Chroniques CD-DVD |
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2015
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René Bottlang & Andy McKee
Autumn in New York
Loulou Opus 1, Allergie, Mélodie
Quantique, Exhibit, Softly, Infusion, Times Like This, Transfusion,
If not Now, Crazy Eights, Loulou Opus 2, Crossover, Skyline Blues
René Bottlang (p), Andy McKee (b),
Oliver Lake (as), Vic Juris (g), Billy Hart (dm)
Enregistré les 30 novembre et 1er
décembre 2012, New York
Durée : 59' 03''
Ajmi Series 24 (Absilone/Socadisc)
Ah ! le son de ces gars-là !
Ce sont des amoureux du beau son, de grands improvisateurs se jouant
des plus grandes complexités harmoniques, s’en jouant et les
jouant comme si c’étaient des chansons. Des musiciens traversant
le free avec quelque chose à jouer, peu intéressés par les
prouesses techniques, et pourtant leur technique est grande,
justement ; elle reste au service de l’expression. Dans ce disque on a affaire avec des
duos, des trios, des quartettes, des quintettes. C’est donc un
groupe à géométrie variable, mais le disque est construit comme
une œuvre totale, chaque morceau en étant, en somme, un mouvement,
pour comparer avec la musique classique.
On entre dans l’œuvre par « Loulou
Opus 1 », une improvisation collective des cinq musiciens, et
d’emblée on est pris, improvisation si pleine et si expressive
qu’on pourrait la croire écrite. On retrouve le côté minimaliste
de Bottlang avec sa force expressive, le gros son, la puissance de
Lake, si bien que son alto sonne comme un ténor, la pureté et
l’inspiration de McBee à la contrebasse, les envolées fluides de
la guitare de Juris, et le soutien au cordeau de la batterie de Billy
Hart qui donne toute sa respiration au groupe. C’est parti !
Il n’y a plus qu’à se laisser emmener.
« Allergie » est un trio
avec une pulsation endiablée ; Bottlang a mis un tigre dans son
piano, une main gauche époustouflante derrière une droite
rebondissante. « Mélodie Quantique » est un
splendide duo en contrepoint piano-contrebasse. « Exibit A »
en quartette dans un fonctionnement free avec la basse qui assure la
pulse, et le guitariste qui part dans des envolées fulgurantes.
« Softly » autre duo basse-piano à fendre l’âme,
l’entente basse-piano est exemplaire. « Infusion », duo
piano sax : des choses à exprimer dans la beauté des sons.
« Time Like This », allusion au « Tie Like This »
d’Armstrong ? un quartet avec section rythmique et sax, les
allées dans le grave du piano vous donne le frisson. « Transfusion »
est un duel piano-guitare, et c’est la musique qui gagne. « If
not Now » est peut-être le plus beau morceau du disque. C’est
un duo basse-piano C’est une sorte de barcarolle, la beauté
sublimée dans un chant à deux voix. « Crazy Eights » en
quartet, section rythmique et sax, morceau ancré sur un ostinato
rythmique et typique du blues : un lyrisme fabuleux, à fondre
de plaisir. Dans « Loulou Opus 2 » improvisation du
groupe au complet, avec les mêmes qualités que « l’Opus
1 ». Sur « Crossover » la guitare et le piano sont
en dialogue convergeant, avec un batteur aux anges qui fait de la
musique avec ses tambours et cymbales à l’unisson de ses
collègues, et un sacré contrechant de la contrebasse. Le disque se
termine par un nouveau duo piano-contrebasse, « Skyline
Blues », un blues pris sur un rythme tango ; une
expression harmonique confondante de beauté. Et les échappées
chères à Bottlang. Vive le tango-blues !
La multiplicité des formations donne à
priori de la variété, ce qui en soit serait mineur, mais l’unité
de l’œuvre est parfaite. Un souffle afro-américain, même si tous
les musiciens ne sont pas issus de cette communauté. Plus qu’un
« Automne à New York » c’est un printemps du jazz.
Serge Baudot
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Guy Davis
Juba Dance
Lost Again, My Eyes Keep
Me in Trouble, Love Looks Good on You, Some Cold Rainy Day, See That
My Grave Is Kept Clean, Dance Juba Dance, Black Coffee, Did You See
My Baby, Satisfied, That’ No Way to Get Along, Saturday Blues,
Prodigal Son, Stateboro Blues
Guy Davis (g, bjo, voc,
hca, cowbell, tambourine, foot stomp), Fabrizio Poggi (hca, voc), The
Blind Boys of Alabama (voc), Lea Gilmore (voc)
Enregistré à Bergame
(Italie)
Durée : 54' 35''
Dixiefrog
8738 (Harmonia Mundi)
Pour qui aime la tradition,
notamment du blues, cet album lui est particulièrement dédié. Guy
Davis n’en est pas à son premier essai. Juba Dance constitue
son huitième album. En 1995, il sortait Stomp Down Rider etdepuis lors, sa route allait croiser de nombreuses
références de la scène musicale comme Olu Dara (You Don’t
know my Mind) ou Ian Anderson (Give in kind).Avec ce dernier opus, le guitariste plonge son auditoire
au cœur du Delta. L’instrumentation est des plus rudimentaire et
principalement acoustique. Dire que le meilleur moment se situe avec
« See That my Grave Is Kept Clean » et la présence des
Blind Boys of Alabama semble évident. Mais avant d’en arriver à
ce summum, Davis et Fabrizio Poggi (hca) délivrent de petits
bijoux. Tout commence avec « My Eyes Keep Me in Trouble »
de Muddy Waters, un blues bien enlevé. Puis, il offre un océan de
tendresse avec un background émouvant de Poggi en hommage à
d’anciens amis (« Love Looks Good on You »). Sur « Some
Cold Rainy Day », il invite la chanteuse de Gospel, Lea
Gilmore, à venir le rejoindre sur cette composition de Bertha
Chippie Hill. Un doux moment encore. Enfin, revient le temps de
remettre en lumière le travail de John Lee Hooker. Avec « Black
Coffee », Mister Boom Boom reprend vie. Les phrases scandées
par Davis portent au plus profond tandis que l’harmoniciste de
déchaîne sur son instrument. L’album se termine avec une
référence à Blind Willie Mc Tell et son « Statesboro Blue »
histoire de rappeler que Guy Davis joue du Blues.
Michel Maestracci
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Dana Fuchs
Live in NYC
Almost Home, Hiding from Your Love,
Lonely for a Lifetime, Baby Loves the Life, Bleed More, Cool Enough,
Songbird (Fly Me to Sleeep), Bible Baby, God’s Song, Misery, Strung
Out, Bad Seed, I’d Rather Go Blind, Helter Skelter
Dana Fuchs (voc), Jon Diamond (g, hca,
voc), Ben Stivers (org, p), Whynot Jaansveld (b), Dave Johnson (dm)
Enregistré à New York
Durée : 1h 19' 54''
Autoproduit (www.danafuchs.com)
Dana Fuchs
Bliss Avenue
Bliss Avenue, How Old Things Get this
Way, Handful too Many, Livin’ on Sunday, So Hard to Move, Daddy’s
Little Girl, Rodents in the Hatic, Baby Loves the Life, Nothin’ on
My Mind, Keep on Walkin’, Vagabond Wind, Long Long Game
Dana Fuchs (voc, perc), Jon Diamond
(g), Jack Daley (b), Shawn Pelton (dm), Glenn Patscha (org, elp,
key, p), Tabitha Fair, Nicki Richards (voc)
Enregistré à New York
Durée : 48' 09''
Ruf Records 1191 (Harmonia Mundi)
Dana Fuchs vient de sortir Bliss
Avenue, son troisième album et il serait temps de la mettre en
avant dans notre cher pays. La plus jeune d’une fratrie de six
enfants a grandi en Floride, version rurale de l’Etat. Que ce soit
le rock de ses frères dans le garage, le tourne disque de ses
parents, fans de Ray Charles et Hank Williams, la musique était
omniprésente chez elle. A 12 ans, la jeune fille intègre le First
Baptist Gospel Choir dans une petite église afro-américaine à la
périphérie de la ville pour chanter, les éloges du Seigneur. La
voie était tracée, après des gigs dans un Holiday Inn de la
région, Dana, à 19 ans, migre pour New York afin de réaliser son
rêve. Là, elle rencontre très vite son partenaire actuel, Jon
Diamond (g), et ensemble ils forment le Dana Fuchs Band. C’est
ainsi qu’ils écument les clubs de blues de New York y rencontrant
des monstres comme James Cotton ou Taj Mahal. Sa réputation arrive
aux oreilles des producteurs de Broadway qui la sollicitent pour une
audition. Comme de bien entendu, elle est retenue pour chanter Janis
Joplin dans Love Janis, la comédie musicale. Forte de cette
expérience, elle sort son premier opus Lonely for a Lifetimeavant de migrer vers le grand écran où elle joue dans le film Across the Universe, en 2007. L’année suivante elle sort
son Live in NYC. Dire qu’elle met le feu ce soir-là dans le
club du maître du blues, BB King, est un doux euphémisme. Dès les
premières notes de « Almost Home » distillées par la
guitare de son comparse on entend toute la profondeur de son âme
naviguer en direction du public. Un désir de toucher en plein cœur
son auditoire. L’émotion monte crescendo et la guitare de Diamond
prend avantageusement le relais pour distiller sa dose de good
vibrations. Cette mise en bouche faite, le Dana Fuchs Band se
transforme en Big Brother and the Holding Company. « Lonely for
a Lifetime » possède des résonances "stoniennes"
tandis que la voix de Dana déchire l’atmosphère. Le Band est
lancé et plus rien ne peut l’arrêter si ce n’est une réflexion
sur « Baby Loves the Life », peut être un hommage à sa
sœur tragiquement disparue. Ce morceau se retrouve astucieusement
sur Bliss Avenue avec une introduction acoustique et toujours
autant d’émotions. Pour ce troisième album, après Love to Begsorti en 2011, la jeune femme continue d’explorer les
différents méandres du blues. Et sa voix reste toujours autant
prenante que ce soit sur des thèmes vigoureux (« How Did
Things Get this Way »), entraînants (« Livin’ on
Sunday »), en mettre en relation avec sa période du Gospel
Choir, ou plus profonds encore, comme cette prestation sur « So
Hard to Move ». Dana Fuchs fait le lien entre les périodes
hippie de Janis, le côté rebelle des Stones la sensualité
exacerbée distillée par les labels Motown/Stax et la modernité
blues chère à un Joe Bonamassa (« Keep on Walkin’). Deux
petites pépites à se procurer avant d’aller découvrir le
phénomène Dana Fuchs sur scène. Un concert à ne manquer sous
aucun prétexte tant l’histoire de la musique afro-américaine peut
se résumer avantageusement avec cette nana là.
