Chroniques CD |
Au programme des chroniques
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123 • 3 Cohens • A • Cyrille Aimée • C • Armel Amiot / Jean-Michel Proust • Cédric Caillaud & Harry Allen • Cédric Caillaud Trio • Cyrus Chestnut • Arnett Cobb • Laurent Courthaliac • D • Nicolas Dary Quartet • Nicolas Dary Septet • De Looze / Machtel / De Waele • E • Jean-Paul Estiévenart • F • Inbar Fridman • Curtis Fuller • H • Loston Harris • Mathis Haug • Roy Haynes • Gis Hendriks • Art Hodes • I • Pasquale Innarella • Agathe Iracema • Ironing Board Sam • J • Ahmad Jamal • Jimi Brown Experience • K • Harrison Kennedy • L • Les Oignons • Leslie Lewis & Gerard Hagen • M • Christian McBride • Leyla McCalla • Irvin Mayfield • Thelonious Monk • N • Ted Nash • O • Linus Olsson • P • Paname Swing • Roberta Piket • Xavier Pillac • Tom Principato • R • Duke Robillard • S • Soul Jazz Alliance • Margaret Stowe • Ira Sullivan / Jim Holman • T • The Campbell Brothers • The Chamber Jazz Quintet • W • Randy Weston / Billy Harper
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Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2014
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3 Cohens
Tightrope
Blueport, Conversation 1, Song Without
Words 4: Duet, Conversation 2, Black, Just Squeeze Me, Hot House,
There's no You, Estate, Conversation 3, Indiana, I Mean You, It Might
as Well, Festive Minor, Conversation 4, Conversation 5, Ayelilulilu,
Mantra Avishai Cohen (tp), Yuval Cohen (ss),
Anat Cohen (ts, cl, bcl), Fred Hersh (p), Christian McBride (b),
Johnathan Blake (dm)
Enregistré les 13 & 14 février
2013, New York
Durée : 57' 28''
Anzic Records 0043
(www.anzicrecords.com)
De huit ans le cadet de son célèbre
homonyme et compatriote contrebassiste, le trompettiste Avishai Cohen
nous propose ce disque, Tightrope, enregistré en compagnie de
son frère, Yuval, et de sa sœur, Anat, comme lui résidant depuis plus de
dix ans à New York. L’album se présente sous forme d’une
conversation familiale découpée d’intermèdes qui scandent cet
entretien/échange sonore en moments musicaux. Néanmoins, le parti
pris consiste à proposer un trio de voix mélodiques (trompette,
soprano, ténor/clarinette) sans section rythmique, ou à ne s’en y
adjoindre qu’une partie (piano ou contrebasse ou batterie) à
l’occasion. Cette organisation concerne un programme comprenant
sept compositions originales des différents leaders, quatre
standards et six classiques du jazz. Même si certains critiques, et
eux-mêmes, se considèrent en héritiers de la tradition free jazz
d’Ornette Coleman, et particulièrement de Don Cherry pour Avishai
Cohen, les arrangements, qui paraissent très libres, sont
particulièrement soignés et leur exécution travaillée ; ces
trois musiciens interprètent la musique avec les exigences de
musiciens classiques ; et pour cause, le trompettiste a, en
Israël, joué dans The Young Israeli Philharmonic
Orchestra sous la direction de chefs prestigieux comme Kurt
Masur ou Zubin Mehta. Il y a, de ce point de vue et dans la démarche
musicale des Trois Cohens des similitudes et des parentés avec celle
de Wynton Marsalis (également intéressé par la manière de Don
Cherry).
Ces plages sont toutes excellentes :
c’est de la belle musique, jouée avec un lyrisme d’une grande
finesse poétique (« It Might as Well », « Song
Without Words ») par de remarquables musiciens,
maîtrisant et la matière et leur instrument. Toutes ne relèvent
pas de l’idiome du jazz : jouer rythmé (« Indiana »)
n’est pas swinguer ! Il y a cependant, jazzistiquement
parlant, quelques faces superbes car ces musiciens savent swinguer.
Je retiendrai : l’épuré « Just Squeeze Me » avec
Christian McBride ; « I Mean You », merveilleux
d’intelligence ; « Festive Minor » bien senti dans
un contrepoint à trois voix construit sur le principe de
l’imitation ; « Blueport » très swinguant ;
« Black » au groove intense. La berceuse « Ayelilulilu »
n’est pas sans évoquer par son traitement un certain « Lonely
Woman ». Yuval Cohen est un soprano qui emprunte à l’idiome
de Coltrane mais également à la tradition. Anat Cohen est une
clarinettiste d’exception : nous avions Evan Christopher en
héritier d’Albert Nicolas et de Buster Bailey ; elle
s’inscrit, notamment par le timbre, dans la plus belle tradition
orléanaise avec le velours particulier de Barney Bigard pour
l’équilibre classique de cette école. Quant à Avishai Cohen, qui
déclare avoir appris le jazz dans/par les disques, c’est un
instrumentiste d’exception : du solide, du très solide. Il
dit avoir été influencé par Miles. Mais sa puissance en fait un
disciple de Clifford Brown (« Ghost of Chance » avec Max
Roach) et Lee Morgan ; d’ailleurs il mentionne Louis Armstrong
comme un de ses maîtres. C’est un disque à écouter et à
réécouter tant la matière est riche avec des moments de grande
joie. Tightrope (corde raide), disent-ils ? Pas la
moindre difficulté n’est perceptible dans cet album. Tout paraît
limpide et d’une grande aisance.
Félix W. Sportis
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Cyrille Aimée & Diego Figueiredo
SmileWe'll
Be Together Again, Chega de saudade, Que reste-t-il, Good Morning
Cowboy, A felicidade, A Night in Tunisia, La Vie en rose, Journey of Life, Dindi, Yarbird Suite, Smile, Old Devil Moon
Cyrille
Aimée (voc), Diego Figueiredo (g)
Enregistré
en 2009, lieu non précisé
Durée :
42' 03''
Autoproduit (www.cyrillemusic.com)
Cyrille Aimée and The Surreal Band
Live at Birdland
Lamp
Is Low, A Dream Is a Wish, Caravan, Blue Skies, Darn That Dream, Well
You Needn't, You and the Night, Softly, Nuit Blanche, You Stepped Out Cyrille
Aimée (voc), Wayne Tucker (tp), Joel Frahm (ts), Assaf Gleizner (p),
Jérémy Bruyère (b), Rajiv Jayaweera (dm)
Enregistré
en le 24 novembre 2012, New York
Durée :
1h 01' 41''
Autoproduit (www.cyrillemusic.com)
Si
les vocalistes jazzy, calibrées pour le marketing, saturent, de
longue date, les scènes de festivals et les platines, il est
quelques véritables chanteuses de jazz dont le plaisir qu’on a à
les découvrir n’est que plus grand. On a vu ces dernières années,
par exemple, émerger Cécile McLorin-Salvant (que Jazz
Hota commencé à suivre dès 2010) qui s’est depuis hissée jusqu’en
haut de l’affiche de Jazz at Lincon Center. Il est une autre "petite" Française à surveiller, qui suit un chemin
parallèle, Cyrille-Aimée Daudel dite Cyrille Aimée. Née à
Fontainebleau, il y a 29 ans, elle grandit entre Samois-sur-Seine,
l’Afrique et les Etats-Unis. Django fait ainsi sentir son influence
chez la jeune fille qui suit des cours de guitare dans l’école de
Romane avant de passer au chant. Invitée par son professeur à se
produire au festival de Samois, elle contracte le virus de la scène.
S’en suit un choix judicieux d’aller se former et travailler aux
Etats-Unis. Elle est aujourd'hui bien implantée dans la scène jazz
new-yorkaise et tourne à travers les Etats-Unis, ce qui ne l'empêche
pas non plus de revenir régulièrement au pays (on l'a ainsi vue au
Baiser Salé en août dernier). Avec sa voix au timbre un peu
enfantin, son swing naturel, de véritables qualités musicales (de
compositrice notamment) et un
charme certain, il y a fort à parier que la demoiselle va faire encore
du chemin. A
la tête de cinq enregistrements sous son nom, Smileest le deuxième album de Cyrille Aimée, en duo avec le guitariste
brésilien Diego Figueiredo. Un vrai duo jazz : l'accompagnement
essentialiste d'une guitare sèche donne à la voix suave de Cyrille
un écrin dépourvu de tout artifice. On pense bien-sûr au duo Ella
Fitzgerald / Joe Pass dans l'esprit duquel le présent disque
s'inscrit. Chaque interprétation est une réussite, à commencer par
le morceau qui donne son titre à l'album : « Smile »,
magnifique de sobriété, et qui met en avant le principal atout de
la chanteuse, celui de chanter simplement mais entièrement, sans
effets appuyés, sans manières. Les compositions de Jobim swinguent
avec une langueur toute brésilienne, mais Cyrille Aimée se les
approprie comme une chanteuse de jazz, pas de bossa. Même en
chantant en portugais. Le changement de langue n'altère d'ailleurs
pas son swing (« Que reste-t-il », « La Vie en
rose »), ce qui n'est pas si évident. Une belle réussite en
somme qui doit beaucoup à la poésie de Figueiredo.
AvecLive
at Birdland,
son dernier CD en date, on retrouve Cyrille Aimée dans son "jus"
new-yorkais et en très bonne compagnie, celle de son Surreal Band et
en particulier du ténor Joel Frahm. Du coup, la voix n'occupe pas
ici tout l'espace mais s'intègre comme un instrument à part entière
plus qu'on ne pourrait la dire soutenue par des accompagnateurs. Le
répertoire est essentiellement composé de standards joués avec
inspiration (très bon « Caravan » aux accents
afro-cubains) au sein desquels s'insère une composition réussie de
la vocaliste, « Nuit blanche », où elle superpose une
deuxième voix par un jeu de pédales. C'est bien fait, ça swingue :
assurément Cyrille connaît son affaire !
On
est impatients d'entendre la suite !
Jérôme Partage
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Armel Amiot / Jean-Michel Proust
Flying Home
Sleepin' Susan, No Sweat, Black Velvet,
Blues Skies, Blue and Sentimental, Port of Rico, Flying Home, Blues from
Louisiana, Night Train, Blow Sax Blow, Harlem Nocturne, Robbin's Nest, Jersey
Bounce, Too Close for Comfort
Armel Amiot (g), Jean-Michel Proust
(ts), Oscar Marchioni (org B3), François Laudet (dm), Sidney Haddad (perc)
Enregistré les 10 et 11 janvier 2013,
Meudon (92)
Durée: 1h 09’ 57’’
Big Blue Records C1316 (www.flyinghome.fr)
Depuis plusieurs années Jean-Michel
Proust s’attache à redécouvrir au public rajeuni par le temps les différents
répertoires que la musique afro-américaine des Etats-Unis a, tout au long de
son histoire au XXe siècle, créés et diffusés dans le monde;
en Europe certes, et particulièrement en France où, très tôt, des hommes
curieux et de culture (Hugues Panassié et Charles Delaunay), en ont découvert
et énoncé les caractères originaux en tant qu’art authentiquement nouveau. Le
contage de ces œuvres les rendit signifiantes dans la mémoire collective des
pays d’accueil, et plus globalement en fit une part entière du patrimoine
culturel de la civilisation occidentale. Lors de récents festivals (par exemple
sa narration du be-bop au Festival de
Big Band de Pertuis en 2012), il a déjà proposé des programmes de cette nature
qui, au-delà de son plaisir propre à réinterpréter ces pièces festives et de
qualité, avaient vocation didactique.
Cet album concerne le répertoire des
années 1940 dominés par d’emblématiques saxophonistes ténors et notamment
Illinois Jacquet, dont les compositions en constituent l’ossature principale.
Ce n’est pas la première fois que Proust revient sur ces écoles de la musique
populaire afro-américaine; en 2004 et 2005, il évoquait déjà ce style
et celui, concomitant, du R&B au Caveau de La Huchette pour la plus grande joie des danseurs du lieu. Sans avoir
l’intensité du direct, sauf en une plage où le public semble bien présent
(«Blow Sax Blow»), ces faces donnent une relecture plus aboutie de
ces titres, dont les versions de référence restent emblématiques. Le programme comporte cinq pièces
d’Illinois Jacquet, une de Wild Bill Davis, une de Jimmy Forest, une de Basie,
une d’Hampton et Goodman, trois standards et une composition originale. C’est
équilibré et l’album est organisé en vrais moments musicaux. Pour son entreprise, Jean-Michel s’est
fort bien entouré. Armel Amiot (g) joue juste sur ces pièces qui exigent un
«débraillé élégant»; son soutien est solide et ses
interventions efficaces. Les percussions de Sydney Haddad apportent des
couleurs bienvenues; ce ton sied à l’esprit du jazz de ce temps qui
s’ouvrait aux rythmes afro-cubains. Je connaissais un autre excellent Oscar
italien (Valdambrini); Marchioni n’est pas mal non plus. Il connaît la
littérature musicale jazz de l’orgue, l’a assimilée et possède une formidable
maîtrise instrumentale; sa façon de mélanger les styles des divers
maîtres est intelligente; mais sa manière évoque souvent celle de Lonnie
Liston Smith. François Laudet joue magnifiquement et sa mise en place
irréprochable fait toujours vivre le tempo; «il tient la
baraque» et ça swingue. Quant à Jean-Michel Proust, il est très bon. En
progrès constants, il joue avec plus de liberté. S’il n’a pas le shoot des illustres ténors, qu’il cite
dans la remarquable présentation de cette période sur le livret, son style a
gagné en puissance et en intensité: ces versions de «Flying
Home» et de «Too Close for Comfort», bonnes illustrations,
sont convaincantes. Mais c’est dans les pièces exigeant plus d’intériorité
qu’il est le plus brillant («Blue and Sentimental», «Blues
from Louisiana», «Harlem Nocturne»); il est
stylistiquement plus près d’Hershelll Evans que d’Arnett Cobb.
En cette période où l’intimisme frileux
tient lieu d’esthétique, Flying Hometranche dans la production jazzique française. Ce disque n’est certes pas
révolutionnaire; il est tout simplement bon! Ces musiciens jouent
du jazz authentique et de qualité. Cette superbe musique mérite mieux qu’un
mausolée discographique. Les œuvres des créateurs figées dans le silence
glorieux des Panthéons de cire pour cause de génie ne méritent pas la seconde
mort de l’oubli. Sans relecture permanente des chefs d’œuvres, l’art populaire
s’étiole dans l’indifférence des nécropoles culturelles que sont les
discothèques. En sacralisant la création, la société de marché triomphante a
justifié l’usage d’une illusoire culture kleenex. Cet album est bien plus qu’un
hommage à Illinois Jacquet, c’est un bain de jouvence au passé. Alors, courrez acheter Flying Home. Ce n’est pas remboursé par
la Sécu, mais ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine!
Félix W. Sportis
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Cédric Caillaud Trio & Harry Allen
Emma's Groove
Our Delight, Emma's Groove, Dancing on
the Celling, That's All, Do Nothin' Till You Hear from Me, Yours Is
My Heart Alone, The Jamf's Are Coming, New Father's Bop, Robbin's
Nest, I Want to Be Happy, Blame It on My Youth, What Can I Say Dear,
After I Say I'm Sorry
Cédric Caillaud (b), Harry Allen (ts),
Patrick Cabon (p), Philippe Soirat (dm)
Enregistré le 25 mars 2008,
Pré-Saint-Gervais (93)
Durée : 1h 05' 01''
Aphrodite Records 106017 (Codaex)
Après June 26, enregistré en 2005, Emma’s Groove est le deuxième
album de Cédric Caillaud (né en 1976), fruit d’une
rencontre fortuite avec le saxophoniste Harry Allen ; Pierre
Boussaguet étant indisponible pour cette tournée avec Harry, il
demanda à son "élève" de le suppléer. Ce très beau
disque est le résultat d’une heureuse découverte réciproque. Le
programme largement constitué de standards fait également référence
à des compositions de musiciens de jazz patentés : Tadd
Dameron, Duke Ellington, Johnny Griffin, Ilinois Jacquet, Sir Charles
Thompson et celle de Cédric dédiée à sa fille, titre éponyme de
cet album.
Le premier titre composition de
Dameron, « Our Delight », donne le ton général de
l’album : généreux, allègre, enlevé, détendu. Le dialogue
est immédiat entre les musiciens. « Emma’s Groove »
est un thème simple construit sur un riff en tempo medium, laissant
la part belle aux timbres profonds des instruments (ténor et
contrebasse) et au swing. Le song de
Richard Rogers, qui suit en tempo rapide, est extrait d’une comédie
musicale Ever Green dont la première fut donnée à Londres en
décembre 1930 : un succès de Jack Hylton. « That’s
All » fut un succès de Nat King Cole en 1952 ; ici en
tempo lent, le ténor découvre toute la sensualité de la mélodie.
Duke a en 1940 composé cette pièce majeure de son œuvre,
« Concerto for Cootie » pour son trompettiste ; sur
les paroles de Bob Russell, en 1943, elle devint « Do Nothin'
Till You Hear from Me » ; c’est ici le moment de
bravoure et de vérité : en duo, ténor/contrebasse, la musique
exigeante met en évidence, dans son dépouillement, la musicalité
des instrumentistes et leur parfaite entente ; la ligne de basse
est majestueuse. La composition de Franz Lehar est certainement l’air
le plus célèbre de son opérette Le pays du sourire : une
sorte de récréation. La composition de Griffin, « The Jamf's
Are Coming » est un retour aux fondamentaux du jazz. « New
Father’s Bop », de Cédric, est un joli clin d’œil aux
thèmes du bop des origines ; les quatre musiciens relisent
avec gourmandise et un plaisir juvénile ces moments forts.
