EDITO
75 ans et toutes ses dents |
C’est
un bel anniversaire pour une belle revue qui tombe on ne peut mieux
puisqu’on fête en ce début d’année le centenaire de Django Reinhardt
dont la vie a été tant mêlée à celle de Jazz Hot. Jazz Hot n’est
pas une revue normalisée. Elle le doit à son père fondateur et
longtemps nourricier, l’essentiel Charles Delaunay. Son ambition pour
la revue et le jazz a dominé les traditionnels problèmes d’ego et
d’intérêt personnel. C’est rare, mais ça arrive. C’est une revue où la
passion a été le moteur essentiel : celle du jazz, une culture musicale
spécifique mais aussi celle de l’art en général. Jazz Hot appartient à
cette première moitié d’un XXe siècle très décrié aujourd’hui qui vit
pourtant se dérouler de grands débats autour de l’art, de la culture,
des idéologies, des philosophies, dans une époque d’engagement où, dans
quelques rares pays démocratiques, certains ont imaginé un autre avenir
pour la culture que de soumission, compromission et consommation. Il en
reste toujours quelque chose.
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Jazz
Hot est né dans cette atmosphère effervescente d’un âge d’or de l’art,
du jazz et du cinéma en particulier, les arts d’un Nouveau Monde qui
s’exporta de manière fulgurante. Dans un domaine aussi spécialisé
que le jazz, chacun peut constater que les revues portent en elles les
conditions de leur date de naissance, la personnalité de leur créateur.
Quand on atteint l’âge de Jazz Hot, cette personnalité devient un bien
précieux, un modèle alternatif à préserver, d’autant que notre époque
n’est pas tendre pour les aventures indépendantes. Jazz
Hot a failli maintes fois disparaître sous les assauts conjugués de la
normalisation et des accidents de la vie. Mais Jazz Hot est là, avec sa
philosophie issue d’une époque dont le trait principal est la liberté
de pensée. Une équipe qui ressemble à une tribu de Gaulois
irréductibles, avec ses défauts et ses qualités, réussit depuis 20 ans
à maintenir le cap.
En
ce moment, le cap est au large avec un projet encore en cours de
réalisation qui cherche à répondre aux nécessités du temps en utilisant
les outils du temps mais en préservant la personnalité d’une revue d’un
autre temps. Nous travaillons sans certitude absolue, mais avec la
conviction que si nous voulons continuer à être originaux, il ne faut
pas, comme la plupart, œuvrer dans la fausse urgence, le clinquant.
Certains s’impatientent, nous pouvons les comprendre, mais Jazz Hot a
maintenant la sagesse, l’âge de ne pas céder à l’air d’une époque
souvent trop pressée, éphémère et irréfléchie. Jazz Hot est une
alternative à transmettre. On n’en sépare pas la forme du fond, on en
respecte l’histoire. Sinon, on produit autre chose, qui ne porte le nom
de Jazz Hot que par supercherie, comme certaines musiques portent
abusivement le nom de jazz. Les
mots héritage et patrimoine ont plus d’un sens. En matière culturelle,
on peut s’attendre à une extension de sens vers la générosité, le
respect des créateurs, des archivistes, des passeurs. C’est parfois le
cas, et tout à coup, l’histoire du jazz s’en trouve magnifiée comme on
le découvre dans ce numéro spécial. Un 75e anniversaire s’oriente
naturellement vers cette dimension car Jazz Hot, au-delà de l’équipe
actuelle, est un patrimoine culturel qui appartient à tous, comme
Django, centenaire célébré par les journalistes du monde entier, y
compris ceux qui depuis 50 ans s’acharnent à vouloir gommer sa mémoire. La mémoire est devenue en effet un enjeu de pouvoir où l’appât du gain
n’est pas absent bien que le jazz n’ait rien d’une culture de masse. Un ouvrage a été écrit sur Charles Delaunay et son auteur n’a jamais eu
la curiosité de s’adresser à Jazz Hot, aux personnes qui s’occupent de
la descendance de la revue que Delaunay a tenue à bout de bras comme
l’œuvre de sa vie. L’auteur n’a jamais cherché à savoir ce que pourrait
apporter à sa réflexion la rencontre de personnes qui poursuivent
l’œuvre de Charles Delaunay, qui l’ont connu pour certains. Les raisons
d’un tel mépris, non de l’équipe de Jazz Hot seulement, mais de l’objet
même de sa recherche et du jazz, sont à trouver dans la négation d’une
histoire à laquelle on n’appartient pas. Ça se traite avec le Dr. Freud. Ce
phénomène s’est généralisé aux institutions françaises (musées, etc.)
traitant de jazz, et si les expositions utilisent volontiers le
matériel de Jazz Hot (Le Siècle du jazz…), si les éditeurs utilisent
les textes et les images publiés dans Jazz Hot (Siné, Boris Vian, Frank
Ténot, Charles Delaunay…), il est rare que Jazz Hot reçoive un simple
mot d’information de ceux qui en France utilisent sa mémoire, voire la
détournent. L’époque surprotège les droits d’auteur (une affaire
d’argent) et méprise la mémoire (une affaire de principes). Quand les
producteurs de télévision font parfois l’effort d’une demande, ils
n’ont en général pas 300 euros à investir pour leur documentation.
C’est leur évaluation du jazz et du travail de la presse, à la hauteur
de leur ignorance. Nous passons sur l’esprit de rivalité des mémoires
des collectionneurs, parfois sincères amateurs, victimes de leur ego,
d’aigreur… pour ne pas oublier celle d’universitaires qui confisquent
les archives de la section locale du Hot Club de France pour éliminer
la concurrence d’un musicien qui a entrepris d’écrire une autre
histoire du jazz à Marseille. Tout ça ne se limite pas au jazz bien
entendu, mais vous n’en serez informés que dans Jazz Hot, la revue
incorrecte par excellence. |
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