Michel Maestracci
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Great Black Music (1927-1962)
Titres indiqués
sur le livret Blind Blake, Blind Willie
Johnson, Art Tatum, Mills Bros, Robert Johnson, Fats Waller, Billie
Holiday, Duke Ellington, Jelly Roll Morton, Solomon Linda, Count
Basie, Bukka White, Una Mae Carlisle, Charlie Christian, Big Joe
Williams, Louis Jordan, Nat King Cole, Pérez Prado, Luiz Gonzaga,
Charlie Parker, Earl Hines, The Swallows, Esther Phillips, Blind
Blake & his Royal Victoria Hotel Calypso Orchestra, Dinah
Washington, Thelonious Monk, Big Mama Thornton, The Robins, Cortijo,
Muddy Waters, Ray Charles, Blind Boys of Alabama, Bo Diddley, Richard
Berry, Louis Armstrong, Bienvenido Granda, Harry Belafonte, Mahalia
Jackson, James Brown, Chuck Berry, Screamin’ Jay Hawkins, E.T.
Mensah, Sun Ra, Count Lasher, Grand Kalle, Tito Puente, Miles Davis,
Celia Cruz, Little Richard, John Lee Hooker, Aretha Franklin, John
Coltrane, John Davis, Rev. Gary Davis, Howlin’ Wolf, BB King,
Franko & TP OK Jazz, Eric Dolphy, Miriam Makeba, Mongo
Santamaria, Charles Iwegbue, Lightnin’ Hopkins, Nemours
Jean-Baptiste, Tabu Ley Rochereau, Dr Victor Olaiya, Quincy Jones,
Solomon Burke, Bob Marley.
Enregistré de 1927 à 1962,
Chicago, New Orleans, New York, San Antonio, Hollywood, Johannesburg,
Mexico City, Rio de Janeiro, Los Angeles, Nassau, Puerto Rico,
Cincinnati, Accra, Kingston, Bruxelles, Englewood Cliffs, Kinshasa,
La Havane, Lagos, Houston, Port-au-Prince, Bogota
Durée :
3h 40'17''
Frémeaux & Associés
5456 (Socadisc)
Great Black Music !Great est une
affirmation, un jugement de valeur. La musique peut-elle être noire
ou d’une quelconque couleur ? Qu’est-ce que la musique ?
C’est l’ « Art de combiner les sons d’une manière
agréable à l’oreille ». Cette définition (Larousse
Universel, 1923) associe un procédé (objectif, mais imprécis) et
un ressenti (subjectif). Le son a-t-il une couleur ? Le son est
une mise en vibration, c’est à dire un phénomène physique qui
résulte d’un mouvement rapide de part et d’autre d’une
position d’équilibre de molécules. Cette vibration propagée dans
l’air en onde parvient à l’oreille des mammifères et
(perception chez les bien-entendant) donne une sensation (le son).
Chaque individu aura sa sensation (et l’interprétation qu’il en
donnera), étant connu aujourd’hui (IRM fonctionnelle) qu’il n’y
a pas deux cerveaux identiques en terme de connexion des neurones
(même chez les vrais jumeaux). C’est la réalité où le rêve n’a
pas de place. Cette vibration n’a pas de couleur (impression que
fait sur l’œil la lumière réfléchie par les corps). Le
vocabulaire des langues étant limité, on entendra les musiciens
parler de façon imagée (et impropre) de « couleur de son ».
Lorsque Maurice André dit qu’en utilisant le cornet, Berlioz
voulait « une couleur », il s’agit du timbre
caractéristique d’un instrument. Lorsqu’en improvisation, on
parle d’une « note de couleur », il s’agit d’un
procédé (choix d’une note en dehors de l’harmonie) pour créer
un effet (de perception). Alors que veut-on dire ici ? Il
semblerait que l’on considère une (des) musique(s) chargée(s) «
de sensualité, de spiritualité, de liberté » (comme si les
« non noires » ne peuvent donner ces interprétations de
l’esprit). Bien sûr, nous sommes dans une période (politiquement
et commercialement) de formatage au « métissage ».
Ce
que les sympathiques naïfs ignorent c’est que ce militantisme a
d’abord été conçu par des pro du marketing. Le métissage doit
conduire (en théorie) à des « individus uniques » qui
consommeraient de la même manière. Dans ce contexte, l’exposition
éponyme à la Cité de la Musique à Paris (qui s'est tenue du 11
mars au 24 août 2014) a eu le succès attendu avec 80 000 visiteurs.
Ce coffret de 3 CD est destiné à illustrer le sujet. Le livret de
Bruno Blum ne brille pas par sa cohérence. Il ne le peut pas,
puisque, nous l’avons vu, le sujet n’est pas fondé. Il ne semble
pas comprendre l’arrière-pensée politique derrière l’expression
« Black Music » qui efface la composante blanche du
« métissage ». Ces « musiques noires déclinées
en une myriade de styles » (p.7) donnent un résultat
hétérogène à ce coffret même si tout est parfaitement
intéressant. S’il y a des « racines des musiques noires »
(on n’en fait ni énumération, ni analyse) c’est leur rencontre
avec le Portugal, l’Espagne, etc, donc avec « les Européens
et les Américains blancs, dont les expressions musicales étaient
souvent empêtrées dans des attitudes cérébrales, guindées »
(p.6-7) qui fait une différence entre ces « musiques noires ».
Chacun peut constater derrière la conviction béate, un dérapage
raciste. D’où le besoin d’affirmer (et non de démontrer), p.6,
que « la catégorisation raciale des musiques est liée à un
contexte social, non racial…la catégorie noire est une catégorie
discursive » ! Discursif, mot à la mode, a plusieurs
sens : « qui se déduit logiquement » (pas ici) ou
« qui se disperse, s’éparpille » (plus volontiers
ici). Cette affirmation est de suite suivie d’une citation raciste
de Patrick Lozès qui s’en prend à l’utilisation de mots ou
expressions qui l’on doit bannir : « de couleur »,
« Nègre » (oubliant la nuance anglaise entre Negro et
nigger), « Black » (qui figure dans le titre de ce
travail !). De quel droit ces terroristes pseudo-intellectuels
d’aujourd’hui parlent-ils au nom des Noirs d’hier comme Alan
Locke (New Negro),
Duke Ellington (« Black Beauty »). Comme par hasard, dans
le chapitre sur le jazz, c’est Amiri Baraka que l’on cite,
individu dont le racisme a été démontré par l’accumulation de
faits relatés par Jean Szlamowicz (voir Jazz Hot n°666). Il n’y a
ici aucune analyse musicale pour démontrer des éléments
objectivement communs à ces « musiques noires », ce que
les cultures africaines ont pu laisser dans ces genres. L’aspiration
est « la culture mondiale » (p.6).
