 Jazz Records (les chroniques de l'année en cours)
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JAZZ RECORDS • Chroniques de disques en cours • Ces chroniques de disques sont parues exclusivement sur internet de 2010 (n°651) à aujourd’hui. Elles sont en libre accès.4 choix possibles: Chroniques en cours (2022), Jazz Records/alphabétique (2010 à 2022 sur internet), Jazz Records/chronologiques (2010 à 2022 sur internet), Hot Five de 2021 et 2022.
En cliquant sur le nom du musicien leader dans le programme des chroniques proposées, on accède directement à la chronique. Toutes les autres chroniques sont parues dans les éditions papier de 1935 (n°1) à février 2013 (n°662). A propos des distinctions, elle ne résument que la chronique, pour sacrifier à la tradition déjà ancienne des notations et à la mauvaise habitude moderne d'aller vite. Nous pouvons résumer l'esprit de ces niveaux d'appréciation par un raccourci qualitatif (Indispensables=enregistrement de référence, historique; Sélection=excellent; Découverte= excellent par un(e) artiste pas très connu(e) jusque-là; Curiosité=bon, à écouter; Sans distinction=pas essentiel pour le jazz selon nous). Cela dit, rien ne remplace la lecture de chroniques nuancées et détaillées. C'est dans ces chroniques de disques, quand elles sont sincères, c'est le cas pour Jazz Hot, que les amateurs ont toujours enrichi leur savoir. |
Au programme des chroniques
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2021 >
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2022
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 Roberto Magris
Match Point
Yours Is the Light, Search for Peace, The Insider, Samba for
Jade , The Magic Blues , Reflections, Caban Bamboo Highlife, Match Point
Roberto Magris (p), Alfredo Chacon (vib, perc), Dion Kerr (b),
Rodolfo Zuniga (dm)
Enregistré le 8 décembre 2018, Criteria Studios-The Hit Factory, Miami, FL
Durée: 1h 15’ 12”
JMood 019 (www.jmoodrecords.com)
Le déjà long et passionnant parcours artistique de Roberto
Magris, dont vous avez pu lire la
synthèse dans l’interview parue dans Jazz
Hot en 2021,
s’apparente à celui d’un globe-trotter du jazz, qui visite beaucoup des
dimensions des Etats-Unis, la terre native de cet art, avec la curiosité
savante d’un artiste italien pétri de culture, et qui a décidé de consacrer son
âme à un art a priori étranger. Il possède pour ça cette fibre naturelle aux
transalpins, qu’on appelle la culture populaire et qui se manifeste dans les
nombreuses dimensions de l’art en Italie, jamais loin des racines et donc du
peuple. On en a des exemples nombreux dans le théâtre, l’opéra et la musique en
général, le cinéma, l’architecture, la littérature et bien entendu la peinture
et la sculpture. Cette fibre traverse les siècles, et il n’est nullement
étonnant de la retrouver dans le jazz, dont l’histoire depuis l’origine (Eddie
Lang/Joe Venuti) et jusqu’à nos jours (Roberto Magris, Dado Moroni, Rossano
Sportiello et beaucoup d'autres, en se limitant au piano jazz), fourmille de descendants de cette
brillante culture, aussi bien nés dans l’émigration aux Etats-Unis que dans sa
terre natale, l’Italie. Le caractère populaire essentiel des cultures
afro-américaine et italienne établit un pont spirituel entre ces deux cultures,
une capacité que l’Italie a développé avec beaucoup d’autres peuples
(l’Angleterre pour le théâtre de Shakespeare, la France pour le théâtre,
l’architecture, la peinture et la littérature, la Russie pour la musique,
l’Espagne pour la musique et la guitare, la Chine même, etc.).
Roberto Magris est un fils de Marco Polo: il visite la terre
du jazz, les villes, Kansas City, New York, Chicago, établissant un dialogue
fertile avec la musique essentielle de son siècle, le jazz, se pénétrant pour
élaborer son art, son expression, de l’âme du jazz à travers sa fréquentation
non seulement par l’oreille et le disque mais aussi par l’échange avec les
acteurs du jazz de ce grand continent: sa complicité spectaculaire avec Paul
Collins qui a créé à Kansas City ce bon label de jazz, JMood, où Roberto publie
avec fidélité et sans aucun doute amitié, la plupart de son œuvre, en est un
exemple supplémentaire.
Dans ce remarquable Match
Point, Roberto fait escale à Miami, et pas le temps d’une tournée et de
rencontres passagères, mais pour une durée longue lui permettant de nouer des
complicités choisies. A Miami, la couleur est forcément plus latine qu’à New
York, Chicago et Kansas City, et notre homme de culture parvient parfaitement à
l’intégrer dans son monde jazz, celui de sa génération, un jazz post
coltranien-tynérien, que nous avons déjà décrit à l’occasion de plusieurs chroniques,
où il n’oublie ni le caractère hot(populaire et authentique), ni l’extrême richesse de cette musique depuis les
origines. Si McCoy Tyner en constitue un point de référence fort parmi la
grande tradition du piano jazz marquée par le blues depuis Elmo Hope, Wynton
Kelly, Sonny Clark jusqu’à Barry Harris, Randy Weston, Kenny Barron, Mulgrew
Miller et tant d’autres, il y a aussi cet esprit post bop des années 1960 à
1990 où Art Blakey, Woody Shaw, les héritiers de Charles Mingus, Bobby
Hutcherson, Louis Hayes, Kirk Lightsey, Billy Higgins, Cedar Walton, Junior
Cook, et tant d’autres artistes et formations, toujours exceptionnels de
qualité, parcouraient le monde.
Le répertoire de Match
Point propose d’ailleurs trois références, d’abord à travers «Search for
Peace» de McCoy Tyner disparu en 2020,
une excellente et longue relecture (15’), avec ce qu’il faut de latinité et
d’inventivité personnelle-collective pour personnaliser l’œuvre. The «Insider»,
un original, prolonge la référence au natif de Philadelphie,
mais l’élargit aussi à Bobby Hutcherson grâce à la présence d’un remarquable
jeune vibraphoniste, Alfredo Chacon, que Roberto a découvert à Miami, et qui
marie si bien son origine latine à la tradition du jazz tout au long de cet
enregistrement.
Il y a encore «Reflections» de Thelonious Monk, qu’il
interprète ici en brillant soliste, restituant tout ce que le pianiste de New York devait à la tradition du stride, confirmant ce que nous évoquions plus haut, ce
haut degré culturel de Roberto Magris qui en donne une relecture personnelle,
où le stride fait autant référence à Monk qu’aux éclats renouvelés d’un Jaki
Byard, ou aux virtuosités tatumesques d’un Phineas Newborn, autres inspirations.
Une telle maîtrise d’autant de références est en soi du grand art car il en ressort
une interprétation qui se démarque de l’original monkien sans pâlir et sans trahir.
Il y a également le rare «Caban Bamboo Highlife» de Randy
Weston, sans doute un hommage, car le pianiste venait de disparaître deux mois
avant l’enregistrement. Publié à l’origine sur l’album Highlife de Randy Weston, un hymne aux nouvelles nations africaines
émergeant à l’époque de l’indépendance, les Caraïbes originelles de Randy Westony sont présentes dans une version joyeuse où contraste la plainte de Booker
Ervin. Ici, Roberto Magris exploite l’aspect joyeux et le virtuose
batteur-percussionniste Rodolfo Zuniga donne la pleine mesure de ses qualités
avec un jeu alternant africanisme, latinisme et jazzisme, tous les climats de
ce même thème étant exploités avec brio par le vibraphoniste et des chorus de
feu de tous les participants, le pianiste évoquant encore Jaki Byard. Aussi
original que parfaitement mis en scène.
Dans le disque, dominent les originaux du pianiste, des
compositions toujours dans l’esprit («The Insider», «Match Point» –où le sobre
Dion Kerr prend un bon chorus– sont de beaux thèmes parfaitement mis en vie par le quartet), dont un long blues («The Magic Blues»), passage nécessaire et
moment de jouissance collective où chacun est tellement libre que ça permet de
comprendre que le free jazz, c’est sans doute le blues dans sa tradition la
plus fondamentale, ce qui permet de donner la pleine mesure de ce que chacun a
au fond de l’âme. Le blues formellement ou par l’esprit est un fondement du
jazz et de l’expression de Roberto Magris comme de tous les artistes essentiels
du jazz.
Côté latin, Roberto Magris n’a pas oublié qu’il enregistre à
Miami, et on en trouve plusieurs couleurs aussi bien dans le thème initial
(«Yours Is the Light»), que dans «Samba for Jade». Personne n’oublie qu’il
s’agit de jazz, quelle que soit la couleur latine et les inspirations. Le pianiste
y est toujours aussi brillant et inventif, et entraîne ses jeunes compagnons
dans cette dimension de transe indispensable au jazz, une composante du drive
et du hot.
Roberto Magris, un homme de culture, a choisi de faire
l’impasse de la scène dans cet épisode de covid qui a conduit à une atteinte
sans précédent à la culture. Il s'est provisoirement retiré d’une scène sur ordonnance qui se remarque
par sa pauvreté, sa vacuité et sa platitude, malgré la bonne volonté des
acteurs. La production discographique post covid atteste de cette dilution. La liberté comme l’esprit du
jazz ne se décrètent pas en conseil des ministres à Bruxelles ou Washington. Le
vide des inspirations inquiète parce qu’il témoigne de l’intensité du lavage
de cerveau de ces années de plomb qui se poursuivent aujourd’hui pour d’autres
raisons, en apparence seulement. Roberto Magris et JMood emploient ce moment pour exploiter
ce qui a été enregistré avant 2020, et en septembre 2022 sortira un autre
opus de Roberto Magris en duo et trio avec le regretté saxophoniste Mark Colby,
disparu le 31 août 2020.
En attendant ce moment, Roberto Magris et ses compagnons
offrent Match Point, une fleur
immortelle du jazz d’avant la normalisation.
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 Claire Michael
Mystical Way
Graceful Sun, A Love Supreme, Mystical Way, So Beautiful, Stella
By Starlight, Superposition, Vers la lumière, La Musange, Arpegic, Lovely Bird°,
Rien n'est trop beau, L'instant du Bonheur*
Claire Michael (as, ts, ss, fl, voc), Jean-Michel Vallet (p,
clav), Hermon Mehari (tp), Patrick Chartol (b, eb), Zaza Desiderio (dm, perc), David
Olivier Paturel (vln)°, Raul de Souza (tb)*
Enregistré en 2021, Studio des Charmettes,
Gif-sur-Yvette (91)
Durée: 1h 00’ 22”
Blue Touch 00316L (http://bluetouch.org/UVM distribution)
Nous avons déjà évoqué dans nos colonnes cette formation à
l’occasion de disques ou de concerts, une sorte de tribu musicale, dont Claire
Michael assure sans maniérismes la direction, une sorte de délégation d’image d’un
collectif vivant. On le devine à travers quelques détails, comme ce studio des
Charmettes, lieu de vie et d’enregistrement, ou le fait que les compositions
originales sont créditées à l’ensemble des musiciens, en dehors des standards
ou compositions jazz reprises dans cet album. Cet esprit communautaire n’est
pas pour rien dans l’atmosphère de communion de cette musique qui doit son
caractère «atmosphérique» à une époque de liberté (on pourrait dire l’après
1968 avec le décalage temporel habituel entre Etats-Unis et Europe) et à un
père inspirateur, John Coltrane, qui a exercé une fascination sur la
saxophoniste, pas seulement technique ou sonore mais spirituelle.
Un petit texte de présentation –dans la tradition du jazz– des
musiciens et du contexte de l’enregistrement serait une nécessité, à notre
humble avis, pour cet enregistrement. Bien qu’on trouve biographies et
discographies des participants sur le site mentionné plus haut, les artistes et
les producteurs ont aussi cette mission d’éclairage et de transmission dans le
jazz et, pour sortir des platitudes lues à droite ou à gauche sur cette musique,
il est aussi utile pour les amateurs de musiques et de jazz en
particulier, comme pour la critique qui n’est parfois pas plus éclairée,
de disposer de quelques clés, surtout dans le cas d’un univers développé depuis des années avec beaucoup de constance, persévérance par Claire
Michael avec la complicité de Jean-Michel Vallet, dont le goût pour les musiques
illustratives (films et autres), la musique moderne du XXe siècle, la
composition et les arrangements est un complément idéal au monde post
coltranien de Claire Michael qu’il contribue à personnaliser, diversifier (un
brillant «Arpégic», «Lovely Bird»…).
L’autre membre au long cours, Patrick Chartol, partage avec
Jean-Michel Vallet ce goût de la composition, et il ne fait aucun doute que la
symbiose fonctionne entre tous. La durabilité en a accru les qualités et la
profondeur. Patrick Chartol parvient également à donner des ailes à sa basse,
même électrique, pour la sortir du rôle rythmique stéréotypé, et à participer
à l’élaboration mélodique («La Musange»).
A ce petit monde, se sont agrégés avec le temps des invités
durables ou ponctuels dont le regretté Raul de Souza,
disparu en 2021, et dont on entend le trombone poétique et virtuose contribuer
à la conclusion émouvante de cet enregistrement («L’instant du Bonheur»). Il y a encore le fin Zaza Desiderio qui, de ce même Brésil,
tire la recette d’un accompagnement (batterie et percussions) tout en finesse,
aérien et souple, qui n’emprunte pas à Elvin Jones et pourtant participe de ce
caractère tout aussi bien «interstellaire»; sa musicalité lui permet d’intégrer
parfaitement la musique voire d’en devenir une clé essentielle («So Beautiful»,
«Lovely Bird»…). Il y a encore la participation sur «Lovely Bird» du violoniste
David Olivier Paturel.
Si Claire Michael appartient à la descendance coltranienne,
affirmée encore ici avec une évocation de «A Love Supreme», ce n’est pas celle
du «jeune homme en colère» cité dans le texte de promotion (la colère
afro-américaine n’appartient qu’à l’Amérique et a besoin des Afro-Américains
pour être authentique et violente), mais plutôt de l’homme qui regardait les
étoiles, dont Louis-Victor Mialy nous faisait le récit («Interstellar Space»
dans Jazz Hot n°491),
de la méditation, de ce besoin d’amour universel, dans un esprit voisin de ce
qu’a pu offrir Pharoah Sanders (enregistrements pour Venus Records), qui est la
plus grande proximité stylistique de la saxophoniste Claire Michael («L’instant
du Bonheur»). S’il lui arrive sans doute d’être en colère, cela ne se traduit
pas ici dans sa musique, même quand elle se rapproche le plus de l’inspirateur,
au ténor par exemple dans la relecture libre de «Stella by Starlight» où
Jean-Michel Vallet déploie des trésors de nappes synthétiques, tissant une belle
toile de fond sur laquelle il fait briller son piano acoustique, dans un esprit
hérité de Bill Evans, très européen au fond, qu’on retrouve à la fois dans sa
manière, dans la tonalité des compositions et des arrangements en général. Le
ténor de Claire Michael s’y fait parfois plus musclé, mais sans perdre le fil
du rêve, et de cette quête d’amour, de paix. La flûte comme la voix sont aussi
pour Claire Michael des arguments pour confirmer ces climats. «Mystical Way» –titre de l’album également– avec la voix de
Claire Michael, comme les cinématographiques «Graceful Sun» et «La Musange» confirment
l’état d’esprit général de cette musique, avec les interventions très sobres
d’Hermon Mehari qui a choisi de se fondre dans cet univers, une musique qui
évite les clichés des musiques planantes. C’est une expression cohérente et
pourtant variée, imaginative, que nous propose la formation de Claire Michael, un
monde habité, collectivement et individuellement.
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 Louis Armstrong
At The Crescendo 1955. Complete Edition
Titres communiqués dans le livret
Louis
Armstrong (tp, voc), Trummy Young (tb, voc), Barney Bigard, Peanuts Hucko,
Edmond Hall (cl), Billy Kyle (p), Arvell Shaw, Mort Herbert, Squire Gersh (b),
Barrett Deems, Danny Barcelona (dm), Velma Middleton (voc)
Enregistré
en août-septembre 1954, le 21 janvier 1955, le 8 octobre 1958, le 26 janvier
1959, New York, NY, Los Angeles, CA, Copenhague (Danemark)
Durées:
1h 15' 46''+ 1h 17' 10'' + 1h 15' 05''
American
Jazz Classics 99143 (www.jazzmessengers.com)
Le label American Jazz
Classics a le don de rééditer les enregistrements qui mettent le mieux en
valeur la sonorité exceptionnelle de Louis Armstrong. Après The Complete
Louis Armstrong and the Dukes of Dixieland de 1959-60, chaudement
recommandé, voici la réédition de Louis Armstrong at the Crescendo,
disques qui furent salués à leur sortie en France en deux microsillons 33 tours
de 30 cm (Compagnie Internationale du Disque 263 591, importation de Decca
américain) par un Hugues Panassié enthousiasmé, dans une chronique de neuf
pages pour le Bulletin du Hot Club de France n°53 (décembre 1955). Le principe est le même, American Jazz Classics a regroupé tous les
titres initialement publiés (Decca DL 8168/69), ainsi que ceux restés inédits,
issus de ce live du 21 janvier 1955.
Pour faire bonne mesure, on a ajouté ici (CD3) une retransmission par la NBC
d'une prestation du même All Stars au Basin Street Club de New York donnée l'année
précédente, et trois raretés: deux titres tirés d'une bande son d'un film
tourné au Danemark (1959) et un spot publicitaire (1956) avec un personnel
différent. Nous allons surtout nous consacrer à la soirée de 1955. Ce n'est pas
le répertoire qui fait l'intérêt; Hugues Panassié qui est allé écouter le All
Stars jouer cette même année à Bordeaux, Toulouse, Versailles et plusieurs
jours à l'Olympia de Paris, nous a signalé que Louis et son équipe, outre «When
It's Sleepy Time Down South»
(générique), jouaient «Tin Roof Blues»,
«The Bucket's Got a Hole in It», «Someday», «Back O'Town Blues». Ce qui a pu faire
dire de Louis que «son pouvoir créateur s'émousse».
Car Louis Armstrong faisait, à cette époque, l'objet de bien des critiques,
comme dans L'Express du 15 octobre 1955, où un certain Anchois Mollet
(ça ne s'invente pas) ose écrire: «Le
style a un peu changé, mais on devine que c'est pour compenser les inévitables
diminutions des possibilités instrumentales». Quand on sait qu'il chronique là
un chef-d'œuvre, Louis Armstrong Plays W.C. Handy (1954), on a
conscience qu'il ne s'agit pas d'objectivité, car le trompettiste y joue avec
une forme olympienne.
