Après František Kupka (cf. ci-dessous) et Willy Ronis (éditorial de Jazz Hot n° 684), tous deux amis de Charles Delaunay, Paul Robeson est le troisième artiste en
2018 à faire l’objet
d’une exposition à Paris, en lien avec Jazz Hot (même si ce n’est jamais évoqué par les metteurs en scène de ces expositions) et l’histoire des luttes
mondiales du XXe siècle. Comment pourrait-il en être autrement quand le jazz (né des champs de coton et de tabac, de la déportation, de l’éclatement des
corps sociaux, de l’esclavage, de la ségrégation, de la violence et du racisme,
promus en «modèle» de développement économique) rejoint les arts
populaires libres issus de la Grande Révolution des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 revendiquant la dignité et l’humanisme. Ces artistes ont
contribué avec d’autres à modeler la force et la clarté de la pensée de Martin
Luther King, non plus seulement sur une question de «couleur» supposée ou de
pays, mais sur une question d’équité, de justice, de liberté, de droits
civiques, de dignité, se battant chacun avec leurs talents
partout où ils étaient utiles dans la lutte fraternelle, et tous avec cette
conviction chevillée au corps: les humains sont égaux. «L’artiste doit
choisir de se battre pour la liberté ou l’esclavage. J’ai fait mon choix. Je
n’avais pas d’alternative» dit Paul Robeson à Londres le 24 juin 1937 dans un concert de
soutien aux réfugiés républicains espagnols. Epoque de forte cohérence idéologique.
Paul LeRoy Bustill Robeson est né
à Princeton, NJ, le 9 avril 1898. Ce beau (a été pris comme modèle par plusieurs
artistes) géant qui parlait plus de vingt langues, a été acteur de théâtre (un
des premiers Othello en 1930 à Londres) et de cinéma, athlète dans quatre
disciplines, et il reste le chanteur baryton-basse d’un «Old Man River» de légende (https://www.youtube.com/watch?v=eh9WayN7R-s) dans le film Show Boat (de James Whale en 1936, musique
Jerome Kern et Oscar Hammerstein II, 113 mn, USA).
Paul Robeson soutenait les luttes
de ses frères humains, et écrivait... Il restera toujours aussi révolté et
libre de parole, quelles que soient ses affinités, de l’hymne du ghetto juif de
Varsovie chanté en URSS en 1949, aux grèves des mineurs d’Ecosse https://www.youtube.com/watch?v=B0bezsMVU7c, de l’Afrique (colonisée, du Sud en particulier de l’apartheid) à la
République Espagnole, des Etats-Unis de Joe Hill (chanson populaire), des
grèves d’Oakland ou des lynchages, à la Chine en lutte contre l’envahisseur
japonais.
Sans doute parce que son père était né esclave dans une plantation de
Caroline-du-Nord qu’il avait fuie à 15 ans, puis après des études, était devenu pasteur presbytérien. Sans doute parce que sa mère, née dans une famille
abolitionniste, mourut dans un incendie quand Paul avait 6 ans. La vie se
chargea de le faire mûrir vite et de lui donner l’oreille absolue en matière
d’humanisme et d’humanité.
Autant dire qu’il était regardé de travers par les
pouvoirs et potentats de la planète compte tenu de sa capacité légitime à
fédérer les énergies contre l’arbitraire. Il épouse Essie (Eslanda Cardoso
Goode née en 1895 à Washington DC, d’une famille descendant d’Espagnols juifs
et d’Afro-Américains de Caroline du Sud ayant exercé des fonctions politiques
et publiques dès 1868). Elle est aussi biologiste, anthropologiste et la manager de la carrière
d’artiste de son mari, qui partage ses combats et ses voyages de soutien et de
mobilisations sociales et politiques; pendant le maccarthysme, ils se verront
retirer leurs passeports pendant plusieurs années pour communisme,
«chassés» comme Claude McKay (dont il interpréta le personnage de Banjo,
dans Big Fella, film britannique de J. Elder Wills en 1937, https://www.youtube.com/watch?v=9HgJqKa0e8c), et comme Langston Hughes, qui comptaient parmi les
intellectuels afro-américains à avoir "fait le voyage à Moscou"
dans les années 1920-1930. Richard Wright fut également obligé de fuir la «chasse aux
sorcières» à Paris où il mourra en 1960. Essie mourra en 1965 et Paul
Robeson le 23 janvier 1976 dans l’oubli à Philadelphie, après avoir passé
du temps à Harlem.
- Camille (Ralph Barton, 1926, 33
mn, USA, rareté rééditée en DVD avec Charlie Chaplin où Paul Robeson joue le
rôle d’Alexandre Dumas Fils, dans une adaptation libre de La Dame aux Camélias)
- The Proud Valley (Pen
Tennyson,1940, 76 mn, Royaume Uni)
- Native Land (Leo Hurwitz et Paul
Strand, 1942, 80 mn, Usa)
- Tales of Manhattan (Six Destins,
Julien Duvivier, 1942, 127 mn, Usa, rareté par un casting prestigieux)
- Le Chant des Fleuves (Das Lied
der Strome, documentaire de Joris Ivens, 1954, 90 mn, République Démocratique
Allemande, musique Dmitri Chostakovitch, Lyrics Bertolt Brecht, Semion
Kirsanov, Chant: Paul Robeson)
- Paul Robeson: Tribute to an
Artist (documentaire Saul J. Turell, 1979, 30mn, USA, narration Sidney Poitier)
Pour
compléter la visite
François Bovier, «Paul Robeson et
la représentation des Noirs dans le cinéma de l’entre-deux-guerres.
Primitivisme et double conscience», Gradhiva [En ligne], 19 | 2014, mis en
ligne le 01 mars 2017
«Je joue et je parle pour les
Noirs comme seul Shakespeare était capable de le faire. Cette pièce porte sur
le problème des minorités. Elle concerne un Maure au teint noir (blackamoor)
qui recherche l’égalité parmi les Blancs. C’est fait pour moi. […] [C]’est une
pièce qui est d’un grand intérêt pour nous, modernes, aujourd’hui, qui sommes
confrontés au problème des relations entre différentes races et cultures. Bien
sûr, c’est aussi une pièce sur l’amour, la jalousie, la fierté et l’honneur –
des émotions communes à tous les hommes.»Paul Robeson, entretien in «PM
and Paul Robeson’s Reply», septembre 1943.
Cette exposition fourmille de
documents (visuels, films, écrits, informations) regroupés par thématiques,
permettant d’aborder une personnalité débordante de vie(s).
Kupka, Pionnier de l'art abstrait Exposition du 21 mars au 30 juillet 2018, Grand Palais, Paris. www.grandpalais.fr
A l'occasion de l'exposition(21 mars au 30 juillet 2018) au Grand Palais de la rétrospective de l’œuvre de František Kupka (23 septembre 1871, Opočno, Bohème - 24 juin 1957, Puteaux, 92) et de la sortie du documentaire Kupka, Pionnier de l'art abstrait produit en DVD par Zadig Productions à voir sur Arte dès maintenant, Jazz Hot devait saluer un vieux compagnon parmi les peintres. En 1935 (date de la création de Jazz Hot), Kupka fait une série de tableaux justement intitulés «Jazz Hot», et d'autres sur le jazz, le rythme et la musique.
Anarchiste avant tout, happé par Paris et inlassable combattant de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, de la libre pensée et de la laïcité, il réalise de magnifiques dessins, notamment de presse, comme «L’Ouvrier crucifié» de 1906: tout y est dit.Anticlérical et antimonarchiste, sa lutte précoce contre les profiteurs et oppresseurs de tout poil le mènent à la civilisation de l'Afro-Amérique, son jazz hot, ses disques, ses rythmes et ses couleurs. Il arrive à Paris et Montmartre précisément en 1896 (il a 25 ans) et Sonia Stern-Terk qui deviendra Sonia Delaunay (en épousant Robert, les parents de Charles, un des fondateurs et la cheville-ouvrière de Jazz Hot de 1935 à 1939), peintre aussi, sa cadette de 14 ans, née en Ukraine –tous deux de familles modestes– arrivera à Paris, Montparnasse, neuf ans plus tard en 1905, elle a 20 ans.
Le rapport magique de Montmartre et Montparnasse aux peintres-artistes étrangers à cette époque (cf.Paris Années Folles, produit par Program33), les «cercles» de couleurs et des rythmes des deux artistes devaient s'enlacer… Dans sa vie plus qu'intense et volontairement protégée des mondanités et compromis foireux, Kupka aura un ami-mécène-client, Jindřich Waldes, industriel de Bohème qui finira dans les camps nazis, après avoir été dépouillé.
Alors, Kupka, peintre «abstrait»? Ça demande réflexion, sauf à se contenter de la surface des choses… Car Kupka était presque cliniquement proche du réel, mais sa perception était sans doute extralucide pour certains. Il participera d'ailleurs au premier Salon des réalités nouvelles créé entre autres par Sonia Delaunay à l’été 1946 et aux suivants. Pour Kupka, les couleurs avaient une forme, comme pour Claude Debussy ou Billy Strayhorn, les sons avaient des couleurs: ce qui est abstrait pour les observateurs est souvent très concret et réel pour les artistes visionnaires. Jazz Hot et Kupka ne pouvaient pas se séparer; il est enterré au Père-Lachaise, près aussi du Mur des Fédérés, celui des Communards fusillés au printemps 1871, quatre mois avant la naissance de František Kupka, l'anarchiste, non loin du siège actuel de notre revue. Une vie comme un cercle: parfait, cinétique, rythmé et coloré…
Les 80 ans de Jazz Hot à la Jazz Station de Bruxelles
Jazz Station, Bruxelles
Saint-Josse-ten-Noode, Bruxelles, ExpositionLes 80 ans de Jazz Hot , une
histoire franco-belge, du 22 mai au 26 juin 2015,. www.jazzstation.be
Le 21 mai dernier, à Bruxelles, se déroulait le vernissage de l’exposition intitulée « Jazz Hot 80 ans, une histoire franco-belge », à l’occasion de l’anniversaire de
notre revue. Réalisée à partir du fonds d’archives dont les
conservateurs ne sont autres que nos excellents correspondants
Jean-Marie Hacquier et Pierre Hembise, l’exposition propose, au travers
de panneaux, avec force livres, revues, photos et même un petit film, un
retour sur les 80 ans d’une histoire où la Belgique et ses
musiciens, Django Reinhardt le premier, né à Liberchies, mais aussi René
Thomas, Toots Thielemans, Bobby Jaspar, Sadi, Jacques Pelzer, et Michel
Herr, Philip Catherine encore récemment… plus une mutltitude d’autres
musiciens, sont venus enrichir la grande histoire internationale du
jazz, celle que raconte Jazz Hot depuis 1935, sans oublier un
petit détour par les Belges d’adoption comme Chet Baker ou ceux qui ont
apporté sur place leur graine à cet amour du jazz (John Coltrane à
Comblain, par exemple) si fertile de l’autre côté des Ardennes.
La Belgique a eu également des critiques historiques, qui ont d’ailleurs contribué à Jazz Hot (Robert Goffin, Carlos de Radzitzky, Albert Bettonville), tradition
respectée par Jean-Marie Hacquier qui reste fidèle à notre revue –avec
une coupure dans les années 1970– depuis la fin des années 1960, ce qui
en fait un doyen par la participation si ce n’est par l’âge.