Mais « culture »
est le mot que l’on lâche quand on n’a pas d’arguments
précis : « ensemble des usages, des coutumes, des
manifestations artistiques, religieuses, intellectuelles qui
définissent et distinguent un groupe, une société ». Une
définition pour le moins « ouverte », en tout cas
impossible à figer. De 1927 à 1962, les sociétés (noires ou pas)
ont muté dans tous les domaines que recouvre le mot culture. Reste
les genres expressifs illustrés dans cette compilation, du plus
grand intérêt. On aurait pu réduire le texte pour donner l’espace
au personnel complet des orchestres sélectionnés (qui joue le solo
de sax ténor CD2, titre 4 ?). On constate qu’il n’y a pas
d’exemples de musiques africaines traditionnelles. Passer du
sympathique « Azali » par Franco & le Tout Puissant
OK Jazz du Congo à « Miss Ann » par Eric Dolphy/Booker
Little est une démonstration que les résultats acoustiques
objectifs n’ont rien à voir (CD3). En revanche, le titre gravé au
Ghana (E.T. Mensah, sax-tp) vers 1952 illustre un genre africain
influencé par le jazz. De même à Porto Rico, vers 1956,
l’influence du jazz est nette (Cortijo y su Combo). On constate que
la majorité des titres retenus relève des étiquettes blues, jazz,
rhythm’n blues. Passer de « Good Golly, Miss Molly »
par Little Richard à « Boogie Chillen » par John Lee
Hooker démontre une même famille expressive. De fait, par exemple
pour le CD1, se détache un territoire esthétique homogène avec
Blind Bake (1927), Art Tatum, Mills Brothers (influence Armstrong),
Fats Waller, Billie Holiday (solo Lester Young), Duke Ellington (avec
Juan Tizol), Jelly Roll Morton (avec Sidney Bechet), Count Basie
(solo Lester Young), Una Mae Carisle (solo Lester Young), Charlie
Christian, Louis Jordan, Nat King Cole, Earl Hines, Little Esther. Ce
qui est amusant, c’est que le styliste du sax ténor le plus
illustré, Lester Young, est d’essence la plus "blanche".
Hors jazz, la Sonora Matancera de Cuba a un "son"qui lui est propre. Le « Mbube » sud-africain (1939)
deviendra un succès des variétés. Ce coffret réunis des
expressions musicales variées et d’écoute facile (easy listening)
en d’autres termes c’est une compilation riche de musiques de
variétés (que subjectivement je qualifierai de qualité).
Michel Laplace
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Robert Jeanne Quartet
Awè Valet
Awè Valet, Easy Living,
Hello My Lovely, High on You, Just After Being Friends, Morning Fast,
My Ship, Vignette
Robert Jeanne (ts), Mimi
Verderame (g), Werner Lauscher (b), Stefan Kremer (dm)
Enregistré en avril 2014
,La Louvière (Belgique)
Durée : 44' 11''
September 5175
(www.hanskustersmusic)
Robert Jeanne, musicien d’un
grand classicisme, il cite volontiers Stan Getz et Al Cohn en
références (« High on You »). Il est le lien inoxydable
entre la grande école liégeoise de l’immédiat
Après-Guerre (Raoul Faisant, Bobby Jaspar, Jacques Pelzer) et
la génération "conservatoire"
qui suivit. Modeste, cet architecte professionnel, amoureux du beau
son (« Easy Living ») ne s’est jamais précipité dans
les studios. Comme sideman, il enregistra avec Solis Lacus (1974),
Saxo 1000 (1980) et l’Act Big Band (1981) avant de signer un
premier LP à son nom en 1983 (Jazz Cats). Suivront : Robert Jeanne Quartet pour B.Sharp en 1992 et Blue
Landscapes en 2003 chez Igloo. Nous n’irons pas jusqu’à dire
qu’à 82 ans le présent album est son testament musical. Non, je
ne l’ai pas dit et encore moins écrit car l’artiste reste encore
bien présent comme spectateur et comme jammeur tant au Pelzer Jazz
Club de Liège qu’au Sounds de Bruxelles. Ce sont les ballades
qu’il négocie le mieux (« My Ship ») – bien mieux
que les virages sur le verglas (j’en sais quelque-chose) !
Fidèle des fidèles, Mimi Verderame (g) est le compagnon de parcours
de Robert Jeanne depuis plus de trente ans. Comme batteur il est
abondamment sollicité par tous les solistes, qu’ils soient Belges
ou seulement de passage. Compositeur-arrangeur, il est aussi un
excellent guitariste largement influencé par René Thomas. Moins
rugueux que son maître, il lui a emprunté quelques bouts de
phrases, comme ici, dans « Just After Being Friends ».
Pour compléter le quartet, on appréciera Stefan Kremer, batteur
d’Aix-la-Chapelle (« Morning Fast ») et le
luxembourgeois Werner Lauscher (b) (« Vignette »). Un bel
opus ! A mettre entre toutes les mains !
Jean-Marie Hacquier
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David Krakauer
Checkpoint
Kickin’ It for You,
Krakowsky Boulevard, Tribe Number Thirteen, Checkpoint Lounge, Elijah
Walks In, Moldavian Voyage, Synagogue Wail, Border Town Pinball
Machine, Tandal, Tribe Number Thirteen
David Krakauer (cl), Sheryl
Bailey (g), Jerome Harris (b), Michael Sarin (dm), Keepalive
(sampler), John Medeski (org), Marc Ribot (g), Rob Curto (acc)
Enregistré à New York,
Fall River (Massachusetts), date non précisée
Durée : 51' 00''
Label Bleu 09743 (L’Autre
Distribution)
David Krakauer développe la
musique qui est la sienne, dans une veine de klezmer-rock où la
clarinette ancre la musique dans une tradition tandis que les
habillages sonores électriques constituent un cadre qui se situent
aux antipodes. La réalisation est convenable, avec une énergie
indiscutable et un son d’ensemble maîtrisé. L’appréciation de
cette esthétique et de ce qu’elle exprime sera l’affaire de
chacun. Il n’y a pour nous que racolage et mauvais goût :
l’ambiance de boîte de nuit et de défoulement électrique calculé
à base d’artifices ne nous paraît guère en phase avec la chaleur
expressive de la clarinette ou avec son histoire.
Jean Szlamowicz
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Nathalie Loriers / Tineke Postma / Philippe Aerts
Le Peuple silencieux
Canzocina, Lennie Knows,
Dinner with Ornette and Thelonious, Les Peuple des silencieux, Funk
for Fun, How Deep Is the Ocean
Nathalie Loriers (p), Tineke
Postma (as, ss), Philippe Aerts (b)
Enregistré en août 2013,
Gaume (Belgique)
Durée : 1h 02’ 02’’
W.E.R.F. Records 120
(www.dewerfrecords.be)
Quand la meilleure des
saxophonistes hollandaises rencontre la meilleure des pianistes
belges et son compagnon, cela donne un très bel album. Souvenir pour
les uns, découverte pour les autres ! L’enregistrement public
donne une dimension ludique à l’art de Nathalie. On ressent bien
le plaisir partagé par les trois musiciens. « Canzoncina »
ouvre par une intro de la pianiste qui libère un joli thème, lance
un premier solo de contrebasse suivi par Tineke Postma puis une
accélération-accentuation de la pianiste. Tension puis détente,
thème, coda. Remarquables dans « Lennie Knows » :
les dialogues savoureux entre les artistes. La reprise suit l’appel
et la question appelle une réponse. La musique, limpide, suit son
cours. La mise en place est réjouissante. Solo d’alto puis piano
et basse. Magistral ! Après l’introduction à la basse,
l’exposé du thème, un solo de piano et un dialogue basse-soprano,
« Dinner with Ornette and Thelonious » débouche sur
des développements plus libres, quoique ! « Le Peuple des
Silencieux » se veut un hommage à Charlie Haden. Le morceau
débute par une très longue intro à l’alto, puis, après
l’exposition, Nathalie joue de sa profonde sensibilité avant
le solo de contrebasse qui sied à l’œuvre. Titre prémonitoire,
« Funk for Fun » se doit de revenir colorier les phrases
par des couleurs chaudes et Tineke s’y emploie avec beaucoup
d’aisance au soprano. Le solo de basse qui suit et qui est bien
audible souligne le propos juste de Philippe Aerts. Avec « How
Deep Is the Ocean » on savoure la force rythmique et la
complicité fusionnelle du couple Loriers-Aerts. Tineke se glisse
timidement dans leur étreinte. Philippe est impérial ! La
prise de son de Daniel Léon est inégalable pour le rendu de la
contrebasse (« Canzoncina », cordes claquées et accords
sur « Lennie Knows », « How Deep Is the Ocean »).
Ménage à trois ? Pourquoi pas ! A écouter sans
ménagement du lever au coucher … du soleil !