Le Crescendo est un night club, propriété depuis 1945 de
Gene Norman, alias Eugene Nabatoff (1922-2015), à Hollywood. C'est ce même
Norman qui fit jouer des monstres sacrés au Shrine, au Pasadena Civic
Auditorium et au Hollywood Bowl. Mais, c'est la maison Decca qui eut l'idée
d'enregistrer Louis Armstrong dans ce club en compagnie de Trummy Young, Barney
Bigard, Billy Kyle, Arvell Shaw et hélas après Sid Catlett et Cozy Cole,
Barrett Deems. Panassié aime l'idée: «Enfin,
on enregistre les grands musiciens de jazz au cabaret au lieu de les
enregistrer en concert!… qui ne sait que les musiciens de jazz sont plus
décontractés dans les boîtes de nuit que sur scène, qu'ils y jouent de
façon plus naturelle? Tout amateur de jazz digne de ce nom réalise fort bien
comme il est dommage que nous n'ayons pas des enregistrements de King Oliver
aux Lincoln Gardens, de Jimmie Noone à l'Apex Club, de Chick Webb au Savoy, de
Jimmie Lunceford à la Renaissance, etc.». Il ajoute: «D'autre part, l'acoustique
des clubs de nuit est, dans la plupart des cas, bien meilleure pour
l'enregistrement que celle des salles de concerts. La plupart des disques
faisant entendre des extraits de concerts de jazz sonnent comme s'ils avaient
été enregistrés dans un hall de gare. Ces interprétations enregistrées au
Crescendo ont au contraire une netteté, une chaleur, une présence
extraordinaires. L'auditeur a l'impression d'être installé à quelques mètres de
l'orchestre. La musique est chaude, intime, palpable pour ainsi dire. La
merveille, c'est surtout la façon dont la trompette de Pops a été
enregistrée… Avec Louis
Armstrong at the Crescendo, nous
retrouvons la trompette de Pops; elle nous est restituée avec une fidélité
admirable. Elle sonne exactement comme à l'audition directe, avec cette
ampleur, cette chaleur, cette matité qui manquaient plus ou moins dans les
autres enregistrements récents; et cela dans tous les registres, aigu et grave
tout comme medium. Aussi chaque note que joue Louis dans ces deux recueils at the Crescendo (et il y joue
beaucoup!) est-elle un véritable régal». Le premier générique («When It's Sleepy Time Down South») démontre cette affirmation dans les
16 premières mesures de trompette. Le tempo est parfait, le vibrato de Louis
nous touche, la complémentarité apportée par Trummy Young et Barney Bigard est
parfaite. Billy Kyle est excellent dans «Indiana»,
Deems l'est moins mais il est bien enregistré. Louis est très en lèvres. C'est
un des titres qui n'était pas dans la sélection initiale. Tout comme «The
Gypsy» dont le phrasé de Louis dans l'exposé de trompette vaut pourtant tout
l'or du monde (Trummy Young est superbe dans ses contre-chants). Le patron est
éblouissant d'autorité et de sensibilité à la fois dans la coda. Le «Someday» est une très belle composition de Louis, jouée ici avec décontraction sur un
tempo plus vif que d'habitude. Arvell Shaw est dans le coup. Et la section
rythmique est efficace (Barrett Deems est un peu lourd derrière Trummy Young).
Puis, sur un tempo low-down, c'est «Tin
Roof Blues» que Louis annonce ainsi «We're
gonna keep it rollin', yeah, we're gonna take a little trip down to my home town,
New Orleans, Louisiana». Le All
Stars joue deux fois le premier thème, un blues de 12 mesures, puis une fois le
second de 12 mesures aussi qui fut copié sur «Jazzin' Babies Blues». L'ambiance est bonne, Trummy Young
joue un solide solo, et Barney Bigard est à son meilleur niveau (à la fin de
son chorus, on entend Louis dire en français «voilà, voilà, voilà»). Dans «The Bucket's Got a Hole in It», Trummy Young joue avec véhémence et
Barney Bigard est excellent (dire qu'il est convenu d'affirmer que Barney ne
vaut rien en dehors de sa production chez Duke Ellington!). La sonorité créole
de Barney Bigard est un plaisir à entendre dans «Rose Room». Pour nos oreilles, Deems presse un
peu le tempo et dans son échange à deux avec le clarinettiste, ce n'est pas du
meilleur niveau sans être mauvais (mais c'est très clairement restitué par la
prise de son). On a enlevé l'annonce de Trummy Young pour «Perdido» dont l'excellent Billy Kyle est la
vedette. «Blues for Bass» est dévolu
comme on s'en doute à Arvell Shaw qualifié de «the pride of St. Louis» par Trummy Young
(la fierté de St Louis). Il débute
à l'archet, puis avec un changement de tempo il passe en pizzicato. Excellent.
Hugues Panassié s'est avec raison extasié sur ce «When You're Smiling»: «entièrement (ou presque) interprété par
Pops: deux chorus de trompette, un chorus vocal puis, après un demi-chorus de
trombone par Trummy, un demi-chorus absolument renversant de swing, de
puissance, d'envolée, Pops montant dans le registre suraigu avec une force, une
plénitude sonore qui vous coupent le souffle». Dans «Tain't What You Do» chanté par Trummy Young, les
contre-chants de Louis Armstrong sont remarquables. Velma Middleton chante «Lover
Come Back to Me», plutôt bien, mais
l'oreille est attirée par la trompette du Boss. Belle prestation de Louis
Armstrong dans «Basin Street Blues»,
montrant sa forme physique et artistique qui contredit les accusations des
pro-créatifs de service de l'époque. Billy Kyle a, ici, un quelque chose d'Earl Hines dans
son jeu. La partie d'Arvell Shaw est bien présente. Le morceau le plus court
est «C'est si bon», fait de deux
chorus (trompette, puis chant sur un petit riff de Trummy Young et Barney
Bigard).
Nous avons «The Whiffenpoof Song», une satire des boppers (Louis
annonce: «And this next number we're gonna to
dedicate it to Dizzy Gillespie and all the boys of the boppin' factory... I'll
put on my paraphernalia shell an' this red cap will tell all about it.» (notre
prochain morceau, nous le dédierons à Dizzy Gillespie et à tous les types de
l'usine bop... mettons donc notre équipement approprié et en avant, ce béret
rouge en dit déjà assez). Contrairement à la version originale, celle-ci
n'est pas que chantée. La partie instrumentale est importante. Louis Armstrong
commence par 64 mesures de trompette d'une belle tendresse et abandon,
réfrénant sa puissance, centrées sur le registre médium avec un son plein.
Panassié l'a remarqué: «Franchement, ces 64 mesures, de la
première à la dernière, sont bouleversantes; elles comptent parmi les plus grandioses
que Pops ait enregistrées». L'autre moitié est chantée avec quelques
variantes par rapport à la version initiale, ici Louis chante: «every
wrong note those cats play they think it's a gem» (toutes les fausses notes que
ces gars jouent, ils pensent que c'est un bijou). En effet, Louis n'aimait
pas le bebop, et c'était son droit. Ce qui compte c'est la musique de chacun, et
lorsqu'elle a cette classe, estimons-nous heureux. Louis enchaîne tout en
puissance dans l'exposé de «Rockin' Chair», par ailleurs un
remarquable duo vocal entre Trummy Young (excellent) et lui. Suivent «Twelfth Street Rag» («before my time»,
dit Louis qui y balance des aigus d'enfer) et «Muskrat Ramble» non sélectionnés dans
l'édition originale. Ils mettent en valeur Billy Kyle, Arvell Shaw et un bon
drumming de Deems. Le «St. Louis
Blues» est un bon solo de Billy Kyle, du jazz mainstream qui doit beaucoup à
Earl Hines. Arvell Shaw nous donne «The
Man I Love», adorablement accompagné par Kyle (le public est bruyant, sans
doute pas intéressé). Louis Armstrong enchaîne par un blues classique de 12
mesures, tout en plénitude qu'il jouait souvent, «Back O'Town Blues». Panassié fit sur Louis, une remarque
dont il avait le secret: «Il entame le second chorus par une de
ces phrases que les musiciens de la Nouvelle Orléans utilisent depuis fort
longtemps (c'est une des phrases favorites de Lee Collins, entre autres). Pops
la jouait déjà en 1925 dans son enregistrement de «St Louis Blues» avec Bessie Smith».
Après «Old Man Mose» (le couplet est
d'abord joué à la trompette), suivent «Jeepers Creepers» par le patron (deux chorus de
trompette et deux chantés), «Margie»
grand succès de Trummy Young (les contre-chants de Louis et ses codas!) et un
blues rapide chanté par Velma Middleton, «Big
Mama's Back in Town» alias «Velma's Blues».
Dans ce blues plein d'enthousiasme, Panassié précise: «En guise de soutien à l'un
des chorus chantés par Velma, Trummy et Barney exécutent un riff de «Baby Don't
Tell on Me» de Basie; pour un autre
chorus, c'est un riff popularisé par Duke Ellington dans «Harlem Flat Blues»;
pour un autre chorus, Pops se détache et exécute des phrases d'une attaque
foudroyante». Après un «Big
Butter and Egg Man» non initialement retenu (duo Velma et Louis), nous avons «Stompin' at the Savoy» destiné à
Barrett Deems dont le solo est court. Nous avons aussi, et notamment, «Struttin' with Some Barbecue», «Lazy River» (merveilleux exposé de Pops
avec la sourdine straight), «'S Wonderful»
(spécialité de Barney Bigard), la ballade de Buddy Johnson rendue célèbre par
Dinah Washington, «Since I Fell For
You» (par Velma Middleton qui vaut pour les parties de trompette) et «Mop Mop» (confus à cause du tempo et Deems).
Le All Stars a interprété deux fois au cours de la soirée, «Old Man Mose», «Bucket's Got a Hole in It» et «Big Mama's Back in Town», quatre fois «When It's Sleepy Time». Les bonus moins bien enregistrés ne
manquent pas d'intérêt musical malgré les redites du répertoire. On ne fit
point grief à Maurice André de toujours jouer en concert les concertosde Haydn, Hummel, Tartini et Stoelzel. Bien sûr, la pièce maîtresse du coffret
est cette soirée au Crescendo Club. Pour les fins connaisseurs
!
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 The Fred Hersch Trio
10 Years / 6 Discs
• Whirl
You're My Everything, Snow Is Falling..., Blue Midnight,
Skipping, Mandevilla, When Your Lover Has Gone, Whirl, Sad Poet, Mrs. Parker of
K.C, Still Here
Enregistré en janvier 2010, Stamford, CT
Durée: 56’ 06”
• Alive at the Vanguard/Disc 1
Havana, Tristesse (For Paul Motian), Segment, Lonely
Woman/Nardis, Dream of Monk, Rising, Falling, Softly As in a Morning Sunrise,
Doxy
Fred Hersch (p), John Hébert (b), Eric McPherson (dm)
Enregistré du 7 au 12 septembre 2012, New York, NY
Durée: 57’ 59”
• Alive at the Vanguard/Disc 2
Opener (For Emac), I Fall in Love too Easily, Jackalope, The
Wind/Moon and Sand, Sartorial (For Ornette), From This Moment On, The Song Is
You/Played Twice
Fred Hersch (p), John Hébert (b), Eric McPherson (dm)
Enregistré du 7 au 12 septembre 2012, Village Vanguard, New
York, NY
Durée: 57’ 47”
• Floating
You & The Night & The Music, Floating, West Virginia
Rose (For Florette & Roslyn), Home Fries (For John Hébert), Far Away (For
Shimrit), Arcata (For Esperanza), A Speech to the Sea (For Maaria), Autumn Haze
(For Kevin Hays), If Ever I Would Leave You, Let's Cool One
Enregistré en 2014, Mount Vernon, NY
Durée: 58’ 31”
• Sunday Night at the Vanguard
A Cockeyed Optimist, Serpentine, The Optimum Thing,
Calligram, Blackwing Palomino, For No One, Everybody's Song But My Own, The
Peacocks, We See, Solo Encore: Valentine
Fred Hersch (p), John Hébert (b), Eric McPherson (dm)
Enregistré le 17 mars 2016, Village Vanguard, New York, NY
Durée: 1h 07’ 55”
• Live in Europe
We See, Snape Maltings, Scuttlers, Skipping, Bristol Fog
(For John Taylor), Newklypso (For Sonny Rollins), The Big Easy (For Tom Piazza),
Miyako, Black Nile, Blue Monk
Fred Hersch (p), John Hébert (b), Eric McPherson (dm)
Enregistré le 24 novembre 2017, Bruxelles, Belgique
Durée: 1h 03’ 51”
Palmetto 2295 (www.palmetto-records.com)
 Fred Hersch & The WDR Big Band
Begin Again
Begin Again, Song Without Words #2: Ballad, Havana, Out
Someplace (Blues for Matthew Shepard), Pastorale, Rain Waltz, The Big Easy,
Forward Motion, The Orb (For Scott)
Fred Hersch (p), WDR Big Band/Vince Mendoza (arr, cond)
Enregistré du 28 janvier au 4 février 2019, WDR studio,
Cologne, Allemagne
Durée: 55’ 45”
Palmetto 2195 (www.palmetto-records.com)
 Fred Hersch
Songs From Home
Wouldn't It Be Loverly, Wichita Lineman, After You've Gone,
All I Want, Get Out of Town, West Virginia Rose/The Water Is Wide, Sarabande, Consolation
(A Folk Song), Solitude, When I'm Sixty Four
Fred Hersch (p solo)
Enregistré en 2020, en Pennsylvannie
Durée: 57’ 34”
Palmetto 2197 (www.palmetto-records.com)
 Fred Hersch
Breath by Breath
Begin Again, Awakened Heart, Breath By Breath, Monkey Mind,
Rising, Falling, Mara, Know That You Are, Worldly Winds, Pastorale (Hommage à
Robert Schumann)
Fred Hersch (p), Drew Gress (b), Jochen Rueckert (dm),
Rogerio Boccato (perc)* et le Crosby Street String Quartet: Joyce Hammann,
Laura Seaton (vln), Lois Martin (avln), Jody Redhage Ferber (cello)
Enregistré les 24-25 août 2021, Astoria, NY
Durée: 46’ 25”
Palmetto 2198 (www.palmetto-records.com)
Accumulation due aux circonstances, voici réunis dans une seule
chronique 10 (et même 11) véritables années du parcours de Fred Hersch:
une réédition de 5 disques (un double, donc 6 CDs) avec les fidèles John Hébert
(b) et Eric McPherson (dm),
qui reprennent le parcours enregistré du trio de 2010 à 2017, sur huit années
et pas dix comme le titre du coffret y fait penser. Qu’à cela ne tienne, vu la
production régulière de Fred Hersch, nous avons rajouté trois albums, le
premier en big band avec le WDR de Cologne, qui met en valeur la musique de
Fred Hersch sous la direction et avec les bons arrangements de Vince Mendoza, avec
aussi le talent des instrumentistes de ce big band dont nous parlons par ailleurs, dont la direction était assurée à
cette époque par Bob Mintzer. Le leader historique de Yellowjackets a cédé la
place à l’excellent Vince Mendoza, le temps d’arranger la musique de Fred
Hersch, et le résultat est réussi, avec un ton européen entre musique classique
et jazz qui convient parfaitement à la musique de Fred Hersch. Malgré ses
origines américaines, la manière du pianiste, son toucher, l’absence du blues
et de relief expressif, la légèreté de son swing quand il y en a, le
rapprochent inévitablement du Vieux-Continent et de la tradition classique, comme ses inspirateurs, même américains, que sont Bill Evans, Keith Jarrett…
Si dans la réédition dont nous avons déjà chroniqué la
plupart des disques (cf. notre index des chroniques, Jazz Hot
n°662, 679, 684),
la présence d’un trio, avec le bon John Hébert et le dynamique Eric McPherson,
donne parfois l’illusion du jazz, comme un beau manteau posé sur la musique de
Fred Hersch, les récentes productions de Fred Hersch semblent abandonner le
répertoire du jazz. Joué par Fred Hersch, le jazz est souvent une belle forme,
agréable à écouter, sans posséder l’intensité et la profondeur culturelle qui
font que nous aimons le jazz. Ce qui n’empêche pas les qualités de toucher, de
beauté parfois, de ce que joue en général le pianiste, avec parfois une petite
lassitude devant une certaine platitude de l’expression quand, par hasard
(cette chronique groupée), il nous est donné d’écouter une dizaine d’albums à
la suite.
De fait, après ce bon disque avec le WDR, notre préféré car
Vince Mendoza et les excellents solistes (Ludwig Nuss, tb, Andy Haderer, tp,
Johan Hörlen, as, Paul Heller, ts, Ruud Breuls, tp, Hans Dekker, dm…) ont donné
par ses arrangements de la chair, du cœur et du relief, avec l’arrivée du covid
et la production at home pendant le
confinement, il semble que Fred Hersch soit retourné à son inspiration
d’enfance, la musique intimiste, la musique classique, voire la musique folk,
et le résultat est franchement moins intéressant à notre oreille. Cela séduira
certainement un public, les amateurs de piano plat, du type Keith Jarrett, mais
il n’y a rien de fondamental pour le jazz, et ce n’est pas le meilleur, loin de
là, de Fred Hersch, et d’abord à cause d’un répertoire inconsistant.
Le dernier disque de 2021, la onzième année d’une décennie
très riche en enregistrements pour Fred Hersch, est malheureusement dans la ligne
du précédent, encore plus déconnecté du jazz, un disque de musique classique (esprit
third stream), avec Drew Gress, Jochen Rueckert et un quartette à cordes,
parfois quelques rares sautillements qui évoquent le jazz. La musique n’a ni le
lyrisme, ni la puissance de la musique classique, ni bien entendu une once de la
chaleur humaine de l’expression du jazz. Dans une architecture moderne en verre
meublée de gris, ça peut prendre un sens pour certains mais sur la terre et
dans un club de jazz d’avant le covid, ça serait comme un barbarisme.
Sous-titré «the Sati Suite», inspirée
d’après le livret par des années de méditation (sans lien donc avec l'indispensable Erik Satie), ça se termine par un hommage à Robert Schumann, le compositeur, «Pastorale», un
thème jarrettien en diable, avec ce côté variété Bach de grande consommation,
malgré les qualités de toucher de Fred Hersch, composition également présente
dans le disque en big band, que même Vince Mendoza et ses complices du WDR
n’arrivaient pas à sortir de cet esprit third stream, artificiel, sans profondeur et parfois prétentieux. Pour résumer, Fred Hersch gagne à jouer en trio, format
jazz, et le disque en big band vaut le
détour pour la mise en œuvre. La multiplication des enregistrements n’est
peut-être pas le mieux pour une œuvre qui se banalise et se dilue avec le temps, signe d’un
manque de souffle artistique, celui qui ressort de la culture.
