceptible de plusieurs siècles
d’esclavage.
Il n’est pas forcément utile de contrefaire, par jeu, par mode ou avec
plus ou
moins d’arrogance, sans jamais parvenir à la profondeur de l’authentique
car on ne peut vraiment produire que ce qu’on est. Le patrimoine
européen,
musical, poétique et artistique, peut aussi, en toute liberté comme ici,
prétendre à être de la musique savante originale, et rester populaire,
sans
pour autant se cantonner aux conservatoires, aux scènes et au formalisme
académique des musiques classiques et contemporaines, voire aux scènes
commerciales de l’événementiel de toute nature. Il existe aussi en
Europe de
profondes racines artistiques et populaires pour laisser entrevoir un
futur
créatif autre que de mode, fait de milliers d’expériences aussi variées
que
l’est encore cette Europe dans ses composantes. Django est l’exemple
génial au
XXe siècle d’une tradition, métamorphisée par le jazz et le génie d’un artiste,
et le parallèle existe dans la chanson populaire (la chanson française). Ce
projet se place, bizarrement et selon nous, même si ce n’est sans doute pas la
raison à la source de la création de Lia Pale et de Mathias Rüegg,
dans le processus de métabolisation du patrimoine indispensable à la création artistique,
libre de toute contrainte académique-étatique-commerciale, dont le jazz de
culture (d’essence afro-américaine) est l’exemple à suivre, à ce jour et pour longtemps,
le plus accompli de l’histoire de l’art. L’appellation «Song Book» en référence à Ella Fitzgerald y fait penser. Lia Pale
et Mathias Rüegg, une histoire en devenir, une recherche en actes, une réflexion à poursuivre…
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Philippe LeJeune Trio
Cleveland GatewayI’m Just a Lucky So and So, Boogie Mix,
Cleveland Getaway, Please Send Me Someone to Love, Cow Cow Blues, Summertime,
One Mint Julep, Lil Darlin’, Broadway, Blues for the Nightowl, White Bluff
Bound, Cantabile, I Wish I Knew How It Would Feel to Be Free, Way Back Home
Philippe LeJeune (p), George Lee (b), Sunceray
Tabler (dm)
Enregistré le 2 septembre 2018, Cleveland, OH
Durée: 1h 06’ 34’’
Black & Blue 1074.2 (Socadisc)
Des artistes tels que Philippe LeJeune entretiennent
la flamme du jazz avec conviction, dans le respect d’une tradition pianistique
dont les références sont Sammy Price, LLoyd Glenn, Junior Mance, Ray Bryant ou
Memphis Slim. Une forme de (re)connaissance qui lui permet de s’exprimer dans
un langage que la presse américaine a qualifié de «blues oriented jazz»
car, ne nous y trompons pas, Philippe LeJeune est avant tout un pianiste de
blues et de boogie qui s’éloigne de l’école hexagonale, longtemps représentée par Jean-Paul
Amouroux ou Jean-Pierre Bertrand, pour créer une sorte d’équilibre, un peu à
l’image d’un Jay McShann contemporain. Cet art de faire swinguer le blues, il
le partage depuis toujours sur les scènes américaines du club Blue Moon
(Houston, TX) en passant par Chicago avec Eddie Johnson (ts) un leader de
territory bands des années 1930 et 1940 ou dans un studio de San Francisco sur
le piano de Charles Brown.
Pour son nouvel album, enregistré à Cleveland,
OH, il s’entoure d’une superbe rythmique locale dont George Lee qui a travaillé
avec divers leaders dont Joe Henderson et de Sunceray Tabler (dm). Une
écoute permanente et un soutien à la fois sobre et léger, toujours au service du swing caractérisent
ces sidemen avec lesquels il a déjà partagé la scène des clubs de la capitale
de l’Ohio. La thématique est solidement ancrée dans cette tradition du piano
dont se revendique le leader avec, pour débuter, une belle version bluesy du
classique d’Ellington «I’m Just a Lucky So and So» en passant par
le style barrelhouse avec un jeu plus
percussif sur «Cow Cow Blues» dont l’auteur Charles Davenport a
d’ailleurs terminé sa carrière à Cleveland. De Ray Charles à Percy Mayfield, le
répertoire oscille entre blues, boogie, rhythm and blues dans une approche jazz
de la formule du trio. On retiendra la magnifique composition «Cleveland
Getaway», blues aux accents boogie avec un shuffle léger de Sunceray
Tabler, mais aussi la trilogie gospélisante à souhait des derniers thèmes de
l’album à commencer par une version du «Cantabile» de Michel
Petrucciani, où l'aspect mélodique prédomine, suivi du superbe «I Wish I
Knew How It Would Feel to Be Free» du pianiste Billy Taylor et du «Way
Back Home» des Crusaders pour un final au cœur de l’église.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Jon Batiste
Hollywood AfricansKenner Boogie, What a Wonderful World, Chopinesque, Saint
James Infirmary Blues, Nocturne N°1 in Do Minor, The Very Thought of You, Green
Hill Zone, Mr. Buddy, Is It Over, Smile, Don’t Stop
Jon Batiste (p, voc), reste du personnel détaillé dans le
livret
Enregistré à New Orleans, LO, date non précisée
Durée: 41’ 39’’
Verve 00602567875208 (Universal)
Artiste plus que doué, issu d’une lignée de musiciens
de New Orleans, Jon Batiste (né en 1986) possède parfaitement le langage du jazz
de même qu’une brillante technique pianistique classique. Il nous rappelle à ce
titre ces illustres aînés, Marcus Roberts et Wynton Marsalis. Le second ne s’y
est d’ailleurs pas trompé en l’invitant commeprincipal soliste du magnifique hommage qu’avait rendu le Jazz at
Lincoln Center Orchestra à John Lewis (voir notre chronique). Malheureusement, Jon
Batiste nous rappelle aussi son camarade Trombone Shorty (du même âge), autre
prodige de Crescent City, mais ayant fait le choix d’être une vedette de la pop
avant d’être un musicien de jazz. Ces contradictions sont résumées dès les deux
premiers titres de l’album Hollywood
Africans: en ouverture, une bonne composition convoquant ses racines,
«Kenner Boogie» (du nom de son quartier de naissance); auquel
répond une insipide version de «What a Wonderful World» vidée de sa
substance. Le reste du disque cultive cette ambivalence, comme nous l’avions
déjà noté dans le compte-rendu du concert que le pianiste avait donné en
octobre 2018 à la Cathédrale américaine de Paris (Jazz Hot n°685). Le «en même temps» ne fonctionne pas non plus en musique...
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Samuel Martinelli
Crossing PathsSamba Echoes, Talking About Spring, Bob's Blues, St. Thomas,
A Gift For You, Birks' Works, Whispering Loud, Song For Carina
Samuel Martinelli (dm), Claudio Roditi (tp, flh), Tomoko
Ohno (p), Marcus McLaurine (b)
Enregistré en juillet 2017, Clifton, New Jersey
Durée: 50’ 40”
Autoproduit (www.samuelmatinelli.com)
Excellent enregistrement d’un batteur qui pour être
brésilien n’en joue pas moins un jazz post bop des plus rigoureux dans
l’esprit, sans tirer nullement la couverture à lui, ce qui est une qualité
supplémentaire. Il s’est intelligemment entouré pour Crossing Paths, son premier enregistrement en leader, de musiciens
confirmés dont il est ordinairement le sideman, qu’il connaît donc très bien:
le trompettiste Claudio Roditi, un aîné venu comme lui du Brésil, mais en 1970 (Rio de
Janeiro, 1946), et qui a une carrière et une discographie impressionnantes dans
le jazz auprès d’Herbie Mann, Dizzy Gillespie, Charlie Rouse, Paquito D’Rivera,
McCoy Tyner, Kenny Barron, Horace Silver, Jimmy Heath, etc., tout en ayant mené quelques projets en
référence à ses racines (Symphonic Bossa
Nova, 1995, pour lequel il a reçu un grammy Award).
A la contrebasse, Samuel Martinelli a choisi Marcus McLaurine (1952, Omaha, NE),
autre musicien de haut-niveau, qui a commencé un parcours original avec Horace
Tapscott dans les années 1970 sur la Côte Ouest, avant de se fixer sur la Côte
Est avec Clark Terry dans les années 1980 puis d’accompagner Abdullah Ibrahim
dans les années 1990. C’est seulement dans les années 2000 que Marcus McLaurine
enregistre ses trois albums en leader (Rough
Jazz, 2006), Soul Step (2011) et One Mind (2012). La pianiste Tomoko Ohno, née à Tokyo, n’est plus une
inconnue: elle a commencé à enregistrer dès 1997 (Powder Blue), suivi ensuite par des enregistrements réguliers (Affirmation, 1999, Natural Woman, 2000, Shadows
of Spring, 2005, In Buenos Aires,
2007, puis From Tokio to Buenos Airesavec le guitariste argentin Ricardo Lew (2011), Tres Sabores (2016), avant un duo avec Jay Leonart, Don’t You Wish, 2018. On le voit, c’est un groupe particulièrement relevé qui
entoure les débuts en leader de Samuel Martinelli, au demeurant un fort élégant batteur, tout entier tourné
vers la musicalité, vers le jazz et qui nous donne ainsi un bel enregistrement
avec un répertoire intéressant, principalement d’originaux bien dans l’esprit
post bop («Talking About Spring », «Bob's Blues», «A Gift For You», «Whispering
Loud», «Song for Carina»), non sans quelques références aux origines («Samba
Echoes»), mais aussi avec deux belles compositions jazz («Birk’s Works» de
Dizzy Gillespie et «St. Thomas» de Sonny Rollins, dont le traitement est
particulier).
Samuel Martinelli, qui a étudié avec Dennis Mackrel (Count Basie Big Band) est arrivé
à New York en 2014, et il a fait de sérieuses études académiques, en dehors de
sa participation à la scène de New York où il réside et où il donne aujourd’hui
des cours. Un bon premier album pour un batteur qui n’est pas un
débutant, et a donc déjà une réelle assurance et solidité en matière de jazz. A
découvrir.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Michel Petrucciani
ColoursCD 1: Colors, Looking Up,
Rachid*, Hidden Joy, September Second, Brazilian Like, Home, Love Letter,
Guadeloupe
Michel Petrucciani (p), Flavio
Boltro (tp), Bob Brookmeyer (tb), Stefano Di Battista (as), Eddy Louiss (org)* Anthony
Jackson (b), Steve Gadd (dm)
CD 2: Cantabile, Little Peace in
C For U**, Trilogy in Blois, Charlie Brown°, Petite Louise*, She Did It Again,
Even Mice Dance°, Romantic But Not Blue, Montélimar
Michel Petrucciani (p, org), Stefano
Di Battista (as)*, Stéphane Grappelli (vln)**, Anthony Jackson, Dave Holland
(b)°, Steve Gadd , Tony Williams (dm)°
Enregistré en 1994 et 1995, Paris,
en 1997, Tokyo (Japon), Frankfort (Allemagne), New York
Durée: 52’ 36’’ + 44’ 08’’
Dreyfus Jazz 538459420 (BMG)
A la suite de la parution d’un
coffret comprenant l’intégralité des enregistrements de Michel Petrucciani, Complete Recordings (12 CDs + 3 DVDs),
que nous avons récemment chroniqué, Dreyfus Jazz a fait paraître un
livre-disque d’une ampleur plus modeste, Colours(2 CDs pour 18 titres), prolongeant la commémoration des 20 ans de la
disparition du pianiste. Il reste difficile de mesurer l’importance de l’œuvre
qu’a laissée Michel Petrucciani tant sa personnalité plurielle a dépassé la
seule sphère jazzistique. Si les années OWL sont celles de la mise en place du
phénomène avec un jazz authentique, sans fioritures, dont la collaboration avec
Lee Konitz sur Toot Sweet et le
superbe duo avec Ron McClure (b) sur Cool
Blues en sont la quintessence, son arrivée chez Blue Note marqua le
développement d’un artiste brûlant la vie par les deux bouts cherchant à
séduire un large public tout en étant exigeant artistiquement; l’ensemble
demandant un équilibre toujours fragile. C’est dans ce contexte que les projets
les plus aboutis se sont révélés, du Power trio avec Jim Hall et Wayne Shorter
aux deux trios amenés par les batteurs d’exception que sont Al Foster et Roy
Haynes, sur Michel Plays Petrucciani,
en passant par les marges du jazz, avec le très beau Music, appartenant à l’univers de la fusion.
La présente compilation s'intéresse
tout d’abord au compositeur (il ne s’agit que d’originaux) amoureux de la
mélodie qu’était Michel Petrucciani à travers sa dernière période prolifique
chez Dreyfus jazz. Une musique organique dominée par un lyrisme exacerbé sans
tomber dans le sentimentalisme à l’image de son «Romantic But Not Blue».
Et un pianiste à la main gauche incroyable, dont on reconnaissait la signature
dès les premières notes, avec une attaque franche et puissante, des fulgurances
dont il avait le secret ainsi qu’un jeu rythmique doublé d’un toucher à la fois
subtil et plein d’autorité. Coloursmet ainsi en exergue le sens mélodique du Petrucciani-compositeur, de «Cantabile»
à «Rachid» en passant par «Charlie Brown» ou «September
Second» devenus presque des standards. Les formations à géométrie
variable laissent la place à la rythmique Anthony Jackson et Steve Gadd qui lui permet d’évoluer dans un large spectre
musical. On retiendra une superbe «Trilogie in Blois» en piano
solo, où il démontre toutes les facettes de sa personnalité avec un lyrisme à
fleur de peau, doublé d’un swing permanent. L’intérêt d’une telle compilation peut être
d’éveiller la curiosité de l’auditeur afin qu’il puise dans la discographie de
Michel Petrucciani, que ce soit dans son travail de sideman, comme avec Joe
Lovano sur From the Soul (Blue Note:
très belle version de «Body and Soul» en duo) ou dans ses
enregistrements en solo, telle que sa «Promenade With Duke» (Blue
Note) où il revenait sur ses amours ellingtoniens de sa jeunesse. La partie
livre de cette compilation contient le témoignage de 40 musiciens actuels à
propos de l’influence et des rapports qu’ils entretenaient avec le pianiste.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Louis Hayes/Junior Cook Quintet (featuring Woody Shaw)
At Onkel Pö's Carnegie Hall, Hamburg 1976CD1: All the Things You Are, When Sunny Gets Blue, Moontrane
CD2: Pannonica, Ichi-Ban, Moment to Moment, Four for Nothing
Louis Hayes (dm), Junior Cook (ts), Woody Shaw (tp),
Enregistré le 11 mars 1976, Hambourg (Allemagne)
Durée: 54’ 29” + 1h 00’ 31
NDR Info/Jazzline PÖ N77062 (Socadisc)
James Booker
At Onkel Pö's Carnegie Hall, Hamburg 1976Roberta/Tell Me How You Feel, Every Day I Have the Blues,
Classified, One Hell of a Nerve, Keep on Gwine, Rockin' Pneumonia and the
Boogie Woogie Flu, Please Send Me Someone to Love, All By Myself, Ain't
Nobody's Business, Something You've Got, My Bonnie, Live, Junco Partner, Let's
Make a Better Work, Lonely Avenue & Stormy MondayJames Booker (p, voc)
Enregistré le 27 octobre 1976, Hambourg (Allemagne)
Durée: 1h 11’ 28”
NDR Info/Jazzline PÖ N77061 (Socadisc)
Louisiana Red
At Onkel Pö's Carnegie Hall, Hamburg 1977CD1: Announcement, The Whole World, I Wonder Who Is Loving
You Tonight, Midnight Rambler, When My Mama Was Living, Red's Dream # 2, Red's
Boogie, Crime Emotion, Good God Woman, Alabama Train, Soon One Morning,
Travelling Boogie, Death of Ealase
CD2: Sweet Blood Call, Goin 'Down to Lousiana, Rock Me, Too
Poor to Die, Who's Been Foolin You, Louise, Recreation Blues, Honky Tonk Slide,
Can't Get no Sleep at Night
Louisiana Red (g, voc)
Enregistré le 14 juin 977, Hambourg (Allemagne)
Durée: 47’ 03” + 42’ 28”
NDR Info/Jazzline PÖ N77064 (Socadisc)
Timeless Allstars
At Onkel Pö's Carnegie Hall, Hamburg 1982Tokudo, My Foolish Heart, Clockwise, Mapenzi
Curtis Fuller (tb), Harold land (ts), Cedar Walton (p), Bobby
Hutcherson (vib),
Buster Williams (b), Billy Higgins (dm)
Enregistré le 5 avril 1982, Hambourg (Allemagne)
Durée: 1h 15’ 20”
NDR Info/Jazzline PÖ N77063 (Socadisc)
Retour, par l’édition phonographique de quatre albums, sur
une belle histoire du jazz en Europe à
l’initiative d’amateurs de jazz, Bernd Cordua et Peter Marxen qui avaient
précédemment monté le Jazzhouse, sur Brandstwiete, une rue de la haute-ville
d’Hambourg: l’aventure d’Onkel Po’s Carnegie Hall, familièrement appelé Onkel
Pö, un lieu consacré au jazz, s’étendit du 1er octobre 1970 au 1erjanvier 1986, et connut plusieurs acteurs et plusieurs implantations dans la
ville d’Hambourg. A l’origine sur Mittelweg, une rue dans le quartier Pöseldorf
(d’où le nom Onkel Pö), le club déménagea rapidement à Eppendorf, un autre
quartier de la ville et devint un des lieux du New Jazz Festival d’Hambourg,
sous la seule direction de Peter Marxen jusqu’à 1979, où le club connut une
nouvelle direction avec Holger Jass qui en fit un lieu de jazz et de rock,
aidé par Andreas Kiel pour la programmation.
Au cours de cette quinzaine d’années, le lieu a présenté sur
sa scène les meilleurs groupes de jazz, dont on distinguera, parce qu’il est
difficile d’en faire une liste complète: Chet Baker, Art Blakey, Michael
Brecker, Dollar Brand, Don Cherry, Chick Corea, Dizzy Gillespie, Dexter Gordon,
Louis Hayes, Joe Henderson, Bobby Hutcherson, Woody Shaw, Archie Shepp, Horace
Silver, et beaucoup d’autres encore. En fait, c’est une suite ininterrompue de
all stars pour une programmation en club qui fait rêver et rappelle qu’à
Hambourg, comme à Paris et à Londres mais aussi dans d’autres villes moins
importantes comme Marseille voire plus petites encore, ces all stars pouvaient
alors se produire en club ou en salle.
La couleur était jazz et n’oubliait pas le blues comme nous
le rappelle cette sortie de quatre albums avec le Quintet de Louis Hayes/Junior
Cook, le Timeless All-Stars (Bobby Hutcherson/Harold Land/Curtis Fuller/Cedar
Walton/Buster Williams/Billy Higgins) produits par le très actif, en ces temps,
tourneur et producteur Wim Wigt (Timeless Records), mais
aussi Louisiana Red et James Booker deux
authentiques bluesmen. La musique jazz-blues et hotavait donc la vie plutôt belle en ces années, parce que les coûts étaient
suffisamment raisonnables pour permettre à des indépendants de telles
affiches (sans parler du bureaucratisme et du parasitisme institutionnels qui
ont tué les initiatives d’indépendants après), et qu’un public très branché jazz de
culture était encore assez savant et nombreux pour remplir des salles, des
clubs et des festivals aux tailles conformes à l’esprit du jazz, un public
spécialisé pas encore dégoûté par les dérives d’une programmation mercantile,
pas encore un public de mode ou lobotomisé par la normalisation consumériste.
Dans ce qui a été considéré comme un creux, après le trou
d’air des années 1960 et du début 1970, c’est ainsi que le jazz a pu redémarrer
avec des indépendants pointus en matière de jazz, aussi bien du côté des labels
(Timeless, Black & Blue, Muse et d’autres) que des programmateurs de
festivals, de clubs et de concerts. C’est dans ce renouveau qu’a pu s’inscrire
la génération Marsalis qui dure encore et plus largement toutes les bonnes
formations all stars, post bop en particulier, qui ont enrichi les programmes
des quarante dernières années. Ce sont, encore ici comme dans les années
1940-1950, les indépendants qui ont redonné au jazz un nouveau souffle, avant
que les majors, la grande distribution, les institutions étatiques (en France
en particulier à partir de 1981 et Jack Lang) et la société de consommation de
masse mondialisée ne laminent tout sur leur passage, et surtout l’indépendance,
la liberté artistique et des esprits.Cela dit pour restituer l’atmosphère de l’époque d’Onkel
PÖ's, qui a eu quelques équivalents un peu partout en Europe, déjà oubliée par
les amateurs, et comme la réécriture en est déjà faite par les acteurs actuels
de la normalisation, aussi bien dans le cadre institutionnel (universitaire)
que dans le cadre médiatique, autant laisser, à l’occasion de ces chroniques
quelques traces d’une histoire alternative pour ceux qui ont envie d’aller plus
loin que la consommation et la normalisation.
Sur le plan musical, ce qui réunit ces 4 enregistrements (6
disques), c’est l’intégrité et l’authenticité des artistes, jazz, blues, blues
jazz, comme on voudra, dans une démarche artistique exigeante pour un public
avide de cette fraîcheur.Si on s’arrête sur chacun des enregistrements, on ne
manquera pas de noter l’excellence des deux all stars post bop, avec une
majorité de musiciens qui ont aujourd’hui disparu: Woody Shaw, Junior
Cook, Ronnie Mathews, pour le Quintet de Louis Hayes, il nous reste Louis Hayes
(cf. Jazz Hot n°685, 2018), Stafford
James, et pour le Timeless All Stars ont disparu Bobby Hutcherson, Harold Land,
Cedar Walton, Billy Higgins, mais il reste Curtis Fuller et Buster Williams. Le
temps passe. Ces deux enregistrements offrent de belles atmosphères, avec
des thèmes qui s’étendent au-delà des 10 minutes, parfois même des 20 minutes,
pour permettre l’expression de chaque instrumentiste, et quand le niveau est
aussi relevé, on comprend l’intérêt de ces enregistrements, car, comme disait
Louis Hayes, en matière de jazz, s’il y a un leader de séance, tous sont
responsables de la musique au même degré.
Les deux enregistrements de blues sont deux solos: le
pianiste et chanteur néo-orléanais, James Booker, disparu en 1983. Il porte son
origine néo-orléanaise dans son expression, et c’est un pur plaisir de
l’écouter en solo. Le second enregistrement remet en mémoire le grand Louisiana
Red. Son imposante et belle discographie retrace un parcours artistique d’une
richesse étonnante. Il a aussi disparu en 2012, à Hanovre en Allemagne, non
loin d’Hambourg. Ses deux disques sont aussi un vrai régal de naturel de
l’expression. Le blues dans ce qu’il a d’essentiel.