« Robbin’s Nest » fut écrit pour le saxophone, en
l’espèce celui d’Illinois Jacquet qui en laissa de multiples
versions, dont une célèbre avec le big bandde Lionel Hampton avec Milt Buckner au piano et à l’orgue. Ici,
Harry Allen le prend en medium soutenu. La comédie No No Nanette,
dont la musique fut écrite par Vincent Youmans, fut une source
d’inspiration pour tous les musiciens de jazz qui en empruntèrent
les thèmes : « Tea for Two », bien sûr, et ce « I
Want to Be Happy », toujours aussi stimulant. Oscar Levant
n’était pas seulement un très grand pianiste mais également un
compositeur accompli qui apprit son métier auprès d’Arnold
Schoenberg. Il laissa plus d’une vingtaine de musiques de films
lors de son séjour à Hollywood ; cette superbe ballade (grand
succès de Nat King Cole accompagné par Juan Tizol , tb) interprétée
en tempo très lent montre un autre aspect de son immense talent.
L’album se termine sur une composition de Walter Donalson très
alerte.
Originaire de Washington, Harry
Allen est peu connu en France et en Europe. Ce CD permettra à un
public plus large de découvrir un formidable ténor de jazz, qui
s’inscrit dans la tradition. Patrick Cabon est remarquable ;
il tient une place essentielle dans ce volume. Cédric Caillaud est
parfait. Quant à Philippe Soirat, il est toujours aussi sobre mais
d’une grande efficacité. Un album de jazz de très belle qualité.
Félix W. Sportis
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Cédric Caillaud Trio
Swingin' The Count
April in Paris, Flight of the Foo
Birds, Splanky, Ain't That's Right, Lil' Darlin', Blues in Hoss Flat,
For Lena & Lennie, Shiny Stockings, Meet BB, Rat Race, Easy Does,
Together Again
Cédric Caillaud (b), Patrick Cabon
(p), Alvin Queen (dm), China Moses (voc)
Enregistré les 29 et 30 juin 2012,
Meudon (92)
Durée : 1h 00' 23''
Swing Alley 022
(www.freshsoundrecords.com)
Swingin’ The Count est le troisième album de Cédric Caillaud. Pour la
circonstance, son trio s’enrichit de la présence exceptionnelle
d’un grand batteur, Alvin Queen. Dans cet album, la formation se
propose de rendre l’esprit et le ton de la formidable machine à
swing que fut le big band de Count Basie. Comme le rappelle justement
Jean-Michel "Beethoven" Reiser dans le livret, mis à
part l’album Oscar Peterson Plays Count Basie (27/12/1955 – LP
Clef Records MG C-708) initié par Norman Granz, aucun trio de piano
n’avait consacré d’album complet à la musique du fameux
orchestre. Néanmoins, ce volume présente des différences
importantes d’avec le précédent. En effet, le pianiste canadien
était en quartet - Herb Ellis (g), Ray Brown (b) et Buddy Rich (dm)
– ; et mis à part « Easy Does It » (1940), le
répertoire sélectionné était différent ; il concernait
essentiellement la période d’avant 1950, les grandes pièces des
années 1930 et 1940. Dans celui-ci, Caillaud interprète des pièces
rendues célèbres après 1956, l’époque du renouveau de
l’orchestre : Neal Hefti, Frank Foster, Quincy Jones. Il
procède donc à une sorte de « réduction »
d’orchestrations luxuriantes, alors très influencées par les
arrangeurs du cinéma californien. Le pari était ambitieux et
n’était pas gagné d’avance. Le résultat n’en est
remarquable.
Dans ces douze faces, Cédric Caillaud
a choisi de jouer sur une constante de la musique du Kid of Redbank,
le swing. Assis sur sa partie de contrebasse, épurée, rigoureuse et
très en place, d’une part, et sur la finesse rythmique
intelligente d’Alvin Queen, d’autre part, il laisse toute liberté
au pianiste de colorer ce fonds rythmique de fulgurances orchestrales
ou de dessiner des épures mélodiques baisiennes, jouant sur la
tension et l’opposition des deux séquences. Le morceau
d’ouverture, « April in Paris » (arrangé en 1956 pour
Basie par Wild Bill Davis) est de ce point de vue une parfaite
illustration du ton général de l’album. Pour soutenir l’intérêt
de l’auditeur et le surprendre, il n’hésite pas à traiter
certains thèmes, que chacun a en tête dans la version originale,
sur des tempi différents, apparemment « à contre courant » ;
c’est ainsi qu’il applique à « Flight of the Foo Birds »,
dans sa version originale en medium enlevé, le traitement que le
Count avait fait subir au célèbre « Lil’ Darlin’ ».
Ce dernier morceau, chanté par China Moses, est d’ailleurs
interprété légèrement plus rapidement que dans l’album Atomic
Basie. Cédric Caillaud se fait remarquer sur ces faces par la
qualité de sa mise en place. Ses solos sont simples ; il joue
de la contrebasse dans la tessiture de l’instrument donnant
beaucoup de profondeur à l’ensemble. La qualité de cet album doit
également beaucoup à la présence d’Alvin Queen. Son jeu aux
balais, toujours aussi impressionnant, est un modèle du genre dans
la finesse mais également dans sa rigueur rythmique. Ses
interventions dans les breaks aux baguettes sont d’une légèreté
qui n’en exclut ni l’efficacité ni la puissance pour suggérer
la masse orchestrale ou pour souligner discrètement l’articulation
(« Splanky » ou « Shiny Stockings ») ;
il n’est jamais bruyant et laisse toujours respirer l’ensemble ;
ce batteur joue de la grande musique sur ses tambours. La révélation
de cet album est Patrick Cabon, dont le bagage pianistique est ici
mis en valeur par le fait de devoir remplacer à lui seul l’ensemble
des instruments mélodiques du big band. Et
il s’en tire avec beaucoup de talent, que ce soit dans les parties
en single notes ou dans celles en block chords(« Ain’t That’s Right » ou « Blues in Hoss
Flat »). Ce Brestois de 39 ans est un pianiste accompli,
possédant un toucher clair et une fort belle musicalité. Dans ces
pièces sa filiation avec Oscar Peterson (« Easy Doest It »,
« Together Again »), est évidente, ce qui n’a pas dû
déplaire à l’ami "Beethoven".
Que voilà un bel et bon album de jazz,
qui swingue. Le patron de Fresh Sound Records, Jordi Pujol, ne s’y
est pas trompé. A consommer sans modération.
Félix W. Sportis
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Cyrus Chestnut
The Cyrus Chestnut Quartet
No Problem, Annibelle Cousins, Dream,
What’s Happening, Waltz for Gene And Carol, Solace, Indigo Blue,
Mustard Cyrus Chestnut (p), Stacy Dillard (ts,
ss), Dezron Douglas (b), Willie Jones III (dm)
Enregistré le 14 décembre 2010, New
York
Durée : 55' 00''
WJ3 1010 (www.williejones3.com)
Cyrus Chestnut
Soul Brother Cool
Spicy Honey, Soul Brother Cool, The
Happiness Man, Piscean Thought, In Search Of A Quiet Place, The
Raven, Dawn Of The Sunset, Intimacy, Every Which Way, Stripes
Cyrus Chestnut (p), Freddie Hendrix
(tp), Dezron Douglas (b), Willie Jones III (dm)
Enregistré le 7 mars 2013, New York
Durée : 59’ 00’’
WJ3 1013 (www.williejones3.com)
Cyrus Chestnut fait partie des grands
pianistes contemporains, non seulement par la richesse et la variété
de son œuvre mais parce qu’il apporte une forme de sincérité à
chaque note, ce qui en fait l’un des gardiens de la flamme, celle de
l’authenticité. C’est du reste le cas des autres membres de ces
quartets, en particulier de Willie Jones III, patron du label WJ3,
toujours prêt à remplir un rôle d’accompagnateur au service
d’une certaine conception du jazz. Sa virtuosité discrète en fait
l’un des batteurs de référence et dans ce style, il est
intouchable avec Lewis Nash, Kenny Washington et Neal Smith. De la
même manière Dezron Douglas est l’un des représentants éminents
de la contrebasse solide, rugueuse, féroce, même, mais toujours à
la pointe de la finesse contemporaine. Quartet bénéficie de la présence
fiévreuse de Stacy Dillard, avec sa belle sonorité bluesy, churchy
et sa musicalité à la fois intense et sobre. C’est un musicien
très soulful, capable de flexibilité et de charisme. Il est mis en
évidence sur le programme où l’on entend un beau shuffle churchy
et décontracté (« Annibelle Cousins »), une ballade
évanescente (« Dream »), un morceau rapide dans la veine
des années 90’s (« What’s Happening »), une valse
contemplative aux mailloches (« Waltz For Gene And Carol »),
un groove joyeux (« Indigo Blue »), un blues lent
(« Mustard »). Tout le monde joue avec beaucoup de cœur,
de hargne, de sensibilité.
Dans cette continuité, Soul Brother
Cool (qui reprend la superbe couverture de Drums Unlimited de
Max Roach, 1965-66) met en valeur Freddie Hendrix, (Teaneck,
NJ ; a joué avec le JALC, le Roy Hargrove Big Band, le
Christian McBride Big Band, Frank Foster, Rufus Reid, Mulgrew Miller,
Oliver Lake, T.S. Monk Sextet, Cecil Brooks III …). C’est un
excellent musicien dans l’esprit de Clifford Brown, Freddie Hubbard
et Lee Morgan, capable de tension (« The Raven ») et de
poésie (« The Happiness Man ») dans la veine
contemporaine. Le morceau titre est un blues intense où le pianiste
montre l’ampleur de son expression. Comme souvent, il sait composer
de belles ballades, ici « In Search of a Quiet Place » et
« Intimacy » et forger des compositions aux atmosphères
attendrissantes (« Dawn Of The Sunset »). Quand il s’agit
d’apporter couleur, excitation et un certain poids rythmique,
Willie Jones III est imbattable (« The Raven »).
Cyrus Chestnut est un musicien
remarquable qui, sans concept ni discours, sait construire un
univers, à la fois churchy et moderne, vigoureux et sensible,
produit de racines profondes et d’une créativité toute
personnelle.
Jean Szlamowicz
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Arnett Cobb
Party Time / More Party Time / Movin' Right Along
CD 1 : When My
Dreamboat Comes Home, Lonesome Road, Blues in the Closet, Party Time,
Flying Home, Slow Poke, Cocktails For Two, Lover Come Back to Me,
Blue Lou, Swanee River, Blue Me CD2 : Sometimes I'm
Happy, Fast Ride, The Nitty Gritty, All I Do Is Dream of You, Ghost of a Chance, Exactly
Like You, Walkin', Softly As in a Morning Sunrise, The Shy One, Down by the
Riverside
1-7 : Arnett Cobb
(ts), Ray Bryant (p), Wendell Marshall (b) Art Taylor (dm), Ray
Barretto (perc)
Enregistré le 14 mai
1959, New York
8-13 : Arnett Cobb
(ts), Tommy Flanagan (p), Sam Jones (b), Art Taylor (dm), Danny
Barrajanos (perc)
Enregistré le 16 février
1960, Englewood Cliffs (New Jersey)
14-21 : Arnett Cobb
(ts) Bobby Timmons (p), Sam Jones (b), Art Taylor (dm), Buck Clark
(perc)
Enregistré le 17 février
1960, Englewood Cliffs (New Jersey)
Durée : 1h 03' 50''
et 49' 22''
Fresh Sound Records 726
(www.freshsoundrecords.com)
Cette généreuse
réedition de trois albums enregistrés à l’origine pour
l’excellent label Prestige (7165, 7175, 7216) nous permet de
redécouvrir trois pépites de ce jazz hot du tournant des années
50-60 si riches pour le jazz. Arnett Cobb est le ténor texan le plus
réputé du grand orchestre de Lionel Hampton, célèbre lui-même
justement pour mettre le feu à toutes les salles non seulement par
les vertus de showman de son leader mais aussi parce qu’il compta
dans ses rangs, à toutes les époques, des instrumentistes possédant
cette culture d’un jazz expressif avec toutes les qualités
requises : virtuosité instrumentale, expressivité marquée,
swing sans équivoque et ancrage dans le blues. Les grands big bands de
l’âge d’or, machines à swing et à blues, ont ainsi draîné
une multitude de talents hors normes, souvent mésestimés en raison
de leur appartenance à un collectif fort, et aussi parce que leur
production en petite formation fut inégalement diffusée et donc
connue dans un âge prolixe.
Fresh Sound nous permet
une nouvelle fois une réévaluation de la richesse de ce temps en
nous permettant d’accéder à Arnett Cobb, un de ces gros sons
essentiels du jazz, une sorte d’archétype du saxophone ténor du
jazz, version texane. Dans ces trois disques, secondé par des
sections rythmiques de haut niveau, augmentées d’un
percussionniste – il suffit de parcourir la notice pour rêver –
Arnett Cobb délivre son message jazzique sans l’ombre d’une
hésitation esthétique et culturelle, dans un registre plus large
que celui des big bands car il en a la place en tant que leader, et
bien sûr grâce à son talent.
Comme les pères de
l’instrument, les Coleman Hawkins, Lester Young et Ben Webster, il
utilise le grand livre des standards, du jazz, et le son chaleureux
soufflé de son ténor, son interprétation personnelle, apportent
toutes les couleurs et sensations qui font que le jazz est ce qu’il
est : une musique à nulle autre pareil, un art populaire.
On se délectera à
comparer les trois exceptionnels pianistes qui l’accompagnent, sans
faire d’échelle de valeur, car ils sont tout aussi essentiels, et
on appréciera des sections rythmiques dont l’excellence est au
service d’une musique accomplie.
Yves Sportis
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Laurent Courthaliac
Pannonica
Nicaragua,
With a Song in My Heart, Nica, Thelonica, I'm a Dreamer Aren't We
All, Pannonica, Acinonnap, Three Wishes, Broome St. Blues, If There
Is Someone Lovelier Than You, Goodbye Laurent
Courthaliac (p), Ron Carter, Clovis Nicolas (b), Rodney Green (dm)
Enregistré
les 16 et 17 janvier 2012, New York
Durée :
58' 00''
Jazz
Village 570023 (Harmonia Mundi)
AprèsThe Scarlett Street (supplément internet du Jazz HotN°621), Laurent Courthaliac propose un second opus, Pannonica,
de sa relecture du bebop dont le titre même, avec un « Featuring
Ron Carter » prometteur, dessine déjà l’orientation
exigeante. Pour cette séance, l’un des maîtres de la contrebasse
a été invité. Mises à part ses trois compositions personnelles,
toutes les pièces ont au moins trente ans d’âge : standards
de Rodgers et Hart, de DeSylva, (1929), de G. Jenkins (1935), et
répertoire du jazz. Barry Harris (1967), Sonny Clark (1961), Tommy
Flanagan (1982) et Thelonious Monk (1958). Le programme ne cède en
rien à la facilité : ni commun ni ordinaire. L’hommage à
Pannonica est authentique. Toutes les pièces, d’une façon ou
d’une autre, évoquent la célèbre hôtesse et amie des musiciens
de jazz en détresse. Ces interprétations sont un manifeste du bebop
selon Laurent Courthaliac après vingt ans d’étude approfondie :
tant dans l’articulation du phrasé que dans la manière d’en
donner son prolongement pianistique. Son contrôle permanent du
discours, par l’économie de moyen à laquelle il s’astreint en
renforce encore l’expressivité et en magnifie la construction
d’ensemble ; cela en parfaite symbiose tant avec la ligne
minimaliste et même sévère du contrebassiste qu’avec le jeu du
batteur qui s’en tient à l’essentiel au plan rythmique, les
indispensables ponctuations. Dans le continuum de l’histoire du
jazz, ces faces sont la quête d’un artiste à la recherche d’un
absolu ; celui de la période, à laquelle il essaie de donner
présent et avenir. Dans la chronique de son précédent album,
Pascal Rugoni avait déjà noté « une bien belle évocation
de l’univers bebop ». Huit années se sont depuis
écoulées, au cours desquelles Laurent Courthaliac a beaucoup
fréquenté les scènes américaines. Il s’y est familiarisé avec
la civilisation et s’est nourri de la matière bop à la source
même du jazz. Autres intimités, autres possibilités. En sorte que
sa manière ne relève plus seulement du style mais de la forme même,
qu’il explore. Laurent ne se contente plus seulement de « jouer
bebop » ; il élabore un pan nouveau de ce répertoire
musical délaissé dans les sixties. En témoigne « Broome St.
Blues », hommage à Monk dans laquelle Ron Carter s’adonne
avec une joie retrouvée aux plaisirs du blues et Rodney Green à une
réinvention spontanée du cha-ba-da mintonien. La
présence de Ron Carter a été essentielle. Tout se passe, en effet,
comme si la démarche du pianiste l’avait amené à se pencher à
nouveau sur les fondamentaux de cette école. Et son application à
jouer une ligne de basse aussi épurée que rigoureuse manifeste plus
que de l’attention, une redécouverte réelle de cette musique
qu’il se réapproprie. Cette stimulation réciproque des deux
musiciens n’a pas laissé indifférent le batteur qui, à son tour,
en a retrouvé l’évidence. Au plan instrumental, Courthaliac est
en parfaite accord avec cette musique : un beau touché,
profond, dense, une belle articulation du pouce qui lui permet une
vélocité retenue. C’est dit clairement, fermement et dans la
nuance. Ça s’écoute. Son abord du jazz, et du bebop
particulièrement, présente une parenté avec celui de Glenn Gould
pour la musique de Bach. Rodney Green est un batteur de Philadelphie
encore jeune ; il a joué avec tous les ténors de la scène
newyorkaise. Il est ici remarquable d’assurance et de simplicité.