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 Heinie Beau - Milt Bernhart
Moviesville Jazz + The Sound of Bernhart
Titres
communiqués dans le livret
1-12: Heinie Beau (cl, as, fl, comp), Don Fagerquist (tp), Jack Cave, John
Graas (frh), Lloyd Ulyat (tb, bs), Ted Nash (cl, as, alt fl, piccolo), Buddy
Collette (fl, ts, cl), Chuck Gentry (bar, bcl), Tony Rizzi, Howard Roberts (g),
Red Callender, Red Mitchell (b), Jack Sperling, Bill Richmond (dm), Frank Flynn
(vib, xyl, bells, timpani, perc)
12-23: Milt Bernhart (tb), Pete Candoli, Ray Linn (tp), Vince DeRosa (frh),
Bob Enevoldsen (vtb, euph), Tommy Johnson (tu), Frank Flynn (vib, timpani),
Milt Raskin (p), Billy Bean, George van Eps (g), Victor Gottlieb, Ed
Listgarten, George Neikrug, Kurt Reher (cello), Red Mitchell (b), Larry Bunker
(dm), Mel Lewis (dm, cga, bgo), Fred Katz, Calvin Jackson (arr)
Enregistré les 24 & 30 juin 1958, 17 mars, 21 avril, 8 mai 1958,
Hollywood, CA
Durée: 1h 10 '51''
Fresh Sound 1061 (www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
 Buddy Arnold Septet - Vito Price
Wailing + Swinging the Loop
Titres
communiqués dans le livret
1-9: Buddy Arnold (ts, bcl), Dick Sherman (tp, arr), Frank Rehak (tb), Gene
Quill (as, cl), Dave Schildkraut (as), John Williams (p), Teddy Kotick (b),
Shadow Wilson, Osie Johnson (dm), Nat Pierce, Bob Brookmeyer, Al Cohn, Phil
Urso (arr)
10-19: Vito Price (ts, as), John Howell, Bill Hanley (tp), Paul Crumbagh (tb),
Barrett O'Hara (btb), Bill Calkins (bar), Lou Levy (p), Remo Biondi, Freddie
Green (g), Max Bennett (b), Marty Clausen, Gus Johnson (dm), Bill McRae (arr)
Enregistré les 26 & 29 janvier 1956, 20 et 25 janvier 1958, New York,
NY, Chicago, IL
Durée: 1h 07' 25''
Fresh Sound 1062 (www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
 Bob Keene Septet - Lex Golden Jazz Octet
Solo for Seven + In Hi-Fi
Titres
communiqués dans le livret
1-11: Bob Keene (cl), Bob Burgess, Milt Bernhart (tb), Pepper Adams, Bill Hood
(bar), Red Norvo (vib), Dick Johnson, Paul Moer (p), Ralph Pena, Red Mitchell
(b), Dick Wilson, Shelly Manne (dm), Jack Montrose (arr)
12-23: Lex Golden (tp, arr), Pete Carpenter (tb, arr), Abe Most (as, cl), Gene
Cipriano (ts, fl, cl, bcl), Lester Pinter (ts, bar), Ray Sherman (p, arr), Ray
Leatherwood (b), Richie Cornell (dm), Marty Paich, Paul Moer, Bill Pitman (arr)
Enregistré les 21 mai 1957, 24 & 25 avril 1957, Hollywood, CA
Durée: 1h 04' 54''
Fresh Sound 1063 (www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
 John Plonsky Quintet - Herb Pilhofer Octet
Cool Man Cool + Jazz From the North Coast, Vol. 2
Titres
communiqués dans le livret
1-11: John Plonsky (tp), Carl Janelli (bar), Dominic Cortese (acc), Chet
Amsterdam (b), Mel Zelnick (dm), Betty Ann Blake (voc)
12-21: Herb Pilhofer (p, celesta), Jack Coan (tp), Paul Binstock (frh), Stan
Haugesag (tb), Bob Crea (as, cl), Dave Karr (ts, bar, fl), Ted Hughart (b),
Russ Moore (dm)
Enregistré les 5 mars 1957, New York, 1956, Minneapolis, MN
Durée: 1h 05' 07'
Fresh Sound 1064 (www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
Le nom de la série est Presenting... Rare
and Obscure Jazz Albums, avec un sous-titre adéquat, Created for the most discerning jazz collectors. Le New Grove Dictionary of Jazz ignore
Heinie Beau (1911-1987), clarinettiste connu pour ses disques avec Red Nichols
chez Capitol (1947). Egalement sax alto, il a travaillé pour Tommy Dorsey, Ella
Fitzgerald, Eddie Miller et il a servi de «nègre» pour des arrangements signés
par Axel Stordahl et Billy May. Le voici seul responsable de l'album Moviesville Jazz (Coral 757247), dont il
a composé tous les thèmes servis, en dehors de lui, par des pointures des
studios d'Hollywood. En revenant du cinéma, Beau écrivait une satire musicale
de ce qu'il avait vu. Douze de ces impressions constituent un disque très
agréable, stylistiquement dans le courant dit «west coast» des années 1950. Tout
est bien. Soulignons toutefois «The
Man With the Golden Embouchure», une ballade qui met en vedette Don Fagerquist
(tp) et Heinie Beau (cl). Notons deux caricatures de musiques pour films
policiers, «The Tattooed Street Car
Name Baby» où Don Fagerquist (plunger), Beau (cl), Ulyate (bs) et Graas font
merveille, et «Moonset Boulevard»
qui vaut pour l'alto lancinant du leader et bien sûr, Fagerquist. L'évocation
du western est évidente dans «The Five
and a Half Gallon Hat Story» qui permet d'entendre un solo de cor (Jack Cave,
ex-Harry James). L'influence des Giants de Shorty Rogers se remarque dans «Under
the Blowtop» (Flynn, vib, Roberts, g,
Mitchell, b), «Gullible Travels» (Fagerquist,
excellent, Beau proche de Gus Bivona, cl, Nash, as, Sperling, balais à la
Shelly Manne) et «The Cool Tin Roof Story»
(Mitchell, b, Beau, cl, Collette, ts, Roberts, g).
Cette réédition est couplée avec l'album The Sound of Bernhart (Decca 9214). Milt Bernhart (1926-2004) dont
c'est le deuxième de ses seuls disques en leader, était extrêmement occupé dans
les studios d'Hollywood. Ex-élève de professeurs légendaires (Forrest Nicola,
Donald Reinhardt), il fut un incontournable sideman doté d'une sérieuse
technique (Stan Kenton, Benny Goodman, Maynard Ferguson, Shorty Rogers). Il a
fallu trois séances pour enregistrer ces onze titres destinés à montrer
l'étendue des compétences de Milt Bernhart, car entouré de pointures des
studios, quand l'un était libre, un autre ne l'était pas. En tempo médium qui
balance bien, Bernhart aborde d'abord «Love
Is Sweeping the Country» des frères Gershwin (Flynn, vib, Raskin, p, Mitchell,
b sur le bon drumming de Mel Lewis). Il phrase avec souplesse dans un style sweet le «Don't Blame Me»; Urbie Green n'aurait
pas fait mieux. Les arrangeurs ont placé le virtuose qu'était indiscutablement
Bernhart dans des environnements influencés par la musique savante européenne:
ensemble de cuivres dans l'ambitieux «Valvitation Trombosis» de Calvin Jackson (avec passages en
staccato... que des pointures: Pete Candoli, Vince DeRosa, Tommy Johnson) et «Carte Blanche» attribué à Bernhart et
Candoli qui est de l'improvisation libre, une section de violoncelles («Poor Pierrot», «Legend», «Balleta») ou enfin des percussions («Karabali» de Lecuona, Mel Lewis, cga/bgo,
Flynn, timbales). Il y a aussi des arrangements qui swinguent, comme «Martie's Tune» (Red Mitchell, b, Larry
Bunker, dm) et «I'm Beginning to See
the Light» (duo Bernhart et Red Mitchell). Bref, un disque indispensable pour
les amateurs de cuivres, mais moins pour les exclusifs du jazz.
Le sax Buddy Arnold, alias Arnold Grishaver (1926-2003) sera une découverte
pour beaucoup même s'il a joué pour Georgie Auld (1943), Bob Chester, Joe
Marsala, Buddy Rich, Buddy de Franco, Elliot Lawrence, Stan Kenton et Phil
Sunkel (1955). Il s'agit là du seul album sorti sous son nom. Les arrangements
sont du meilleur niveau (Nat Pierce, Al Cohn, etc) et dès «Oedipus», le swing est là (Shadow
Wilson!) avec de très bons solos (Quill, as, Rehak, tb, John Williams, p,
Sherman, tp, Arnold, ts, Kotick, b) et une mise en place superlative des
ensembles. Buddy Arnold est lesterien et Dick Sherman (né en 1927), trop
négligé comme Fagerquist. En tempo moyen «Footsie» met bien en valeur Buddy Arnold, mais
aussi Sherman, puissant, Schildkraut, Rehak, Williams (très bonnes lignes de
basse de Kotick; Osie Johnson n'est pas très vigoureux). La bonne reprise basienne, «It's
Sand, Man», arrangée par Nat Pierce, montre un Buddy Arnold d'un niveau égal à
Al Cohn. Sherman qui dans «You Don't
Know What Love Is» évoque Tony Fruscella, est responsable de cet arrangement.
Buddy Arnold y est excellent (stop chorus, solo sur tempo vif, coda).
Confirmation du talent du leader dans «Moby
Dick» de Sherman (solo virtuose de Rehak). Dans «No Letter Today», Arnold fait un peu
penser à Paul Quinichette (qui ne fut pas le tocard qu'ont prétendu les
«spécialistes»). Nous découvrons Gene Quill à la clarinette, genre Al Cohn,
dans «Patty's Cake» de Sherman.
Excellent album qui permet aussi de se souvenir du trompette Dick Sherman qui
fit les beaux jours de Claude Thornhill, Jerry Wald, Elliot Lawrence, Charlie
Ventura, Charlie Barnet, Al Cohn, Zoot Sims et bien d'autres.
Vito Price alias Vito Pizzo (né en 1929) est aussi oublié que Buddy Arnold
et fait un bon complément de réédition avec ce premier album fait sous son nom.
Price a joué pour Bob Chester, Art Mooney, Tony Pastor, Chubby Jackson, Jerry
Wald avant de se fixer à Chicago (1955). En fait, l'esthétique est la même. «Swinging the Loop» est un arrangement
bien swingué par un orchestre à la mise en place parfaite et un leader tout
autant lesterien (son un peu plus épais qu'Arnold). Le leader qui signe Price
ou Pizzo est un bon concepteur de thèmes faits pour être swingués, comme l'illustre
«Mousey's Tune» dont il est le
principal soliste avec Lou Levy (très bon). Vito Price est aussi très plaisant
dans la ballade «Why Was I Born» de
Kern (tempo médium) grâce à une belle qualité de son. L'arrangement orchestral
de «In A Mellow Tone» est propice au swing.
Vito Price, Lou Levy, Osie Johnson mènent «Eye Strain» sur un train d'enfer. Lou
Levy n'est pas moins remarquable dans «As
Long As I Live». Magnifique vibrato du leader qui déploie une largeur de son
digne d'un Sam Taylor dans «Time
After Time» et «Credo». On pense
aussi à Wardell Gray, c'est dire le niveau. Levy, Freddie Green, Max Bennett et
Gus Johnson assurent un soutien implacable dans «Beautiful Love». Vito Price est un
admirable artiste et le fait qu'il ait été négligé pose la question de la
compétence des «spécialistes». En plus, c'est très bien enregistré.
Bob Keene ou Keane, né Robert Verrill Kuhn (1922-2020), n'encombre pas non
plus les dictionnaires. Clarinettiste de formation classique, il aurait joué
avec le Los Angeles Symphony. Mais, tombé sous le charme de Benny Goodman, il
s'orienta vers le jazz et a joué pour Eddie Miller, Ray Bauduc avant de diriger
un orchestre d'abord dans la lignée d'Artie Shaw puis dans des arrangements de
Shorty Rogers et Gene Roland. En 1957, pour un nouveau label, Andex, il
enregistre des arrangements de Jack Montrose à la tête de trois septets (sans
trompette, mais avec trombone, sax baryton et vibraphone). Dès «I Won't Dance», Bob Keene, dépourvu de
vibrato, démontre qu'il y avait une alternative plus musclée au style de Buddy
de Franco. Nous avons là des standards qui subissent un traitement original
sans perdre le fil du swing et pour la coulisse, on y découvre, dans sept
titres, le méconnu et brutal Bob Burgess (1929-1997) et on retrouve l'incontournable
Milt Bernhart dans quatre autres titres: «There'll
Never Be Another You» (Bob Burgess propose un jeu solide à la Bill Harris), «Soft Winds» (bon jeu de balais de Dick
Wilson; solos de Pepper Adams, Red Norvo, Burgess), «Can't We Be Friends» (le leader est
très bon tout comme Adams, Red Mitchell, Shelly Manne), «Let's Fall in Love» (belle partie de
Red Mitchell), «A Lonesome Cup of
Coffee» (Bernhart, tb). Inutile de préciser que la mise en place de ces
morceaux est superlative.
Le trompette Lex Golden n'a pas marqué l'histoire. C'est ici, son premier
album sous son nom. On retrouve Paul Moer, mais parmi les arrangeurs (avec
Marty Paich, Ray Sherman, etc). Lex Golden a joué en orchestre symphonique,
pour Victor Young, dans les studios d'Hollywood (musiques pour films et TV).
Dans un style west coast qui conserve un balancement (Ray Leatherwood, b,
Richie Cornell, dm), ce groupe aborde des thèmes simples, notamment de Victor
Young («Around the World», solos
d'Abe Most, as, Gene Cipriano, ts lesterien; «Passepartout» qui est «La Cucaracha» où brille Ray Sherman, p;
«Sweet Sue»). Lex Golden a une
bonne technique et mise en place, mais pas toujours une belle sonorité. Son
style évoque parfois celui des trompettes de variétés des années 1950 («Yesterdays», mais Gene Cip Cipriano
relève l'intérêt; «Llama's Mama»
avec sourdine) ou bien Shorty Rogers («Headshriker»,
Abe Most, cl). Golden peut swinguer («Flip-Top»).
Abe Most (1920-2002), Gene Cip Cipriano (né en 1929) et Lester Pinter forment
une section de sax très influencée par celles de Woody Herman («I Wished on the Moon»). Tous trois
doublent sur divers instruments à anche. Clarence E. Pete Carpenter (1914-1987)
est un bon tromboniste et arrangeur («Llama's
Mama», «Mule Train», «Lot's 0' Lex»). Cipriano et Pinter,
aussi lesteriens l'un que l'autre, interviennent en solo dans «Jeepers Creepers». Au total, un bon
complément en octet de l'album en septet de Bob Keene.
Le trompette John Plonsky (1920-2010) est mieux connu. Il a enregistré pour
Charlie Mingus (1946), Ray Bauduc et Nappy Lamare. Après ce premier album dont
l'instrumentation est particulière (accordéon amplifié à la place du piano), il
réalisera Dixieland Goes Progressive(1957, chez Golden Crest) et une collaboration avec Lou McGarity sous le pseudonyme
John Parker (1964). Son arrangement «Laurel
and Hardy» balance bien. Plonsky, qui a une qualité de son, joue de façon
incisive, véloce avec une solide technique, supérieure, à mon sens, à celle de
Shorty Rogers et de Conte Candoli. Il est aussi un bon auteur de thèmes. Bonne
alternative avec Carl Janelli (1927-2018). Cette version de «The Lady Is a Tramp» est très marquée
par le style de Gerry Mulligan (passages fugués, sax baryton). La sonorité de
Plonsky avec la sourdine bol est superbe, le phrasé est bop. Il est plus
impressionnant sur les tempos vifs («Putting
on the Ritz»). L'accordéon est discret, sauf dans «Angel Hair» et le bluesy «Blonde Caboose» (bonnes lignes de
basse de Chet Amsterdam). Ce Dominic Cortese (1921-2001) obtient une sonorité
originale. En prime, la chanteuse de Cincinnati Betty Ann Blake (née en 1937)
qui a débuté à 16 ans et qui, à cette époque, était employée chez Buddy Morrow
(1956-58): «But Not for Me» et «How About You?». Elle est de loin,
pour le jazz, plus talentueuse qu'une Norma Mendoza ou une Terry Morel.
Ce plaisant album est couplé avec le premier disque sous son nom du
pianiste allemand Herb Pilhofer (né en 1931) à la tête d'un octet qui s'inspire
des groupes de Dave Pell et Shorty Rogers. Il a étudié l'arrangement et
l'orchestration auprès de Bill Russo (1954). La sonorité orchestrale est très
plaisante avec la présence du cor (il y a longtemps qu'on ne parle plus de
french horn sauf dans les discographies de jazz, mais de cor/horn tout
simplement). Dave Karr (né en 1931) a un son épais au sax ténor. Il swingue
aussi bien qu'un Zoot Sims tandis qu'au baryton, il n'évite pas la marque de
Mulligan («Elora», où Ted Hughart prend
un très bon solo de basse). Dans «Topsy»,
Dave Karr swingue avec détermination. Son jeu de flûte est mis en avant dans «Ill Wind» (le chef est au celesta).
Jack Coan a une approche similaire à celle de John Plonsky. Le timbre est
clair, le phrasé tranchant. L'arrangement sur «Django» de John Lewis est raffiné,
compatible avec le toucher classique de Pilhofer. Dans «Bach's Lunch», Pilhofer est proche de
John Lewis. Il est plus swing dans son «Nicollet
Avenue Breakdown» sur tempo vif qui vaut aussi pour Karr (fl), Bob Crea (as),
Coan (bon registre aigu en coda) et Haugesag (style Bill Harris musclé). Dans «Spring is Here» et «Ill Wind», Haugesag plagie franchement
Bill Harris. L'influence du genre Woody Herman est nette dans le travail
alto-ténor sur «Give Me the Simple
Life» et «Solo Scenes».
Tous les albums de cette collection sont bons, dans un style cool, sans
être amorphe, assez caractéristique des années 1950. Ceux qui ne supportent
plus la prétention des créatifs du XXIe siècle, se reporteront sur ces découvertes, dépourvues non-sens actuel, puisque
ces plages sont passées inaperçues, donc des «nouveautés», et méritent, au nom
du swing, une attention particulière.
Michel Laplace
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 David Gilmore
From Here to Here
Focus Pocus, Cyclic Episode, Metaverse, Child of Time, When
and Then, Innerlude, Interplay, The Long Game, Free Radicals, Libation
David Gilmore (g), Luis Perdomo (p), Brad Jones (b),
E.J.Strickland (dm)
Enregistré le 12 septembre 2018, Long Island, NY
Durée: 1h 05’ 56”
Criss Cross Jazz 1405 (www.crosscrossjazz.com)
Du jazz moderne post bop de haute volée comme «Cyclic
Episode» de Sam Rivers, avec parfois quelques réminiscences de fusion
(«Metaverse», «Child of Time», «When and Time», «Innerlude»), par des musiciens
qui sans être célèbres, ne sont pas nés de la dernière pluie, qui ont déjà un parcours respectable au
service du jazz et d’une musique exigeante. Signalons pour information que cet
enregistrement d’avant covid, publié pendant cet instant de silence imposé, est
un tribute collectif de sa famille (fils et petits enfants) à Gerry Teekens, Sr.,
le fondateur de l’excellent label Criss Cross Jazz, disparu en septembre 2019 avant la sortie de
ce qui reste l’une de ses dernières productions.
