Jean-Philippe Allard
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17 mai 2024
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8 avril 1957, Saint-Mandé, Val-de-Marne - 17 mai 2024, Paris
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© Jazz Hot 2024
Jean-Philippe Allard en 2022, image extraite de la chaîne YouTube Anteprima Productions
Jean-Philippe ALLARD
"Sky is the limit"* Du 2, rue Cavallotti (XVIIIe arrondissement) au 20, rue des Fossés-Saint-Jacques, Place de l’Estrapade, dans le Quartier Latin, le
producteur de disques (classique, jazz, world, variétés, rap) Jean-Philippe
Allard, décédé le 17 mai 2024 à Paris, a fait un sacré bout de chemin dans l'industrie phonographique sans presque bouger de Paris, depuis ses premières aventures autour du disque à la Fnac(1), la grande surface culturelle qui a vu défiler dans ses rayons, jazz mais pas seulement, nombre de personnalités qui ont un jour joué un rôle dans la vie du jazz en France de la fin du XXe siècle (Jean-Philippe Allard, Daniel Richard mais aussi Laurent Goddet, Gérald Arnaud, etc.). On doit le titre de cette nécrologie au témoignage de Daniel Richard, qui a formé un tandem efficace avec Jean-Philippe Allard au sein de PolyGram puis d'Universal Music de 1989 à 2009, et qui rappelait l'étendue de l'ambition de Jean-Philippe Allard qui ne se fixait aucune limite sur le plan de sa carrière, pas même le jazz –un de ces centres d'intérêt–, une ambition servie par une capacité de travail et une connaissance approfondie des circuits économiques de la musique et de l'édition. L'action de Jean-Philippe Allard déborde largement le seul secteur jazz, même si ici nous n'en avons retenu principalement que ce qui a trait au jazz. Daniel Richard se souvient qu'à leur première rencontre, il avait été conquis par un jeune amateur de jazz qui aimait autant Louis Armstrong qu'Ornette Coleman…
«Pour moi, Louis Armstrong est l’un des plus grands musiciens de jazz. C’est mon préféré. A 13 ans, j’ai découvert le jazz en entendant Armstrong, en même temps d’ailleurs qu’Ornette Coleman: c’est de mon point de vue la même musique. Je ne puis pas imaginer le monde sans Armstrong. C’est tellement humain… il incarne à lui seul le génie du jazz.»,
(Jean-Philippe Allard in Jazz Hot n°482-1991)
«Quand je suis arrivé en 1989, il se trouve que nombre de grands musiciens de jazz étaient sans contrat. Lorsque j’ai eu l’idée de commencer à produire des artistes, je n’imaginais pas forcément ce développement. La première parution, je crois que ce devait être l’album de Randy Weston, juste avant celui de Christian Escoudé…
C’est un pari et une angoisse parce que rien ne dit qu’une multinationale soit le meilleur endroit pour développer un nouveau talent… il faut gérer "serré". Malgré le sentiment extérieur dû à l’exposition de notre travail, nous sommes sur la corde raide.» (Jean-Philippe Allard in Jazz Hot n°506-1993-94)
Publicité Verve pour la première production de Jean-Philippe Allard
avec Randy Weston, Jazz Hot n°472, mars 1990
Né le 8 avril 1957 à Saint-Mandé (Val-de-Marne), à la lisière de Paris, c'est comme vendeur deux ans à la Fnac de Toulouse au début des années 1980, puis à la Fnac Wagram, où il croise une première fois Daniel Richard en 1984, qu'il se fait remarquer par ses talents de vendeur et sa connaissance approfondie non seulement de la musique mais aussi de la distribution et de la vente par les commerciaux de la maison PolyGram… C'est ainsi qu'il quitte l’enseigne de la grande distribution pour PolyGram dont il devient commercial à Nancy jusqu'en 1988.