Ces albums sont donc non seulement indispensables,
pris un par un par le talent extraordinaire au service d’une expression authentique qui y est gravée, mais aussi parce
qu’ils réactivent la mémoire d’une aventure humaine, celle d’un club, d’une
époque qui, loin de l’événementiel obscène actuel, a installé les conditions
d’un renouveau du jazz, un héritage en péril sur lequel les amateurs et les
artistes de jazz sincères vivent encore.
Signalons que, dans cette série At Onkel Pö, il existe bien d’autres enregistrements que nous
n’avons pas reçus: Elvin Jones, Freddie Hubbard, Albert Collins, Esther
Phillips, Chet Baker, Johnny Guitar Watson, Johnny Griffin, Woody Shaw, Dizzy
Gillespie… Une vraie mine de jazz!
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Martial Solal
And His Orchestra 1956-1962Titres communiqués sur le
livret
Roger Guérin (tp, cnt,
flh), Fred Gérard, Robert Fassin, Maurice Thomas, Georges Gay, Bernard Hulin,
Fernand Verstraete, Christian Bellest, Jean Garrec, Pierre Sellin (tp), André
Paquinet, Raymond Katarzynski, Billy Byers, Benny Vasseur, Charles Verstraete,
Nat Peck, Guy Destanque, Luis Fuentes, Bill Tamper, Gaby Vilain (tb), André
Fournier (frh), Pierre Gossez (ss, bar, bs), Hubert Rostaing (as, cl), Jo
Hrasko (as, ss), Teddy Hameline, Jean Aldegon, René Nicolas (as), Georges Grenu
(as, ts), Lucky Thompson, Jacques Ferrier, Barney Wilen, Jean-Louis Chautemps (ts),
Armand Migiani (ts, bs), William Boucaya, Michel Cassez (bs), Martial Solal (p,
harpsichord), Pierre Cullaz (g), Benoît Quersin, Pierre Michelot, Guy Pedersen
(b), Christian Garros, Kenny Clarke, Daniel Humair (dm)
Enregistré: le 30 mai
1956, 13 juillet 1957, 1958, 2 mars 1962, Paris
Durée: 45’ 03’’
Fresh Sound Records 980
(Socadisc)
C'est la réédition du LP Martial
Solal et son Grand Orchestre (Swing LDM 30.099), des 45 tours Quelle
heure est-il (Vogue EPL 7259) et Mister Solal (Columbia ESDF 1412).
Comme nous l'avons dit à propos de Guy Lafitte, les firmes de disques
n'hésitaient pas, en ce temps-là, à enregistrer copieusement la fine fleur
française. Le caractère indispensable vaut ici pour Martial Solal, certes, mais
aussi pour Roger Guérin, présent dans les cinq séances (c'est dire!) et pour
l'époque qui constitue un sommet culturel notamment en musique, pas seulement
de jazz. Ce sont ici des grands orchestres de studio. On sait qu'à partir de
1981, Solal a monté un big band régulier, mais même s'il y a toujours Roger Guérin,
les générations d'artistes d'alors, certes d'un niveau technique hors norme,
n'ont plus l'élan ternaire naturel des générations actives dans les années 1950
et la première moitié des années 1960. Un feeling perdu, un art de la mise en
place contesté au profit d'une «binarisation» anti-swing (bien que
rythmique comme les marches militaires). C'est pour cela que nous avons cités
tous les intervenants dans cette réédition. Ces mêmes artistes passaient de
Bolling à Solal sans problème. Martial Solal est présenté aujourd'hui comme le
maître d'œuvre d'un modernisme à la française, avec André Hodeir. Avec le recul,
on voit ce qui reste de chacun à l'avantage de Solal. Il est juste de dire,
pour avoir connu certains de ces musiciens, que leur enthousiasme à jouer ces œuvres
pouvait être modéré (sauf chez Guérin). Mais, Solal, très bon instrumentiste,
apte au swing, remportait respect et une meilleure adhésion.
Toutes les compositions
et les arrangements sont de Solal. La séance de 1956, autour du temps, propose
quatre titres qui sont des pièces pour piano solo et orchestre. Martial Solal,
seul soliste, joue avec sobriété et swing. Les orchestrations sont fouillées et
intriquées («Midi 1/4»). L'écriture pour section de sax est bien
balancée parfois mêlée à une trompette (Guérin, «Horloge parlante»).
Dans tous ces titres le piano alterne avec l'orchestre, parfois brièvement («Dernière
minute»: 1’59’’). Solal impose un jeu musclé à la section de
trompettes («Au quatrième top») menée par Fred Gérard (les aigus
précis) et Robert Fassin. Ce 45 tours a reçu le Grand Prix du Disque 1957 de l'Académie
Charles Cros pour le «Jazz Français» qui a une couleur West Coast
(mode du moment). Dans la même esthétique, Martial Solal propose 3 titres en
1957. L'écriture est encore plus complexe. Le son orchestral est massif avec
une palette de registre très grande du suraigu de Fred Gérard à la profondeur
caverneuse de Pierre Gossez au sax-basse («Fantasque»). Pierre
Michelot et Kenny Clarke sont parfaits derrière le solo de Solal dans «Blouse
Bleue» (Clarke a droit à un break!). Enfin, Roger Guérin est soliste dans
«Alhambra» en dialogue avec la section de sax (écriture digne de
Benny Carter). Les trois titres suivants sont toujours conçus pour piano et
orchestre (plus réduit avec Roger Guérin qui assure le lead). Comme Shorty
Rogers, Solal utilise discrètement la couleur du cor (André Fournier de
l'Orchestre National). Le passage écrit de 1’47’’ à 2’06’’ dans «Tourmenté»
est un motif qui sera repris en quartet dans la Suite en ré bémol l'année
suivante. Le drumming de Kenny Clarke est de classe dans «Special Club»
et «Middle Jazz». La même année 1958, Solal réalise trois autres
titres pour huit cuivres (Fred Gérard et Robert Fassin, lead tp) et trio
(Solal, Michelot et Kenny Clarke). Il travaille les couleurs orchestrales car
le principe reste l'alternance entre masse sonore et piano. On appréciera le
travail de Pierre Michelot et Kenny Clarke derrière le piano dans «Yes or
No». Le travail est exigeant pour les cuivres notamment dans «In
the Moon» où Kenny Clarke a droit à des breaks. En 1962, Solal reste
fidèle à ses brisures de tempo qui sont sa signature, mais il développe les
alliages de son. Roger Guérin au cornet avec sourdine harmon et Pierre
Gossez au soprano sont très présents (le
bugle que dans «Petite poupée»). On remarque le passage écrit pour
cornet/soprano/guitare dans «Basie-Likes». L'écriture pour section
de sax est à signaler dans «18+1» (c'est à dire l'orchestre+Solal
qui est tatumien dans son solo). Jean-Louis Chautemps (ts) a droit à de très
courts solos («Basie-Likes», «Mystère Solal» –notez le
clavecin en intro). Enfin, c'est Georges Gay qui est lead et assure le suraigu
dans «A titre indicatif» qui est bref (0’45’’!). La concision de ce
travail orchestral savant (le morceau le plus long fait 3’08’’) est une leçon
pour les «créateurs» d'aujourd'hui qui devraient aussi retenir du
Solal de cette époque que la recherche est compatible avec le swing. A
réécouter.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Marco Trabucco
MerakiMarco
Trabucco (b), Giulio Scaramella (p), Feredrico Casagrande (g), Luca Colussi
(dm)
Untitled,
Open Space, Meraki, Flavia, Tale for a Princess, One for Max, Romanza
Enregistré le
24 avril 2018, Udine (Italie)
Durée:
39’ 46’’
Artesuono 176
(www.artesuono.it)
Meraki, titre énigmatique, «est un mot grec sans
équivalent dans aucune autre langue, il est unique. Il signifie faire avec
passion, amour et créativité, mettre de soi dans son travail». Voilà qui d’emblée définit le travail de ce quartet.
Marco Trabucco est contrebassiste et compositeur, il obtint le premier prix des
jeunes musiciens de jazz du concours international «Giovani Musicisti»
(Trévise, 2010). Il nous dit qu’il a composé six des sept morceaux de ce disque
principalement au piano avec en tête l’idée de la façon dont ses musiciens
allaient interpréter ses mélodies tout en leur laissant la liberté des solos.
On peut dire que le but est atteint magnifiquement tant ce quartet d’une grande
homogénéité fait chanter les mélodies avec une profonde recherche de la beauté
des sons. On se laisse prendre à cette musique sur des tempos
médium-lents; elle vous enroule dans son charme pour votre plus grand
plaisir. L’équilibre des quatre voix est parfait. Chaque musicien est à
l’écoute des autres, pas de fioritures ni d’exploits techniques. De la musique
avant toute chose. Bien que d’essence assez mainstream, ce quartet dispense un
son personnel. Le batteur est discret, avec un jeu délicat des baguettes sur
les cymbales; le contrebassiste possède une sonorité claire et forte,
belle, avec des attaques sans faille, le pianiste joue aéré, déroule des
mélodies riches d’harmonies, par exemple «Open Space»; quant
au guitariste c’est une belle révélation. Un son venu de Wes Montgomery et
d’Oscar Moore entre autres, minimaliste et chantant; FeredricoCasagrande est passé par le Berklee College of Music pour étudier avec
des maîtres de l’instrument. En 2007, il obtint le premier prix de guitare au concours du
Montreux Jazz Festival, présidé par George Benson, c’est dire. Il apparaît déjà
dans une douzaine de disques. On peut admirer l’art du contrepoint à quatre
voix, sur «Meraki» par exemple, et surtout les subtilités du
compositeur dans l’arrangement d’un chant populaire espagnol
«Romanza» qui évoque assez finement le compositeur Joaquín Rodrigo
(1901-1999): un petit chef-d’œuvre.
Un disque pour
l’émerveillement des sens.
Serge Baudot
© Jazz Hot 2019
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Claude Tissendier
C'est magnifiqueC'est
Magnifique, Bye Bye Blackbird, A Smooth One, Benny's Bugle, Summer Samba, Now's
the Time, Sentimental Journey, R.T.R.C., Misty, The Preacher, Soft Winds,
Slipped Disc
Claude
Tissendier (as, cl, arr), Gilles Réa (g), Jean-Pierre Rebillard (b), Alain
Chaudron (dm)
Enregistré
les 28 février et 1er mars 2019, Paris
Durée:
51'47''
Autoproduit
(www.claudetissendier.com)
Claude Tissendier, membre
permanent du big band de Claude Bolling, appartient à une génération où le
disque était l'occasion de laisser une trace dont la qualité pouvait
éventuellement constituer une œuvre (dans son cas, ça restera ses formations
Tribute to John Kirby et Saxomania qui firent date). Aujourd'hui, même pour les
plus expérimentés, le CD est une «carte de visite» qu'il faut sans
cesse renouveler (les organisateurs refusent des enregistrements «trop anciens»).
D'où une multitude d'autoproductions pour décrocher des gigs et pour la vente
directe au cours des concerts. Un autre impératif actuel est le groupe
d'effectif réduit pour limiter les coûts: le trio et le quartet sont donc
majoritaires. Il faut aussi un répertoire varié avec l'inévitable bossa-samba
(ici, «Summer Samba»), collection de thèmes proposée avec
musicalité (le moins d'aspérités possibles dans l'expressivité) pour se faire
avaler comme des popcorns par des consommateurs dont l'idée du jazz est aussi
floue que superficielle et festivalière. Heureusement certains, comme ici, ont
le talent suffisant pour rendre ces impératifs malgré tout plaisants. La
clarinette de Claude Tissendier est dans la lignée de Benny Goodman («A
Smooth One», «Benny's Bugle», «Slipped Disc»),
voire de Jimmy Giuffre («Sentimental Journey»), et son alto a une
sonorité légère avec un vibrato souvent discret, un genre cool («Bye Bye
Blackbird», «The Preacher»). Claude Tissendier marque plus le
vibrato dans «Misty» (très jolie performance). Le co-soliste
(excellent accompagnateur aussi), Gilles Réa, a un style épuré, linéaire qui
évoque les Kenny Burrell, Barney Kessel, Jim Hall. Alain Chaudron, discret, est
parfait aux balais souvent sollicités (bon soutien dans «R.T.R.C.»,
dynamique sinon hot avec alternative aux baguettes). Jean-Pierre Rebillard,
aux lignes de basse efficaces, prend de bons solos dans «Now's the Time»
et «Soft Winds». Un disque parfait pour les objectifs cités plus
haut, mais surtout qui nous évite l'ennui.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Pauline Atlan
Le Monde de FatsDream Man, I Believe in Miracles*, I’ll See You in My Dreams*,
I’m Gonna Sit Right Down & Whrite Myself a Letter, Sugar, You Can’t Lose a
Broken Heart°, If Dreams Come True*°, Am I Blue*, Hold My Hand*, Because of
Once Upon a Time*, I Can’t Believe That You’re in Love With Me*, He’s Funny
That Way°, Do Me a Favor*
Pauline Atlan (voc), Nicolas Peslier (g), Louis Mazetier
(p), Raphaël Dever (b) + Daniel Huck (as, voc), Nicolas Montier (as, ts)*,
Michel Pastre (ts)°, François Biensan (tp, flh, sifflet)
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée: 56’ 36’’
Ahead 835.2 (Socadisc)
Complices de longue date, Pauline Atlan et Louis Mazetier (Jazz Hot n°671)
aiment à se retrouver
sur le répertoire de Fats Waller. C’est donc assez naturellement qu’ils
présentent aujourd’hui un disque consacré au pianiste. Fille du
clarinettiste
de style new orleans, Pierre Atlan (1928-1988), Pauline est tombée toute
petite
dans la marmite du jazz. Elle se produit ainsi régulièrement dans des
contextes
«middle jazz» («Louis Prima For Ever» avec Stéphane Roger et Patrick
Bacqueville, «Sisters in Swing» avec Tina May et Philippe Duchemin,
Caveau de
La Huchette, etc.). Et c’est avec conviction qu’elle interprète ici les
titres
du grand Fats. Une évocation qui doit énormément aux excellents
musiciens qui
l’entourent. En premier lieu, Louis Mazetier, expert ès stride, est le
pilier de l’enregistrement et le gardien du swing. En l’absence de
batterie, Nicolas Peslier et Raphaël
Dever assurent l’assise rythmique avec brio. Voilà pour la formation de
base
qui reçoit le soutien de quatre soufflants invités. Les deux ténors,
Michel Pastre et Nicolas Montier, chacun
dans avec leur manière (que l’on peut apprécier dans le splendide duo
qu’ils forment
sur «If Dreams Come True»), apportent la profondeur. Présent sur huit
morceaux (et à l’alto sur «I Believe in Miracles »), Nicolas Montier est
aérien sur «Do Me a Favor», Michel Pastre déroule sa sonorité
exceptionnelle
sur «He’s Funny That Way». Quant à Daniel Huck et François Biensan, ils
complètent ce véritable all stars, et finissent d’enluminer
admirablement la musique de Fats Waller dès «Dream Man».
Une belle réunion de famille.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Les Oignons
AnthologieTitres
communiqués dans le livret
Julien
Silvand (tp, cnt, flh, voc, sifflette, perc, arr), Olivier Defays (ts, voc,
arr), Dominique Mandin (ts), Raphaël Gouthière, Fabien Debellefontaine (sousaph),
Marion Sandner (claquettes)
Enregistré:
en février 2009, octobre 2010, 4-6 décembre 2012, Malakoff (92), Viarmes (95),
Droue-sur-Drouette (28)
Durée:
2h 54’ 53’’
Frémeaux
& Associés 8567 (Socadisc)
C'est la réédition
regroupée en un coffret de trois CD, After You've Gone, La Confiture,New Diversité. Nous avons vu ce groupe en off de festival avec comme
d'autres, un bon plaisir de l'instant. En effet, en petit effectif, comme il
est préférable de nos jours, ces instrumentistes sont virtuoses (surtout Julien
Silvand) et abordent avec une mise en place parfaite des difficultés qu'ils
s'imposent à eux-mêmes («Tiger Rag», etc.). Dans certains titres,
les claquettes sont musicalement bien intégrées à l'arrangement («Struttin'
With SBQ», «Indiana», «Ah! Si vous connaissiez ma poule»,
«Sweet Sue»,...) et en concert, c'est visuellement un plus.
L'originalité des idées est bien venue (exemple: introduction à «Royal
Garden Blues»; effet de chœur sur la partie de banjo pour «Careless
Love»; «Great Gret») dans un domaine expressif qui s'inscrit dans
le dixieland à la française (Marc Laferrière, Sac à Pulses, Orphéon Celesta,
etc.). A ceci près que le soprano est remplacé par un ténor, volubile, au son
plein (ce qui pour le signataire est appréciable).
Ce courant, comme les
variétés en générale (même bonnes, celles des années 1950) recherche l'effet
sur le public, pas l'expressivité qui s'inscrit dans une culture. C'est du
divertissement (certaines parties chantées accentuent le fait). La prise en
otage de la chanson française est en ce sens significative («Le Tourbillon
de la vie», «La ballade irlandaise», «Le Déserteur»
du cher Boris Vian, «Mam'Zelle Clio» du maître Trenet, «La
Recette de l'amour fou», «Black trombone» et «La Femme
des uns sous le corps des autres» de l'inévitable Serge Gainsbourg…). Le
puriste est en droit de préférer le prolongement local du traditionalisme
louisianais (Michael White, Gregg Stafford,…) et ses variantes internationales
en survivance du fait de l'âge de ses acteurs (Sammy Rimington, Geoff Bull,
Boss Quéraud,…). Ce qui fait que plus de deux heures c'est peut-être beaucoup
sauf pour les inconditionnels du groupe, très méritant.
Le tubiste Raphaël
Gouthière montre qu'il n'est pas qu'un accompagnateur («After You've Gone»,
«Avalon»), tout comme Fabien Debellefontaine («Puttin' on the
Ritz», «Franchise postale», «Mam'Zelle Clio»).
Olivier Defays est toujours inspiré, et il est mieux que le faire valoir de
Silvand («Do You Know What It Means»). Mais la vraie personnalité
est Julien Silvand, bon technicien (détaché dans «Les Oignons»),
avec des tournures à la Bix (solos dans «Royal Garden Blues», «Pierre
et Fils», 2009). Dans «Avalon», il démontre une maîtrise du
growl et du wa-wa (plus à la Henry Busse que King Oliver) mais surtout il a des
envolées véloces et des aigus dignes d'un Jabbo Smith. Même dans «Cornet
Chop Suey», il est plus proche de la «nervosité» du Jabbo
Smith de 1929 que de la décontraction de Louis Armstrong. Cette approche
à la Jabbo s'entend ici et là («Indiana», «Dry Banjo»,
2009; «La Confiture», 2010; «Bergen Miljoys», 2012).
C'est peut-être une similitude fortuite, car qui connaît Jabbo Smith
aujourd'hui, lui dont la totalité des faces en soliste en 1929 ne fait pas plus
d'un CD? Dès fin 2010, Silvand a un jeu moins survolté, mais encore volubile
(style adapté au cornet: «Franchise postale»). Notons qu'en
privilégiant le cornet, Julien Silvand a gagné en qualité de son même dans les
traits de virtuosité (solo dans «Mam'Zelle Clio»). Pour démontrer
qu'il sait jouer de façon posée, il y a ce «These Foolish Things»,
seul, ad libitum, avec un discret vibrato. Ce coffret s'adresse aux amateurs de
trompette et/ou aux prescriptions thérapeutiques de bonne humeur par grosse
dose de dixieland joyeux.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Marianne Feder
L'Hiver des poètesLa Marche*, L’Hiver du poète*, Swing du Cat, De vous à moi*,
A quoi bon, Sur le chemin des roses*, Tu es l’amour, Fleur sauvage, La Dernière
valse*, Templo, L’amour est une danse*, Le Crépuscule*
Marianne Feder (voc) et selon les morceaux: Brice
Moscardini, Arthur Simon (tp), Benoît Garnier (as), Charles Lamouroux, Romane
(g)*, Vincent Muller (g, voc), Jacques Gandard (vln), Michel Macias (acc), Benjamin Body (b), S.O.A.P. (kb, electronics)
Enregistré à Paris, date non précisée
Durée: 45' 59''
Les Musiterriens 18/1 (Modulor)
Titulaire d’un diplôme d’Etat dans le domaine des «musiques
actuelles», Marianne Feder est chanteuse, chef de chœur (Philharmonie de
Paris), enseignante (Swing Romane Académie) ainsi qu’entrepreneur de spectacles
(en collaboration avec Banlieues Bleues, La Cité de la Musique, etc.). Les
extraits musicaux disponibles sur Internet de ces deux premiers albums –Le Nombril du monde (2005) et Toi mon indien (2008)– donnent à
entendre des chansons originales à l’ambiance jazzy marquée par les musiques d’Europe
de l’Est et la tradition Django. Ce second élément préside également à son
troisième disque sous son nom, L’Hiver
des poètes, dont Romane a écrit la plupart des mélodies (Marianne Feder
signant les autres, ainsi que les paroles). Le guitariste est par ailleurs
présent sur la moitié des titres. Si l’on ajoute à cela que Marianne Feder est
une chanteuse intéressante dans le registre de la variété jazzy (on n’est pas
très loin de Thomas Dutronc et Jil Caplan avec lesquels Romane collabore
régulièrement), on pouvait s’attendre à passer un agréable moment en sa
compagnie. Malheureusement, elle s’est adjointe les services d’un D.J., un
certain «S.O.A.P.» (l’idée étant de sacrifier au concept de «l’électro-swing»),
qui gâte l’apport rythmique de Romane (et de l’autre bon guitariste, dans cette
même esthétique, Charles Lamouroux, sur «Swing du Cat»). Dommage…
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Swing Vibrations
Opus OneTemptation
Rag, Razzle Dazzle, Tin Roof Blues*, Opus One, Romarin', Down on the Himminent,
Anouman, Tickle Toe*, Gone Again, Nuits de St Germain-des-Près*, Jitterbug
Waltz
César
Poirier (cl, ts*), Nicholas Thomas (vib), Benjamin Blackstone (g), Sébastien
Girardot (b)
Date
et lieu d’enregistrement non précisés
Durée:
40’ 42’’
DSY
Paris 09 (InOuïe Distribution)
Sorte de synthèse du
quartet Benny Goodman (avec le vibraphone de Lionel Hampton) et des combos de
Django avec clarinette (Hubert Rostaing, Maurice Meunier, Gérard Lévêcque), avec
cette sonorité d'orchestre dominée par celle, pure, de la clarinette («Romarin'»),
le groupe touche à la virtuosité collective («Opus One»). Le
guitariste ne copie pas servilement Django. Il a toutefois dans l'accompagnement
une pompe solide («Tickle Toe») et en solo une touche dite «manouche»
(«Anouman» sans César Poirier). Le bassiste disposant d'une belle
sonorité (solo dans «Tin Roof Blues») connait aussi le slap («Temptation
Rag»). Le vibraphoniste est inspiré («Down on the Himminent»)
et sait évoquer Lionel Hampton («Gone Again», sans César Poirier).