Le vernissage de l’exposition a donné lieu à un débat animé sur Jazz Hot bien sûr, mais plus largement sur le jazz, son essence, sa vie, son
actualité, son futur, ses artistes, ses marges, débat dont les amateurs
ou professionnels du jazz raffolent toujours, tant le jazz reste une
passion inépuisable. Robert Jane, Michel Herr, Phil Abraham, Georges
Tonla Briquet, animateur de Jazzmozaiek, l’excellente revue de
jazz en langue flamande, l'association Sweet & Hot, le grand
collectionneur Léon Dirckx (une autre facette belge de la passion pour
le jazz), et beaucoup d’autres ont participé avec beaucoup de naturel à
cette « causerie » fort agréable avant un apéritif qui fut l’occasion de
poursuivre les discussions… sur le jazz.
La
Jazz Station, dûe à l’initiative d’un édile éclairé, bourgmestre de
Saint-Josse-ten-Noode pendant de nombreuses années, batteur de jazz à
ses heures et amateur à toute heure, Jean Demannez, administrateur
aujourd’hui, est à cet égard la meilleure preuve de cette relation
particulière que nos amis belges entretiennent avec la musique de jazz.
C’est un splendide lieu dédié au jazz dans toutes ses dimensions, la
mémoire (archives) et la transmission (avec des cours) donc mais aussi
l’actualité, comme cette exposition, et le jazz live, celui des
musiciens avec une belle salle de concert, des associations (les Lundis
d’Hortense, Sweet & Hot), et une scène ouverte pour les répétitions
de nombreux groupes de jazz.
L’actuel directeur, Pierre Clerckx, est
non seulement jeune mais aussi très ouvert et dynamique, et il a des
projets plein la tête. Il est secondé par une bonne équipe de jeunes ou
toujours jeunes comme Yannick, Kostia, avec Pierre Hembise et Jean-Marie
Hacquier aux archives, et d’autres encore… Ça fonctionne dans un bon
mood et le feeling est parfait!
A
l’occasion des 20 ans du Jazz Marathon qui se déroulait également ce
même week-end à Bruxelles, il a d’ailleurs été possible d’apprécier le
23 mai à la Jazz Station un excellent concert du quartet de Phil Abraham
(tb, voc) secondé par les excellents «anciens» Sal La Roca (b) et
Fabien Degryse (g) et un nouveau venu, Andrea Arpetti (dm). Un
répertoire alliant originaux, humour et standards, de Louis Armstrong à
Phil Abraham en passant par Jean de La Fontaine, nous a permis
d’apprécier le talent de chanteur, de showman de Phil, bien soutenu par
ses excellents compagnons, Fabien Degryse dans la belle tradition de la
guitare jazz en Belgique, et Sal La Roca toujours inspiré et précieux :
un répertoire qu’on retrouve pour l’essentiel sur le dernier disque de
Phil Abraham, Roots and Wings («It Don't Mean a Thing»,
«Degustation», «Basin Street Blues», «Harlem Nocturne», «Petit à Petit»,
«Autumn in Forest», «When It's Sleepy Time Down South», pontué en
rappel solo par «Le Corbeau et le Renard» à la manière d’un Eric Dolphy
qui serait tromboniste et avec humour.
Le Jazz Marathon, a
réservé quelques autres bons moments, avec toujours Philip Catherine
dans un Sounds en effervescence, à l’instar de son patron,
l'indispensable Sergio, avec un public débordant sur la rue; un bon
groupe au Music Village, the Sidewinders, reprenait la musique d’Art
Blakey et Wayne Shorter; quelques découvertes ont pu être faites au
hasard d’un parcours très fourni (200 concerts) comme les Dixie Ramblers
à La Tentation où se déroulait un marathon de la danse, maisce Marathon
fut parfois très inégal en qualité ou simplement éclectique, avec par
exemple l’excellent trio de Tcha Limberger (vln), dans le registre des
musiques tziganes au Nais Bar. Un bon moment.
Une
visite s’impose donc à la Jazz Station, non seulement pour cette
exposition, mais aussi pour toutes ses autres dimensions jazziques, pour
le lieu et son équipe.
Bruxelles reste une belle ville, en
dépit d’une double pression (un comble au pays de la bière) touristique
mais aussi de démolition-reconstruction liée à sa qualité de capitale
européenne, et qui lui font perdre parfois cette «belgitude» que nous
aimons tant dans nos flâneries, ce mélange de poésie, de naturel dans
l'atmosphère des rues, d’ancienneté, de pierres grises et de verdure.
Mais c’est peut-être notre imagination…
Les 80 ans de Jazz Hot à la Fond'Action Boris Vian
Exposition Delaunay’s Dilemma
Fond'Action Boris Vian. 6, bis Cité Véron (Paris 18e)
28 mars - 11 avril 2015
Jazz Hot a 80 ans! Un
anniversaire forcément remarquable de la plus ancienne revue
de jazz dans le monde, marqué par
l’organisation d’une exposition consacrée à l'œuvre pour le jazz de son fondateur Charles Delaunay, Delaunay’s Dilemma, accueillie à la Fond’Action Boris
Vian par sa directrice Nicole Bertolt. Quoi de mieux en effet, pour
rendre hommage à Charles Delaunay, que de se placer sous le
bienveillant patronage de Bison Ravi (Boris Vian), son principal disciple en jazz par l'esprit et prestigieux aîné dans l'art de l'écriture?
Placée sous la présidence de deux aînés de l'équipe actuelle de Jazz Hot, le grand photographe David Sinclair (il expose en novembre 2015 au Royal Albert Hall) dont quelques photos témoignaient lors de cette exposition du très
grand talent, et de Serge Baudot, l'un des rédacteurs de l'équipe, poète
à ses heures, tous deux nés en 1935 avec Jazz Hot, l’exposition replaçait Charles Delaunay, le
père de Jazz Hot de 1935 à 1980, dans son époque, lui, le fils
des peintres Robert et Sonia
Delaunay, dont l’œuvre a été d'organiser la reconnaissance du jazz à
l'échelle internationale. Les arts graphiques et la musique, les deux
grandes
passions de Charles Delaunay, se trouvent ainsi réunies sur les murs
de la galerie de la Fond’Action: les fameux « noirs au
blanc » réalisés par Charles dans l’obscurité des clubs,
des articles parus dans les premières années de Jazz Hot,
des correspondances, et surtout l'œuvre organisatrice de Charles
Delaunay, l'inventeur de beaucoup des outils qui ont donné au jazz son
indépendance: la discographie, le label de jazz, l'organisation de
concerts, de festivals, l'éditeur de presse spécialisé…
L'amateur de Jazz
Hot a également eu l’occasion de retrouver, ponctuant cette exposition, de belles couvertures qui
ont jalonné ces 80 ans et plus particulièrement les 25 dernières années: Duke, Ella, Basie, Von et Chico Freeman, Kenny
Barron, John Coltrane, Randy Weston, etc., et bien sûr… Boris Vian!
Le
diaporama ci-dessous donne au lecteur un aperçu de cette exposition et
de l'ambiance chaleureuse et amicale qui a présidé au vernissage ainsi
qu'à la fête de clôture. Nous vous en proposons un compte-rendu ainsi
qu'une synthèse des débats qui ont animé les trois tables-rondes
organisées durant la quinzaine. Vous trouverez aussi, en fin de page,
rassemblées, les dédicaces de près de deux-cent-cinquante musicien(ne)s
(et quelques dessinateurs de talent également) qui ont témoigné leur
attachement à Jazz Hot à l’occasion de ses 80 ans. Parmi eux,
Sonny Rollins, Wynton Marsalis, McCoy Tyner, Benny Golson, Dianne
Reeves, Dee Dee Bridgewater, Toots Thielemans, Tchavolo Schmitt ou
encore le regretté Phil Woods.
Diaporama réalisé avec les photos d'Ellen Bertet, Georges Herpe, José M. Horna, Patrick Martineau et Adrien Varachaud.
Cécile McLorin-Salvant a envoyé ce beau portrait dédicacé, réalisé par Richard Conde, pour être présente parmi nous…
Vernissage de l'exposition 28 mars 2015
Le 28 mars, jour du vernissage, c’est
une très belle fête qu’a préparée l'équipe de Jazz Hot. Une réussite qui a
été complète grâce à la participation continue, tout au long de
la journée et de la soirée (de 14h à minuit) des invités de Jazz
Hot, venus nombreux (environ 300) découvrir l’exposition et
souffler les 80 bougies. Parmi eux, nous avons eu le grand plaisir de
recevoir des jazzmen historiques tels Hal Singer (qui est de 15 ans
l’aîné de Jazz Hot…), Claude Bolling, Roger Paraboschi,
Jean-Louis Chautemps, Bobby Few, Poumy Arnaud,mais également Mathias Rüegg, Lia Pale, Michel Pastre, Esaie Cid, José Fallot, Laurent Mignard, Mra Oma, Ichiro Onoe , Dan Vernhettes, etc.; des "anciens" deJazz Hot comme André Clergeat et Alain Tercinet; le
président du Hot Club de France, François Desbrosses; des
professionnels du disque: Daniel Richard, grand disquaire historique et producteur émérite, Arnaud Boubet et
Maxime, les indispensables amis de Paris Jazz Corner, le grand disquaire parisien, Jeanne de Mirbeck (sœur de
René Urtreger), et bien d'autres acteurs, connus ou moins connus du jazz; enfin des lecteurs et amis de longue date
comme Micheline Davis-Boyer (la fille de Daidy Davis-Boyer, la
«fiancée de Jazz Hot», voir notre n°600),
Clovis Salvador, le neveu d’Henri, le peintre Pierre Clama ou
encore Rolande Gourley (l'épouse du grand Jimmy Gourley).
La réussite fut complète aussi grâce aux
musiciens venus animer cette jam-anniversaire. Nous saluerons d’abord
les deux piliers de ce bœuf marathon de 12 heures: nos
rédacteurs-musiciens Gérard Naulet (p) et Daniel Chauvet (b) qui
ont donné le coup d’envoi en duo sur «There Will Never Be
Another You», notamment suivi de belles variations sur «Take
the 'A' Train» et évidemment de quelques notes cubaines
percussives, chères à l’ami Gérard.
Nos
soutiers du swing ont
ensuite été rejoints par Michel Pastre (ts) et son gros son dans la
tradition sur «Satin Doll». Puis c’est un baryton, Philippe Desachy,
pour quelques morceaux, dont
«Song for My Father». Une autre rythmique a pris le
relais, composée de David Herridge (p) et Jean-Claude Bénéteau
(b), accompagnant un quartet de cuivres: "notre"
Michel Laplace (tp), Esaïe Cid (as) et toujours Philippe Desachy et
Michel Pastre sur «Perdido».
Un jeu de chaises
musicales a ensuite réinstallé Gérard Naulet au piano, avec
Claudius Dupont (b) et David Georgelet (dm), flanqués du même trio
de sax pour un «C Jam Blues» très enlevé. Après quoi
Yves Nahon a pris les baguettes et Jean-Yves Dubanton sa guitare pour
accompagner la première chanteuse de la journée, la Suédoise Ellen
Birath qui a livré un «On the Sunny Side of the Street»
plein de charme, dans son dialogue avec Michel Pastre. Puis, c’est
une autre Suédoise qui a pris place, Isabella Lundgren (voc),
totalement inconnue en France mais que Jazz Hot avait remarqué
lors de l’édition 2013 du festival d’Ystad, une des découvertes pour beaucoup, avec Lia Pale, de cet
anniversaire. Le groupe, rejoint par Jean-Claude Laudat (acc), puis
Gilles Le Taxin (b) a ainsi terminé l’après-midi, avant que
ne débarque, pour un premier «échauffement», Bonney Fields (tp) en quartet avec
Gérard Naulet, Daniel Chauvet et Yves Nahon sur «Well You Need It».