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Brian Lynch / Emmet Cohen
Questioned Answer
Cambios,
Dark Passenger, How Deep Is the Ocean, Buddy, Distant Hallow, I Wish
I Knew, Petty Theft, Just in Time, Questioned Answer
Brian
Lynch (p), Emmet Cohen (p), Boris Kozlov( b), Billy Hart (dm)
Enregistré
les 15 et 29 septembre, 20 octobre 2012, New York
Durée :
1h 13' 52''
Hollistic
MusicWorks 12 (www.hollisticmusicworks.com)
Brian
Lynch est bien connu comme ancien Jazz Messengers et pour son travail
avec Ray Barretto et Eddie Palmieri et, plus largement, pour sa
présence dynamique sur la scène du jazz ces trente dernières
années. Emmet Cohen fut parmi ses étudiants à l’Université de
Miami et ils concrétisent ici une collaboration en duo et en
quartet. Boris Kozlov, souvent entendu au sein du Mingus Big Band,
apporte une pulsation solide et nerveuse. Le drumming de Billy Hart
fait partie des références contemporaines depuis fort longtemps.
Aux frontières du swing et d’une ellipse en phase avec toutes les
audaces rythmiques, son style est particulièrement adapté à cette
musique, d’autant que sa sonorité à la fois sèche et chaleureuse
se marie parfaitement avec les stridences contrôlées de Brian
Lynch. Emmet Cohen est un pianiste agile qui s’exprime avec
maîtrise dans une veine contemporaine où l’on entend Herbie
Hancock et Chick Corea. L’ensemble est un peu sérieux et manque
sans doute de fantaisie mais c’est une musique dont les
compositions démontrent le soin architectural. Les trois standards
joués en duo sont le lieu d’une conversation sans limites
stylistiques où toutes les variations sont les bienvenues « How
Deep Is the Ocean », « I Wish I Knew » et « Just
in Time » permettent de jouer sur l’implicite et les
bifurcations harmoniques.
Jean Szlamowicz
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Roberto Magris
One Night With Hope and More... Vol. 2
Third
World, Young and Foolish, Sendai, Dianne, Mal Waldron’s Dreams,
Little Susan, Theme From The Odd
Couple, Burbank Turnaround, I Can’t
Give You Anything But Love, Whatever Possessed Me + Audio Notebook
Roberto
Magris (p), Elisa Pruett (b), Albert Tootie Heath (dm) + Brian
Steever (dm), Paul Carr (ts), Idris Muhammad (dm)
Enregistré
les 15 décembre 2009 et 1er novembre 2010, Lenexa
(Kansas) et le 6 décembre 2008, Los Angeles
Durée :
1h 03' 00''
J-Mood
Records 008 (www.jmoodrecords.com)
En
ouvrant cet album avec une composition de Herbie Nichols, l’Italien
Roberto Magris (accompagnateur de Herb Geller ou Tony Lakatos) fait
allégeance à l’une de ses influences majeures. On entendra au fil
des plages d’autres influences, notamment les fantômes de Kenny
Drew (« Dianne »), Mal Waldron, Horace Silver, Barry
Harris, Randy Weston, Sonny Clark, Red Garland, Elmo Hope, Andrew
Hill… Cela illustre les deux versants de sa musique, d’un côté
le caractère mélodique et swinguant du piano bebop « classique »
et de l’autre, les aspérités rythmiques et harmoniques de ses
développements durant les années soixante. Roberto Magris possède
une belle maîtrise de ce langage mais il en tire surtout tout le suc
poétique, par exemple avec un « Mal
Waldron’s Dreams » émouvant. Il est vrai qu’il
choisit de superbes compositions, souvent peu courues (Little Susan
de Randy Weston, Dianne ed Ken McIntyre) et toujours très
mélodiques. Il ajoute constamment l’indispensable épice bluesy à
cette musique nécessitant un jeu très rythmique. Il évoque même
Earl Hines sur un « I Can’t Give You
Anything But Love » très tonique avec la patte attentive et la
fluidité de Tootie Heath. Un pianiste d’une grande fraîcheur qui
revisite avec inspiration des univers qu’il sait faire sien.
Jean Szlamowicz
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Guillaume Nouaux / Tuxedo Big Band
Drumology
Titres communiqués
sur le livret
Guillaume
Nouaux (dm), Nicolas Gardel,
Mathieu Haage, Jérôme Etcheberry, Gilles Berthenet (tp), Olivier
Lachurie, Cyril Dubilé, Sébastien Arruti (tb), Paul Chéron (cl,
as, ts, arr), Stéphane Lourties (as), François Penot (ts, cl),
Stéphane Barbier (ts), Pierre-André Cuxac (bs, as), Didier
Datcharry (p), Henri Chéron (g), Pierre-Luc Puig (b), Nadia Cambours (voc)
Enregistré les 3 et 4 janvier 2014, Saint-Jean (31)
Durée :
Autoproduit TBB 107
(www.guillaumenouaux.com)
« Liza »
en hommage à Chick Webb ouvre le programme : Guillaume Nouaux à
la batterie, Paul Chéron à la transcription et le Tuxedo Big Band
avec Nicolas Gardel (lead tp). Impossible que ce ne soit pas une
réussite et c’en est une, avec, ici, en prime les solos de classe
de Gilles Berthenet (tp), Cyril Dubilé (tb). L’idée de ce CD,
« Drumology » (deuxième titre, hommage à Louie Bellson,
avec Gardel au lead !), est en elle-même très attrayante
puisque les baguettes sont tenues par un maître d’aujourd’hui et
un grand orchestre qui n’a rien à envier aux modèles de la
« grande époque » (1938-62) : devoir de mémoire,
justifié, pour, aussi, Sid Catlett (« Hear Me Talkin’ to
Ya », avec un Jérôme Etcheberry dans le créneau de Louis
Armstrong), Sonny Greer (« Jumpin’ Punkins »), Lionel
Hampton (« Hampton Stomp »), Jimmy Crawford (« Mandy »,
belle section de trombones !), Buddy Rich (« Carioca »,
Paul Chéron, cl !), Shadow Wilson (« Queer Street »,
Mathieu Haage, tp bop), Sam Woodyard (« Pyramid »,
Etcheberry, au plunger et Olivier Lachurie au « Lawrence
Brown »), Cozy Cole (« Concerto for Cozy » :
Nouaux, fantastique…et l’arrangement !), Sonny Payne
(« Dinner with Friends », Haage, tp et Gardel pour la
note finale), Ray Bauduc (« At the Jazz Band Ball »,
Etcheberry et Sébastien Arruti, tb) et Jo Jones bien sûr
(« Swingin’ the Blues » avec Berthenet et Haage). Je
sais, je n’ai signalé que les cuivres et la clarinette, c’est
mon charme ; tous les autres sont bons aussi ! Un bonheur à
écouter d’autant que la qualité de prise de son est au
rendez-vous. Gullaume Nouaux nous a confié que ce fut-là, la séance
la plus difficile qu’il ait faite. Photos de ces maîtres de la
batterie dans le livret. Les amateurs de swing et de batterie ne
seront pas déçus.
Michel Laplace
|
Marcus Roberts Trio with Wynton Marsalis
Together Again. Live in the Studio
Cole
After Midnight, The Duo, Mack The Knife, As Serenity Approaches, Play
The Blues and Swing, I Gotta Right to Sing the Blues, The Feeling of
Something NewMarcus
Roberts (p), Roland Guérin (b), Jason Marsalis (dm) + Wynton
Marsalis (tp)
Enregistré
le 6 octobre 2007, Thallahassee (Floride)
Durée :
49’ 28’’
J-Master Records 71239282650
(www.marcusroberts.com)
Together
Again. In the Studio fut
le premier album enregistré au Studio Lothian par le trio de Marcus
Roberts et Wynton Marsalis lors du week-end des retrouvailles que le
trompettiste passa en Floride pour graver ces sept faces et donner
ensuite deux concerts les dimanche 7 et lundi 8 octobre 2007 à
Tallahassee et Jackson. Comme le second, les deux volumes n’ont été
publiés que tout récemment, sept ans plus tard, sous le label de
Marcus, J-Master Records.
Dans
le livret, Marcus en relate les circonstances. Il dit avoir choisi un
certain nombre de morceaux que son trio d’alors (avec Roland Guerin
à la contrebasse) jouait souvent et que Wynton, pensait-il, aurait
plaisir de reprendre en leur compagnie. Il s’agit de cinq
compositions personnelles et de deux standards élevés au rang de
classiques du jazz par les versions de référence qu’en
enregistrèrent Louis Armstrong
et Ella Fitzgerald. « Mack the Knife », chantée parLouieen 1956 sur des paroles de Marc Blitzstein, connut
un très grand succès
phonographique dans juke
boxesaméricains
et européens.