César Poirier, remarquable clarinettiste, est aussi un bon ténor au son rond et
plein. Le swing est bien présent. Bref, cet album est une plaisante surprise. A découvrir.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Michel Petrucciani
Complete RecordingsCoffrets de 12 CDs et 3 DVDs
CDs:
1/ Marvellous (1993-94), 2/ Conférence de presse
I (Eddy Louiss, 1994), 3/ Conférence de presse II (Eddy Louis, 1994), 4/ Au
Théâtre des Champs Elysées (1994), 5/ Both Worlds (1997), 6/ Flamingo (Stéphane
Grappelli, 1995), 7 Trio in Tokyo (1997), 8/ Conversation (Tony Petrucciani,
1992), 9/ Dreyfus Night in Paris (1994), 10/ Michel Petrucciani & NHØP
(1994), 11/Piano Solo-The Complete Concert in Germany (1997), 12/ Both Worlds
Live (1998)
DVDs: 1/ Both Worlds Live (North Sea Jazz Festival,
1997-98), 2/ Non Stop. Travels (film réal. Roger Willemsen, 1995, 58 min.) +
Trio Live in Stuttgart (1998), 3/ Concert Solo (Marciac, 1996) + Lettre à
Michel Petrucciani (film réal. Franck Cassenti, 1983, 36 min. + interview Aldo
Romano et Tony Petrucciani)+
Michel Petrucciani (p) avec selon les enregistrements: Stéphane
Grappelli (vln), Eddy Louiss (org), Niels-Henning Ørsted Pedersen (b), Flavio
Boltro (tp), Bob Brookmeyer (tb), Denis Leloup (tb), Kenny Garrett (as),
Stefano Di Battista (as), Tony Petrucciani (g), Biréli Lagrène (g), Dave
Holland (b), Geroge Mraz (b), Marcus Miller (b), Anthony Jackson (b), Lenny
White (dm), Roy Haynes (dm), Tony Williams (dm), Steve Gadd (dm), The Graffiti
String Quartet
Enregistré de 1992 à 1998
Durée totale: une vingtaine d’heures
Dreyfus Jazz 53844080 (BMG)
La trop courte carrière de Michel Petrucciani (né le 28
décembre 1962 à Orange et décédé le 6 janvier 1999 à 36 ans) a commencé très tôt
à 12 ans, en famille, puis sur le plan discographique en 1980 pour une petite
vingtaine d’années; et c’est pour commémorer les 20 ans de sa disparition
à la toute fin du XXe siècle, que la maison Francis Dreyfus réédite ce coffret hors-série
intitulé The Complete Recordings qui
comprend 15 CDs et 3 DVDs (il y avait déjà eu un coffret, moins complet). Né
dans le Sud-Est de la France, Michel a baigné dans le jazz depuis son enfance
dans une famille totalement investie dans la musique avec Tony (g), le père, et
les frères Louis (b) et Philippe (g), comme les Belmondo, les Le Van, les
Pastre; il y a comme ça des familles jazz, et il y en a beaucoup d’autres.
Tout le monde a pu constater que la maladie de Michel ne l’a
pas empêché –et sans doute a participé, compensation qui se produit souvent en
jazz– à faire de ce pianiste surdoué un véritable phénomène du jazz, musical
par le talent mais aussi médiatique car il a envoûté les publics du monde
entier, avec simplicité et naturel, ne perdant jamais dans cette notoriété son
attachement culturel au jazz et ses admirations pour les grands musiciens de
jazz, lui que le monde entier adulait. Sa carrière discographique en leader de
1980 à 1992 démarre très vite et se déroule essentiellement chez Owl et Blue
Note, plus Concord et d’autres labels pour quelques enregistrements isolés. Une
vingtaine d’enregistrements.
Nous avons ici la dernière partie de sa carrière, pour
Francis Dreyfus Music, une autre petite vingtaine d’enregistrements de 1992 à
sa disparition sept ans plus tard. Michel Petrucciani a donc bien documenté son
talent sur le plan discographique avec une quarantaine d’enregistrements en
moins de 20 ans. Ce coffret joint l’exceptionnel sur le plan pianistique
(souvent) avec, selon notre opinion, quelques enregistrements moins
intéressants (rares), malgré les stars qui l’accompagnent. Dans sa globalité,
cette intégrale du label Dreyfus (jusqu’à la publication des inédits
potentiels) donne une bonne idée du talent et de l’inspiration, très romantique
et lyrique, du jazz de Michel Petrucciani, toujours branché sur un swing très
classique, car Michel est bien un descendant d’Oscar Peterson par la virtuosité
–mais aussi des plus modernes Kenny Barron, Chick Corea, Herbie Hancock– car sa
capacité d’écoute lui a permis d’embrasser l’histoire du jazz de sa génération
et de celui, plus ancien, transmis dans le cadre familial.
Chroniquer 20 CDs en une seule chronique relève de
l’impossible: disons qu’en dehors des trois DVDs qui apportent 2 films et des
images émouvantes du pianiste, et qui sont à ce titre indispensables, il y a
selon nous quelques disques de haut niveau comme les duos de Michel avec son
père Tony en 1992, avec le grand Niels-Henning Ørsted Pedersen, qui fait le
lien avec Oscar Peterson, les concerts en solo live au Théâtre des Champs-Elysées, Paris, et à Francfort, la
rencontre avec Stéphane Grappelli qui fait le lien avec la tradition du jazz en
France, et les disques avec la formation Both Worlds. C’est une période de maturité musicale et d’accomplissement
des rêves de Michel Petrucciani, et on est rétrospectivement très heureux que
plusieurs labels aient pu successivement documenter, finalement assez
précisément, l’œuvre de ce pianiste attachant, émouvant, avec sa sensibilité et
son lyrisme qui ne sont pas sans rappeler ses origines méditerranéennes. Cette
réédition hommage aurait pu être un travail de production de meilleure qualité,
avec un livret, des images, des textes et un point discographique. La musique
de Michel Petrucciani, vingt ans après, le mérite.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Oracasse
Iko IkoSalt
Peanuts, Iko Iko, In the Court of King Oliver, Filthy McNasty, Tipi Tipi Tin*,
Egyptian Fantasy, Big Butter and Egg Man, The Isle of Orleans°, Puttin’ on the
Ritz°°*, Tin Roof Blues, Tu peux compter sur moi°, Do Lord.
Guy
Mimile Bodet (cnt, tp, flh, voc), Emmanuel Pelletier (ss, ts, voc), Thierry
Bouyer (bjo, g°, voc), Xavier Aubret (sousaph, b, voc), Gabor Turi (dm,
claquettes°°, voc), Trilili Ladies (voc*)
Enregistré:
les 5, 6 & 7 février 2019, lieu non précisé
Durée:
55'44''
Autoproduit-Oléo
Production (www.oracasse.com)
Il s’agit du troisième
CD d'Oracasse. C'est une musique divertissante et originale (arrangement de «Salt
Peanuts»; Horace Silver revu avec banjo et drumming de parade…) par un
quartet dominé par le jeu d'un remarquable trompettiste/cornettiste qui fait
l'intérêt du disque. Malgré un banjo omniprésent, ce n'est pas du jazz
traditionnel à la lettre (solo de ténor exubérant dans «Iko Iko»
qui bénéficie aussi de riffs précis ou le soprano qui ne doit rien à Bechet
dans «Egyptian Fantasy»). Il est plaisant de retrouver le «In
the Court of King Oliver» de Wynton Marsalis (bons solos de cornet avec
sourdine et de contrebasse qui font un peu oublier la présence du soprano).
L'un des meilleurs moments est le très latin et dansant «The Isle of
Orleans» du clarinettiste Tim Laughlin, où le bugle de Guy Bodet fait
merveille avec un soprano plus supportable. Emmanuel Pelletier prend sur «Tin
Roof Blues» un solo de ténor bien gradué dans les effets (nous le
préférons sur cet instrument), le stop chorus et le solo avec drive de Guy
Bodet font de ce titre l'autre point fort du disque. Une musique joyeuse
parfaite pour les Off des festivals et un album bien venu pour garder un
souvenir de ces prestations.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Ran Blake / Christine Correa
StreamingDon't Explain, Out of This World, Lonely Woman, Stratusphunk
I, Bebopper, All About Ronnie, Ah El Novio No Quiere Dinero, Stratusphunk II,
Love Dance, Wende, Stratusphunk III, No More
Ran Blake (p), Christine Correa (voc)
Enregistré les 20 et 27 mai 2015, Boston, MA
Durée: 41’ 29”
Red Piano Records 14599-4434 (www.redpianorecords.com)
La collaboration entre Ran Blake (cf. Jazz Hot n°667) et Christine Correa n’en est pas à ses débuts,
puisqu’on repère un premier enregistrement en 1994, il y a donc 25 ans déjà, et
que nous en sommes au cinquième qui date de 2015. Christine Correa est une
chanteuse née en Inde, à Bombay (Mumbai), le 8 juillet 1955, dans une famille
investie dans la musique avec un père, Micky Correa, qui dirigeait un célèbre
big band de jazz qui joua pendant 25 ans dans le Taj Hotel, ce qui lui valut le
surnom de «Sultan du Swing». Né en 1913, il est décédé en 2011 et avait
commencé sa carrière en 1936 en remplaçant Rudy Jackson à la clarinette dans
l’orchestre de Teddy Weatherford, de passage à Bombay dans ce même hôtel. Christine
Correa a donc de qui tenir, et elle vint s’installer aux Etats-Unis en 1979, où
elle perfectionna son art au New England Conservatory. C’est de là que date la
rencontre avec Ran Blake, qui en est l’un des piliers, un artiste et un
pédagogue emblématique de l’institution, comme il le raconte dans son interview
déjà citée.
Nous avions chroniqué (Jazz
Hot n°674) leur précédent disque, le deuxième volet d’un hommage à Abbey
Lincoln enregistré quatre ans avant ce disque en 2011, et il y a une véritable
osmose dans ce duo qui n’est pas sans évoquer dans sa conception –la
personnalité de Ran Blake– les beaux enregistrements en duo de Jeanne Lee et
Ran Blake.
Evidemment, la voix de Christine Correa est différente de
celle de Jeanne Lee, mais l’idée générale qui détermine ces beaux climats est
très voisine, avec un piano contemporain qui emprunte au jazz et à la musique
moderne du début du XXe siècle, voire
contemporaine plus rarement, avec une véritable place
laissée à la voix, un traitement très original de tous les thèmes, des
standards ou des compositions du jazz, un piano très souvent arythmique,
proche
de la manière classique même dans sa manière de reprendre également les
accents
du jazz quand le rythme réapparaît, qui entoure une voix qui est plus
expressive. Christine Correa possède une voix chaude, qui s’éloigne
parfois de l'esprit du jazz dans cet opus, bien qu’elle en soit proche
comme on l’a vu
dans l’hommage rendu à Abbey Lincoln. Le répertoire qui fait
essentiellement
référence au jazz est donc passé au filtre d’une belle réinterprétation à
deux
voix, bien distinctes, parfois solistes, toujours complices, avec
beaucoup de
sophistication, de nuances et une atmosphère rendue très intense par une
bonne
utilisation de la lenteur, des silences ou des contrastes entre les
éclats
cristallins du piano et la chaleur de la voix.
On connaît le parti pris de Ran Blake: rester lui-même
avec la mixité de ses inspirations, musique classique, moderne («Bepopper»),
contemporaine, et on ne peut que l’approuver car ses enregistrements ont
vraiment une couleur particulière, qui même lorsqu’elle s’éloigne du jazz de
culture, sans blues, reste authentique et passionnante. Christine Correa est
une excellente chanteuse, très originale.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Herlin Riley
Perpetual OptimismRush
Hour, Be There When I Get There, Borders Without Lines, You Don't Know What
Love Is, Perpetual Optimism, Touched, Wings and Roots, Wang Dang Doodle*, Stella
by Starlight, Twelve's It*
Herlin
Riley (dm, tambourin, voc*), Bruce Harris (tp), Godwin Louis (as), Emmet Cohen
(p), Russell Hall (b)
Enregistré
les 6 et 7 décembre 2017, NYC, New Orleans
Durée:
59' 23''
Mack
Avenue 1136 (mackavenue.com)
Herlin Riley est à la
batterie ce que Wynton Marsalis est à la trompette. Le niveau est tel qu'on
n'est jamais déçu. Bien sûr, Wynton Marsalis est plus qu'un instrumentiste qui
fit école, c'est aussi, notamment, un compositeur qui compte. Herlin Riley ne
rivalise pas sur ce plan, même s'il est ici l'auteur de cinq thèmes qui
tiennent la route. Le reste du programme, arrangé par Herlin Riley, offre deux
incontournables standards et des morceaux signés Willie Dixon, Ellis Marsalis
et Victor Goines. Le CD commence par un sympathique «Rush Hour»,
dansant, joyeux et de nature hard bop. Nous avons découvert Bruce Harris (né en
1979 dans le Bronx) le 2 août 2018 avec Carlos Henriquez, à L'Astrada de
Marciac. Il fut élève de Jon Faddis au Purchase College. Bruce Harris a joué
avec Wynton Marsalis (influence qu'on remarque dans «Twelve's It»),
Roy Hargrove, le Count Basie Orchestra. C'est un trompettiste bop solide,
précis dans la mise en place, qui mène bien même des thèmes-riffs rythmiquement
subtiles comme «Be There When I Get There». Bruce Harris a, avec
sourdine, une bonne sonorité pour aborder une ballade comme «You Don't
Know What Love Is», une réussite de cette séance (d'autant que le sax est
bien lyrique et la rythmique sobre). Godwin Louis est un alto flamboyant doté
d'une bonne technique au service d'un discours parfois aventureux comme un
Jackie McLean et presque comme Eric Dolphy («Border's Without Lines»
en alternative avec Bruce Harris). Il peut être chantant et posé (très bon solo
dans «Touched» où Bruce Harris prend un relais de solo digne de
Wynton Marsalis). Godwin Louis est remarquable d'inspiration et de maîtrise
dans «Perpetual Optimism». Un musicien à suivre! Né à Harlem, élevé
à Bridgeport et Port-au-Pince (Haïti), Godwin Louis a commençé la pratique du
sax à l'âge de 9 ans et il a notamment joué avec Clark Terry, Jimmy Heath,
Barry Harris et Wynton Marsalis. Le pianiste, né à New York en 1990, aussi bon
technicien que ses confrères est limpide en solo, parfois délicat («Touched»)
et parfait dans l'accompagnement. Il est soliste dans «Stella by
Starlight» (sans souffleurs mais avec les balais d'Herlin Riley!). On y
entend une influence de Bill Evans. Le contrebassiste, né à Kingston (Jamaïque)
a les rondeurs de son qu'on attend de lui («Perpetual Optimism»;
solos dans «Wings and Roots», «Stella By Starlight», «Twelve's
It»). Russell Hall a étudié auprès de Ben Wolfe et Wynton Marsalis, joué
avec les frères Heath et Jon Batiste. L'extraordinaire Herlin Riley intervient
en solo dans «Borders Whithout Lines», «Perpetual Optimism».
Il ne tire pas la couverture à lui! Le reste du temps on apprécie son
accompagnement aux ressources variées, jamais étouffant, qui comme un Baby
Dodds chez Bunk Johnson, travaille pour l'orchestre et pas que pour lui. Herlin
Riley chante dans ce «Wang Dang Doodle» plein de swing.
C'est du
hard bop de classe digne des nouveautés Blue Note...de la deuxième moitié des
années 1960. Le XXe siècle vient au secours d'un XXIe qui n'a rien à offrir!
Pas de nostalgie, juste un constat.
Michel Laplace
© Jazz Hot 2019
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Dorado Schmitt Quintette
Clair de LuneMade in Italy, Night and Day*, Only You, Clair de Lune, Them
There Eyes*, Danube, September Song, Swing for Wadi, Troublant Bolero, Tears*, Shine*
Dorado Schmitt (solo g, vln), Amati Schmitt (solo g), Gino
Roman (b), Franco Mehrstein (rhythm g), Esben Mylle Strandvig (rhythm g, arr),
Kristin Jørgensen (vln)*
Enregistré les 18-19 février 2018, Tœjhuset, Fredericia (Danemark)
Durée: 46’ 51”
Stunt Records 18132 (UVM Distribution)
Dorado et ses enfants, ici Amati, né en 1995, c’est
l’éternité de la grande tradition de cette sensibilité du jazz, le jazz de
Django, avec ce qu’il faut de virtuosité, d’impulsion, d’énergie, de spectacle
et surtout d’âme dans cette musique si extraordinaire qui s’est un jour amarrée
au jazz, grâce au Grand Timonier Django, pour le plus grand bonheur du jazz et
de ses amateurs, sans abandonner une once d’authenticité, comme en témoigne
l’exceptionnel «Danube», un thème de Ion Ivanovic (1845-1902) devenu un traditionnel
de l’Europe centrale, aussi profond que dantesque dans son exécution sous les
doigts de Dorado et d’Amati. Le très retenu «September Song» qui suit vient
encore mettre en valeur la musicalité naturelle et pourtant si exigeante de
cette splendide musique. Dorado Schmitt et ses enfants, ici l’excellent Amati,
c’est la poésie sans fin de cette liberté de la création parce que libre tout
court, au violon ou à la guitare, ce sont ces moments de grâce, authentiques,
alliant la tradition mais aussi cette nuance de génie incontrôlable, cette
invention si bien intégrée qu’elle est une seconde nature.
On aime Dorado et ses enfants, non seulement parce qu’ils
sont parmi les plus brillants représentants de cet art exceptionnel de la corde
mais aussi pour la profondeur et la vérité qui émanent de leur expression. On
les aime, parce qu’ils sont l’incarnation européenne de ce que peut être la
transmission dans l’art, dans un art populaire de haut niveau quand on veut lui
conserver sa liberté. On les aime parce qu’ils sont parmi les rares, dans cette
tradition principalement, à donner aux mots «liberté de création» un sens
équivalant à ce qu’il revêt dans le jazz outre-Atlantique pour faire qu’il a
produit, qu’il produit et produira encore, quelles que soient nos craintes, de
génie musical, artistique.
Signalons sur ce disque, qu’en dehors de Dorado et d’Amati,
Kristian Jørgensen vient croiser l’archet de son violon avec celui de Dorado et
les cordes d’Amati sur quatre thèmes «Night and Day», «Them There Eyes», «Tears»
et «Shine». Kristian Jørgensen, né en 1967, est ce violoniste précoce qui
accompagnait Duke Jordan à l’âge de 15 ans en 1983 et qui reçut le prix Ben
Webster en 1993, un musicien jazz mais qui apprécie aussi l’univers des
musiques tziganes en général et la musique de Django en particulier qui fait le pont avec le jazz.
Sur ce disque, du toujours bon label Stunt, le répertoire
est excellemment choisi, ordonné sur le disque, avec de beaux thèmes dont deux
originaux d’Amati dont «Swing for Wadi» où Amati offre une belle partie de guitare
en contrepoint de Dorado au violon, un traditionnel «Danube», un «Clair de
lune» de Joseph Kosma magnifique de poésie, des œuvres toujours renouvelées
comme le «Tears» et le «Troublant Bolero» de Django Reinhardt, et bien sûr des
standards du jazz, du «Night and Day» de Cole Porter, à un «Them There Eyes» hallucinant
de mise en place, en passant par un «Only You» si bien renouvelé par la
musicalité des Dorado et fils.
Dorado et ses enfants sont indispensables… pour le cœur
comme pour le jazz!
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Rodolphe Raffalli & Renée Garlène
Avec Georges Brassens. J'ai rendez-vous avec vousPauvre Martin, Embrasse-les tous, Quatre-vingt-quinze pour
cent, Philistins, La Complainte des filles de joie, Brave Margot, Dans l'eau de
la claire fontaine, Saturne, Le bistrot, Maman Papa (Texte), Maman Papa, Le
Vent, J'ai rendez-vous avec vous,
Chanson pour l'Auvergnat, Je suis un voyou [Instrumental],
Le Père Noël et la petite fille, Cupidon s'en Fout*
Renée Garlène (voc), Rodolphe Raffalli (g), Teofilo Chantre
(voc)*, Sébastien Raoul Gastine, Fabrice Thomson
Enregistré en août 2017 et mars 2018, Boulogne-Billancourt
(92)
Durée: 1h 00’ 59”
Frémeaux et Associés/Label La Lichère 343 (Socadisc)
Rodolphe Raffalli, en plus d’être un guitariste émérite
d’une terre baignée par le son des guitares, est un fin connaisseur de
l’univers de Georges Brassens qu’il a
déjà honoré en de multiples occasions, en particulier dans un enregistrement en
2001 qui inaugurait sa carrière discographique. Il possède cette exceptionnelle
oreille qui lui permet de faire une synthèse originale de la musique du Divin
Manouche, le grand Django, de sa propre tradition guitaristique de l’Île de
Beauté, de ses rencontres avec la tradition brésilienne de la guitare, et, pour
finir, de l’œuvre poétique de Georges Brassens, un des rares monuments français
artistiques de la deuxième partie du XXe siècle.
A ce titre, et pour ce disque, Rodolphe Raffalli ne mérite
que des compliments. Mais, à côté de cette réussite indiscutable, même dans ce
disque, car ce que fait Rodolphe est exceptionnel de musicalité, dans les
registres proches du jazz, de Django ou autre, de la musique brésilienne, il y
a une chanteuse, sympathique certes et qui connaît bien ses textes, chante
juste, mais qui ne possède pas ce naturel particulier de l’expression
nécessaire à ce répertoire de Georges Brassens. Cela donne un alliage
artificiel et parfois incongru, un côté superficiel, que ne rattrape pas le
lyrisme et la virtuosité aérienne du guitariste, car comme le dit très bien
Georges et le texte du livret, chez lui, le texte est au centre, essentiel,
premier.