A
18h, la musique s’est interrompue
pour quelques prises de parole de circonstance du directeur de notre
revue, qui ont permis de présenter l’exposition, de remercier les
différents partenaires (la Fond’Action
Boris Vian, le Caveau de La Huchette, Paris Jazz Corner, Déjà
production, Spirit of
Jazz, Copytoo, La Manufacture d'Histoires Deux-Ponts, Jona Dunstheimer
et son équipe pour la sonorisation, la Jazz Station de Bruxelles, le
Toucy Jazz Festival) et d'avoir une
pensée pour Cabu, l'un de nos anciens également, tragiquement assassiné
début janvier 2015, dont des proches étaient
présents. Nicole Bertolt a rappelé son long engagement auprès de la
famille Vian et d’Ursula, la seconde épouse de Boris, à l’origine de
l’ouverture de la galerie. Honneur fut fait
ensuite aux deux parrains de cet anniversaire: "notre"
photographe David Sinclair (auquel une partie de l’exposition est
consacrée avec de splendides photos), représenté par son fils Malcolm
venu spécialement d'outre-Manche, et notre rédacteur
Serge Baudot, poète à ses heures, qui a évoqué son «entrée
en jazz», Jacques Prévert (le voisin de terrasse de Boris Vian sur le
toit du Moulin Rouge) et l'aîné Vian dans une de ses
fameuses revues de presse.
Puis la musique a repris ses droits, avec un duo viennois qui a ouvert le bal, composé de la belle et talentueuse Lia Pale
(voc) et de Mathias Rüegg (p), le créateur du Vienna Art Orchestra, grand arrangeur et pianiste savant.
Les deux artistes, venus spécialement d’Autriche
pour cet anniversaire, avaient préparé un beau
programme tiré du dernier album de la chanteuse, My
Poet’s Love.
Après quoi Lenny Popkin (ts) a inauguré la
jam-session vespérale, accompagné de Carol Tristano (dm), Dominique Lemerle
(b) et du jeune et doué Dexter Goldberg (p). Boney Fields
et son complice Breno Brown (ts) ont alors surgi sur scène, imposant
de vigoureux solos sur «Night in Tunisia».
De retour à
la jam, Isabella Lundgren s’est trouvée un interlocuteur de choix
avec "notre" Adrien Varachaud (ss), tandis que Michel
Pastre reprenait ensuite du service en sa compagnie et celle de Lenny
Popkin. Michel Pastre a également constitué un trio avec Daniel Chauvet et
Philippe Milanta (p) pour un «Just You, Just Me»
savoureux.
Moment intense de la soirée, la venue de Ricky Ford (ts),
entouré de Kirk Lightsey (p), Jack Gregg (b) et Simon Shuffle Boyer
(dm). Un all-stars qui n’a pas effrayé la sémillante
Agathe Iracema (voc) qui s’est exprimée sur «On the Sunny
Side of the Street» (again). Elle a ensuite formé un joli duo
avec Isabella Lundgren sur «Everyday I Have the Blues»,
en présence de Larry Browne (tp, voc), animateur omniprésent de la
soirée. Agathe a même complété la rythmique à la batterie pour
accompagner Isabella sur la suite du morceau.
Après quoi, Laurent
Epstein (p) et Dominique Lemerle ont procuré un soutien élégant à
Christelle Pereira (voc). Tandis que l’infatigable Gérard Naulet
nous offrait un solo de piano afro-cubain! La fin de soirée a
fait la part belle aux trompettes, avec une évocation tonitruante de
New Orleans servie par Larry Browne et Jona Dunstheimer (qui avait
également assuré la sonorisation de l'événement avec les attentifs Jérémy et Jonathan).
Enfin,
la grande Joan Minor (voc) clôtura cette belle journée par un
magnifique «Summertime» avec un contre-chant très subtil d'Esaie Cid
(as) qui a illuminé toute la soirée de ses belles ponctuations lyriques,
et de l'inusable Gérard Naulet, capable de s'adapter à tous les
contextes.
C’est donc des étoiles plein les yeux et des notes bleues plein le
cœur que sont repartis tous les participants de cette belle communion autour d'une revue
vénérable, toujours capable de réunir, 80 ans après, toutes les familles et générations de
musiciens, d'amateurs de jazz, cette grande musique du partage.
Première table-ronde: Le disque et la mémoire du jazz 29 mars 2015
Le lendemain de la fête inaugurale, le 29 avril, se tenait la
première des trois tables rondes qui devaient ponctuer les deux
semaines de l’exposition, intitulée: «Le disque et la
mémoire du jazz», animée par Yves Sportis et Mathieu Perez.
Les deux intervenants principaux de cette rencontre étaient Daniel
Richard, ancien disquaire et ancien producteur (il a notamment dirigé
Universal Jazz) et Arnaud Boubet, disquaire et fondateur de Paris
Jazz Corner.
Tout d’abord, Daniel Richard a fait
part de son expérience de producteur, en particulier en matière de
réédition, à son sens plus satisfaisant que la production de
nouveautés, le système des majors companies nivelant par le
bas les projets artistiques. A l’inverse, l’exploitation
d’enregistrements historiques lui permettait une plus grande
liberté, bien que le souci du marketing restât dominant (avec
succès: la collection Jazz in Paris s’est écoulée
dans le monde à hauteur de 3 millions de CDs). Bien entendu, les
majors exploitent le patrimoine dans une perspective de rentabilité
et non de conservation ou de transmission. Et Daniel Richard de
regretter que les maisons de disques n’aient pas le souci
d’archiver les documents liés aux séances d’enregistrement, ce
qui constitue une perte de la mémoire. Il a par ailleurs raconté
que lorsqu’il a commencé à travailler sur des rééditions, dans
les années 70, l’histoire du jazz n’intéressait pas. Les majors
éditaient des compilations «grand public» et il était
difficile, pour l’amateur de jazz, de disposer de rééditions
intégrales, d’albums entiers.
Daniel Richard a également vécu la
disparition des disquaires indépendants avec l’arrivée de la FNAC
et de ses prix bas. Le disque devint alors un «produit
culturel» destiné à des consommateurs suivant les
prescriptions «dans l’air du temps» de la presse.
Disquaire indépendant à l’époque, Daniel Richard est parvenu à
maintenir son activité, fort de sa relation de confiance avec ses
clients et parce qu’il proposait des importations introuvables dans
les FNAC.
Autre souvenir, la création, au début
des années 90, de la notion juridique de «domaine public»
qui ouvrait la voie à la libre réédition des enregistrements
phonographiques de plus de cinquante ans (alors que parallèlement le
support compact disc était en plein essor). Saisissant
l’opportunité, Daniel Richard avait alors rencontré Noël Hervé,
Christian Bonnet (qui ont créé la collection Masters of Jazz,
appréciable en particulier pour la qualité de ses livrets), Gilles
Pétard (qui a réalisé, de façon très réactive, le travail de
réédition le plus important avec Classics, mais avec des
livrets plus succins) ainsi que Claude Carrière. Le fonds constitué
par Gilles Pétard fait toujours autorité. Il a été construit avec
des collections particulières et a rencontré un grand succès
auprès des amateurs de jazz partout dans le monde. Daniel Richard
estime que ce travail de réédition intégrale ne se fait plus
aujourd’hui (en dehors de celui réalisé par Patrick Frémeaux) en
raison de l’écroulement des ventes de CDs et du rallongement à
soixante-dix ans des droits d’auteur. Et alors que les collections
patrimoniales sont disponibles sur les plateformes de streaming,
celles-ci ne fournissent – à ce jour – aucune information
discographique (alors que la technologie existe) et rémunèrent fort
mal les auteurs de ces collections.
Arnaud Boubet est alors intervenu pour
faire part de sa crainte de voir la mémoire du jazz d’aujourd’hui
et de demain disparaître avec l’abandon du support physique. On a
également souligné que la boutique du disquaire est un lieu
privilégié pour les échanges entre amateurs de jazz et donc pour
la transmission du savoir. Daniel Richard a évoqué l’idée de
créer à Paris un centre de documentation dédié au jazz, qui
serait justement un lieu de rencontre et de transmission. L’autre
enjeu serait conservation des collections privées, car les
collectionneurs vieillissent et n’ont pas nécessairement
d’héritiers intéressés par le jazz. D’où un risque
d’éparpillement des collections. Daniel Richard évoquant ainsi
son propre cas, avec une collection qui comprend non seulement des
disques mais aussi plusieurs tonnes de documentation papier:
revues, catalogues, discographies, photos, etc. Contrairement à des
exemples américains, l’université française n’entend pas
entreprendre de travail de numérisation des archives des
collectionneurs. Arnaud Boubet a cependant opposé qu’une
sauvegarde numérique, accessible en ligne, ne pouvait être
suffisante et qu’il fallait également préserver les objets et
supports physiques, insistant sur la nécessaire vocation muséale
d’un centre de documentation sur le jazz. Le risque d'enfermement des collections a également été évoqué à
travers l’exemple du fonds Delaunay à la BNF. Arnaud
Boubet a enfin indiqué qu’un centre de ressources serait un outil
très utile pour les porteurs de projets de réédition.
Yves Sportis a proposé que soit
entreprise une démarche concrète et collective, réunissant les
principaux représentants du jazz en France, en vue de la création
d’une fondation. Mathieu Perez a ensuite exposé l’exemple
de la Maison du Jazz de Liège (voir Jazz Hotn°666). Notre correspondant belge, Jean-Marie Hacquier, fin
connaisseur de la question de la mémoire du jazz en Belgique (il a
participé à la création de la Jazz Station à
Bruxelles), a alors rejoint la table. Le problème de la dispersion
des collections privées se pose également dans le Plat Pays (et se
traite de façon indépendante en Wallonie et en Flandres).
Jean-Marie Hacquier évoquant des situations différentes, celle de
Léon Dierckx (Jazz Hot n°636), à la tête d’une
collection de 200 000 disques et
celle de Robert Pernet dont le collection est conservée au Musée
des instruments de musique de Bruxelles mais n’est pas accessible
au public.
De l’ensemble du débat
passionné
qui a animé les intervenants invités comme les membres de
l’assistance, il est ressorti la nécessité – et même l’urgence
– de poser les bases d’une fondation dédiée à la conservation
de la mémoire du jazz en France, disposant, à Paris, de moyens pour
recueillir des collections privées et en organiser
l’archivage et la diffusion afin d’éviter la captation du savoir ou
l'éparpillement de la mémoire. Un tel projet nécessitant des fonds
importants, en
investissement (aménagement du lieu, etc.) mais aussi en
fonctionnement (pour en assurer la pérennité) seule une
association-fondation influente (car représentative des acteurs du
jazz en France) serait en capacité de convaincre des financeurs
privés et publics.