Le leader David Gilmore est né en 1964 et a étudié avec Joe
Lovano, Jim McNeely. Il a contribué au M-Base de Steve Coleman, un collectif où
sont passés des dizaines de musiciens. Il a joué de la fusion au sein de Lost
Tribe, et a accompagné Wayne Shorter dans les années 1990, avant de rencontrer
Christian McBride, Jeff Tain Watts, Ravi Coltrane… La suite est une série de
rencontres avec le gratin du jazz, Sam Rivers, Geri Allen, Muhal Richard
Abrams, Randy Brecker, Jack DeJohnette, Branford et Wynton Marsalis et beaucoup
d’autres. Cela permet de comprendre qu’il soit ici le leader d’une bonne
formation –c’est son second enregistrement en leader pour Criss Cross Jazz,
après Transitions (CCJ 1393) de 2016–
et le responsable d’une bonne musique, polymorphe, la résultante d’influences
et de rencontres esthétiquement très diverses. Signalons que David Gilmore est
aussi le compositeur de la plupart des titres, en dehors de deux compositions de
Sam Rivers et Bill Evans, et l’ensemble est réussi, tirant selon les plages sur
les différentes inspirations qu’a croisées le guitariste.
Luis Perdomo, le natif de Caracas au Vénézuela (1971)
s’était présenté aux lecteurs de Jazz Hot n°631
en 2006, et nous avons chroniqué certains de ses disques, dont le récent et
excellent Spirits and Warriors,
paru sur ce même label, enregistré en 2016. C’est un excellent instrumentiste
qui accompagne les meilleurs depuis plus de trente ans et, au sein de la
rythmique très jazz, il participe à accentuer la couleur jazz de culture dans
laquelle le guitariste leader est si bon («Focus Pocus», «Cyclic Episode», «Interplay»).
On aimerait l’entendre dans ce registre reprendre le beau répertoire de Sam Rivers qu’il a fréquenté et de Joe
Henderson dont il n’est pas éloigné par l’esprit («Free Radicals»).
Les chorus du guitariste et du pianiste sont ébouriffants,
d’autant que la rythmique est exceptionnelle avec le splendide Brad Jones, doté
d’une belle sonorité et d’une attaque dynamique («The Long Game»), le
contrebassiste natif de New York en 1963 (Ornette Coleman, Elvin Jones, Muhal
Richard Abrams). Enfin, E.J. Strickland est un de ces grands batteurs dont le
jazz a l’exclusivité, qui apportent toujours énormément pour la mise en place,
le drive de leurs relances, aux orchestres qui ont le bonheur de les inviter: c'est un
des plus beaux disciples d’Elvin Jones. Nous avions fait plus ample
connaissance dans Jazz Hot n°624
(2005), et cet enfant de Gainsville, en Floride, où il est né en 1979, a côtoyé
le meilleur du jazz de culture, Vincent Herring, Russell Malone, et bien
entendu Marcus Strickland, le saxophoniste ténor, dont il est le jumeau et avec
lequel il a partagé des enregistrements. Nous avons ici réunies toutes les composantes d’un bon
enregistrement, du label aux artistes et à la musique, une synthèse
parfaitement réussie par le guitariste de son long parcours entre diverses
réalités du jazz des années 1970 aux années 2000.
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 Helen Carr
Why Do I Love You? Her Complete Bethlehem Sessions
Titres communiqués dans le livret
Helen Carr (voc), Don Fagerquist, Cappy Lewis (tp), Frank Rosolino (tb),
Charlie Mariano (as), Donn Trenner, Claude Williamson (p), Howard Roberts (g),
Max Bennett, Red Mitchell, Charles Mingus (b), Stan Levey, Johnny Berger (dm),
LeRoy Holmes & Stan Kenton Orchestras
Enregistré en mars 1949, 22 juin 1952, 5 & 27 janvier 1955, 11 novembre
1955, octobre 1957, Hollywood, CA, New York, NY, Los Angeles, CA, Cleveland, OH
Durée: 1h 16' 23''
Fresh Sound 1103 (www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
 Terry Morel
Songs of a Woman in Love. Her Complete Recordings 1955-1962
Titres communiqués dans le livret
Terry Morel (voc), Herbie Mann (fl), Tony Luis, Ralph Sharon, Gerry
Wiggins, Bob Dorough, Clare Fisher (p), Ron Andrews, Jay Cave, Gene Wright,
Woody Woodson, Gary Peacock (b), Hank Nanni, Christy Febbo, Bill Douglass,
Chuck Thompson, Larry Bunker (dm), Jackie Mills (perc)
Enregistré les 10 mars 1955, janvier 1956, 6 mai 1957, 25 novembre 1957, 5
novembre 1962, Philadelphie, PA, Jackson Heights, NY, Los Angeles, CA
Durée: 1h 01' 15''
Fresh Sound 1107 (www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
Fresh Sound poursuit la réédition de disques de chanteuses oubliées. Nous
avions précédemment parlé de Rita Moss (Fresh Sound 983) et Lorez
Alexandria (Fresh Sound 979). Voici Helen Carr (1922-1960), originaire
de Salt Lake City, dans l'Utah. Elle prit ce nom à partir de son mariage en
1941 avec Walter Carr. Ils étaient séparés lorsqu'un pianiste, Don Trenner
(1927-2020), la rencontre en 1945. Le couple, Helen et Don, est engagé dans
l'Orchestre de Buddy Morrow (1947), puis de Chuck Foster (1947-48; notamment au
Roosevelt Hotel, New Orleans), Charlie Mingus (Los Angeles, 1949, Charlie
Barnet (1950-51; occasion d'être filmés), Paul Nero (1952, avec Bud Shank, as),
Georgie Auld (1952, avec Red Callender, b), Charlie Parker (Tiffany Club, Los
Angeles, 1952, avec Chet Baker, tp), Stan Kenton (1952), Skinnay Ennis (1953).
Puis, Red Clyde des disques Bethlehem a voulu enregistrer une chanteuse. Après
une audition, Helen Carr fut engagée et la première séance s'est tenue le 5
janvier 1955. Huit morceaux sont sortis sur le 33 tours 25 cm Down in the Depths of the 90th Floor(Bethlehem BCP 1027) qui ouvrent cette réédition. Helen Carr est une chanteuse
expressive de tessiture soprano sans grande étendue de registre, mais elle est
dotée d'un très bon timing ternaire. Son influence initiale fut Billie Holiday
dont on retrouve la trace discrète dans certains maniérismes («You're Driving
Me Crazy», «Moments Like This»). Dans son premier
opus, Helen Carr aborde des standards en dehors d'un titre «Memory of the Rain» dont elle écrit les
paroles et Don Trenner la musique. Tout au long de l'album, Trenner dévoile
des qualités d'instrumentiste. Don Fagerquist (tp) et surtout Charlie Mariano
(as) ont de l'espace pour s'exprimer en solo: «Not Mine» (bon jeu de balais; Helen
annonce fortuitement Amy Winehouse!), «I
Don't Want to Cry Anymore» et «Moments
Like This» (Mariano est très parkerien), «Tulip
or Turnip» et «I'm Glad There Is You»
(très bons solos de Fagerquist), «You're
Driving Me Crazy». Helen Carr démontre un sérieux talent, mais c'est à une
époque où les grandes chanteuses sont légion. Ce premier disque est une
réussite et, de nos jours, il est à la limite de l'indispensable.
Vingt-deux
jours plus tard, elle fait une deuxième séance, sans Trenner et avec Frank
Rosolino à la place de Fagerquist. Deux titres sont sortis sur un album de Max
Bennett (Bethlehem BCP 1028). L'influence de Billie Holiday est plus marquée dans
«They Say» (Williamson excellent,
Mariano dans l'ombre du Bird, Rosolino remarquable de technique, Bennett et
Levey impeccables). Rosolino ne joue pas dans «Do You Know Why?». Helen Carr
retourne au studio le 11 novembre 1955 pour réaliser sous son nom une séance
sans piano publiée sous le titre Why Do I
Love You? (Bethlehem BCP 45). D'emblée, cet album s'impose grâce aux
interventions du sous-estimé Cappy Lewis, plein de drive et très expressif! Le
son de groupe sans piano ni batterie autour de la voix souvent sensuelle
d'Helen Carr imposait cette réédition pour faire savoir à côté de quoi nous
sommes passés. Cappy Lewis est incroyable («My Kind of Trouble Is You», «Summer Night»)! Toutes ses
interventions sont de qualité avec la souplesse, le swing et les facilités de
registre dont Warren Vaché fera preuve plus tard («Bye Bye Baby», «Why Do I Love You?»). Il ne joue pas dans «Lonely Street». Helen Carr quitte la
Côte Ouest pour New York et, en octobre 1957, elle réalise un 45 tours
commercial pour MGM (K12578) avec un orchestre et un chœur dirigés par LeRoy
Holmes. A la suite de ça, Helen Carr retourne chez Charlie Barnet pour une
tournée de dix-sept jours (1959) au cours de laquelle on lui découvre un
cancer. Pour faire bonne mesure, ce CD se termine par un titre, «Say It Isn't So», tiré d'un 78 tours de
Charlie Mingus (remarquable!) sur label Dolphins of Hollywood, et un autre, «Everything
Happens to Me», extrait d'un show
radiophonique avec Stan Kenton (1952) où Helen Carr est très influencée par
Billie Holiday sans que ce soit ridicule ou insupportable. Un CD recommandé!
Terry Morel (1925-2005)
est née à Philadelphie où elle a débuté en professionnelle en 1949. Elle fait
d'abord une carrière commerciale dans des cabarets. En 1955, un pianiste de 24
ans, Tony Luis, l'oriente vers le jazz. En trio (Ron Andrews, b, Hank Nanni,
dm), Luis avait déjà enregistré sous son nom un 45 tours pour Prestige (1954,
New Jazz EP 1703). A son tour la chanteuse réalise quatre titres en mars 1955,Terry Morel Sings With the Tony Luis Trio (Prestige EP 1374). En fait, Terry
Morel n'est pas convaincante pour le jazz. On entend un bon solo de Tony Luis
dans «But Not for Me». Il accompagne
bien et invente de jolies introductions. Le batteur est inexistant. Moins d'un
an plus tard, alors que Terry Morel chante au Montclair Supper Club de Jackson
Heights, NY, le label Bethlehem qui a déjà lancé Helen Carr, demande à Rudy Van
Gelder d'enregistrer Terry en public, ce qui donne l'album Songs of a Woman in Love (Bethlehem BCP 47). La rythmique est plus
swinguante. La voix est toujours sans caractère, mais l'entourage fait que le
disque est bon. Les contre-chants et solos d'Herbie Mann sont tous excellents («Sometimes I'm Happy», «Who Cares»). Ralph Sharon fait du bon
travail en accompagnement et en solo («Somebody Else», «More Than You Know»). Dans «How About
You?» et «You're Not the Kind of a Boy for a Girl
Like Me», Terry Morel tente d'imiter Sarah Vaughan, tant mieux, mais elle est
loin derrière. La comparer à June Christy et Chris Connor est très excessif.
Helen Carr, Julie London, Kay Starr, Ella Mae Morse, Betty Ann Blake pour ne
rien dire d'Anita O'Day sont d'un talent plus conséquent. Non que la voix soit
laide, mais la justesse est parfois limite, et elle phrase de façon molle en
cherchant à «faire joli» («The Night
We Called It Day»). Terry Morel se rend ensuite pour la première fois sur la
Côte Ouest où elle participe à un show télévisé, Stars of Jazz (1957) avec Gerry Wiggins («But Not For Me»), puis Bob Dorough («Day In Day Out», ce que Terry Morel a
fait de mieux). Morel est restée à Los Angeles. Elle s'est produite dans des
cabarets, participa à une télévision dont un titre avec Gary Peacock, inaudible, qui termine cette compilation (1962). S'il faut faire un choix, l'avantage va à
Helen Carr.
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 Seamus Blake / Chris Cheek with Reeds Ramble
Let's Call the Whole Thing Off
Let's Call the Whole Thing Off, Choro Blanco, Lunar, La
Canción Que Falta, Limehouse Blues, Surfboard, Count Your Blessings, A Little
Evil
Seamus Blake (ts), Chris Cheek (ts), Ethan Iverson (p), Matt
Penman (b), Jochen Rueckert (dm)
Enregistré le 10 septembre 2015, New York, NY
Durée: 1h 02’ 51”
Criss Cross Jazz 1388 (www.crisscrossjazz.com)
Voici un enregistrement qui date de quelques années et qu’il
aurait été dommage de laisser de côté sous ce prétexte assez futile qu'il nous est parvenu tard. Il réunit
deux beaux saxophonistes ténors dans un chasequi se place, de manière originale, dans la belle tradition des échanges qui
s’enrichissent, depuis les débuts du jazz, du dialogue intense de deux
complices, parfois rivaux mais sur le fond complémentaires, complices et émules
pour tirer le meilleur de l’expression. Parmi les pères fondateurs, on ne se
lasse jamais d’écouter les dialogues d’anthologie de Coleman Hawkins et Ben
Webster. On goûte, avec un plaisir qui ne vieillit jamais, les échanges qui ont
illuminé l’histoire du jazz d’après Seconde Guerre de Dexter Gordon &
Wardell Gray, à Gene Ammons & Sonny Stitt, Sonny Rollins & Sonny Stitt,
Eddie Lockjaw Davis & Johnny Griffin, en passant par Al Cohn & Zoot
Sims, la liste n’est pas complète et la matière abondante dans la discothèque
du jazz. Ils ont constitué parmi les moments les plus hot de l’histoire du jazz, car le drive, cette énergie propre au
jazz, et le son, la voix de chacun, en constituent les composantes
spectaculaires. Les amateurs de jazz en raffolent à juste titre, et ils ont
participé de ce principe des jam sessions telles que les rêvait Norman Granz
pour le ravissement des spectateurs, et pas seulement pour les ténors. Les
contrastes et la personnalité de la sonorité, l’imagination débridée comme le
recours aux sources essentielles comme le blues étaient de mise. Si cette
tradition perdure encore sur scène ou en club au XXIe siècle, elle est plus
rare, d’autant que le langage et la création musicale s’est souvent nombrilisée
privant le jazz d’une dimension collective, propre à l'histoire culturelle communataire du jazz, qui disparaît. La tristesse relative
aussi des époques et l’évolution des modes de vie doivent y être pour quelque
chose.
Quel plaisir donc, de retrouver en 2015 un projet qui met en
scène un dialogue fertile entre deux sons de ténors, soutenu bien entendu par une
section rythmique de qualité, même si la préparation le distingue de la spontanéité culturelle du modèle original. C’est le deuxième projet de ce groupe chez Criss
Cross Jazz après Reeds Ramble (Criss
Cross 1364) enregistré en 2013, du nom du groupe. L’originalité est qu’un répertoire de standards comme
Berlin, Gershwin, des thèmes anciens comme «Limehouse Blues» sont totalement
réarrangés, revisités, et gardent pourtant quelque chose de la flamme des
époques passées: les deux coleaders l’expliquent par un jeu de références à des
versions inoubliables: pour le thème initial (et titre de cet album), la
référence est la version en duo d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Pour
«Limehouse Blues», ce sera la version, déjà actualisée à son époque, de la
rencontre entre John Coltrane et Cannonball Adderley; «Count Your Blessing»
prend comme ancrage l’enregistrement en 1956 de Sonny Rollins. Il y a aussi des
choix de thèmes de Carlos Jobim, dont le bon «Surfboard» remarquablement mis en
valeur par les arrangements. Le disque est en fait construit autour du répertoire, de la
mémoire et des réarrangements. La complicité fait merveille; c’est le plus
souvent très préparé, plus écrit que dans la tradition des ténors que nous
évoquions, plus ancrée, elle, sur le blues, la transe et ce qui fait la
profondeur de la culture afro-américaine. Mais les deux ténors de ce disque
apportent cette énergie propre aux échanges de saxophones par de savants
arrangements et de bons chorus.
Si la sonorité, l’articulation du phrasé et l’accentuation
de chacun des saxophonistes ne possèdent pas une personnalité aussi marquée que
celles des devanciers dont nous parlions, ils n’en sont pas moins de bons
instrumentistes. Ethan Iverson apporte à son clavier ses qualités d’imagination,
de ton, et il enrichit l’ensemble d’interventions originales. Le disque se
termine par «Little Evil», dans le registre boogaloo, une note de bonne humeur dont on a bien besoin
en 2022. Le monde de 2015 semble déjà si
loin…
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 Lodi Carr - Norma Mendoza
Ladybird + All About Norma
Titres
communiqués dans le livret
1-11: Lodi Carr (voc), Don
Elliott (mello, vib), Al Klink (fl, bar), Stan Free, Herman Foster (p), Mundell
Lowe (g), George Duvivier, Herman Wright (b), Ed Shaughnessy, Jerry Segal (dm)
12-22: Norma Mendoza (voc),
Jimmy Wisner (p), Ace Tessone (b), Hank Caruso, Dave Levin (dm);
23: Norma Mendoza (voc),
Jimmy Wisner
Big Band
Enregistré en 1960, New York, NY et en janvier-février 1960, Philadelphie, PA
Durée: 1h 05' 23''
Fresh Sound V134
(www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
Dans cette collection, The Best Voices Time Forgot, nous avons
déjà parlé de Pat Thomas/Barbara Long (Fresh Sound V114) et Honi Gordon/Sue
Childs (Fresh Sound V113). Le sous-titre est Collectible Albums by Top
Female Vocalists. Cela, sans doute, s'adresse d'abord aux collectionneurs
de disques rares de l'âge d'or de la musique américaine. Nous avons ici, la
réédition des albums Ladybird (Laurie 1007), All About Norma (Firebird
FB 1000) et d'un 45 tours (Firebird FB 100). Lodi Carr, née en 1933, dans le
Michigan, vient d'une famille de chanteurs amateurs. Elle fut élevée à Detroit.
A l'âge de 15 ans, elle y décroche son premier engagement professionnel au
Bluebird Inn avec le pianiste Roland Hanna. En 1957, elle arrive à New York et
se produit au Birdland avec Tommy Flanagan. Elle chante ensuite au Greenwich
Village accompagnée par Duke Jordan. Elle eut aussi l'occasion de travailler
avec Yusef Lateef et Claude Thornhill. Le présent album, Ladybird, est
le premier et le seul qui fut publié
sous son nom. Par la suite, Lodi Carr s'est produite notamment avec Larry
Elgart, Hank Mobley, Pepper Adams, Richard Wyands, Kenny Barron, Sahib Shihab.
En 2009-10, elle chantait encore au Lafayette Bar d'Eaton dans le New Jersey.