On se souvient d’un autre hommage du regretté Patrick
Saussois à Brassens, réussi non seulement pour le traitement instrumental, comme
ici, mais aussi parce qu’avec Patrick, il y avait un grand connaisseur de
l’univers de Brassens, Koen de Cauter, dont la voix, naturelle elle aussi (il
est aussi guitariste et clarinettiste), épousait à la perfection la nécessité
d’une expression authentique et naturelle derrière des textes si imprégnés par
la personnalité de leur auteur à la voix si nature… Quand on aime Brassens et
Rodolphe Raffalli, on a forcément un petit regret pour ce disque respectable.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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L'Affaire Enzo
Invite Romane
Gypsy Club, I’m Confessin’, Douce ambiance, Nuages, How High the Moon,
Mabel, Manoir de mes rêves, Minor Swing
Enzo Mucci (g), Claude Tissendier (cl), Gilles Chevaucherie (b) +
Romane (g)
Enregistré les 24 et 25 mai 2018, Paris
Durée: 35’ 17’’
Autoproduit (muccienzo@hotmail.com)
Bien que d’origine italienne, Enzo Mucci est un peu le couteau suisse du
jazz dit «classique» ou «traditionnel». Contrebassiste,
guitariste et banjoïste, il est ou a été le pilier rythmique de quantité de formations
évoluant dans cette esthétique: les Vintage Jazzmen de Dan Vernhettes
(cnt), le trio de Louis Mazetier, 3 for Swing avec Jacques Schneck (p) et
Christophe Davot (g, voc), le Harlem Swing Sextet avec Jérôme Etcheberry (tp), le
big band de Michel Pastre (ts), Louis Prima Forever avec Stéphane Roger (dm),
ou encore Mem’Ory (dont l’album a été récemment chroniqué dans Jazz Hot). Rappelons également qu’Enzo
Mucci accompagna François Rilhac (p), de même que Cécile McLorin-Salvant (voc) à ses
débuts, et que ses collaborations suivies avec Patrick Saussois (g) et Romane en
font également un familier de la scène Django.
Sur ce court CD autoproduit, Enzo Mucci se présente
sous ses propres couleurs avec L’Affaire Enzo, un groupe qui a connu diverses
configurations (notamment Daniel John Martin, vln, et Jean-Claude Laudat, acc,
ou Gilles Réa, g) mais avec en invité récurrent Romane. Rien d’étonnant donc à
ce que ce dernier soit présent sur cet enregistrement tandis que le trio est
constitué, cette fois, de Claude Tissendier et de Gilles Chevaucherie. Ne cherchant
pas à se mettre en avant, le leader offre à la guitare un soutien rythmique aux
deux solistes, Claude Tissendier et Romane, dont l'excellent duo évoque bien évidemment
Django Reinhardt et Hubert Rostaing sur «Nuages». Les titres retenus
sont d’ailleurs très majoritairement des standards du Divin Manouche (plus «Gypsy
Club», un original de Romane). On retiendra en particulier la belle
version proposée de «Manoir de mes rêves» qui doit beaucoup à la
finesse de Claude Tissendier sur cette demi-heure d'un jazz vécu avant tout comme une expérience collective.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Ignasi Terraza Trio & Luigi Grasso
Looking Back and Moving ForwardTerrific°, Jo Vinc°, Temps De Canvi, Beny's Tune°, ‘Round
About Midnight°, Wess Coast Blues°*, Anna°, Noia Jacints I Futbol°, Blues for
Tete, Six Times Ten°*, The Gipsy°
Ignasi Terraza (p), Luigi Grasso (as)°, Enrique Oliver
(ts)*, Horacio Fumero (b), Esteve PI (dm)
Enregistré le 20 mai 2017, Barcelone (Espagne)
Durée: 56’ 36”
Swit Records 26 (www.switrecords.com)
C’est un plaisir sans pareil d’écouter la rencontre de deux musiciens
aussi investis dans le jazz de culture, deux musiciens généreux qui ont
véritablement cette musique dans la peau. Le pianiste catalan, qui prolonge la
belle tradition pianistique de Tete Montoliu jusque dans la cécité, ne cesse de
perpétuer ce que le jazz a de plus essentiel dans la capitale de la Catalogne:
un état d’esprit, doublé d’un héritage. Ici, il ne manque rien, ni le blues, ni
le swing, ni l’expression dans cet enracinement qui donne à la musique cette
atmosphère d’authenticité et cette profondeur qui accompagne jusqu’au bout de
la nuit.
Le titre Looking Back and Moving Forward l’annonce dans
une formule, mais à écouter les accents blues du pianiste ou les envolées
cartéro-parkériennes de l’altiste («Beny’s Tune», «‘Round Midnight»), les hommage
à Frank Wess («Wess Coast Blues»), à Tete Montoliu («Blues for Tete»), un
répertoire où neuf originaux croisent une composition de Thelonious Monk et un
standard, on est bien dans une terre neuve vigoureusement ancrée sur la plus
belle des traditions du jazz.
Ignasi Terraza est un magnifique pianiste, brillant et très
expressif, à l’ancienne, c’est-à-dire avec générosité, sans calcul, même si sa
forme est moderne, sans doute parce que le blues est chez lui une permanence
forte. Luigi Grasso, avec son débit rapide, ses inflexions de sonorité et sa
musicalité qui évoquent toute une tradition de grands altistes, Charlie Parker, Sonny Stitt, Phil Woods, et même le grand
Benny Carter, réalise sa synthèse originale qui en fait un musicien
enthousiasmant. Le trio d’Ignasi Terraza, complété par de bons musiciens dans
la section rythmique («Noia Jacints I Futbol», avec un échange entre la
batterie –balais et baguettes– et le sax alto puis le piano qui vaut le détour),
invite également sur deux thèmes un saxophoniste ténor du cru.
C’est un disque d’un jazz sans interrogation, un de ceux
qu’on va réécouter périodiquement avec un plaisir toujours renouvelé, parce
qu’il contient cette savante alchimie de mémoire et d’invention, de naturel-culturel,
qui répond aux rêves de l’amateur de jazz. Un indispensable pour le beau «The
Gypsy» en duo qui enrichit encore l’histoire de ce thème déjà mis en valeur
dans le jazz (Charlie Parker, Sonny Stitt, etc.).
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Christopher Hollyday
TelepathyOne of Another Kind ,
Hallucinations, Everything Happens, Autumn in New York, I Got the World on a
String, Segment
Christopher Hollyday (as), Gilbert Catellanos (tp), Joshua
white (p), Rob Thorsen (b), Tyler Kreutel (dm)
Enregistré le 14 mai 2018, San Diego, CA
Durée: 32’ 57”
JazzBeat Productions (christopherhollyday.com)
Voici un très beau disque, autoproduit, d’un jazz ancré dans
la tradition prolongée du bop et hard bop, dans celle aussi des beaux saxophonistes
alto qui ont depuis Charlie Parker et Sonny Stitt illuminé l’histoire du jazz
dans cet esprit: la liste de Cannonball Adderley et Phil Woods jusqu’à nos
jours est longue de très beaux talents, souvent précoces, et dans tous les cas
portés par un lyrisme, une expressivité et une virtuosité qui ne laissent
jamais indifférent.
Christopher Hollyday réunit toutes ces qualités. Né dans une
famille baignant dans le jazz et la tradition du bebop, il a commencé à se
produire très jeune, en 1983, dans la région de Boston, à Worcester, à l’âge de
13 ans (il est né le 3 février 1970 à New Haven, dans le Connecticut), membre déjà
du quintet de son frère Richard, trompettiste, qui l’a très tôt initié aux
arcanes de la musique de Charlie Parker. En 1988, le tout jeune altiste était
déjà en vedette et leader d'une semaine au Village Vanguard de New York, et il effectuait
une tournée avec Maynard Ferguson en tant que soliste vedette du 60th Birthday
Big Band du trompettiste et pour l'enregistrement de l'album Big Bop Nouveau. De 1989 à 1993, Christopher Hollyday a tourné avec son
quartet en Europe, au Brésil, au Canada et aux Etats-Unis, et il a enregistré
quatre disques pour RCA/Novus comme d’autres jeunes Lions d’alors (Roy
Hargrove, Marcus Roberts en particulier), bénéficiant de commentaires élogieux
mais aussi de quelques critiques quant à son originalité, pas toujours fondées
(les autres jeunes lions ont eu le droit au même traitement, et on sait ce
qu’ils sont devenus…). Il décide alors d'étudier la composition et les
techniques d'arrangement d'ensemble au Berklee College of Music de Boston,
Massachusetts. Ces critiques peut-être
et la pédagogie vont alors quelque peu éclipser une carrière de scène
prometteuse. En 1996, il déménage à San Diego où il a enseigné depuis une
vingtaine d’années après avoir terminé une maîtrise en jazz à la San Diego
State University et où il a débuté l’étude de la flûte.
Depuis 2014, Christopher enseigne à titre privé, et il a repris le chemin des
scènes localement, à San Diego et plus largement en Californie. Ce retour s’est
aussi accompagné d’un détour par les studios d’enregistrement, pour cet
excellent Telepathy, un album de la
maturité d’un musicien qui n’a pas abandonné sa fibre parkérienne, et lui a
donné une profondeur que l’âge apporte. Il vient d’ailleurs de retourner en
studio pour enregistrer (en 2019) un nouveau disque, Dialogue, avec ce même quintet, excellent. Le choix du répertoire de ce relativement court CD (33’) est
excellent, mêlant deux très beaux thèmes bop («Hallucinations» de Bud Powell et
«Segment» de Charlie Parker, avec deux grands standards et une splendide
composition de Freddie Hubbard). Le saxophoniste propose une musique parfaite
et équilibrée, réunissant tous les ingrédients de ce registre:
virtuosité, attaque, accents, énergie, imagination. Christopher Hollyday est bien
entouré par sa bonne formation, avec ce qu’il faut de profondeur pour la couleur
blues indispensable. Bon retour en studio de Mr. Hollyday, on ne se lasse pas
de cette musique quand elle est jouée à ce niveau. Le prochain enregistrement, Dialogue, devrait être plus long, et il
est déjà en cours de diffusion, on l’attend donc avec impatience.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Cédric Chauveau Trio
It's Only a Paper MoonOyonnax, Bossa for Kenny, It’s Only a Paper Moon, Syracuse, Gospel in
My Tears, My Fingers’ Blues, Yesterdays, Claudia, Nice Work if You Can Get It,
Twenty Years Ago, Darn That Dream
Cédric Chauveau (p), Nicola Sabato (b), Mourad Benhammou (dm)
Enregistré du 18 au 20 avril 2016, La Rochelle (17)
Durée: 1h 07’ 35’’
Black & Blue 817.2 (Socadisc)
Le retour en France, en cet été 2019, de la grande Mandy Gaines, est
l’occasion de revenir sur le disque sorti il y a déjà quelques temps par le
très bon trio de Cédric Chauveau, lequel accompagne la chanteuse à chacun de
ses passages. Originaire de l’Hérault, où il réside toujours, Cédric Chauveau,
45 ans, a été initié au jazz par le pianiste Antoine Pinnilla-Munoz, fin
connaisseur de Ray Charles. Investissant la scène jazz de Montpellier à la fin
des années 1990, il participe à différentes formations, allant du jazz
mainstream à la fusion. C’est là qu’il rencontre quelques-uns de ses futurs partenaires
(pas encore «montés à Paris»): Nicola Sabato, Dano Heider (g),
Samuel Hubert (b) ou encore Esaie Cid (as), fondateur du groupe Jazzpel dont la
chanteuse, Rachel Ratsizafy, poursuivra avec lui une collaboration au long
cours. Son ancrage montpelliérain ne l’empêche pas de participer à des tournées
ou d’être présent sur des scènes de festivals, en particulier avec le trio
qu’il monte au début des années 2010 avec Nicola Sabato et Mourad Benhammou, et
qui sert de rythmique à Craig Handy (2013) comme donc à Mandy Gaines.
Cédric Chauveau est de ces pianistes imprégnés par la tradition. Doté d’un
jeu plein de finesse et de swing, ses qualités rencontrent celles de ses deux complices,
deux excellents serviteurs du jazz. C’est donc le plaisir de l’écoute qui l’emporte
avant tout, que ce soit sur les reprises (traitement original de «It’s
Only a Paper Moon» et du «Syracuse» d’Henri Salvador; jolie
version de «Darn That Dream», en piano solo; beau solo introductif
de Nicola Sabato sur «Yesterdays») ou les compositions personnalles, très
réussies, présentes à proportion égale: si «Oyonnax» évoque
Erroll Garner, le leader expose l’étendue de sa palette sur «Gospel in My
Tears», «My Fingers’ Blues» ou encore «Bossa for Kenny»
(Barron sans doute). Avec ce premier disque sous son nom, Cédric Chauveau s’affirme
comme un pianiste aussi solide que complet et à l'expression enracinée. Mandy Gaines ne s’y est pas
trompée.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Christian Sands
Facing DragonsRebel Music, Fight For Freedom, Yesterday, Sangueo Soul,
Sunday Mornings, Frankenstein, Her Song, Samba De Vela, Rhodes to Meditation
Christian Sands (p), Keyon Harrold (tp), Marcus strickland
(sax), Caio Afiune (g), Yasushi Nalamure (b), Jerome Jennings (dm), Roberto
Quintero (perc) Cristian Rivera (perc)
Enregistré en 2018
Durée: 1h 02’ 20”
Mack Avenue 1143 (mackavenue.com)
Christian
Sands, ça ne fait aucun doute, possède des qualités d’instrumentiste, et certains
thèmes sur cet enregistrement en attestent, comme «Rebel Music »,
«Frankenstein», et peut-être il en fera profiter le jazz. Mais il est pour
l’instant dans la dynamique de l’air du temps, et cet album est inégal, sans
construction et sans unité, parfois de bon niveau, parfois insipide
(«Yesterday», «Her Song», «Samba De Vela», «Rhodes to Meditation»), parfois
simplement vide de sens malgré la virtuosité («Sangueo Soul»). Christian Sands manque
singulièrement de personnalité artistique dans cet enregistrement très
superficiel, frisant parfois la mauvaise variété. Il est pourtant déjà reconnu,
et a côtoyé ce qui se fait de mieux dans le jazz. Il enregistre sur un bon
label de jazz. Mais c’est comme ça. On espère un meilleur prochain disque mais
rien n’est jamais sûr quand on part de si loin.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Laurent Fickelson
In the StreetLush Life 1, In the Street!, The Promise, 'Round Midnight,
Edda, Distortion, For Joe, 07, Lush Life 2
Laurent Fickelson (p), Eric Prost (ts), Thomas Bramerie (b),
Philippe Soirat (dm)
Enregistré les 10-11-12 décembre 2017, Paris
Durée: 52’ 33”
Jazz Family 051 (Socadisc)
Laurent Fickelson a choisi l’univers du jazz par conviction,
par amour d’une musique et d’une génération de musiciens, les coltraniens, et
ça s’entend dans son jeu de piano (tynérien), comme dans la thématique (John
Coltrane, Wayne Shorter et les originaux). Mais comme il n’est pas sectaire, il
reprend aussi dans d’autres époques, les thèmes immortels comme «Lush Life» ou
«’Round Midnight» autant pour leur beauté que pour ceux qui les ont mis en
œuvre et qui font partie de son imaginaire du jazz. On ressent à l’écoute une musique venue du
cœur, une musique de culture, du vécu. Sa formation, à géométrie variable selon
les thèmes du solo au quartet, est à l’unisson avec des musiciens partageant
habituellement cet univers et ce feeling du jazz, que ce soit l’excellent Eric
Prost ou la bonne section rythmique avec les deux piliers de la scène du jazz
que sont Thomas Bramerie et Philippe Soirat.
Cela nous donne une heure de jazz de qualité, intense, de beau
piano en particulier, dans une tradition qui pour être moderne n’en est
pas
moins enracinée. Le répertoire, des compositions du jazz
particulièrement
belles, et les originaux contribuent à la réussite de cet
enregistrement. Il ne fait aucun doute que les musiciens ont pris du
plaisir
à l’enregistrement car ce jazz est tout aussi serein qu’évident et
naturel.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Jordon Dixon
On!Notes From the Nook, Way Too Serious, What You’ve Done for
Me, We Kin, On!, Flame and Friction*, Lee Lee Dee, She Mean It When She Said
It, Fake Flowers*, Notes From the Nook (alt)
Jordon Dixon (ts), Allyn Johnson (p), Herman Burney (b), Carroll
V. Dashiell. III (dm) + J.S. Williams (tp)*
Enregistré le 15 décembre 2018, Bowie (Maryland)
Durée: 1h 09’ 11’’
Autoproduit (www.jordondixon.com)
Voici un bel album de jazz de culture qui s’inscrit dans une
tradition post-bop et qui aurait pu faire partie du catalogue Blue Note des
années 1960 autour d’une musique très «soulful». On! est le second projet de Jordon Dixon, saxophoniste ténor né en
Louisiane, à Baton Rouge, en 1983, dans un environnement familial où la musique
et le jazz en particulier sont importants. Il débute très jeune en jouant dans
les clubs locaux avant de s’engager dans les Marines en tant que musicien pendant
près d’une décennie. A son retour, il s’installe en Californie et obtient son
diplôme à l’université du district de Columbia où il collabore avec le pianiste
Allyn Johnson qui est également le directeur du département jazz du site. Son
premier opus, A Conversation Among
Friends (2016), avait déjà obtenu un succès d’estime permettant à Jordon
Dixon de devenir une figure incontournable de la scène jazz de Washington D.C.
Dès le premier thème,
«Notes From The Nook», on pense immédiatement à l’école de Stanley
Turrentine ou de Wilton Felder pour l’esthétique; s’exprimant avec un léger
vibrato et une sonorité plus étroite que ses modèles. Un joli chorus à l’archet
d’Herman Burney (b) amène une thématique originale où l’aspect mélodique est
omniprésent. Ce dernier, en disciple de Ron Carter, reste solide dans son
accompagnement, développant une sonorité boisée et ronde. «We Kind»
laisse la place à l’excellent pianiste Allyn Johnson, dans un esprit proche du
jeu modal de McCoy Tyner, et laisse éclater sa sonorité brillante. Dans le même
registre, après une introduction coltranienne du ténor, «On!»
s’installe dans l’univers de Miles, période Kind
of Blue, avec un swing permanent entre «So What» et
«Impression». «Flame And Friction» est un blues
authentique où le ténor de Jordon Dixon s’exprime dans un style plus direct et
droit évoquant l’école texane. L’apport du trompettiste J.S. Williams d’une
grande sobriété, donne une couleur supplémentaire à l’ensemble. Cet ancien
élève de Cecil, Bridgewater, Jimmie Owens et Valery Ponomarev est une figure
contemporaine du jazz post-bop new-yorkais. Il prolonge sa présence sur le très
new-orleans «Fake Flowers» sur les harmonies du classique
«When the Saints Go Marching In» avec un climat proche de l’église
rappelant certaines compositions de Wynton Marsalis. Un régal!
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Connie Han
Crime Zone
Another Kind of Right, Crime Zone, By the Grace of God, Pretty
Women, Southern Rebellion, Grüvy, A Shade of Jade, Member This, Is That So?, Extended
Stay
Connie Han (p, ep), Edwin Livingston (b), Walter Smith
III (ts), Brian Swartz (tp), Bill Wysaske (dm)
Enregistré à Los Angeles, date non précisée (prob. 2018)
Durée: 1h 01’ 17”
Mack Avenue 1140 (mackavenue.com)
C’est à son batteur, Bill Wysaske, que Connie Han attribue
le fait d’être entrée en jazz, d’avoir découvert sa vocation. Ne vous fiez pas
à l’apparence du livret peu jazz dans l’esprit, mais plutôt au fait qu’il est
produit par Mack Avenue, un bon label de jazz. Car si elle affiche une
tenue rock, comme son mentor de batteur sur ce disque, qui arbore volontiers
les looks «Hells Angels», ils aiment l’une et l’autre le jazz, et lui apportent
un talent certain.
Bill Wysaske a en effet croisé la route des Count Basie Orchestra, Christian McBride, Hollywood Bowl Orchestra, John Clayton,
Randy Brecker, John Beasley, sans s’interdire d’autres aventures dans la
musique populaire et commerciale. Il est aussi arrangeur, notamment pour cet
enregistrement dont il coécrit avec Connie Han sept des dix titres. Quand il ne
fait pas de la musique, ou qu’il n’est pas sur sa moto, il écrit de la
science-fiction. Quant au leader de ce disque, la pianiste Connie Han, elle est
encore très jeune, et, à 23-24 ans, elle a choisi de poursuivre une tradition
du piano jazz qui n’a rien de clinquante, depuis McCoy Tyner à Mulgrew Miller en
passant par Stanley Cowell, Kenny Barron, Kenny Kirkland et quelques autres… Sa
prétention, à l’écoute de ce premier disque, n’a rien de farfelue, elle est vraiment
étonnante, d’un niveau exceptionnel. Connie Han a étudié le piano et la musique
au Lycée des Arts de Los Angeles et a choisi, sagement, de ne pas utiliser sa
bourse d’étude à University of California, Los Angeles (UCLA). On peut la
comprendre et l’approuver. C’est une remarquable musicienne, une technicienne brillantissime
(elle a rejoint le cercle des artistes Steinway où l’ont précédée McCoy Tyner,
Kenny Barron, Duke Ellington et Art Tatum…), douée qui plus est d’un excellent choix
esthétique pour un répertoire dont elle est largement l’auteur sur ce premier disque
que nous découvrons. Ce qui lui est le plus nécessaire, en raison de ses
qualités, c’est le contact de la scène et l’université informelle des aînés du
jazz.
Connie Han est pourvue, dans ce disque survitaminé (mais c’est aussi son
premier), des meilleurs arguments artistiques (qualités de swing,
d’expression, unité de l’enregistrement, nuances, drive, puissance de la main
gauche, virtuosité…). Elle a déjà acquis dans son langage une compréhension
certaine de l’univers du jazz.
