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Airelle Besson © André Henrot


Airelle BESSON



Radio One


Airelle Besson est de ces jeunes instrumentistes qui retiennent l’attention: celle des amateurs de jazz par la qualité de son jeu et celle des médias par l’accumulation de prix et de distinctions diverses. Airelle Besson, née le 23 mars 1978 à Paris, a suivi une formation pour le moins académique: le conservatoire du 20e arrondissement, puis –après un intermède britannique de trois ans–, le conservatoire du 10e arrondissement (avec Roger Guérin), des études de musicologies à La Sorbonne, des prix de trompette et de violon et un passage par le Conservatoire National Supérieur de Musique et de danse (CNSM) dont elle sort diplômée en 2002.

L’institution lui donne accès à la scène internationale et lui permet d’effectuer une tournée prestigieuse avec le sextet féminin Sisters in Jazz, en 2001, avec lequel elle se produit, entre autres, au Kennedy Center de Washington. De même, on la retrouve dans les formations de ses anciens professeurs (François Jeanneau, Riccardo Del Fra) ou aux côtés de musiciens évoluant dans le circuit des musiques actuelles et du jazz (Laurent Cugny, Eric Barret, Fred Pallem, Bruno Reigner, Didier Levallet, Antoine Hervé, François Laudet). Pour autant, en musicienne accomplie, elle sait mettre sa belle sonorité au service d'un jazz plus enraciné, comme on a pu l’entendre en février dernier où elle partageait la scène avec René Urtreger et Pierrick Pédron.

Après un joli album en duo avec Nelson Veras, g (Prélude, Naïve, 2014), elle s’oriente, avec son nouveau projet en quartet, Radio One (Naïve), vers une musique actuelle plus éloignée de l’idiome jazz (cf chroniques CD). Une orientation dans la logique d'un parcours éclectique assumé («la musique») où la multiplicité de ses rencontres la ramène parfois au jazz.

On pourra l’entendre cet été à Montreux, au North Sea Jazz Festival (Pays Bas) ou encore à Marseille (Jazz des Cinq Continents, le 28/7). 

Propos recueillis par Jérôme Partage
Photos de André Henrot et Guy Reynard
Discographie et vidéos par Guy Reynard


© Jazz Hot n°676, été 2016


Jazz Hot: Vous avez commencé l’apprentissage de la trompette dès 7 ans…

Airelle Besson: Je ne sais toujours pas pourquoi j’avais cette envie de jouer de la trompette. C’était une idée fixe depuis l’âge de 4 ans. Mon père voulait m’orienter vers la harpe celtique. Il m’emmenait à des concerts, mais je ne changeais pas d’avis. C’était la trompette ou rien. Mais il a fallu attendre que j’aie mes dents définitives pour commencer à en jouer.  Et je suis entrée au conservatoire du 20e arrondissement. A 9 ans, je me suis également mise au violon car mon père y tenait –mon grand-père ayant été violoniste pendant quelques temps. On habitait alors dans les îles Orcades, au nord de l’Ecosse. Après trois ans passés au Royaume-Uni, j’ai intégrée le conservatoire du 10e arrondissement où j’ai fait mes premiers pas dans le jazz avec Roger Guérin qui a été mon premier maître, pendant un an. Je faisais également partie du big band du conservatoire. Parallèlement, j’ai effectué mes premiers stages au Cluny Jazz Festival avec Jean-François Canape, Manuel Rocheman et Vincent Courtois. Mon père m’a fortement encouragé à m’orienter vers le jazz, pensant que j’aurais moins de liberté dans la musique classique.

Quels ont été vos premiers modèles ?

Je n’ai pas vraiment eu de trompettistes de référence quand j’ai débuté. Je n’écoutais pas particulièrement les trompettistes, en dehors de Chet Baker. En fait, j’écoutais les musiciens en fonction de mes cours. C’est venu plus tard, avec Tom Harrell. J’ai d’ailleurs eu l’honneur de partager la scène avec lui récemment. C’était très émouvant.

