Cormòns (Italie)
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17 nov. 2013
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Jazz & Wine of Peace, 25-27 octobre 2013
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© Jazz Hot n°665, autumn 2013
La XVIe édition de Jazz & Wine a confirmé que le mariage entre la musique de qualité, le terroir et les dégustations de produits locaux constitue une formule victorieuse. Outre les habituels rendez-vous au Teatro Comunale di Cormòns et à la Kulturni Dom di Nova Gorica, une fois encore l’idée de placer les événements près des caves et des exploitations agricoles s’est révélée heureuse. De plus l’extrême proximité de la Slovénie et de l’Autriche a attiré un public nombreux de ces pays. Quant à la programmation elle a été savamment répartie entre des concerts attendus et des propositions de niches et d’attentions aux avant-gardes.
Mike Stern illustra avec honnêteté intellectuelle les sources d’une approche désormais consolidées : Jim Hall dans certaines délicates « nuances » sonores ; Wes Montgomery dans des aspects délicieusement jazzistiques du phrasé ; le blues de B. B. King dans la manière quasi « vocale » de modeler les phrases ; Jimi Hendrix par l’usage calibré de la distorsion. Le langage de Bob Malach (ts) dérive de l’axe Coltrane-Brecker-Berg, tandis que, dans le couple rythmique Tom Kennedy-Keith Carlock, on doit détacher le bassiste pour sa capacité à donner la respiration aux exécutions, spécialement à l’instrument acoustique.
Le quartet de Joshua Redman est une vraie machine de guerre, qui explore les pistes modales grâce aux polyrythmiques tonnantes de Gregory Hutchinson (dm), aux lignes bien remplies de Reuben Rogers (b) et aux harmonisations puissantes de Aaron Goldberg (p), débiteur de Hancock. Pour Redman, Wayne Shorter représente une référence obligée : non seulement par la relecture méditée de « Infant Eyes », mais aussi par certaines progressions harmoniques. Puis, il puise dans l’hérédité de Coltrane, surtout dans certaines nuances du son, mais il regarde aussi vers Benny Golson, Hank Mobley et Dexter Gordon.
Le quartet Zvuk – Luciano Caruso (ss), Jacopo Giacomoni (as), Alberto Collodel (bcl), Piero Bittolo Bon (bs) – propose un ingénieux assemblage de fragments monkiens , réalisé avec une rigueur collective et une distribution cristalline des voix.
Klaus Gesing (ss, bcl) superpose les instruments par le biais d’échantillonnages, élaborés de trouvailles populaires et de musique ancienne, dans le sillage de John Surman et de Gianluigi Trovesi.
Dans le 4-tet Buenos Aires, Heiri Känzig (b) a inséré le bandonéon de Michael Zisman en fonction étroitement complémentaire de l’élégant dessin mélodique, de l’ample respiration des thèmes, et du bugle de Matthieu Michel. Lionel Friedli (dm) contribue à la dialectique, qui, à certains traits, rappelle le travail de Dino Saluzzi avec Enrico Rava et Palle Mikkelborg.
Moins efficace est la proposition d'Armando Battiston (p, kb, fl), qui en duo avec Claudio Mazzer (perc) ressasse des suggestions latines et africaines à travers des originaux et des morceaux de Don Pullen, Charlie Haden, Eric Dolphy et Michel Camilo.
Dans le quintet scandinave Atomic, l’interaction explosive entre Fredrik Ljungkvist (ts, bs, cl) et Magnus Broo (tp), et l’impact rythmique tellurique produit par Håvard Wiik (p), Ingebrigt Håker Flaten (b) et Paal Nilssen-Love (dm), remettent en discussion la mémoire historique du free, l’improvisation radicale européenne, l’héritage de l’AACM et les stimulations de la nouvelle scène de Chicago grâce à un travail approfondi sur les timbres et un sens remarquable du collectif.
Dans le quartet géré par Joe Fonda (b) et Michael Jefry Stevens (p), confluent, dans une synthèse harmonieuse, des emprunts modaux, des phases atonales, l’essence du blues, des constructions sérielles et un lyrisme sec. Fonda est le moteur du groupe, avec son coup d’archet pénétrant et la constante recherche du timbre, qui contrastent avec le drumming découpé de Harvey Sorgen. Stevens se signale par le toucher essentiel et la profondeur de l’exploration harmonique, tandis que Herb Robertson (tp) produit soit des phrases crépitantes aussi bien que des dynamiques nuancées, grâce à l’usage des sourdines.
Avec le quintet Snakeoil, Tim Berne poursuit son œuvre de renouvellement du rapport entre l’écriture et l’improvisation. La musique est densément structurée, mais la partition ne limite pas les singles à l’intérieur de cages rigides. Plutôt, elle les met dans les conditions d’interagir et de développer de puissants collectifs où l’élément rythmique joue un rôle fondamental, remettant à zéro les hiérarchies. Les bandes itératives sur lesquelles se fondent les exécutions ont pour fonction de créer un terrain solide pour les évolutions des solistes et pour la dialectique soutenue entre le sax alto du leader et les clarinettes d’Oscar Noriega. Les lignes thématiques sont souvent doublées par le vibraphone de Ches Smith, qui, à la batterie construit des figures rationnelles et spartiates. Matt Mitchell (p) déroule un infatigable travail de couture des trames, aussi bien rythmiques que mélodiques. Musique clairvoyante, de qualité sublime, comme les vins du Collio.
Enzo Boddi Traduction : Serge Baudot
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