Elle a su dans ce disque s’entourer de l’excellent Walter
Smith III pour accentuer la touche de blues, apporter aussi une respiration qui
nous permet d’apprécier la pianiste dans une dimension plus expressive. La
musique en sort plus profonde. En dehors de ses propres compositions, au nombre
de sept, toutes dans l’esprit d’un jazz très exigent, tendu et intense, on
trouve de beaux thèmes de Joe Henderson, Duke Pearson et Stephen Sondheim. Madame
Connie Han est une belle découverte pianistique et jazzique, et si elle
maintient l’intégralité de ses promesses et de son exigence artistiques, semble
capable de devenir, non seulement une belle artiste de jazz par l’apparence (ce
qui aidera, n’en doutons pas, sa notoriété), mais plus fondamental pour le
jazz, par sa création car c’est ce qui reste. Dans ce disque, sur des thèmes comme «Southern
Rebellion», «A Shade of Jazz», elle est vraiment exceptionnelle, et si ce disque
est une découverte, car il est le premier, il est déjà à ranger sur l’étagère
des disques qu’on réécoutera. Remercions l’excellent
batteur, Bill Wysaske, d’avoir permis au jazz de s’enrichir d’un tel talent. Il
ne reste plus qu’à confirmer.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Alain Jean-Marie/Patrice Caratini/Roger Raspail
Tropical Jazz TrioMorena's Rêverie, Marcelina, Tropical Mood, African Flower,
Latin Alley, Señor Blues,
Meu Canário Vizinhos Azul, Manteca, Sambacara, Pytang Pytang
Bang, Limelight, The Cape Verdean Blues, Couleur Café, Le Temps des cerises
Alain Jean-Marie (p), Patrice Caratini (b), Roger Raspail
(perc)
Enregistré à Meudon (92), date non précisée
Durée: 56’ 47”
French Paradox 02 (L’Autre Distribution)
Nouveau label et première rencontre enregistrée entre trois
musiciens qui incarnent, chacun dans leur domaine, l’histoire de la musique en
France depuis un demi-siècle environ. Mais pour être précis, disons que la
pianiste, le contrebassiste et le percussionniste se connaissent de longue
date, se sont rencontrés sur scène, et qu’Alain et Patrice ont déjà enregistré
ensemble pour le Biguine Reflectionsd’Alain (au moins…), qu’Alain a déjà enregistré, et sans doute à de nombreuses
reprises, avec Roger, dont le Fanny’s
Dream de Roger (Blue Marge), et j’en oublie sans aucun doute. Ils se
connaissent très bien, comme le raconte le texte du livret de Patrice Caratini.
Alain Jean-Marie, on ne vous le présente plus, il faut
absolument lire sa longue et passionnante interview dans Jazz Hot n°681 (automne
2017). C’est aujourd’hui un aîné respecté
de la communauté du jazz, en dehors d’être un musicien hors pair toujours en
pleine activité. Patrice Caratini est un touche-à-tout de la musique, de la
tradition (Stéphane Grappelli, Georges Arvanitas…) à la musique improvisée
(pour Label Bleu) , en passant par les musiques du monde (le tango, avec le bandonéoniste Juan
José Mosaliniet le pianiste Gustavo Beytelmann, Cuba…) et la chanson
populaire (Maxime Le Forestier…) voire commerciale, et même la musique
classique et contemporaine. Il a fait feu de tout bois dans sa carrière, sauf
de sa contrebasse, et a, comme Alain Jean-Marie, une activité débordante en
leader ou sideman, outre une activité syndicale, de producteur (Caramusic) et
relationnelle-institutionnelle très intense. Enfin Roger Raspail est sans
doute, par sa longue carrière, le plus éloigné du jazz, même si le jazz fait
partie depuis toujours de son background, car il a aussi participé à de
nombreux projets aux côtés de musiciens de jazz. Originaire de la Guadeloupe,
le percussionniste a côtoyé Pierre Akendengue, Kassav, Cesaria Evora, Chico
Freeman, Papa Wemba, et bien d’autres encore. Donc, en dehors de ses racines
caribéennes, il a approfondi sa pratique dans les musiques du monde (Afrique
surtout) et dans le jazz. On se souvient qu’il a enregistré pour Gérard
Terronès, sur le label Blue Marge.
La couleur de cet enregistrement doit beaucoup au
percussionniste, car sa présence et son jeu déterminent l’esthétique de ce jazz
fortement teinté par les caraïbes qui donne son titre à ce disque (Tropical Jazz Trio). Alain Jean-Marie,
qui partage l’origine de Roger, est évidemment à son affaire et à son aise, et
le contrebassiste se joint, sans effort vu son éclectisme, à cet univers.
Commencé par la réussite originale de ce disque avec le beau «Morena’s Rêverie»
d’Alain, il y a une quinzaine de pièces assez courtes parfois, de belles
compositions du jazz qui conviennent parfaitement à cette couleur caribéenne
(«African Flower», très bien restituée par notre trio, «Señor Blues»,
«Manteca», «The Cape Verdean Blues»…) de Duke Ellington, Dizzy Gillespie/Chano
Pozo, Horace Silver, des originaux de chacun des musiciens du trio, et plus
inattendu, une thème de Serge Gainsbourg, «Couleur Café», et encore plus mystérieux «Le Temps des
Cerises», l’hymne de la Commune, non crédité, mais de Jean Baptiste Clément (texte),
communard lui-même, et Antoine Renard (musique), ouvrier-fondeur, chanteur
populaire de rue, puis ténor sur les scènes de théâtre. Ce choix, avec un arrangement
des trois complices, n’est pas expliqué.
Au total, un disque réussi et un excellent moment de jazz
teinté des tropiques mais aussi de multiples influences qui reflètent bien
l’état d’esprit curieux et le vécu de ces trois musiciens.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Philippe Duchemin
QuiétisSymphonie Brahms n°3, Oscar’s Musings, Lotus Blossom, Cristal, Quiétis,
Speed Way, Envol, Pavane, Minha Princesa, Day Danse / Armando’s Rhumba,
Tannhauser (Ouverture), Balumba
Philippe Duchemin (p, ep), Christophe Le Van (b, eb), Philippe Le Van
(dm) + Quatuor Puccini: Sylvie Bonet (vln), Corinne Moirano (vln), Alain
Pélissier (viola), Manuel Catigny (cello)
Enregistré les 18 et 19 décembre 2018, Fontaines (85)
Durée: 51’ 08’’
Black & Blue 1078.2 (Socadisc)
Trois ans après Passerelle (Black & Blue, 2015), Philippe Duchemin entremêle de nouveau, sur un album,
jazz et musique classique (une démarche ancienne chez le pianiste, notamment
marqué par sa fameuse composition «Take Bach»). Mais avec Quiétis, il élargit le spectre
en abordant également d’autres musiques chères à son cœur. Que ce soit par l’adaptation d’œuvres célèbres
ou par des compositions originales (qui se présentent ici à proportion égale),
Philippe Duchemin surprend quelque peu en livrant l’album sans doute le plus
éclectique qu’il ait enregistré sous son nom. Il a de plus recourt, pour
évoquer ces différents univers, à un quatuor à cordes (en sus de l’habituelle
rythmique des Frères Le Van): un assemblage qu’il a déjà utilisé à plusieurs
reprises dans sa discographie et sur scène.
Du jazz d’abord: seuls deux titres relèvent ici du jazz mainstream, à
savoir deux compositions du pianiste, «Oscar’s Musings» (hommage
évident au maître Oscar Peterson) et «Speed Way» sur lesquels les
cordes n’interviennent pas. On y apprécie ainsi très simplement et avec grand
plaisir le beau jeu du trio Duchemin. Plus swinguant, notre préférence va au
premier morceau.
Du classique «jazzifié»: Philippe Duchemin s’essaie ici à
la synthèse entre le jazz et trois œuvres du répertoire classique –dans une
démarche qui rappelle celle de Jacques Loussier–, proposant d’intéressants
arrangements sur le 3e mouvement («Pocco allegretto»)
de la Symphonie n°3 de Johannes Brahms où il insère des éléments
d’improvisation jazz et des accélérations rythmiques, notamment de la part du
quatuor qui prend à cette occasion des accents slaves; «Pavane» de
Gabriel Fauré et l’«Ouverture» du Tannhäuserde Richard Wagner sont également sortis de leur cadre mais, en dehors de
quelques mesures jazz joliment placées (voire blues sur l’opéra de Wagner,
également gratifié d’une courte citation du Bolérode Ravel) l’expression classique domine, reprenant sans cesse le dessus sur le
jazz émergent, comme l’huile refusant de se mélanger avec l’eau. L’utilisation
d’un magnifique standard ellingtonien, «Lotus Blossom», traité par
l’intervention des cordes comme une pièce classique, aboutit à la même
impression. Quant aux deux originaux également dans cette esthétique,
«Quiétis» et «Envol», ils ont davantage pour ambition
(comme le leader le confie dans le livret) d’évoquer des musiques de cinéma (on
pencherait ici pour les atmosphères chabroliennes).
De la musique latine et de la fusion: on pourrait enfin s’étonner que
Philippe Duchemin reprenne un standard du compositeur brésilien César Mariano
Camargo, deux titres mis à la suite de Chick Corea («Day Danse /
Armando’s Rhumba») ou trouve son inspiration chez George Duke avec un
original jazz-rock (où le Fender remplace le piano): «Balumba». Il
confiait pourtant à Jazz Hot, il y a
déjà vingt ans (n°561), son admiration pour Chick Corea et son goût pour la
musique de Weather Reaport. Il n’en reste pas moins qu’à vouloir brouiller les
pistes, le pianiste nous soumet un disque de qualité mais dont on peine à
trouver le fil conducteur.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Alvin Queen Trio
O.P. - A tribute to Oscar PetersonSushi, Nightingale, Jesus Christ Lies Here Tonight,
Wheatland, Hero, Cake Walk, You Look Good to Me, The Last Supper, Soon, When
Summer Comes, It Happened in Monterey, Reunion Blues, Hymn to Freedom
Alvin Queen (dm), Zier Romme Larsen (p), Ida Hvid (b)
Enregistré en octobre 2018, Copenhague (Danemark)
Durée: 58’ 15”
Stunt Records 18152 (UVM Distribution)
Le label Stunt de Copenhague continue de nous régaler de très
bons disques de jazz, avec ici un trio autour d’un batteur exceptionnel, Alvin
Queen, qui a accompagné (et il continue) le gotha du jazz avec un drive et des
qualités de nuances qui en font l’un des plus accomplis du jazz, qui en compte
pourtant beaucoup.
Il s’agit d’un hommage à Oscar Peterson (d’où le titre OP), qu’Alvin Queen a suivi tout autour
du monde, et pour l’occasion, le batteur a choisi deux jeunes musiciens,
semble-t-il danois, un pianiste, Zier Romme Larsen, auteur d’une composition,
et une bassiste, Ida Hvid qui prend toute sa part à cet hommage. Il y a une
dominante dans le répertoire de compositions d’Oscar Peterson (9 titres) que le
pianiste met bien en valeur avec des qualités techniques et d’expression à la
mesure de l’hommage et du pianiste, Alvin Queen propulsant la musique avec son
drive coutumier, ajoutant également quelques chorus de belle facture avec
toujours cette clarté sur les caisses qui font de son jeu un véritable plaisir
en raison de sa musicalité. La contrebassiste donne quelques interventions de
qualité comme sur «You Look Good to Me». Un texte de la fille d’Oscar Peterson vient introduire
cet hommage, mais aussi parler d’Alvin Queen, Alvin Queen introduisant lui-même
ses deux compagnons de musique pour cet excellent enregistrement qui restitue
bien l’esprit de Maître Oscar Peterson, sur le plan de la profusion technique
autant que de l’énergie et de la musicalité qui coulaient de toute son œuvre.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Teodross Avery
After the Rain: A Night for ColtraneBlues Minor, Bakai, Afro Blue, After the Rain, Africa,
Pursuance
Teodross Avery (ts, ss), Adam Shulman (p), Jeff Chambers
(b), Darrell Green (dm)
Enregistré le 31 mars 2018, Oakland, CA
Durée: 59’ 26”
Tompkins Square 5623 (www.tompkinssquare.com)
On l’entend depuis le premier disque de Teodross Avery, et
il le dit lui-même: «Aucun artiste
en matière de musique ne me touche autant que John Coltrane.» Teodross
Avery possède non seulement la maîtrise de la matière coltranienne, mais aussi
celle du son et de l’énergie pour restituer un monde sans pareil. Bien entendu,
beaucoup de musiciens ont été inspirés et influencés par cette légende du jazz,
mais ils sont très rares à pouvoir restituer son univers aussi profondément dans
sa réalité multidimensionnelle (son, blues, énergie, spiritualité, transe…) que
ne le fait Teodross Avery.
Quand le répertoire est justement en hommage à son Maître,
puisqu’il s’agit ici de six compositions déjà illustrées par John Coltrane
(dont quatre compositions, une de Cal Massey et une de Mongo Santamaria), on ne
peut qu’être submergé par cette vague sonore qui réapparaît aussi puissante et
pétrie de conviction que celle du modèle. L’enregistrement a été réalisé en live, au Sound Room d’Oakland, ce qui
n’est pas pour rien dans la force de l’enregistrement, et les spectateurs ont
eu le privilège d’accéder ce soir-là à un moment de musique d’un continent qui
n’existe aujourd’hui pratiquement plus, mêlant l’extrême sophistication, le
blues, le swing, la puissance, l’intensité et la conviction de l’expression à
une forme d’implication proche de la transe.
Teodross Avery ne recopie pas, le son est différent, un peu
plus profond-sombre parfois que celui de son inspiration, et il possède ce
drive qui donne à sa musique, comme à celle de Coltrane, d’Art Blakey et
quelques autres, une force d’envoûtement magique. Les musiciens qui l’accompagnent se hissent à la hauteur de
leur leader, avec un bon Adam Shulman, façon McCoy Tyner, un Darrell Green dans
l’esprit d’Elvin Jones, et un sombre etparfait, pour cette musique, contrebassiste, Jeff Chambers, à l’instar
de Jimmy Garrison. La spiritualité, d’inspiration religieuse comme chez
Coltrane, et qui charpente la musique de Teodross Avery, n’est pas étrangère à sa
capacité d’expression dans ce type de musique; on la devine dans les
remerciements et dans le petit texte de présentation du saxophoniste.
C’est une heure de splendide musique de jazz par un musicien
qui n’a rien laissé au hasard dans le choix des thèmes pour un hommage à John
Coltrane et dont les entames de thèmes sont autant de résurrections de John
Coltrane («Blues Minor», «Afro Blue», «Africa»), avant qu’il donne la mesure de
sa dimension personnelle, et c’est lui-aussi un grand artiste, car il enrichit
véritablement cet univers de sa propre énergie pour le plaisir évident d’une
salle, en transe elle aussi.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Jan Harbeck Quartet
The Sound The RhythmLighter Shades°, Johnny Come Lately°, Tangorrus Field*,
Poutin°, Woke Up Clipped°*, Blues
Crescendo°, Shorty Gull°*, I'd Be There*°°, Tail That Rhythm*, Circles
Jan Harbeck (ts),
Henrick Gunde (p), Eske Nørrelykke (b), Anders Holm (dm)°, Morten Aerø (dm)*,
Jan zum Vohrde (as)°°
Enregistré les 7-8 novembre 2018, Village Recording,
Copenhague (Danemark)
Durée: 1h 01’ 29”
Stunt Records 19022 (UVM Distribution)
Ceux qui pensaient que Ben Webster n’avait fait que passer
sans laisser de traces au Danemark trouveront un démenti en la personne de Jan
Harbeck, bel héritier de «Big Ben», l’un des pères de l’instrument, si
important dans la sonorité de l’univers de Duke Ellington. Un Ben Webster qui aurait
écouté Paul Gonsalves, ces univers sont parfois proches, le dernier tirant
du premier. La présence de Jan Harbeck, à la voluptueuse sonorité, était l’une
des raisons de la réussite du disque de Snorre Kirk (Beat) sur ce même label, tout entier consacré à la relecture de
l’univers ellingtonien, enregistré quelques mois avant en mai 2018, toujours au
Village Recording de Copenhague, chroniqué un peu avant dans ces colonnes.
Ici, Jan Harbeck fait une place importante à son maître sur
l’instrument, Ben Webster pour les compositions avec «Poutin», «Woke Up
Clipped», «Shorty Gull» et «I’d Be There», et par extension «Johnny Come
Lately» de Billy Strayhorn dont les compositions vont en général comme un gant à Ben
Webster. Le reste des compositions est de Jan Harbeck; elles sont très belles, in the spirit, comme le très beau «Tangorrus Field». Le disque est notablement
plus long que celui de Snorre Kirk, et il n’y a aucun temps faible. Il mérite
tout autant un indispensable et pour des raisons très voisines: ce sont des
recréations sans servilité, d’une beauté qui se fait rare, avec en dehors du
leader au si beau son, des musiciens d'excellent niveau comme Henrick Gunde au
piano. Les deux musiciens s’offrent un dialogue sur le dernier thème, un de ces
moments de grâce comme les aiment les amateurs de jazz de culture. Tout
l’orchestre est à féliciter pour la réussite de cet album.
Signalons l’alternance des deux batteurs sur l’ensemble des
thèmes, mais aussi leur rencontre au cours de deux thèmes (les 5e et 7e thèmes) et à quelques échanges de percussions très musicales en particulier sur
«Shorty Gull». Sur «I'd Be There», une splendide composition de Ben Webter et Johnny Hodges, Jan zum Vohrde, à
l’alto, vient apporter une réponse de belle facture au ténor imposant de Jan
Harbeck décidément magnifique. «Tail That Rhythm» vient nous rappeler que Ben
Webster intégra avec autant de facilité l’univers de Count Basie, et le
pianiste ne rate pas l’occasion d’évoquer les ponctuations du Count comme le
batteur, aux balais, ne rate pas l’occasion d’évoquer le grand Papa Jo Jones,
un autre père du jazz, celui des drummers.
Le jazz de culture, avec blues, expression, swing et son, a
donc une seconde vie au Danemark. C’est la meilleure nouvelle de l’année, pour
le jazz et pas seulement (il n’y en a pas beaucoup de bonnes en ce moment). Ces disques sont
magnifiques, et nous sommes impatients de découvrir en live ces musiciens, et sans doute de vous en parler plus longuement
si nous parvenons à croiser leur route.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Faby Médina
Following LoveWas It a Dream, Créole St Lucie*,
Someone to Watch Over Me*, What I’m Supposed to Do, Nyame*, Early Autumn,
Following Love*, Oh What a Thrill, Everything Changes, Vous rencontrer,
Blackbird
Faby Médina (voc), Alexis Bourguignon (tp), Stéphane Montigny (tb), Irving Acao (ts), Yoann Fernandez (g), Laurent Ganzini,
Léonardo Montana* (p), Zacharie Abraham (b), Lukmil Perez (dm), Adriano Tenorio
(perc)
Date et lieu d’enregistrement on
précisés
Durée: 44’ 16’’
Dreamophone (www.fabymedina.com)
On
connaît Faby Médina comme la voix féminine du big band de Claude Bolling
–qu’elle a intégré en 2001– aux côtés de son homologue, le regretté Marc Thomas.
Exister en scène avec un big band n’est pas donné à toutes les chanteuses, mais
Faby Médina possède les qualités nécessaires à l’exercice. Issue d’une famille
de musiciens, elle entre au conservatoire et se forme à la danse, au piano, au violon, à la flûte et
enfin à l’art lyrique. A 16 ans, elle débute une carrière de choriste dans un
ensemble gospel et enchaîne les expériences variées (comme l’adaptation par
Jérôme Savary de La Résistible ascension
d’Arturo Ui de Bertolt Brecht en 1993).
Faby Médina sait interpréter le jazz, de sa voix claire et groovy, bien
que ce
premier album sous son nom n’en fasse pas suffisamment la démonstration.
En effet, la chanteuse a fait le choix de l’éclectisme musical plutôt
que de
s’inscrire pleinement dans le jazz. D’où une majorité de compositions
personnelles
(quelque peu inégales) et seulement deux standards, à quoi s’ajoute une
reprise
empruntée aux Beatles: «Blackbird» (et non «Bye Bye Blackbird» de Ray
Henderson
et Mort Dixon). D'où également des arrangements lorgnant parfois
davantage du côté de la musique de variétés. Il y a cependant de bonnes
choses à retenir et d’abord
l’original qui ouvre le disque, «Was It a Dream», lequel doit beaucoup à
l’intervention du guitariste, Yoann Fernandez. De même, «What I’m
Supposed to
Do» ainsi que «Everything Changes» qui nous permet d’apprécier le
pianiste, Laurent Ganzini, qui partage l’accompagnement avec Léonardo
Montana. Côté standards, Faby Médina propose une jolie version de «Early
Automn» (arrangé par Laurent Ganzini, encore ici à son affaire). Force
est de
constater que, sur ce disque, Faby Médina ne s’inscrit pas totalement
dans le jazz, mais on peut espérer que ses
collaborations régulières avec des musiciens comme Claude Tissendier,
Alain Jean-Marie, Philippe
Milanta ou encore Irving Acao lui inspireront la volonté d’une œuvre
puisant davantage à ses racines.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Snorre Kirk
BeatExotica, 18th & Vine, Monaco, Blues Arabesque, Portrait,
Blues Overture, Beat, Zanzibar, Bells Bells Bells
Snorre Kirk (dm), Jan Harbeck (ts), Klas Lindquist (as, cl),
Tobias Wiklund (crt), Magnus Hjorth (p), Lasse Mørck (b)
Enregistré en mai 2018, Village Recording, Copenhague
(Danemark)
Durée: 39’ 37
Stunt Records 18142 (UVM Distribution)
L’influence ellingtonienne est évidente dans cette bonne
musique d'un disque assez court, une influence transposée dans un sextet
et avec des compositions
originales qui s’accommodent parfaitement de cette référence parce
qu’elles
conservent, malgré une écriture parfois actuelle, les permanences du
monde
ellingtonien (comme par exemple l’influence néo-orléanaise dans «Beat»,
les entrelacs de timbres). Les
saxophonistes, ténor et alto, clarinettistes quand il le faut, tous deux
bons
instrumentistes, possédant de très belles sonorités, le jeu du
trompettiste, cornettiste
en l’occurrence, avec effets, accentuent cette proximité, aussi bien que
le jeu
du pianiste minimaliste, anguleux et rythmique, très ellingtonien quant à
l'esprit: «Portrait» fait immanquablement penser à «African Flower» du Money Jungle, le batteur faisant lui
référence au jeu de Max Roach. Les compositions originales sont parfois bâties dans l’esprit des suites («Blues
Arabesque»), avec ce qu’il faut de blues et de swing pour faire de cet
enregistrement réalisé à Copenhague, une très belle relecture, originale,
dans l’esprit du Duke. Pour ceux qui chercheraient une confirmation de ce qui
s’entend très bien à l’oreille, il y a un petit indice, avec ce «Zanzibar», la
composition de Juan Tizol. Et pourtant rien n’est du Ellington à proprement
parler, c’est un prolongement de l’univers réalisé avec beaucoup de goût et
d’originalité, comme finalement on n'en a jamais entendu, comme si Ellington ne
devait être que rejoué à la lettre ou que par lui-même.