Il évoque souvent le Kenny Clarke des fifties :
une présence jamais pesante. Clovis Nicolas est excellent sur les
quatre titres où il est présent. Sa musique est allègre,
jubilatoire mais également lyrique (« Three Wishes ») et
sa mise en place rigoureuse, toujours en adéquation avec le discours
aéré du pianiste. Quant à Ron Carter, il est égal à lui-même.
Musicien pétri de finesse et interprète d’exception (son vibrato
est magnifique d’équilibre), il entend tout et répond juste aux
sollicitations les plus discrètes. Cet hommage à l’héritage
d’Oscar Pettiford et de Paul Chambers est un vrai régal. Son
interprétation lyrique de « Goodbye » est superbe :
un grand moment.
Pannonicaest un très bel album, d’une grande tenue musicale. A
contre-courant des tendances actuelles : profondeur et
enracinement dans la tradition du jazz ; autant de qualités
actuellement peu prisées en ces temps de zapping et de cyber cafés.
Certains le trouveront peut-être un peu austère. Mais c’est un
vrai disque de jazz, qui swingue avec le cha-ba-da. Enfin, tout ce
qu’il faut pour être heureux. Alors, qu’est-ce qu’on attend ?
Félix W. Sportis
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Nicolas Dary Quartet
U Babbu
U Babbu, Only Fellows, Pasteis De Nata,
They Got Rhythm, Capolinea, I Don't Want to Be Unhappy, Blues for
Stan, Zi 307, Tell Me now, Nocturne Pour Une Baleine
Nicolas Dary (ts, as, fl), Joe Cohn
(g), Mathias Allamane (b), Stan Laferrière (dm)
Enregistré le 27 janvier 2013, Le
Pré-St-Gervais (93)
Durée : 37' 12''
Gaya Music Production NDGCD002 (Abeille Musique)
Le guitariste (mais également
trompettiste, bassiste et pianiste) américain Joe Cohn, fils d’Al
Cohn, était en tournée européenne au début de l’année 2013
avec le saxophoniste Bob Mover. Nicolas Dary profita d’une journée
off, le dernier dimanche de janvier, pour organiser une séance
d’enregistrement impromptue avec lui. Il y associa Mathias Allamane
(b) et un autre talentueux multi-instrumentiste, Stan Laferrière
(dm). « J’avais précédemment eu l’occasion de jouer
avec eux et leur association avait parfaitement fonctionné »,
précise Dary.
Le leader de séance a fait le choix de
dix compositions personnelles, qu’il a gravées en « one
shoot, après une lecture très rapide des pièces sélectionnées. Joe[l’invité vedette]n’avait pas même de guitare. Il parvint à s’en faire prêter
une ainsi qu’un ampli. Mais l’ampli prêté rendit l’âme avant
que de commencer ! Après tous ces « malheurs, nous
avons enfin pu commencer à enregistrer ! »,
raconte-t-il. Dans sa formule instrumentale, par ses thèmes
empruntant largement leurs structures, comme à la re-composition de
thèmes anciens, à la tradition du be-bop, cet album évoque
immanquablement le ton de l’univers be-bop encore très présent
dans les sessions de Sonny Rollins et de son quartet au début des
années 1960, notamment What’s New enregistré au printemps
1962 à New York. Nicolas Dary, qui avait alors 38 ans (il est né en
1975) lorsqu’il organisa cette session, n’était plus un
débutant. Son solide bagage musical, acquis au conservatoire aussi
bien qu’auprès de maîtres, comme Barry Harris, en avait tôt fait
un sideman recherché dans le cercle parisien du jazz : Gérard
Badini Swing Machine, François Laudet Big Band, Stan Laferrière
Tentet (Il fait toujours beau, Frémeaux & Associés 297,
2001), Michel Pastre Big Band actuellement, dont il est un membre en
vue. Il eut ainsi très rapidement l’occasion d’enregistrer en
tant que leader : You, en duo avec le pianiste Alain
Jean-Marie (Djaz Records 565-2, 2006), I'll Never Be the Same(Djaz Records, 2008) et L’Autre rive (voir chronique
précédente). Le programme de cet album réunit d’ailleurs des
compositions s’étendant sur plus de dix ans d’activité
musicale : la pièce la plus ancienne, « Only Fellows »
remontant à 1999.
Nicolas Dary, compositeur, révèle une
réelle verve mélodique et le sens d’un équilibre très classique
de la composition. Ses pièces bien écrites mettent en valeur les
solistes qui trouvent matière à le valoriser dans des
développements improvisés aussi pertinents que sensibles. Le titre
éponyme de l’album, « U Babbu », qui inscrit ce volume
dans la tradition du Sonny Rollins de la grande période, évoque
avec bonheur la composition de Jerry Brainin, « The Night Has a
Thousand Eyes » (1949), magnifiée par le saxophoniste. Il est
suivi par deux pièces bien balancées d’une fluidité aussi
allègre que légère. Revenant à la tradition du be-bop, qui se
plaisait à revisiter les standards, « They Got Rhythm »
est une reconstruction intelligente de la composition de Walter
Jurmann, Bronislau Kaper et Gus Kahn, « All God’s Chillun Got
Rhythm » (1937), tout comme « I Don’t Want to Be
Unhappy » est une espièglerie sur celle d’Harold Arlen et
Ted Koehler, « Get Happy » (1929). Et si « Blues
for Stan » aux accents monkiens ou « ZI 307 »
incantation dolphyesque aux envolées parkériennes, dans leur
traitement harmonique « forcé », ne sont pas sans
évoquer, par l’esprit et le traitement rythmique découpé, un
modern « Now the Time », « Capolinea » est
une bien jolie ballade traitée dans la meilleure des traditions
sensuelles héritée de Hawkins. « Tell Me now » est
l’hommage noble à Newks. « Nocturne pour une baleine »
est la coda en forme de miniature poétique de cet opus musical.
Tous les musiciens concourent à la
réussite de l’album. L’exposition des thèmes à l’unisson
(sax/guitare), dans le respect de la tradition est exécutée avec
légèreté et aisance. Les interventions des solistes s’inscrivent
dans une continuité cohérente : les orchestrations sont
simples, efficaces et confèrent un ton original à chaque œuvre
conçue comme partie de l’ensemble. Mathias Allamane joue son rôle
à la perfection : soutien irréprochable mais également en
tant que soliste (« Peteis da nata »). Stan Laferrière
est un batteur musical : il participe au collectif, sur lequel
il pose ses couleurs rythmiques, sans jamais l’écraser ; sa
mise en place est un modèle ; quant à ses soli (« I
Don’t Want to Be Unhappy » ou « ZI 307 »), ils
ont la justesse de l’évidence. Joe Cohn est un excellent
guitariste, au style concis ; il s’avère surtout être un
formidable musicien capable d’entrer et de s’intégrer dans une
logique musicale. Ses soli épurés construits intelligemment
conviennent à merveille à cette musique qui, tout en « sonnant
jeune », conserve un grand classicisme. Nicolas Dary, au ténor
comme à l’alto, est le leader incontestable et incontesté de
cette séance de belle tenue musicale. Il possède une aisance
instrumentale assez exceptionnelle et un sens rare du discours
musical. En sorte que son phrasé en équilibre permanent lui permet
toutes les inflexions d’expressivité. Tout ceci pour dire que
Nicolas sait raconter une histoire avec tous les rebondissements et
les surprises qu’on est en droit d’attendre d’un très bon
musicien conteur dans une exécution bien enlevée.
U Babbu est album plein et
abouti. On prend plaisir à l’entendre et le réentendre. Bravo.
Félix W. Sportis
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Nicolas Dary Septet
L'Autre riveAfternoon
in Almada, On the Cliff, The Day Before, Piu Nimu/Mado, Les 7
Mercenaires, The Master, 3ème Round, Un Viaggio a Ferrara , The
Mouse, Night at Cortina, M.H./L’Autre Rive
Nicolas
Dary (ts, fl),
Fabien Mary (tp),
Luigi Grasso (as),
Jean
Christophe Vilain (tb),
Yves Brouqui (g),
Mathias Allamane (b),
Philippe Soirat (dm)
Enregistré
en novembre 2012, lieu non précisé
Durée :
59' 00''
Gaya
Music Production NDGCD001 (Abeille Musique)
On
connaît depuis longtemps le talent de Nicolas Dary comme
accompagnateur et comme leader. Il s’affirme une nouvelle fois mais
sous une forme particulièrement originale et inspirée. Originale,
parce qu’il traverse des tendances stylistiques du jazz fort
hétérogènes avec beaucoup de fluidité. Inspiré parce que les
compositions sont magnifiques, parce que l’élan expressif est là
et que la musicalité unifie chacun des choix avec bonheur. Après un
« Afternoon In Almada » où il évoque Hawkins (en petit
groupe façon Wrapped Tight ou The Hawk Flies High), Nicolas Dary
montre qu’en tant que soliste, il renvoie aussi à Stanley
Turrentine, Ike Quebec, Stan Getz, Teddy Edwards, Dexter Gordon… et
beaucoup d’autres ! C’est une synthèse originale, colorée,
vigoureuse mais très sensible. Les arrangements évoquent Gigi Gryce
ou Duke Pearson, mais il y a également un côté West Coast
interprété de manière très fraîche (« The Day Before »,
le dialogue Grasso/Dary ressemble à Charlie Parker Meets Sonny
Rollins). On pense aussi au Four Brothers (« Les Sept
Mercenaires »). La liste d’évocation serait longue et chaque
composition fait naître de multiples résonances – et souvent
simultanées ! Ses compagnons (et le terme est choisi) sont
pareillement inspirés, qu’il s’agisse de la verve frétillante
de Luigi Grasso, de la sobriété à l’élégance décontractée
d’Yves Brouqui, de la précision distinguée de Fabien Mary ou des
accents ellingtoniens de Jean-Christophe Villain. La rythmique sans
piano est une belle trouvaille qui met en valeur la finesse de
Jean-Philippe Soirat et de Matthias Allamane et les sonorités
d’ensemble. L’apport en couleurs de la flûte est remarquable
(« Mado »). Cet album est une vraie réussite musicale,
fruit d’un travail et d’une mise en forme qui ne se réduisent ni
à un concept ni à une affectation et qui préservent les qualités
d’expression instrumentale de chacun. A une époque recherchant le
sensationnalisme et l’exotisme, c’est aussi un pari artistique
audacieux que de s’inscrire avec autant de loquacité dans le jazz.
Jean
Szlamowicz
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De Looze / Machtel / De Waele
Foster TreasureAlways, Memories Of You, So Long Eric,
I Had The Craziest Dream, Con Alma, Lilu’s Back In Town, Who Cares,
Daydream, Retrato Em Branco E Preto, That’s AllBram De Looze (p), Matthias De Waele
(dm), Jos Machtel (b)
Enregistré en avril 2013
Durée : 59' 27''
W.E.R.F. 112 (www.dewerf.be)
J’ai eu l’occasion d’écouter
Bram De Looze (p) avec le LAB Trio dans l’ancien auditorium
Mercedes-Benz trois ans auparavant. Le trio ne m’avait pas
totalement convaincu alors même que j’avais décelé les
potentialités de chacun des membres. Cohésion ? Communion ?
Le groupe continue à se produire avec un talent grandissant. Lander
Gyselinck, batteur et percussionniste singulier, fait le bonheur de
nombreuses formations et Bram De Looze s’affiche de plus en plus
comme un excellent accompagnateur. Pour le présent album cosigné,
les jeunes De Looze et De Waele (dm) ont choisi de relire quelques
belles œuvres du répertoire avec le bassiste du B.J.O. : Jos
Machtel. C’est, évidemment, le meilleur moyen de prouver à qui
doute encore qu’ils ont le métier suffisant pour créer en
relisant. Mais n’est-ce pas ce qui importe le plus en jazz ?
Sous les doigts du pianiste, aisé, volubile, on trouve les
influences des modernes, d’Earl Hines (« Who Cares ») à
Cedar Walton, en passant par Oscar Peterson, Hank Jones (« That’s
All »), mais aussi : Thelonious Monk (« So Long
Eric »). Sous les baguettes du batteur : la lignée des
Jones (Joe et Phily sauf Elvin), mais aussi : une filiation avec
feu Freddy Rottier… Hé oui ! N’oubliez pas de coller votre ouïe
à la basse chantante de Jos Machtel (« Lulu’s Back In
Town », « That’s All ») et vous aimerez, comme
moi, cette légèreté classique qu’on retrouve si rarement.
Enjoy !
Jean-Marie Hacquier
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Jean-Paul Estiévenart
Wanted
The Man, Between the Curves,
Am I Crazy ?, Amok, Bird, Les doms, Lazy Bird, Witches Waltz,
Wanted Jean-Paul Estiévenart (tp),
Sam Gerstmans (b), Antoine Pierre (dm) + Perico Sambeat (as)
Enregistré les 24 et 25
juin 2013, Belgique
Durée : 58' 55''
W.E.R.F. 115 (www.dewerf.be)
Cinquante années après les
« Walen Buiten » de Leuven, nous assistons à des accords
inespérés entre les cultures flamandes et francophones de Belgique.
Syndrome Diables Rouges ? Les jazzmen n’en demandaient pas
moins ! Hasard ou similitude d’intention, W.E.R.F. donne la
parole à un trio exclusivement Wallon. Le jeune trompettiste borain
a gravé là-bas, un peu plus au nord, son premier album en tant que
leader. Quelle audace ! Il nous offre un trio pianoless et
guitarless qui ne laisse rien au hasard ! C’est une réussite
parfaite pour l’écriture de Jean-Paul, l’aisance, la mise en
place et la cohésion des trois. Dès les premiers titres on sait
qu’on devra compter sur chacun d’eux en Europe : « Between
The Curves » avec le lead confié à la basse ; « Am
I Crazy ? » : pour le discours du trompettiste, les
breaks, la fluidité des baguettes et la clarté du son sur les
drums. Jean-Paul Estiévenart a intégré l’héritage de Dizzy, de
Freddie et de Miles (« Amok », « Wanted »).
Sur « Les Doms », il use d’effets de gorge pour
étrangler son chant. « Lazy Bird » de Trane s’élance
dans un dialogue trompette-batterie vraiment époustouflant.
Respect, modernité, ouverture et modalité sont d’autres
qualificatifs transcendés par l’ajout du saxophoniste espagnol
(« Bird ») qui dialogue en question-réponse sur
« Witches Waltz ». De structure classique :
« Wanted » permet à Sam Gerstmans de s’affirmer très
inspiré. Quel beau mixage aussi ! Allez les p’tits gars,
continuez !
Jean-Marie Hacquier
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Inbar Fridman
Time Quartet ProjectDark Song for a Clear Day,
Christopher’s Cheek, Acoustic, No Palm Trees, 13 Days, Day Dreamer,
Just a Folk Song
Inbar Fridman (g), Camelia Ben Naceur
(p), Laurent Chavoit (b), Stefano Lucchini (dm)
Enregistré du 12-15 septembre 2011, France
Durée : 50' 30''
Origin Records 82630
(www.origin-records.com)
Un quartet avec deux femmes aux
instruments solos, c’est assez rare pour être souligné. Cette
organisation, nous la devons à Inbar Fridman (g) qui réalise ici
son premier album. Pour l’occasion, elle est entourée de
musicien(ne)s qu’elle a côtoyé(e)s durant sa tournée aux côtés
de Billy Cobham. Camelia Ben Naceur (p) et Laurent Chavoit (b)
faisaient eux aussi partie du périple européen du drummer
américain. Ce dernier est remplacé ici par Stefano Lucchini au
touché subtil. Les compositions des deux jeunes femmes transpirent
la douceur et s’étirent langoureusement pour permettre à la
guitare d’Inbar de faire rêver (« Acoustic ») tandis
que les interventions sur le clavier de sa partenaires évoquent la
sensibilité de Keith Jarett. Même « Day Dreamer »,
d’Arnaud Biscaye, conserve cette douceur apaisée qui sied bien à
l’ensemble du projet. La guitariste Israélienne sait entraîner
ses partenaires dans son univers. Le travail de fondation des deux
hommes est exemplaire au service des deux jeunes femmes. Time Quartet
Project est comme un tableau peint par quatre artistes pour donner
envie de s’évader des contingences matérielles de l’existence.
Michel Maestracci
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Curtis Fuller
Down HomeDown
Home, Ladies Night, C Hip’s Blues, Sadness and Soul, Nu Groove,
Then I’ll Be Tired of You, Mr. L, Sweetness, Jonli Bercosta, The
High Priest
Curtis
Fuller (tb), Keith Oxman (ts) Al Hood (tp, flg), Chip Stephens (p),
Ken Walker (b) Todd Reid (dm)
Durée :
1h 05' 30''
Enregistré
en mai 2011, Aurora (Colorado, USA)
Capri
Records 74116-2 (www.caprirecords.com)
Il
n’avait que 22 ans quand il enregistrait Blue Train aux
côtés de John Coltrane, Lee Morgan, Kenny Drew, Paul Chambers et
Philly Joe Jones…et, quelle santé : 77 ans lors de
l’enregistrement de ce CD. Quelle carrière aussi ! Mémoire
vivante de l’histoire du jazz depuis plus de 50 ans, il a joué
avec Bud Powell, Art Blakey, Coleman Hawkins, Benny Golson, le
Timeless et le Concord All Stars... Et voilà qu’à
l’heure de la retraite, une "bande de jeunes" –
menée par le saxophoniste Keith Oxman lui propose une tournée et
une séance d’enregistrement de quelques unes de ses compositions.