Et vous avez poursuivi votre cursus jusqu’au CNSM…

Avant cela, j’ai fréquenté quelques écoles privées –l’ARPEJ, l’IACP–, ensuite j’ai effectivement intégrée le CNSM en 1999. Là, j’ai eu comme professeurs François Jeanneau, puis Daniel Humair, Glenn Ferris, Riccardo Del Fra, Hervé Sellin, François Théberge. C’était de belles années de rencontres.

Vous avez également côtoyé Wynton Marsalis. En quelle occasion?

L’année où le CNSM accueillait la réunion annuelle de l’International Association for Jazz Education (IAJE) –qui n’existe d’ailleurs plus. J’ai fait la connaissance du trompettiste Michael Rodriguez qui m’a invitée à venir à New York quelques mois après. Je suis alors tombée amoureuse de New York, et j’ai voulu rentrer à la Juilliard School, mais je n’ai pas été prise. Toujours est-il qu’avant de partir, Hervé Sellin m’avait donné les coordonnées de Wynton en me disant d’aller le voir pour prendre des cours avec lui. Je suis donc allée le rencontrer au Lincoln Center. C’était très intéressant; ça relevait plus de la philosophie que de la pratique de l’instrument. Il m’a demandé de jouer un solo, et je lui ai joué un solo de Tom Harrell. Alors, il m’a demandé que je lui joue plutôt du Charlie Parker, ou quelque chose de ce genre. Mais quand je lui ai répondu que je ne les avais pas appris, il m’a dit: «Tu devrais apprendre à jouer les solos de Charlie Parker, à l’endroit, à l’envers, dans tous les sens.» Après quoi, il a abordé des questions plus larges qui m’ont laissée sans voix. On s’est retrouvés quelques temps après, lors d’un festival en Espagne et, dès qu’il m’a vu, il m’a demandé: «Est-ce que tu as pensé à la question que je t’avais posée?» J’étais comme foudroyée. Je trouvais incroyable qu’il s’en souvienne encore.

Ingrid Jensen a également participé à votre formation…

Je l’ai rencontrée grâce à François Théberge. Je lui ai demandé, à l’issue d’un de ces concerts, si je pouvais prendre un cours avec elle. C’était formidable! Elle m’a donné des bases techniques précieuses que je suis encore aujourd’hui.

Quels ont été vos premiers engagements professionnels?

Quand j’avais 16 ou 17 ans, je suis entrée dans un groupe de filles, de salsa, Les Rumbanana. Elles cherchaient une trompettiste et, comme il y en a peu –encore aujourd’hui d’ailleurs–, elles sont venues me trouver. C’était ma première expérience professionnelle. La salsa était très à la mode à ce moment-là, et on a même été l’orchestre de «La Grosse Emission» sur la chaîne Comédie! C’était pendant mes années aux CNSM: après les cours, je filais au studio pour le direct. J’ai aussi participé à plusieurs big bands: celui de François Laudet, celui d’Antoine Hervé ou celui de Laurent Cugny. En 2001, j’ai été sélectionnée pour faire partie d’un sextet international de femmes, Sisters in Jazz, avec l’Américaine Kimberly Thompson (dm) –qui jouait déjà avec Mike Stern et Kenny Barron–, l’Allemande Sandra Hempel (g) et les Canadiennes Tara Davidson (as), Laila Biali (p) et Karine Chapdelaine (b). C’est une dame, croisée quand le CNSM accueillait cette rencontre internationale des écoles de jazz, qui m’a incitée à me présenter. J’ai donc envoyé un dossier de candidature aux Etats-Unis. Mais un mois après, elle m’a contactée pour me dire qu’ils n’avaient rien reçu. Elle m’a alors donné rendez-vous pour leur jouer de la trompette au téléphone, mais c’était à 6h du matin à l’heure française! Ça m’a permis d’effectuer une tournée de trois semaines à travers l’Europe, du North Sea  Jazz Festival à Vitoria, en passant par Vienne. On s’est également produites au Mary Lou Williams Jazz Festival à Washington et à New York pour une semaine de résidence. C’était une expérience incroyable! On avait une vingtaine d’années, et on se retrouvait projetées dans les plus grands festivals.