A cette époque, si PolyGram a racheté certains catalogues indépendants comme Verve, Mercury, Barclay…, il n'y a pas encore de secteur jazz spécifique; le jazz dépend du secteur de la musique classique. Marc Lumbroso(2), nommé directeur début 1987, dans le souci de travailler le fonds du catalogue, Verve(3) entre autres, au sein de PolyGram Jazz (cf. Jazz Hot n°445, 4e de couverture, 1987), se met en quête de connaisseurs du jazz pour animer ce secteur. Jean-Philippe Allard ayant déjà soumis sa candidature par la voie interne, il est promu au sein de PolyGram à Paris en septembre 1988. Il propose de recruter Daniel Richard, alors au Virgin Mégastore récemment ouvert en 1988, un disquaire reconnu des amateurs et professionnels de la place de Paris où il a été préalablement fondateur de la boutique Les Mondes du jazz en 1981 et avant responsable du rayon jazz au Lido Musique dès 1971, réputé alors pour ses "imports" (disques importés en collection originale). Les deux amis se retrouvent ainsi en 1989 au sein de PolyGram Jazz, avec des missions complémentaires qui correspondent à leurs personnalités et à la nature de leurs ambitions.
Les premières publicités des labels repris par PolyGram Jazz, apparues dans Jazz Hot à partir de juin 1987
Jean-Philippe Allard met en œuvre, avec beaucoup d'énergie, l'idée d'un secteur jazz indépendant qui non seulement exploite les catalogues en réédition, mais gère ses budgets et produit des artistes de jazz en nouveauté au sein de labels déjà célèbres du jazz. C'est ainsi que se développe PolyGram Jazz France qui distribue Verve, Polydor, Mercury, EmArcy, Barclay, puis d'autres labels indépendants liés au jazz comme Birdology, JMT (Jazz Music Today), MPS (Musik Produktion Schwarzwald), ECM (Edition of Contemporary Music).
Jean-Philippe Allard obtient de fonctionner en électron libre, produit quelques artistes en nouveauté de son choix comme Randy Weston, avec la complicité de Daniel Richard (cf. les livrets), ou des collections de rééditions d'artistes de légende, et Daniel Richard, dans l’équipe devenue Universal Music Jazz France jusqu’en 2009, est responsable en particulier de la préparation des sorties sur le plan technique (recherches, textes, iconographie des livrets), en particulier de la grande collection Jazz in Paris pour laquelle il exploite les catalogues français comme Barclay, le Club Français du disque, Fontana, et par ailleurs d'artistes légendaires moins grand public (que Louis Armstrong et Ella Fitzgerald) comme Lou Levy et Helen Merrill…
En 1990, Pascal Nègre, un transfuge de CBS où il s'est occupé de Columbia (1989-90), intègre PolyGram (fin 1990) où il prend en charge les labels Barclay, Island, Phonogram, avant de prendre la présidence de l'ensemble PolyGram Musique en 1994. Ce qui, au départ, a pu paraître une limite à l'ambition de Jean-Philippe Allard, se révèle au contraire le début d'une longue complicité qui se prolonge au delà de l'aventure Universal et jusqu'à la disparition en 2024 de Jean-Philippe Allard.