Le Papy ne fait pas de résistance, s’emballe même, et se lance
dans l’aventure avec l’enthousiasme d’un adolescent débutant,
en quête de notoriété. Le résultat de cette rencontre, le métier
aidant, est tout simplement bluffant. Si ses attaques manquent
parfois d’un peu de précision, sa fougue, son sens mélodique et
son inventivité restent intacts. Pourtant, si ce n’est pour
l’ordre de préséance des soli, ses jeunes comparses, ne le
ménagent guère. Brillants, volubiles, inspirés, et habiles
compositeurs (deux thèmes du pianiste et un du saxophoniste,
splendides), ils l’entrainent à leur suite dans un tourbillon
funky fort réjouissant qui réussit aussi à rajeunir... l’auditeur.
Daniel Chauvet
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Loston Harris
Swingfully Yours
Kiss and Run, Nice Work if You Can Get
It, I'm Old Fashioned, Hey You With the Crazy Eyes, How About You,
I've Got the World on a String, 9:26 Special, The Lamp Is Low, You
Can't Love 'Em All Loston Harris (voc, p), Ian
Hendrickson-Smith (ts), Gianluca Renzi (b), Carmen Intorre (dm)
Enregistré en 2013 à New York, date
non précisée
Durée : 38' 08''
Loston Harris Entertainment 103
(www.lostonharris.com)
Swingfully Yours est le
cinquième album enregistré par Loston Harris. Il appartient, à
l'instar de Bobby Short, à la catégorie très prisée aux
Etats-Unis des pianistes de bar des grands hôtels et a connu, depuis
ses débuts au milieu des années 90, une carrière atypique. En
effet, avant de se consacrer au clavier, Loston Harris avait commencé
par jouer de la batterie. C’est d’ailleurs à Virginia
Communwealth University, où il était déjà en classe supérieure
de percussions, qu’Ellis Marsalis professeur invité dans
l’établissement l’entend jouer du piano pendant un intermède.
Il lui conseille alors de se réorienter. Le jeune musicien travaille
beaucoup pendant quatre ans et à l’occasion du First
Thelonious Monk Jazz Competition à Washington (DC), Harry
Connick Jr lui conseille de poursuivre en prenant des cours avec son
ancien professeur, Ellis. Ce qu’il fait. Après le départ d’Eric
Reed de son groupe, Wynton Marsalis fait appel à plusieurs pianistes
dont Farid Barron et Marcus Roberts qui, peu disponible, fonctionne
en binôme avec avec Loston Harris. Néanmoins, la notoriété de ce
dernier n'a pas dépassé le cercle un peu confidentiel des musiciens
new-yorkais. C’est qu’entre-temps, il avait trouvé un emploi
stable de pianiste attitré au fameux Bemelmans
Bar du Carlyle Hotel de New York, où il travaille toujours
depuis, non sans se priver d’enregistrer quelques albums comme ceSwingfully Yours. Pour celui-ci, il est entouré de
partenaires venant d’un peu partout : Carmen Intorre (dm),
très apprécié à Big Apple et est né à Buffalo (NY) ;
Gianluca Renzi (b), né à Frosinone (une petite ville à 70 km de
Rome) ; et un quatrième membre, avec lequel, il a souvent eu
l’occasion de se produire, Ian Hendrickson-Smith (ts), né à New
Orleans. Au programme les standards de Gershwin, Kern, Van Heusen…
et un classique du jazz, « Nine Twenty Special »
rebaptisé pour la circonstance « 9:26 Special ». Le ton
général de l’album est un peu monotone : à vouloir être "swingfully", la plupart des thèmes (sauf « How
About You », la plage mettant le mieux en valeur le beau
registre pianistique du musicien et la respiration de la structure de
la pièce) est joué en medium high. Le leader, qui se réclame
de Nat King Cole et Frank Sinatra, connaît parfaitement ce
répertoire. Ses partenaires tout autant et le quartet fonctionne
bien. Renzi est un soutien solide, parfait même pour ce genre de
musique. Carmen Intorre a une mise en place impeccable ; il
accompagne sans écraser tout en stimulant les solistes (chanteur ou
saxophoniste). Ian Hendrickson-Smith joue un rôle important dans
l’équilibre de l’album. C’est un modern qui swingue
avec beaucoup d’aisance et insuffle un parfum de jazz agréable. Le
pianiste a une belle technique ; l’instrument n’a pas de
secret pour lui, il est même brillant parfois (« The Lamp Is
Low »). J’émettrais cependant une petite réserve : sa
manière de "jouer en avant" gène parfois (« 9:26
Special ») ; d’autant que sa façon de chanter calquée
sur son jeu instrumental accentue l’impression de "presse du
tempo", amplifiée par la tessiture de sa voix ne paraissant
parfois pas en accord avec la tonalité (« I've Got the World
on a String » - la version de ce morceau par Fitzgerald dans
Ella à Hollywood 1961 est tellement exceptionnelle !).
Loston Harris n’est pas un "crooner" langoureux bien dans le fond du temps. Mais
ne faisons pas la fine bouche : ce n’est tout de même pas
mal !
Félix W. Sportis
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Mathis Haug
Distance
We’ll Get There by Dawn, Carnival
Train, Wise Advice, Poodle Dog, Sign of the Times, Song for My
Brunette, Heartbreaker, Cannibal Dancer, Paper Cup, Is Jesus on My
Side ?, The Clown, Sad and Lonesome Day Blues Mathis Haug (g, voc), Stephan Notari
(p, dm, perc, tambourin), Ben Rapetti (b), Jean-Jacques Milteau (hca), Céline
Bonacina (bs, ss), Mike Latrell (org, tuba, mandoline)
Enregistré à Carpentras (84), date non
communiquée
Durée : 42' 58''
Dixiefrog 8740 (Harmonia Mundi)
Mathis Haug est né en 1976 au cœur de
la Forêt Noire. Très jeune, il prend des cours de piano, écoute
beaucoup et surtout découvre le blues des années 30, le musette, et
le jazz. Sa guitare sous le bras, de bars en festivals, Mathis
bourlingue au gré de ses amours et de nombreuses aventures
musicales. Après Playing My Dues, son premier opus, il sort
une seconde galette produite par Jean-Jacques Milteau. La production
est étincelante et donne au projet un écrin scintillant où la
guitare d’Haug brille au firmament. Son expression sur
l’instrument n’est pas ans rappeler J-J cale, disparu
dernièrement. Ses histoires chantées renvoient un peu à Eliott
Murphy, un autre adepte du laid back ou Leonard Cohen.Distance parcourt un univers blues maîtrisé avec des
interventions de qualité des différents intervenants, comme Céline
Bonacina (bs) sur « Wise Advice », qui donne de la
chaleur à l’auteur du propos. Avec une voix originale, Mathis Haug
doit être vraiment surprenant sur scène. Si vous l’avez à
l’affiche pas loin de chez vous, n’hésitez pas !
Michel Maestracci
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Roy Haynes
The Quintessence
Titres et
personnels communiqués dans le livret Enregistré
entre juin 1949 et juillet 1960, New-York, Paris
Durée :
1h 09' 38'' + 1h 12' 17''
Frémeaux
& Associés 294 (Socadisc)
Le temps
ne semble avoir aucune prise sur Roy Haynes. Depuis Fountain of
Youth sorti en 2004 et illustré par un magnifique concert aux
regrettés « Mardis du jazz du Cabaret de Monte-Carlo »,
il a triomphé à la dernière édition du Nice Jazz Festival, dans
les Arènes de Cimiez, en 2010, aux côtés de Chick Corea, Kenny
Garrett, John Mc Laughlin et Christian McBride. En 2011, encore, il
publiait Roy-Altry, et, depuis, continue sans doute depuis à
jouer ici ou là, à 88 ans passés avec les meilleurs des meilleurs.
Ce précieux double album retraçant quelques aspects marquants de sa
carrière entre 1949 et 1960 en appelle donc obligatoirement un
autre, voire deux, pour couvrir, de 1960 à nos jours, une deuxième
partie de carrière s’étalant sur plus de cinquante ans… Il se
produit ici avec la plupart des héros disparus peuplant le
Panthéon musical de tout amateur de jazz (Lester Young, Bud Powell,
Fats Navarro, Charlie Mingus, Sarah Vaughan, Jimmy Gourley, Barney
Wilen, Henri Renaud, Clifford Brown, Herbie Mann, Percy Heath, Art
Farmer, Thelonious Monk, Phineas Newborn, Paul Chambers, Kenny
Burrell, Coleman Hawkins, Eric Dolphy, Freddy Hubbard, Jacky Byard),
et quelques autres « big shots » (Martial Solal, Sonny
Rollins et Hank Jones), toujours actifs qui figurent aussi dans ce
carnet de bal…Très apprécié des musiciens dès ses débuts, il
fut peu remarqué du public, avant qu’enfin, en 1998, le label
Dreyfus Jazz ne lui rende justice en publiant quelques albums sous
son nom. Né en 1925, s’il fut avec Kenny Clarke, Art Blakey ou Max
Roach, ses illustres contemporains, un des acteurs de la révolution
du bebop, il a vite développé un style propre, sans filiation
remarquable, et si original, qu’on ne lui connait guère
d’héritiers revendiqués. Batteur unique qui ne se contente pas,
comme beaucoup, de marteler immuablement le tempo, il semble jouer en
osmose totale avec les solistes qu’il suit comme une ombre à la
sextuple croche près pour souligner la progression qu’il devine
de leur discours. Souvent, il les précède de peu pour les motiver
davantage, comme si c’était lui le maître du jeu, celui qui ouvre
les pistes, les balise et, à l’occasion y cache quelques
chausse-trappes facétieuses (ce qui a pu, un temps, déstabiliser,
parait-il, Johnny Griffin soi-même dans le quartet de Thelonious
Monk). Pour peu de monter un peu le son et de se livrer à l’exercice
inhabituel d’une écoute attentive de la batterie, ces deux CD
apportent la preuve de la magistrale maîtrise de son jeu. Dès les
premiers extraits (alors qu’il n’avait alors qu’à peine 25
ans), il développe intros, codas, breaks, 4/4 et solos, avec une
virtuosité et une inventivité démoniaques, et une aisance et une
musicalité confondantes. Tout juste de quoi lui faire une réputation
fâcheuse de « musicien pour musicien » qui le poursuivra
longtemps auprès des amateurs mal éclairés. Qu’importe, la
lumière est enfin revenue, et Roy Haynes est aujourd’hui reconnu
comme l’un des batteurs les plus importants de l’histoire du
jazz, doublé d’un généreux découvreur de talents. Raison de
plus pour ne pas se priver de cet album incontournable, ni, sans
doute, de ceux qui suivront.
Daniel Chauvet
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Gijs Hendriks Quartet
On the Way
A Minor Foolin’,
Canto De Ossanha, Just a Ballad, Where Have I Heard, Da’s Bes, The
Latest Piece, Het Bitonale Stukje, Round about Midnight
Gis Hendriks (as, ss,
ts, bs, cl), Sonny Grey (tp), Frank Grasso (tp), Slide Hampton (tb),
Fred Leeflang (ts), Harvey Wainapel (as, cl), Henny Kluvers (fl),
Fred van Ingen (bcl), Siegfried Kessler (p, ep), Bert van Erk (b,eb),
Michael Baird (dm, perc), Raul Burnet (perc)
Enregistré en
octobre-novembre 1976 et janvier 1977, Hilversum (Pays-Bas)
Durée : 1h 14'
07''
SWP Records 040
(www.swp-records.com)
La richesse du jazz n’a
pas de limite et offre ainsi des terrae incognitae même à
des amateurs confirmés, de celles mêmes qui ressurgissent du passé.
Cette bonne réédition
d’un enregistrement la fin des années 70 du siècle dernier
présente la particularité d’être une nouveauté car elle n’est
jamais sortie pour des raisons juridiques, et elle nous remet en
mémoire l’imagination qui régnait alors dans le monde du jazz
euro-américain, encore mêlé, suite logique de la Seconde Guerre
mondiale. Car c’est dans ce creuset des concerts organisés pour
les troupes américaines en Allemagne, en particulier, qu’à débuté
ce saxophoniste, à l’âge de 17 ans. Il n’est donc pas étonnant
de retrouver cette excellente musique servie par des musiciens
américains et européens dans un esprit aussi aventureux que
complice et enraciné, sans aucun renoncement à ce qui fait
l’essentiel du jazz, le swing, du beau son, des accents blues, des
compositions originales, pour la plupart dues à la plume du leader,
avec pour le plaisir Slide Hampton, Sonny Grey mais aussi le
magnifique Siegfried Kessler et l’oublié Raul Burnet. Gijs
Hendriks a lui-même une fort belle sonorité, au ténor en
particulier (« The Latest Piece »), et il y a chez lui,
comme dans beaucoup de la musique de jazz de cette époque, une
indéniable poésie.
En France, on ignore
largement l’un des excellents musiciens bataves, qui a pourtant à
son actif d’avoir parcouru notre pays, et d’avoir joué et
enregistré depuis un demi siècle avec le gratin du jazz (Art
Taylor, Beaver Harris, Johnny Griffin, Slide Hampton, Frank Rosolino,
Benny Bailey, Nina Simone, Betty Carter, Joe Diorio, et beaucoup
d’autres, connus et moins connus).
Evidemment cet oubli n’est
pas limité à l’excellent Gijs Hendriks. La chance est que Gijs
Hendriks, né à Utrecht, Pays-Bas, le 26 février 1938, a continué
d’enregistrer (www.gijshendriks.com). Alors, ne nous privons pas
d’un beau son de saxophone et de revisiter (ou découvrir ici) les
beautés encore cachées d’une œuvre déjà ancienne.
Yves Sportis
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Art Hodes
I Remember Bessie
Titres communiqués dans le livret
Art Hodes (p)
Enregistré le 19 septembre 1976,
Los Angeles
Durée : 1h 00' 30''
Delmark 254 (www.delmark.com)
Le pianiste Art Hodes (1904-1993),
né en Ukraine, a vécu à Chicago dès l’âge de 6 ans. Hugues
Panassié écrit : « Aime le vrai blues et le style
Nouvelle-Orléans » puis s’empresse de préciser, puisque
c’est un Blanc, « mais ses dons sont très limités »
(1971). Ce n’était pas mieux du côté du progressiste Leonard
Feather qui a empêché Lester Young de l’utiliser dans une séance.
Comme d’habitude, le présent signataire n’est d’accord avec
personne. Art Hodes est un excellent pianiste jazz et blues, d’une
grande sobriété. Pas un virtuose en effet, mais un musicien de "feeling". Il fit de bons disques en 1944-45, sous son
nom, chez Blue Note, avec des gens comme Sandy Williams, Vic
Dickenson, Ed Hall, Rod Cless, Mezz Mezzrow, Omer Simeon, Freddie
Moore et le légendaire Oliver Mesheux. En 1968, il a réalisé des
émissions TV très pédagogiques avec Barney Bigard, Pee Wee
Russell, J.C. Higginbotham. Ici, c’est un disque en piano solo (les
titres 13-17 sont des inédits), un exercice qui, en principe,
m’ennuie au plus haut point. Eh bien, pas cette fois ! Bien
sûr, pas de quoi grimper aux rideaux. Mais,
Art Hodes, comme Clarence Williams, joue le blues lent, de façonlow-down : « Yonder Comes the Blues », « Back
Water Blues », « You’ve Been a Good Ole Wagon »,
« Slow and Easy Man », « Yellow Dog Blues ». On
prend plaisir à écouter son « St Louis Blues » (avec changement
de tempo). Dans
« Nobody Knows You When You’re Down and Out », on pense
à Bessie Smith. Il n’y
a pas que du blues, et Art Hodes swingue dans « Cake Walkin’
Babies From Home » (deux prises). Comme quelques autres, il
bluesifie ce qui n’en est pas (« After You’ve Gone »).
Un disque qui pourrait être prescrit pour traiter les jazzeux
déviants.
Michel Laplace
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Pasquale Innarella Quartet
Uomini di terra
L’uomo delle terre, Flowers for Rocco
Scotellaro, Malayka, Terra selvatica, Festa contadina, Non è l’amore
che va via, Donne delle tembe, Blued Pasquale Innarella (ts, as, ss),
Francesco Lo Cascio (vib, perc), Pino Sallusti (b), Roberto Altamura
(dm)
Enregistré les 15, 16 et 17 mars 2012,
Rome (Italie)
Durée : 57' 38''
Terre Sommerse TSJEI014
(www.terresommerse.it)
Vous n’êtes pas sans connaître le
beau film de Luchino Visconti, Rocco et ses frères, une œuvre
du maître italien réalisé en 1953, justement en hommage à Rocco
Scotellaro (dédicataire d’une de ces pièces), l’écrivain
chantre du Mezzogiorno et surtout de l’ancienne Lucanie
(Basilicate) où il s’éteignit cette même année ; homme de
plume et poète certes, mais également politique très engagé dans
la l’histoire de l’Italie d’après-guerre qui parlait des
hommes de la terre et de leurs difficultés à conserver plus que
leurs traditions, leur dignité dans un pays en reconstruction. Une
des grandeurs du néo-réalisme cinématographique italien, dans
lequel la tendresse triste pour ces hommes ne plongea jamais dans le
pathos des bons sentiments. Pasquale Innarella n’est plus un tout
jeune homme (il est né en 1959 dans cette même région). C’est un
acteur de la musique engagée dans le jazz d’avant-garde très
largement influencé par l’africanisme et la musique de Coltrane,
dont il est, un peu à la manière de Frank Wright à Washington, un
admirateur et un spécialiste. Mais en homme de culture, il traduit
ses préoccupations dans une relecture du monde, dont la rusticité
en référence au résistant syndicaliste paysan, Giuseppe di
Vittorio, n’est pas la moindre de sa vie : en témoigne le
titre de son album Banda Rustica. « Les hommes de la terre »,
qu’il chante à Rome dans cet album, sont les agriculteurs du Sud
de la province d’Avellino en Campanie, dévastée par le
tremblement de terre de 1980, mais tout aussi de l’Irpiniades montagnes et du loup mythique. Cela ne vous rappelle-t-il pas
quelque chose ?