Deuxième table-ronde: Boris Vian et Jazz Hot 4 avril 2015
La deuxième rencontre que proposaitJazz Hot, le 4 avril, était consacrée à l’une des grandes
figures de son histoire, Boris Vian, hôte d'une certaine manière de cette exposition, qui collabora à la revue de
1945 à sa mort en 1959, et entretint donc une relation de grande
fidélité à la revue de son ami Charles Delaunay. Yves Sportis, qui
menait les débats, a tout d’abord rappelé que le jazz a été
structurant dans la personnalité de Boris Vian qui traitait du sujet avec
grand sérieux, sous des dehors humoristiques et avec, de temps à
autre, une mauvaise foi certaine mais qui entrait en cohérence avec
sa compréhension très fine de cette musique. Boris Vian s’est de fait
posé en disciple de Charles Delaunay dans sa façon d’embrasser le
jazz dans sa globalité, des origines à ses formes modernes;
les deux hommes pensant le jazz comme un art en mouvement, (se
différenciant ainsi de la vision très «ethniciste»
d’Hugues Panassié ou de celle implacablement progressiste d’André
Hodeir) et partageant une vision internationale du jazz ainsi qu’un
goût de l’Amérique. La relation Vian-Delaunay étant tout en
réserve et admiration réciproque. En outre, la fameuse revue de
presse de Boris Vian, qui a tant amusé les amateurs de jazz, constituait
un travail tout à fait sérieux, confié par Delaunay qui lui
transmettait les revues à commenter (les revues étrangères se
trouvaient très difficilement en France). L’exercice était en
outre une synthèse originale entre les activités de journaliste, de
critique et d’écrivain. En ce sens, Boris Vian a été un pilier
de Jazz Hot et a écrit une des pages les plus notables de son
histoire. Ce qu’il considérait comme une «petite
collaboration» fut en fait fondamental pournotre
revue et pour la critique en général, notamment par l'indépendance de ton qu'elle imprima.
Ancien membre de la rédaction de Jazz
Hot, Alain Tercinet était invité à évoquer la mémoire de
Bison Ravi aux côtés de la directrice de la Fond’Action Boris
Vian, Nicole Bertold. Une longue collaboration autour de Boris Vian
les réunit, notamment sur la collection de disques de l’écrivain
conservée dans son appartement de la Cité Véron, trois étages plus haut (et qui se visite
sur rendez-vous). Alain Tercinet a d’abord évoqué sa difficulté à définir les rapports entre Boris Vian et Charles Delaunay:
car s’il a bien connu le second il se confiait peu. Alain Tercinet
est entré à Jazz Hot comme maquettiste, à la fin des années
soixante, jusqu’à ce que Delaunay lui tende un jour un disque en
lui demandant: «Est-ce que vous voulez faire une
critique?» (car personne ne tutoyait Delaunay, en dehors
de Boris Vian). Alain Tercinet a insisté sur le «culot» qu’a
manifesté Delaunay en confiant une chronique régulière à Vian,
cette revue de presse qui était aussi un courrier des lecteurs (et
qui a donné lieu à de mémorables enguelades avec certains lecteurs et
aussi à un dialogue à distance avec le «pape» Hugues Panassié, gentiment
titillé mais respecté). Citant
Vian lui-même, Alain Tercinet a rappelé le caractère subjectif assumé
des
revues de presse.
Il est ensuite revenu sur l’opposition
Vian-Panassié qui, selon lui, relève d’avantage d’une
opposition de personnalités (Vian n’ayant pas apprécié que
Panassié tente d’évincer Delaunay après la guerre) plutôt que
d’une opposition stylistique. Ce qui n’empêchait pas Boris Vian
d’exprimer son estime pour le «pape» Hugues qu’il
brocardait. Et Alain Tercinet de rapporter un savoureux souvenir de
concert à Lyon: celui du quintet de Dizzy Gillespie. Les
«panasséistes» présents (ils avaient acheté leurs
places), qui étaient venus avec des sifflets, se faisaient ceinturer
par les membres du Hot Club de Lyon, tapis dans les travées pour
leur confisquer les sifflets. Un concert qui s’était achevé avec
une plaisanterie très Gillespienne, qui s’était
présenté ainsi: «A la trompette, Louis Armstrong!»,
suscitant les hurlements des panasséistes et les rires!
Présent dans la salle lors de ce concert, Jean-Louis
Chautemps, a raconté qu’il voyait régulièrement Boris Vian au
Club Saint-Germain (dans les années 1948-49), mais que son statut de
«vedette» intimidait le jeune musicien qu’il était
(il jouait à l’époque de la trompette). Nicole Bertold a expliqué
que c’est Jacques Canetti qui a amené Boris Vian à la production
de disques, Charles Delaunay étant étranger à cette affaire. En
effet, séduit par la personnalité de Boris Vian et sa grande connaissance
du jazz, Jacques Canetti lui a proposé d’être son collaborateur au sein
de Philips (Boris Vian terminera directeur artistique de cette maison de
disques). Alors que se posait la question de savoir pourquoi Boris
Vian ne s’était pas rendu aux Etats-Unis (la question est
également évoquée dans «Boris Vian. Le Voyage en
Amérique», Jazz Hot n°671), on s’est demandé si,
fort d’une conscience anti-raciste très avancée pour son époque,
il n’aurait pas préféré se contenter d’une Amérique rêvée
que de se confronter à sa réalité ségrégationniste. Ce à quoi
Nicole Bertold a répondu que son cœur malade lui interdisait tout
voyage en avion mais que si, au sortir de l’Ecole Centrale, il
n’avait pas souhaité suivre ses camarades partis sur le Nouveau Monde (il était déjà chargé de famille), depuis sa relation
avec Ursula, il fantasmait sur cette possibilité d’aller à New
York.
Autre question, celle de la relation
entre Boris Vian et Django Reinhardt. S’il n’existe pas de
témoignage direct de cette relation, Jean-Louis Chautemps a rappelé
que le siège historique de Jazz Hot (le 14, rue Chaptal)
était un lieu de passage et de rencontres entre musiciens, notamment
en raison de sa proximité avec les bureaux de la Sacem. Il est
d’ailleurs probable que c’est lors de l’inauguration du siège
de la revue, en 1939, que Duke Ellington et Django Reinhardt se sont
rencontrés pour la première fois, et les Vian sont présents sur les
photos prises dans l'escalier du club. De même, les frontières
stylistiques entre musiciens étaient alors plus minces et il est
vraisemblable que Vian considérait Django comme appartenant
pleinement au monde du jazz (même si Chautemps a rappelé que
pendant la guerre, Django était une véritable vedette de variétés). Dans
l’assistance, Anne Legrand, biographe de Boris Vian et qui a répertorié
le fonds Delaunay à la BNF, a indiqué qu’entre 1943 et 1944
Django venait rue Chaptal, également fréquentée par Boris Vian, et
que tout ce petit monde a forcément sympathisé. Django et Boris
étaient d’ailleurs avec Delaunay à l’arrivée des premiers
disques de bebop. Enfin, pour se convaincre de la réalité de leur
amitié, on peut tout simplement relire dans Jazz Hot (n°78)
ce que Boris Vian disait de Django au lendemain de sa disparition, en
prélude à sa revue de presse: «Je ne peux commencer
cette revue de presse sans déplorer, comme tous les amateurs de
jazz, et comme tous ceux qui le connaissaient encore plus, la mort de
ce bon Django. (…) Django était un si chic type, si peu
prétentieux, si bon copain et si excellent musicien de surcroît
(…). Django, vieux frère, adieu, nous ne sommes pas près de
t’oublier.»
D’autres thèmes ou questions restent
encore à explorer pour éclairer la relation de Boris Vian et Jazz
Hot. Mais déjà heureux d’avoir partagé nombre de
chouettes anecdotes, les participants ont conclu la discussion par un
verre levé à la mémoire de l'aîné.
Troisième table-ronde: Le récit des musiciens & jam de clôture 11 avril 2015
La troisième et dernière table ronde,
consacrée au «récit des musiciens» s’inscrivait
dans le prolongement de la première, où il était question de la
mémoire du jazz. Une parole libre était donc donnée aux musiciens
présents, à commencer par «l’invité d’honneur»
de cette journée, Chico Freeman, venu spécialement de Suisse pour
l’anniversaire de Jazz Hot. L’après-midi a donc débuté
sous forme d’une interview en public du saxophoniste, par Yves
Sportis, qui a raconté comment il était venu au jazz en voyant son
père (Von Freeman) s’exercer à une époque (le début des années
cinquante) où Chicago avait une scène plus riche que celle de New
York (selon le mot de Chico: Chicago c’était «le Sud
dans le Nord» en raison du mouvement de populations
afro-américaines venues du Sud vers Chicago et non vers New York,
apportant notamment la culture du blues). Là où il vivait, les
gamins, en été, venaient sur le porche de la maison écouter son
père répéter avec les autres musiciens. Pour autant, Chico a
raconté que ce n’est pas grâce à la pédagogie de son père qu’il a pu explorer
le jazz (il ne possédait que cinq disques!) mais grâce au
père d’un copain d’école qui était collectionneur. Il
n’empêche que c’est l’un des cinq disques que possédait son père qui lui
a donné envie de devenir musicien: Kind of Blue de
Miles Davis. Avec beaucoup d’humour, Chico a parlé de ses débuts
à Chicago, de sa scène jazz et blues. Un moment particulièrement
drôle fut lorsque Chico évoqua son arrivée à New York (il jouait
alors avec Elvin Jones), sans le sou, et où un autre grand batteur
l’a pris sous son aile, un certain… John Betsch. Disant cela,
Chico n’avait pas remarqué que John Betsch était assis juste
derrière lui! Ce furent donc des retrouvailles improvisées.
Puis, c’est un autre fils de jazzman,
qui prit la parole, Sean Gourley (digne hériter de Jimmy).
Contrairement à Chico, Sean, de mère française, est né et à
grandi à Paris. Il est entré au conservatoire à 6 ans et n’a pas
eu l’apprentissage de la rue et des copains d’école dont parlait
Chico. Mais son père lui faisait écouter des guitaristes de jazz,
notamment George Benson. Dès qu’il a pu, Sean a abandonné le
conservatoire et s’est mis à jouer du rock dans des caves avec un
autre fils de musicien, Philippe Urtreger (ce qui a provoqué des
conflits entre père et fils). Plus tard, Sean est venu au jazz où
il a fini par trouver l’énergie qu’il recherchait dans le rock.
Autre témoignage, celui de Luigi Grasso, originaire d’une petite
ville près de Naples, où il n’y avait pas de scène jazz. La
découverte du jazz, à travers les disques de ses parents, lui
permettait de s’exprimer plus librement au saxophone, qu’il
étudiait depuis l’âge de 5 ans.
Après l’évocation de ces
expériences, Jean-Louis Chautemps a poussé un cri du cœur,
appelant à parler de l’avenir! Ce à quoi Jacques Schneck a
répondu qu’au-delà des évolutions stylistiques, ce sont ses
qualités de musique populaire, favorisant les rencontres, que le
jazz doit conserver. La communication avec le public, l’émotion
étant plus importantes que la recherche savante. Mais les musiciens
se trouvent encouragés par leur culture et par la presse spécialisée
vers l’expérimentation.
David Herridge a expliqué qu’à la
fin des années soixante, la scène londonienne s’était fermée au
jazz traditionnel ne favorisant que l’avant-garde, lequel a cherché à s’imposer de
façon agressive. Il a par ailleurs regretté le cloisonnement entre
les styles, rapportant une conversation qu’il avait eu avec Georges
Arvanitas à propos des écoles très compartimentées: Bill
Evans, boogie woogie, etc.