Vous avez également appartenu au Lady Quartet de Rhoda Scott, avec Sophie Alour et Julie Saury…

Oui. Le groupe est né à Vienne en 2004. Je crois qu’il y avait eu un désistement pour la soirée consacrée au jazz féminin, et le quartet a été monté comme ça. Mais je m’en suis retirée, par manque de disponibilité et aussi parce que je ne fais pas de la musique en tant que femme. Je n’ai jamais voulu mettre ma féminité en avant. Ce qui compte, c’est la musique!

Quand avez-vous créé votre propre formation ?

J’étais dans la même promotion que Sylvain Rifflet (ts) au CNSM. On s’entendait très bien musicalement, et on a donc décidé de monter un groupe ensemble, avec un autre copain de promo, Pierre Durand (g). Dans la première version du groupe, il y avait également Sébastien Boisseau (g) et Nicolas Larmignat (dm). Ça a d’abord été un co-leadership avec Sylvain, puis il a été décidé de fonctionner de façon collégiale. Je me suis alors sentie moins en phase avec la direction qui a été prise, qui privilégiait trop les machines.

Airelle Besson et Nelson Veras, Vauvert 2015 © Guy Reynard

Vous avez également enregistré en duo avec Nelson Veras, Prélude, en 2014…

C’est une longue collaboration entre nous. Ça doit faire quatorze ou quinze ans qu’on se connaît. Mathieu Chazarenc  (dm) et Daniel Yvinec (b) nous avaient proposé de jouer ensemble au club Autour de Midi. J’ai été ébahie par Nelson, je voulais absolument qu’on rejoue ensemble. Pendant des années, on a juste travaillé tous les deux, chez lui ou chez moi, avec un métronome, à bosser des thèmes. Progressivement, on nous a demandé de jouer ensemble, et on s’est produits en duo. Je parlais aussi à Nelson de l’idée d’enregistrer, d’autant que les gens nous réclamaient le disque à la fin des concerts. Je voulais qu’on se retrouve dans un contexte acoustique, comme un concert, pas dans un studio où chacun est dans sa cabine. Je voulais être dans l’esprit musique de chambre.

Votre nouvel album, Radio One, est radicalement différent…

Je souhaitais monter ce projet depuis quatre ou cinq ans et collaborer avec Benjamin Moussay (p) et Fabrice Moreau (dm). En revanche, j’ai pris plus de temps pour trouver la chanteuse. Au départ, j’avais pensé à Youn Sun Nah mais elle était déjà très prise. Et finalement, j’ai trouvé la Suédoise Isabel Sorling en 2014. Dès qu’elle a accepté, on a commencé les répétitions. Ensuite, j’ai obtenu une résidence à Coutances, et on a présenté le groupe en création au festival, l’année dernière. Dans la foulée, on a enregistré l’album.

Vous donnez par ailleurs des «ciné-concerts»…

J’ai commencé il y a quelques années sur un film de Charlie Chaplin. En 2012, j’ai reçu une commande de l’Orchestre National de Lyon pour écrire une musique sur Loulou de Pabst, un long-métrage muet de 1928. Et plus récemment, j’ai composé pour trois courts métrages de 1917, Fatty se déchaîne, où je suis accompagnée d’une formation assez moderne avec un accordéoniste, un batteur-percussionniste et un D.J. Mais malheureusement, on ne tourne pas beaucoup avec ce projet. Sinon, j’aime bien écrire de la musique d’après image.

Vous composez beaucoup?

De plus en plus. J’adore ça. Quelle que soit la formation –duo, quartet, orchestre symphonique–, c’est la texture sonore qui est l’élément le plus important avec la mélodie. Ce qui compte aussi c’est la façon dont les musiciens vont interpréter ma musique. J’écris donc souvent sur mesure car je sais comment ça va sonner. Mais c’est compliqué de tout mener de front: l’instrument, les concerts, la composition, l’administratif, la vie personnelle… Cela nécessite une bonne organisation. Heureusement, j’ai suivi, il y a quelques années, une formation de direction d’orchestre qui m’a notamment appris à établir des hiérarchies. Ce qui, outre la concentration, est indispensable pour apprendre par cœur des symphonies de Beethoven ou de Haydn. Cela m’a beaucoup aidé dans tout ce que j’ai entrepris.

Vous jouez également les standards?

