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Chez Papa

1 oct. 2013
Paris, septembre 2013
© Jazz Hot n°665, autumn 2013

Philippe Duchemin Trio

Devant une salle bondée samedi 21 septembre 2013 rue Saint-Benoît, Philippe Duchemin (p), Jean-Philippe Bordier (g) et Cédric Caillaud (b) ont donné en trois sets, plus de deux heures de jazz superbe. Dans un répertoire empruntant aux standards et aux classiques du jazz, cette formation – qui n’était pas sans rappeler les premiers trios p/g/b des années 1940 de Nat King Cole, Art Tatum, et bien sûr le premier
Oscar Peterson Trio, avec Herb Ellis et Ray Brown – a régalé l’assistance ; d’autant que le guitariste a chaque fois prit la peine d’annoncer et de présenter de manière succincte les thèmes joués.
Ils débutèrent avec une version tout en souplesse de la composition de Benny Goodman, Edgar Sampson et Chick Webb, « Stompin’ at the Savoy » (1936). Philippe Bordier, dont le discours s’inspirait d’Herb avait des accents d’Oscar Moore et surtout d’Everett Barksdale. Ils ont poursuivi avec un morceau plus récent « On a Clear Day » (Burton Lane – 1966), qui servit le film de Vicente Minnelli du même titre. « Alone Together », vieux thème de Tin Pan Alley écrit en 1932 par Arthur Schwartz, mit en valeur le style concis de Bordier. Avec « Stuffy », écrit en 1945 par Coleman Hawkins, le trio revint dans le répertoire original du jazz. Après l’exposition du thème, sa structure « riffée » permit aux musiciens de construire leurs improvisations individuelles mais également collectives sous forme de strette habillées de développements en contrepoint très brillants de Duchemin. L’assise de Caillaud était parfaite. Ce fut ensuite « Misty » (1954), ballade d’Erroll Garner, idéale pour permettre aux pianistes, en l’espèce Philippe Duchemin, de valoriser le champ de leur musicalité : très belle interprétation, tout en retenue pour la guitare, plus lyrique pour le piano. Ils enchainèrent ensuite avec la pièce de Lester Young, « Lester Leaps in » (1940), pris dans l’esprit du quartet du pianiste canadien Oscar Peterson, avec Buddy Rich (dm), en décembre 1955 ; exécution très enlevée et brillante, tant dans l’exposition du thème que dans le dialogue des instrumentistes. « Vou te contar » (je vais te raconter), c’est par ces mots que commençait le texte laissé en suspens par Chico Buarque, parolier sollicité par Tom Jobim en 1967 pour sa mélodie enregistrée aux Etats-Unis avec des musiciens de jazz américains sous le titre de « Wave ». Le compositeur s’attela néanmoins, en reprenant ce début apparemment inachevé, à compléter les paroles brésiliennes. Le musicien avait-il perçu toute la poésie de sa musique que le poète sensible avait choisi de laisser à libre imagination de l’auditeur ? Le chant se suffit à lui-même, ce que le trio rendit dans une interprétation où le lyrisme demeurait l’élément roi ; la partie de contrebasse, dont l’improvisation, fit merveille par la profondeur de la tessiture chaleureuse de l’instrument. Après l’intermède brésilien, les musiciens revinrent à la tradition du jazz en reprenant le thème de Louis Alter écrit pour le film réalisé en 1947 par Arthur Lubin, New Orleans, « Do You Know What It Means to Miss New Orleans ». Chantée lors de sa création par Louis Armstrong et Billie Holiday, la mélodie est devenue une sorte d’hymne à la la gloire de Crescent City ; elle fut pour l’occasion exposée à la contrebasse avec beaucoup de feeling par Cédric Caillaud ; ses collègues enchaînèrent avec des soli remplis d’émotion : version simple, épurée et bien sentie. Le second set commença avec une version très petersonienne des années fifties et tempo d’enfer, sur la plus toute jeune composition de George Gershwin « Lady Be Good » (1924) ; là aussi, toujours beaucoup de virtuosité mais également le souci de traduire le caractère mutin de cette bluette. La soirée continua dans cette atmosphère joyeuse mais aussi de plaisir musical. Philippe Duchemin n’est plus à présenter ; c’est un formidable pianiste qui se prend encore au jeu avec son instrument et paraît chaque fois s’en émerveiller. Cédric Caillaud a beaucoup gagné en musicalité dans la façon de conduire sa partie, toujours attentif aux discours de ses partenaires. Quant à Jean-Philippe Bordier, ses ascendances blues donnent à son style fait de simplicité une grande force d’impact à son jeu brodant autour du thème même.
Un excellent concert et de beaux moments.