Katy Roberts à répondu à cela que la
situation présente avait au moins l’avantage de faire plus de
place aux femmes dans le jazz. Dans les années soixante-dix, à
Berklee, elle était la seule fille de sa classe, alors
qu’aujourd’hui, en tant qu’enseignante, elle remarque que les
groupes d’élèves sont mixtes. Le problème essentiel qui se pose
donc, comme l’a souligné Jacques Schneck, est celui du public. Car
si le milieu du jazz est très vivant –peut-être comme il ne l’a
jamais été–, on constate une crise de communication avec le
public.
Yves Sportis a rappelé que le jazz a
une dimension à la fois populaire (qui aux Etats-Unis s’inscrivait
dans le quotidien) et artistique (l’exigence esthétique des grands
musiciens: Armstrong, Ellington, etc.). En effet, les musiciens
américains sont venus à Paris pour faire reconnaître le jazz comme
un art (comme les peintres ou les écrivains avant eux). Sans cette
démarche de leur part, le jazz en France se serait limité à une
musique d’ entertainment. L’exigence artistique
des musiciens existe toujours mais le public a déserté. Il est donc
nécessaire que l’ensemble du milieu du jazz se mobilise pour
redynamiser une culture populaire jazz, avec une exigence artistique,
ce qui passe notamment par le rétablissement des liens avec les
racines américaines.
A la suite de quoi, Mra Oma, a
regretté, avec vigueur, qu’il soit difficile pour les musiciens
américains de jouer à Paris, la scène européenne étant, dans son
ensemble, cloisonnée entre jazz français, jazz
espagnol, jazz allemand, etc. Ceci alors que
les musiciens américains qui ont amené le jazz en Europe l’on
fait avec beaucoup de générosité. Chico Freeman a souligné que si
l’on ne peut prévoir l’avenir du jazz, l’enfermement dans des
catégories n’est pas d’hier. Il a cité Charlie Parker:«Les musiciens ne contrôlent pas le business. Ils
contrôlent toujours la musique», Chico estimant que ce n’est
plus vrai, que les musiciens ne contrôlent plus la musique. Or, ce
qui compte, à son sens, c’est que les musiciens continuent de
faire de la musique et que les gens viennent les voir. Mais l’arrivée
d’internet, qui est une sorte de Far-West, pose de nouveaux
problèmes.
Hal Singer, dont l’arrivée majestueuse dans la réunion dont il était visiblement le «king», a été
un petit événement, s’est souvenu que dans sa jeunesse il n’avait
pas conscience de la dimension business de la musique. Et il
en était de même des musiciens des big bands d’Ellington, de
Basie ou de Lunceford. C’était à d’autres que revenait
l’argent. Il a par ailleurs expliqué qu’autrefois, on
reconnaissait immédiatement chaque musicien à son son. Et
qu’aujourd’hui, même s’il se réjouit de la qualité des
formations données aux musiciens et de leur niveau technique, ils
sonnent tous de la même façon. Et si auparavant les musiciens jouaient
avant tout pour entrer en communication avec le public, ils
paraissent aujourd’hui chercher tout d’abord à se valoriser
auprès des autres musiciens.
La conclusion à ces échanges, parfois
enflammés, a été très élégamment donnée, après près de quatre heures d'échanges par le même
Hal Singer: «où est le bar?» (en français).
Les
musiciens ont alors repris leurs
instruments pour une jam-session en forme de fête de clôture
de l’exposition. Ce sont ainsi Sean Gourley (g, voc), Larry Browne
(tp, voc) et Brahim Haiouani (b) qui ont ouvert le ban, vite rejoints
par Katy Roberts (p). L’occasion pour le guitariste et le
trompettiste de donner aussi de la voix, notamment sur «It Had
to Be You». Puis, David Herridge (p) s’est mêlé à
l’orchestre, ainsi que John Betsch (une réunion pour le moins
surprenante mais qui a formidablement fonctionné!). La jam a
vu ensuite s’imposer les chanteurs avec l’arrivée de Paddy
Sherlock (sans son trombone) qui s’est lancé sur un blues, soutenu
par Sean Gourley, Larry Browne, Katy Roberts, Brahim Haiouani (qui
n’a d’ailleurs pratiquement pas lâché la contrebasse de la
soirée) et John Betsch: une équipe inédite! Un blues
qui s’est poursuivi à deux voix en compagnie de Sylvia Howard.
L’intervention de Malaïka Lacy (voc)
sur «Somwhere Over the Rainbow», dont la puissante
expression gospel a conquis l’assistance, et littéralement sidéré
l’ami Paddy. Autre duo savoureux, celui entre Farris Smith Jr. (b,
voc, une découverte!) et Chico Freeman (as). Joan Minor (voc) est venue
tradivement donner la preuve d'une belle expression. Enfin, au
crépuscule de la fête, Gérard Naulet (p), visiblement remis du
marathon du vernissage, s’est lancé dans un duo très swing avec
Brahim.
Entre ces tables rondes, les visites, tous
les après-midis de cette quinzaine, sont venues confirmer que le jazz
possède encore de solides racines dans notre pays, mais plus largement
en Europe. Il y a eu beaucoup de curiosité pour Jazz Hot, Charles
Delaunay qui reste un monument inconnu du jazz en France, plus qu'à
l'étranger, malgré une vie consacrée au jazz, et une œuvre indispensable
au développement du jazz sur le plan international.
Ces
quinze jours d’exposition, de
tables-rondes et de fêtes ont donc constitué une belle réussite à l'aune
de ces 80 ans qui ont fait l'histoire du jazz en France, parfois avec
des bouts de ficelle mais toujours avec des idées originales et une
conviction enracinée dans l'amour du jazz.
Au-delà
delà de notre équipe du jour qui contribue bénévolement à cette
transmission, Jazz Hot et Charles Delaunay ont contribué essentiellement
à la reconnaissance artistique du jazz à l'échelle internationale dès
les années 1930, avec mais avant d'autres en France et dans le monde entier, en développant les outils
organisationnels nécessaires à l'indépendance du jazz, outils
qu'aujourd'hui et depuis le début des années soixante des affairistes,
prétendant parfois aimer le jazz, des institutions et des ministres, se
prétendant de gauche, des animateurs socio-culturels fonctionnarisés ont
tendance à détruire avec une énergie digne de ceux qui font sauter les
temples à Palmyre. Le sang en moins.
Cette exposition et ces débats ont permis des échanges
intéressants, des rencontres, des découvertes, des retrouvailles
(comme la visite de l’ami Daoud-David Williams de passage à
Paris), en somme un certain état d’esprit, un rapport au jazz qui
fait que nous sommes Jazz Hot.
Un
grand merci pour cette quinzaine mémorable aux nombreux visiteurs, près
d'un millier, amis lecteurs, musiciens, amateurs de jazz, qui nous ont
fait le plaisir de participer à ces moments exceptionnels, aux amis de Jazz Hot qui sont venus prêter main forte à l'équipe pour tout organiser,
Brigitte, Claudine, Olga, Gérard, Patrick, Marion, Alain, Kamel, Jona
Dunstheimer et son équipe (sonorisation).
A bientôt pour les 90 ans, et pour le centenaire, ça ne dépend que de vous… (www.jazzhot.net)
Compte rendu collectif de l'équipe Jazz Hot,
réalisé et mis en scène par David Da Silva (camera 1), Georges Herpe (caméra 2), Jérôme Partage (stylo)
80 ans en 300 dédicaces... (cliquer pour agrandir)
Jazz for Two, une exposition des photographies de José Horna
Café Satistegi de Getxo, Espagne
L'exposition
«Jazz for Two» est un ensemble de regards mutuels, de dialogues
explicites ou tacites, de contrastes ou de complicités qui se produisent
sur scène. En essayant de mettre l'accent sur la connexion entre les
musiciens, sujet principal des 22 photographies qui composent
l'exposition, on veut fixer cet instant qui va au-delà de la simple
addition de personnages et donne forme à un «jazz pour deux» où les
«deux» sont, aussi, pour le jazz. Comme dans l'ancienne chanson de
Youmans et Caesar, devenue l'un des standards les plus connus du jazz: ” Just tea for two
and two for tea
Just me for you
and you for me… alone ”
When
an exhibition of photographs of Jazz is prepared, the selection
criteria can easily drift towards extreme images which the great
technical advances of today's digital photography allow us. Thanks to
these advances, we are managing to capture ,even in minimal lighting
conditions, close-ups previously unheard-of, every detail and extremely
high definition textures. The problem with this , at least in my
opinion, may reside in the fact that this great leap forward might place
us too close to the scene, to the point of blurring and losing the
context of Jazz.
I
think, besides the eternal debate about what is established Jazz and
what is not, we can all agree that Jazz is an experience in which
diverse individuals give form and content to something new, as a
practically inseparable collective. To dissect it down to its bare
minimums would be to almost destroy it. Similarly, photographing it
exclusively through a keyhole would break the bonds of the collective
that has emerged. To avoid this, sometimes it may be necessary not to
forget to widen the frame, broaden the perspective and context so the
main subject of the photo is ,in other words, these very same
connections.
I
have kept all of this in mind while considering and presenting "Jazz
for Two". As a set of mutual glances, inferred and explicit dialogues,
contrasts and complicity that occur in the scene. Trying to stress the
relationship between the performers, in that instant that goes beyond
the mere sum of characters and gives form to a "Jazz for two" in which
the "two" is also for Jazz. As in the old song by Youmans and Caesar,
which has become one of the most classic jazz standards:
” Just tea for two
and two for tea
Just me for you
and you for me ...alone ”
- Jim Tomlinson - Stacey Kent / Getxo Jazz 2013
- Chico Pinheiro - Nnenna Freelon / Concierto Homenaje a Pío Lindegaard 2013
- Danilo Pérez - Wayne Shorter / Getxo Jazz 2012
- China Moses - Raphaël Lemmonier / Getxo Jazz 2012
- Lorenz Kellhuber - Tobias Meinhart / Getxo Jazz 2009
- Dianne Reeves - Bobby McFerrin / Jazzaldia San Sebastián 2008
- Dave Douglas - Marcus Rojas / Jazzaldia San Sebastián 2009
- Hank Jones - Joe Lovano / Jazzaldia San Sebastián 2009
- Agustí Fernández - Peter Evans / Jazzaldia San Sebastián 2011
- Reginald Veal - Cassandra Wilson / Jazzaldia San Sebastián 2011
- Mulgrew Miller - Eric Reed / Jazzaldia San Sebastián 2012
- Wynton Marsalis - Paco de Lucía / Vitoria Jazz 2006
- Fabrizio Bosso - Stefano Di Battista / Vitoria Jazz 2009
- Dee Dee Bridgewater - James Carter / Vitoria Jazz 2009
- Pat Metheny - Charlie Haden / Vitoria Jazz 2009
- Bojan Z - Michel Portal / Vitoria Jazz 2011
- Stefano Bollani - Jesper Bodilsen / Vitoria Jazz 2012
- Linda Oh - Joey Baron / Vitoria Jazz 2012
- Joshua Redman - Reid Anderson / Vitoria Jazz 2012
- Tom Harrell - Wayne Scoffery / Vitoria Jazz 2013
- Eric Revis - Branford Marsalis / Vitoria Jazz 2013
- Frank Woeste - Ibrahim Maalouf / Vitoria Jazz 2013
Trenet: Le Fou chantant. De Narbonne à Paris Galerie des Bibliothèques, Paris (4e), jusqu'au 27 juin 2013
A l’occasion du centenaire de la naissance de Charles
Trenet, n’attendez pas de la Cité de la Musique une grande exposition
rétrospective en l’honneur du poète, comme ce fut le cas pour Serge Gainsbourg
(2008), Miles Davis (2009), Georges Brassens (2011) ou Django Reinhardt (2012),
ni d’aucun autre hommage des grandes institutions culturelles françaises. Il
n’y en aura pas. Rien pour célébrer le chanteur compositeur qui manifestement
ne contribua ni à la chanson française, encore moins à l’introduction du jazz
en France. Lamentable!