Ce disque est à la fois passionnant pour la musique jouée,
par des musiciens qui ont tous une réelle personnalité et des sonorités
travaillées, et aussi parce que les musiciens ont su recréer un univers, blues
et swing compris, sans avoir besoin du répertoire et des arrangements
originaux, sans pourtant renier l’univers ou l’appauvrir. Ce disque met en avant toute
la modernité du monde de Duke Ellington et tout ce que les musiciens de jazz
d’aujourd’hui ont encore à créer en s’inspirant du continent ellingtonien du
jazz sans se limiter au répertoire, même si jouer le répertoire des anciens est toujours souhaitable.
A ce titre, pour l’intelligence de la référence, autant que
pour la musique, il mérite un indispensable!
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Fred Nardin Trio
Look Ahead
Colours, Just Easy, Look Ahead, Three for You, New
Direction, One Finger Snap, Prelude to Memory of T., Memory of T., Prelude to
In the Skies, In the Skies, Prayers
Frédéric Nardin (p), Or Bareket (b), Leon Parker (dm)
Enregistré les 19 et 20 mars 2018, Meudon (78)
Durée: 44’ 33’’
Naïve 6992 (Naïve)
A 32 ans, le pianiste Fred Nardin présente un curriculum
vitae déjà bien fourni: des études classiques et jazz (avec Sylvain Beuf) au
conservatoire de Chalon-sur-Saône, complétées par un cursus au CNSM de Paris;
la création en 2010 de The Amazing Keystone Big Band avec ses camarades Jon
Boutelloer, David Enhco et Bastien Ballaz, orchestre qui a multiplié les
collaborations prestigieuses (Quincy Jones, Rhoda Scott, Liz McComb, Gregory
Porter…); des albums enregistrés en formations réduites (en trio ou en quartet
avec Jon Bouteiller) ainsi que des apparitions en sideman, notamment aux côtés
de Jesse Davis, Wayne Escoffery et Cécile McLorin-Salvant en remplacement
d’Aaron Diehl ou encore l’animation depuis plusieurs
années des after hours du Duc des
Lombards; le tout avec son lot de prix et de distinctions (cf. les disques chroniqués dans Jazz
Hot).
Le pianiste propose un second disque en trio, Look Ahead, avec les mêmes partenaires
que sur le premier album, Opening. La
présence réitérée de Leon Parker, qui a une longue expérience de sideman de
pianistes, fournit un solide pilier rythmique à Fred Nardin qui, à travers un
album essentiellement constitué de compositions originales, revendique sa
filiation avec les grands maîtres, de Kenny Barron à Mulgrew Miller (avec
lesquels Leon Parker a travaillé), de McCoy Tyner à Thelonious Monk (dont
l’héritage est salué par le très monkien «Memory of T.») et de Phineas Newborn
(évoqué à travers «Just Easy», d’une grande beauté rythmique et
sans doute le meilleur titre de l’ensemble: de la graine de standard!) à Herbie
Hancock, auteur de la seule reprise de ce disque, «One Finger Snap». Malgré sa
formation initiale classique, Fred Nardin se situe dans l’idiome du jazz, même
si sur certaines ballades plus introspectives («Three for You», «In the Skies», «Prayers») ressurgit
une expression d’essence classique. La rythmique est à l'unisson avec son leader sur ce plan; pour autant, c'est d'abord par son intensité et sa subtilité que se distingue l'accompagnement de Leon Parker et de l’excellent Or Bareket. Dans son ensemble, Look Ahead est donc un beau et vrai disque de trio jazz, fait de nuances et de variations qui
renouvellent continuellement le plaisir de l’écoute. Il faut
désormais compter avec le pianiste et compositeur Fred Nardin.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Bo Lindenstrand
Live
Blues
in F, Skylark, The Night Has a Thousand Eyes, The Very Thought of You,
Klactoveedsedstene, You Can’t Go Home Again, You’d Be So Nice to Come Home To,
Little Esther, Once in a While, Tin Tin Deo, April in Paris, St, Vitus Dance,
Light Blue, My Old Flame, Straight Street, Lover, Autumn In New York, Dance of
the Infidels
Bo
Lindenstrand (as), Jonas Kosh (vib), Lars Ekman (b), Erik Dahlbäck (dm), Göran
Strandberg (p), Petter Olofsson (b), Konrad Agnas (dm), Leo Lindberg (p), Ove
Gustafsson (b), Staffan Alander (dm), Per-Ola Gadd (b), Ali Djeridi (dm), Kenji
Rabson (b), Moussa Fadera (dm)
Enregistré
entre 2008 et 2013, Stockholm (Suède)
Durée:
58’’05’ + 57’’15’
PB7
Records 037 (www.pb7.se)
A l’instar de la France, la Scandinavie a toujours eu avec le jazz
des rapports passionnels, que ce soit sur le plan de l’attrait pour cette
musique, de son ancrage par le biais de l’accueil de musiciens afro-américains,
mais aussi de par la vitalité de sa scène. Des clubs comme le Café Montmartre
à Copenhague, le Fasching à Stockholm, mais aussi des labels indépendants comme Dragon
Records ou SteepleChase ont participé de cet état de fait. Des précurseurs Arne
Domnerus (as, cl), Lars Gullin (bs), Rolf Ericson (tp) à NHØP (b), Jesper
Lundgaart (b) en passant par Alex Riel (dm) ou Jan Lundgren (p), la liste des
musiciens scandinaves est également bien fournie.
L’altiste Bo Lindenstrand (1944-2017), à la carrière plus
confidentielle, fait tout de même partie de cette génération de musiciens qui
ont joué un jazz de qualité. Ayant grandi dans le quartier de Mälarhöjden dans
le sud de Stockholm, il développe très jeune son goût pour la musique et le
jazz en particulier, lequel passe à la radio, en prenant dès l’âge de 10 ans
des cours de piano, de cornet puis de clarinette. Ce n’est qu’à l’adolescence,
après des cours de théories musicales et de solfège qu’il découvre le saxophone
alto et le bop. Son école va être la scène des clubs de jazz et ses rencontres
avec des musiciens plus âgés. Après un premier album fort prometteur, My Shinning Hour (Phontastic, 1984) avec
l’excellent pianiste Ake Johansson (que l’on a entendu auprès de Chet Baker et
Stan Getz), où il donne une splendide version de «Back Home Blues», Bo Lindestrand semble
avoir poursuivi une carrière exclusivement en clubs.
Il faut remercier son ami Christer Ädelqvist d’avoir exhumé ses
enregistrements en clubs à Stockholm entre 2008 et 2013 dans des formules à
géométrie variable. Avec ce magnifique musicien, on entre dans l’univers du bop
par la grande porte avec un langage authentique issu principalement du bop avec
l’influence notable de Charlie Parker notamment sur son rapport à
l’expressivité du blues, le langage et cette capacité à renouveler un discours
en permanence. Dans cette anthologie, la formule avec le vibraphone de Jonas
Koch a ma préférence de par la liberté harmonique et la superbe musicalité du
leader sur «Blues in F» ou la ballade «Skylark». On
retiendra quelques sidemen de qualités tels que l'excellent pianiste bop Göran
Stranberg. Cet ancien élève de la Berklee School of Music, a fait ses classes
dès le début des années 1970 auprès de la formation «Communication»
de Red Mitchell (b), avant d'accompagner les solistes américains de passages en Scandinavie tels que Dexter Gordon, Lee Konitz, Art Farmer ou Clark Terry. A
côté de ce vétéran de la scène suédoise, on découvre également le jeune
pianiste Leo Lindberg (19 ans à l'époque de l'enregistrement) qui démontre
une maturité profonde et une articulation claire dans son jeu avec un toucher
évoquant Wynton Kelly pour sa capacité à swinguer en permanence et un jeu
rythmique complexe issu de Bud Powell. Ses interventions sur «Tin Tin
Deo» ou «Dance of the Infidels» restent des moments forts
du disque.
Un bel hommage à un musicien pour musicien, représentatif d’un
jazz scandinave toujours aussi riche et créatif, et qui sait également s’inscrire
dans la tradition du jazz de culture.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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The Amazing Keystone Big Band
We Love Ella
A Woman Is Sometime Thing, Moonlight in Vermont, Blues in
the Night, Old Devil Moon, Born to Be Blue, A Tisket, a Tasket, It Ain’t
Necessarily So, Stompin’ at the Savoy, Bess’ Cat
Bastien Ballaz (tb), Jon Bouteiller (ts), David Enhco (tp), Frédéric
Nardin (p), Patrick Maradan (b), Romain Sarron (dm), Cécila Kaméni (voc), reste
du personnel détaillé dans le livret
Enregistré en 2018, Paris
Durée: 35’ 40’’
Nome 013 (L’Autre Distribution)
The Amazing Keystone Big Band
La Voix d'Ella
Titres et personnel détaillé dans le livret
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée: 39’ 35’’
Nome/Gautier-Languereau (L’Autre Distribution)
Après avoir célébré Django, The Amazing Keystone Big Band a
rendu hommage à Ella Fitzgerald dans la foulée de l’année de son centenaire.
Pièce maîtresse de cette évocation, l’excellente Célia Kaméni (née en 1991) est
originaire de Lyon, comme toute une partie de l’orchestre. La chanteuse, qui a fait ses études musicales
entre 2010 et 2015 a participé à divers projets autour du jazz (avec des
dominantes parfois soul ou hip-hop) et participe à l’aventure du Keystone
depuis l’origine (2010); toujours basée dans la région lyonnaise, on la
retrouve régulièrement auprès des pianistes Alfio Origlio et Vincent Périer
(voir notre récente chronique). Célia Kaméni porte ainsi haut les couleurs du
jazz vocal et donc de sa représentante la plus exceptionnelle, sans chercher à
s’en rapprocher. Le choix des titres, se rapportant à de célébrissimes versions
(«Moonlight in Vermont», etc.) que chacun a en tête, suffit. Célia Kaméni a une
belle personnalité musicale, pleine de caractère, passant avec aisance du blues («Blues in the
Night») à la suavité d’une ballade («Born to Be Blue»). Quant à l’orchestre,
impeccable, il sert la musique et sa vocaliste avec un grand professionnalisme.
Les beaux arrangements, que l’on doit conjointement aux quatre fondateurs et
directeurs musicaux du big band (Bastien Ballaz, Jon Bouteiller, David Enhco et
Fred Nardin) sont également à la hauteur du répertoire (réjouissante version
new orleans de «A Tisket, a Tasket»). Le seul instrumental du disque, «Stompin’
at the Savoy», introduit avec swing et élégance par Fred Nardin, permet
d’ailleurs d’apprécier les qualités de cet ensemble dont les membres ont, pour
la plupart, une trentaine d’années. A noter également un bon original,
«Bess’ Scat».
Décliné en conte musical avec La Voix d’Ella (dont nous n’avons eu connaissance que de la version
CD), l’enregistrement se trouve agrémenté de plages narratives assurées par le
comédien Vincent Dedienne. L’histoire (écrite par Philippe Lechermeier)
–mettant en scène la jeune Bess, orpheline afro-américaine vivant dans
l’Alabama des années 50 et qui rêve de chanter comme Ella Fitzgerald– est
l’occasion de quelques points didactiques bienvenus à l’attention du jeune
public. Dans la très inégale production des disques-livres-spectacles jazz pour
enfants, La Voix d’Ella tire sans
difficulté son épingle du jeu.
The Amazing Keystone Big Band et Cécila Kaméni seront
encore sur les scènes des festivals cet été: à aller écouter en famille, cela plaira aux amateurs comme aux non-initiés.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Grant Green
Funk in France: From Paris to Antibes (1969-1970)
CD1: I Don't Want Nobody to Give Me Nothing (Open Up the
Door I'll Get It Myself), Oleo, How Insensitive (Insensatez), Untitled Blues,
Sonnymoon For Two, I Wish You Love*, Upshot
Grant Green (g), Larry Ridley (b), Don Lamond (dm), Barney
Kessel (g)*
CD2: Hurt So Bad, Upshot, Hi-Heel Sneakers
Grant Green (g), Claude Bartee (ts), Clarence Palmer (org),
Billy Wilson (dm)
Enregistré les 26 octobre 1969, Paris et les 18 et 20 juillet 1970, Antibes-Juan-les-Pins (06)
Durée: 56’ 36” + 1h 01’ 37”
Resonance Records 2033 (Bertus France)
Grant Green
Slik! Live at Oil Can Harry's
Now's The Time, How Insensitive (Insensatez), Medley (Vulcan
Princess, Skin Tight, Woman's Gotta Have It, Boogie on Reggae Woman, For the
Love of Money)
Grant Green (g), Emmanuel Riggins (p), Ronnie Ware (b), Greg
Vibrations Williams (dm), Gerald Izzard (perc)
Enregistré le 5 septembre 1975, Vancouver (Canada)
Durée: 1h 07’ 05”
Resonance Records 2034 (Bertus France)
Grant Green, c’est une icône du jazz, du label Blue Note en
particulier, dont il fut l’un des piliers de la grande époque du début des
années soixante, en leader et en sideman de l’une des très nombreuses séances
où il côtoie Lou Donaldson, Hank Mobley, Horace Parlan, Ike Quebec, Jimmy
Smith, Herbie Hancock, Joe Henderson, Big John Patton, Don Wilkerson, Bobby Hutcherson,
Lee Morgan, Stanley Turrentine, Baby Face Willette, Jack McDuff, Larry Young, etc.
Il fait donc partie de la grande histoire. Grant Green, c’est le blues, la mélodie, la beauté, la
single note chargée d’expression, c’est la recherche de l’épure même si ses
moyens lui ont permis de se faire plus démonstratif dans sa deuxième manière
(illustrée dans ces productions à partir de 1970). Grant Green, C’est aussi un beau numéro de Jazz Hot (n°570), avec une discographie
détaillée et illustrée pour retracer un parcours raconté par son fils, entre
autres.
Et justement, voici deux éditions et trois disques (un double et un simple)
groupant plusieurs sessions inédites en live –un événement jazzique donc– pour compléter la discographie que nous avons
publiée, et la connaissance de son œuvre.
La première session fut enregistrée en France, au studio 104
de la Maison de la Radio, à l’ORTF (la radio-télévision française de l’époque),
en public, le 26 octobre 1969. C’est une version assez classique de Grant
Green, dans la lignée de la production Blue Note, avec des thèmes n’excédant
pas les 8 minutes, même en concert. Dans ce même coffret, figurent, sur le second disque et pour
des raisons de place, en dernier thème du premier disque, les deux concerts des
18 et 20 juillet 1970 au Festival international de Jazz d’Antibes-Juan-les-Pins,
restituée ici grâce à l’Ina (institut national de l’Audiovisuel). Pour l’occasion, les thèmes se sont
considérablement allongés, comme c’était dans l’air de ce temps (de 14 à 27
minutes, selon le cas), et ce qui nous vaut le titre de «Funk in France», la
matière s’est faite moins épurée, même si le blues reste l’inspiration
principale. Grant Green sur le plan stylistique y fait plus étalage de sa
virtuosité et la musique perd en musicalité ce qu’elle gagne en longueur. Cette
seconde manière de Grant Green va accompagner sa seconde partie de carrière,
avec des moments très nettement à vocation commerciale.
Le disque de 1975 propose un enregistrement effectué dans un
club de Vancouver, au Canada, le Oil Can Harry's. C’est la dernière session en live connue à ce jour, puisque les trois
autres disques postérieurs (1976 et 1978) seront enregistrés en studio. Dans le
cadre club, on a droit aux deux manières de Grant Green: de longs thème,
avec tout d’abord une thématique jazz («Now’s Time»), dans une version assez
classique, un très long (26’) mais classique et épuré «How Insensitive», avant
de revenir à sa manière funk sur un medley de plus d’une demi-heure.Le matériel restitué ici est conforme à ce qu’on sait du parcours
du grand guitariste, avec cette élégance, cette beauté mélodique et cette
sonorité raffinée, ces accents du blues derrière chaque note, avec quelques
originalités comme l’apparition de Barney Kessel au studio 104, ou certaines
recherches comme le concert d’Antibes et le medley du second disque, Slick!, à
Vancouver, où Grant Green démontre que pour avoir fondé un style à nul autre
pareil, il n’en a pas moins été sensible aux évolutions du jazz de son temps, aux
sirènes de la musique commerciale parfois, et à titre personnel, votre
serviteur préfère la première manière de Grant Green.
Grant Green, né à St. Louis le 6 juillet 1931, devait
décéder le 31 janvier 1979 à 48 ans, et sa mort prématurée nous a privés de
beaucoup de belle musique. Ces sorties sont d’autant plus bienvenues. Signalons l’excellente production qui accompagne ces deux
sorties: des livrets consistants avec des interventions de Michael Cuscuna, A.
Scott Galloway, des interviews par Zev Feldman, le producteur, de Greg Green
(Grant Green Jr.), de Clarence Palmer, d’Emmanuel Riggins (qui ont accompagné
Grant Green), d’Eric Krasno (sur l’évolution du style de Grant Green) et
d’autres intervenants comme Gary Barclay, un DJ canadien, car la musique de
Grant Green est l’une des plus réutilisées par les DJ dans le monde, comme
celles des organistes du label Blue Note en général, de Lou Donaldson, Donald
Byrd et quelques autres.
Il y a donc beaucoup de contenus et pas seulement musicaux,
mais aussi savants, dans cette excellente production.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Maurice Frank
Mad Romance and Love
Dream
Dancing, How Littel We Know (How Little It Matters), Slow Hot Wind, Don't Worry
'Bout Me, Day Dream, Save Your Love For Me, Yesterdays, Yellow Days, Baubles
Bangles and Beads, She's Funny That Way, In My Life, On The Street Where You
Live
Maurice
Frank (voc), Eric Alexander (ts), Aaron Heick (ss,
cl, fl), Paul Meyers (g), John Di Martino (p, arr), Luques Curtis (b), Obed Calvaire (dm), Samuel Torres
(perc)
Enregistré
en 2018, Paramus (New Jersey)
Durée:
49' 33''
Jumo
Music 1007 (www.mauricefrank.com)
Voici
une bien belle découverte que ce chanteur originaire de New York, ayant grandi
dans le quartier de Park Hill de Yonkers à l'est de South Broadway. Il y passe sa jeunesse à écouter Ray Charles, Nat King Cole, Tony
Bennett ou Mel Tormé avant d’étudier le saxophone ténor et la batterie. Il
s’oriente peu à peu exclusivement vers le chant, s’imprégnant des vocalistes des
années 50 et 60, se produisant localement dans des formations amateurs avant de
se consacrer exclusivement à sa famille. Maurice Frank est un artiste à part
dans l’univers du jazz: ce chanteur d’exception vient de sortir son
premier album après une parenthèse de trente-sept ans autour d'un heureux
mariage qui ne lui laissa pas l'opportunité de vivre sa passion pour la
musique. Son arrivée tardive sur la scène séduit Benny Green (p) –expert en la
matière–, lui qui a accompagné Betty Carter et Etta Jones.
Pour cet opus, Maurice Frank s’est entouré de solides musiciens de
la scène new-yorkaise dont le pianiste et arrangeur John Di Martino ou le
saxophoniste ténor Eric Alexander. Un répertoire de standards revisités avec
brio et originalité. «Slow Hot Wind» d’Henry Mancini aux couleurs
latines avec un beau chorus d’alto flute d’Aaron Heick annonce le très relax
«Don’t Worry’Bout Me». Il y a chez «Moe» (surnom de
Maurice Frank dans le milieu du jazz), une sorte de relâchement et cette façon de
laisser traîner la note à la Sinatra avec un sens du swing remarquable, notamment
sur sa version de «Day Dream» prise sur un tempo plus rapide qu’à
l’accoutumée. Il y a du Kurt Elling également dans cette façon d’appréhender un
standard avec un lyrisme exacerbé tel un instrumentiste loin de toute
virtuosité facile. Un style qu’il revendique lorsqu’il affirme que «la meilleure façon de démontrer comment
certains des grands musiciens et chanteurs de jazz m’ont inspiré et leur
témoigner du respect, est de toujours avoir conscience de leur influence
constante lors de mes interprétations. Cela m’aide à garder de la fluidité et
de la fraîcheur. Pour rendre justice à un thème, vous devez comprendre le
groove lyrique ainsi que l’aspect mélodique». Le sommet du disque
étant ce superbe duo avec la contrebasse de Luques Curtis sur «How Little
We Know» où «Moe» donne au texte une nouvelle dimension avec
un swing omniprésent.
On est proche de l’indispensable.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Mike Bogle Trio
Dr. B!
Cherokee, Ralph's Piano Waltz, Splanky-Route 66 (Medley), On
the Street Where You Live, Walkin'
Mike Bogle (org, voc), Rich McLure (g), Ivan Torres (dm)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée: 33’ 28”
Autoproduit (www.mikebogle.com)
Disque autoproduit, on ne découvre pas grand-chose sur le
livret qui nous permette de situer l’auteur de cet enregistrement de courte
durée mais de bon niveau sur le plan technique. Sur son site, le long
curriculum vitae nous apprend que Mike Bogle est diplômé de North Texas
University et qu’il a bien œuvré pour l’arrangement, la pédagogie et les
institutions musicales de son pays, avec quelques récompenses. Il a écrit aussi
sur la musique, et doit avoir la quarantaine.