Lodi Carr s'est dite marquée par Sarah Vaughan, Billie Holiday, Dinah
Washington et Jimmy Scott. On trouve en effet une petite influence de Dinah
Washington chez Lodi Carr, notamment dans «The Masquerade Is Over». Mais en fait, elle ne cherche pas à
copier, et elle a une voix personnelle, un peu voilée, sans ampleur mais qu'elle
sait exploiter au mieux dans un climat feutré. Elle a un bon sens de
l'interprétation. Elle sait phraser avec balancement («Tumble-in-Down»). La ballade «When I Fall in Love» est bien menée
avec un bon soutien notamment de Don Elliott (mellophone), Al Klink (fl),
Mundell Lowe (g) et les balais d'Ed Shaughnessy. En fait, Lodi Carr est une
plaisante chanteuse de cabaret, comme il y en eut beaucoup à cette époque. Dans«For You, Just For You»,
Stan Free se prend un peu pour un concertiste classique. Don Elliott joue du
vibraphone dans «Lady Bird» de Tadd
Dameron, morceau où Lodi Carr est plus tonique. On y entend d'excellents solos
d'Elliott et Stan Free. Jolie introduction flûte et vibraphone à la ballade «I'm
Lost». On trouve les mêmes, au
mellophone et sax baryton, pour lancer une bonne version de «There'll Never Be Another You». Les
contre-chants de mellophone y sont excellents. Dans «If I Should Lose You», Lodi Carr est plus expressive et le
pianiste, Herman Foster, est d'un haut niveau. On retrouve Foster et un très
bon drumming de Jerry Segal dans le trop court «Deed I Do». Lodi Carr y est à son meilleur
niveau et les lignes de basse d'Herman Wright sont parfaites. On aurait aimé
plus d'espace accordé à Don Elliott, Al Klink et Mundell Lowe.
Norma Mendoza, née en 1931 dans le New Jersey, contralto de formation
classique, s'est faite remarquée à Philadelphie, à l'âge de 17 ans, dans des
airs d'opéra. Elle fit ses débuts en jazz club à la fin de 1959 et dès janvier
1960, le pianiste Jimmy Wisner l'emploie pour enregistrer un 45 tours, «Sidney's Soliloquy»/«And Then There Were None» que l'on
retrouve dans l'album All About Norma pour le label Firebird, qui est le
premier et le seul publié sous son nom. Elle y est accompagnée par un pianiste
de 28 ans, Jimmy Wisner qui se fit connaître dans l'orchestre de Charlie
Ventura. Wisner est responsable des arrangements qui sont bons. Norma Mendoza
qui fut un temps l'épouse de Wisner, fit parallèlement une carrière de
professeur de chant et elle eut pour élève Frankie Avalon. La prise de son est
différente entre les deux albums, l'avantage allant à Norma Mendoza. Jimmy
Wisner (1931-2018) est un bon pianiste, et il constitue
un élément d'intérêt dans cette réédition. Norma Mendoza a un beau timbre de
voix («Little Norma»), beaucoup de
musicalité, et elle ne laisse paraître aucune influence des grandes divas du
jazz. C'est personnel, très musical et souvent dépourvu de swing. Son style serait
mieux adapté à la comédie musicale («Warm»,
«My Funny Valentine») ou aux
variétés américaines de qualité («Black
Is the Color», version dynamique avec un bon drumming d'Hank Caruso; «Our Love Is Here to Stay» des frères
Gershwin). Le trio d'accompagnement délivre parfois un certain swing («I Didn't Know What Time It Was» de
Rodgers et Hart; «Just in Time» de
Jule Styne; «And Then There Were
None» qui vaut aussi pour Norma Mendoza (passages à deux voix en re-recording).
Le meilleur de Norma Mendoza (et de tout le CD) se trouve dans «If It's Love», avec le soutien d'un
remarquable big band (personnel inconnu) où elle montre du punch comme une Liza
Minnelli. Il y a sans doute du grain à moudre pour les curieux non obnubilés
par le swing torride.
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 Bob Mintzer & WDR Big Band Cologne
Soundscapes
A Reprieve, The Conversation, Stay Up, Montuno, Whack, Canyon
Winds, Herky Jerky, New Look, One Music, VM
Bob Mintzer (ts, ewi, comp, arr, dir) & WDR Big Band
Cologne
Enregistré du 10 au 19 octobre 2019, Cologne, Allemagne
Durée: 1h 08’ 05”
JazzLine/Gema D77082 (www.jazzline-leopard.de/Socadisc)
 Yellowjackets + WDR Big Band
Jackets XL
Downtown, Dewey, Mile High, The Red Sea, Even Song, One Day,
Tokyo Tale, Imperial Strut, Coherence, Revelation
Yellowjackets & WDR Big Band: Bob Mintzer (ts, ewi, fl),
Russell Ferrante (p, ep, synth), Dane Alderson (eb), William Kennedy (dm) + WDR
Big Band
Enregistré du 4 au 9 novembre 2019, Cologne, Allemagne
Durée: 1h 09’ 19”
Mack Avenue 1175 (www.mackavenue.com)
Bob Mintzer et le WDR Big Band Cologne, c’est une longue histoire
déjà de six années. On retrouve ici Bob Mintzer, le directeur depuis 2016, dans
deux configurations: sur le premier, il est le compositeur, arrangeur et
conducteur du big band, et sur le second, en tant que membre de son célèbre
groupe Yellowjackets. On pourrait penser que la différence n’est pas très
grande, mais à l’écoute, la musique de Soundscapes,
repensée big band et moins marquée par l’esprit jazz rock/jazz fusion et un jeu
de batterie très (trop à notre goût) systématique de Jackets XL, est, toujours à notre goût,
beaucoup plus intéressante.
Bob Mintzer, très bon instrumentiste, arrangeur et leader,
est un de ces musiciens professionnels jusqu’au bout des doigts qui font le
bonheur des grandes formations et des studios. Il maîtrise l’ensemble des
paramètres (composition, arrangements, direction de big band) avec beaucoup de
maestria et, en dépit de notre réserve de sensibilité sur l’inspiration
d’origine (le jazz rock), la musique est d’une qualité superlative, avec ici un
vrai enracinement dans la tradition du big band jazz qui enrichit l’étendue
expressive de Bob Mintzer, comme on le perçoit dans le premier enregistrement, Soundscapes, véritablement excellent,
dans l’esprit aussi de Michael Brecker: du jazz de belle facture, brillant, avec de
bons solistes, dont le leader, et des compositions intéressantes. Celles-ci ont
été conçues par Bob Mintzer pour mettre en valeur l’ensemble et chaque musicien, et la réussite de Soundscapesréside justement dans l’effort qu’a fait Bob Mintzer pour prioriser le big
band plus que lui-même. Il dit dans le livret qu’il n’a jamais étudié la
composition et l’arrangement en big band, mais qu’il a appris sur le tas, dans
l’orchestre de Buddy Rich. Dans ses influences en la matière, il mentionne les
inévitables Thad Jones/Mel Lewis et Count Basie big bands. Si on réunit
seulement ces trois noms, on comprend la dynamique de la musique de Soundscapes, la tonalité des compostions
et la sonorité des arrangements, un très bon enregistrement où la dimension
rythmique est enrichie par un brillant percussionniste, sans doute le batteur
Hans Dekker car le livret ne mentionne aucun percussionniste. A ce sujet, la
couleur afro-cubaine (percussions) de l’ensemble de Soundscapes est un vrai plaisir et donne une souplesse totalement
absente du second enregistrement des Yellowjackets, Jackets XL, beaucoup plus monocorde et stéréotypée, malgré la
présence du même big band, autant sur le plan de la rythmique que de l’esprit
général. Sur ce second album, les compositions sont dues alternativement à Bob
Mintzer et à Russell Ferrante. Pour les amateurs du groupe, c’est peut-être
plus conforme à leurs attentes, mais moins passionnant pour nous.
En tout état de cause, voici deux facettes de la
collaboration de Bob Mintzer avec le WDR Big Band, une institution créée par la radio
ouest-allemande de Cologne dont les racines remontent à l’après Seconde Guerre,
et la proximité des dates d’enregistrements en 2019 dit assez clairement le
professionnalisme de ce bel orchestre et l’exigence de Bob Mintzer, capable de
donner deux projets finalement très distincts, de qualité, même si nous
préférons Soundscapes. Précisons
encore que le dernier titre de Soundscapes,
«VM», est un hommage de Bob Mintzer à Vince Mendoza, qui a été compositeur en
résidence du WDR Big Band, et qui a dirigé par ailleurs le Metropole Orkest,
basé aux Pays-Bas, une autre institution européenne, et plusieurs projets avec entre
autres Michael Brecker en 2005 et Joe Zawinul en 2006.
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 Calle Loíza Jazz Project
There Will Be Another You
Seven Steps to Heaven, Someday My Prince Will Come, Stolen Moments, Dolphin
Dance, Old Folks, In Your Own Sweet Way, Well You Needn't,There Will Never Be
Another You
Melvin Jones, Gordon Vernick (tp), Xavier Barreto (fl), Mark Monts de Oca
(p), Andre Avelino (g), Tony Batista (b), Jimmy Rivera (dm), Javier Oquendo
(cga), Candido Reyes (güiro), Reinel Lopez, Ivan Belvis (perc)
Enregistré le 22 mars 2019, San Juan, Porto Rico
Durée: 59' 36''
Autoproduit (www.calleloizajazzproject.com)
Certes,
nous avons ici des thèmes signés Miles Davis, Oliver Nelson, Herbie Hancock,
Dave Brubeck, Thelonious Monk et des standards nord-américains comme «Someday
My Prince Will Come» et «There Will
Never Be Another You». Mais, comme
nous ne cessons de l'écrire, c'est la façon de jouer qui importe et qui fait
qu'il s'agit ou non de jazz. Calle Loíza est une
rue de Santurce (Porto Rico) qui a un long passé musical et qui est la source
des «Bomba rhythms». Là, se trouvait
un club dit «de jazz», Mini's, où Jimmy Rivera, notamment, venait faire des jams
à la fin des années 1970. Dans cette même rue s'est ouvert l'Apple Jazz Club
dans les années 1990 où se sont exprimés Rivera et Mark Monts de Oca, avec pour
des jams Tony Batista et Andre Avelino. Au décès d'un ami musicien en 2018,
dont le nom ne nous est pas communiqué, ces musiciens ont décidé de faire un
disque à sa mémoire ainsi qu'à d'autres, Juancito Torres (fameux trompettiste
portoricain), Ramón Mongo Santamaría, Carlos
Patato Valdés (percussionnistes
cubains) et Dave Valentín (fl). Boby Acosta a fourni sa maison à Puerto Rico
pour faire un enregistrement en live. Puis, en studio, des trompettes bop
d'Atlanta et un flûtiste ont ajouté une contribution. Seul Melvin Jones m'était
connu, et il figure dans Le Monde de la Trompette et des Cuivres (DVD-Rom, 2014). C'est un ancien élève, comme Wynton Marsalis, de Bill Fielder.
Il a notamment joué pour Quincy Jones, Ray Charles (2002), Illinois Jacquet
(2004), Victor Goines (2008).
A la
lecture de tout ceci, on se doute que le mot jazz est une imposture par rapport
à sa signification historique, mais qu'il traduit bien l'air du temps pour une
forme hybride. Ceci étant dit, s'il n'y avait pas l'encombrement non swinguant
des percussions, ce «Seven Steps to Heaven»
serait tout simplement du bebop avec de l'improvisation standardisée de Melvin
Jones et du pianiste. La guitare à la Grant Green sur «Someday My Prince Will
Come» se déploie dans un contexte
cubano-portoricain. Melvin Jones puis Gordon Vernick, tous deux munis de la
sourdine pour faire davisien, y boppisent à souhait sur un non-sens rythmique.
La basse électrique est un peu molle mais techniquement capable pour un solo trop long,
seulement soutenu par conga, güiro et percussions diverses totalement
étrangères au swing (ce qui n'est pas une tare, mais un constat). Rappelons que
le fait d'improviser n'est pas spécifique au jazz et que l'on peut improviser
sur n'importe quoi; ce choix ne fait pas de ce support du jazz pour autant.
Il n'en est
pas moins vrai que cette sauce (salsa) n'est pas désagréable, sujette même à
bouger. La flûte est à l'honneur dans «Stolen Moments» mais on est loin du Eric Dolphy de la
version originale. En revanche, Melvin Jones n'est pas sans parenté avec Freddie
Hubbard. Avelino est bon, Batista fastidieux. «Old Folks» est le seul titre où Melvin
Jones ne joue pas. On y entend Gordon Vernick et sa sourdine harmon sans tube
dans un exercice d'évocation de Miles Davis. Le pianiste a sans doute écouté
Bill Evans bien qu'il cite Larry Willis comme mentor. C'est soporifique.
Un peu plus tonique est «In Your Own
Sweet Way». Melvin Jones et Andre Avelino y sont bons. Avelino joue une
introduction à «Well You Needn't»
presque démonkisée. Melvin Jones et Gordon Vernick y interviennent en solo dans
cet ordre. Enfin «There Will Never
Be Another You» est excellemment exposé par
Andre Avelino dans la lignée de Kenny Burrell. Melvin Jones y prend son
meilleur solo dans ce disque, montrant une qualité de son dans un jeu
décontracté pas trop chargé en notes. Jazz non, mais bonnes variétés, oui! Et
une occasion de découvrir Melvin Jones.
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 Christian Sands
Be Water
Introx, Sonar, Be Water I°*, Crash, Drive+*, Steam, Can't
Find My Way Home, Be Water II°°, Stillx, Outro°+*
Christian Sands (p, ep, org, voc), Yasushi Nakamura (b),
Clarence Penn (dm), Marvin Sewell (g)*, Marcus Strickland (bcl, ts)+, Sean
Jones (tp, flh)°, Steve Davis (tb)°, quartet à cordes (vln, alvn, cello)°°
Enregistré le 16 septembre 2019, New York, NY
Durée: 1h 04’ 25”
Mack Avenue Records 1170 (www.mackavenue.com)
Christian Sands, né en 1989, est un brillant pianiste
parrainé par la maison Steinway, adoubé par Billy Taylor, enseigné par Jason
Moran, recruté par Bobby Sanabria et qui a déjà côtoyé dans son parcours sur
les scènes des clubs et des festivals le meilleur du jazz vivant. Il a, parmi
ses nombreuses activités, honoré la musique d’Erroll Garner en tournée dans le
cadre de l’entreprise de réédition, de réhabilitation et de restauration de
l’œuvre du grand aîné de Pittsburgh par le label Mack Avenue et la succession
Erroll Garner à Pittsburgh, secondé par le département local des Jazz Studies dirigé à l’époque par la
regrettée Geri Allen (cf. nos chroniques sur cet événement).
Cet excellent musicien livre ici un volume de sa musique,
très bien entouré de sidemen d’excellent niveau, dans un disque dont toutes les
compositions sont de sa plume. Nul doute que le pianiste est un instrumentiste
exceptionnel, et ses talents de compositeur, arrangeur et leader ne sont pas
sans intérêt, mais on peut regretter, comme souvent pour la génération actuelle,
un manque de mémoire et sans doute de modestie qui pourraient leur faire
considérer le caractère indispensable de relier le jazz de leur temps avec
celui des aînés, même les plus proches dans le temps, il n’en manque pas. Le jazz a dû sa survie
jusque-là à cette capacité d’établir des liens profonds entre l’actualité et la
tradition, de nombreuses passerelles intergénérationnelles qui permettent à
l’humus du jazz de fertiliser la création sans nuire à la nécessaire
imprégnation par ce qui est à l’origine de cette histoire culturelle, qui ne
s’apprend que par la fréquentation du passé. On a vu que Christian Sands en a
donné lui-même l’exemple à propos d’Erroll Garner, et il faut, à notre sens,
que ça ressorte comme une permanence de son œuvre, comme cela a été le cas de
tous les créateurs du jazz avant lui. Même les grands compositeurs du jazz, de Duke
Ellington à Charles Mingus en passant par Thelonious Monk et Horace Silver ont
honoré d’autres compositeurs qu’eux-mêmes, des aînés et une tradition, et n’ont
jamais manqué dans chacun de leur disque de se référer aux fondements, comme
les enfants de Django également ne manquent jamais de faire référence au père
fondateur. Mais la pression des droits d’auteur, comme le nombrilisme de
l’époque provoquent souvent une véritable perte de mémoire au profit de l’air
du temps plus que de l’originalité.
Cela dit, ne boudons pas un musicien de cette qualité, parfois expressif et
potentiellement grand artiste d’avenir, car sa musique –le choix de la
formation, les arrangements et la perfection formelle– est porteuse de
promesses qui ne demandent qu’à se concrétiser dans le jazz, sans doute avec
plus de maturité, de sensibilité à l’art et moins de perméabilité à l’air du
temps. A côté des moments qui vieilliront vite et ne rendent pas ce disque
inoubliable, on perçoit dans son jeu des éléments qui peuvent permettre
d’espérer des enregistrements plus profonds.
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 Mark Masters
Masters & Baron Meet Blanton & Webster
All too Soon, Duke's Place, I Got It Bad, A Flower Is a Lovesome Thing,
What Am I Here For?, Jack the Bear, Perdido, Passion Flower, Take the "A"
Train, Ko-Ko, Introduction to In a Mellotone, In a Mellotone.
Mark Masters (arr), Stephanie O'Keefe (cond), Scott Englebright, Les Lovitt, Ron Stout, Tim Hagans
(tp), Les Benedict, Dave Woodley, Art Baron (tb), Danny House (as, cl), Kirsten
Edkins, Jerry Pinter (ts, ss), Adam Schroeder (bar), Bruce Lett (b), Mark Ferber
(dm)
Enregistré les 7-8 octobre 2019, Glendale, CA
Durée: 58'11''
Capri 74166-2 (www.caprirecords.com)
L'arrangeur Mark Masters a monté son premier orchestre en 1982. Sa
formation a invité des solistes comme Billy Harper et Gary Smulyan. Masters a
fondé un American Jazz Intitute à but non-lucratif, et il a enregistré des
hommages à Jimmy Knepper, Clifford Brown et Dewey Redman. Ici, son projet est
une relecture de la période 1940-42 de Duke Ellington, qui n'a pas besoin de
l'être, avec Bruce Lett dans le rôle de Jimmy Blanton, Kirsten Edkins et Jerry
Pinter dans celui de Ben Webster, sans filiation de style. L'invitation d'Art
Baron, qui a joué pour Duke Ellington (1973-74) puis Mercer Ellington pouvait
laisser penser à un certain respect de l'œuvre du Duke. Mais le texte du
livret, signé Andy Hamilton, spécialiste de Lee Konitz, qui oppose
interprétation, re-composition et actualisation, fait suspecter que nous allons
verser, non pas dans l'arrangement, mais dans le dérangement.
Dès le premier
titre, «All too Soon», nous en avons
la confirmation. Quelle est l'utilité d'une désellingtonification de l'œuvre de
Duke? Je ne dis pas que l'orchestre (excellents aigus du lead trompette, mise
en place parfaite) ou les solistes (Baron, Edkins, Lett) soient mauvais, bien
au contraire, la technique est solide. La musique proposée n'a souvent rien à
voir avec Duke Ellington dans l'esprit et bien sûr la lettre, mais elle est
bien faite. Donc, si on décide d'oublier l'ellingtonisme, on trouvera sans
doute de l'intérêt à l'écoute de cette musique qui se veut «actuelle».
