La Seyne-sur-Mer (Var)
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1 sep. 2013
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Jazz au Fort Napoléon, 25 au 28 juillet 2013
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© Jazz Hot n°664, été 2013
Ah ! la fraîcheur du soir sur les hauteurs de Tamaris dans cette enceinte mythique du Fort Napoléon. Et quel plaisir de retrouver ce lieu paisible, avec des gens respectueux, réunis pour entendre du jazz, et du vrai ! Pas de la world-pop-truc ! Première soirée en beauté avec un sympathique et merveilleux pianiste Cyrus Chestnut et son trio, avec à la contrebasse un habitué des lieux le fin et puissant Darryl Hall, qui obtint à ses débuts le premier prix de la « Thelonious Monk Institute competition for bass » en 1995, devant un jury composé de Ron Carter, Charlie Haden, Percy Heath and Chris McBride : c’est tout dire ; et un assez jeune batteur et remarquable batteur, l’idéal pour trio, Willie Jones III ; auquel s’est adjoint un invité, le sax ténor italien Piero Odorici, sobre, avec un son et un phrasé dans la lignée d’un Steve Grossman. Il est très actif sur la scène internationale, a joué avec pas mal de grosses pointures et il a enregistré en 2011 avec le Trio de Cedar Walton, qui sera justement ici le 28. Wiilie Jones III ; pourquoi troisième ? Parce que son père, pianiste, s’appelait Willie Jones II. Après la récompense de quelques prix il joua avec Milt Jackson, Aturo Sandoval, Sonny Rollins, Wynton Marsalis, etc… Un drumming exemplaire, élégant, inventif, à l’écoute, des petits roulements façon Tony Williams, et le swing sans qui rien ne serait chez un batteur. A suivre. Cyrus Chestnut couvre tout le clavier, n’hésitant pas à solliciter les touches aiguës de belle manière. Un phrasé riche, une main gauche hyper active, il y a du gospel dans son jeu, il faut dire qu’il est croyant et a commencé à l’église. Lui aussi à rejoint Wynton Marsalis, en 1991. Il connaît tout du piano, d’Art Tatum (il aime aussi à jouer de longues introductions) à Oscar Peterson en passant par Bud Powell et Erroll Garner, sans oublier les classiques. D’ailleurs il interpréta brillamment et jazzistiquement un thème du « Lac des Cygnes » de TchaÏkovski. En rappel un délicieux « Polka Dots and Moonbeams », qui permit au saxophoniste de laisser aller son lyrisme sur cette ballade. Un sacré beau début de festival.
Et le 26 « Looking For Parker » avec un magnifique trio qui joue comme un seul instrument : Géraldine Laurent au sax alto, Manu Codjia à la guitare et Christophe Marguet à la batterie. Ce trio part à la recherche de Charlie Parker, et le trouve. Non pas en rejouant ses solos, en copiant ses disques, mais en jouant des thèmes de l’époque bebop : « Moose The Mooche – Hot House – Laura – Night In Tunisia (magnifique et complètement réinventé) – idem pour Lover Man – April In Paris – Billy’s Bounce – Bebop… » avec l’esprit de découverte parkérien, le feu intérieur, le swing par tous les pores ; un hymne à Bird, à cette musique incandescente qu’il nous a léguée jusqu’à la fin des temps. Rendre un hommage en étant soi-même, en créant du nouveau, en étant dans l’âme de la musique de celui qu’on vénère, c’est la superbe réussite de ce trio. Le batteur crée un incessant tapis rythmique enchaînant, brouillant, mélangeant les figures bebop, ce sont des nappes sur lesquelles s’envolent les deux autres. Manu Codjjia est un superbe guitariste, d’une richesse harmonique et d’un délié rare, il s’insère dans la musique de l’alto, l’entoure, la malaxe, y plante ses lignes mélodiques dans les solos tandis que l’alto à son tour s’y plonge en des tenues, de petites phrases délicieuses. Géraldine Laurent est impressionnante, par la puissance de sa sonorité, et par une dextérité que ne renierait pas Parker. La fougue, la foi, l’engagement, le lyrisme épanoui et communicatif de ces trois musiciens, et par dessus tout ça, et aussi juste en dessous, un parfum de blues ; voilà quelque chose qui vous amène en plein paradis. Oui, il existe, avec des musiciens comme ceux-là..