Ici à l’orgue Hammond B3, il propose en trio, avec un
batteur et un guitariste, une musique s’inscrivant «techniquement» dans le jazz
et la tradition de l’orgue Hammond, avec sans doute la volonté de mieux se
faire connaître comme professionnel de ce type de musique. Il est sans aucun
doute un bon professionnel de la musique, capable de faire dans le jazz, mais
il devrait, c’est un conseil, orienter sa réflexion, son abord du jazz et sa
présentation différemment, car le jazz n’est pas un métier ni un genre, mais
une expression artistique avec une histoire. Le disque n’est donc pas un
produit promotionnel de ce qu’on «sait faire» mais le résultat d’un choix de
vie à un instant précis déterminant une expression. On part donc de loin et
l’université du North Texas a dû oublier quelques enseignements dans son
cursus.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Philippe Petit Trio
A Beautiful Friendship
A
Beautiful Friendship, The Skies Will Clear, Tin Tin Deo, Nuit Noire, Elle
Habite au 21, Later, Calimero's Song, Little One, N'Gor, Come Rain or Come
Shine
Philippe
Petit (p), Pierre Maingourd (b), Eric Dervieu (dm)
Enregistré
en juillet et décembre 2014, Paris
Durée:
59' 06''
Autoproduit (www.philippe-petit.com)
Il
aura fallu attendre quatre ans pour que ce projet soit enfin disponible, sous
la houlette du batteur Eric Dervieu, après un quart de siècle de collaboration
autour de ce trio d'exception. Car Philippe Petit nous propose un beau disque
de jazz de culture et nous démontre qu'il est avant tout un pianiste qui
prolonge son discours sur un orgue Hammond et non le contraire. Ce Parisien
d'adoption, pour qui le swing est un langage naturel, est devenu au fil du
temps le sideman incontournable des sessions middle jazz à la frontière du bop.
Bien que l'orgue Hammond soit son instrument de prédilection depuis le début
des années 90 –avec des collaborations prestigieuses dont Eric Alexander (ts),
Houston Person (ts), André Villeger (ts) en passant par Marc Fosset (g) ou
Gilles Renne (g) avec lequel il fonde diverses formations–, il reste un
musicien curieux et ouvert sur le monde qui revient à ses premiers amours de
pianiste. D'ailleurs, son début de carrière l'a fait accompagner en tant que
pianiste les solistes américains de passages tels Arnett Cobb (ts), Bud Shank
(ts) ou Benny Bailey (tp).
L'album
démarre avec une superbe version de «A Beautiful Friendship» d'une grande
musicalité avec une articulation exemplaire doublé d'un sens du swing toujours
présent. Il y a également une sorte d'équilibre au sein du trio que l'on
retrouve dans la thématique comme sur cette bossa «The Skies Will Clear»
amenant une version de «Tin Tin Deo» allant à l'essentiel mêlant swing et
aspect mélodique dans un jeu délié évoquant celui de l'école de Detroit.
L'autre facette de cet excellent pianiste, c'est cette capacité à donner une
dimension de standards aux thèmes originaux où l'on retrouve une forme de
classicisme dans son approche mélodique. Ainsi, «Later» évoque le meilleur de
Jobim, «Nuit noire» est une sublime ballade d'où émerge un solide chorus de
Pierre Maingourd démontrant un sens du tempo et de l'accompagnement quasiment
parfait. «Elle habite au 21» et l'arrangement de «Come Rain or Come
Shine» étant le prétexte de swinguer en guise de clin d'œil à Oscar
Peterson. Au sein du trio se détache la musicalité d'Eric Dervieu toujours au
service du collectif, à l'image de sa longue collaboration avec René Urtreger.
Plus
qu'une carte de visite, ce disque est l'occasion de prolonger sur scène cette
aventure musicale.
David Bouzaclou
© Jazz Hot 2019
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Joey DeFrancesco
In the Key of the Universe
Inner Being°, Vibrations in Blue°, Awake and Blissed, It
Swung Wide Open, In the Key of the Universe*°,The Creator Has a Master Plan*°, And So It Is*°, Soul Perspective, A
Path Through the Noise°, Easier to Be°
Joey DeFrancesco (org, p, tp), Troy Roberts (as, ts, ss),
Billy Hart (dm), Sammy Figueroa (perc)° + Pharoah Sanders (ts, voc)*
Enregistré à Tempe (Arizona), date non précisée
Durée: 58’ 24”
Mack Avenue 1147 (www.mackavenue.com)
Joey DeFrancesco, ici à l’orgue, au piano et à la trompette,
a réuni pour cette séance une belle équipe, avec Billy Hart toujours aussi
essentiel, l’éclectique Sammy Figueroa aux percussions et Troy Roberts au
saxophone(s). Il invite sur trois thèmes le grand Pharoah Sanders, l’une des
légendes encore vivante du monde coltranien. Joey DeFrancesco possède cette
énergie propre à la tradition de l’orgue dans le jazz, et c’est de Jimmy Smith,
en particulier la sonorité, qu’il se rapproche, même si sa musique est moins
marquée profondément par le blues que celle de son aîné. L’album possède une
belle énergie dans l’esprit du jazz, comme souvent avec l’organiste, et
bascule, avec beaucoup de respect dans l’univers du saxophoniste pour les trois
thèmes où il intervient. Trois thèmes dont l’emblématique «The Creator Has a
Master Plan» nous permettent d’apprécier le toujours aussi beau son de Pharoah
Sanders, sa capacité à tisser une atmosphère par la magie de sa sonorité autant
que par la nature modale de la musique qu’il joue et rejoue depuis plus d’un
demi-siècle. Joey DeFrancesco alterne sur ces trois thèmes à l’orgue, au piano
et à la trompette, avec le soutien aérien de Billy Hart, les percussions dans
l’esprit de Sammy Figueiroa et Troy Roberts qui pour l’occasion passe du
saxophone à la contrebasse. Ils honorent la musique de Sanders et c’est un très
beau moment du disque, pour nous la meilleure partie, même si tout est
d’excellent niveau. Le saxophoniste possède dans ce qu’il fait, même à son âge,
cette magie d’emmener l’auditeur dans un autre monde, à l’instar de son modèle,
John Coltrane.
Le reste de l’album
n’est pas sans intérêt comme «Vibrations in Blue» où Joey DeFrancesco, à la
manière des musiciens indiens, maintient une note de base sur la tonalité, tout
en développant ses improvisations et une énergie très jazz, mais on sent très
bien que cette session n’est pas homogène, alternant la musique «très
spiritual» de Pharoah Sanders, et un bon jazz sous la houlette de Joey DeFrancesco,
plus léger sur le plan de l’atmosphère, sans aucune connotation péjorative. Au total, un excellent disque de jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Davell Crawford
Dear Fats, I Love You
Ain't That a Shame, Blue Monday,
Blueberry Hill, Careless Love, I Hear You Knocking, I Want to Walk You Home,
I'm Gonna Be a Wheel Someday, I'm In Love Again, I'm Walkin’, I'm Ready, Let
the Four Winds Blow, My Blue Heaven, Valley of Tears, When My Dreamboat Comes
Home / When The Saints Go Marching In
Davell Crawford (p solo)
Enregistré le 31 octobre 2017, New York
Durée: 42’58’’
Basin
Street Records 1406-2 (basinstreetrecords.com)
Dans
une précédente chronique portant sur le CD anniversaire du label Basin Street
Records (Live at Little Gem Saloon),
nous vous parlions de la belle prestation du pianiste et chanteur Davell
Crawford. La sortie de son nouvel album, toujours chez Basin Street Records,
nous donne l’occasion de revenir sur son cas. Né à New Orleans le 3 septembre
1975 (voir son interview dans Jazz Hot n°644), il est le petit-fils du chanteur de rhythm & blues James Sugar Boy
Crawford (1934-2012, auteur de «Jock-A-Mo», grand succès repris par la suite
sous le titre de «Iko Iko»). Enfant prodige formé à la musique classique et marqué
par le gospel, celui qui se fait
surnommer «the piano prince of New Orleans», se situe dans la continuité des
grands pianistes-vocalistes de Crescent City: Professor Longhair, James Booker,
Dr John, Henry Butler et Fats Domino auquel il rend hommage dans ce Dear Fats, I Love You. Un hommage très personnel et qui n’est pas
seulement celui d’un disciple à un maître, mais qui témoigne également de la
grande affection qui a liait les deux musiciens (l’enregistrement a été réalisé
une semaine seulement après le décès de Fats). Malheureusement, le livret, encore
une fois peu fourni, ne donne aucun détail sur cette relation amicale et
musicale. On sait cependant que le jeune Davell a rencontré le pianiste vedette
à l’âge de 14 ans, alors qu’il était déjà musicien professionnel. Celui-ci l’a
pris sous son aile et l’a aidé à perfectionner sa technique lors de sessions à
domicile.
Et si Davell Crawford a adopté la flamboyance scénique de son aîné, il livre
ici une interprétation de son répertoire très sobre (mais intense dans
l’expression), en piano solo et totalement instrumentale. Une approche
dépouillée qui nous permet d’apprécier pleinement ses qualités pianistiques, en
particulier sa grande richesse rythmique et son jeu d’une belle musicalité,
imprégné de blues et de gospel. Des atouts particulièrement mis à profit sur
«Careless Love» (somptueux), «I'm Gonna Be a Wheel Someday» (aux accents
stride) ou «I’m Ready» mené à un train d’enfer. On retient également la version
de «Blueberry Hill» exécutée dans un esprit proche de celle, passée à la
postérité, d’Antoine Dominique Domino Jr. Avis aux amateurs de piano blues.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Joachim Kühn
Melodic Ornette Coleman. Piano Works XIII
Lonely Woman (Rambling), Lost Thoughts, Immoriscible Most
Capable of Being, Songworld, Physical Chemistry, Tears That Cry, Aggregate and
Bound Together, Hidden Knowledge, Love Is Not Generous, Sex Belongs to Woman,
She and He Is Who Fenn Love, Somewhere, Food Stamps on the Moon, Lonely Woman
(Ballad), The End of the World
Joachim Kühn (p)
Enregistré de janvier à mars 2018, Ibiza (Espagne)
Durée: 53’ 22”
ACT 9763-2 (www.actmusic.com)
Si l’on accepte l’idée que ce disque n’appartient au jazz
que pour une part ténue de son inspiration, on peut l’écouter pour le plaisir éventuel
d’écouter de la musique de tradition classique-contemporaine.
La présentation de Joachim Kühn fait référence à Ornette
Coleman. Mais ça ne suffit pas à faire de ce disque un enregistrement de jazz. Le
pianiste a travaillé en effet avec le
saxophoniste dans les années 1990 sur un ensemble de projets communs et en
concert. Joachim Kühn en a retiré une matière qu’il restitue ici, avec sa
manière et son background de pianiste classique. Le résultat ici réclame pour
sa description autant que pour son appréciation, des compétences qui relèvent
plus de ce monde que du jazz.Le commentaire se limite donc à ça.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Esaie Cid Quintet
The Kay Swift Songbook
Once You Find Your Guy, When You Hear
This Music, Nobody Breaks My Heart, Fine and Dandy, One Last Look, Can This Be
Love?, Swiftin’, Can’t We Be Friends?, Whistling in the Dark, Let’s Go Eat
Worms in the Garden, Sagebrush Lullaby
Esaie Cid (as, arr), Jerry Edwards (tb),
Gilles Réa (g), Samuel Hubert (b), Mourad Benhammou (dm)
Enregistré le 14 mai 2018, Villetaneuse
(93)
Durée: 1h
Swing Alley 039 (Socadisc)
Personnalité méconnue, la compositrice
Katherine Faulkner Swift, alias Kay Swift, (1897-1994), a laissé un corpus de
mélodies populaires (notamment quelques grands succès comme «Can’t We Be
Friends?» ou «Fine and Dandy» dont on ignore souvent qu’elle en est l’auteur) et desquelles
se sont emparés les jazzmen. Figure de la société artistique new-yorkaise de
l’entre-deux-guerres, Kay Swift, née à New York, est la fille d’un critique
musical et a reçu une solide formation classique dans l'institution qui deviendra la Juilliard
School. Pianiste professionnelle, grande admiratrice d’Irving Berlin, elle
épouse en 1918 un riche banquier, James Paul Warburg, poète à ses heures, qui
écrit des paroles sur ses musiques (sous le nom de Paul James). Ils ont trois
enfants nés entre 1919 et 1924. Un tournant dans sa vie sentimentale et
artistique s’opère en 1925 quand elle rencontre George Gershwin, d’un an son
cadet. Les deux amants s’entraident et se soutiennent mutuellement dans leurs
travaux respectifs (c’est Gershwin qui lui trouve son pseudonyme) et deviennent
un couple quasi officiel avec l’accord tacite du mari résigné. En 1930, Kay est
la première femme à composer entièrement une comédie musicale: Fine and Dandy. Elle divorce en 1935, mais George Gershwin décède seulement deux ans plus tard. Elle travaille alors avec
son frère Ira à compléter et arranger des partitions de George non encore
publiées. Elle se retire ensuite dans un ranch, dans l’Oregon, avec son nouveau
mari, un cow-boy qui pratique le rodéo. Elle continue cependant de composer et publie même en
1943 un livre autobiographique sur sa nouvelle vie, lequel est adapté dans un
film (Mon cow-boy adoré, George
Marshall, 1950) dont elle signe la musique. Elle consacre la fin de son
existence à transcrire, annoter et jouer l’œuvre de George Gershwin. Pour son deuxième album sur le label
Swing Alley (Fresh Sound Records), Esaie Cid fait une nouvelle fois montre de
son approche savante et originale du répertoire en rendant cet
hommage mérité à Kay Swift. Auteur de l’ensemble des arrangements à la
coloration bop, l’altiste interprète ici des compositions célèbres ou obscures,
présentées en détail dans le livret, où figure également un court texte
d’introduction de la petite-fille de Kay Swift, l’écrivain Katharine Weber. Il
faut dire que lorsqu’Esaie Cid a commencé à s’intéresser à la compositrice –et
avant même d’imaginer lui dédier un album–, il a pris contact avec le Kay Swift
Memorial Trust dirigé par Katharine Weber, laquelle lui a fourni des
informations et lui a notamment permis d’avoir connaissance de la partition de
«When You Hear This Music», écrite au milieu des années 1950, pour une comédie
musicale qui fut un échec et sombra rapidement dans l’oubli. On doit également
à la collaboration bienveillante de Katharine Weber l’iconographie du livret,
dont un beau portrait de Kay Swift pris par George Gershwin en 1935.
A la profondeur de la démarche
correspond un album très abouti et superbement joué. Les complices
habituels d’Esaie Cid sont de nouveau de la partie: Gilles Réa, Samuel Hubert
et Mourad Benhammou, tous d’une grande subtilité; ils se trouvent renforcés par
l'un des plus solides représentants du trombone sur la scène parisienne,
l’incontournable Jerry Edwards, capable de s’adapter à tous les répertoires et
dont chaque solo est ici un régal. Les qualités de l’orchestre se manifestent d’ailleurs
dès le premier titre, «Once You Find Your Guy» (écrit pour Mon cow-boy adoré) dont le thème est d’abord joliment exposé
par Gilles Réa. La finesse et le beau son d’Esaie Cid s’apprécient
particulièrement sur «When You Hear This Music» ou sur «One Last Look» en duo
avec le trombone. Plus rythmé, «Nobody Breaks My Heart» met d’avantage en avant
le batteur, tandis que «Fine and Dandy» (un sommet d’élégance!) est introduit
et porté par Samuel Hubert. Enfin, le quintet donne une intéressante version de «Can’t
We Be Friends?» magnifiquement enluminé par le leader qui confirme sa capacité
à tirer du patrimoine une matière aussi belle que vivante.
Loin d’avoir épuisé son sujet, Esaie Cid pourrait
prochainement nous offrir un second volume de ce Kay Swift Songbook. En attendant, voilà un
formidable quintet qui aurait sa place dans les plus grands festivals. On peut
toujours rêver.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Martial Solal
Histoires improvisées (Paroles et musiques)
Count Basie, Liszt, Be Bop, Eric, Ellington, Manuellement, A
bout de souffle, Il était une fois un violon, Alger, Kenny, Léon Morin, Au trot,
Le guitariste, Chanson pour Amalia, Dizzy, Claudia, What is this Lee?, Marche
nuptiale, N'importe où
Martial Solal (p solo)
Enregistré le 29 juin 2018, Meudon (92)
Durée: 56’ 17”
JMS 113-2 (jms1@club-internet.fr)
Cet enregistrement propose une collection de petites perles
de culture qu’on peut savourer d’un trait pour l’atmosphère ou une par une, car
l’imagination cultivée de Martial Solal réserve dans chacune des pièces ses
petites surprises, citations-évocations, qui viennent titiller la curiosité, le
sourire, l’émotion. Imaginé comme un jeu par le producteur Jean-Marie Salhani
proposé au très joueur Martial Solal, cet ensemble de dix-neuf courtes pièces
tirées à la courte paille à partir de mots, de noms et de prénoms, est basé sur
l’improvisation nous dit Martial Solal, l’imagination avec le risque, dont la
matière doit beaucoup aux souvenirs («Léon Morin», «A bout de souffle»), à la culture
(«Liszt»), aux rêves («N'importe où»), à l’humour («Au trot») et aux
associations d’idées, y compris dans ce qu’en fait le maître pianiste, comme ce
«Manuellement» dédié à Manuel Rocheman ou ce «Be Bop» dédié à Charlie Parker. Les
souvenirs sont aussi mêlés à l’amour comme «Marche nuptiale», «Eric», «Claudia»
ou «Chanson pour Amalia», à la nostalgie, comme «What is this, Lee?», «Alger»,
«Kenny» (Clarke), les admirations-inspirations, comme «Le guitariste» (Django),
«Count Basie», «Ellington», «Dizzy» et beaucoup d’autres sentiments, tous se
mêlant sous les doigts chargés du poids d’un si extraordinaire parcours d’un
virtuose de l’instrument, jalonné de rencontres extraordinaires depuis cette
Alger «la Blanche» jusqu’à Paris, New York et l’Amérique en général… Martial Solal en liberté, avec ce fond si
marqué par le beau piano classique de l’époque moderne du XIXe au XXe siècle
(la beauté des mélodies et des harmonies), dont il fait bénéficier son jazz,
c’est un trésor culturel.
Le producteur a raison de ne pas se résoudre à la retraite
de Martial Solal: c’est dans ces moments de totale liberté qu’on apprécie les
artistes dans ce qu’ils ont de plus intime, personnel et
profond. La voix de Martial Solal pour préfacer, après tirage au sort, les
thèmes qu’il va imaginer participe de cette impression d’intimité d’un disque qui semble enregistré at home, au coin du feu.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Xavier Mathiaud
Blue Corner
Laura, Three Views of a Secret, Au bonheur de vivre, Cool
Breeze in the Rain, Sandu, Canopée, Dolphin Dance, Naxos Garden, Balkan,
Swinging Valse, So So Sad Without You
Xavier Mathiaud (tp, flh, dir), Yvon Guillard (tp)2,5,
Laurent Mignard (tp)9, Alon Peylet (tb)2,5, Serge Garnier (ts)11, Sophie
Mathiaud (fl)1, Jeff Bernicchia (clav)3,4,7,8, Michel Berry (clav)1,2,6,10,11,
Cliff Lisette (g)1,5,11, Léo Blumenfeld (b)3, 4, 7, 10, Thierry Carpentier (b)
2,5,6,9, Antonin Charrel (b) 1,11, Michel Bomptemps (dm)2,5,6,9, Richard
Pottier (dm)1,11, Fabrice Sansonetti (dm)3,4,7, Nicolas Vranken (dm)10, Pascal
M’Bongue (voc)2
Enregistré en avril 2018, Mont-Saint-Père (02)
Durée: 51’ 38”
Autoproduit (06 07 18 01 77)
Voici une autoproduction où le trompettiste leader
Xavier Mathiaud, né en 1970 à Compiègne, et qui a fait de solides études de
trompette (classique) depuis l’âge de 7 ans avant de contracter le virus du
jazz, a mis tout ce qu’il avait de force et d’amis dans le projet. Financé par
un système de souscription en ligne, l’idée était de donner une illustration
sonore du travail de ce groupe de musiciens autour du trompettiste, avec un
invité de marque sur un thème en la personne de Laurent Mignard. Si les moyens
sont modestes, on le devine en allant sur le site consacré au projet, c’est une
musique de jazz bien travaillée, de qualité, où le leader fait preuve
d’excellentes qualités instrumentales («Dolphin Dance», d’Herbie Hancock), bien
entouré par un groupe de musiciens très investis et dans l’esprit, pour une
musique qui touche aux standards («Laura»), au répertoire hard bop (un
dynamique «Sandu» de Clifford Brown), ou fusion («Three Views of a Secret» de
Jaco Pastorius). Il y a une place pour des originaux du groupe comme un bon
«Naxos Garden» de Jeff Bernicchia, le pianiste, avec un bon échange avec Xavier
Mathiaud, un belle valse jazzée par Xavier au bugle avec un beau son («Swinging
Valse»), et encore d’autres thèmes qui témoignent de l’étendue des registres de
cette formation. Un beau catalogue promotionnel de ce qu’est capable de jouer
ce groupe, le projet est donc conforme à son ambition, et on ne doute pas que
cet enregistrement les a fait avancer sur le chemin musical, leur ouvrir des
scènes et qu’ils vont y prendre goût.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Erik Thormod Halvorsen
Social Call
Social Call, Watch What Happens, Ruby My Dear*, Latino Blue,
Little K., Blues for Henry P., I Should Care, A Beautiful Friendship, Exit
Summer*, Body & Soul
Erik Thormod Halvorsen (tp, flh), Dave Edge (ts, fl), Freddy
Hoel Nilsen (p), Frode Kjekstad (g), Agnar Aspaas b), Lars Erik Norum (dm), *
Tom Skjellum (tp), Odd Krogh (tp), Kjell Olav Martinsen (frh), Harald Halvorsen
(tb), Øivind Westby (btb)
Enregistré les 5-8 octobre 2017, Oslo (Norvège)
Durée: 49’ 10”
Losen Records 189-2 (www.losenrecords.no)
De Scandinavie en général, ne vient pas que le vent froid
des musiques actuelles qui écrasent, à coup de subventions, de conservatoires
et d’esprit de mode, tout autre expression jazzique depuis quelques années. Il
y a pourtant une longue tradition de jazz de toutes les époques et sensibilités qui
puise ses racines dans une longue et riche histoire de l’après-guerre. Ici,
c’est de Norvège que souffle ce vent d’autan, et c’est un jazz mainstream-bebop
par un ensemble de qualité dirigé par le trompettiste Erik Thormod Halvorsen
qui en est à son second disque en leader après Uppercase paru en 2015, pour le même label, en compagnie du
regretté et méconnu Louis Stewart, guitariste irlandais de talent dans le
registre bebop, disparu depuis.