Sa musique est un métissage très
enraciné : mélange de tendresse triste de la musique populaire
italienne (« Non è l’amore che va via »), dans sa
rugosité rustique, et de véhémence, d’invective et même de
violence des rues hostiles des ghettos urbains (« Terra
selvatica ») ; une espèce de Coltrane au lyrisme de
Verdi. Car dans sa volonté de « salir le son », le
musicien ne peut (le veut-il ?) s’affranchir de sa tradition
du chant (« L’uomo delle terre »). Parallèlement, le
musicien de jazz ne se prive pas de recourir à la syntaxe du jazz,
le swing (« Flowers for Rocco Scotellaro) et le blues
(« Blued ») dans une conclusion bien venue. Le vibraphone
très fin de Francesco Lo Cascio confère une légèreté surprenante
à cette musique au ton austère et parfois dramatique. La partie de
contrebasse de Pino Sallusti apporte une belle assise, remarquable
de précision et de rigueur, au groupe qui trouve une sorte
d’aboutissement avec le jeu coloré et plein de finesse de Roberto
Altamura. Uomini di terra, enregistré en public à La
Riunione di Condominio, dans le quartier de Termini à Rome, est
composé pour l’essentiel de pièces du leader. Mais il y en a une
du guitariste kényan Fadhili William et une seconde empruntée à un
artiste plongeant également ses racines en Irpinia,
Vinicio Capossela. Un album rare.
Félix W. Sportis
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Agathe Jazz Quartet
Believe in Romance
Dat
Dere, Barbados, The Man I Love, Believe in Romance, I Got Rythm Agathe
Iracema (voc), Oscar Marchioni (p), Juan Sebastien Jimenez (b), David
Grebil (dm) + Sylvain Del Campo (as)
Enregistré
les 6 et 7 juillet 2010, Paris
Durée :
20' 53''
DejaProduction
(http://agathe.nanacola.fr)
Agathe Iracema Brazilian Music Band
Carinhoso,
Lavadeira do rio, Oceano, Natureza, Sam Blues, Caminhos Cruzados Agathe
Iracema (voc), Leonardo Montana (p), Rubens Santana (b), Eneas de
Jesus (g),Tiss Rodriguez (dm), Adriano DD, Natascha Rogers (perc)
Date et
lieu d'enregistrement non précisés
Durée :
22' 12''
DejaProduction
(http://agathe.nanacola.fr)
Agathe
Iracema n'a que 23 ans et nous la suivons déjà depuis quelques
années (Jazz HotN°654). Les bonnes fées du swing et de la bossa se sont penchées
sur son berceau, autour duquel se tenait un père bassiste,
brésilien, Rubens Santana, et une mère française. Les deux petites
galettes, d'une vingtaine de minutes chacune, dont il est question ici,
sont des cartes
de visite musicales avant tout pour la jeune chanteuse, mais bien
représentatives des deux univers dans lesquels évolue Agathe :
le jazz et la musique brésilienne. Car plutôt que de mélanger les
genres et de risquer diluer le caractère de l'un et de l'autre, la
Franco-brésilienne évite justement la tarte à la crème du métissage
culturel tant célébré par nos élites. Elle pratique le jazz avec
les musiciens de jazz et la musique brésilienne avec des Brésiliens,
notamment Papa. Bien qu'il paraisse évident que c'est à ses racines
brésiliennes que la petite Parisienne doit son phrasé si
naturellement swing (considérant que les Brésiliens de couleur sont
une des composantes du monde afro-américain, qui englobe New Orleans
comme La Havane). Le jazz
donc, d'abord. Et ce Agathe Jazz Quartet que la vocaliste mène avec
beaucoup d'aisance. Soutenue par un bon line-up,
en particulier Juan Sebastien Rimenez, auteur des arrangements, Miss
Agathe développe des intonations à la Ella Fitzgerald. Non pas
qu'elle soit dans l'imitation, mais le relief et la clarté du phrasé
se situe clairement dans son giron. Il ne reste plus à Agathe qu'à
se débarrasser de petites manières, de certains effets trop appuyés
et elle se hissera au niveau des plus grandes. C'est en tous cas un
grand plaisir que de l'entendre sur ces quelques plages, y compris
sur sa composition « Believe in Romance », de la
meilleure facture.
Le
Brésil, ensuite. A la tête de son Brazilian Music Band, Agathe
séduit tout autant. D'autant que son « bilinguisme »
musical est étonnant : c'est une autre chanteuse que l'on
découvre ici, avec une technique vocale différente. Bien sûr, on
reconnaît le timbre, mais le phrasé n'est plus jazz. Ella a
disparu... De même, le trio acoustique a laissé place à la basse
et la guitare électriques. Et là encore, c'est bien fait.
Que
souhaiter à Agathe sinon de poursuivre sa route sur cette double
voie qui semble lui convenir et nous souhaiter à nous qu'elle nous
offre bientôt un véritable album de jazz, un peu plus consistant
que ces fort plaisantes mises en bouche.
Jérôme Partage
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Ironing Board Sam
Double Bang !
CD1 :
Ever Look at a Tree, Nothing but Your Butt, For the Love of Money,
Good Will Come to You, Beat the Devil, Bedroom Window, Do the Ironing
Board, I Feel Your Pain, Life Is Like a Seesaw, It Will Come to
Light, Can't Nobody Do, Somewhere Over the Rainbow CD2 :
Life Is Like a Seesaw, (Come on) Let's Boogie, Why I Sing the Blues,
Somewhere Over the Rainbow, Don't Worry About Me, Cherry Pie, Skinny
Woman, Self Rising Flour, Orleans Party, Come to Mardi Gras, Heaven,
Please Send Me, Tallahassee Bridge, In the Mood For Love, I've Been
Used, Man of the Street, Purple Raindrops, Non Support, I Laugh,
Original Funky Belly Bottom, Raining In My Heart, Let's Streak, Treat
Me Right, When You Brought Me You
Personnel
détaillé dans le livret
Enregistré
février et juillet 2012 (CD1), Huntsville (Alabama) et en mai 2011
(CD2), Hillsborough (Caroline du Sud)
Durée : 38'
34'' + 1h 14' 57''
Dixiefrog
8733 (Harmonia Mundi)
Music
Maker Relief Foundation, association américaine à but non lucratif
fondée par Tim & Denise Duffy en 1994 pour perpétuer la
mémoire, l’œuvre et la reconnaissance des grands anciens, South’s
music heroes, installée à Hillsborough (Caroline du
Sud), publie ce double album de Ironing Board Sam qui y a adhéré en
2010.
Samuel
Moore, connu dans le chitlin’ circuitsous le nom de Ironing Board (« planche
à repasser » – pour y avoir, à Memphis lors de ses débuts,
installé le clavier de son B3, faute de pied) Sam était né en
Caroline du Sud à la fin des années 1930. Il acquiert la technique
du clavier sur l’orgue paternel et joue dans différents groupes
locaux, notamment avec le chanteur/harmoniciste de blues Robert
Nature Boy Montgomery, avant de quitter sa Caroline natale à la fin
des années 1950 pour s’installer, à 16 ans, dans la capitale de
la musique populaire américaine (blues, R&B, rock, country
music, etc.), Memphis (Tennessee). Il y acquiert une certaine
notoriété locale et gagne la considération générale dans le
milieu du R&B pour avoir recruté dans son groupe un jeune
guitariste, fraichement démobilisé, Jimmy Hendrix ! Il essaie
vainement de s’implanter chez Stax au milieu des sixties. Mais il y
a pléthore ; jamais il ne parviendra à acquérir la renommée
nationale qu’il espérait. Après avoir fait une tentative à
Chicago chez Chess, il tente sa chance sur la Côte Ouest au début
1970. Mais il revient à Memphis en 1973. Il émigre ensuite à New
Orleans, où il installe ses quartiers au Mason’s VIP Lounge sur
Claiborne Avenue ; il est accompagné par le batteur Kerry Brown
et se proclame « The Eighth Wonder of the World ». Les
résultats ne s’avérant pas à la hauteur de ses espérances, il
reprend la route vers Nashville, Memphis… En 1982, il s’installe
à nouveau à New Orleans. Il joue dans les boites de Bourbon Street
en duo avec un petit singe mécanique, Little
George, dans le French Quarter, avant d’opter pour le
concept d’homme jukebox sur la voie publique. Après l’intermède
d’une tournée européenne au début des années 1990, jusqu’à
Katrina, il vit à Crescent City. Il réside maintenant en Caroline
du Sud, non loin de Tim et Denise Duffy. Venu de la musique sacrée,
où il a acquis les codes de la tradition afro-américaine, Sammy
Moore a poursuivi la filière de la tradition du gospel
song, touchant à tous les styles de musique qui, aux USA, ont
concerné sa génération au XXe siècle : blues, rhythm
& blues, rock… sans jamais s’imposer. Il a d’ailleurs
enregistré assez peu d’albums ; surtout des 45 tours. Il a
beaucoup galéré ; et sa mégalomanie individualiste n’y est
pas étrangère, même si son album The Human Touch (Orleans OR-1711)
est de qualité.
Ce
double album présente les enregistrements du dernier Ironing Board
Sam (2011 et 2012). Deux couleurs : une, blues, en solo
piano/orgue/voix, un peu austère ; l’autre, plus festive, et
plus rhythm & blues avec des musiciens
de talent comme Rashid Abdul Khaaliq ou Kenneth Ortaga (b), Albert
White ou Rick Ward (g), Ardie Dean ou Larive Lee (dm), Steve Herman
(tp), Chris West (ts, as), Charlie Rose (tb), Jim Horn (bs) et le
chœur des Believers in Christ. Néanmoins, les dix dernières faces
du CD2 (plages 14 à 23) constituent, par leur authenticité et la
vérité de l’époque, les documents (devenus rares) les plus
intéressants. Sans avoir été un grand de ce style, Ironing Board
Sam est un représentant significatif de la musique populaire noire
des Etats-Unis de la période 1955-1970. Il ne possède ni la
puissance évocatrice des grands chanteurs de blues ni le charisme
des gloires du R&B ; mais sa voix s’inscrit dans une
tradition largement répandue dans le Sud. Ce n’est pas, davantage,
un grand pianiste (Mildred Bailey ou Roosevelt Sykes) ni un grand
organiste (Jack McDuff…) ; mais il représente un style issu
des églises noires du Sud également, significatif de ce courant
important qui traverse les USA depuis les années 1930. Et ce disque
restitue, dans sa simplicité, assez bien l’ambiance réelle, hors
les monstres reconnus et patentés.
Félix
W. Sportis
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Ahmad Jamal
The Quintessence
CD 1 : A Gal in Calico, They Can't
Take That Away From Me, The Donkey Serenade, New Rumba, I Don't Wanna
Be Kissed, I Get a Kick out of You, Darn That Dream, How About You,
But not for Me, Music! Music! Music! Put Another Nickel In,
Poinciana, Too Late now, Billy Boy, I'll Remember April, Cherokee,
Seleritus, This Can't Be Love, Ivy, It Could Happen to You CD2 : Autumn Leaves - Les Feuilles
mortes, You Don't Know What Love Is, Aki And Ukthay - Brother and
Sister, Tater Pie, Ahmad's Blues, Ahmad's Blues, Comme ci comme ça,
Sophisticated Gentleman, Tangerine, Autumn in New York, Should I,
That's All, The Girl Next Door, Stompin' at The Savoy, Little Old
Lady, Time on My Hands, Pavanne, Ahmad's Waltz, Valentina
Ahmad Jamal (p), Ray Crawford (g),
Eddie Calhoun, Israel Crosby (b), Walter Perkins, Vernell Fournier
(dm), Joe Kennedy (vln)
Durée : 1h 12' 44'' + 1h 12' 10''
Frémeaux & Associés 289
(Socadisc)
Ahmad Jamal est actuellement le
musicien américain de jazz le plus souvent présent sur les scènes
en France : concerts, festivals… Ceci depuis le début des
années 1990, période à laquelle le regretté Jean-François
Deiber, disparu en 2005, le fit redécouvrir au grand public français
en l’invitant au Théâtre de Boulogne-Billancourt (TBB) puis en
produisant plusieurs de ses albums sur le label Birdology ;
l’artiste le lui rendit bien, qui enregistra un bel album hommage
après sa mort. Depuis, il passe une grande partie de son existence
dans notre pays. Cependant, la carrière du pianiste de Pittsburgh
avait commencé dès le début des années 1950. Il avait connu un
grand succès auprès du public mais également auprès de ses
confrères parmi les plus célèbres (dont Miles Davis) qui
appréciaient son style aéré. Il s’était produit en France en
1962 et avait été acclamé par les amateurs, mais Henri Renaud
soulignait qu’il n’était pas apprécié à sa juste valeur dans
notre pays. Il avait d’ailleurs connu une première éclipse entre
1962 et 1970 jusqu’à la sortie de son album The Awakening(1970), qui l’avait propulsé de nouveau sur le devant de la scène.
Il en avait pourtant connu une seconde du milieu des années 1970 au
début 1990, restant dans la mémoire collective du world jazz une
sorte de pianiste mythique au destin inaccompli. Depuis, le musicien
est devenu une gloire reconnue du jazz, tant avec son trio précédent
(James Cammack, b, Idris Muhammad, dm) qu’avec le nouveau (Reginald
Veal, b, Herlin Riley, dm), se produisant dans les festivals du
monde.
Ce coffret propose une anthologie de 38
plages empruntées à différents albums (mentionnés) correspondant
à ceux enregistrés pendant la première période de l’œuvre de
Frederick Russell Fritz Jones (certains diront la "seule grande" ?), né le 2 juillet 1930, converti
à l’islam en 1951 sous le nom de scène que nous lui connaissons
depuis. « L’Architecte » présente, sur ces huit
années, la manière dont s’est élaborée sa conception du trio
mais également sa façon de concevoir la place et le rôle de chacun
des instruments dans l’ensemble conçu comme un orchestre en soi.
Ahmad Jamal y a connu une évolution comparable à celle de la
plupart des autres leaders de piano trios : une première phase
comme Oscar Peterson où, reprenant la formule inaugurée avant lui
par Nat King Cole et Art Tatum, la formation comprenait piano,
guitare (Ray Crawford) et contrebasse (Eddie Calhoun puis Israel
Crosby) ; après 1955, presqu’au même moment que le pianiste
canadien, il renonce au guitariste pour s’adjoindre les services
d’un batteur (Walter Perkins puis Vernell Fournier). Enfin, jusqu’à
1960, son trio ne fait appel à aucun percussionniste ; ce n’est
qu’après 1974, sur Jamal Plays Jamal, (LP 20th Century
Records T-459), qu’il introduit pour la première fois des congas
(Azzedin Weston) dans sa formation. Cette modification dans
l’organisation de son trio traduit une évolution dans sa manière
de penser la relation trio/structure rythmique. Dans la première
phase (p/g/b), le trio s’en tient encore assez étroitement à la
formule swing du cha-ba-da et même shuffle.La mélodie est exposée avec structurations rythmiques soulignées
par le guitariste sous forme d’accords de découpage ; ensuite
le tempo assumé par ses deux acolytes, parfois colorés par des "cocottes rythmiques" de Ray Crawford, sur laquelle le
pianiste brode ses arabesques de notes piquées en forme de
variations sur le thème, qu’il structure au moyen d’aplats
colorés en accords plaqués, voir de clusters et/ou en
leitmotivs/riffs. Le guitariste intervient néanmoins encore en tant
que voix mélodique également qui prend des choruses.
Lorsque le guitariste se voit substitué le batteur, l’aspect
rythmique du trio est conforté et le pianiste participe également à
la « dance » en traitant le piano en instrument de
percussion. « Poinciania » (1956) en constitue le parfait
accomplissement ; bien que, dans l’interprétation d’une
mélodie aussi lyrique que « It Could Happen to You »
(1958), il ne se prive pas de hacher son improvisation de "bombes"
et de clusters. Dans cette période, Jamal joue de son trio comme
d’un orchestre dans la logique d’ensemble, avec toutes les
nuances de rythme et de couleurs dans une jouissance jubilatoire.
« Grâce à Ahmad Jamal naîtra une nouvelle conception de la
section rythmique », écrivait Henri Renaud au début des
années 1960. En fait, ces faces établissent qu’il n’y a plus
même de section rythmique ; la conception même du trio de
piano a changé. C’est l’entité trio en soi, libérée des
autres instruments de l’orchestre, qui devient l’unité nouvelle.