Cette pièce de Kurt Weill fut composée pour L’Opéra
de Quat’sous(Die
Dreigroschenoper)
sur le
livret de Berthold Brecht,
inspiré par The
Beggar’s Opera(L’Opéra
des gueux,
1728) du poète et dramaturge
anglais John Gay (1685-1732) ; la première en fut donnée le
31 août 1928 au Theater
am Schiffbauerdammde Berlin. Et c’est dans cette même ville, au Deutschlandhallen,
le 13 février 1960,
qu’Ella Fitzgerald en interpréta sa version la plus célèbre dans
l’idiome du jazz. De la même manière, Armstrong a laissé
plusieurs variantes de « I
Gotta Right to Sing the Blues »1,
un songde Tin
Pan Alleyécrit par Harold Arlen et Ted Koehler en 1932, qu’il grava de
nouveau à plusieurs reprises avec son All Stars2dans l’année 1948, dont une historique
en public le 11 septembre 1948 à Philadelphie.
Les
compositions personnelles s’étendent sur quinze ans de carrière
(1991 à 2006). Elles donnent un excellent aperçu de la production
de Roberts et de son univers musical ainsi que l’idée relative de
ses compositions en ce mois d’octobre 2007. Car il n’est pas
neutre que le pianiste ait souhaité enregistrer précisément ces
pièces avec Wynton. Au-delà du respect professionnel, de l’amitié
et même de l’affection qu’il porte au trompettiste, c’est
aussi le souci de laisser le témoignage définitif de ses œuvres
enregistrées avec un instrumentiste d’exception, certes, mais
aussi un essai musical avec l’homme qu’il admire par dessus tout
en tant que musicien. La réciproque est tout aussi vraie ;
Wynton ne tarit pas d’éloges sur Marcus. Au début des années
1990, pendant une promenade à la Fondation
Maeght,
nous échangions nos points de vue sur les mérites et les apports
respectifs des pianistes ayant marqué l’histoire du jazz. A propos
de Marcus, il avait insisté sur le fait qu’il n’était pas
seulement un immense technicien de l’instrument, comme le jazz en
compte beaucoup, mais sur ses qualités rares de musicien qui en font
un interprète d’exception. Et il avait conclu son discours par une
phrase péremptoire, que je pensais prononcée dans le feu de la
conversation : « Marcus est un génie ! »3.
C’est un an plus tard, en entendant son album en piano solo, Alone
With Three Giants(Novus PD83109), que j’ai pris la mesure de son propos4.
« Cole
After Midnight » est une pièce empruntée à l’album du même
titre publié en juin 2001. Le pianiste y célébrait l’héritage
des deux "Cole" : Porter et Nat King. Elle avait en
réalité été enregistrée trois ans plus tôt (2 et 3 juin 1998).
En sorte que cette œuvre a presque 10 ans d’âge en 2007. Sans
entrer dans le détail de la construction de cette version de 6’41’’
(alors que l’originale n’en comptait que 4’44’’), qu’il
décrit fort bien dans le livret, le pianiste compositeur expose que
le projet était de donner, avec Wynton, des solos « strong,
swinging »
de ce thème initialement exposé en 3/4 pour être joué en 4/4.
« Duo »,
extrait de la suite From
Rags to Rhythm,
établit que cette œuvre, dont la version complète et définitive
n’a été enregistrée et publiée avec le nouveau trio (Rodney
Jordan à la contrebasse) qu’en 2013, a été élaborée sur
plusieurs années ; cet enregistrement de 2007 montre qu’elle
avait été entreprise plusieurs années auparavant, en 2006 ou 2007.
Ces publications différées des œuvres permettent d’avoir une vue
sur les modalités de travail et de création du compositeur. Le
thème est construit sur une structure de 16 mesures. Et l’exposé
en forme de question/réponse du piano à la trompette, que Marcus
rattache au « bebop
concept called trading »,
confère une grande diversité de tons à la structure. Dans cet
essai avec Wynton, le compositeur semble avoir testé la pertinence
compositionnelle de sa pièce, dont l’impression générale semble,
en définitive, être la tentative d’établir une sorte de
conversation musicale entre deux instruments.
Après
« Blue Skies » (Live
in Concert),
c’est la seconde fois que Marcus se réfère à Ella Fitzgerald
dans le choix de titres et pour son inspiration dans l’arrangement.
Cette interprétation de « Mack the Knife », très « mise
en situation » dans sa présentation, est toutefois
passablement éloignée de la forme simple, directe et même ludique
de la Dame ou d’Armstrong. Elle se rattache néanmoins à
l’héritage de Louieet d’Ella par le swing qui la structure. L’univers harmonique
n’en est pas moins fortement différent ; son traitement est
celui de notre temps. Dans cette version, Wynton fait un savant
mélange de Clark Terry et de Clifford Brown, que ce soit dans la
découpe de son discours improvisé ou dans sa cadence a
capella.
En revanche, ses accents d’expression empruntent aux mondes de
Shavers et de Gillespie : c’est du Marsalis tout simplement.
Alors que son accompagnement reste somme toute assez classique (sauf
quelques effets « de jeu out » pour souligner l’aspect
rythmique), le solo très libre de Marcus rappelle, par l’élégance,
Hank Jones, et par l’éclat, Ahmad Jamal des années 1950. La fin
polyphonique, reprenant l’exposition initiale à deux voix
(trompette/piano), est traitée dans un esprit Nouvelle-Orléans
rénové.
« As
Serenity Approaches » était le titre éponyme d’un album
(Novus
PD90624)enregistré par le pianiste en 1991. Il avait été labélisé
« Indispensable » (in Jazz
Hotn°489, mai 1992, p. 51). Joué en duo avec le trompettiste Scotty
Barnhart, il était la « lumière trouble » de ses
dix-huit enregistrements. Wynton l’interprète ici avec l’Harmon
mute, ce qui en accentue l’impressionnisme strayhornien que Marcus
redécouvre et réinvente à sa façon au début des années 1990.
« Play
the Blues and Swing » est un original de Roberts qui met en
évidence le batteur Jason Marsalis. Depuis 1994 le petit dernier de
la Marsalis
Familyfait partie de son trio. Par son jeu musicalement original, il
contribue à l’individuation de la formation. Son style, nourri de
new Orleans, puise tout autant dans l’héritage de Big Sidney
Catlett et de Cozy Cole.
Alors
que l’interprétation de « I Gotta Right to Sing the Blues »
par Louis Armstrong se déployait conquérante dans une forme
majestueuse, celle qu’en donne Wynton ici, plus lente, en prend le
contrepied ; tout son solo est construit sur les ombres de la
mélodie, révélant le versant mystérieux du lyrisme de la pièce.
Et c’est tout aussi beau, superbe.
« The
Feeling of Something New » est extrait de l’album In
Honor of Duke,
(Columbia CK 63630). Ce volume publié fin 1999 avait été réalisé
à l’occasion du centenaire de la naissance d’Ellington ;
les pièces avaient été enregistrées début avril de la même
année. Marsalis s’approprie ici cette composition en forme de
blues et en donne une lecture assez différente de la version
originale. A propos de son propre solo dans cet album, Marcus fait
expressément référence à l’héritage de Duke mais également à
Ahmad Jamal et surtout à McCoy Tyner, comme l’avait souligné –
en référence à l’harmonie de Coltrane et au jeu de Roland Guérin
dans l’esprit de Jimmy Garrison - la chronique d’Yves Sportis
(Jazz
Hotn°568, mars 2000, p. 45).
L’albumTogether
Again. Live in Concert,
publié concomitamment avec celui-ci, était festif, tourné vers le
public. Together
Again. In the Studio,
est d’une toute autre nature : il s’agit d’une œuvre
forte de réflexion musicale en acte, même si le plaisir réciproque
n’en est jamais absent. S’il n’avait été déjà pris, ce
volume aurait avantageusement pu recevoir le sous-titre de Fragments
amoureux d’un discours musical,
tant la démarche de Marcus et de Wynton consiste, avec la complicité
de leurs deux acolytes5– qui, en la circonstance, ne sont plus seulement des sidemenmais participent à l’élaboration du projet – en une exploration
systématique de la littérature jazzique. Leur cheminement dans la
thématique musicale des pièces éclaire la relation
structure/langage musical, dont le swinget le traitement
sonore(même pour le piano) en constituent l’ossature et l’objet.
Together
Again. In the Studioest un ouvrage musical exceptionnel. Quand intelligence et
sensibilité se rencontrent, ils deviennent art.
Félix
W. Sportis
1.
Ce thème, qui avait été écrit pour la revue Earl’s
Carroll’s Vanities,
était chanté par Lillian Shade. La première de cette revue fut
donnée au Broadway
Theatrede New York le 27 septembre 1932 ; il y en eu quatre-vingt-sept
représentations. Le succès fut tel que la mélodie fut interprétée
par une foule d’artistes, dont Cab Calloway, Benny Goodman ;
il devint même le thème de présentation de Jack Teagarden. Louis
Armstrong en a donné une première version enregistrée le 26
janvier 1933 à Chicago (Victor mat. 74892-1
in RCA Victor 49966-2).