Je les ai beaucoup joués pendant mes études, cela faisait partie de ce qu’on devait apprendre au conservatoire et au CNSM. Sinon, avec Nelson, au début, avant qu’on ait des compositions, on jouait les standards. Et même encore aujourd’hui, on en glisse toujours un ou deux dans nos concerts. J’aime beaucoup ça. Ce sont des mélodies, de belles formes. Mais j’ai moins l’occasion d’en jouer aujourd’hui. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai fait partie de ces musiciens qui jouent les standards, notamment avec le Vintage Orchestra. J’aime beaucoup cette famille de musiciens. On joue peut-être des partitions différentes, mais je ne vois pas de clivage dans la musique.

Quels sont les éléments constitutifs du jazz?

Pour moi, c’est l’improvisation autour d’une mélodie qui définit le jazz. Par ailleurs, j’ai subi des influences diverses par les expériences que j’ai eues dans la musique classique, la pop ou la musique contemporaine. Et je me suis nourrie de tout ça. Je suis donc certainement à la frontière de ces musiques-là mais, encore une fois, je n’entends pas de barrière. Ce sont ces influences qui donnent au jazz actuel toute sa créativité et sa vitalité.

CONTACT: www.airellebesson.com

DISCOGRAPHIE

Leader
CD 2005-06. Rocking Chair, Chief Inspector 200708 (coleader Sylvain Rifflet)
CD 2009. Filgrane, Métisse
CD 2011. Rockingchair, 1:1, Enja/Yellowbird 7717-2 (coleader Sylvain Rifflet)
CD 2014. Prélude, Naïve NJ902675 (duo avec Nelson Veras)
CD 2016. Autour de Chet, Verve (coleader)
CD 2016. Radio One, Naïve

2014. Prélude2016. Autour de Chet

2016, Radio One







Sideman
CD 2000. Rumbanana, Ça, ça m’fait peur, Damm
CD 2001. À Suivre Xtet-Bruno Reigner, Paris-Calvance, Yolk, 20
CD 2004. Alban Darche/Le Gros Cube, La martipontine, Yolk 2021
CD 2004. Eric Barret, My Favorite Songs, Blue Marge 1008
CD 2005. Tom & Joy, Antigua, Yellow productions
CD 2006. Didier Levallet, Songes et Silences, SansBruit
CD 2006. Jeanne Balibar, Slalom Dame, Naïve
CD 2006. Gabor Winand, Opera Budapest, BMC
CD 2006. Jean-Christophe Cholet – Diagonal, Slavonic Tone, Naïve
CD 2007. Le Gros Cube VS Katerine, Le Pax, Yolk 2030
CD 2007. Sarah Murcia , Caroline, Label Bleu
CD 2008. Magic Malik Orchestra, Saoule, Label Bleu
CD 2008. Le Gros Cube, Polar Mood, Yolk 2039
CD 2009. Lo Jo, Cosmophono, Wagram
CD 2009. Las Ondas Marteles, On Da Rocks , Because Music
CD 2011. Ornette, Crazy, Discograph
CD 2012. Hugh Coltman, Zero Killed, Wagram
CD 2013. Didier Levallet, Voix Croisées,  Fremeaux & Associés
CD 2014. Riccardo del Fra, My Chet My Song, Cristal Record 229
CD 2014. Metronomy, Love Letters, Because Music
CD 2015. Michel Godard et Le Miroir du Temps, A Serpent's Dream, Intuition
CD 2016. Sophie Darly, Twelve Secrets of a Lady, Accords Idées


VIDEOS

2009 Michel Portal invite Airelle Besson & Sylvain Rifflet au Duc des Lombards
https://www.youtube.com/watch?v=LOP31dkh2zE


CD 2010 Concert en duo, Siegfried Courteau-Airelle Besson
https://www.youtube.com/watch?v=rwm4how1Qz0


2014 Airelle Besson, Nelson Veras | Prelude
https://www.youtube.com/watch?v=pBi6sBsaEDo


2014 Airelle Besson Nelson Veras duo
https://www.youtube.com/watch?v=1t2POEn3IPk


2016 Airelle Besson-Radio One (EPK)
https://www.youtube.com/watch?v=j_JlKyFpvZk

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