Jazz in Paris Suite
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9 oct. 2012
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Eté 2012
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Les Primitifs du Futur Paris, Duc des Lombards, 23 juin 2012
Il est de ces groupes qui explorent le passé pour en extraire la joie de vivre et le son d’un ailleurs. Comme Robert Crumb et ses Cheap Suit Serenaders, Eden et John’s East River String Band ou encore Don Vappie et ses Creole Jazz Serenaders, les Primitifs du Futur sont assurément de ceux-là. L’humour en plus. Pour leur troisième et dernier concert au Duc des Lombards, les Primitifs du Futur, composés de Dominique Cravic (Guitare, Chant), Daniel Colin (Accordéon & Bandonéon), Daniel Huck (Sax, Chant), Jean-Michel Davis (Vibraphone, xylophone & percussions), Fay Lovsky (Scie musicale, ukulélé & thérémine), Claire Elzière (Chant), revisitent leur répertoire sous le prisme du jazz. Une « Valse » ouvre le bal. Entre les solos très emportés de Daniel Colin à l’accordéon et de Daniel Huck au saxophone, Dominique Cravic bat le tempo de la java « La Femme panthère et l'homme sandwich » annonçant et commentant les chansonnettes et les airs d’antan avec sa gouaille inégalable. Perdu quelque part dans les années 1930, Cravic rend hommage à Maurice Chevalier avec « Mon idéal » en roulant bien les –r et par-là même à Jean Sablon, le compositeur du titre. Résolument jazz, les Primitifs du Futur livrent une version française de « Accordeon Joe » de Duke Ellington, coup de chapeau à Jo Privat, et « Fumée aux yeux », l’adaptation de « Smoke Gets in your eyes ». Loin de Duke et de Fred Astaire, les Primitifs s’approprient les standards avec burlesque. Piochant allègrement dans leurs cinq albums, les Primitifs racontent des histoires, poussant la beuglante dans « C'est la Goutte d'Or Que Fait Déborder la Valse » et « La Belle et le Manouche ». Selon les airs, Fay Lovsky troque sa scie musicale et son ukulélé pour des solos à la thérémine qui résonne d’étrangeté. Instrument peu commun, inventé en Russie en 1919, il donne une coloration insolite quand il est appliqué à ce répertoire. Avec pour devise « Notre blues, c’est le musette » de Boris Vian, les Primitifs se lancent dans « Scat and the Blues » et d’enchaîner avec « Le dernier musette » pour conclure avec « L’indifférence ». Une dizaine de chansons, une dizaine d’histoires. Autant de films imaginaires qui défilent devant nous.
Mathieu Perez
Tony Bennett, The Zen of Bennett Paris, Ambassade des Etats-Unis, 5 juillet 2012
A la veille de son concert à l’Olympia, l’Ambassade des Etats-Unis projetait le film documentaire The Zen of Bennett, réalisé par Danny Bennett, son fils, en présence de Tony Bennett. Bien moins qu’un documentaire rétrospectif, le film est un making-of de son album Duets II, rendu célèbre pour son duo avec Amy Winehouse, décédée quelques mois avant la sortie de l’album. Si le vieux crooner a pu s’entourer des grandes vedettes du moment, ce qui frappe le spectateur dans la préparation de cet album, c’est le manque de professionnalisme de Norah Jones, John Mayer, Lady Gaga et Amy Winehouse. Non seulement ils ignorent à peu près tout de la biographie et de la discographie de Tony Bennett –se souviennent parfois de l’album enregistré avec Bill Evans– mais, plus surprenant, ils arrivent en studio mal préparés et très nerveux. La production et le vieux chanteur doivent les choyer pour que les prises soient les meilleures possibles. Tony, lui, attend que le miracle se passe. L’idée que Frank Sinatra enregistra ‘My Way’ en une seule prise après avoir jeté un rapide coup d’œil à la partition semble loin. Le film à l’apologie inépuisable suit le vieux chanteur dans son studio, au cours de ses voyages et recueille les leçons de ce maître de sagesse. Un rapide petit détour par l’enfance, pour la forme, pas un mot ou presque de ses débuts, encore moins de sa longue carrière. Le reste du temps, Tony Bennett dessine, peint, fait des aquarelles avec comme sujets de prédilection : Central Park, les natures mortes, les musiciens de jazz et l’âme des poètes… Deux points qui ne sont pas développés dans le film attirent toutefois la curiosité du spectateur quand Tony Bennett évoque la mémoire de Duke Ellington et sa rencontre avec Fred Astaire. « Ma famille était très proche de celle de Duke. Je l’adorais. Ma mère et sa mère étaient très amies. Nous allions chez eux à Noël. », confie-t-il à Jazz Hot. La rencontre avec Fred Astaire reste aussi un souvenir très fort : « Fred était le plus grand. C’est le premier à avoir chanté ‘Night and Day’, ‘Change Partners’ ou encore ‘One For My Baby’. Quand on me parle du American Songbook, je réponds toujours : ‘Vous voulez parler du Fred Astaire Songbook ?’ » Aux anecdotes du film s’ajoutent quelques échos du passé. Tony Bennett est l’un des derniers témoins d’un monde aujourd’hui disparu. Ne comptez pas sur ce film pour en apprendre davantage.