2.
Cette formation comprenait Louis
Armstrong (tp vcl), Jack Teagarden (tb, vcl), Barney Bigard (cl),
Earl Hines (p), Arvell Shaw (b) et Sidney Catlett ou Cozy Cole (dm).
Dans celle-ci, c’était Cozy Cole.
3.
En 2014, il apparaît que Wynton n’a pas changé d’opinion. Il
n’est même plus seul à le penser. Il relate une discussion entre
membres du Lincoln Center : « We
were talking, the [Jazz at Lincoln Center] Orchestra, about who we
consider to be a genius », laughs Wynton Marsalis. « I
said someone was a genius and cats were laughing at it. So I said,
‘All right, then, who do you consider a genius?’ And the cats
said, "Marcus Roberts” » (Michael J. West, « Marcus
Roberts: "All Kinds of Things" -At
50, the pianist is as resourceful and ambitious as ever », inJazz
Times02/01/2014.
4.« Tout en respectant l’œuvre, sa lecture n’en reste pas
moins contemporaine, originale et très personnelle. Il nous en fait
découvrir l’esprit, toute de vie parce que moderne : la
musique de Marcus Roberts est habitée » (Félix W. Sportis,
Marcus Roberts, Alone
With Three Giants(Novus PD 83109), chronique in Jazz
Hotn° 481, septembre 1991, p 41).
5.
En 2010, j’ai rencontré Roland Guerin de passage en France qui m’a
parlé de ce week
endd’enregistrement et de concerts du Marcus Roberts Trio avec Wynton
Marsalis en Floride. Il gardait un souvenir fort de son travail dans
le trio de Marcus car, disait-il, « avec Marcus, rien n’est
laissé au hasard ; une direction est toujours proposée pour
l’interprétation. Et ce qu’il y a de plus fort, c’est que,
même pour les thèmes les plus souvent joués, on en vient à se
sentir concerné et à y contribuer en reprenant la proposition à
son compte pour créer quelque chose de nouveau ».
|
Marcus Roberts Trio with Wynton Marsalis
Together Again. Live in Concert
Blues Skies, Giant Steps, Embraceable
You, New Orleans Blues, East of the Sun and West of the Moon, Black
and Tan Fantasy, When The Saints Go Marching in. Marcus Roberts (p), Roland Guérin (b),
Jason Marsalis (dm) + Wynton Marsalis (tp)
Enregistré les 7 et 8 octobre 2007,
Jacksonville et Thallahassee (Floride)
Durée : 58'25''
J-Master Records 71239282651
(www.marcusroberts.com)
Cet album réunissant Marcus Roberts et
Wynton Marsalis, tout récemment publié (fin 2013), fut enregistré
il y a déjà sept ans. C’est le second volume de leurs
retrouvailles en Floride, enregistrées en public au Tuby Diamond
Auditorium de Tallahassee et au Center for Performing Arts de
Jacksonville, la ville natale de Marcus.
Le programme obéit à la logique des
concerts. Des pièces connues : des standards d’Irving Berlin
(« Blues Skies » - 1927), de George Gershwin
« Embraceable You » - 1930) ou de Brooks Bowman (« East
of the Sun and West of the Moon » - 1934) ; des classiques
du jazz de Jelly Roll Morton (« New Orleans Blues » aka
« Lowdown Blues » - 1925), de Duke Ellington (« Black
and Tan Fantasy » - 1927) mais également un moderne de John
Coltrane (« Giant Steps » - 1962), entré depuis dans le
grand répertoire du jazz ; la performance se termine, comme il
se doit, sur un traditionnel prisé par le public, « When The
Saints Go Marching in » - traditionnel 1896). Hormis celle de
« Trane » (1962), ces compositions ont été écrites
entre sur le premier tiers du XXe siècle. Sinon la volonté, ce
choix manifeste du moins le plaisir manifeste de se retrouver en
complicité sur/dans une tradition commune, celui de leur première
rencontre en 1982 et surtout lors de leur parcours commun entre 1985
et 1991.
Car même la composition de John
Coltrane est traitée très classiquement. Le thème est exposé par
le pianiste sur un after beat très shuffleet se poursuit sur un tempo très swing cha-ba-da, de facture
bop, également assumé par le trompettiste. Et de façon étonnante,
le discours de ce dernier se rapproche, de par sa structure en notes
détachées, plus de celui du pianiste Bud Powell que de celui du
saxophoniste John Coltrane – qui, jouant davantage sur le
glissando, propose un langage plus lié et moins rythmique. Dans le
livret, Roberts souligne à loisir la « sophistication
harmonique » de cette pièce dont la difficulté
d’interprétation tient à la progression cyclique aussi rapide que
changeante des accords. Le public en apprécie davantage les parties
virtuoses et brillantissimes du pianiste dans des applaudissements
nourris. Le solo de Wynton, en forme de récitatif, qui s’inscrit
dans la continuité de la tradition Clifford Brown, est
particulièrement brillante. Les chorusesde batterie et de contrebasse sont, de la même manière, élaborés
sans rupture et en continuité sur le tempo premier initié par le
piano. Le solo de Jason, en début classique se métamorphose peu à
peu en espace coloré façon Elvin Jones. S’enchaine celui de
Roland qui joue sur le paradoxe d’une technique slap
bass, « connoté ancien style », adoptée et
adaptée à une pièce résolument modern voire contemporary.
Le concert s’ouvre sur « Blue
Skies ». Dans le livret, Marcus dit avoir choisi cette mélodie
extraite de l’assez peu connue comédie musicale Betsy à cause
d’Ella. Parmi les multiples versions, « celle que je préfère
est celle d’Ella Fitzgerald qui le chante avec l’orchestre de
Count Basie,
dit-il ; le scat y est « unbelievable »
conclut-il. Rappelons que ce song fut
commandé à Irving Berlin par les auteurs, le compositeur Richard
Rodgers & le parolier Lorenz Hart, et ajouté à la revue au tout
dernier moment. L’histoire ne retiendra de la pièce que ce
morceau ; elle fut un "bide" et ne connut que
trente neuf représentations. Convenons que les prouesses vocales de
la First Lady of Song, assez exceptionnelles, justifient que Marcus
ait voulu « essayer de reprendre quelque chose de ce qu’il
avait entendu » dans la manière de la chanteuse. Et
d’abord et surtout son ambiance relaxe ! Dans l’exposé en
trio, sur un tempo medium moyen "très tranquille",
Marcus utilise l’effet retard, qui ne manque pas d’en accentuer
encore le balancement, et par là le swing : toujours très
rigoureusement marqué à la contrebasse un temps sur deux et à la
batterie par le shuffle sur la cymbale hi
hat réhaussé du contretemps à la baguette sur son pied. A
la trompette bouchée, Wynton commence son solo à la manière du
contrechant superbe d’élégance d’Harry « Sweet »
Edison derrière le scat d’Ella. Après ce début assez sage, il
exploite les ressources de l’expressionnisme de Cootie Williams,
puis développe une ligne classique façon Shavers qui peu à peu
évolue vers une forme gillespienne, tant au plan de la virtuosité
que de l’harmonie, pour trouver sa résolution dans l’usage
d’onomatopées instrumentales, en forme de ponctuation, dans le
plus pur style marsalien, et dans les tenus de notes pédales
permettant de relancer la machine swing sur un jeu de balais sensuel
souligné par la souplesse envoûtante de la ligne de contrebasse. La
réexposition finale du thème élaborée en strette à deux voix :
mélodie/harmonie du piano auquel répond la trompette d’abord en
arrière plan avant de s’imposer dans un growl intense qui se réduit progressivement à ne plus être au final que
rythmique.
Après la composition de Coltrane, le
quartet offre au public la ballade qu’il attend. « Embraceable
You », est une des préférées de Wynton ; c’est même
son "cheval de bataille". Marcus raconte que, lorsqu’il
jouait dans l’orchestre de Marsalis, il ne se passait pas un soir
sans qu’ils ne jouassent ce thème. « Je ne me lassais pas de
l’entendre interpréter ce classique intemporel de Gershwin. Sa
lecture sensible de cette superbe ballade américaine est tellement
émouvante ». Convenons que sa manière est limpide, tout en
nuances et pleine de surprises ; elle confine même au sublime
en certains passages. Comme Coleman Hawkins autre grand interprète,
Wynton a le talent de révéler le lyrisme de la mélodie.