Et cette utilisation de l’élément rythmique comme fondement de la
construction de la pièce musicale met en relief l’une des
composantes majeures de l’esthétique du jazz, la répétition
incantatoire comme forme poétique ; ainsi « Stompin’ at
the Savoy », par exemple, est entièrement construite autour de
la répétition – du rythme (autour du tempo installé par le
batteur comme dans le Boléro de Ravel) et des structures
leitmotivs-riffs et harmoniques (parties assurées par la
contrebasse), le piano dessinant par dessus ce groove ses arabesques
comme des calligraphies sonores. En avançant dans le temps (dans les
années 2000), l’élément rythme deviendra premier et concernera
l’ensemble trio conçu comme un seul et même instrument de
percussion joué par trois musiciens ; au point que les ponts
mélodiques du piano reliant les parties percussives apparaîtront
souvent comme des « jouissances de coïtes interrompus ».
Ces enregistrements en présentent déjà les fondements si le
pianiste continue à tresser sa poésie.
Le programme de cette anthologie
présente l’originalité de retenir des pièces de plusieurs
compositeurs français : « Les Feuilles mortes » de
Joseph Kosma, avant que Julian Cannonball Adderley ne mît cette
œuvre à l’honneur et que Miles Davis ne l’imposât en tant que
standard ; « Comme ci comme ça » n’est que le
titre américain de la mélodie de Bruno Coquatrix, « Clopin
clopant » ; « Valentina » (une pochade) n’est
autre que la Valentine, « frisée comme un mouton »
d’Henri Christiné : « elle avait de tout petits petons,
tétons… » que Maurice Chevalier « tâtait à
tâtons » ; enfin, reprenant une formule souvent utilisée
par son maître Erroll Garner, l’introduction par association
d’idées, « Stompin’ at the Savoy » est introduit par
« La Marseillaise » de Rouget de Lisle. Cette sélection
ne reprend que trois compositions personnelles et un seul classique
du répertoire jazz (« Stompin’ at the Savoy »). En
sorte que l’essentiel est, pendant cette période, totalement
constitué de songs de Tin Pan Alley, qu’on
ne désignait pas encore par le terme « standard ». Ces
38 faces sont de l’ordre de l’exceptionnel ; et quelques
unes « plus exceptionnelles encore » :
« Poinciana », bien sûr, « Billy Boy »,
« I’ll Remember April », « Cherokee » (avec
ses ruptures de tempo dont Martial Solal fera ses délices), « But
not for Me », « Automne in New York », « Little
Old Lady », « That’s All » (tendre poésie),
« Time in My Hands » (une miniature), « Ahmad’s
Blues » (en trio), « Stompin’ at the Savoy » et,
peut-être dans la forme la plus parfaitement équilibrée, cette
version de « It Could Happen to You », dont le tempo
medium en suspension met en valeur toutes les innovations de ce
trio : lyrisme, légèreté et swing (luncefordien) – avant
que le groove ne l’efface – dans un espace élastique qui
respire. Pendant cette période, Ahmad Jamal a connu un état de
grâce. Sa musicalité exceptionnelle, servie par un touché
pianistique d’une clarté superbe sur tout le spectre de
l’instrument, joue avec bonheur de l’opposition des timbres selon
les registres. Nous ressentons l’impression qu’il se surprend
lui-même à inventer son langage avec le ravissement et la magie de
l’heureuse découverte. Ses partenaires sont de formidables
musiciens et, pour ce genre d’exercice, exceptionnels. Quelle que
soit la formule, ils participent à la fête et sont pour beaucoup
dans la réussite de l’essai. Ray Crawford, qui était
clarinettiste et ténor dans la dernière formation de Fletcher
Henderson (1941-1943) et qui est devenu guitariste pour cause de
tuberculose, a gardé le sens de l’articulation mélodique dans sa
manière d’accompagner. Ses solos évoquent l’école d’Oscar
Moore et son traitement rythmique des cordes est plus qu’une
trouvaille ; la légèreté de ses « cocottes musicales »
évoque la souplesse de son homonyme, Jimmy Crawford, batteur à la
grande époque de Jimmy Lunceford. Eddie Calhoun joue de la
contrebasse ; il ne se contente pas de suivre. En l’absence de
batteur, il assure la mise en place rythmique du trio. Cependant
c’est avec l’arrivée de Vernel Fournier et d’Israel Crosby,
qui ont constitué la structure de cette formation jusqu’à 1962,
qu’Ahmad Jamal est parvenu à la réalisation aboutie de ces
enregistrements. Ils sont complices et se renvoient la balle, sur un
socle d’une rigueur rare dans leurs conventions qui semblent
pourtant aller de soi. Israel Crosby est un instrumentiste
d’exception dans la continuité de John Kirby (qu’il remplaça),
de Billy Taylor et surtout de Jimmy Blanton. Vernel Fournier (sa
manière rappelle souvent Papa Jo Jones) a la
souplesse des batteurs de Crescent City ; son jeu aux balais est
d’une grande efficacité tout en étant d’une formidable
discrétion. Bien que « la musique [soit] un mystère »,
il y a beaucoup de travail et d’intelligence derrière cette
apparente simplicité, cette spontanéité.
Ce coffret est la quintessence de
l’œuvre d’Ahmad Jamal : la poésie associée à l’humour
décalé, le bonheur immédiat, la certitude de la jeunesse. Il
convient de l’écouter et de le réécouter : indispensable
dans toute discothèque.
Félix W. Sportis
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Jimi Brown Experience
Jimi Brown Experience
Hot
Pans, Fire, Cold Sweat, Dolly Dagger, If Six Was Nine, Give It Up
Turn It to Loose, Manic Depression, Get on the Good Foot, Purple
Haze, Angel, Super Bad/Sex Machine, Licking Stick, Little Miss Lover,
I Feel Good Fred
D’Oelsnitz (elp, tp), Sébastien Chaumont (as), Selim Nini (as),
Tahina Razafindratsiva (tb), Jonathan Gritella (g), Amaury Filliard
(g), Olivier Giraudo (g), Fabrice Bistoni (b), Laurent Sarrien (dm)
Date et
lieu d’enregistrement non précisés
Durée :
1h 18' 21''
Imago
Records 0019 (www.imagoproduction.com)
Avec un
tel nom, le programme au menu ne peut pas prêter à confusion. C’est
bien de la musique de Jimi Hendrix et James Brown dont il est
question dans ce Jimi Brown Experience. Le combo s’articule autour
de Fred D’Oelsnitz (elp, tp), un ancien du Magma de la dernière
heure. Les autres membres du band ont eux aussi un passé de qualité,
notamment Tahina Razafindratsiva (tb) , ex-membre de Radical el
Salam. Pendant plus d’une heure, les sept membres du groupe
visitent les univers funk-rock d’un passé ou le psychédélisme se
mélangeait aux sonorités rock pour déboucher sur des oeuvres
novatrices. Aujourd’hui, cette musique n’a pas vieilli et
continue de susciter l’intérêt pour les musiciens qui aiment à
s’exprimer dans cet idiome. Avec beaucoup de plaisir on écoute les
interprétations de « Purple Haze », ou « I Feel
Good ». Parfois la magie apparaît et on a l’impression de
découvrir pour une première fois une chanson peut être moins
connue que les autres. Sur « Little Miss Lover »,
l’équipe est à son apogée, s’exprimant mieux, comme libérée
d’un héritage lourd à gérer. Un album extrêmement plaisant
d’un groupe qu’il faut certainement voir en live pour bénéficier
de toute l’énergie distillée au cours de ses shows.
Michel Maestracci
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Harrison Kennedy
Soulscape
Voodoo, Cat and Mouse Thang, Back Alley
Moan, Crap Shooter Blues, Lookin’ for Happy, Tight Grip, Chain Gang
Holler, Sport Fishin’, Chairman of the Board, Nothin’ to Lose, 2
Bullets Later, Caught You Creepin’, Nappy’s Metaphysical Rag,
Tragedy Harrison Kennedy (voc, bjo, mandoline,
hca, spoons fife, perc, bread pan), Keith Nappy Lindsay (key, p),
Justin Dunlop (b, g), Alec Fraser (perc)
Enregistré les 21 et 28 mai 2013,
Toronto (Canada)
Durée : 53' 39''
Dixiefrog 8753 (Harmonia Mundi)
« Je continue le voyage de mes
arrières grands-parents, qui ont marché beaucoup de miles pour la
liberté et ont lutté pour tenter d'être heureux. C’est mon
humble plaisir que de vous présenter Soulscape.
Le fruit de mes influences qu’à présent je vous transmets pour
votre bonheur ». Cette dédicace que l’on trouve surSoulscape de Harrison Kennedy pose les contours d’un nouvel
album qui se veut authentique et surtout positionné dans la
tradition du blues. Et là, on n’est pas déçu. L’hommage que le
bluesman souhaite rendre à ses grands-parents n’est pas vain.
« Lookin’ for Happy », évoqué juste un peu plus haut
est de toute beauté. L’orgue (claviers) donne toute sa force et
son aspect sacré aux paroles écrites par le musicien. La tradition
se retrouve encore avec « Chain gang Holler », comme si
cette chanson devenait d’actualité par la seule présence de la
voix de Kennedy. Le bruit des chaînes que l’on entend enbackground font la différence d’une expression qui n’a
rien à voir avec celle acquise dans les salons des conservatoires
par les nombreux musiciens dits de blues. Le voyage initiatique
vers les "roots" du blues se poursuit tout au
long de ce joyau qu’est Soulscape. L’ancien membre des
Chairmen of the Board, qui a notamment joué sur scène avec BB King,
James Brown, Smokey Robinson, Stevie Wonder, Funkadelics et bien
d’autres encore constitue l’un des phares essentiels de cette
musique d’Amour qu’est le blues. Cet album ne nous laisse pas
indemne et permet à qui aime le blues de se faire une cure de
bonheur pour l’année.
Michel Maestracci
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Les Oignons
New Diversité
Bergen
Miljoys, Le déserteur, La femme des uns sous le corps des autres,
Great Gret, Mam'Zelle Clio, Novembre, One For Marlu, Le poids
italien, Sweet Sue Just You
Julien
Silvand (tp, cnt, voc, comp, arr), Olivier Delays (ts, voc, arr),
Marion Sandner (claquettes), Dominique Mandin (bjo, voc), Fabien
Debellefontaine (sousaphone, voc)
Enregistré
les 4 et 6 décembre 2012, Droue-sur-Drouette (28)
Durée :
47' 42''
Black &
Blue 777.2 (Socadisc)
Que
voilà une activité culturelle intelligente que la musique new
orleans lorsqu’on fait retraite à Droue-sur-Drouette, quelque part
entre Epernon et Rambouillet, en Eure-et-Loir. Ne plus s’enfermer à
la téléprison ; ne plus s’agacer du bagne cathodique de
Calvi et consorts… Comme disait ce brave Boris (qui semble être un
des maîtres à penser de ces joyeux drilles) : « Il y
a seulement deux choses : c'est l'amour de toutes les façons, avec
des jolies filles et la musique de la Nouvelle-Orléans ou de Duke
Ellington ». La politesse agressive du quant-à-soi et
le repli entre soi encore : pour oublier, quand il ne reste plus
grand’ chose à sauver du Landerneau médiatique. Ils conçoivent
leur univers musical comme un tout ; ils jouent, avec finesse,
sur/avec la musique et sur/avec les mots au besoin. Ils empruntent à
Vian, à Trénet… la poésie est toujours présente. C’est aux
marges du jazz. Mais ils en ont conservé tout l’esprit : la
légèreté, apparente seulement, et l’absurde du logique. Un
surréalisme sonore.
Ajoutons
à cela que ce sont tous d’excellents musiciens. Julien Sylvand
maîtrise très bien la trompette. Olivier Delays est un excellent
saxophoniste. Quant à Dominique Mandin et Fabien Debellefontaine,
ils tiennent la route et le cap. Marion Sandner vient y ajouter son
grain de désinvolture rythmique... Et ceci dans un désordre
savamment organisé. Car derrière ce joli méli-mélo, il y a non
seulement du travail mais aussi beaucoup de talent. Les Oignons sont
forts.
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Leslie Lewis & Gerard Hagen Trio
Of Two Minds
In Walked Bud, I Got It Bad & That
Ain't Good, Nature Boy, Honeysuckle Rose, Round Midnight, Well You
Needn't, How Deep Is the Ocean, Hello Young Lovers, But Beautiful
Leslie Lewis (voc), Ron Stout (tp),
Gary Foster (as, fl), Rob Locart (ts), Larry Koonse (g), Gerard Hagen
(p, arr), Domenic Genova (b), Jerry Kalaf (dm, perc)
Enregistré en 2008, Los Angeles
Durée : 41' 41''
Surf Cove Jazz 100 (www.surfcove.com)
La chanteuse Leslie Lewis et son époux,
le pianiste Gerard Hagen, vivent depuis plusieurs années à Paris,
d’où ils rayonnent sur le continent européen. Ils étaient le 15
mars 2014, accompagné par le toujours aussi précieux Nicola Sabato
(b), Chez Papa, où je les ai découverts. Pendant deux heures, j’ai
entendu une chanteuse de très grande classe accompagnée par un
pianiste de talent. Ils ont joué un répertoire de standards, dont
des versions de « Caravan » et « Under My Skin »
vraiment "solides" et surtout un « Georgia on My Mind »
exceptionnel (il est vraiment délicat de passer sur ce "saucisson"
après les grandes versions de Ray Charles !), qui fit que les
convives le nez dans leurs assiettes ont posé leurs couverts, ont
levé les yeux, écouté… Et ils applaudirent à tout rompre
pendant et après !
Ces musiciens ne sont plus des
débutants (ils ont déjà enregistré une dizaine d’albums de puis
1998) ; ils ont 57 ans et sont en pleine possession de leurs
moyens et c’est parfois de l’ordre de l’exceptionnel. Il faut
entendre ces deux artistes effacés mais quelle présence musicale !
J’ai voulu en savoir un peu plus ; ils m’ont remis cet
album, Of Two Minds.
Le programme de ce volume concerne une
période s’étendant de 1929 à 1951, mélangeant avec bonheur et
intelligemment, dans l’organisation des moments de l’opus, le
répertoire classique du jazz (Monk, Ellington, Waller) et les
standards. Ils sont ici accompagnés par : Ron Stout (beau solo
dans « How Deep Is the Ocean » et « But
Beautiful »), trompettiste et cornettiste de leur génération,
issu d’une famille de musiciens de la Côte Ouest et qui n’est
pas un inconnu (joua avec Horace Silver, Pepper Adams, Woody
Herman…) ; Gary Foster, altiste connu et recherché sur la
West Coast ; Bob Locart (ts), le guitariste Larry Koonse et
Jerry Kalaf (dm) complètent la formation. La section rythmique est
parfaite ; l’accompagnement de Gerard, qui avait à peine un
peu plus de 50 ans lors de cet enregistrement, par sa manière
épurée, évoque Tommy Flanagan (dont il se réclame), est superbe
derrière les inflexions de Leslie du même âge, dont la tessiture
rappelle parfois Sarah Vaughan. Les arrangements écrits par Hagen
sonnent vraiment bien et créent un univers musical très recherché,
véritable écrin pour cette voix d’alto chaude et parfaitement
maîtrisée. Les pièces ne sont pas faciles et même un peu
« casse-gueule » (« In Walked Bud » ou « Well
You Needn't ») mais la chanteuse les donne avec aisance. La
composition d’Ellington « I Got It Bad & That Ain't
Good » est émouvante. « Round Midnight », « How
Deep Is the Ocean » sont de vraies merveilles. Et « But
Beautiful » est le point d’orgue majestueux à ce superbe
album. Courrez acheter cet album. Vous le réécouterez souvent. Il a
de la matière. Et, de toutes les manières, Of Two Minds est
une grande réussite.
Félix W. Sportis
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Christian McBride Trio
Out Here
Ham
Hocks and Cabbage, Hallelujah Time, I Guess I’ll Have to Forget,
Easy Walker, My Favorite Things, East of the Sun, Cherokee, I Have
Dreamed, Who’s Making Love
Christian
McBride (b), Christian Sands (p), Ulysses Owens Jr (dm)
Durée :
1h 05' 03''
Enregistré
à New-York (date non communiquée)
Mack
Avenue 1069 (www.mackavenue.com)
Le
contrebassiste Christian McBride, héros incontesté des
participations aux formations les plus prestigieuses et champion
absolu du nombre de sessions d’enregistrements en tant que sideman,
semble vouloir remettre en jeu l’or de son blason en présentant
(et en produisant lui-même) son propre trio. Roland affrontant
Olivier, à côté, c’était de la rigolade... Pour ce faire, deux
jeunes damoiseaux de moins de 25 ans, mais déjà très aguerris lui
ont prêté allégeance : le batteur Ulysses Owens Jr, adoubé
par Monty Alexander, et le pianiste Christian Sands, par Wynton
Marsalis (et Ray Brown), entrent en lice. L’enjeu : quelques
figures de bravoure du répertoire (Oscar Peterson, Hammerstein &
Rodgers, Ray Noble) et deux compositions personnelles, dont une qui,
sur la grille du blues, évoque étrangement un thème du MJQ (une
réminiscence de la geste héroïque, sans doute ?), l’autre
étant une ballade empreinte d’une nostalgie inattendue de la part
d’un si preux chevalier ). Tout cela déborde évidemment
d’énergie. Si le leader, et c’est bien normal, se réserve les
passes d’armes les plus décisives, il laisse à ses deux jeunes
et vaillants compagnons tout le loisir de montrer leur bravoure. Dans
la tribune, dames et damoiseaux restent cois... sacrée musique...
et, sans doute « c’est ainsi que Roland épousa la belle
Aude ».