En sextet et pour deux titres en onztet, la formation fait
preuve d’une belle musicalité, mettant en valeur un bon répertoire de standards
et d’originaux, avec ce qu’il faut de swing et de nuances pour une heure d’une
musique bien jouée. C’est la volonté affichée par le leader dans le texte du
livret («lyrical jazz»), et il y a
réussi. Les originaux («Little K.», une petite valse bien tournée, comme les
standards («Body and Soul» très sensible avec une belle partie de guitare) ou
les compositions jazz («Ruby, My Dear», en onztet dans cette esprit intimiste, bien
arrangé avec la complicité de Øivind Westby, le tromboniste), tout garde cette
unité de ton qui fait de ce Social Call (un fort beau thème de Gigi Gryce) une heure très agréable. Le leader, trop modeste,
ne se présente pas sur le disque, et ne présente pas ses compagnons; c’est
toujours dommage, car il y a la place. Sur internet, difficile de trouver de
quoi éclairer beaucoup notre lanterne. On y apprend que le bassiste, Agnar Aspaas,
né en 1955, auteur de «Little K.» est aussi psychiatre; que le bon guitariste
Frode Kjekstad (quelques disques à son actif), né en 1974, qui a accompagné
Deborah Brown, Gerald Wilson, Grant Stewart, Wendell Brunious, Johnny Griffin, Eric Alexander, entre autres,
a étudié avec l’excellent Randy Johnston, un autre méconnu de l’instrument qui
œuvre dans le jazz qui a le blues. On
devine que cet ensemble a déjà du métier, même si la mondialisation ne nous a
pas permis d’en connaître mieux les membres, et qu’il n’y a pas de bons
producteurs pour faire des textes de livrets, que le leader à un beau son de
trompettes et des qualités d’arrangeur pour diriger ce type de formation. Les
musiciens sont tout à fait recommandables, le bon guitariste en particulier. Le
miracle du langage commun du jazz fait que cet univers est parfaitement
accessible et familier pour tous les amateurs de jazz du monde et que s’il n’y
a rien d’inouï dans cette interprétation, c’est du jazz sans aucun doute, signe
que même en Norvège, la mémoire du jazz n’a pas encore été totalement balayée
par le vent mauvais des musiques normalisées.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Gustavo Cortiñas Snapshot
Esse
Dialectics
of Freedom*, Filosofía°, The Allegory of the Cave*, Intro to Arête, Arête°,
Cogito Ergo Sum°, Global Skepticism°, On Certainly°, Ubermesch*, Intro to the
Man of Flesh and Bone, The Man of Flesch and Bone*
Gustavo Cortiñas (dm, cymbales), Justin Copeland (tp), Roy McGrath* Artie Black° (ts), Adam Thornburg (tb), Hans
Luchs (g), Joaquín García (p), Kitt Lyles (b)
Durée: 1h
15’
Enregistré en 2016, Chicago
OA2 Records 22138 (www.originarts.com)
Gustavo
Cortiñas est né au Mexique et très jeune apprend la batterie, notamment avec
l’excellent batteur mexicain Hernán Hecht. Très doué, il part avec une bourse à
La Nouvelle Orleans pour s’imprégner du jazz et faire des études de
philosophie. D’où certains titres des thèmes de ce dernier disque Esse. On spécule d’ailleurs beaucoup sur
ce rapport à la philosophie dans la musique de Gustavo Cortiñas même si on peut
trouver dans «Cogito Ergo Sum» une sorte de réflexion musicale. On
ne contribue pas ainsi à valoriser la musique. Cortiñas part ensuite à Chicago
où il fréquente encore les meilleurs jazzmen de la ville. Esse est un bon disque que même des puristes du jazz
peuvent apprécier. A la tête de sa formation Snapshot, il interprète ses
compositions, toutes de qualité, tout comme son jeu à la batterie, énergique,
en témoigne (son intervention dans «Arête»). Il peut swinguer («Ubermensch»)
mais prend aussi d’autres directions parfois sophistiquées. Les influences
latines –si on excepte la clave du premier thème «Dialectics of
Freedom», à charge de Cortiñas lui-même– sont discrètes et bien fondues
dans la rythmique ou la mélodie. Ce très long thème dans sa première partie est
fondamentalement jazz et de bonne facture; s’y distinguent Joaquín García,
Roy McGrath et Justin Copeland. Deux grands saxophonistes alternent
au ténor. Black se distingue dans «Arête» tout comme le tromboniste
Adam Thornburg, mis en valeur aussi dans «Global Skepticism». On
appréciera aussi le piano et la trompette dans «Ubermensch» (le plus
jazz des onze thèmes) et la prestation de Justin Copeland dans le très lent «The Man of Flesh and Bone».
Patrick Dalmace
© Jazz Hot 2019
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Gwen Cahue
Memories of Paris
Here That Rainy Day, Sandu, Memories of Paris, Blues en
mineur, Pour Daniel, Time on My Hands, Luiza, Django's Blues Riff, A Little
Love-A Little Kiss, Tea for Two, The Man I Love
Gwen Cahue (g), Julien Cattiaux (g rythmique), William
Brunard (b), Henrik André (vln)
Enregistré les 13-14 mars, Montreuil (93) et 5-6 octobre 2017,
Rocheservière (85)
Durée: 37’ 16”
Label Ouest 304 045-2 (L’Autre Distribution)
Voici un modeste disque par l’apparence et la durée mais qui
nous propose la découverte d’un sacré bon guitariste qui s’exprime dans la
tradition de Django élargie au jazz avec une aisance, une décontraction audibles
à l’oreille qui laissent sans voix… Il suffit de se pencher sur «Sandu» de
Clifford Brown pour sentir tout à la fois le swing, la pulsation jazz, la
qualité d’expression, les articulations et la virtuosité de Django synthétisée
par ce jeune (d’après la photo) homme qui dit sillonner les routes avec sa
guitare depuis de longues années, ce qui sous-entend qu’il a commencé tôt ou
que la photo date. Sur le répertoire de Django himself («Blues en mineur»), il est impérial sans aucune servilité car son langage penche
davantage dans le jazz même s’il respecte les codes du «Divin Manouche».
Cela dit, on va se renseigner. On sait déjà par les
remerciements qu’il est familier de l’excellent Daniel Givone et de l’ouest du
pays. Sa musique respire avec une expressivité et une poésie qui émerveillent.
A découvrir de toute urgence, une urgence qui a sans doute présidé à la
fabrication du disque. Ce qui est bon pour la musique ne l’est pas toujours en
matière de production pour une si belle musique inspirée, mais il faut bien
commencer, et c’est un beau début enregistré. Une découverte déjà
indispensable. Bravo!
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Bastien Ribot
Violin Standards
Une nuit au violon, Django, Minor
Swing, Round Midnight, Bowing
Bowing, C Jam Blues,
Yesterday, Lady Be Good, Donna a Fiori, You'se a Viper, Pent up House
Bastien Ribot (vln), Mathias Levy (vln), Emile Melenchon
(g), Maxime Berton (ts, ss), Laurent Coulondre (org), Gautier Garrigue (dm)
Enregistré en janvier 2018, Villetaneuse (93)
Durée: 55’ 21”
Frémeaux et Associés 8556 (Socadisc)
Un disque décevant dans la tradition de Django, c’est rare
mais ça arrive, et sans doute est-ce un problème de jeunesse et d’état d’esprit
plus que de capacité technique. La
présence d’Emile Melenchon sur trois pièces relève la qualité d’expression, et
Laurent Coulondre est lui-même bon organiste comme Gautier Garrigue est bon
batteur. Mais à trop vouloir montrer, on ne démontre pas grand-chose malgré les
stickers de récompenses qui encombrent le visuel, et malgré une sélection de
beaux thèmes qui aurait dû valoir un bon disque et qu’on n’a pas le droit de
mal traiter de cette façon. Question d’âme. On sauvera de l’ensemble «Django»
pour Emile Melenchon et «Pent Up House» pour le duo bien enlevé à deux violons
avec Mathias Levy.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Scott Reeves Jazz Orchestra
Without a Trace
Speak Low, Without a Trace, All or Nothing at All, Incandescence,
Juju, Shapeshifter, Something for Tadd
Scott Reeves (dir, tb, aflh, arr), tp: Seneca Black, Nathan
Eklund, Chris Roger 1-4, Bill Mobley 5-6, Andy Gravish; tb: Tim Sessions, Matt McDonald, Matt Haviland, Max
Siegel (btb); Steve Wilson (as,ss,fl), Vito Chavuzzo (as, fl), Rob Middleton
(ts, cl), Tim Armacost (ts), Terry Goss (bar) 1-4, Jay Brandford (bar) 5-7, Carolyn
Leonhart (voc) 2
Enregistré en janvier 2015 et janvier 2017, New York
Durée: 51’ 50”
Origin Records 82752 (www.originarts.com)
Excellent enregistrement d’un big band new-yorkais sous la
baguette de Scott Reeves, auteur d’arrangements originaux d’une facture moderne
se plaçant dans le prolongement des orchestrations de Gil Evans, Bob Brokmeyer,
autrement dit des arrangement savants, même si le dernier thème en hommage à
Thad Jones est arrangé de manière plus conforme à l’esprit du Thad Jones-Mel
Lewis Big Band, comme «All or Nothing at All». Jim McNeely est salué par Scott
Reeves comme inspirateur des compositions. Le leader tire également sa
révérence à Duke Ellington, et sa bonne utilisation des qualités particulières
des instrumentistes peut y faire penser, même si le répertoire et l’esprit sont
plus loin de cet ensemble. Si l’écriture est sophistiquée, précise, elle laisse
beaucoup de place aux solistes comme Steve Wilson, Jim Ridl, Scott Reeves
lui-même au trombone, etc. Le big band respire le travail d’une
mise en place aboutie et une grande liberté d’expression. Le disque est donc
une parfaite réussite par un musicien exigeant. La liste des participants à ce
big band ne laisse planer aucun doute sur le professionnalisme de Scott Reeves,
avec dans les différentes sections des musiciens aussi pointus que Steve
Wilson, Bill Mobley, Seneca Black, Jim Ridl…
Ce qui s’explique car Scott Reeves a non seulement étudié de
manière approfondie mais est lui-même enseignant de jazz et il publie des
arrangements. Originaire de Chicago, il a fréquenté l’Indiana University où il
a obtenu ses diplômes pour le trombone et ses études de jazz. Il a étudié
l'improvisation avec David Baker, Woody Shaw et Kenny Werner, l’arrangement avec
Manny Albam, Mike Abene, Jim McNeely, Mike Holober et le trombone avec Thomas
Beversdorf, Lewis Van Haney et Dennis Smith. Scott Reeves enseigne depuis 1976 le
jazz au niveau universitaire et actuellement au City College de New York. Il a
précédemment occupé des postes à la Juilliard School, à l'Université du sud du
Maine, à la Virginia Commonwealth University, à la Memphis State University et
à la Western Washington University. Scott Reeves présente fréquemment des
ateliers et des concerts aux Etats-Unis, au Canada, au Japon, en Italie, et il
participe au BMI Jazz Composers Workshop à New York en tant que compositeur.
En dehors de cet excellent Without a Trace, signalons la sortie en 2016 de Portraits and Places par le même big band de Scott Reeves. Scott
Reeves ne se limite pas au big band, il a enregistré en quintet (Shape Shifter), Congressional Roll Call (Bill Mobley, James Williams et Kenny
Werner), Tribute (quatre trombones, les
Manhattan Bones). En sideman, on le retrouve avec Dave Liebman et Bill Mobley. Un bel enregistrement.
Yves Sportis
© Jazz Hot 2019
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Wynton Marsalis Septet
United We Swing
The Last Time, It Takes a Lot to Laugh It Takes a Train to Cry, I’m
Gonna Move to the Outskirts of Town, I’m not Rough, Creole Love Call, Milk Cow
Blues, I’m Gonna Find Another You, My Baby Don’t Tolerate, The Worst Thing,
Please Baby Don’t, Mean Old Man, Are You Gonna Go My Way, Fool’s Paradise,
Empty Bed Blues*, I Wish I Knew How It Would Feel to Be Free, What Have You
Done?**
Wynton Marsalis (tp, p*, voc**) et selon les morceaux Wycliffe Gordon,
Ronald Westray (tb), Wess Anderson, Fab Dupont (as), Victor Goines (ts, cl),
Doug Wamble, Mac McAnally (g), Dan Nimmer, Eric Lewis, Richard Johnson, Jon
Batiste (p), Carlos Henriquez, Reginald Veal (b), Herlin Riley (dm), Robert
Greenidge (steel drums) + divers invités précisés dans le livret
Enregistré le 2 juin 2003, le 7 juin 2004, le 6 juin 2005, le 5 juin
2006 et le 14 mai 2007, New York
Durée: 1h 10’ 39’’
Blue Engine Records 011 (www.jazz.org/blueengine)
Depuis 2015, le programme Jazz at Lincoln Center possède son propre label, Blue
Engine Records, lequel s’est donné pour objectif essentiel de mettre à
disposition des amateurs des enregistrements live du Jazz at Lincoln Center
Orchestra et d’autres formations autour de Wynton Marsalis. On imagine, en plus
de trente ans d’activité, les trésors qui doivent sommeiller dans les archives
de JALC dont la qualité et la densité de programmation font rêver. Blue Engine
Records est ainsi aujourd’hui à la tête d’un catalogue d’une bonne dizaine de
références (qu’on peut désormais se procurer directement sur sa boutique en
ligne) dont on attend qu’il continue de s’enrichir de belles sessions, en
particulier de celles revêtant un caractère historique (comme le concert de
Betty Carter de 1992 édité par le label en début d’année).
Avec United We Swing, Blue Engine
Records propose son premier «best of», lequel se heurte aux limites
inhérentes à ce type de production. Il s’agit d’un florilège portant sur cinq
soirées de concert sous l’égide du Wynton Marsalis Septet (les quatre premières
captées à l’Appolo Theater, la dernière au Lincoln Center). Si le livret (qui
malheureusement se contente de renseigner le détail des différents orchestres)
ne redonne pas le contexte de ces cinq soirées, dont les extraits sont livrés
dans le désordre, on comprend que chacune d’elle a réuni plusieurs «special
guests» autour du septet. Par exemple, on retrouve, sur le même concert du 2
juin 2003, Ray Charles (p, voc, titre 3: «I’m Gonna Move to the Outskirts of
Town»), Eric Clapton (eg, voc, titre 4: «I’m not Rough»), Audra McDonald (voc,
titre 5: «Creole Love Call»), Willie Nelson (eg, voc, titre 5: «Milk Cow
Blues») et Carrie Smith (voc, titre 14: «Empty Bed Blues»); on conclut ainsi à
la thématique plutôt blues de cette soirée (le blues étant la dominante forte de
l’album). Par ailleurs, la présence d’invités «hors jazz», dont certains à forte
notoriété, comme Bob Dylan ou Lenny Kravitz, peut laisser à penser que cette compilation
est aussi un produit marketing, avec un potentiel de ventes plus élevé, de même
qu’un outil promotionnel pour le JALC auprès du grand public. Pour autant,
compte tenu du niveau des solistes du septet et du répertoire proposé, cet
album reste un disque de jazz et même globalement un bon disque de jazz, malgré
quelques faiblesses selon la nature des guests.
Evidemment, c’est bien meilleur quand le septet de Wynton Marsalis donne la
réplique à un artiste de la dimension de Ray Charles qui nous livre ici un
blues intense. On peut en dire autant de la chanteuse Carrie Smith (1925-2012),
laquelle n’interprète pas le blues, mais le parle tout simplement. Sa voix
chaude est excellemment soutenue par Wynton Marsalis, ici au piano, et nourrie
du dialogue avec le trombone (et sourdine) de Ronald Westray, qui chante comme
une seconde voix. On a également droit à une superbe version de «Creole Love
Call» par la comédienne et chanteuse Audra McDonald (née en 1970) qui mêle les qualités techniques d’une
grande voix d’opéra et l’expressivité afro-américaine. Le groupe vocal Blind
Boys of Alabama (Clarence Fountain, Jimmy Carter, Eric McKinnie, Joey Williams,
Bobby Butler) qui intervient sur le spiritual «The Last Time» (magnifique)
étant le dernier interlocuteur pleinement ancré dans la musique de culture.
Quant au titre qui conclut l’album, «What Have You Done?», un remarquable
original de Wynton Marsalis, il est le seul à ne pas comporter d’invités. Pour
la peine, le septet se mue en octet (Wess Anderson, Victor Goines, Wycliffe
Gordon, Doug Wamble, Dan Nimmer, Reginald Veal, Herlin Riley). La partie chantée,
avec appels et réponses, assurée de façon collégiale, évoque le vaudou et les chants des
Black Indians de New Orleans, tandis que le riff de guitare puise aux sources de la musique cajun et zydeco.
Les autres invités appartiennent plus ou moins à la sphère rock-folk-country et
il s’agit essentiellement de guitaristes-chanteurs (ici avec ou sans guitare):
Bob Dylan (voc, hca), Lenny Kravitz,
Eric Clapton, Willie Nelson, John Mayer, Lyle Lovett (eg, voc), Nathalie
Merchant, James Taylor, Jimmy Buffett, Susan Tedeschi (voc) et Derek Trucks
(eg). La communication avec l’orchestre de Wynton Marsalis s’établit donc assez
naturellement sur le terrain commun du blues. On passe encore de très bons
moments mais on les doit d’abord à l’immense talent des musiciens du septet. On
retiendra en particulier la réjouissante introduction new orleans (Victor Goines,
ici à la clarinette, est impérial) sur «I’m not Rough» avec Eric Clapton,
tandis que la version blues-jazz du tube de Lenny Kravitz, «Are You Gonna Go My
Way», si elle est bien exécutée, demeure artificielle. Quant aux prestations vocales
de James Taylor et Jimmy Buffett, elles apparaissent dénuée d’intérêt, à la
différence de celle de Susan Tedeschi qui donne une jolie couleur soul au beau
gospel de Billy Taylor et Richard Carroll, «I Wish I Knew How It Would Feel to
Be Free».
Ce United We Swing illustre ainsi la
politique pratiquée par Wynton Marsalis visant à placer le jazz et le blues au
centre de la musique populaire américaine en créant des ponts avec des
branchages plus lointains. (c’est d’ailleurs le sens du titre de l’album). Du
fait de son parcours et de son habileté, il se sort mieux de cet exercice
d’«ouverture» que beaucoup d’autres, mais le résultat reste quand même moins
intéressant que lorsqu’il se maintient pleinement sur le terrain du jazz de
culture. Les plages quelque peu inégales de ce disque le démontrent.
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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Vincent Périer
Elle est pas belle, la vie?
Félins pour l’autre, Chanson pour Cassiopée, Valse pour
Katar, Pinot noir, Greensleeves, Mer alcaline°, Dommage, Theme for Joel, Lover
Come Back to Me, I’m Through With Love*, L’Écharpe Bleue
Vincent Périer (cl, ts, arr), Julien Bertrand (tp)°, Romain Nassini (p, ep),
Brice Berrerd (b), Yvan Oukrid (dm), Célia Kameni (voc)*
Enregistré les 21-22 février et 27-28 avril 2017,
Couzon-au-Mont-D’Or (69)
Durée: 1h 03’ 51”
Autoproduit VP-1 (vincentperier.com)
Vincent Périer Septet + Célia Kaméni
Les Yeux qui brillent
Peine Perdue*, Stardust, Les Yeux qui brillent*, SVP, Lover
Man, I Found the Answer, Cheek to Cheek, Blues in the Night, Regrets, I Believe
in Music, Silencieuse
Célia Kaméni (voc), Vincent Périer (cl, ts, arr), Julien Bertrand (tp, flh), Loïc Bachevillier
(tb), David Bressat (p, org), Thibaut François (g), Thomas Belin (b), Francis
Decroix (dm), Lisa Caldognetto, Claudine Pauly, Célia Kaméni (chœurs)*
Enregistré les 9-11 janvier 2018 et 6 février 2018, Tarare
(69)
Durée: 59’ 42”
Autoproduit VP-2 (vincentperier.com)
Voici une double découverte dans le vivier des groupes qui
animent la scène du jazz de l’hexagone avec beaucoup de mérites dans le
contexte actuel. Ces ensembles paraissent être nés dans la région lyonnaise et
stéphanoise, ce qui montre que le jazz a cette vertu de dépasser les querelles puériles
de clocher ou plus importantes de classes entre la bourgeoise métropole du
Rhône et la prolétaire cité du Forez. Au passage, un petit reproche avant les
compliments: pour découvrir, il faut aussi avoir des informations
biographiques, et pour être autoproduits, il y a quand même la place sur ces
livrets, brillamment illustrés et avec humour, de présenter la musique et les
musiciens. En l’absence de ces éléments qui font partie pourtant de la
tradition du jazz, il faut aller sur le site de Vincent Périer pour approcher
au moins le leader.
Vincent Périer, saxophoniste, clarinettiste, compositeur et
arrangeur, né à Aurillac (Cantal) en 1980, vit à Lyon après avoir été
Stéphanois d’adoption. Il se décrit comme inspiré par Charlie Parker, Duke
Ellington, James Brown, et par la musique afro-américaine dans son ensemble. Après
le Conservatoire de Saint-Etienne en classe de jazz, il obtient en 2002 un master
portant sur la musique de Charlie Parker. Il a étudié l’arrangement avec Pierre
Drevet au Conservatoire de Chambéry. En 2004, il devient musicien professionnel
dans divers groupes de la scène musicale au sens le plus large. Il étudie
l’écriture, la composition et l’orchestration avec François Piguet-Ruynet (CRR
de Saint-Etienne), puis participe à de nombreux projets musicaux où le jazz
domine parfois (Bopping with Django, etc.). Il dirige ses formations de jazz,
le Vincent Périer Quartet depuis 2009, ainsi que le Vincent Périer Septet
depuis 2013 avec la chanteuse Célia Kaméni. C’est donc la concrétisation de ces
deux derniers projets que nous avons sous les yeux et à l’oreille avec ces deux
disques enregistrés en 2017 et 2018. La musique fait effectivement référence au
jazz des racines, dans une veine post bop qui ne néglige pas de repiquer par
moment dans le répertoire des standards. La qualité des arrangements et des
compositions originales témoigne que les études de Vincent Périer ont, pour
cette fois, donné un résultat probant.
Pour le premier disque, surtout instrumental et en quartet,
en dehors d’une intervention remarquée de Célia Kaméni sur un beau standard
(«I’m Through With Love») et du bon Julien Bertrand («Mer Alcaline»), Vincent
Périer démontre ses qualités de soliste à la clarinette, de sonorité au ténor,
très profond frisant le baryton («Valse pour Katar»). Sa f | |