Dans «Duke's
Place», Dave Woodley n'est pas sans
évoquer Roswell Rudd. Après le solo abstrait de Tim Hagans et un passage
harmonisé pour l'excellente section de sax, le solo de Bruce Lett impressionne
par sa technique. Le jeu d'Art Baron, avec le plunger, dans «I Got It Bad» est bienvenu. Dans ce disque, Art
Baron est le seul soliste qui, malgré le contexte, joue avec expressivité (ici,
genre Lawrence Brown) et un phrasé qui swingue naturellement: c'est un jazzman.
L'intervention d'Adam Schroeder, moins souple, est bien menée malgré le
drumming qui est un handicap à surmonter.
Art Baron est aussi le seul cuivre du
disque qui sache faire chanter son instrument comme le démontre «A Flower Is a Lovesome Thing» dans
lequel le solo de Bruce Lett, beau son et grande technique, est raide.
«What Am
I Here For?» n'est pas exploité en
tant que thème et fait place à un exercice d'improvisation, un peu fastidieux,
à deux trompettes (Ron Stout, Tim Hagans) qui fait que l'harmonisation
orchestrale finale est ce qu'on retient de mieux.
«Jack the Bear» par Art Baron, avec le plunger, est
bien préférable avec de bonnes lignes de basse de Bruce Lett et un excellent
jeu de balais de Mark Ferber. Ici l'arrangement orchestral de Mark Masters a du
sens. Danny House (cl) expose le thème de «Perdido» tandis que Lett et Ferber swinguent.
L'improvisation de Danny House et son alternative avec Mark Ferber sont bien menées, dans
un style plus proche de Buddy de Franco voir même Paquito D'Rivera que de
Barney Bigard ou Russell Procope. Les riffs orchestraux sont bien conçus. Là,
l'arrangement de Mark Masters est original sans être dérangeant.
Le jeu avec
sourdine d'Art Baron pour exposer «Passion Flower»
est un délice. L'univers harmonique de Billy Strayhorn est un bon tremplin pour
l'imaginatif Mark Masters. Un passage à deux sax, d'Edkins et Pinter, prélude
un court solo de Lett avant le retour mélodique d'Art Baron dont le style vocal
est admirable. L'arrangement orchestral n'est pas mal, mais Mark Masters aurait
pu éviter un passage trop exigeant dans l'aigu de la trompette qui sort de
façon limite, in extremis. C'est un problème que les trompettistes rencontrent
avec un arrangeur qui ne pratique pas l'instrument.
Tim Hagans donne une
introduction libre et à effets pour «Take
the "A" Train» dont l'efficacité mélodique est conservée. Le solo de Ron Stout
est du bop basique sans feeling. Les Benedict fait de même mais avec une
meilleure qualité de son et un phrasé plus balancé. La section de sax alterne
un motif écrit (parfaite mise en place) avec la partie improvisée de Bruce
Lett. Scott Engelbright est une fois encore limite dans la partie de lead
trompette. Engelbright n'est pas responsable, c'est un bon instrumentiste.
Le
coupable est l'arrangeur. On compatit. Il faut être inconscient et prétentieux
pour s'attaquer à un chef-d'œuvre tel que «Ko-Ko» dont l'intérêt réside exclusivement
dans... l'orchestration! Cette composition du Duke est un traité
d'orchestration hot, et non pas un tremplin pour l'improvisation, un thème.
L'arrangeur et ces excellents musiciens n'ont donc rien compris à l'univers
musical du Duke et, surtout, ce qui en fait sa particularité. Certes Art Baron
y prend un solide solo avec le plunger. Mais tout ça est un non-sens concernant
«Ko-Ko» pour lequel, le respect de
Claude Bolling à ce morceau est beaucoup mieux adapté. Qui voudrait actualiser Le Boléro de Ravel serait considéré
comme un farfelu. «Ko-Ko» et le Boléro
sont des traités d'orchestration, des leçons d'exploitation orchestrale des
divers timbres instrumentaux, à prendre ou à laisser. Des leçons
d'orchestration comme celles-ci n'appellent pas à être réorchestrées!
En
revanche, se défouler sur «In a
Mellow Tone», pourquoi pas? Ce n'est qu'un thème, pas un modèle
d'orchestration. Eh bien, ici, ce thème est plus respecté à la lettre que «Ko-Ko»! En dehors de l'introduction,
exercice d'improvisation libre par Hagans et Baron, seuls avec la basse et la
batterie, l'orchestre aborde le morceau de façon assez conventionnelle. Ce sont
les solos de Hagans et Pinter qui se veulent décapants. Ce n'est pas mauvais,
c'est seulement très convenu. Bref, pour apprécier ce disque, il faut oublier
Duke Ellington, Ben Webster et Jimmy Blanton, car les génies, ce sont eux. Vouloir
sonner «moderne» à tout prix a
quelque chose de puéril, mais c'est la prétentieuse tendance du moment qui
débouche sur un vide musical, bien que très bien joué. Oui, bien sûr, j'étais dans
la salle (Pleyel) lorsque le samedi 1ernovembre 1969, lors du premier des deux concerts (débuté à 19h30) dans
le cadre du 6e Paris Jazz Festival,
Archie Shepp est venu jouer avec l'Orchestre de Duke Ellington («C Jam Blue») et ça fonctionnait parfaitement.
Ce moment d'émotion n'était ni un collage, ni une volonté d'actualiser, mais
seulement la rencontre de deux histoires liées et compatibles. Ici, Art Baron est très
recommandable. Par ailleurs, libre à chacun de vouloir découvrir ou non cette vaine tentative de
substituer une pensée à celle de Duke Ellington et de Billy Strayhorn.
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 Jimmy Greene
While Looking Up
So in Love, No Words, Always There, April 4th, Good Morning
Heartache, Overreaction, Steadfast, I Wanna Dance With Somebody (Who Loves Me),
While Looking Up, Simple Prayer
Jimmy Greene (fl, cl, bcl, ss, ts), Aaron Goldberg (p, ep),
Lage Lund (g), Reuben Rogers (b), Kendrick Scott (dm), Stefon Harris (mar, vib)
25-27 mars 2019, Astoria, New York
Durée: 1h 08’
Mack Avenue 1154 (www.mackavenue.com)
La belle sonorité de Jimmy Greene, expressive, et la qualité
de sa formation ont du mal à compenser, à notre sens, les défauts d’un disque
plus inégal sur le plan du répertoire avec des compositions linéaires qui ne
mettent pas toujours en valeur les qualités des instrumentistes, celles du
leader parmi eux. On apprécie chez eux les qualités d’invention et chez Jimmy
Green, le leader, des arrangements recherchés. Les deux standards réussis comme «So in Love» (Cole
Porter) ou «Good Morning Heartache» (Higginbotham/Drake/Fisher) font regretter un
manque certain de relief qui nous semble plus déterminé par la nature des autres compositions que par les arrangements ou les participants. Jimmy Greene lui-même, en tant
qu’instrumentiste, possède des qualités de sonorité qui auraient gagné à une
réflexion sur les originaux et leur traitement, les deux ne
pouvant pas être dissociés. Tout est bien réalisé, bien joué et bien mis en
place; il reste à donner à la musique plus de profondeur, d’intensité, de
caractère.
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 Santi Debriano
Flash of the Spirit
Awesome Blues, Funky New Dorp, For Heaven's Sake, Beneath
The Surface, Toujours Petits, Humpty Dumpty, Natural Causes, Ripty Boom, La
Mesha, Voyage
Santi Debriano (b), Andrea Brachfeld (fl), Justin Robinson
(as), Bill O’Connell (p), Tim Porter (mand), Tommy Campbell (dm), Francisco
Mela (dm), Valtinho Anastacio (perc)
Enregistré les 2-3 octobre 2019, New York, NY
Durée: 1h 02’ 12”
Truth Revolution Recording Collective 054 (www.truthrevolutionrecords.com)
On ne devrait plus présenter Santi Wilson Debriano, né le 25
juin 1955 à Panama, contrebassiste, fils d’un père pianiste et compositeur
dans son pays d’origine. Santi a grandi à Brooklyn, et il a étudié la musique,
en dehors du cercle familial, dans les années 1970 au New England Conservatory
puis à la Wesleyan University à la fin des années 1980.
Sa carrière et sa discographie évoquent les collaborations
parmi les plus marquantes des quarante dernières années. Depuis la fin des
années 1970 avec Jaki Byard, Archie Shepp, et les années 1980 avec Sam Rivers,
Kirk Lightsey, Pharoah Sanders, Oliver
Lake, Elvin Jones, Charlie Rouse, Jim Pepper, Santi Debriano a fait le bonheur
de nombreux groupes de jazz de culture. Dans ses autres collaborations, on
citera George Cables, Larry Willis, Frank Foster, Charles
McPherson, Frank Wess, Sonny Fortune, Kenny Drew Jr., Don Pullen, David Murray,
Chico Freeman, Arthur Blythe, Joe Chambers, T.K. Blue, Von Freeman, Louis
Hayes, ce qui situe parfaitement les qualités de cet excellent contrebassiste,
et d’une certaine façon ses choix artistiques dans lesquels se situe cet
enregistrement, Flash of the Spirit,
de la fin de l’année 2019. Santi Debriano s’exprime dans un registre post bop
qui n’hésite pas à s’aventurer sur les marges du free jazz de culture. En bon
contrebassiste, sa discographie en leader n’est pas très fournie après un début
prometteur à la fin des années 1980 jusqu’aux années 2000, qui lui valent de
diriger des enregistrements (Obeah, Soldiers of Fortune, 3-Ology, Circlechant, Artistic Licence), avec Sonny Fortune, John Purcell,
Greg Osby, Abraham Burton, Kenny Barron, Helio Alves, Ken Werner, Billy Hart… Comme d’autres, il a eu en parallèle une carrière
d’éducateur qui semble avoir pris le pas au niveau des enregistrements sur sa
carrière artistique, et si on a pu le revoir parfois sur la scène, il faut
attendre ce bon enregistrement pour le retrouver leader, près de vingt ans après
son précédent enregistrement. On peut constater au passage que l’enseignement
qui s’est développé dans le jazz a eu l’effet pervers de faire disparaître de des
studios et/ou de la scène jazz nombre de musiciens, scènes jazz qui
parallèlement sont devenues de moins en moins jazz depuis le début des années
2000, ce qui a accéléré ce mouvement de perte de mémoire enregistrée d’artistes
de talent.
Le dernier épisode de covid n’a pas arrangé les affaires du
jazz, au point qu’on peut se poser la question éternelle de la mort du jazz, et
cette fois avec des arguments bien réels, puisque le jazz est effectivement mort
pendant deux ans, la question d’aujourd’hui étant celle de sa renaissance,
possible ou impossible. Ce disque d’avant covid ne répond pas à cette
question, il est dans la queue de la comète d’un jazz de culture, direct, avec ce
qu’il faut d’énergie et de place pour que le contrebassiste puisse faire parler
son talent sans tomber dans un disque de démonstration
instrumentale. La musique, le jazz restent toujours le centre du projet, comme
on peut le dire à propos de Charles Mingus, car, hasard ou flash of the spirit, grâce à l’orchestre
–les excellents Justin Robinson (as), Andrea Brachfeld (fl), Bill O’Connell
(p) et une rythmique avec deux batteurs et deux percussionnistes– cette
musique possède un drive et une liberté toute mingusienne («Awesome Blues»,
«Funky New Dorp»), le bassiste faisant entendre sa voix au-delà des chorus et
de la rythmique.
La sonorité de Santi Debriano laisse aussi entendre ce son
puissant et mat, le bruit des cordes sur le manche, cette musicalité virtuose
propre à son aîné et Santi est l’auteur de la plupart des belles compositions
(«For Heaven’s Sake» en solo, «Beneath the Surface» à l’archet que Santi
affectionne). «Natural Causes» et «Ripty Boom», deux autres thèmes du leader,
confirment les talents d’écriture, avec des arrangements, des lignes de basses
très riches, un ancrage dans le blues et de beaux chorus de Justin Robinson, Andrea Brachfeld faisant preuve d’énergie et de lyrisme. Il y a un retour sur la vie, les racines, le père, dans un
«Toujours petits» (titre en français)
aux accents latino-américains; aucun exotisme, juste la mémoire. Enfin, «Humpty Dumpty», d’Ornette Coleman, dans un registre
free très classique aujourd’hui, est un des trois thèmes du répertoire jazz avec
les splendides «La Mesha» de Kenny Dorham et «Voyage» de Kenny Barron, une
manière de comprendre que pour Santi, il n’y a aucun hiatus dans l’histoire du
jazz de la deuxième partie du XXe siècle. Sa lecture de 2019 de ces thèmes, avec
la complicité de son talentueux orchestre, est réussie: un disque bien construit, cohérent de la première à la dernière
note. Signalons enfin que les chorus du contrebassiste, sans jamais envahir
l’ensemble, sont d’une précision et d’une intensité qui nous font regretter la
relative parcimonie des enregistrements de Santi Debriano au XXIe siècle, qui
n’est pas le siècle du jazz, il est vrai. Un opus qui mérite, pour sa rareté aussi, un
indispensable pour sortir Santi Debriano de l’oubli relatif de ceux qui
n’habitent pas New York, et rappeler que le jazz de culture est resté en vie jusqu’à 2019 grâce à de nombreux artistes de cette stature.
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 Branford Marsalis
Ma Rainey's Black Bottom
Deep Moaning Blues, El Train, Lazy Mama, Chicago Sun, Those Dogs of Mine, Hear Me Talking to You (Instrumental), The Story of Memphis Green, Jump Song, Leftovers, Shoe Shopping, Deep Henderson, Reverend Gates, Ma Rainey's Black Bottom, Levee's Song, Sweet Lil' Baby of Mine, In the Shadow of Joe Oliver, Hear Me Talking to You, Levee and Dussie, Levee Confronts God, Sandman, Baby, Let Me Have It All, Toledo's Song, Chicago at Sunset, Skip, Skat, Doodle-do
Branford Marsalis (s, comp, arr), Andrew
Baham, Mark Braud, Wendell Brunious, Michael Christie, Scott Frock, John Gray,
Gregg Stafford (cnt), Fred Lonzo, Delfeayo Marsalis,
David Harris, Corey Henry, T.J. Norris, Terrance Taplin (tb), Doreen Ketchens, Nuno Antunes,
Chris Cullen (cl), Roderick Paulin, Louis Ford, Amari
Ansari, Scott Johnson, Khari Allen Lee (s), Keve Wilson (oboe), Stephanie
Corwin (basson), Aaron Diehl, Sean Mason (p), Don Vappie
(bjo, g), Kirk Joseph, Kerry Lewis (tu), Greg August, Eric Revis, Roger Wagner
(b), Justin Faulkner, Shannon Powell, Herlin Riley (dm, traps), Chaz Leary
(wbd), Dom Flemons (jugs), Maxayn Lewis, Clint Johnson, Cedric
Watson (voc), Viola Davis (recit) Savion Glover (tap dance) + 13 vln, 4 avln, 3 cello (cf. https://www.branfordmarsalis.com/albums/ma-raineys-black-bottom-soundtrack)
Enregistré
les 3-6 juin 2019 et 6-11 février 2020, Ellis Marsalis Center for Music, New Orleans, LA; 17 juin 2019, Glenwood Place Studio, Burbank, CA; 16 juillet 2019, Audible Images Recording Studios, Pittsburgh, PA; 3
janvier 2020, Igloo Music, Burbank, CA;
19 février 2020, DiMenna Center/Benzaquen Hall, New York, NY; 2 août
2020, Staffland Studio, Lafayette, LA
Durée:
59' 29''
Milan
194339837172 (Sony Music)
Comme pour Bolden par Wynton Marsalis, la mention indispensable
va à la musique, pas au film. Ce long-métrage, réalisé par George C. Wolfe, est
sorti le 18 décembre 2020 (Netflix), et la bande sonore originale que voici, sur CD, le 19 mars 2021. C'est
l'adaptation d'une pièce, Ma Rainey's Black Bottom (Le Blues de Ma
Rainey) écrite par August Wilson. C'est une fiction: au cours d'une séance
d'enregistrement, en 1927, les musiciens attendent Ma qui, arrivée en retard,
s'en prend à son manager et son producteur blancs et à son ambitieux cornettiste décidés à lui imposer leurs
choix artistiques. Le rôle de Madame (Ma)
Gertrude Rainey (1886-1939) est tenu par l'actrice Viola Davis et celui de son
cornettiste, Levee, par Chadwick Boseman (1976-2020). Il semble qu'il y ait
toutefois derrière ce travail, la prétention d'être une biographie, donnant une
vision romantique de cette artiste et une transposition des considérations
actuelles au passé. On sait que les gens du XXIe siècle ne portent aucun
intérêt au passé. Le moindre document d'époque doit être colorisé et pour une
situation dans les années 1920 on mettra volontiers une musique des années 1930
afin que ça ne fasse pas trop vieux. Ma Rainey, née et décédée à Columbus
(Georgie) mérite comme toutes les autres chanteuses de blues de 1919-33 qu'on
lui porte un intérêt. Elle participa dès 1900 au spectacle A Bunch of Blackberries à la Springer Opera House de Columbus. Elle n'était pas que chanteuse, mais une
artiste complète du divertissement. Elle découvre le blues en 1902. Dix ans plus tard, elle
travaille avec Bessie Smith (Moses Stokes Show). Elles sont encore ensemble en
tournée (Rabbit Foot Minstrels, 1915). De novembre 1923 à décembre 1928, Ma
enregistre abondamment à Chicago et New York pour le label Paramount. La
documentation historique ne manque donc pas. Mais, pour le film et la musique,
Ma Rainey n'est qu'un alibi. Branford Marsalis confirme que les gens «veulent de belles histoires dans les films,
pas qu'on leur donne une leçon d'histoire» (Soul Bag n°242, 2021,
p53). Pour la musique, George Wolfe a donc fait appel au «composer-arranger» Branford Marsalis
qu'il estime être «historian,
musicologist, dramatist, and raconteur»! Excellent musicien, compositeur,
arrangeur, cela ne fait pas de doute; raconteur, peut-être. Mais ce n'est pas
parce qu'on est musicien, ne rejetant pas les formes dites du passé, que l'on
est historien et musicologue. Ce sont trois approches qui chacune prend trop de
temps pour être cumulées chez un seul individu. Il y a en outre, maintenant,
une trop grande distance pour un héritage direct. Il était ridicule de
qualifier de «revival» l'époque où Jerry Blumberg, Bob Wilber, Sammy Rimington
étudièrent respectivement avec Bunk Johnson, Sidney Bechet, Capt. John Handy.