Daniel Chauvet
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Leyla McCalla
Vari Colored Songs
Heart of Gold, When I Can See the
Valley, Mesi Bondye, Girl, Kamèn sa w fè, Too Blue, Manman Mwen,
Song for a Dark Girl, Love Again Blues, Rose Marie, Latibonit,
Search, Lonely House, Changing Tide Leyla McCalla (cello, voc, bjo, g), Tom
Pryor (pedal steel g), Luke Winslow King, Hubby Jenkins (g), Joseph
DeJarnette, Cassidy Holden (b), Rihannon Giddens (shaker, voc), Matt
Rhody (vln), Don Vappie (bjo)
Enregistré à Floyd (Virginie) et à
New Orleans, date non précisée
Durée : 40' 27''
Dixiefrog 8752 (Harmonia Mundi)
Voilà ce qui s’appelle recevoir une
sacrée claque. Cet album de Leyla McCalla est un véritable ouragan.
Non pas par la rapidité avec laquelle elle s’exprime sur ses
instruments favoris, notamment le violoncelle, mais plutôt par
l’ambiance que la jeune femme parvient à recréer. Née à New
York de parents haïtiens, Leyla a grandi dans le New Jersey avant de
rejoindre Accra, au Ghana, pour revenir aux States, dans la ville qui
l’a vue naître. Au cours de cette étape, elle intègre le Smith
College puis la New York University où elle apprend le violoncelle
et la musique de chambre. Mais un voyage à New Orleans va la marquer
pour toujours. Vari Colored Songs transpire la musique de la
Louisiane. Les parties acoustiques des instruments avec des membres
réputés du Carolina Chocolate Drops (Rhiannon Giddens, Hubby
Jenkins), la présence de Don Vappie (bjo) et Luke Winslow (g) des
Néo-Orléanais réputés, et l’expression créole qui se glisse
parfois dans ses chansons concourent à donner une saveur surannée
au CD. Les chansons de Leyla McCalla prennent appui sur des poèmes
de Langston Hughes, à qui elle dédie l’album (« Heart of
Gold », « Girl »). L’artiste en profite pour
glisser ses propres arrangements de chants traditionnels (« Mesi
Bondye »), parfois récupérés des enregistrements d’Alan
Lomax (« Kamen Sa w fè »), qui restent dans la teneur
générale de l’album. La galette s'écoute avec majestuosité
tant le travail réalisé est poignant. A l’époque ou la
communauté Afro-Américaine reçoit de plus en plus d’hommages via
le Septième Art, il est évident que Vari Colored Songs va
contribuer à amplifier le phénomène pour qu’enfin, les musiciens
afro-américains soient reconnus dans leur apport incontestable dans
la musique du 20e siècle et après.
Michel Maestracci
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Irvin Mayfield
A Love Letter to New Orleans
Mo’ Better Blues, Latin Tingue II,
Romeo and Juliet, Old Time Indians, James Booker, El Negro pt1,2,3,
Fatimah, Lynch Mob-Interlude, Blue Dawn, George Porter, Super Star,
Wind Song, I’ll Fly Away, Mardi Gras Second Line
Irvin Mayfield (tp), Ellis Marsalis,
Davell Crawford (p), Wynton Marsalis, Kermit Ruffins (tp), Troy
Andrews (tb), John Boutté (voc), Los Hombres Calientes, Dillard
University Choir, Louisiana Philharmonic Orchestra, ReBirth Brass
Band
Date et lieu d'enregistrement non
communiqués
Durée : 1h 11' 37''
Basin Street Records 0406-2
(www.basinstreetrecords.com)
Ce que l’on peut reprocher à Irvin
Mayfield c’est d’être trop marqué par Wynton Marsalis. Mais on
ne reproche pas à Irakli d’être l’ombre de Louis Armstrong.
Alors prenons les choses comme elles sont. Irvin Mayfield a présenté
cette compilation qui accompagne un livre du même titre à
JazzAscona 2012. Le choix est bon, et représentatif du travail de ce
trompettiste en vue à New Orleans, mais on regrette l’absence de
détail des personnels. « Mo’ Better Blues » (de
Terence Blanchard) en quartet avec Ellis Marsalis balance bien. C’est
un des meilleurs moments du disque, notamment pour le solo de piano.
On ne comprend pas que ce thème simple et donc efficace soit si
rarement joué. Il y a beaucoup de titres du Los Hombres Calientes,
et à la différence de Wynton Marsalis, Irvin Mayfield a plus
longuement fréquenté les rythmes dits latins. Ce « Latin
Tinge II » (Morton disait Spanish Tinge) débute par un
spectaculaire stop chorus de Mayfield (genre Marsalis jouant à la
Armstrong). Dans le solo de trompette sur ce titre on imagine Wynton
Marsalis jouant "cubain". Bien. Le court « Romeo
and Juliet », sur tempo lent, est une belle démonstration de
trompette wa-wa ! (autre bon moment). La basse de Carlos
Henriquez amène « James Booker » qui est funky comme la
légende néo-orléanaise ici célébrée. Les prestations de
trompette (très marsalienne avec effets de pistons mi-course) et
piano sont remarquables et dans l’esprit. El Negro
pour le percussionniste cubain Horacio El Negro
Hernandez, est en effet très cubain y compris dans le solo de
trompette de Mayfield (à noter la présence d’un lead trompette
non identifié aux aigus spectaculaires). Mayfield aime les
contrastes et propose ensuite une délicate ballade, « Fatimah »
en quartet (bon jeu de balais). La coda de trompette est vraiment du
Wynton Marsalis à la lettre. Comme son modèle, Mayfeld aime donner
ses compositions ambitieuses et à thème (« Lynch Mob »
pour chœur). « Blue Dawn » est un blues lent, au
thème-riff simple, qui nous vaut d’entendre pendant 8 mn le maître
et son disciple ensemble (2003). Superbe (encore un bon moment) !
Mayfield a un son un peu plus mince, nasillard et essaye d’en faire
plus que le maître. Mais en gros, la plupart des oreilles ne sauront
dire qui est qui. « George Porter » est du funk en
compagnie de George Porter Jr (b), hors sujet ici. « Super
Star » est une belle mélodie pour trompette exposée avec
talent dans un contexte de cordes. Ellis Marsalis y prend un solo
sobre comme savent le faire les bons. D’autant plus remarquable que
c’est en « live ». Mélancolique duo de trompette et
piano avec Gordon Parks (2003) dans « Wind Song »
(rencontre du piano romantique chopinesque et de sons marsaliens). On
passe ensuite à un gospel (« I’ll Fly Away ») par la
chorale de Davell Crawford (sans trompette), pour finir avec un brass
band contemporain (ReBirth) pour un « Mardi Gras Second Line »
(les lignes de tuba caractéristiques, des solos de Troy Andrews
alias Trombone Shorty et Mayfield). Un excellent disque.
Michel Laplace
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Thelonious Monk
Paris 1969
I Mean You, Ruby My Dear,
Straight, No Chaser, Bright Mississippi, Light Blue , Epistrophy,
Don't Blame Me, I Love You Sweetheart of All My Dreams, Crepuscule
With Nellie, Bright Mississippi (Reprise), Nutty, Blue Monk
Thelonious Monk (p),
Charlie Rouse (ts), Nate Hygelund (b), Paris Wright (dm)
Enregistré le 15 décembre
1969, Paris
Durée : 1h 01' 36''
Laser Swing
Productions/Blue Note 0602537460519 (EMI Music)
Si cet enregistrement live
n’est jamais sorti en CD, semble-t-il, il existait déjà une vidéo
(Pioneer PLMJB-00801) de ce concert à Pleyel en 1969. Elle figure
dans notre discographie de Thelonious Monk (N° Spécial 1998). Ce
coffret-disque présente la particularité de nous proposer le CD et
le DVD. Même si cela peut paraître un peu curieux, cela permet aux
amateurs privés de lecteur DVD d’écouter cette musique. A noter
que l’ordre des thèmes est différent et que figure sur le DVD une
présentation de Monk sous la forme de quelques images et d’une
interview, toujours un peu décalée dans le cas de Monk, réalisée
par Jacques B. Hess. L’interviewer est en effet désarçonné par
le mutisme relatif de Monk, de bonne humeur, mais il est vrai à des
années lumière de celui qui réalise l’interview et de ses
questions, de peu d’intérêt. Les réponses laconiques ou les
absences de réponse viennent autant de la personnalité de Monk que
d’une impossibilité de répondre à des questions un peu ridicules
en regard d’un art si exceptionnel, si complexe, et à la fois si
naturel-culturel. Le malentendu parfait.
Pour cette étape
française, Monk est accompagné par le fidèle et essentiel Charlie
Rouse, toujours parfaitement complice de l’univers monkien, et de
deux jeunes musiciens Nate Hygelund et Austin Paris Wright qui se
hissent au niveau de l’événement. On n’imaginerait d’ailleurs
pas que Monk puisse se satisfaire d’autre chose que d’excellents
musiciens à ses côtés, on se souvient de son absence de scrupule à
reprendre des musiciens confirmés, y compris sur scène en présence
du public.
Philly Joe Jones est
invité par Monk, et cela dit assez le talent de ce batteur
légendaire. Un morceau d’histoire
donc, et quand il s’agit de Monsieur Thelonious Monk, c’est
toujours à voir et à revoir, tant son expression sonore et physique
est spectaculaire, particulière et virtuose, contrairement à ce qui
est souvent dit.
Yves Sportis
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Ted Nash
Chakra
Titres détaillés dans le livret
Ted Nash (as, afl, arr, cond.), Kenny
Rampton, Alphonso Horne, Ron Horton, Tim Hagans (tp), Alan Ferber,
Mark Patterson, Charley Gordon, Jack Schatz (tb), Ben Kono (as, ss,
fl, cl), Charles Pillow (as, cl, fl, picc fl), Dan Willis, Anat Cohen
(ts, cl), Paul Nedzela (bs, bcl), Christopher Ziemba (p), Martin Wind
(b), Ulysses Owens (dm)
Enregistré le14
avril 2013, New York
Durée : 49' 40''
Plastic Sax Records
2 (www.tednash.com)
Toutes les
compositions et orchestrations sont de Ted Nash, collaborateur bien
connu de Wynton Marsalis. Le premier titre, « Earth : Root
Chakra » débute dans une nuance piano (votre lecteur marche
bien !). Le tempo est très lent. Solo de flûte alto de Ted
Nash dans un contexte sonore genre Mingus. « Water :
Sacral Chakra » est un motif répétitif. On a là un solo
lyrique de Charles Pillow (as), puis bop à la Hubbard de Tim Hagans.
« Fire : Solar Plexus Chakra », sur tempo médium,
permet d’entendre en solo Alan Ferber (tb, bonne technique), la
remarquable Anat Cohen (cl) et Martin Wind (b). « Air :
Heart Chakra » est un thème simple en appel-réponse des sax
et trompettes. Le solo de Tim Hagans est hors tempo. « Ether :
Throat Chakra » est avec les deux suivants, le meilleur
jazzistiquement parlant du CD. Ici on découvre en Alphonso Horne
(plunger) un bon disciple de Wynton Marsalis. « Light :
Third Eye Chakra » introduit aux balais par Ulysses Owens,
propose Ted Nash (as) proche de Jackie McLean et Alphonso Jorne sans
sourdine avec un détaché clair de trompette « classique ».
L’orchestre sonne parfois comme du Duke. Enfin, « Cosmos :
Crown Chakra » propose une alternative entre Ted Nash (as) et
Mark Patterson (tb). Nash m’évoque encore McLean. Il y a un
changement de tempo genre ballade pour l’alto du leader. Bref dans
la mouvance contemporaine, c’est un bon CD.
Michel Laplace
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Linus Olsson
Hands Down
Titres détaillés dans le livret
Linus
Olsson (g), Franck Amsallem (p), Jean-Marc Jafet (b), Nicolas Viccaro
(dm)
Mellow
Yellow, Funhouse, One for Trane, Song for Brian, Blues on the Corner,
New Evidence, Sunny Rain, Darn That Dream, Hands Down, Kambana, I
Wish I Knew
Enregistré
en décembre 2012, Nice (06)
Durée :
1h 07' 39''
Autoproduit
(linusjazz@hotmail.com)
Le
guitariste suédois était dans le sud de la France, à Nice plus
précisément. Il en a profité pour rencontrer des musiciens de
talent et enregistrer son deuxième opus en dix ans. Nous avions
chroniqué il y a quelques années Naima, son premier album.
Son amour de Trane est toujours aussi marqué. Linus Olsson
n’hésite pas à lui rendre hommage pour se faire plaisir (« One
for Trane ») et en même temps œuvrer pour son modèle. Il
n’oublie pas le pianiste complice de Coltrane qu’était McCoy
Tyner, en servant un « Blues on the Corner » de toute
beauté. Mais, c’est tout de même sur ses propres compositions
qu’il excelle et notamment « New Evidence ». Sur
ce titre, il est servi par un piano de choix avec Franck Amsallem et
un subtil Nicolas Viccaro (dm). Son jeu nourri de Sco et Stern
s’envole littéralement ne se faisant rattrapé que par bref
instantané par la sonorité ouatée de la basse de Jean Marc Jafet
(« I Wish I Knew »). Un album classique dans ce registre,
mais qui fourmille de bonnes idées.
Michel Maestracci
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Paname Swing
Paname Swing
The Turnaround, Paname
Swing, Casbah, L'Indienne, Tea For Two, Midnight Creeper, Valse
Anthracite, Caracas, Danse Norvégienne, Besame Mucho, Cantaloupe
Woman, Wee
Jean-Claude Laudat (acc),
Jean-Yves Dubanton (g), Laurent Fradelizi (b), David Georgelet (dm)
Enregistré les 28 et 29
janvier 2012, Saint-Cyr-en-Val (45)
Durée : 43' 51''
Paname Swing 2012-1
(www.panameswing.com)
Prolongement du groupe le
Jazz et la Java, revoici nos deux compères, Jean-Yves Dubanton et
Jean-Claude Laudat, dans leur formule épurée d’un swing à
l’accent parisien, accordéon-guitare-basse, augmenté ici d’un
soutien rythmique, tout à fait dans l’esprit, de David Georgelet.
Nos compères sont donc toujours décidés à faire swinger la
valse, et c’est franchement ce qu’il font le mieux (« Paname
Swing », « L’Indienne », « Valse
Anthracite »), mais aussi la chanson française, la java, le
tango (« Besame Mucho »), dans la tradition qui va de Gus
Viseur à Jo Privat, et qui fut si bien relayée au sein d’Alma
Sinti du regretté Patrick Saussois dont nos deux amis sont des
acteurs de la première heure. On retrouve les ingrédients de cette
tendre musique, souplesse du swing, références à l’esprit de
Django et à la tradition populaire, au jazz, avec quelques
standards, traités sur le même mode, joueur et sans prétention. On
apprécie enfin tout ce qui rend cette sensibilité si attachante,
car son interprétation reste simplement authentique, dans le courant
d’une musique populaire à la française qui ne doit rien à la
mode et tout à la culture. Enfin, Jean-Claude Laudat est un
accordéoniste très inspiré.
Yves Sportis
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Roberta Piket
Sides, Color
Laurie,
Make Someone Happy, Billy’s Ballad, My Friends And Neighbors, If I
Loved You, Empty House, Shmear, Idy’s Song And Dance, Relent, Ugly
Beautiful, Degree Absolute
Roberta
Piket (p, org, elp, voc), Johannes Weidenmueller (b), Billy Mintz
(dm) + David Smith (tp), Charles Pillow (cl, bcl, fl), Sam Sadigursky
(cl, ss, ts), Fung Chern Hwei (vln), Mikyung Kim (vln), Charisa Rouse
(vln alto), Jermey Harman (cello)
Enregistré
entre janvier et août 2010, New York
Durée :
1h 17' 00''
Thirteenth
Note 003 (http://thirteenthnoterecords.com)
Roberta Piket
Solo
I See
Your Face Before Me, Variations on A Dream, Monk’s Dream, Something
to Live For, Estate, Nefertiti, Claude’s Clawed, Litha, In the Days
of our Love, Beatrice, Improvisation Blue
Roberta
Piket (p)
Enregistré
le 30 décembre 2011, Paramus (New Jersey)
Durée :
48' 00''
Thirteenth
Note Records 004 (http://thirteenthnoterecords.com)
Roberta
Piket est une pianiste au registre fort étendu, de l’abstraction
free au swing tynérien en passant par la recherche de climats
mélodiques épurés. Tout s’explique quand on apprend qu’elle a
étudié avec Walter Bishop Jr. mais aussi Fred Hersch, Stanley
Cowell, Jim McNeely, et fort longuement avec Richie Beirach, qui
semble correspondre à son univers à cheval entre jazz et influences
classiques contemporaines. Elle a joué aux côtés de David Liebman,
Rufus Reid, Michael Formanek, Lionel Hampton, Mickey Roker, Valery
Ponomarev, Eliot Zigmund, Benny Golson, Roy Campbell, Jr. Ce parcours
est révélateur d’un certain univers suggérant une fréquentation
authentique du jazz mais des aspirations centrifuges. Son disque en
solo est une véritable surprise faite de fraîcheur et
d’inspiration. Il y a d’excellents passages (« Monk’s
Dream », « Nefertiti » ou « Litha »)
mais surtout de véritables moments d’émotion et ils ne sont pas
rares : « I See Your Face Before Me », « Something
To Live For », « Estate », « In The Days Of
Our Love », « Beatrice » sont des joyaux d’intimité
poétique. Les choix de répertoire privilégient la mélodie et des
auteurs pas forcément courus (Marian McPartland, Sam Rivers). Son
phrasé ferme et agile, ses harmonies ouvertes sur diverses surprises
ne cèdent pas à la facilité de la déconstruction : le
respect des mélodies structure l’expression avec beaucoup de tact.
