Paris en clubs
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17 avril 2013
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Février-Avril 2013
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© Jazz Hot n°663, printemps 2013
Le 8 février, au Duc des Lombards, Cedar Walton (p), David Williams (b), Willie Jones (dm) ont démontré le pouvoir absolu de la musicalité propre au jazz. La fluidité totale des idées et leur exécution télépathique dans le cadre d’un langage maîtrisé avec profondeur ont atteint une forme de grâce qui donne une idée de ce que le jazz authentique. Les compositions originales (« Bolivia », « Midnight Flight »), le swing franc et frais (« My Heart Stood Still »; « Satin Doll »), les arrangements subtils d’un medley bebop et bluesy (« Off Minor », « Round Midnight », « Blue Monk », « Rhythm-a-Ning ») furent interprétés avec beaucoup de classe. La finesse pianistique du leader, le dialogue aérien avec Willie Jones III, l’enracinement complexe de David Williams construisent un art du trio qui raconte une histoire splendide.
Le 16 février, au Sunset, Fabien Mary (tp) a présenté son dernier opus intitulé Conception avec rien moins que Steve Ash (p), Fabien Marcoz (b) et Pete Van Nostrand (dm). Ils furent rejoints par le robuste et lyrique David Sauzay (ts) au 2e set. L’aisance discursive du trompettiste est remarquable et s’il évoque fréquemment Kenny Dorham (« Short Story », « Last Night When We Were Young »), c’est avec une droiture particulière. Le répertoire est tout sauf convenu avec Charles Tolliver (« Right Now »), Chick Corea (« Tones for Joan’s Bones »), Dorham (« Escapade ») et les standards (« I’ll Be Seeing You ») et permet de faire briller chaque instrumentiste. Fabien Marcoz possède une belle autorité ; Steve Ash est d’un classicisme inventif et Pete Van Nostrand d’une nervosité dynamisante. Fabien Mary a étendu son registre, ajoutant une certaine agressivité qui n’enlève rien à la netteté de son propos.
Le 22 février, rue Jacob, au Caveau des Légendes, Bevinda (voc) a interprété le répertoire de Serge Gainsbourg avec beaucoup d’assurance et de sensibilité. L’accompagnement de Gilles Clément (g), Dominique Lemerle (b) et Eric Dervieu (dm) fut impeccable, soulignant et illustrant l’humour et la poésie des textes joliment vocalisés par Bevinda.
Au Sunside, le 27 février, le trio de Nicolas Fabre (p) a décliné des ambiances automnales dans la mouvance post-Keith Jarrett des Edouard Ferlet, Giovanni Mirabassi, Enrico Pieranunzi… Cette musique fondée sur des atmosphères européennes — harmoniquement et rythmiquement — évite le langage propre au jazz (qui est celui du blues et de l’élan ternaire du swing) et verse souvent dans le sentimentalisme. Les couleurs de Richard Apté (b), dans un registre qui évoque parfois Charlie Haden, et le tapis rythmique de Max Hartock (dm) sont le soubassement des vagues dessinées par Nicolas Fabre. Admirablement réalisée, avec une solidité dans le dialogue entre Richard Apté et Max Hartock, cette musique réserve des montées en puissance (« Song for Ahmad ») et fait montre de sensibilité (« Infant Eyes »). Il reste une froideur harmonique qui est le fruit de choix esthétiques.
Au Jazz Club Etoile, les 6, 7 et 8 mars, le légendaire Duffy Jackson (dm) était accompagné de son French Gang, à savoir Michel Pastre (ts), Nicolas Dary (as, ts), Pierre Christophe (p) et Raphaël Dever (b). Au programme, swing basien, drive souple, générosité enthousiaste… « A Flower is a Lovesome Thing » de Strayhorn met en avant la richesse classieuse de Pierre Christophe, « Stompin’ at the Savoy » souligne la précision du dialogue basse/batterie, « Get Happy » montre le time d’acier du leader, par ailleurs formidable scatteur (« Will You Still Be Mine »). Au ténor, Nicolas Dary est une synthèse de Dexter, Hawkins, Lester et Gene Ammons : son lyrisme tendre et viril fait merveille (« When Sunny Gets Blue »). A l’alto, il évoque davantage Art Pepper avec une expressivité plus volubile. Au final, un set emprunt de feeling et d’ardeur dans une tradition qu’on entend trop peu interprétée à ce niveau.
Le 13 mars, au Café Universel, Richard Razafindrakoto (p), Eddy Rabeson (b) et Thierry Tardieu (dm) accompagnaient Sarah Thorpe (voc) pour un beau set de standards variés, évoquant Aretha Franklin (Chain of fools), Randy Crawford (« No Regrets »), Nancy Wilson (« The Masquerade is Over ») et les standards provenant d’univers variés (« Lover Man », « Walk On By », « Our Day Will Come », « Black coffee »). Avec une classe discrète et des arrangements efficaces (« My Heart Belongs to My Daddy » en rumba), Sarah Thorpe sait faire passer son talent mélodique chaleureux, souligné par des musiciens toujours à l’écoute, notamment le très distingué Richard Razafindrakoto.
Au Sunside, Champian Fulton (p, voc), est venu présenter son dernier disque, Champian Swings and Swings, le 26 mars. En trio, le soutien admirable de Gilles Naturel (b) et Mourad Benhammou (dm) lui a permis de poser son talent avec simplicité. Dans un style pianistique qui évoque Garner, Shearing, Bud Powell ou Red Garland, et dans un style vocal d’une grande expressivité, elle a imposé sa légèreté joviale, ses block chords, la densité de sa présence. Avec les belles interventions de Gilles Naturel (à l’archet façon Paul Chambers sur « Easy to Love ») et de Mourad Benhammou (finesse aux balais, belle palette de couleurs), elle possède un vrai sens du blues au piano. Une prestation limpide et élégante… et qui ne manquait pas d’explosivité.
Denise King-Olivier HutmanLe Sunside accueillait Denise King et Olivier Hutman le 17 avril pour la sortie de Give Me The High Sign. Le concert fut à la hauteur des espérances avec une frontline tonique (le coltranien Olivier Témime, ts et le très musical Stéphane Belmondo, tp, flh, aux accents de Freddie Hubbard et Roy Hargrove) et surtout une rythmique aux grooves incroyables insuflés par Olivier Hutman (p, elp), Darryl Hall (b) et Antoine Paganotti (dm). La formidable présence de Denise King (voc), synthèse de soul, de blues et de jazz, évoque tour à tour de manière subliminale Dinah Washington, Dee Dee Bridgewater et Carmen Lundy, voire Leon Thomas par ses jodles. La vocaliste de Philadelphie impose sa chaleur, sa facilité, la vigueur de son chant venu du gospel. Les interventions d’Olivier Hutman font le choix de la musicalité plutôt que du passage en force. L’ensemble est agrémenté par des arrangements et des compositions qui donnent une belle épaisseur à ce groupe qui prend parfois les accents du Roy Hagrove RH Factor (grooves infernaux de Darryl Hall !). C’est une musique qui respire l’humour, le bon esprit et le plaisir collectif, parfaitement transmis au public. Beaucoup de fraîcheur dans ce jazz enthousiaste et explosif.
Jean Szlamowicz (texte et photo)
Photo : Denise King et Olivier Hutman)
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