Dans les années 1960, le signataire a pu voir, en action, tous les maîtres de
l'instant et d'avant (Armstrong, Ellington, Monk, Roach, Pharoah) et dans la
décennie suivante, obtenir un héritage direct de musiciens ayant joué avec King
Oliver (Eddie Allen) et Bix (Eddie Ritten). Puis, s'est creusé un fossé. De nos jours, c'est un vrai «revival» puisque
l'on évoque de façon créative le passé sans le contact direct des pionniers.
Branford Marsalis n'avait que 14 ans quand la locale, Billie Pierce,
accompagnatrice de Bessie Smith, est décédée, et le choix pour son premier
disque s'est porté sur Elton John. Puis, il a suivi un enseignement déformant
(Berklee) comme tant d'autres. Aujourd'hui, à l'époque du funk et du rap (que
l'oreille même hostile ne peut éviter), on va sur internet, qui est une sorte
de musée sans guide pour trouver de l'information pour un projet. Wolfe a contacté
Branford Marsalis mi-mai et il devait assurer la première séance début juin!
Impossible de faire un travail musicologique en moins d'un mois. D'autant plus
que Branford nous dit: «the project
forced me to quickly fill in a gap in my musical experience (le projet m'a obligé à combler rapidement une lacune dans mon expérience
musicale)». Il précise: «Given today's technology, I was able to listen to
multiple curated music stations and playlists from that time (Grâce à la technologie d'aujourd'hui, j'ai pu écouter plusieurs
stations de musique et programmes de cette époque)». Branford, pour ce film, a notamment écouté Ethel Waters, Jack Hylton
(!), les Dixieland Jug Blowers, Annette Hanshaw, les Charleston Chasers, Casa
Loma Orchestra, Fletcher Henderson, Duke Ellington et Louis Armstrong. Et de
conclure: «my ears steadily locked in on
two musicians Paul Whiteman and King Oliver (mes oreilles se sont solidement fixées sur deux musiciens Paul Whiteman
et King Oliver)» donc «the sonic direction of this soundtrack is dedicated to the
musical directions of these two great musicians and bandleaders (le chemin sonore de cette bande originale est dédié aux orientations
musicales de ces deux grands musiciens et chefs d'orchestre)». Concernant Whiteman dans le monde blues-jazz, inutile de préciser
que, là-haut, Hugues et Charles sont réconciliés dans une même consternation.
Cette démarche est extrêmement intéressante à connaître, car c'est la règle à
notre époque.
Reste la musique en elle-même, toute authenticité écartée. Il
s'agit de suggérer une ambiance imaginée. Branford Marsalis a dédié ce travail
à la mémoire d'Ellis Marsalis, Chadwick
Boseman, Jimmy Heath, Lee Ethier (technicien) et Lucien Barbarin. Le fait
de disposer d'un personnel collectif n'aide pas à savoir qui joue quoi. Disons
que beaucoup de bons jazzmen néo-orléanais ont été conviés, ce qui est une
garantie, et certains, plus vieux que Branford, ont fréquenté les vétérans
(Wendell Brunious, Gregg Stafford). Il y a quatre clins d'œil à Ma Rainey: le
«Those Dogs of Mine» qu'elle grava en mars 1924 avec Lovie Austin (Tommy
Ladnier, cnt), ici interprété plus que chanté par Viola Davis sur un
accompagnement de piano (0'45''). Deux titres de la séance de Ma avec le Tub Jug
Washboard Band (kazoo, p, bjo, jug) de juin 1928, ont été retenus: «Deep Morning
Blues» (4'49'') et «Hear Me Talking to You» (0'49''), ici chantés en combo
(cnt, tb, p, b, dm) par Maxayn Lewis, née Paulette Parker à Tulsa et
ex-Ikettes, bien dans le style des Black Pearls. Enfin, «Ma Rainey's Black
Bottom» confié à la cire en décembre 1927 avec le Georgia Band, repris par
Maxayn Lewis avec le même bon combo (2'10''). Voilà tout pour Ma, sinon une
version instrumentale de «Hear Me Talkin' to You» par le même groupe (très bons
pianiste et cornettiste -Wendell Brunious, je pense-, slap basse et trombone
rugueux à la Lonzo). Parmi les reprises, nous avons une version de «Lazy Mama»,
titre qui fut enregistré par King Oliver, avec Clarence Williams et sous son nom.
Branford s'inspire plus de Whiteman que des Dixie Syncopators du King avec une
bonne section de sax et un cornet solo (belles lignes de tuba –Kirk Joseph?–).
Le «Deep Henderson» de Fred Rose fut enregistré par les Dixie Syncopators de
King Oliver (1926) mais aussi par Charly Straight, Coon-Sanders, Ambrose et le
Symphonique Jazz du Moulin Rouge de Fred Mélé (1926)! La reconstitution de
Branford Marsalis est jouée de façon plus sautillante que les orchestres du
King ou de Mélé. Les Dixieland Jug Blowers de Clifford Hayes (1893-1941) ont
gravé en 1926, chez Victor, le fox-trot «Skip, Skat, Doodle-do». Il est ici
sympathiquement chanté par Cedric Watson avec Don Vappie (bjo) et un combo (cl,
as, vln, jug, wbd). Tout le reste a été écrit par Branford Marsalis et il couvre
un vaste territoire esthétique, du classique («The Story of Memphis Green», par
le portugais Nino Antunes, cl, avec cordes et piano; «Leftovers» pour piano;
«Reverend Gates» pour piano et cellos; «Toledo's Song» pour piano, bois,
cordes) au big band swing sous l'influence du Duke («El Train», 1'10'',
«Chicago Sun», 0'43'', «Shoe Shopping»), en passant par du tap dance («Jump
Song», solo de Vappie; «Sandman»), du jazz New Orleans («Levee's Song» pour
clarinette et rythmique –Doreen Ketchens?–; «In the Shadow of Joe Oliver»,
cornet et piano), du piano solo magistral (–Aaron Diehl?– «Levee and Dussie», «Chicago at Sunset»), du
Paul Whiteman («Sweet Lil' Baby of Mine», Clint Johnson, voc, paroles d’Harry
Connick, Jr.), du post-Trane («Levee Confronts God», ténor, cordes, piano,
percussions –Branford!–), le genre Wynton Marsalis («Baby, Let Me Have It All»).
Faute de temps, il n'y eut souvent qu'une prise par morceau. Donc respect!
Ma
ou pas, l'amateur de jazz prendra plaisir à l'écoute de ce disque.
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 Jerome Richardson and The Tete Montoliu Trio
Groovin' High in Barcelona
A Child Is Born, Manhã De Carnaval, Groovin' High, Where Is
Love, When Lights Are Low, Warm Valley, Hi-Fly,I Thought About You, A Night in
Tunisia, J & T Blues
Jerome Richardson (as, ss),Tete Montoliu (p), Reggie Johnson (b), Alvin Queen (dm)
Enregistré le 22 mai 1988, Barcelone (Espagne)
Durée: 1h 19’ 10”
Fresh Sound Records 5065 (www.freshsoundrecords.com/Socadisc)
Ce disque a déjà été introduit par une autre chronique parue
en 2020 du trio de Tete Montoliu avec Reggie Johnson et Alvin Queen, Barcelona Meeting,
paru sur le même label, Fresh Sound Records de Jordi Pujol. «Ici, il y
a l’une des plus belles sections rythmiques de musiciens américains installés
en Europe autour du pianiste. A l’époque, comme le rappelle le livret, ce trio
accompagnait Jerome Richardson qui se produisait à Barcelone.»,
disions-nous, et c’est donc cette rencontre du trio et de Jerome Richardson
(Oakland, CA,1920-Englewood, NJ, 2000), d’abord en live au club historique Cova del Drac (créé en 1965), que
l’excellent producteur catalan, avec la complicité de Jordi Suñol,
l’indispensable agent du jazz de Barcelone, a pu immortaliser en studio, le même
Estudi Gema aujourd’hui défunt où fut enregistré le trio, à la même date.
Jordi Pujol nous propose donc aujourd’hui, plus de
trente-deux ans après sa réalisation, le bel enregistrement dirigé alors par
Jerome Richardson (même si cette première édition se fait sous les noms de Jerome
et de Tete), artiste accompli du jazz, accompagné de manière parfaite par l’un des
grands trios du jazz européen toutes époques confondues. Pour être complet, on
signalera que ce musicien n’avait pas enregistré sous son nom depuis plus de vingt
ans, sa carrière de leader s’étant interrompue au moment de sa maturité à la
fin des années 1960, à l'époque de la première dépression de l'économie du jazz.
Jerome Richardson est alors un parcours incroyable dans le jazz, présent dans des centaines d’enregistrements en sidemen, jazz et pas seulement, depuis
1942 et Jimmie Lunceford, puis, entre autres de Marshall Royal (orchestre
militaire), Lionel Hampton (1949-51), Earl Hines (1954-55), Cootie Williams,
Eddie Lockjaw Davis (1958), Chico Hamilton, Charles Mingus (Mingus Dysnasty 1959, Town Hall Concert 1962, The Black Saint and the Sinner Lady1963, Mingus Mingus Mingus… 1963), Quincy
Jones (1960), Thad Jones/Mel Lewis Orchestra (1966-70). En leader, avant ce disque, il a moins d’une dizaine
d’enregistrements, tous avant 1967 (Midnight
Oil 1958, Roamin' With Jerome
Richardson 1959, Going to the Movies1962, repris sur le Jerome
Richardson, Complete Recordings 1958-62, Fresh Sound 874, plus Groove Merchant enregistré en 1967).
Entre 1967 et 1988, année de cet enregistrement, bien qu’il n’ait pas
enregistré en leader, il n’a pas chômé. Comme l’une de ses inspirations
majeures, Benny Carter, comme Hank Jones, Quincy Jones et beaucoup d’autres,
c’est dans les studios de la Côte Ouest qu’il trouve à s’employer parfois dans
le jazz (Quincy Jones, Gerald Wilson…), et parfois en marge (Tony Bennett, Dick Cavett Show, Stevie Wonder…). Il
faut dire que l’instrumentiste joue de tous les saxophones, les flûtes, les
clarinettes, compose, arrange, dirige: un homme orchestre, parfait
professionnel mais aussi artiste de jazz. Il ne manque donc pas d’activité.
C’est un musicien qui a pratiqué l’histoire du jazz depuis
déjà plus de quarante-cinq ans, dans des courants-époques variés du mainstream à la musique
de Charlie Mingus quand il enregistre ce disque à Barcelone. C’est un
instrumentiste de haut niveau mais également un artiste capable d’une vraie
liberté d’expression. Et à Barcelone, il croise la route d’un beau trio, où
Tete Montoliu, l’un des pianistes de jazz les plus inventifs en Europe a eu le
bonheur de s’entourer du regretté Reggie Johnson et d’Alvin Queen, «Mr.
Drive»! («Groovin’ High»). Le répertoire témoigne de l’étendue de la carrière de
Jerome Richardson: Thad Jones («A Child Is Born»), Dizzy Gillespie, Benny
Carter, Duke Ellington, Randy Weston («Hi-Fly»), trois standards et pour finir
un blues mitonné avec Tete et la complicité du trio. La sonorité de jerome Richardson tient à
la fois de Benny Carter et de Charlie Parker (lyrisme et virtuosité, «Groovin’
High», «When Lights Are Low»), parfois de Johnny Hodges («Warm Valley»), de
Charles Mingus, Eric Dolphy, Buddy Collette, Dizzy Gillespie (liberté sur
«Night in Tunisia»)… Tout a l’air évident, direct et facile, mais ne nous y
trompons pas, c’est un siècle de culture jazz personnifiée, maîtrisée qui parle
par son saxophone, du plus profond des racines («J & T Blues»).
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 Wolfgang Lackerschmid / Chet Baker
Quintet Sessions 1979
Mr. Biko,
Balzwaltz, The Latin One*, Rue Gregoire du Tour, Here's That Rainy Day, Toku Do,
Rue de Gregoire du Tour (reheasal), Balzwaltz (alternate take)
Wolfgang Lackerschmid (vib), Chet Baker (tp, voc*), Larry Coryell (g), Tony Williams (b), Buster Williams (dm)
Enregistré
en 1979, Stuttgart (Allemagne)
Durée:
44'51''
Dot Time 8018 (www.dottimerecords.com/Socadisc)
En 2019, nous avions regretté
la platitude de Ballads for Two par Chet Baker et Wolfgang Lackerschmid
(Dot Time 8012). Dans le livret du présent disque, Wolfgang Lackerschmid nous
dit qu'en duo avec Chet Baker, ils ont joué dans divers endroits. Et à
Kongsberg en Norvège, le guitariste Larry Coryell (1943-2017) qui se produisait
là avec Sonny Rollins est venu les voir en backstage, très ému, en souhaitant
jouer avec eux. L'agent de Chet Baker a saisi l'occasion pour qu'un disque soit
réalisé avec Coryell, mais en quintet. Wolfgang Lackerschmid lui aurait dit que
s'il voulait un bassiste et un batteur, il faudrait qu'ils s'appellent
Williams! Quelques semaines plus tard, l'agent avait recruté Buster Williams
(1942) et Tony Williams (1945-1997). Voici donc le résultat musical. Et ça
change tout. S'il vous faut choisir entre ces deux disques du tandem
Baker-Lackerschmid, c'est celui-là qu'il faut prendre. Il y avait à craindre compte-tenu des antécédents rock (prétendus
fusion) de Coryell et Tony Williams, mais ils ont respecté la «fragilité» de
Chet Baker. «Mr. Biko», morceau de Tony Williams, débute par la rythmique de
façon assez binaire. Coryell expose ensuite le thème, mais, tout s'éclaire
soudain et devient musique quand Chet Baker joue la reprise avec cette sonorité
qui fit sa gloire et son charme. Un solo de vibraphone précède celui de Coryell
qui déploie une qualité de son, mais le meilleur vient ensuite: un magnifique
solo de trompette qui swingue sur une basse ternaire et un drumming non
invasif. Buster Williams joue un solo très technique au service d'une sonorité
superbe. Le même principe clôt cette prise, c'est à dire, thème par la guitare
et reprise de celui-ci par la trompette. On se demande si c'est juste un heureux
hasard ou si ça va durer. «Balzwaltz» écrite par Lackerschmid est un thème
charmant pris dans un excellent tempo médium. Chet Baker est dans son élément
pour faire un exposé détendu. Coryell commence avec mordant un solo très «guitar
hero» mais sans excès. Chet Baker nous délivre une vocalise qui précède le solo
de vibraphone et surtout le clou de cette prise (master), et peut-être du
disque, un remarquable solo de batterie sur la ligne de basse. La trompette
conclut cette seconde réussite. «The Latin One» est une prise interrompue.
Comme le titre l'indique, ce morceau de Coryell est pris sur un rythme latin.
Le solo de trompette de Chet Baker illustre la parenté de climat qu'il pouvait
avoir avec Miles Davis, période Sketches of Spain. Puis, Coryell
s'arrête dans son solo d'où un fading. Pour Chet, il était en effet
intéressant de conserver ces 2'24''. Sur tempo moyen, le groupe aborde ensuite
«Rue Gregoire du Tour» de Coryell, un thème simple exposé dans le registre
médium par Chet Baker. Il est saisissant de constater une convergence (fortuite)
de son et d'émission des notes entre Chet et le Roger Guérin en fin de
carrière: même constitution affaiblie et tous deux ont surmonté un problème
dentaire. Les moyens physiques adaptent l'expression musicale. Il y a un beau
solo dans l'aigu de Buster Williams puis Chet improvise sobrement autour du
thème. A l'évidence, Tony Williams respecte le trompettiste. C'est ensuite le
seul standard retenu pour cette séance. Tout le Chet Baker mélancolique est dans
l'exposé de ce «Here's That Rainy Day» de Jimmy Van Heusen. Buster Williams
fait chanter sa contrebasse sur les accords basiques de la guitare. C'est pour
Chet Baker une formule qu'il a beaucoup explorée: trompette-guitare-contrebasse.
Beaucoup d'émotion dans le jeu de Chet Baker. Typiquement bop, «Toku Do» de
Buster Williams s'engage sur un tempo vif et Chet Baker assume très bien, juste
soutenu par l'incroyable tandem des Williams. Coryell prend son relais avec
beaucoup de technique, mais l'oreille est attirée par le travail des Williams.
Bon solo de basse sur un backing discret de guitare et de drums. C'est
seulement après, que le vibraphone intervient pour un solo dans la lignée de
Bobby Hutcherson. Le contexte tire Lackerschmid vers le haut. Retour au thème
en stop time par Chet Baker et Larry Coryell à l'unisson. La répétition de «Rue
Gregoire du Tour» est une prise différente de celle retenue, notamment dans
l'ordre des solos. Le tandem Williams prend un solo en commun et dans l'exposé,
les inflexions de Chet Baker sont très proches de celles du Miles Davis de
1957. C'est Lackerschmid qui a voulu une prise alternative de «Balzwaltz» à la
surprise des autres musiciens. En fait, à l'écoute de celle qui fut finalement
retenue (supra), Tony Williams, avec raison, a dit, content de lui: «Man, this was a really bad solo! (mec,
c'est vraiment un solo vachement bien!)». Lackerschmid a pris le mot baddans son vrai sens, c'est à dire «mauvais», et il a voulu faire une autre prise.
Donc, cette version plus courte se passe du solo du tandem Williams, mais aussi
de la vocalise de Chet; quant à Coryell, il est moins brillant: signes d'une
contrariété générale. Bref, nous avons là un très bon disque qui illustre le
meilleur côté des cinq participants.
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 Herb Geller / Roberto Magris Trio
An Evening With Herb Geller & The Roberto Magris Trio
After You, El Cajon, Lonely Woman, The Red Door, Orson, Upper
Manhattan Medical Group, Celebrating Bird, 9:20 Special, If I Were a Bell, The
Peacocks*, Pretty Women*
Herb Geller (as), Roberto Magris (p), Nikola Matosic (b), Enzo
Carpentieri (dm)
Enregistré les 19 novembre 2009, Novi sad Jazz Festival (Serbie)
et 6 décembre 2009*, Porgy and Bess, Vienne (Autriche)
Durée: 56’ 34”
JMood 012 (www.jmoodrecords.com)
Un petit retour en 2009 pour retrouver cet enregistrement indispensable
qui a été publié il y a déjà quelques années par l’excellent label JMood de
Kansas City où œuvre Paul Collins avec la complicité de Roberto Magris que nous
avons mieux connu grâce à son interview parue dans Jazz Hot 2021. Roberto, pianiste de grand talent, entoure avec son
trio le légendaire Herb Geller lors d’une tournée en fin d’année 2009, en
Europe centrale et balkanique.