Après le départ en 1990 de Marc Lumbroso –l'inspirateur– qui a créé son label Remark Records, Jean-Philippe Allard a développé les partenariats externes aussi bien qu’internes (Gitanes, Fondation France Télécom, concerts, festivals, PolyGram Music Vidéo/PMV). Il crée ainsi de nouveaux labels/collections comme Gitanes Jazz et Blues au début des années 1990, des séries de compilations comme Sagajazz et Sagablues. Grâce aux catalogues, les rééditions sont un pan majeur avec les incontournables Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Oscar Peterson, Art Blakey, Miles Davis…
Comme Jean-Philippe Allard le raconte, pour les nouvelles productions, il a bénéficié, à la fin des années 1980, du fait que peu de musiciens de jazz et de blues sont en contrat avec des maisons de disques (Jazz Hot n°506, 1993-94). Il proposera donc des artistes confirmés comme Randy Weston,
Christian Escoudé, Abbey Lincoln, Stan Getz, Dee Dee Bridgewater, Pharoah
Sanders, Shirley Horn, Teddy Edwards, Ornette Coleman, Hank Jones, Kenny Barron,
Dave Holland, J. J. Johnson, Helen Merrill, Pierre Michelot, Johnny Copeland, John McLaughlin, Stanley Clarke, Marcel Azzola, John Scofield, Stéphane Grappelli, Jean-Luc Ponty, Biréli Lagrène…; comme des plus jeunes et pas seulement américains: Sixun, Lucky Peterson, Rodney Kendrick, Bheki
Mseleku, Laurent Cugny, Aldo Romano, Jacky
Terrasson, Snarky Puppy, Roberto Fonseca, parfois à la limite du jazz, Madeleine Peyroux, Charlie
Watts, Ibrahim Maalouf… Pour la première fois, un secteur jazz prend de la publicité non seulement dans les revues spécialisées mais aussi dans la presse généraliste, les hebdomadaires et les quotidiens nationaux, avec beaucoup d'audace et de moyens.
En 1996, Jean-Philippe Allard continue son ascension. Il prend la direction de PolyGram Classique (Catalogue Decca, Philips) sans abandonner la division PolyGram Jazz au sein de la même maison qui devient Universal Music France à la fin de 1998. Il est nommé en 1998 à la direction générale de Polydor où il produit des artistes telles Juliette Gréco et Maurane qui apprécient son travail et d'autres chanteuses confirmées comme Brigitte Fontaine (Jazz Hot n°262-1970)… Il produit également d'autres musiques: variétés internationales, musiques du monde, hip hop…
En 2007, Jean-Philippe Allard élargit sa palette lorsqu'il est nommé président des Editions Universal, Universal Music Publishing France, un poids lourd du marché mondial de l'édition(4).
Toutes ces années, l'intérêt de Jean-Philippe Allard pour le jazz –dont il a une définition très large–, ne l'a pas quitté. Quelles que soient ses nouvelles responsabilités toujours plus larges, il continue de produire des albums de jazz pour des artistes devenus pour certains des amis: Abbey Lincoln, Charlie Haden, Hank Jones, Lucky Peterson, Laïka.
En 2009, Universal Jazz France fusione avec Universal Classique, la société est restructurée (compression de personnel). Daniel Richard prend sa retraite. Cette année marque la fin des productions de nouveautés jazz en France. En 2014, Jean-Philippe Allard reçoit le Prix Bruce Lundvall au Festival de Montréal et le Prix de l’Édition Musicale aux grands prix de la Sacem.
Il quitte Universal en 2016, à peu près au même moment que Pascal Nègre qui est remplacé par Olivier Nusse. Son dernier travail de production a consisté à rééditer à l'étranger pour Impulse!
Membre du Conseil d’Administration de la Sacem en 2017, Jean-Philippe Allard créé avec Pascal Nègre Le Bureau des Artistes, une agence de management artistique (arts, spectacles, sports…) et, en 2022, le label Artwork Records(5), distribué par PIAS, sur lequel il publie, entre autres productions pas seulement jazz, deux disques de Kenny Barron.Jean-Philippe Allard a été inhumé au Cimetière de Sarcé dans la Sarthe.
Jazz Hot présente ses condoléances à sa famille et aux proches.
Hélène et Yves Sportis Remerciements à Daniel Richard Image extraite de Youtube Avec nos remerciements
* Cette devise de Jean-Philippe Allard est rapportée par Daniel Richard.
1. La Fnac, Fédération nationale de groupements d’achats, est
créée en 1954, sur une base de coopérateurs
1968: Ouverture de la Fnac Wagram
1969: Ouverture de la Fnac Etoile
1974: Ouverture de la Fnac Rue de Rennes
1979: Ouverture de la Fnac Forum des Halles
10 mars 1980: la Fnac entre en bourse, 25% du capital est vendu,
75% du capital restent détenus par les
coopérateurs (3 millions de familles)
2 juillet 1985: la GMF rachète la Fnac pour 160 millions de francs (24 391 000 €)
5 février 1987: décès de Michel
Baroin, PDG de la GMF et de la Fnac, son collaborateur le plus proche, Jean-Louis Pétriat, prend sa
succession.
