La venue de Wynton Marsalis en club est assurément à Paris un événement, d’autant que l’environnement critique et journalistique lui est largement hostile (sauf peut-être quand sa venue constitue un élément de prestige que l’on peut s’approprier et monter en épingle).
C’est donc le 22 janvier que Wynton est venu au Duc des Lombards pour deux sets forcément magnifiques vu le talent de cet artiste hors norme. Malgré les caractéristiques habituelles du lieu (sonorisation moyenne, inconfort, accueil), Wynton a effacé toutes les réticences possibles tant le naturel de sa prestation s’est montré confondant de facilité. Avec un Hervé Sellin (p) crispé au début du concert et qui a ensuite gagné en décontraction pour de belles interventions bluesy, Wynton a pu dialoguer en toute simplicité. Le soutien abondant et enthousiasme de Bruno Rousselet (b) et la sobriété efficace de Jeff Boudreau (dm) ont également permis au trompettiste de briller. Sur son instrument, il impose une perfection technique fondée non sur la seule vitesse mais sur la richesse – finesse des nuances et des effets (demi-pistons, sourdines, growl…) et musicalité (aucune démonstration inutile). Le répertoire fut basique (le concert, décidé au dernier moment, s’est fait avec une seule petite répétition) mais inspiré, dans son choix comme dans son traitement : un « What Is This Thing Called Love ? » chaleureux, suivi par un subtil « Sweet Georgia Brown » et par un « St James Infirmary » chanté par Wynton où il utilise le plunger. Le très rapide « Cherokee » est l’occasion d’idées inépuisables exposées avec une clarté d’articulation, des dynamiques et un feeling évidents. « All of Me » confirme l’aisance et le talent pour les couleurs de Wynton – et la beauté de sa sonorité. Le final avec sur un « St Louis Blues » en rumba avec tambourin avant de passer au pur swing est superbe, Wynton dialoguant avec lui même (avec et sans sourdine). Un magnifique rappel « Lady Be Good » démontrera le très haut niveau d’un musicien dont la construction des solos impeccable et l’absence de crispation signent une maîtrise qui est en soi une jouissance pour l’auditeur – l’évidence et le naturel du propos sont tout entier dans l’aisance de son discours, révélateur d’un langage dont l’ancrage culturel est d’une profondeur insondable.
Jean Szlamowicz
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