Mathieu Perez
Marc Ribot y Los Cubanos Postizos Paris, New Morning, 10 juillet 2012
Le guitariste Marc Ribot, aussi à l’aise avec John Zorn, Elvis Costello et McToy Tyner, était de passage à Paris avec los Cubanos Postizos, son groupe aux accents cubains. Né d’un hommage au compositeur et joueur de tres Arsenio Rodriguez, le groupe a enregistré deux albums, The Prosthetic Cubans en 1998 et Muy Divertido! en 2000, puis s’est éteint dans les années 2000. Pour leurs retrouvailles sur une scène française, los Cubanos Postizos piochent dans leurs albums et interprètent notamment « Como Se Goza En El Barrio », « Choserito plena », « No Me Llores Mas » toujours avec le même panache. Malgré l’allant de la musique, le public parisien, conquis, reste lui bien attentif. Si le jeu des musiciens est impeccable, Marc Ribot et EJ Rodriguez (Batterie) volent la vedette à Anthony Coleman (Piano), Brad Jones (Basse) et Horacio "El Negro" Hernandez (Percussions). La guitare qui gronde au-devant de la scène et le batteur torse nu sont très présents par leur jeu et leur tempérament et laissent peu de place aux autres. Après deux beaux sets, « La vida es un sueño » et « Baile Baile Baile » sont joués en rappel et clôturent une soirée dédiée à Cuba et au vertige de la musique d’Arsenio Rodriguez.
Mathieu Perez
Aaron Goldberg Quintet Paris, Duc des Lombards, 14 juillet 2012
Trois soirs durant, le Duc des Lombards a donné carte blanche au pianiste américain Aaron Goldberg. Après un premier soir en trio, un deuxième en quartet, le troisième se jouait en quintet. La soirée était consacrée à Bienestan, un album sorti en 2011 et mis au point par le pianiste argentin Guillermo Klein, qui en signa toutes les compositions. Bienestan est une contrée imaginaire dont chaque morceau de l’album en préciserait la topographie. Entouré de Guillermo Klein (claviers), Mark Turner (sax, clarinette), Matt Penman (contrebasse) et Greg Hutchinson (batterie), Aaron Goldberg nous plonge dans Bienestan dès le premier morceau. Comme happé par la beauté de « Airport Fugue », joué en duo avec Guillermo Klein au Fender Rhodes, le public est d’emblée installé sur la rampe de lancement vers le pays imaginaire de Bienestan. Le toucher délicat d’Aaron Goldberg allié au mystère de Guillermo Klein opère à merveille. Et de poursuivre avec une ballade, « Anita », et « Blues for Alice ». Aux compositions de Klein, le quintet interprète deux standards « All the things you are » de Jérôme Kern et Oscar Hammerstein et « Manhã de Carnaval » de Jobim avant un dernier duo « Implacable ». Malgré un petit set de 1h10, le public, ravi par la beauté des arrangements et des compositions de Guillermo Klein, a pu s’approcher de rivages jusqu’ici inconnus.
