Vitoria-Gasteiz (Espagne)
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1 sep. 2013
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Festival de Jazz de Vitoria-Gasteiz, 16 au 20 juillet 2013
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© Jazz Hot n°664, été 2013
La 37e édition du Festival de Jazz de Vitoria était marquée par les effets de la crise économique qui a occasionné une réduction à cinq journées et, peut-être aussi, une distribution des concerts entre les deux grandes scènes habituelles (le Théâtre Principal et le palais omnisports de Mendizorroza) assez différente de celle des dernières années. De toute façon, on pourra dire que cela n'a rien ôté la valeur de la programmation, plutôt réussie cette année.
La première journée n'a pas été mémorable à Mendizorroza, car le groupe de Gospel de Los Angeles, le Crenshaw Choir, n'a pas été à la hauteur des formations des années précédentes. La journée fut sauvée par l’éclatant concert du pianiste Kirk Lightsey et du contrebassiste Javier Colina au Théâtre Principal. La connexion entre eux a été totale; le jazz le plus classique de Lightsey s'est aisément collé aux mélodies latines et même basques que Colina proposait. C'était probablement le meilleur concert au petit Théâtre, mais il ne faudrait pas non plus oublier la leçon de piano solo que Craig Taborn a offerte, les bons rôles de Ben Williams et de Francesco Tristano, et la puissance d'Antonio Sanchez et son groupe Migration.
Pour la deuxième journée de Mendizorroza, Ibrahim Maalouf a su toucher l'audience avec les compositions de son nouvel opus Winds. En quintet, il est sorti accompagné par Frank Woeste (p), Clarence Penn (dm), l'énorme Larry Grenadier (b) et un extraordinaire Mark Turner (s). Dans un hommage évident à l'œuvre de Miles Davis, spécialement la bande sonore qu'il fit pour le film Ascenseur pour l'échafaud de Louis Malle, la trompette d'Ibrahim a sonné forte, chaude, dramatique, mais aussi moqueuse, amusante, du jazz le plus new-yorkais au boogaloo, et du palais de Versailles à un up-tempo de conception classique, sans oublier un certain goût du raï ou une version de La javanaise de Serge Gainsbourg. Son dernier morceau, « Waiting », a mis le point final à un concert mémorable.
Bill Frisell a eu la mauvaise fortune d'intervenir juste après Maalouf. En quartet à cordes, contrebasse et batterie, assis en demi-cercle autour d'un Frisell souriant à tout instant, un concert démarra où le jazz, le blues, le folk et quelques coups de bluegrass même de country, allaient de soi, sans effort. Ils ont joué les premiers morceaux, une sorte de suite de 30 minutes ininterrompues, en créant une atmosphère, une sorte de road movie. Néanmoins, et comme point sombre, le concert a parfois semblé trop linéaire, minimaliste et, pour le public, comme une sorte de contrepoint du premier set de la nuit.
Le troisième jour, Jacky Terrasson a offert un concert en crescendo, basé sur la structure de piano-claviers, contrebasse et batterie auxquelles s’ajoutaient parfois la clarinette-basse et le soprano de Michel Portal, la trompette et le bugle de Stephane Belmondo ou la voix de Cécile McLorin-Salvant sur certains morceaux : les musiciens avec lesquels il a enregistré son disque Gouache en 2012. Bien que le disque contienne des airs pop, de John Lennon ou d'Amy Winehouse par exemple, et même des boléros, comme « Bésame mucho », ce fut le concert le plus ouvertement jazz du festival jusqu'alors, car l'interprétation des morceaux, parfois proche du hard bop, tranchait avec la simplicité des mélodies : ce qui mit en valeur la voix de Cécile avec sa façon d'interpréter évoquant la délicatesse de Billie Holiday, chantant aussi en français. Néanmoins, le concert a péché peut-être par sa longueur (presque une heure-trois quarts), en rapport avec l'exigence de la musique que Terrasson proposait.