La musique de Jelly Roll Morton, dont
l’harmonie est très proche de la musique modale d’époque
coltranienne, se prête bien à une relecture modernisée. C’est ce
à quoi s’emploient Marcus et Wynton sur « New Orleans
Blues », non sans l’intégrer dans une structure rythmique de
contredanse typique de La Nouvelle-Orléans. Et c’est sur/autour de
cette armature, mis en place par le contrebassiste et le batteur,
qu’est reconstruite toute la pièce. Le trompettiste et le pianiste
exposent le thème en deux temps avant d’en improviser, chacun et à
tour de rôle, une variation commentaire respectant la disposition
rythmique originale. Le travail du son de Marsalis n’est pas sans
évoquer, au plan du traitement de la matière, la manière de Rex
Stewart chez Ellington (« Boy Meets Horn », Brunswick
8306 22/12/1938) ou de Charlie Shavers (dans certaines faces gravées
en compagnie de Ray Bryant). L’effet jeu s’en trouve renforcé
par le tempo de contredanse. Roberts en joue également dans son
propre chorus en piano solo ; le public ne s’y trompe pas qui
manifeste bruyamment son approbation.
Louis Armstrong a laissé deux belles
versions de « East of the Sun » (1948 et 1957) ; on
pouvait s’attendre à ce que Wynton y participât. Mais non ;
c’est la seule plage en trio, traité à la manière d’Erroll
Garner : tout en puissance retenue, avec reprises à
l’articulation des motifs. La pièce suit la walking
bass d’un rigoureux quatre temps de contrebasse avec le
soutien discret du batteur. Comme chez le compositeur de « Misty »,
le jeu de main gauche en accords plaqués réguliers sur chaque temps
(le décalage rythmique y est moins marqué) établit un fort
contraste esthétique avec le jeu perlé à la main droite, en notes
détachées, claires et scintillantes. En revanche Marcus utilise
rarement le jeu en blocks chords à la main
droite caractéristique de l’Elf. La manière est soulignée par
le jeu léger et chuintant de Jason aux balais qui évoque Papa
Jo Jones et Alvin Queen. Le battement de contrebasse de Guerin
rappelle celui de Slam Stewart dans la version de « Stardust »
par le Just Jazz All Stars avec Lionel Hampton à Passadena
(4/8/1947, version dans laquelle les prouesses sonores de Charlie
Shavers annonçaient déjà celles de Wynton sur « Embraceable
You » de cet album). Cette plage est celle d’un très grand
trio de jazz et d’un pianiste d’exception.
On oublie souvent que « Black and
Tan Fantasy », composé en collaboration par Duke Ellington et
James Bubber Miley en 1927, fut le support musical
d’un court métrage de Dundley Murphy réalisé en 1929, auquel il
a donné son titre. Cette œuvre s’inscrivait dans la mouvance de
la Harlem Renaissance. Duke, mais également le trompettiste Arthur
Whetsol - qui avait remplacé Miley parti de l’orchestre en mars
1928 - et d’autres musiciens de l’orchestre, Barney Bigard, Joe Tricky Sam Nanton et Welman Braud y apparaissaient.
Cette pièce est ici donnée dans une version très classique. Après
l’introduction minimaliste d’une grande charge émotionnelle de
Roland Guerin à la contrebasse, l’entrée progressive de la
batterie met en place le tempo. Le piano installe la dramaturgie de
la pièce par une série d’accords plaqués : le trompettiste
expose le thème avec une expressivité proche de Bubber Miley.
Marcus enchaine son solo dans une construction harmonique modernisée,
soutenu par une ligne de basse épurée et un accompagnement de
batterie discret. Le chorus de Wynton est abordé dans un style
évoquant Cootie Williams, avec des nuances dont la légèreté
évoque la manière d’Arthur Whetsol. Le traditionnel « When the Saints
Go Marching in » est le final d’un concert en forme de
communion musicale collective que Marcus se plaît à souligner dans
son piano solo très churchy.
Les quatre musiciens de ce Together
Again. Live in Concert sont dans l’exceptionnel. Jason n’est
pas seulement un batteur de grande qualité. C’est un musicien
intelligent qui sait participer à la musique en lui apportant sa
part de création sans jamais la parasiter. Roland Guerin met une
grande part d’émotion et d’intensité dans son jeu de
contrebasse ; il le fait avec finesse et à propos. Son soutien
est un modèle genre dans la rigueur de sa mise en place. Avec deux
acolytes de cet acabit, Marcus et Wynton peuvent faire toutes les
« cabrioles » qu’ils souhaitent ; ils sont
parfaitement assurés de s’y retrouver. Dans cet album, Wynton
Marsalis fait preuve d’une formidable aisance ; sa phénoménale
technique instrumentale l’autorise à toutes les surprises et elles
enchantent l’auditeur qui n’en est plus même étonné tant elles
apparaissent évidentes. Quant à Marcus Roberts, que dire sinon que
sa musicalité est hors du commun ; il est toujours exceptionnel
dans ce qu’il nous donne à entendre. Il ne se contente pas d’être
une instrumentiste d’exception, ses performances sont celles d’un
immense interprète et d’un musicien rare.
Qui a assisté aux rencontres de Wynton
et Marcus sait combien les deux musiciens s’apprécient, combien
les deux hommes s’aiment d’une fraternité profonde. Cet album,
d’une grande tenue musicale, en témoigne. Ces plages traduisent le
plaisir qu’ils ont à se retrouver pour jouer la musique de leur
civilisation. Le trio de Marcus de cette période, avec Roland Guerin
à la contrebasse, a atteint une sorte de perfection. Ces trois
jeunes hommes (Marcus 44, Roland 39 et Jason 30 ans) sont en pleine
force de l’âge ; ils jouent avec la confiance de leur âge
une musique pleine de vie. Leur aîné, Wynton (46 ans), n’est pas
beaucoup plus âgé. C’est un musicien reconnu, un instrumentiste
d’exception, un homme conscient de ce qu’il représente pour/dans
la musique de jazz et pour les musiciens qui se réclament de cet
art.
Le jazz dans sa perfection, la musique
dans toute sa beauté.
Félix W. Sportis
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Marcus Roberts and The Modern Jazz Generation
Romance, Swing and the Blues
The
Mystery of Romance, A Festive Day, Evening Caress, It's a Beautiful
Night to Celebrate, Oh, No! How Could You, The Intensity of Change
(CD1) ; Being Attacked by the Blues, Reminiscence, Period of
Denial, In Transition, Reaching for the Stars, Tomorrow's Promises –
Recapitulation (CD2)
Roberts
(p, comp, arr), Marcus Printup, Alphonso Horne, Tim Blackmon (tp) ;
Ron Westray (tb) ; Corey Wilcox (tu) ; Stephen Riley (ts),
Joe Goldberg (as, cl), Ricardo Pascal (ts, ss), Tissa Khosla (bs) +
Marcus Rodney Jordan (b), Jason Marsalis (dm)
Enregistré
en août 2013, Thallahassee (Floride)
Durée : 1:43:03
(48'52'' + 54'11'')
J-Master
Records 71239282653 (www.marcusroberts.com)
Dans
ses liner
notes,
Marcus Roberts explique que Romance,
Swing and the Bluesdoit d’exister à la naissance de cet orchestre et à sa conception
nouvelle de l’improvisation en ensemble. Dans la continuité de son
propre trio, l’album traduit cette conception du jazz sur trois
générations de musiciens sérieux qui se considèrent comme laModern
Jazz Generation.
Ledodecabandqui sert cette œuvre n’est pas une nouveauté ; Duke
Ellington en 1932 enregistrait déjà avec un orchestre de douze
musiciens ; en 1997, Martial Solal gravait plusieurs célèbres
pièces d’Ellington avec ce même type de formation. Romance,
Swing and the Bluesest cependant la première grande composition pour grand orchestre de
Marcus Roberts. Trois générations de musiciens y sont
représentées : les "anciens" (Marcus Printup,
Ron Westray et lui-même) ; celle du milieu (Jason Marsalis et
Rodney Jordan) ; et les "jeunes" (Ricardo Pascal,
Joe Goldberg… et Alphonso Horne), tout juste sortis de l’école.
Sa réalisation a été rendue possible par la souscription d’environ
300 contributeurs ouverte en août 2013. L’album est sorti aux
Etats-Unis le 9 octobre 2014.
Par
conséquent, au-delà du contenu musical, Romance
Swing and the Bluesest, en tant que tel, un album tout à fait original. La pièce avait
été écrite en 1992, sur commande du Lincoln Center. Elle fut
donnée en nonet, dans une version de 70 minutes, le 7 août 1993 au
Tully Hall à New York.
L’orchestration
pour dodecaband de 2013 pour le Modern
Jazz Generation estencore
plus longue, 1h43 !L’argument qui sert de structure à cette œuvre est assez banal si
le traitement en est sérieux : une histoire d’amour
douce-amère, avec ses multiples épisodes : du mystère de la
vie à sa beauté troublante, le swing, et aux malheurs, le blues en
thérapies aux affres de l’existence. Car cette musique, dont la
mélodie nourrit les individus et qui incite à l’amour et au
respect, rend aujourd’hui les relations indispensablement
pacifiques entre les êtres. Marcus en explicite quelques
correspondances par des analogies entre la vie et le jazz :
vie/swing, blues/malheur, qu’il décline.