Heureusement que l’on peut compter sur Paris
Bibliothèques, association à but non lucratif sous contrat avec la Mairie de
Paris, qui eut l’excellente idée de coproduire, avec Narbonne, une exposition
rétrospective, qui sera présentée dans la ville natale de Trenet du 20 juillet
au 20 octobre 2013.
Le parcours, chronologique, nous invite à découvrir de
très belles photos de famille, d’amis, de proches et du poète, et une pléiade
de documents, manuscrits, lettres, affiches. Ici ou là, des écrans pour écouter
des entretiens et des écouteurs pour se laisser surprendre de la beauté des
paroles et des mélodies du fou chantant. L’espace est grand, les documents
généreux. Une dizaine de planches signées Cabu retrace le parcours de son héros
à partir d’anecdotes savoureuses toujours traitées avec élégance, humour et
finesse, et donne un dernier coup de chapeau au chanteur chapeauté.
Pourtant, si la promenade et la flânerie au gré des
archives et des petits textes de présentation, -parfois simplistes- sont
plaisantes, l’exposition n’en reste qu’à la surface de l’histoire. Trop
descriptive, elle manque de précision, de nuances, et fait reposer sur les
quelques archives audiovisuelles les explications attendues. Aucun texte
critique, même court, n’explique la contribution de Trenet à la chanson
française, encore moins au jazz en France ou situe sa place dans le siècle au
milieu des autres créateurs. Pas de témoignages de celles et ceux qui l’ont
connu, pas de mémoire orale. L’amateur sort de l’exposition non pas déçu mais
sans avoir rien appris de plus que ce qu’il savait, maintenant qu’il est allégé
de six euros; le curieux, quant à lui, espérons qu’il aura envie de partir à la
recherche de titres moins connus. A celui-là, comme aux curieux, amateurs et
passionnés, on recommande chaudement l’écoute de l’œuvre intégrale de Trenet en
11 CDs couvrant la période 1933-1955, éditée chez Frémeaux et Associés, sous la
direction de Daniel Nevers, pour un dépaysement total.
Du 18 septembre au 13 novembre, à la BNF, une exposition
était consacrée à la maison de disques Vogue. Cette large fresque murale
(agrémentée de bornes d’écoutes et d’une borne audiovisuelle) a retracé
l’histoire de la maison de disques fondée en 1947 par Léon Cabat, Charles
Delaunay et Albert Ferreri et qui fut initialement consacrée au jazz (Sidney
Bechet, Dizzy Gillespie…). Le logo lui-même fut dessiné par l’artiste et mère
du fondateur de Jazz Hot, Sonia
Delaunay. Pourtant, Vogue devait se diversifier (et Delaunay devait s’en
retirer au début des années cinquante) au point d’inclure dans son catalogue
Johnny Hallyday, Jacques Dutronc, Petula Clark, Martin Circus, de
l’ethnomusicologie, des pièces de théâtres, du rap… L’exposition souligne la
prise en charge de tous les aspects du disque (enregistrement, fabrication,
distribution) par le label. Mais ce «cocorico» un peu vain eut égard à la
pérennité des maisons de disques indépendantes américaines (par rapport à Vogue
qui ne parvint pas à s’adapter au format du compact disc) ne pose guère de
question sur le contenu artistique, préférant insister sur la réussite
commerciale. En particulier, le fondement jazz de Vogue n’a pas reçu le sens
esthétique, historique et culturel qui aurait dû être le sens de cette
exposition – laquelle retrace finalement (mais involontairement) ce que le jazz
a été en France: une vogue (sans jeu de mot), un hobby pour certains hommes
d’affaires plus pressés de faire de l’argent avec les paillettes du show-biz que
de se servir de leur pouvoir pour promouvoir véritablement le jazz, dont ils
n’ont guère fait profiter le grand public. Comme si le jazz était une sorte de
mauvais objet que l’on pouvait évacuer une fois qu’il avait servi sa fonction.
Il était à cet égard logique que les yé-yé remplacent le jazz. De fait, la
variété a remplacé le jazz, ce qui est peut-être d’autant plus dramatique que
la France avait disposé très tôt d’outils d’appréciation et d’analyse – grâce à
la plus vieille revue de jazz au monde, Jazz
Hot, grâce à Charles Delaunay, à Boris Vian et beaucoup d’autres – qui
avaient diffusé le jazz avec bonheur et clairvoyance. Cette exposition aveugle
au sens de l’histoire ne fait que confirmer ce qui s’est perdu.
Heureusement, au moment où sortent les œuvres de Boris
Vian dans la collection de la Pléiade (superbe travail de l’universitaire Marc
Lapprand, du libraire François Roulmann et de notre collaboratrice Christelle
Gonzalo), la BNF propose également une exposition consacrée à notre glorieux
confrère Boris Vian (18 octobre 2011-15 janvier 2012) qui est d’une autre
trempe. La conception scientifique ayant été confiée à la fine connaisseuse de
Vian qu’est Nicole Bertolt (qui dirige la Fondation Boris Vian), le résultat a
été à la hauteur. Manuscrits, peintures, photographies, vidéos, documents
d’époque: la variété des documents est parfaitement mise en cohérence. Tous les
aspects de Boris Vian sont abordés, le Vian journaliste, critique,
trompettiste, producteur, traducteur, écrivain… De toute manière,
l’interpénétration chez lui du jazz et de la littérature rendait cette approche
nécessaire. L’exposition permet vraiment de plonger dans une époque
particulière où le jazz a pu être vécu avec engagement, où le jazz fut à la
fois la matière et la philosophie d’un écrivain totalement original.
Ecrivain-musicien, il a su toucher notre inconscient collectif, le répertoire
de ses chansons, repris par Reggiani ou Higelin, faisant désormais partie de
nos références autant littéraires que musicales.
Le superbe catalogue de l’exposition (Gallimard/BNF)
constitue en soi une somme biographique et visuelle de qualité. On y trouve ses
dessins, ses carnets, ses esquisses, des extraits de Jazz Hot où il tenait la revue de presse, les couvertures des
ouvrages qu’il avait traduits (Raymond Chandler, Peter Cheney, l’écrivain de
Chicago Nelson Algren) ou même l’article de Points de Vue où Vian se défend de
l’accusation d’assassinat par procuration (suite au meurtre d’Anne-Marie
Masson, son assassin ayant laissé un exemplaire de J’irai cracher sur vos
tombes…), les pochettes de Jazz pour tous, (la collection qu’il animait chez
Philips), une photo du cor à gidouille… Y figurent aussi des textes
intéressants de François Roulmann, Anne Mary, Christelle Gonzalo, Nicole
Bertolt et Alain Tercinet. Cet ouvrage permet de prolonger l’exposition et
d’emporter une part de la vie vianesque, rendu plus sensible par la présence de
sa graphie.
Bison Ravi en ressort dans toute sa singularité mais
l’exposition révèle aussi ce que chacun devine depuis longtemps – à quel point
il reste proche de nous et appartient en profondeur à notre patrimoine
culturel.
A l’occasion du centenaire de Charles Delaunay (1911-2011) le Festival Jazz à Foix, la Bibliothèque de Foix et Jazz Hot présentent
DELAUNAY’S DILEMMA CHARLES DELAUNAY: LA PEINTURE, LE JAZZ ET JAZZ HOT
Charles
Delaunay, le fils des célèbres peintres Sonia et Robert Delaunay,
aurait pu, par tradition familiale, prétendre à une carrière artistique
dans les arts graphiques qu’il pratiqua dès son plus jeune âge et sa vie
durant aux côtés de Sonia. Sa
rencontre avec le jazz naissant, à l’adolescence, fut l’occasion d’un
tournant précoce vers une destinée qui n’en fut pas moins fertile
puisque Charles Delaunay fut à l’origine de la première revue
spécialisée dans le jazz – la plus ancienne encore en activité – Jazz
Hot (1935), qu’il fut le créateur de la discographie, l’outil
méthodologique essentiel de l’élaboration d’un art qui prit son essor
grâce à l’enregistrement, et qu’il bâtit dans la foulée le premier label
spécialisé dans le jazz – Swing – quelques années avant les grands
labels spécialisés américains (Blue Note, Norgran, Columbia Jazz…). Il
préfigura encore les festivals de jazz (Festival International de Jazz
de Paris, 1949, Salons du Jazz), et fut très tôt l’agent de musiciens
comme Coleman Hawkins, Django Reinhardt… Il fut l’organisateur des
concerts historiques du Big Band de Dizzy Gillespie en 1948 qui
installèrent définitivement le bebop en France.
Le
dilemme entre ces deux vocations, l’expression graphique et le jazz,
illustré musicalement par la composition amicale du pianiste John Lewis
(MJQ) «Delaunay’s Dilemma», trouva cependant une résolution partielle
dans les dessins en blanc sur fond noir –«les noirs au blanc»– que
réalisa Charles Delaunay tout au long de son parcours, dans les clubs,
pendant les sessions d’enregistrements, et dans les conceptions
d’affiches, de programmes et de publicités qu’il conçut dans le cadre de
ses activités jazziques.
Cette exposition, fondée sur la collection
privée de la revue Jazz Hot, présente un retour sur l’ensemble des
activités de Charles Delaunay fondatrices de l’univers du jazz en France
dont des portraits de musiciens et d’orchestres sérigraphiés, des
programmes, des affiches, des revues, des photographies, des ouvrages,
des documents liés à sa passion.
Regards de Jazz Espace Villeneuve-Bargemon-Quai du Port, 13002 Marseille
Christian Ducasse, Martine Montégrandi et Serge Mercier
et exposent à Marseille du 1er juillet au 15 août.
Une chronique du jazz qui se déroule entre 1978 / Big
Band de Vincent Séno, Jacques Ménichetti et «Au Secours", jusqu'en
2010 avec le formidable Ahmad Compaoré. De grandes figures seront présentes
dans ce court panorama de 30 photographies: Miles Davis, Dizzy Gillespie, Ella
Fitzgerald, ... Chico Freeman,
George Adams, Betty Carter, Sun Ra, Marion Brown & Mal Waldron, Barre
Phillips ...
Les indispensables Henri Florens, André Jaume, Michel
Zenino, ... et bien d'autres talents à découvrir lors de cette exposition.
Espace Villeneuve-Bargemon - Quai du Port, 13002
Marseille.
Pascal Kober: Jazz(s), mes amours, mes voyages La Frise, Grenoble (38)
Texte, photo, journalisme, musique... et toutes ces
sortes de choses qui se jouent du temps et gardent trace de la vie. Je les
voudrais amateurs. Du latin «qui aime»: le texte sur un carnet de voyage; la
photo «de famille»; et le journalisme comme une écoute candide des murmures de
la planète. La musique, enfin, en respiration et en parfait dilettante. Le
photographe ne connait pas ce formidable retour du public juste après l'énoncé
final d'un thème. Plaisir du musicien en direct. Or, au fond, au-delà des
diverses formes d'expression, il s'agit bien d'abord de plaisirs.