Mathieu Perez
The Jazz Crusaders Paris, New Morning, 16 juillet 2012
L’histoire des Jazz Crusaders remonte à 1961. Le groupe fondé par le pianiste Joe Sample, le tromboniste Wayne Henderson, le saxophoniste Wilton Felder et le batteur Stix Hooper est à lui seul une partie de l’histoire du jazz de ces cinquante dernières années. Devenu les Crusaders en 1974, mondialement connu pour « Street Life » chanté par Randy Crawford, le groupe se sépare en 1983. Il faut attendre 2010 pour que le trio fondateur entame une tournée aux Etats-Unis et juillet 2012 pour les voir réunis pour la première fois depuis trente ans sur une scène européenne. Seul Stix Hooper n’est pas de la partie. Dès l’entrée en scène de Joe Sample (Piano), Wilton Felder (Saxophone) et Wayne Henderson (Trombone), accompagnés de Nicklas Sample (Basse) et Moyes Lucas (Batterie), le public leur réserve un accueil chaud et convivial. En guise de clin d’œil, les Jazz Crusaders brisent la glace avec Broadway, puis durant deux sets, ils jouent des compositions enregistrées entre 1961 et 1965. Fiers de leurs premières influences, Cannonball Adderley, Horace Silver ou encore Art Blakey, ils interprètent leurs premières compositions, « Sunset in Mountains », « The Thing », « Snowflake » et nous font redécouvrir la richesse de ce patrimoine musical. Généreux en anecdotes, Joe Sample et Wayne Henderson racontent leur enfance commune à Houston, au Texas, et la naissance du groupe à Los Angeles. Formé à une époque où la ségrégation raciale était bien réelle, les Jazz Crusaders ont choisi leur nom à dessein. Bien des frontières peuvent être sublimées par la musique, en témoigne la composition de Joe Sample « Freedom Sound ». Pour débuter leur second set, les Jazz Crusaders jouent « Hard Times », morceau connu pour son interprétation par David ‘Fathead’ Newman, hymne de la culture afro-américaine, et qui pourtant fut composé par Paul Mitchell, un Blanc. Joe Sample décrit cette découverte tardive et s’en amuse encore : « Si tous les Afro-Américains savaient que c’est un Blanc qui a composé ce morceau qui leur est si cher, ils n’en reviendraient pas ! » Avant de poursuivre le fil de leur discographie, Joe Sample rend hommage à Nat King Cole, le pianiste, dont la découverte a changé la vie. L’excellence du pianiste aux mille vies musicales est toujours aussi aiguisée dans « Gee Baby, Ain’t I Good to You ? ». Un détour nécessaire par « Street Life », le morceau qui marqua l’année 1979, et de conclure avec « New Time Shuffle ». Au terme de ce concert, il est évident que Joe Sample, Wayne Henderson et Wilton Felder n’ont rien perdu de leur puissance. Nicklas Sample (basse), le fils de Joe, et Moyes Lucas (batterie) encadrent parfaitement un trio dont il est difficile de surpasser.
Mathieu Perez
Roy Hargrove & The RH Factor Paris, New Morning, 18 juillet 2012
Roy Hargrove est de retour au New Morning, deux mois après avoir joué avec son quintet. Il est accompagné cette fois du RH Factor, son groupe qui fusionne jazz, funk, soul et hip hop. Armé de son cornet, Roy Hargove est entouré de Bruce Williams (Flûte, Saxophone alto), Keith Anderson (Flûte, Saxophone ténor), Lenny Stallworth (Basse), Todd Parsnow (Guitare), Renée Neufville (Claviers,Voix), Bobby Sparks (Claviers, Orgue Hammond) et Jason Thomas (Batterie,Voix). Quasiment absent du premier set, Roy Hargrove, vêtu d’un costume d’un blanc immaculé et caché derrière ses lunettes noires, place toutefois ici et là quelques notes. Il faut attendre le second set pour que Roy soit présent. Parfois au gré d’un morceau, il prend le micro et scatte. Adepte du collectif, Roy Hargrove sait mettre les autres en valeur, en particulier Renée Neufville qui troque son clavier pour le micro pendant deux morceaux, « Juicy », « Crazy Race ». Le trompettiste prodige s’efface. Les morceaux phares du groupe, dispersés dans les quatre albums enregistrés depuis 2003, « Hardgroove », « Strength », « Bop Drop », sont joués de façon nerveuse. Les cuivres sont particulièrement musclés et la texture des plus funky. Durant « Liquid Streets », il est difficile de ne pas reconnaître quelques intonations de Roy Ayers et de penser au public qui, dans les années 1970, assista à la naissance de son collectif. Si les musiciens sont sur la même longueur d’onde, il faut s’incliner devant Bobby Sparks pour qui l’orgue Hammond et le Fender Rhodes n’ont aucun secret. Il en joue avec une aisance et une connaissance déconcertantes et se laisse aller aux expérimentations les plus intuitives. Avec le RH Factor, Roy Hargrove approfondit le brassage et la fusion de jazz et de funk. On attend avec impatience que le groupe trouve la chanteuse à la mesure de ses talents de musiciens, une Randy Crawford, une Jocelyn Brown, une N’Dea Davenport. Avec deux sets d’1h30, Roy Hargrove et le RH Factor ont sans aucun doute livré le concert plus funky de l’année.