Xavier Richardeau & Philippe Dervieux

Mardi 24 septembre 2013, Xavier Richardeau (bs, ts) et Philippe Dervieux (p) ont donné un formidable concert en duo. La salle n’était pas pleine ; les absents eurent tort. Pendant plus de deux heures de temps, ces musiciens ont régalé l’assistance, dont plusieurs touristes américains ravis de redécouvrir un répertoire américain joué dans une forme conforme à la tradition, « que nous n’entendons plus beaucoup chez nous », disaient-ils. Car le programme était classique. Au cours de ce concert, Richardeau joua alternativement du baryton, son instrument de prédilection, mais également avec autant de bonheur, du ténor. Au baryton, il commença avec « Misty », dans une version d’un lyrisme romantique, laissant le temps au son d’occuper l’espace, Dervieux l’accompagnant avec discrétion mais efficacité avant de prendre un solo sobre mais poétique. Ils enchaînèrent ensuite sur « Giant Steps » (Coltrane – 1959) dans une version stride bien venue et respectueuse de l’esprit de la pièce dans l’acception d’une vraie tradition. Ils enchaînèrent avec l’illustrissime composition de Johnny Green, « Body and Soul » (1930) : bien sentie et jouée avec déférence. Il y eut une rupture d’ambiance, avec la lecture joyeuse de « Cheek to Cheek » (Irving Berlin – 1935) prise en tempo up, suivi de « I’ll Remember April » (Gene De Paul – 1941), envoyés avec beaucoup d’allégresse, voire de jubilation. Ensuite, ils interprétèrent une sorte de sonate sur le trop peu joué « Darn That Dream » (Jimmy Van Heusen – 1939), dans un idiome de poésie amoureuse, le baryton de Xavier jouant sur l’intimité souvent dévolue au violoncelle. Ce fut ensuite « All of Me » (Gerald Marks – 1931), puis « Night in Tunisia » (Dizzy Gillespie, Frank Paparelli – 1942) et enfin « Tenderly » (Walter Gross – 1936), qui, après le solo de Richardeau, provoqua les exclamations admiratives d’un couple afro-américain de Chicago présent dans le restaurant. Le duo continua avec la composition de Morgan Lewis, « How High the Moon » (1940) ; Xavier exposa le thème dans sa variation de Charlie Parker, « Ornithologie »  (1946) ; Philippe Dervieux prit ensuite son solo de piano dans le style stride, comme il le fit en plusieurs occasions (notamment sur « Giant Steps ») qui enthousiasma le public. Ce fut ensuite une version de « Do You Know What It Means to Miss New Orleans » (Louis Alter – 1947), décidément très à la mode ces temps-ci, au cours de laquelle Richardeau, au ténor, prit un solo entier à la manière d’Herschel Evans. Ils terminèrent le programme avec une dernière pièce, autrefois illustrée par les maîtres de l’école des pianistes noirs de Harlem, « I Can’t Give You Anything but Love » (Jimmy McHugh – 1926) ; Philippe se tailla encore un grand succès auprès des spectateurs friands de cette forme pianistique rarement reprise en club, Xavier s’appliquant pour l’occasion à en souligner le côté langoureux.
Le public reconnaissant les a longuement applaudis. Un beau concert de deux très bons musiciens, heureux de jouer cette musique.

 Félix W. Sportis (texte et photos)