Miles Davis (tp), Wayne Shorter (ts), Herbie Hancock (p), Ron Carter (b), Tony Williams (dm)
Enregistré le 11 octobre 1964, Milan
Durée : 1h
Impro-Jazz 525 (Socadisc)
Il s’agit d’un enregistrement au Teatro Dell’Arte de Milan du Miles Davis Quintet, version première partie des années 60, l’une des moutures les plus célèbres puisque chacun des musiciens est devenu depuis une star à part entière. La tenue de scène encore très classique ne peut cacher ce que cette musique a d’étonnament actuel. C’est le signe que l’ombre de Miles plane toujours sur le jazz d’aujourd’hui et qu’elle a défini pour de longues années une esthétique et même un état d’esprit de la musique de jazz. Déconstruction du rythme et des mélodies, rupture de la pulsation traditionnelle, place majeure accordée à l’harmonie, recul de l’expressivité naturelle, de la culture native au profit d’une atmosphère décalée… Quand on compare par exemple avec les enregistrements de Dizzy Gillespie, Dexter Gordon, John Coltrane, Art Blakey et Lee Morgan de la même époque et même plus tardifs, on est frappé par le fait que la voie choisie par Miles dès cette époque invente un monde sonore nouveau, non dépourvu des qualités du jazz (le phrasé reste) mais plutôt de l’esprit de cette musique ; une volonté très claire de se situer ailleurs que dans le jazz. Wayne Shorter est encore hésitant, l’ombre de Coltrane dans son jeu est encore sensible, Ron Carter est très appliqué comme Tony Williams. Seul Herbie Hancock a déjà adopté ce nouveau langage et lui apporte une contribution pleine et mûre. Bien entendu, les musiciens ne changent pas de personnalité, mais la musique, elle, a changé de monde. Ce ne sera pas la dernière évolution de Miles, mais cet épisode est de ceux qui ont le plus marqué le futur du jazz tel qu’il se pratique aujourd’hui. On pourrait s’interroger d’ailleurs sur cette propension chez Miles dépuis toujours à vouloir sortir son jazz du sillon culturel. C’est sans doute que Miles se sentait plus concerné par l’expression artistique que par l’expression d’une culture et qu’il ambitionnait d’autres publics que celui du seul jazz. Il n’est pas le seul – Louis Armstrong, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Nat King Cole, le MJQ, Ray Charles…– mais les méthodes ont varié. C’est un vieux et grand débat qui revient pour Miles à celui de la forme et du fond, et pour le cas de Miles– une grande carrière et un grand écart esthétique – ce n’est pas aussi tranché ; cela explique que la musique de Miles a donné lieu à beaucoup de polémiques.
Yves Sportis
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