De Miles à Toots, de Betty Carter à Aziza Mustafa Zadeh,
des steppes russes aux cieux caraïbes, de tournées en festivals, trente ans
déjà que je parcours les territoires du jazz. Vingt ans déjà que Jazz Hot, plus
ancienne revue de jazz du monde (créée en 1935!) publie mes breakfast
interviews, mes chroniques de disques, mes grands reportages et mes photos de
musiciens.
Exposition à La Frise, 150, cours Berriat, 38000 Grenoble
(04 76 96 58 22)
du vendredi 11 juin au samedi 11 septembre 2010
(fermeture en août)
Marqueterie et guitare Paris Jazz Corner, Paris 10e
Chez parisjazzcorner.com situé 8 rue de Nancy à Paris,
Arnaud Boubet et Fandala Andriamanantena avaient organisé une exposition de
pochettes de LPs mythiques reproduites en marqueterie de beaux bois malgaches
par Geoff Bale : impressionnant de résonance avec les originaux et attirant par
l'expression pour les pochettes reprenant les visages de nos artistes de jazz préférés. Après s'être régalé les yeux,
nous avons eu aussi un concert de guitare solo, en la personne de Gene
Bertoncini, délicieux personnage issu de cette savoureuse communauté
italo-américaine qui a aussi donné au jazz quelques-uns de ses fleurons. Gene
Bertoncini est un amoureux des mélodies («Lush Life»…) qui effleure ses notes
avec retenue. Autant dire un samedi après-midi plein de douce chaleur dans ce
décembre qui faisait mentir les adeptes de la théorie du réchauffement
climatique.
We Want Miles
Miles Davis: Le Jazz face à sa légende Cité de la Musique, Paris,
du 16 octobre 2019 au 17 janvier 2020
Dix-huit ans après sa mort cette exposition est
la plus importante consacrée au trompettiste Miles Davis. We Want Miles est la demande formulée par les spectateurs
anglophones avant le début d'un concert. C'est une belle déclaration d'amour à
un musicien attendu avec impatience Et si tel pouvait être le cri des amateurs
de jazz en 1980, après cinq ans de silence, ce n'est pas par hasard que
Columbia baptisa ainsi le premier disque publié après cette longue retraite.
Organisée sur deux niveaux, cette exposition utilise
toutes les ressources du multimédia pour rendre compte de la vie de Miles Davis:
photos, films, vidéo, enregistrements, instruments, objets divers concourent à
tenter de cerner le personnage énigmatique qui fut non sans raison surnommé «le
prince des ténèbres». We Want Miless'adresse tout d'abord au grand public qui au mieux connait Kind of Blue et
plus probablement la période funk où il connut le plus grand succès populaire.
C'est sans doute la raison qui explique pourquoi le spécialiste ne découvre pas
grand-chose de nouveau dans la première partie de l'exposition où sont présentés
dans un ordre parfaitement chronologique sa famille avec la photo de son père
lors de la remise de son diplôme de chirurgie dentaire, sa première épouse,
tous document importants qu'il fallait faire quelque effort pour les découvrir:
Vincent Bessières, commissaire de l'exposition, a bénéficié de la collaboration
des ayant droit de Miles Davis pour présenter certains documents. La 52e rue
voisine ainsi avec la première venue en France en 1949, où sur la même affiche
voisinent Sidney Bechet et Charlie Parker et la relation de Miles avec Juliette
Gréco dans le Saint Germain des Près de l'après-guerre. Les premières musiques
(écoutées au casque) donnent le point de départ d'un musicien alors raisin
aigre. Mais pas un mot sur cette querelle très franco-française où la dureté
des arguments d'un Boris Vian contrastait avec la pathétique défense du «vrai
jazz» d'Hugues Panassié: les musiciens américains ne se sont pas posé de
problème et ont continué de jouer dans leur propre style.
En passant aux années 50 qui culminent bien sûr avec Kind
of Blue, on peut regretter le manque de documentation sur cette première
traversée du désert, avec des retours vers Saint Louis pour désintoxication,
jusqu'à la formation du premier quintet particulièrement illustrée par un saxo
ténor utilisé par John Coltrane et prêté pour l'exposition par son fils Ravi
Coltrane. De nombreux documents (contrats, partitions de la collaboration avec
Gil Evans largement documentée) complètent cette période avec un grand panneau
consacré au matraquage et à l'arrestation de Miles Davis devant le Birdland,
une semaine après la sortie de Kind of
Blue. Si Miles a passé peu de temps en prison, son absence a causé la
disparition du sextet avec Cannonball Adderley et une profonde rupture s'est
produite entre le trompettiste et son pays natal qui expliquent son attitude
fort différente aux USA et en Europe.
Il est indispensable
de s'arrêter pour regarder le DVD qui illustre le second quintet, certainement
la formation qui a fait le plus pour la renommée de Miles Davis. Enregistré en
1967 en Allemagne, il marque l'apogée de l'art du trompettiste et le moment où
il ne peut aller plus loin dans sa recherche et l'étape suivante, au deuxième
niveau de l'exposition s'ouvre sur un tableau synoptique des différents
musiciens avec lesquels Miles Davis a joué et la taille des noms donne une
indication sur l'importance et sur la durée de leur collaboration. Ainsi Benny
Carter l'un des premiers employeurs de Miles est écrit en petits caractères
(leur travail commun fut très éphémère) alors que Kenny Garrett et John
Coltrane sont en gros caractères pour la durée et l'importance de leur présence
dans le groupe. Après cette transition commence la période dite électrique avec
une grande masse de documents certains très connus, d'autres beaucoup moins:
c'est là que le spécialiste découvrira le plus de documents inconnus car la
masse est tellement grande qu'il est beaucoup plus facile d'en découvrir de
nouveaux. En effet, même si elles sont très connues, les peintures de Miles
Davis sont rarement exposées. Sa garde-robe qui prend une importance
grandissante dans l'image qu'il veut donner à cette époque, devient un élément
essentiel de son personnage. Car Miles dès lors se construit une légende qui
culmine avec l'interview où il déclare qu'il est devenu souteneur pour se payer
ses doses de drogue. Fantasme ou réalité, Miles construit avec application son
image de Prince des Ténèbres. Lorsqu'en 1975 il s'arrête de jouer (pour de
graves problèmes de santé), cette période est heureusement présentée par un
long couloir noir où émerge un seul document: un contrat pour un concert au
Japon qui n'a jamais eu lieu. Et l'exposition se clôt sur la dernière période
avec les instruments de Miles: un Fender Rhodes dont il jouait en tournant le
dos au public (lui a-t-on assez reproché !), et une des trompette de couleur
avec son nom écrit dessus.
A la sortie de l'exposition on connait certes un peu
mieux le trompettiste qui a le plus modelé son siècle, mais de même que le
Rosebud de Kane reste inexpliqué, le Citizen Miles garde tout son mystère. Les
réponses se trouvent naturellement dans sa musique, des tout premiers
enregistrements avec Charlie Parker, jusqu'au dernier concert de Nice en 1991
qui est à ce jour le seul officiellement publié (dans le coffret de ses
enregistrements à Montreux. Il existe un enregistrement privé du dernier
concert connu à l'Hollywood Bowl le 25 août 1991). Il semble que les visiteurs
l'aient compris: les ventes de disques de Miles Davis ont augmenté chez les
disquaires spécialisés.
Le Siècle du Jazz
Art, cinéma, musique et photographie de Picasso à Basquiat Musée du quai Branly, Paris, du 17 mars au 28 juin 2009
Quand la machinerie des musées français se met en route
sur un sujet, il y a beaucoup de chances pour que le résultat en soit
spectaculaire, en regard des moyens mis à la disposition des institutions en
France. Pour le jazz, il y avait d’autant plus d’attente qu’il n’avait jamais
véritablement franchi le seuil de l’officialisation et d’un tel musée. C’est le
premier mérite de Daniel Soutif, critique de Jazz Magazine, à l’origine de cette première exceptionnelle, et il
en était le commissaire attendu dans la mesure de son implication dans le
circuit institutionnel des musées depuis de nombreuses années (Centre
Georges-Pompidou). L’exposition a été rendue possible grâce à la collaboration
du Centre de la culture contemporaine de Barcelone en Espagne et du Musée d’art
moderne et contemporain de Trento et Rovereto en Italie.
Il est nécessaire de revenir sur l’objet de cette
exposition pour éviter tout contresens dans sa compréhension: il s’agissait bien
d’exposer les relations entre le jazz et d’autres expressions artistiques qui
ont tourné autour de lui pendant un siècle assez justement baptisé «du jazz»,
mais pour dire que c’est dans ce siècle que le jazz est né et a vécu, plus
qu’il en fut l’art de référence. Le cinéma bien sûr mériterait aussi cette
position éminente et bien d’autres expressions artistiques ont continué leur
vie.
L’intérêt de cette exposition est bien dans un premier
temps de consacrer le statut artistique du jazz, ce qui n’est acquis que depuis
peu tant le jazz, propriété des amateurs éclairés, conserva longtemps sa
capacité à s’affranchir des institutions et d’une reconnaissance qui ont
l’inévitable contrepartie d’académiser et de normaliser l’expression (politique
des subventions). Cette attirance-répulsion pour la reconnaissance est encore à
l’œuvre dans l’esprit de nombreux musiciens qui tiennent à leur «autonomie»
créative, que ce soit un sentiment vrai traduit par le vécu et l’expression ou
une simple attitude de mode.
Cette exposition n’était pas, en principe –son sous-titre–
une énième histoire du jazz, bien que l’angle chronologique choisi ait tendance
à induire en erreur le promeneur néophyte et curieux ou l’amateur naturel du
jazz, ébloui par la riche matière de cette grande première.
La chronologie est parfois un piège, surtout quand elle
est sous-tendue par une philosophie «progressiste» en matière d’art, travers
(fondateur pour la personnalité de Jazz
Magazine) qui pollue d’ailleurs toutes les expressions artistiques avec ces
catégories très XXe siècle de «modernité», de «création» et d’«avant-garde»
décrétées ou de mode si nuisibles à la vie et la perception de l’art, par
nature (si c’en est) intemporel et éternellement nouveau et créateur, même
quand il s’agit d’œuvres anciennes, ou d’expressions réactivant des racines.
Commençons donc par le contenu (exposé chronologiquement
dans l’espace en une sorte de colimaçon) : Une revue de presse où Jazz Hot est assez présent jusqu’aux
années 60 (le fonds Charles Delaunay de la Grande Bibliothèque), avec des
articles d’auteurs célèbres (celui d’Ansermet dans la Revue romande de 1919, de
Boris Vian parfois sous des pseudos non éclairés), des affiches, des ouvrages
sur le jazz (Goffin, Panassié, mais pas la discographie de Delaunay de 1937 à
première vue. Charles Delaunay aurait mérité une place à part car son
positionnement (fils de Sonia et Robert, artiste lui-même), est au centre du
thème de l’exposition. Il y a également des pochettes de disque en très grand
nombre (exposées et en diaporamas), une des inventions-contributions graphiques
les plus importantes du jazz – avec peut-être une sous-estimation des textes de
pochettes qui ont appris le jazz à des millions d’amateurs – des dessins, des
peintures, quelques films ou extraits, anciens (Fats Waller, Bojangles, Fred
Astaire… toujours passionnants) ou modernes dont certains n’ont rien à voir
avec l’objet de l’exposition, des sculptures, des objets, enfin une inflation
de documents exceptionnels parfois dont les amateurs de jazz sont d’autant plus
friands qu’ils en ont été longtemps privés et, pour l’occasion, quelques
œuvres, dessins, objets, ouvrages de la Harlem Renaissance, étaient là. Ce
souci quantitatif même dans la qualité est un peu la faiblesse des amateurs de
jazz (D. Soutif en est un), souvent collectionneurs, et de notre époque
consommatrice (la conception des musées y sacrifie son intelligence). Beaucoup
de documents sont très émouvants mais il faut pour cela avoir déjà un
background jazzique.