Melody Gardot, si diva, si loquace, est partie sur les chemins de la world musique, initiée par un tango pour dériver tout de suite vers le Brésil, faisant une pause au Cap-Vert pour évoquer Cesaria Evora (« Saudade »). En définitive, un spectacle qui se voulait cosmopolite mais qui était très show, à l'américaine.
La quatrième journée a demarré marquée par la présence de Tom Harrell: haut, dégingandé, les yeux fixés à terre, bourré de médicaments, sans presque un mouvement… Or, ce n'est pas cette schizophrénie diagnostiquée en 1967 qui impressionne le plus, ni son état, mais la vitalité qui bouleverse son corps endormi d’apparence quand il commence à jouer de la trompette. Il prend vie, rayonne comme personne et on dirait qu'il guérit jusqu'à la fin de son solo où il retourne à cette inquiétante quiétude. Harrell et son groupe ont joué vigoureusement, comme illuminés ; Wayne Escoffery (ts) a été brillant, et a reçu sa partie des ovations.
Le concert le plus attendu de cette journée a été sans aucun doute celui du quartet de Branford Marsalis. Il est rare qu'on puisse aller à un concert de jazz où les quatre musiciens – Branford Marsalis (ss, ts), Joey Calderazzo (p), Eric Revis (b) et Justin Faulkner (dm) – sont si osmotiques, si concentrés et si libres à la fois. On voyait Branford à son aise, bougeant sans arrêt sur la scène. Le groupe a exécuté à la perfection chacun des morceaux : se détachait un jeune Justin Faulkner qui a parfois éclipsé Branford. Le batteur s'est relâchée petit à petit, mais il était déjà tard : il s'était mis dans la poche tout Mendizorroza. Comme bis, le quartet a surpris le public avec un morceau inespéré : « Saint James Infirmary! ». Welcome in New Orleans!
Pour la dernière journée, un Chick Corea carrément mince a ouvert la veillée face à une audience absolument fascinée et respectueuse qui avait rempli Mendizorroza. Avec son nouveau groupe, The Vigil – Tim Garland (ss, st, cl), Christian McBride (cb), Marcus Gilmore (bat), Charles Altura (g) et Luisito Quintero (perc) – il a entamé avec force un set latin (« Hot House », de son disque de l'année passée avec Gary Burton) pour continuer d'égrener trois des sept morceaux de son nouvel opus. Amusé et s'amusant, il dirigeait depuis son piano qu'il abandonnait parfois pour jouer des claviers. Un concert bref, mais intense, ce qui n'était pas important, puisqu'il était connu de tous que la nuit aurait trois parties bien différenciées. Après Chick, arriva Paco de Lucía. Après une introduction en solitaire (peut-être le meilleur de son concert) son combo est venu : David de Jacoba et Rubio de Pruna au chant flamenco, Farru à la danse, Antonio Sanchez (g), Antonio Serrano (harm), Alain Pérez (eb) et El Piraña (perc), un ensemble qui a soulevé beaucoup d'applaudissements mais peut-être, s'est éternisé – surtout la danse – et qui est parvenu à obscurcir l'ensemble. Lorsque Chick Corea et Paco de Lucía sont revenus ensemble, le public a rugi d'émotion. A la jam session, ils ont joué « Zyryab » et « Entre dos aguas », avec des réminiscences d'autres thèmes, aboutissant à un émouvant « Concierto de Aranjuez » collé à « Spain » (le succès de Chick Corea) par l’intermédiaire de l'impressionnant harmonica d'Antonio Serrano, Chick et Paco dialoguant à quatre mains, se posant des questions et y répondant, laissant couler la communication par-delà les langues.
Malgré la crise et Melody Gardot, le bilan du Festival de Jazz de Vitoria 2013 est très positif. Félicitations !
Lauri Fernández et Jose Horna
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