Encore la jeune génération le 27 avec l’époustouflant duo Vincent Peirani à l’accordéon à boutons et Emile Parisien au saxophone soprano. On avait été impressionné par le quartette d’Emile Parisien en 2010, par sa mise en place, son impétuosité, la facilité avec laquelle les quatre musiciens se jouaient des difficultés, le tout avec un beau lyrisme. On retrouve toutes ces qualités dans ce duo. Ces deux jeunes musiciens respirent la passion de la musique, Emile Parisien semble attaché au soprano, un peu comme une marionnette à ses fils, le sax le tient au loin, par la bouche, et son corps danse la musique. Vincent Peirani trône derrière son bel accordéon, visage passionné, son âme s’infiltrant dans les soufflets de l’instrument. Ils jouent des compositions de l’un ou de l’autre, quelques standards dont « I Mean You » de Monk, de haute envolée, un morceau du pianiste du quartette, et même un Schumann impressionnant. Ces deux-là connaissent le jazz à fond, et les autres musiques. Par-delà une technique étourdissante, et qu’ils ne mettent jamais en avant, elle est au service de l’expression, ils restent dans la mélodie, le lyrisme. Parisien possède une sonorité de velours, c’est un nouveau Steve Lacy, en plus chaleureux. Peirani s’ancre dans les traditions des grands accordéonistes français, du musette au jazz ; ils joueront d’ailleurs une valse de toute beauté. Et il scate à l’unisson d’une façon qui doit mettre Minvielle en joie, En rappel, Sarena Fisseau est venue interpréter « Throw It Away », rendu célèbre par Abbey Lincoln, avec grande classe et subtilité dans les nuances. Belle voix, avec du corps, du grain, de la profondeur : une belle découverte. Duo généreux, beau sur scène, émouvant, passionnant, sobre, mais qui offre une musique riche et forte. La relève est assurée, d’autant que ces jeunes-là connaissent les racines de leur musique. Même quand ils interprètent Schumann, ça reste du jazz.
Dernière soirée avec Cedar Walton, en compagnie de David Williams à la contrebasse et Willie Jones III de retour sur cette scène à la batterie. On attendait beaucoup de cette soirée, on ne fut pas déçu. Bien que fatigué Cedar Walton a très vite retrouvé ses moyens pour développer ses phrases qui sentaient bon le bebop enrichi de ses multiples expériences. Il est resté une heure et demie non stop derrière son piano enchaînant ses thèmes favoris. Son phrasé posé sur un swing imperturbable se joue des complexités rythmiques et harmoniques. Le batteur a été une merveille de soutien, louchant vers Art Blakey par l’utilisation de la cymbale stride, une pulsation brillante et incessante créant une broderie rythmique dans l’entrelacs de la contrebasse, le jeu du bassiste étant dense et harmonique, ne pratiquement que rarement la pompe mais jouant presque le rôle d’un big band ; tapis sur lequel le pianiste n’avait qu’à se laisser porter. Des solos riches et percutants aussi bien du contrebassiste, que du batteur, dont a pu également admirer la mise en place exemplaire; tous deux toujours sobres, inspirés, habités. David « Happy » Williams est de Trinidad, il a beaucoup joué et enregistré avec Cedar Walton – d’où leur entente parfaite – et avec un nombre impressionnant de grands jazzmen (voir sa discographies !). Quatre concerts seulement, mais un sans faute admirable, quatre soirées au plus beau de la musique de jazz mêlant des musiciens venus des racines aux jeunes générations qui rendent optimiste quant au devenir du jazz en ce qui concerne les musiciens. Que Robert Bonaccorsi, qui réussit à nous concocter ce programme, après avoir vaincu mille difficultés et embûches, dont les coupes budgétaires ne sont pas les pires, soit honoré d’un triple ban ! Ce festival intimiste, l’un des plus passionnants, existera-t-il encore l’an prochain ? Pas sûr hélas. Et en contrepoint les expositions sous les voûtes du Fort : Michel Alliou « Images pour une bande son improvisée » - Jazz on LP : Collection Jean-Paul Ricard « Millésime 1963 », et l’Espace Livres-disques jazz.
Serge Baudot
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