Herb Geller (1928, Los Angeles, CA-2013, Hambourg, Allemagne, cf. Jazz
Hot n°666), c’est un long
parcours commencé dans l’immédiat après-guerre (Joe Venuti, Claude Thornhill)
pour ce disciple de Benny Carter qui découvre dans Charlie Parker une seconde
source d’inspiration. Sur la Côte Ouest où il est réinstallé depuis le début
des années 1950, il croise celle qui devient son épouse, Lorraine Geller (p,
1928-1958), et la route des agitateurs locaux comme Howard Rumsey, Shorty
Rogers, Maynard Ferguson, Shelly Manne, Chet Baker, Bill Holman, mais aussi les
courants plus hot en visite comme
Clifford Brown, Max Roach. Herb Geller a aussi accompagné Benny Goodman, Dinah Washington,
Ella Fitzgerald, Ray Charles, Art Pepper et même Benny Carter dans le All Star
Sax Ensemble de légende en 1988 qui réunissait avec eux Frank Wess, Jimmy
Heath, Joe Temperley, Richard Wyands, Milt Hinton et Ronnie Bedford (Over the Rainbow, MusicMasters)
Herb Geller est un musicien de synthèse et un homme libre,
et il garde dans son style et sa sonorité à l’alto l’ensemble de ses amours,
celui du jazz de la tradition, comme du jazz de son époque. Son lyrisme à
l’alto rappelle son inspirateur Benny Carter mais aussi Charlie Parker par la
puissance de son attaque. Son vibrato serré et intense fait aussi penser à
Sidney Bechet et Johnny Hodges, ce qui donne la mesure de sa synthèse car son
courant musical est résolument le bebop. Son répertoire dans ce disque confirme ce grand écart réussi
qui embrasse la tradition dans son ensemble, depuis le «9:20 Special» de Earle
Warren (Count Basie Orchestra), les belles compostions de Billy Strayhorn («Orson»,
«Upper Manhattan Medical Group»), «Lonely Woman» de Benny Carter , «The
Red Door» de Zoot Sims, quatre standards (Cole porter, Johnny Mandel, Frank
Loesser, Stephen Sondheim) dont «If I Were a Bell» immortalisé par Miles Davis.
Il y a encore le thème intrigant «The Peacocks» de Jimmy Rowles, interprété en
solo à Vienne et un original dédié à Charlie Parker («Celebrating Bird»). On suit ainsi en une heure le fil d’une longue histoire,
celle du jazz, vécue avec intensité par ce passionnant saxophoniste alto,
compositeur, qui a vécu une seconde vie en Allemagne où il enseigna, joua et
participa à de nombreuses aventures du jazz en Europe.
Le trio de Roberto Magris est parfait dans le soutien
apporté à Herb Geller avec une dynamique digne des bons trios
d’outre-Atlantique et, au total, cela nous donne le plaisir de réentendre Herb
Geller dans un cadre parfait en live,
sans doute l’un de ses derniers enregistrements.
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 Emmet Cohen
Future Stride
Symphonic Raps, Reflections At Dusk*°, Toast to Lo*°, Future
Stride, Second Time Around, Dardanella, You Already Know*°, Pitter Panther
Patter, My Heart Stood Still, Little Angel°
Emmet Cohen (p), Russell Hall (b), Kyle Poole (dm)
Guests : Melissa Aldana (ts)*, Marquis Hill (tp)°
Enregistré 21-22 janvier 2020, New York, NY
Durée : 47’ 12”
Mack Avenue 1181 (www.mackavenue.com)
On commence à découvrir Emmet Cohen bien que cet
enregistrement, effectué juste avant le confinement, soit le premier qui nous
parvienne (le quatrième en leader). A l’occasion de l’enfermement de la planète,
il a eu l’intelligence et le talent de créer une scène virtuelle, alternative à
cette prison sans barreau pour le jazz, Live
From Emmet’s Place,
où se sont produits une multitude de musiciens de jazz déjà de la légende comme
Houston Person, Christian McBride, et bien d’autres, le plus souvent
accompagnés par ses soins au piano, voire selon ses invités par son trio qu’on
retrouve ici. Cette scène, un vrai club at
home, a été avec le Live at the Flat
in Greenwich Villagede Rossano Sportiello, un bol d’air, de jazz hot de haut niveau et dans la
bonne humeur, sans masque la plupart du temps (libre choix) et sans peur
psychotique. Emmet n’est donc plus une découverte au premier degré car
nous avons pu apprécier son talent dans toutes les formules, les styles, les
époques du jazz. C’est un pianiste de jazz d’un très bon niveau qui possède
visiblement une connaissance du jazz non seulement académique mais aussi par le
vécu, et cela rend sa musique déjà très accomplie, profonde et sans esbroufe.
Comme beaucoup de musiciens depuis la génération Marsalis,
il conjugue un savoir instrumental de toute l’histoire du jazz depuis ses
prémices jusqu’à nos jours, et opère sa synthèse dans la veine actuelle, le reprenant
à son compte avec personnalité pour en faire une recréation. Le «Dardanella» de
1919 dans cet enregistrement en est un exemple et explique avec «Future
Stride», «Pitter Panther Patter», «Symphonic Raps» le titre Future Stride. Ce qui ne l’empêche pas
d’enchaîner en quintet avec l’excellent Marquis Hill sur un «You Already Know»
post bop et virtuose dans la veine de Wynton Marsalis. Quels que soient le
registre ou l’inspiration, Emmet Cohen apporte sa manière. Autant dire qu’Emmet et ses complices sur ce disque se
placent avec résolution, beaucoup d’aplomb et de maestria, dans la perspective
de poursuivre l’histoire du jazz, sans en nier les racines et l’esthétique. Autre constat, l’excellence pianistique d’Emmet Cohen sur le
plan du jazz, alliée à son énergie, son drive, et, il faut le dire, une joie de
vivre étonnante dans ces circonstances, en font un véritable personnage,
extraverti, hot, qui promet beaucoup,
non seulement comme artiste mais comme fédérateur, et le jazz va grandement
avoir besoin de lui dans le monde aseptisé, contrôlé et morbide qui nous est promis depuis deux années déjà.
Emmet Cohen, né en 1990, a déjà enregistré trois autres
disques, avant ce Future Stride, que
nous n’avons pas écoutés (In the Element,Infinity, Dirty in Detroit) et côtoie depuis quelques années des légendes du
jazz avec lesquelles il a enregistré: George Coleman, Benny Golson, Al Tootie
Heath, Ron Carter… autant dire que c’est un artiste pressé déjà identifié. Une belle découverte sur le bon label Mack Avenue qui
continue ainsi de suivre le renouvellement du jazz avec attention et sagacité.
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 Hendrik Meurkens
Harmonicus Rex
Mundell's Mood*, Slidin'°, In Your Own Sweet Way,
Afternoon*, SKJ*°, Falling in Love With Love, A Summer in San Francisco°, Up
Jumped Spring*, Mean Dog Blues°, Darn That Dream, What's New
Hendrik Meurkens (hca), Joe Magnarelli (tp, flh)*, Anders
Bostrom (afl)°, Dado Moroni (p), Marco Panascia (b), Jimmy Cobb (dm)
Enregistré les 16-17 novembre 2010, New York, NY
Durée: 58’ 29”
Height Advantage 001 (www.hendrikmeurkens.com)
 Hendrik Meurkens
Cobb's Pocket
Driftin', Cobb's Pocket, Frame for the Blues, Slidin’, Slow
Hot Wind, Unit Seven, Polka Dots and Moonbeams, A Slow One
Hendrik Meurkens (hca), Mike LeDonne (org), Peter Bernstein (g),
Jimmy Cobb (dm)
Enregistré les 1er et 2 juillet 2018, New York,
NY
Durée: 50’ 14”
In+Out Records 77141-2 (www.inandout-records.com)
Ces deux disques à huit ans d’écart de l’excellent
harmoniciste Hendrik Meurkens ne sont pas si éloignés en date de sortie, le plus
ancien étant sorti en 2016 pour nous et présentent évidemment le point commun de
réunir le grand et regretté Jimmy Cobb à l’élégant harmoniciste d’origine néerlandaise, bien que né à Hambourg
en 1957, disciple comme il se doit de Toots Thielemans. C’est le fruit de multiples rencontres en live sur la scène
américaine –il a étudié au début des années 1980 à la Berklee School of Music
le vibraphone qu’il pratique dans la filiation de Milt Jackson, honoré ici par
sa composition «SKJ»– et de New York en particulier qu’Hendrik Meurkens occupe
avec assiduité au XXIe siècle avec l’harmonica qu’il a choisi comme principal
instrument. En 2000, il y avait déjà eu un premier enregistrement sous le nom
d’Hendrik avec Jimmy Cobb, New York
Nights (A-Records 73197), avec Eric Alexander (ts), Chris Berger (b) et
déjà l’élégant Dado Moroni qui présente cette même intégration à la scène et au
«son» américains, pianiste qu’on retrouve ici en 2010.
Cela dit beaucoup des choix artistiques d’Hendrik Meurkens,
qui se définit comme un musicien dans la tradition, qui aime la musique
directe, les mélodies et l’expressivité, et a choisi dans cette tradition
Charlie Parker, le bebop et le blues donc, comme absolu. Retrouver Joe
Magnarelli, Dado Moroni et Marco Panascia dans le premier de ces disques ou
Mike LeDonne, Peter Bernstein dans le second est donc une volonté très claire
de réunir parmi les meilleurs de l’expression post bop, pour nous gratifier de
deux beaux albums. La maîtrise instrumentale et la musicalité de l’harmoniciste
font le reste, car il faut un talent particulier pour donner le premier rôle dans
cette tradition du jazz avec en plus la présence d’un organiste (la proximité
relative des sonorités) du volume de Mike LeDonne.
Dans Harmonicus Rex, on retrouve un subtil alliage de standards immortels («In Your Own Sweet Way» de Dave Brubeck, «Darn That Dream», «What’s New»…) et
de bons originaux dont «Mundell’s Mood» dédié, on le suppose, à Mundell Lowe,
le guitariste dont il a croisé la route à la fin des années 1990 (When Lights Are Lowe Acoustic Records etMundell’s Mood,Nagel Heyer), et un splendide «Up Jumped Spring», la belle valse de Freddie
Hubbard, introduite par un Dado Moroni tatumesque où Hendrik confirme ses
qualités d’âme, Joe Magnarelli sa musicalité, sa maîtrise et
Marco Pasnascia son haut niveau. Jimmy Cobb est
comme toujours parfait, omniprésent sans jamais peser sur la musique, lui donnant
cette souplesse et cet élan qui le distinguent. Tout ce disque est excellent
dans ce registre bebop, et le blues («Mean Dog Blues») n’a pas été oublié
faisant place à la flûte d’Anders Bostrom pour un échange avec Hendrik
Meurkens puis avec un Dado Moroni époustouflant de swing, sans jamais perdre
la subtile alchimie entre blues et bebop.
Dans Cobb’s Pocket,
intitulé ainsi en hommage au grand batteur, enregistré en 2018, on retrouve la
composition la plus connue du leader «Slidin’», déjà présente en 2010, et ce
même alliage entre le bebop, le blues, les standards et les originaux, pour
faire de ces deux disques deux heures de bonheur sans temps faibles. Comme le dit Hendrik sur le livret, réunir l’orgue et
l’harmonica n’était ni fréquent dans le jazz ni évident sur le plan du son (le
volume sonore de l’orgue autant que la proximité sonore). L’attaque sur le
«Driftin’», un blues d’Herbie Hancock, donne le ton de la
réussite. Peter Bernstein, avec son sens de la mélodie, complète la couleur du
trio avec orgue, in the tradition, et
Jimmy Cobb, comme une évidence, relance et colore avec sa maestria discrète qui
a fait de lui l’un des batteurs fondamentaux de l’histoire du jazz, à mille
lieux de toute démonstration, avec son étincelant jeu de cymbales («Cobb’s
Pocket», un original d’Hendrik Meurkens). La section rythmique qu’il forma
avec les indispensables Wynton Kelly et Paul Chambers est de celles qui bornent
l’Histoire du Jazz. Mike LeDonne avait la lourde tâche de ne pas étouffer l’harmonica.
Il fait mieux, il le met en relief avec une science consommée de
l’accompagnement, ne se privant jamais d’un chorus exceptionnel («Cobb’s
Pocket»).
Il y a encore dans cet enregistrement, un clin d’œil à
l’amour de l’harmoniciste pour la musique brésilienne («Slow Hot Wind» d’Henri
Mancini, intitulé également «Lujon», créé sur le disque Mr. Lucky Goes Latin pour la série TV Mr. Lucky de Blake Edwards, en 1961), une musique qu’il a vécue sur
place au début des années 1980, quand il animait le concert du lundi soir au
Bar 21 de Rio de Janeiro, tissant une vraie complicité avec les artistes
brésiliens. De fait, dans les années 2010, plusieurs de ses enregistrements
font toujours référence à la musique du Brésil (Celebrando, Copa Village,Oracão para Amanhã…). Dans ce même disque, on retrouve la permanence de l’alliage
blues et bebop («Frame for the Blues», un original, «Unit Seven» de Sam Jones)
et donc cette révérence à Charlie Parker. Si le disque de termine par «A Slow One», un original passionnant, où harmonica et orgue se répondent dans un dialogue très équilibré, Mike LeDonne sature parfois son orgue comme dans la tradition depuis Wild
Bill Davis. Il ne faut pas oublier ce retour sur «Polka Dots and the
Moonbeans», un standard honoré par Coleman Hawkins et Ella
Fitzgerald, qui fait écho aux deux dernières lignes citées dans son livret: «I believe in classic mainstream jazz which
is what I love the most. Cobb’s Pocket fits
that style. Je crois au jazz mainstream classique, qui est ce que j’aime le
plus. Cobb’s Pocket s’inscrit dans ce style.», le jazz classique étant
clairement pour lui, le jazz de culture, avec ses fondements, le swing, le
blues, l’expression, des origines à nos jours, sans rupture. On apprécie!
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 David Liebman / Randy Brecker / Marc Copland / Drew Gress /
Joey Baron
QUINT5T
Mystery Song*, Off a Bird, Figment, Broken Time*, Moontide, Child at Play, Broken
Time [Reprise], There's a Mingus Amonk Us, Pocketful of Change
David Liebman (ts, ss), Randy Brecker (tp, flh), Ralph
Alessi (tp)*, Marc Copland (p), Drew Gress (b), Joey Baron (dm)
Enregistré les 26-27 janvier 2020, New York, NY
Durée: 1h 00’ 22”
Inner Voice Jazz 106 (innervoicejazz.com/L’Autre Distribution)
Ce all-stars du «jazz contemporain», comme on pourrait le
dire de la musique contemporaine en référence à la musique classique, par
analogie, regroupe parmi les meilleurs représentants d’un jazz moderne (sans
notion de génération car ces musiciens sont des anciens) versé sur l’esthétique
davantage que sur la culture jazz (au sens d’histoire artistique ancrée sur une
histoire humaine). On ne présente plus les musiciens, et la musique offerte sur
ce disque est intéressante, parfaitement mise en place et en valeur par des
musiciens accomplis. Il y a des moments indispensables, à notre goût, comme
«Broken Time», avec Ralph Alessi qui complète le quintet, «Pocketful of Change»
ou «There's a Mingus Amonk Us». Chacun des musiciens a apporté une ou deux
compositions, et l’ensemble est très cohérent sur le plan esthétique et parfait
dans la réalisation. «Child at Play» de Dave Liebman est une composition très
réussie. Constat sans esprit négatif, le blues (souvent) et le swing (à
un moindre degré) ne sont pas permanences mais des couleurs, une version «bleu clair»
du jazz, avec quelques accents de Dave Liebman, Randy Brecker et Marc Copland
bienvenus dans un disque qui en manque parfois (d’accent). C’est bien entendu une affaire de sensibilité (celle de l'auditeur) et de
biographie (celles des musiciens), et cette belle musique, intègre et de grande qualité, mérite, dans
son genre, un indispensable, tant elle est parfaite et conforme à l’idée qu’on
se fait de ces artistes de haut niveau. Le «Pocketful of Change», plus
traditionnel dans l’esprit post bob, qui ferme l’enregistrement revient à un
jazz plus charnel, avec une expressivité sonore de Randy Brecker à la trompette
et de Dave Liebman au saxophone, qui chauffe, selon nous, la musique du quintet.
Marc Copland est un pianiste vraiment exceptionnel et possède un beau toucher, et les deux compositions
de Joey Baron sont remarquables («Broken Time», «Pocketful of Change»). Une
musique exigeante qui confirme que le jazz a su réunir en son sein au XXe siècle une diversité d'inspiration sans équivalent.
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 Leon Lee Dorsey
Freedom Jazz Dance
Freedom Jazz Dance, Baptism, Home Cookin’, Until the End of
Time, Autumn Leaves, How Insensitive, New Arrival, Chillin
Leon Lee Dorsey (b), Manuel Valera (p), Mike Clark (dm)
Enregistré le 29 juin 2019, New York, NY
JazzAvenue 1 Records (www.leonleedorsey.com)
L’aventure discographique de Leon Lee Dorsey se poursuit sur
son label JazzAvenue 1 Records après Monk’s
Time et Thank You Mr. Mabern (enregistré avec le grand pianiste) que
nous avions chroniqué en début d’année 2021. Présenté comme un vétéran bien
qu’il soit encore jeune (12 mars 1958, Pittsburgh, PA), sans doute en raison
des nombreux musiciens dont il a croisé la route (Dizzy Gillespie, Wynton Marsalis, Freddie Hubbard, John
Lewis, Kenny Clarke, Jon Hendricks, Harry Sweets Edison, Dorothy Donegan,
Stanley Turrentine, George Benson, Ellis Marsalis, Nnenna Freelon, etc., selon
son site), Leon Lee Dorsey confirme les bonnes vibrations et intentions du
précédent disque.
Bien que
la présence du batteur, Mike Clark, soit parfois un peu trop accentuée sur le
plan de la balance sonore du trio et parfois du jeu, ce disque présente aussi
beaucoup de qualités, notamment grâce à la présence d’un excellent pianiste,
Manuel Valera, natif de La Havane le 17 octobre 1980 (Paquito D’Rivera, Arturo
Sandoval, Jeff Tain Watts…). Cela tombe parfaitement puisque ce disque a
été dédié à Hilton Ruiz (1952-2006), un fameux pianiste de jazz né à New York,
d’origine portoricaine, qui a eu une brillante carrière (élève de Mary Lou Williams,
il a joué avec Roland Kirk, Dizzy Gillespie, Clark Terry, Betty Carter, Tito
Puente, Mongio Santamaria, Abbey Lincoln, Archie Shepp, George Coleman, Chico
Freeman…). Le célèbre thème du pianiste, «New Arrival», au répertoire de ce
disque, est particulièrement bien mis en valeur par Manuel Valera qui a aussi
écouté McCoy Tyner. Il est soutenu par la basse complice de Leon Lee Dorsey et le
style énergique, parfois trop, de Mike Clark.
La musique jouée est résolument du jazz
post bop, comme en atteste une version enlevée d’«Autumn Leaves», avec la
couleur blues («Home Cookin’») et latine («New Arrival») dans une synthèse réussie. Le
répertoire propose également un bon «How Insensitive» de Tom Jobim avec un chorus intéressant du bassiste.
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