2. Marc Lumbroso sera Président d’EMI France en 1999, puis du
Syndicat national de l’Edition Phonographique/SNEP de 2000 à 2002.
3. Verve Records est un label créé par Norman Granz en 1956, pour
regrouper ses catalogues Norgran et Clef Records mais aussi produire de
nouveaux enregistrements. Verve est vendu à MGM en décembre 1960 qui le revend
en cédant sa division MGM Records à Polydor entre 1972 et 1976, lequel l’inclut
dans PolyGram nouvellement créé pour reprendre également Mercury/EmArcy. C’est
donc à partir de mi-1987 que s’amorce chez PolyGram l’idée de fédérer deux atouts:
rééxploiter des catalogues mythiques et sous le nouveau format CD. Notons que
le tandem Jean-Philippe Allard/Daniel Richard développe cette démarche pour une
multinationale américaine en France, à la même période que l’équipe américaine indépendante
Mosaic (Michael Cuscuna-Charlie
Lourie) réédite des catalogues historiques dont Blue Note, en LPs, mais surtout
en CDs tout en accompagnant la marque Blue Note réactivé de ce fait, à produire
de nouveaux enregistrements dans un second élan «20 ans après».
Suite à la fusion créant Universal Music Group en 1999, Verve Music Group (basé à New York) regroupe les catalogues maison, Mercury-EmArcy, Philips et Polydor, mais aussi GRP, Impulse!, Blue Thumb, Commodore, Chess,
Brunswick, Argo, Cadet Records, Dot Records, Coral, Decca,
ABC-Paramount, A&M Records.
Les sous-labels de Verve sont:
A&M Records
Originals, Antilles, Autour De Minuit/Gitanes Jazz, Blue Label Series, Blue
Verve 5000 Series, Celebrity Series, Clef Series, Collector's Series, Down Home
Series, Finest Hour Verve, Gitanes Jazz, Gitanes Blues, Golden Stereo Series,
Great Moments Of Comedy, Great Women Of Song, Jazz 'Round Midnight, Jazz-Club,
Jazz-Club Mainstream, Jazz-History, MPS Series, Original Jazz Recording,
Previously Unreleased Recordings, Quiet Now, Sound Tour, Talkin' Verve, The
Diva Series, The Essential, The Gershwin Songbook, The Jazz Essentials, The
Silver Collection, The Sound Of Brazil, The Verve Songbook Series, Verve 50th
Anniversary, Verve By Request, Verve Classics, Verve Digital, Verve
Discoveries, Verve Elite Edition, Verve Folkways, Verve Jazz Essentials, Verve
Jazz Giants, Verve Jazz Masters, Verve Jazz Vocal Classics, Verve Lounge Music
Club, Verve Master, Verve Master Edition, Verve Originals, Verve Re-Issue
Series, Verve Sounds Of Fame, Verve Soundtracks, Verve Take 2, Verve Tape,
Verve Vocal Classics, Verve World, Verve's Choice!, Verve's Collectors
Classics, Very Special Performance, Vine St. Live Series, VSP.
4. Le 1er juin 2008, un incendie détruit 5000 masters
inédits dans les Studios Universal d’Hollywood, CA (cf. Tears Michael Cuscuna).
5. Artwork Records a produit notamment deux albums de Kenny Barron: • Kenny Barron (p solo), The Source, Paris, 13 juillet 2022 (Artwork 2202) • Kenny Barron Quintet, Beyond This Place, Villetaneuse (93), 25-26 février 2023 (Artwork 007).
JEAN-PHILIPPE ALLARD & JAZZ HOT
n°482-1991, interview à propos de Louis Armstrong
n°506-1993, interview sur son travail pour PolyGram Jazz France
n°477-1990, PolyGram et Vidéo, Images en Verve
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