Mathieu Perez
Wynton Marsalis et le Jazz at Lincoln Center Orchestra Paris, Olympia, 19 juillet 2012
Le Jazz at Lincoln Center Orchestra est en résidence tout le mois de juillet au Barbican Centre de Londres. Un passage chargé d’histoire qui a vu la création de Congo Square et de Abyssinian Mass, deux compositions retraçant l’histoire du jazz et de la communauté afro-américaine. Le Duc des Lombards a invité le JALC à l’Olympia dans le cadre de son festival ‘Nous n’irons pas à New York’. La présence à Paris, si rare, d’un tel big band était l’occasion de mesurer le souci de Wynton Marsalis de préserver le swing dans la plus grande tradition du jazz. Le JALC est composé de quinze musiciens qui sont autant d’arrangeurs et de compositeurs. Préférant le siège de musicien à celui de chef d’orchestre, Wynton Marsalis donne à chacun le soin d’interpréter une composition personnelle et ses arrangements. Sous la direction musicale de Wynton Marsalis (trompette),_l’orchestre est composé de Ryan Kisor (trompette), Marcus Printup (trompette), Kenny Rampton (trompette), Vincent Gardner (trombone), Chris Crenshaw (trombone), Elliot Mason (trombone), Sherman Irby (Sax. alto), Ted Nash (Sax. alto et soprano, Clarinette), Walter Blanding, Jr. (Sax. tenor et soprano, Clarinette), Victor Goines (Sax. tenor et soprano, Clarinette soprano, basse), Joe Temperley (Sax. baryton et soprano, Clarinette basse), Dan Nimmer (piano), Carlos Henriquez (basse) et Ali Jackson (batterie) Donnant un aperçu de ses créations à Londres, le JALC interprète deux extraits de Abyssinian 200, l’un qui ouvre le concert, l’autre qui le clôture. Cette messe, composée par Wynton Marsalis, commémore le bicentenaire de l’Eglise baptiste abyssinienne à Harlem, fondée par des Afro-Américains qui refusèrent la ségrégation raciale au sein de l’Eglise baptiste. Le premier set est court. Marsalis appelle des morceaux que les musiciens n’ont pas répétés, depuis parfois deux ans. Il faut croire que l’improvisation existe aussi pour les big bands. Après « Light Blue » de Monk, le JALC joue « 2/3_s Adventure » puis « Prodigal », respectivement du contrebassiste Carlos Henriquez et du tromboniste Chris Crenshaw. Les arrangements sont faits sur mesure. Chacun a droit à son solo et joue avec naturel et grâce. Les musiciens-compositeurs à l’honneur indiquent le sens de la marche à tour de rôle, Wynton Marsalis redevenu un trompettiste attentif. Après l’entracte, le JALC est rejoint par le chanteur Gregory Porter et interprète au fil de la soirée trois blues dont « Your Red Wagon » et « Goin’ to Chicago Blues » de Count Basie. Le blues de Gregory Porter se marie magnifiquement aux cuivres du JALC. Mais il est difficile de le faire chanter davantage avant que la soirée ne bascule dans une ode au blues tant la voix chaude et bouleversante du chanteur se marie bien avec le big band. Deux compositions de saxophonistes, « Inner Urge » de Joe Henderson et « Insatiable Hunger » de Sherman Irby, amènent à « Back to Basics » et au second extrait de Abyssinian 200 de Wynton Marsalis. Le leader du JALC est un puriste du swing. Pas étonnant que, bissé, le JALC interprète « Second Line » de Duke Ellington.
