Contre vents et marées, l’association Ten-Noodoise (Bruxelles)
poursuit ses objectifs au service du jazz avec des effectifs réduits : deux
permanents et un assistant au statut précaire et temporaire. Aujourd’hui, neuf
ans après une ouverture en fanfare, l’ancienne gare n’héberge pas moins de quatre
associations, dont Les Lundis d’Hortense qui défend et promeut les
musiciens belges et le Sweet and Hot : rassemblement de
collectionneurs autour d’auditions commentées. Dans une très belle salle, avec
d’excellentes conditions auditives et visuelles, deux, trois ou quatre concerts
sont organisés chaque semaine. La programmation du mercredi soir est réservée
aux Lundis d’Hortense; celle du samedi est assurée par la Jazz Station,
ses trois employés et quelques bénévoles. A ces incontournables, il convient d’ajouter la prestation et les répétitions bimestrielles
du Jazz Station Big Band dirigé par le trompettiste Michel Paré, les concerts
dominicaux « Jazz en Famille » destinés aux petits et les
« European Jazz Nights » qui mettent en valeur, chaque mois et pour trois soirées : les musiciens
d’un pays européen (Finlande, Allemagne, Pays-Bas, France…). A cette palette
européenne se sont ajoutés, depuis l’an dernier : le Canada et les
Etats-Unis. Ceci, sans compter les nombreuses répétitions diurnes
offertes aux musiciens et ouvertes au public, un bar convivial, un grand écran
TV et une salle d’exposition qui présente les œuvres d’artistes, peintres et
photographes. Des cours d’initiation et
d’analyse sont donnés tous les quinze jours, en français par Jean-Pol Schroeder,
mais aussi, quelquefois, en néerlandais par Frédérik Goosens. Aux étages siègent
les locaux des associations, mais encore: une activité muséale assurée
par des bénévoles qui classent et inventorient revues, livres, disques, vidéos,
affiches et documents divers, avec, en priorité: l’hagiographie des
musiciens et l’historique des évènements nationaux. Parmi les quelques concerts programmés en octobre par les Lundis
d’Hortense, j’ai relevé le Marjan Van Rompay Group (9/10), LG Jazz Collective (16/10) et Sal La Rocca Band (23/10). Marjan Van Rompay
(as) est enceinte de plus de six mois et privée des services de son
époux: Janos Bruneel (b), gravement malade. La jeune flamande (25) a su
dépasser l’adversité qui la touche pour nous offrir un éventail de jolis thèmes
très bien ornementés par Bram Weijters (p) et Toon Van Dionant (dm). Le souffle
a perdu en puissance, les solos sont un peu plus courts, mais nous lui
souhaitons le meilleur du monde pour un avenir rose et bleu. LG Jazz Collective
fut créé pour une commande destinée à honorer la mémoire des grands jazzmen
liégeois (LG). Sous la plume et la direction de Guillaume Vierset (g, 26 ans),
les arrangements ont fait mouche au tournoi des jeunes talents des Dinants Jazz
Nights 2012 (1er prix). Dix-huit mois et de nombreux concerts plus
tard, le septet ne compte plus que cinq principautaires : Guillaume
Vierset (g), Igor Géhenot (p), Félix Zurstrassen (b), Laurent Barbier (as) et
Antoine Pierre (dm). Le hennuyer Jean-Paul Estiévenart (tp, flh) et le flandrien
Steven Delannoye (ts, ss) sont venus renforcer l’effectif sur un répertoire exclusif
de compositeurs belges encore en vie.
Le concert a débuté par « Jazz at the Olympics » de Nathalie Loriers
pour s’achever sur « Dies Mercuri » : un thème complexe et bien structuré
de Pirly Zurstrassen. Parmi les œuvres interprétées, on nota celles de Steve
Houben (« Horta »), de Pascal Mohy (« Ballade en Cm »),
Lionel Beuvens (« A »), Alain Pierre (« Dolce
Divertimento ») et quatre du leader, dont « The End Is Always
Sad » : une ballade qui appelle, je pense, un background de cordes.
J’ai volontairement négligé de parler du groupe de Sal La Rocca (b),
il a déjà, et plus souvent qu’à son tour, recueilli mes superlatifs. J’étais
beaucoup plus curieux de découvrir les musiciens allemands invités par la Jazz
Station et le Goethe Institut au cours de trois soirées, les 17, 18 et 19
octobre. Le quintet « Subtone », fondé en 2005, s’est illustré au
Tremplin Jazz d’Avignon en 2008. Fraîchement arrivés de Berlin le jeudi 17, les
musiciens semblent avoir eu un peu de mal à s’extérioriser au cours du premier
set. Faut dire que les œuvres des membres – tous compositeurs – se
caractérisent par la longueur, une écriture contraignante, des changements de
rythmes et de tonalités et le souci de créer dans la pérennité- tel ce
« Before » : une suite de Magnus Schriefl (tp, flh), qui
témoigne d’un syndrome "von Beethoven". Du même Schriefl : les
très jolis « Shift » et « Roswitha’s Revenge ». Le deuxième
set s’est conclu en fast tempo sur
« Fall Time » de Florian Höfner (p) avec solos de trompette, d’alto
(Malte Dürrschnabel) et de batterie (Peter Gall). Malheureusement, le bis
réclamé, était bien mal préparéen guise de salut à notre Toots national
(« For My Lady »). La Jazz Station n’est pas l’expression d’une communauté culturelle
unique: la francophone. C’est, à l’image de la population et de la
Région : une association ouverte sur le jazz international, son histoire
et sa profondeur narrative, mais aussi et surtout: sur l’héritage et le
devenir des trois communautés jazzistes de Belgique. Les derniers accords
d’échanges entre la Région Flamande et la Communauté Wallonie-Bruxelles ont été
voulus par Fadila Laanan (PS) ; ils concrétisent enfin le vouloir des
musiciens et l’essence même du jazz, moyen d’expression de l’homme libre et
universel.
Jean-Marie Hacquier
|