Plus la quantité des documents est grande, plus il est
nécessaire de construire l’exposition en s’appuyant sur des commentaires
complexes et précis les articulant entre eux, créant ces liens indispensables à
la cohérence d’une histoire, en fonction du projet initial, mieux qu’une seule
chronologie muette. Or ici, tout en respectant l’ordre chronologique qui
n’était pas le fond, l’exposition ne donne pas assez d’éclairages
civilisationnels sur les Etats-Unis qui expliquent ce tourbillon artistique qui
entoura le jazz; par exemple sur le pourquoi Harlem et ce mouvement de 1900 à
1935, sur le pourquoi des standards, sur les relations «interraciales» et
internationales qui rendirent possible cette émulation d‘expressions variées,
sur ses traductions en Europe avec en particulier le cas emblématique de
Charles Delaunay, critique propagandiste du jazz à la croisée des arts par ses
parents, ses relations, son ouverture et son talent. Oui, on sait que telle
toile date de telle époque, comme telle revue ou tel disque, mais si on peut
espérer que les férus de jazz articulent les éléments entre eux, que font les
autres? On peut se dire que cette exposition est réservée aux spécialistes mais
dans ce cas pourquoi faire payer les autres? La saturation, visuelle ici est
une sorte d’encouragement à une surconsommation indigeste pour les non-initiés.
L’autre travers d’une chronologie trop isolée comme
facteur explicatif dans cette exposition est de donner au visiteur l’impression
que les musiciens de jazz sont nés un jour et morts le lendemain; qu’une
expression nouvelle rend obsolète, comme on le dit en informatique ou en
matière commerciale, les expressions préexistantes, voire qu’elles
disparaissent, et avec elles toutes les autres formes d’art qui s’en inspirent.
C’est la philosophie de nos confrères de Jazz
Magazine liée à l’idée de rupture (Free Jazz et Black Power), mais est-ce
pour autant une réalité de terrain? Non bien sûr; l’expression dans le jazz est
un continuum, multiforme, et ses formes vivent ensemble en parallèle, en se
croisant ou se mêlant parfois pour construire la surface, la matière, la
profondeur, l’épaisseur, la transversalité, la richesse, l’avenir du jazz,
éventuellement; si on ne les tue pas, comme parfois en France pour des raisons
de pouvoir, de mode ou de coteries. En jazz comme en art, la mémoire est même
un indispensable moteur de l’authenticité et de la création.
Si, par exemple, Django Reinhardt a ouvert la grande voie
du jazz dans les années trente en France, des artistes musiciens comme
peintres, sculpteurs, graphistes, cinéastes, etc., se revendiquent toujours de
cette inspiration en 2009 pour continuer à créer, sans faire nécessairement de «l’abstraction
créative» rendue obligatoire par notre temps. La peinture de Clama, le cinéma
de Woody Allen, de Clint Eastwood, les pochettes de disque en général, sont
autant d’expressions inspirées du jazz sous toutes ses formes. Dans cette
exposition, la période moderne est consacrée à l’abstraction, à l’improvisation
totale voire à la vacuité (une histoire de guitare traînée au sol par un camion
pour produire des sons aléatoires, une expo de dessus de pianos…). C’est faire
peu de cas des milliers de créateurs musiciens en vie et autres artistes qui
prolongent des formes de jazz enracinées; loin de pratiques qui ne sont pas
artistiques parce qu’elles disent l’être et qu’elles sont officialisées par les
institutions.
Au demeurant, cela autorisa sur place quelques
discussions intéressantes avec de jeunes visiteurs où il fut possible pour nous
d’apporter des commentaires absents, de rétablir des perspectives, voire de
redresser quelques préjugés renforcés par ce parallélisme automatique de la
chronologie et de la forme qui est, en matière d’art, un barbarisme.
Il y a eu dans cet amoncellement de beaux documents quelques
erreurs de légende, parfois cocasses, mais là-dessus soyons indulgents et
réalistes : la masse réunie (des milliers de documents venant de musées,
bibliothèques, collectionneurs) est une performance, une grande réussite et le
nombre d’erreurs est très faible, la présentation soignée. La faiblesse des
commentaires est plus regrettable.
Enfin, je ne peux pas terminer sans dire un mot sur le
choix du lieu de cette exposition parce qu’il a à voir avec l’objet de cette
exposition : d’abord pourquoi pas au Musée d’Art moderne de Paris – né en 1937
justement avec cette vocation d’exposer l’explosion artistique du début du
siècle – où c’était tout indiqué, voire à Beaubourg ou Daniel Soutif a ses
habitudes? Le choix du Musée des Arts premiers pour ne plus dire primitifs,
bien que ce soit encore plus impropre, est en fait une des autres erreurs
majeures qu’il était possible de faire (ou d’éviter) après cette «chronologie
de la forme» caricaturale dont nous avons parlé.
En dehors de l’horreur absolue en matière architecturale,
environnementale et sur le plan visuel qu’est ce musée, était-ce pour rappeler
au néophyte des origines africaines premières pour le jazz? Cela va très bien
dans le discours de mode écolo-bobo-tiers-mondiste du moment, mais cela ne constitue
pas une justification. Que le jazz soit une expression d’essence
afro-américaine, c’est-à-dire née dans la communauté américaine d’origine
africaine, d’accord. Nos confrères de Jazz Magazine et Jazzman l’oublient trop
souvent, comme nos institutions ou structures culturelles. Mais cela signifie
en clair que cette expression s’est développée aux Etats-Unis, au XXe siècle
(D. Soutif l’écrit très justement dans son introduction d’un beau catalogue),
dans une société en plein développement et mouvement, d’immigration et de
migrations massives, mêlant toutes les influences et les populations : celle
bien sûr de la mémoire de cette population (la place de la transmission orale,
l’approche du rythme, le rôle de la musique dans le quotidien) mais aussi celle
de la musique populaire et savante occidentale. Le jazz naît dans le contexte
de toutes les modernités (la ville, l’industrie, la vie nocturne…) et se
développe quasi exclusivement dans les sociétés démocratiques occidentales en
pleine effervescence artistique et politique. Les musiciens de jazz
afro-américains sont les premiers à revendiquer un savoir (et la possibilité
d’y accéder) qu’un tiers-mondisme naïf leur refuse encore ici sous prétexte de
spontanéité, d’improvisation, de tradition orale, de spiritualité, bref d’art «premier».
Le jazz est une synthèse américaine du XXe siècle, pas un
folklore né pur d’influences mais une élaboration artistique née d’un maelström
culturel. Il ne s’est pas développé en Afrique, ni en Amérique centrale ou du
Sud où a pourtant été déportée la très grande partie des Africains au cours des
trois siècles précédents, mais bien aux Etats-Unis au XXe siècle, et par
ricochet en Europe, à la «faveur» notamment de deux guerres où les Libérateurs
ont emmené dans leurs bagages les conditions du rayonnement du jazz en Europe
(une photo de Jim Europe et des V-discs présents dans l’exposition nous le
rappelaient).
Les musées étrangers qui participent à cette exposition
sont dans leur rôle (Art moderne et contemporain), pas le musée du quai Branly.
Si c’était une opportunité (une salle disponible ou un responsable dynamique)
plus qu’un choix, il eut été mieux de le dire car l’association Art premier et
jazz est une erreur autant sur le plan musicologique que sur le plan de
l’histoire des civilisations. Des spectacles Jazz Africa figurant sur la même
brochure que l’exposition, disponibles au quai Branly, nous confortent sur
l’idée de cette confusion très mode et de ce renvoi du jazz à une négritude
senghorienne qui est hors sujet. Le jazz, art occidental, emprunte à l’Afrique
au même titre que la musique classique, la peinture, la sculpture, la danse
d’occident l’ont fait, en intégrant une source d’inspiration pour la façonner
selon des fantasmes occidentaux et une personnalité civilisationnelle
américaine (la Harlem Renaissance, le style jungle de Duke Ellington autant que
les revues). Cette confusion du jazz, du monde afro-américain avec l’Afrique,
outre son caractère au fond raciste même si l’intention n’est pas celle-là,
nous rappelle un vieux débat qui anima les années 50-60 entre les auteurs
afro-américains (Chester Himes, Richard Wright et même plus tôt dans le temps
Claude McKay), attachés à leur américanité, et les tiers-mondistes ou auteurs
du monde colonisé qui pensaient l’art et la littérature à l’aune de la «négritude».
Ce débat est encore vivant, même aux Etats-Unis dans l’opposition entre les
tenants de l’américanité du jazz (position de Wynton Marsalis entre autres) et
ceux de la négritude du jazz (l’AACM de Chicago) qui réfute d’ailleurs le terme
de jazz, sans réfuter les artistes de jazz.
Ce concept de négritude prend de l’ampleur dans ce XXIesiècle communautariste et raciste, amplifié par les médias, accentué par la
perte de repères, de mémoire de ce que furent l’atmosphère de la naissance et
la vocation universelle du jazz (les artistes sont tournés vers le public sans
distinction d’origine). A l’intérieur de ce que nous appelons le jazz au sens
large aujourd’hui, ce débat est essentiel. Le retour identitaire pour ne pas
dire parfois «racial» (cf. l’ouvrage de George Lewis sur l’histoire de l’AACM, Jazz Hot n° 646), avec aussi ces
accaparements nationaux (jazz français, espagnol…), mythique et mystique (jazz
africain) ou religieux (jazz klezmer, etc.), nie le statut d’art universel que
des gens comme Ansermet et Delaunay ont distingué très tôt chez ses inventeurs
(Bechet, Armstrong, Ellington, Django…). Le jazz peut avoir des accents, du
Mississippi, de Louisiane, de Chicago, de Californie et du Texas ou d’Italie et
tzigane, mais comme tous les arts affirmés, il est une langue que les créateurs
ne doivent jamais oublier sous peine de sortir de l‘histoire.
Ce Siècle du jazz, même si ce n’était pas son objet, pose
ces questions par le choix du lieu d’exposition et paradoxalement la
quasi-totalité des documents consacre le caractère universel de cet art et
renvoie à cet ancrage américain. Une plus grande place faite aux documents
d’autres pays où le jazz vit depuis les années 1920-30, d’Italie et d’Espagne,
en particulier puisque des musées étaient partenaires, anglais ou scandinaves,
belges ou allemands, américains, japonais depuis 1945, confirmerait mieux que
de longs discours cet aspect civilisationnel du jazz.
Sur le plan documentaire, la danse et la photographie
mériteraient un développement particulier, tant le jazz a créé de symbioses
avec elles.
Cela dit, c’était une première, et à ce titre
l’exposition mérite d’abord beaucoup de compliments, notamment pour cette
capacité à réunir des documents rares et parce que le commissaire, Daniel
Soutif, était vraiment le porteur de l’exposition et non un simple consultant.
En dehors de ce qui fait débat en art et pour le jazz – c’est aussi la vocation
et le mérite de cette exposition –, il a évité les naïvetés, les erreurs grossières
habituelles quand les institutions évoquent le jazz. C’est un pas qualitatif et
symbolique…