Mathieu Perez
Steve Kuhn Trio Paris, Duc des Lombards, 26 juillet 2012
Entre un concert au festival Jazz à Foix et un autre à La Seyne-sur-Mer, Steve Kuhn, son compagnon de route Steve Swallow et son fidèle batteur Billy Drummond se sont arrêtés trois soirs au Duc des Lombards. Sans doute n’existe-t-il mieux portrait de Steve Kuhn qu’un de ses concerts comme il agence un standard, une composition originale, un morceau de Steve Swallow, un autre de Coltrane. L’homme à la discographie débordante est fidèle en amitié et n’a jamais autant excellé dans l’art du trio. La soirée commence avec le standard « You stepped out of a dream » suivi de « Emily ». Au fil des années, la complicité est toujours intacte. Steve Kuhn, qui collabore avec Steve Swallow depuis les années 1960 et avec Billy Drummond depuis la fin des années 1990, n’est jamais aussi à l’aise que dans un trio. Un espace de liberté où chacun peut faire entendre sa voix de la façon la plus épurée qui soit. Avant le mélancolique « Chalet », la seule composition originale que Steve Kuhn jouera durant la soirée, le trio interprète « Ladies in Mercedes » et « Remember », de Steve Swallow. Ils ont beau les avoir joués et rejoués tant de fois au fil des années, les deux Steve ont trouvé en l’autre leur alter ego. Sans oublier les touches de Billy Drummond, un styliste capable de donner une couleur unique à chaque morceau qu’il accompagne. Le concert s’achève sur deux retours en arrière : avec « Wisteria » de Art Farmer, avec qui Kuhn et Swallow ont enregistré l’un de leurs premiers disques en tant que sidemen dans les années 1960, et « Configuration » de John Coltrane dont Steve Kuhn fut le sideman et qui lui laissa un souvenir indélébile. Une soirée magique.
Mathieu Perez
Ran Blake et Sara Serpa Paris, Sunset-Sunside, 27 juillet 2012
Quelques jours après sa participation au Festival de Jazz de Toucy, près d’Auxerre, Ran Blake jouait en duo avec Sara Serpa au Sunset-Sunside. Serpa et Blake ont enregistré l’album Camera Obscura en 2010. Mais leur rencontre est plus ancienne. Après avoir étudié au Conservatoire de Lisbonne, Sara Serpa est partie étudier au New England Conservatory de Boston où Ran Blake enseigne depuis 1968. Le couple à la scène pioche dans leur album commun. Quelques standards, « April in Paris », « When Sunny Gets Blue », « Get Out of Town » de Cole Porter, nous font parcourir le grand répertoire du jazz que Ran Blake aime tant feuilleter. Comme pour scander le concert, Sara Serpa chante à capella à trois reprises. A commencer par un fado, puis « Strange Fruit » et « Girl From Ipanema ». Dans la salle obscure du Sunset-Sunside, la Portugaise livre une interprétation poignante. Loin du jazz et pourtant si proche. Le fado, blues portugais. Ran Blake a quitté son piano et écoute Sara Serpa avec une attention extrême, comme Fred Astaire pouvait regarder Ginger Rogers dans un numéro de danse. Car Sara et Ran dansent. L’un et l’autre sont toujours à égalité. Ran Blake accompagne de quelques notes, de quelques touches, parfois furtives, toujours disponibles à l’inopiné. S’il ne joue qu’une seule composition originale, le magnifique et cinématographique « The Short Life of Barbara Monk », Ran Blake interprète deux de ses musiques de films noirs préférés, « And the band played on », thème de L’Inconnu du Nord-Express de Alfred Hitchcock, et le thème de Docteur Mabuse. En plus des films noirs, Ran Blake aime passionnément les chanteuses de jazz, surtout Chris Connor et Abbey Lincoln. Sara Serpa interprète « Driftwood » et « Moonnight » de la première et « When Autumn Sings » et « Tender as a Rose » de la seconde. Le duo est à son comble. Bissés, Ran Blake et Sara Serpa jouent « Vanguard », que le pianiste enregistra avec Jeanne Lee à l’occasion de son premier album en 1961. La boucle est bouclée.
Mathieu Perez
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