L’ouvrage
réorchestré en 2012 par le compositeur a été allongé à presque
une heure trois quarts. Il comporte quatre parties, de trois
mouvements chacune, représentant un ensemble de douze pièces d’une
durée comprise entre 6'15'' et 13'05'' ; ce sont des moments
musicaux faits d’impressions, de sensations, de souvenirs… Un
vécu musical intuitif. Marcus s’inscrit dans la filiation des
musiciens populaires américains : George Gershwin et Duke
Ellington en ont été deux représentants éminents. L’esprit des
grandes pièces ellingtoniennes et marsaliennes y est évident, tant
dans le sujet que dans la forme. Néanmoins, tout en empruntant son
organisation compositionnelle au langage classique, Roberts demeure
manifestement attaché dans son expression à ses racines
communautaires, le jazz. Et, dans la matière comme dans la manière,
son travail évoque celui d’une autre très grande musicienne, Mary
Lou Williams. Comme elle, il puise son inspiration dans la foi et le
sacré pour donner naissance à un art musical sécularisé magnifié
dans la stylistique du blues.
Le
pianiste est dans cet album remarquable. Le compositeur ne l’est
pas moins. Mais l’orchestrateur prend avec cette relecture une
nouvelle dimension. Le public avait déjà été, lors de la première
version en 1993, subjugué par son talent combinatoire et ses
enchaînements thématiques ; ici, le compositeur joue de
l’orchestre comme d’un instrument. L’écriture des ensembles
d’une grande liberté de ton n’en est pas moins ciselée avec
rigueur, laissant ainsi place aux talents des solistes, chacun
s’exprimant dans le registre harmonique de son choix, du plus
classique au plus débridé. Cette construction hardie tient à la
structuration de section rythmique, dans ces faces, confiée aux bons
soins du contrebassiste et du batteur ; non que le pianiste s’en
désintéresse, mais leur rôle y est essentiel pour la tenue
générale de l’édifice.
L’interprétation
est irréprochable. The
Modern Jazz Generationest une superbe formation. Quel que soit leur âge, les
instrumentistes sont de vrais musiciens d’orchestre : leursvoicingssont parfaits. Et les solistes, les mêmes, ne sont pas moins
brillants. Les chorusesne sont jamais les occasions de prouesses techniques mais des
instants de musique au cours desquels on peut, au détour d’une
phrase, s’émerveiller de « cabrioles pas possibles ».
Quant au trio, il est égal à lui-même : pièce d’orfèvrerie,
il tourne comme une montre suisse : la mise en place de Rodney
Jordan est impeccable ; le tempo et la couleur font de Jason
Marsalis un batteur original dans la confrérie ; quant à
Marcus, il confirme être un pianiste d’exception.
Romance,
Swing and the Bluesest un grand disque ; c’est même un disque important dans
l’histoire du jazz. Il met en évidence, non seulement le talent
d’un vrai grand musicien, mais également et surtout, pour le jazz,
l’impérieuse nécessité de revenir à des œuvres construites,
élaborées, pensées. Depuis trop longtemps, le spontanéisme du
free lance a tenu lieu de vérité. S’il a, à l’improviste, pu
donner quelques belles surprises, les lois du hasard font qu’il ne
sauraient suffire à assurer d’une grande œuvre.
Et
quel bonheur d’entendre chanter l’intelligence.
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Romane
Intégrale Romane. Volume 6. Elégance
Opus de Cligancourt, Just Enough for
Jazz, Soir de trottoir, After You’ve Gone, La Promenade, Dreams, Pour Parler,
The Break Thru, For Jim, How High the Moon, Pierre
Romane (g), Stochelo Rosenberg (g),
Gilles Naturel (b)
Enregistré
en 2000
Durée: 47’37’’
Frémeaux et Associés 544 (Socadisc)
Deux
fines gâchettes de la six cordes se sont retrouvées par un beau mois de juillet
de l’année 1999, à dégainer, au cours d’une même soirée des nuits de la guitare
de Patrimonio (Corse). La rencontre a
laissé des traces, et quelques mois plus loin Romane et Stochelo Rosbenberg
signaient ensemble un élégant Elégance. Cet opus du guitariste parisien constitue à
présent le volume 6 de l’intégrale Romane éditée par Frémeaux
et Associés. Au menu, des duos mouchetés
pour, non pas asseoir une quelconque suprématie, mais au contraire partager
l’héritage de Django Reinhardt. Au chapitre des perles à découvrir, ou redécouvrir
pour les connaisseurs: « Dreams » du guitariste hollandais. Ce
choix, certes subjectif, correspond tout à fait à l’atmosphère qui règne
principalement dans ce CD. Gilles Naturel (b) est en charge de construire
l’ossature rythmique pour permettre aux deux protagonistes de s’aventurer vers
des sentiers moins bien balisés (« Opus de Clignancourt »). Les deux
guitaristes exposent chacun leur tour leurs compositions et se retrouvent à
swinguer sur « How High the
Moon » et « After You’ve
Gone », les deux standards de cette
galette. C’est juste assez pour faire deElégance, un album jazz ouvert.
Michel Maestracci
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TAB
Himéros
M. Duane, Les Tourments
de Phalaenopsis, Instant, Mlle Palmer, La Râpe et le clou, Punctum,
Himéros, L’Inconnu des 3, Rouge soie
Alex Beaurain (g),
Frédéric Becker (ss, ts, bansuri), Frédéric Malempré (dm, perc)
Enregistré les 19, 20 et
21 février 2014, Bruxelles
Mogno Music J051( www.mognomusic.com)
Les compositions d’Alex
Beaurain veulent créer des "climats" qui s’ouvrent
aux autres cultures. Le choix de Frédéric Becker qui joue du
bansuri (« M.Duane », « Instant », « La Râpe et le clou », « Himéros ») en est sans doute
la résultante. On retrouve cette tendance chez de nombreux jazzmen européens. En pochette, on apprend qu’il
s’agit d’une approche « poétique, fine, sensible, évoquant les
couleurs de la nature ». Moi, je veux bien, mais j’ai quand même
le sentiment que le saxophoniste traverse les sous-bois sans toujours
bien regarder où il met les pieds. Au soprano : c’est limite
sur « M.Duane » ! Le travail de Frédéric Malempré
aux percussions est bien plus en phase avec les images (« La
râpe et le clou », « Rouge soie »).
Malheureusement il n’est pas bien mixé. Alex Beaurain a certes un
beau doigté, spécialement à la guitare sèche (« La Râpe et
le clou »), mais il use un peu trop volontiers des exercices
sur les gammes et les arpèges (école de Fabien Degryse ?). On
reste sur l’impression d’un enregistrement réalisé en une seule
prise. Ces idées-là ont besoin de temps en caves.
Jean-Marie Hacquier
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Aivar Vassiljev
More for More
What is This Thing ?
Early Morning, Bumpy Road, Eulipian Lament, Time Tunnel, Sky Blue,
Blues for Estonia
Aivar Vassiljev (dm), Mart Soo (g), Taivo
Sillar (b), Vinnie Cutro (tp), Bob Ferrel (tb),
Deniss Pashkevitch (ts, fl)
Enregistré les 9 et 10
juillet 2012, Tallinn (Estonie)
Durée : 51' 00''
AVRecords 005
(www.avrecords.ee)
Les visites régulières du
Spirit of Life Ensemble en Estonie sont fructueuses. En témoigne cet
enregistrement issu de la rencontre de Bob Ferrel et Vinnie Cutro
avec le groupe d’Aivar Vassiljev. La musique est assez vigoureuse
mais préserve des plages de respiration poétique, comme sur le
délicat « Sky Blue », avec des belles interventions à
la flûte de Deniss Pashkevitch, par ailleurs volontiers breckerien
au ténor (« What is This Thing ? »). Mart Soo est
partagé entre diverses influences, de Pat Martino à Pat Metheny, en
passant par le bruitisme (« Early Morning ») tandis que
Taivo Sillar assure une bonne pulsation. « Bumpy Road »
monkien avec un Bob Ferrel qui évoque Ray Anderson. Il est plus
proche de J. J. Johnson sur « What is This Thing ? ».
Dans tous les cas, son drive, son invention et sa puissance
constituent un véritable régal ! Il est particulièrement mis
en valeur sur sa splendide composition en 3/4 « Eulipian
Lament », jouée ici assez lentement et sur le tonitruant
« Time Tunnel ». Vinnie Cutro fait également admirer sa
présence à la Woody Shaw avec une vigueur et une précision
remarquables. La conclusion sur un blues est « de rigueur »
et montre toute la convivialité dont le jazz sait faire preuve pour
fédérer les gens de manière internationale. « Who’s the
real ambassador ? » chantaient LHR avec Louis Armstrong et
CarmenMcRae… Voilà une réponse incontournable.
Jean Szlamowicz
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