On ne
trouve ces qualités que par intermittence sur Sides, Colors.Le parti pris de jouer sur les ambiances ne fonctionne pas toujours
avec l’intensité qui est celle de Solo et l’on verse parfois
dans l’évanescence. La douceur des cordes est parfois un peu
artificielle, contrairement aux couleurs ajoutées par les vents
(flûte, clarinette basse, etc.) dont le chatoiement est assez
réussi. On passe des atmosphères éthérées de « Empty
House » et « If I Loved You » aux déchaînements
free de « My Friends And Neighbors » ou « Shmear » :
c’est un va-et-vient qui ne trouve pas toujours son point d’aplomb.
Roberta Piket démontre une véritable démarche artistique et une
vraie personnalité, à cheval entre dissonance et mélodie,
introspection et explosivité – un équilibre parfois fragile
mais qui contient de vrais joyaux.
Jean
Szlamowicz
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Pillac
Nervous Breakdown
Never Make You Move too Soon, Nervous
Breakdown, I’ve Been Down, Skipping Like a Stone, Life Is Hard,
I’ve Had Enough, Givin’ It Up for Your Love, You Can Stay but the
Noise Must Go, Housekeepin’ Blues, Fonk You
Xavier Pillac (g, voc), Cédric Le Goff
(org, elp, bck voc), Antoine Escalier (b, bck voc), Alain Baudry (dm,
perc, bck voc), Franck Bougier (tp), Sylvain Fetis (ts, bs), Vincent
Aubert (tb)
Enregistré à Saint-Ouen (93), date
non précisée
Durée : 49' 19''
Dixiefrog 8754 (Harmonia Mundi)
A la lecture du line–up de Xavier
Pillac, on comprend immédiatement que son combo va nous remuer dans
le sens premier du terme. L’accroche du morceau d’entame est
excellente. Des riffs de cuivres, une guitare pétillante pour une
voix qui se pose alanguie tandis que l’orgue remplie sa mission en
expédiant tout ça vers le sacré, des pretty babies. La musique
dégouline du blues sensuel que les musiciens de la Stax ou la Motown
ont si souvent employé pour enjoliver de belles chansonnettes
proprettes. Pillac est un excellent guitariste qui sait faire vibrer
son instrument comme il le faut. Quant il doit faire pleurer sa
six-cordes, il le fait sans complexe (« Life Is Hard »).
Quand elle doit prendre le temps de cocotter, pas de problème, le
musicien lui en donne la possibilité (« You Can’t Stay.. »).
Pour compléter le tout, son groupe se positionne sur la même
longueur d’onde que lui et les connivences se manifestent pour le
plus grand bonheur de l’auditeur. Entre le Delta et Chicago, le
guitariste a opté pour Detroit, histoire de poursuivre la belle
aventure débutée il y a quelques décennies déjà et qui touche de
plus en plus les musiciens hexagonaux. « Fonk You »,
Mister Pillac, pour cette bonne dose de bonheur.
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Tom Principato
Robert Johnson Told Me So
Robert
Johnson Told Me So, Knockin’ on the Door, It Ain’t Over (Till
It’s Over), What Goes Around (Come Back Around), The Rain Came
Pourin’ Down, Falls Chruch, Virginia 22042, Run Out Of Time, , It
Ain’t Over (Till It’s Over) Tom
Principato (g, voc), Chuck Leavell (org, elp), Tony Nalker (elp),
Tommy Lepson (synth), Willie Weeks, Steve Wolf (b), Joe Wells (dm),
Jim Brock (dm), Josh Howell (hca, cga, perc), Chris Watling (hrn arr,
bs), Antonio Orta (as), John DeSalme, Pete BarenBregge (ts), Justine
Miller, Graham Breedlove(tp), Shakara Rogers, Rochelle Rice, Imani
Grace Cooper (bck voc)
Enregistré
à Springfield (Virginie, USA), date non communiquée
Durée :
37' 44''
Dixiefrog
8749 (Harmonia Mundi)
Avec
ses airs d'Eric Clapton et son panama visé sur la tête, Tom
Principato fait parler l'expérience acquise auprès de Danny Gatton
et autres vieux bluesmen de Washington D.C. Ce nouvel opus se situe d'ailleurs
tout à fait dans la lignée que le guitariste de D.C. a choisi. Il
sent le besoin de remercier Robert Johnson de l’avoir mis sur la
route du blues. Pour cet hommage, l’homme au chapeau n’a pas
hésité à rameuter les fidèles troupes. Ainsi, on entend sur les
claviers de l’orgue Hammond ou du Würlitzer électrique, Chuck
Leavell : un ancien grand de la scène blues-rock qui a officié
avec les Allman Brothers, les Rolling Stones et plus récemment John
Mayer. A la basse, c’est Willie Weeks (ex-Eric Clapton) qui s’y
colle. Forcément le résultat est au rendez-vous. Si le titre
éponyme se positionne bien dans la lignée du divin Johnson avec un
son un peu sale, les morceaux suivants s’enfilent comme une Harley
traversant la Highway 66. La puissance s’allie avec l’énergie
pour donner la lumière aux contours bleutés des morceaux inspiré
par le « Crossroad bluesman ». « Falls Church,
Virginia » possède cet éclat que Carlos Santana a si
parfaitement personnifié. Les percussions donnant une couleur
ensoleillée déjà bien portée par les interventions à l’orgue
de Chuck Leavell. Un véritable petit bijou, mais c’est « Run
Out of Time », qui permet de cerner toute la subtilité du
guitariste. Un manche qui vibre pour une voix gorgée d’émotion.
Un album qui fleure la bonne humeur et valide les options musicales
de ce gars au parcours déjà bien rempli.
Michel Maestracci
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The Duke Robillard Band
Independently Blues
I
Wouldn’t-a Done That, Below Zero, Stapled to the Chicken's Back,
Patrol Wagon Blues, Laurene, Moongate, I’m Still Laughing, Strollin
with Lowell and BB, You Won’t Ever, This Man, this Monster,
Groovin’ Slow, If This Is Love Duke
Robillard (g, voc, bjo), Bruce Bears (p, org), Monster Mike Welch
(g), Brad Hallen (b), Mark Teixeira (dm, perc), Doug Woolverton (tp),
Billy Novick (cl)
Enregistré
à West Greenwich (Rhode Island, USA)
Durée :
52' 34''
Dixiefrog
8741 (Harmonia Mundi)
Duke
Robillard est une légende vivante au cœur de la communauté du
blues. Il a reçu par eux fois, les W.C. Handy Awards (en 2000 et
2001) dans la catégorie « meilleur guitariste de blues ».
Avec ce nouvel opus l’auditeur attentionné et amoureux du twelve
bars va être gâté. Le feeling est là tout au long de l’album
qui se déploie sous les doigts du guitariste de l’état de Rhode
Island. Robillard joue l’amour, la vie, la société et ses
sonorités vous emportent dans un au-delà toujours marqué du sceau
du Bleu. Pour Independently Blue, il bénéficie du soutien
Monster Mike Welch, un jeune guitariste de 33 ans qui a partagé la
scène, alors qu’il n’avait pas 15 ans, avec Ronnie Earl, Luther
« Guitar Jr » Johnson, Johnny Copeland, Junior Wells, Joe
Walsh et Dan Aykroyd. Avec une telle paire de pointes dans le combo,
cette galette ne peut pas ne pas être indispensable. Dès l’entame
du CD, les artistes nous mettent sur le chemin. La voix du leader
déclame sa vision des relations humaines mettant en exergue l’aspect
matériel « Stapled to the Chicken’s Back» et plus
spirituel, que l’on retrouve avec « Moongate ». Le
tempo influe sur les thèmes exposés. Sans être « speed »,
le guitariste sait quand il faut accélérer le rythme, comme pour
« Laurene », où tout est sous entendu dans le message.
« If This Is Love » et « Groovin’ Slow »,
sont deux petites perles à s’écouter en particulier. La première
pour son contenu traditionnel fort qui renvoie à Luther Johnson, la
seconde pour les interventions à la guitare des deux compères. Un
pur régal de notes ciselées que l’on demande à entendre ad
vitam.
Michel Maestracci
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Soul Jazz Alliance
True Paradise
One for Hidemasa, True Paradise, As of
Now, Here’s My Little Girl, So far Behind, Lover’s Line, Someday
to Be With You, Why Are You Lonely, Two back-Three Forward, Don’t
Know Why Sachal Vasandani (voc), Jeremy Pelt
(tp), Vincent Herring (as), Freddie Bryant (g), Jared Gold (org),
Joris Dudli (dm)
Enregistré les 20, 21 et 22 août
2013, Paramus (New Jersey, USA)
Durée : 48' 00''
Jive Music 2075-2 (www.jivemusic.at)
A la lecture de la pochette on constate
immédiatement que les musiciens concernés par ce projet ne sont pas
des novices. Jeremy Pelt (tp), un ancien du Mingus Big band et
Vincent Herring (as), qui lui a fait partie du Lionel Hampton Big
band, se positionnent en gardien du temple. Joris Dudli, un habituel
partenaire du saxophoniste assure les parties de batterie tandis que
Freddie Bryant (g) et Jared Gold (org) complètent la formation. Les
premières notes qui s’évadent des enceintes de la chaîne
renvoient immédiatement au bons moment de la période Blue Note.
D'autant que les soufflants n’ont pas l’air de vouloir s’endormir
sur leurs lauriers. Vincent Herring, le premier, se met en évidence
avec le soutien profond de Gold (« One for Hidemasa »).
C’est tout naturellement qu’il passe le relais à Jeremy Pelt
pour la suite des affaires, avant que Bryant (g) n’intervienne fort
à propos. Du classique pour mettre les oreilles en forme. « True
Paradise » permet d’entendre un chanteur à la voix fraîche
et énergisante, malgré la douceur du ton employé. Sachal
Vasandani, c’est de lui dont il s’agit, vient apporter une touche
spirituelle complémentaire au jeu de ses partenaires (« True
Paradise »). L’occasion aussi d’entendre de beaux échanges
pour compléter le propos du « crooner ». L’organiste
est tout à son affaire pour donner de la profondeur au chant. Les
thèmes sont principalement écrits par le batteur, avec des lyrics
de Vasandani, quand ce dernier se fait entendre. « Lover’s
Line », du guitariste, est plus enlevé que les autres morceaux
au répertoire, ainsi que le très beau « Don’t know Why »
de Norah Jones. Un album magnifique, bien ciselé, auquel vous
trouverez une place de choix sur votre étagère ou, sur votre disque
dur, dans la play-list des meilleurs albums de jazz de l’année.
Michel Maestracci
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Margaret Stowe
MSTQ
Shady
Grove, Axis, Summer Wind, All the Things I Wasn’t, God Bless the
Child, Anytime, Cold Cold Heart, Ring of Bright Water, Early Morning
Rain, MySTIQue Swing, Retour, Reverie de Blues, Valse MySTIQue,
Medley Margaret
Stowe (g, bjo, voc), Tony Quarrington (g, voc)
Enregistré à
Toronto, date non précisée
Durée : 1h 53''
Tallyho
Music 055 (www.margaretstowe.com)
Margaret Stowe
Red Guitar
Mag’s
Groove, Be Sharp in Bb, So What’s Up ? Pluto Is a Planet, Dark
Light II ? You Gotta Reap Just What You Sow, Dusty Road,
Amapola, Nature Boy Margaret
Stowe (g), Sarah McElcheran (tp) Kathryn Moses (s, fl), Colleen Allen
(s) Carrie Chesnutt (s), Richard Underhill (as), Dave Mc Morrow
(kbds), Harry Manx (voc, g, mohan veena), Henry Heillig (b), Rachel
Melas (b), Victor Bateman (b), Michelle Joseph (dm, perc), Daisy
DeBolt (voc)
Enregistré à Toronto, date non précisée
Durée :
39' 43''
Tallyho Music 103 (www.margaretstowe.com)
Margaret Stowe
Mello Jello
You
Ain’t Going Nowhere, Fool on the Hill, Dream on a Theme, Yellow
Jello, Catch the Wind, Autumn Leaves, Hallelujah, Floating, I Only
Have Eyes for You, Savannah, Nature Boy, School Days, I Can’t Get
Started
Margaret Stowe (g)
Enregistré à Toronto, date non
précisée
Durée : 46' 45''
Tallyho Music 104 (www.margaretstowe.com)
Les
femmes
guitaristes de jazz ne sont pas légion. Elles sont quand même
quelques unes à faire fructifier l’héritage de Mary Osborne.
Emily Remler fut une des plus médiatisées. Plus près de nous,
Monette Sudler, Sheryl Bailey, Derdre Cartwright, Joyce Cooling ou
Leni Stern ont poursuivi le travail entrepris par leurs devancières.
Aujourd’hui, la six cordes au féminin est représentée par Amanda
Monaco, Lori Spencer et Margaret Strowe. Cette dernière vient de
nous faire parvenir trois galettes, une en solo, une en duo et une autre
en formation plus large, pour nous montrer ses qualités
tant musicales que techniques.
Sur MSTQ,qui signifie « Most Satisfying Tonal Qabala » ou plus
simplement « Margaret Stowe and Tony Quarrington », la
guitariste est accompagnée de ce fameux Tony Quarrington en
personne. Lui aussi, guitariste de Toronto, il s’est facilement
immiscé dans les idées développées par Margaret tout en apportant
sa contribution à travers de nombreuses compositions. Si
l’ensemble débute calmement par un entre-laçage de cordes
(« Shady Grove »), la suite est immédiatement plus
enlevée avec « Axis » où les guitares se complètent
bien pour faire swinguer l’environnement ou encore « Anytime »,
dans une veine très manouche. La délicatesse reste au rendez-vous
avec « Cold Cold Heart » tout comme sur « God Bless
the Child », ce qui semble tout à fait logique.
Red Guitar constitue un peu la marque de
fabrique de la jazzwoman. On retrouve un phrasé bop étincelant aux
côtés d’une rythmique vigoureuse et d’un ensemble de
soufflants sympas peuplé de jeunes femmes. Cet album à une couleur
Blue Note marquée et l’omniprésence des cuivres permet à la
styliste de la guitare de s’en donner à cœur joie pour distiller
beaucoup de plaisir (« Be Sharp in Bb). La suite conserve ce
même accent groove profond qui donne envie de passer le disque en
boucle. Dans ses explorations, Margaret Stowe prend parfois une voie
débroussaillée en son temps par Pat Metheny et d’autres du même
calibre. Ce troisième disque est sans conteste le plus abouti et le
plus agréable à faire défiler sur la platine CD, notamment « Dark
Light II » étincelant et le très beau « Dusty Road »,
avec la slide guitar et la voix rocailleuse de Harry Manx,
sorte de Bob Seger dans l’univers de la note bleue.
Enfin, sur Mello Jello, Margaret Stowe se
produit seule avec son instrument et quelques effets. Elle revisite
un répertoire plutôt folk-rock (Dylan, Les Beatles). A travers ces
compositions, on sent la fibre qui l'habite, alliant parfaitement
harmonie et joie de jouer. Sur « Dream on A Theme », une
composition personnelle, elle fait apprécier sa délicatesse et la
subtilité de son phrasé. La Canadienne sait aussi se montrer
moderne dans son propos (« Yellow Jello ») ou plus
conventionnelle avec « Nature Boy » et des accords
égrenés langoureusement. Margaret Stowe
a fait ses preuves, elle explore d’autres voies avec plus ou moins
de succès, mais s’installe dans la lignée de ses glorieuses
devancières, dans cet univers ô combien masculin.
Michel Maestracci
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Ira Sullivan / Jim Holman Trio
Blues Skies
Blue
Skies, Just Friends, Solar, Blue in Green, Someday My Prince Will
Come, Along Came Betty, Just in Time, On the Sunny Side Of the Street Ira
Sullivan (ts, tp), Jim Holman (p), Nick Schneider, Dennis Carroll
(b), Roger Humphries, George Fludas (dm)
Enregistré
les 28 mai 2011 et 2 septembre 2012, Barrington (Ilinois, USA)
Durée
: 57' 20''
Delmark
5010 (www.delmark.com)
Bon
tempo, dans « Just Friends » où ce qui retient l’oreille
c’est l’épaisseur de son d’un sax ténor qui ne manque pas de
feeling et le jeu de balais (Roger Humphries). Puis à 82 ans, cette
fois à la trompette avec sourdine harmon, très bop, c’est encore
Ira Sullivan qui fait l’intérêt de « Solar ». Le solo
de basse de Nick Schneider est bien aussi, celui d’Humphries
quelconque. Mais globalement tout est bien ou supportable, sauf le
pianiste, co-vedette du disque, Jim Holman, qui comme c’est
aujourd’hui la règle, a une sonorité neutre au service de notes
qui ne racontent rien. Nul ne conteste sa solide technique (« Blue
in Green » en trio, une épreuve pour le chroniqueur). On
comprend tout lorsqu’il dit « Herbie and Chick are the
reason I got into music ». L’ombre de
Miles Davis plane dans le choix des thèmes ainsi que dans la
sonorité de trompette avec sourdine harmon d’Ira Sullivan (« Blue
Skies »). C’est avec Dennis Carroll (b) et George Fludas (b)
qu’Ira Sullivan lance au ténor un « Someday My Prince Will Come »
qui perd tout son feeling dans le solo de piano. Des milliers de
claviers de ce genre encombrent les festivals et nul doute que
celui-ci fera un succès auprès d’un public qui, entre deux
bâillements, trouvera bien une raison d’aimer (ne serait-ce que le
prix de la place). Le solo de Carroll est tout autant ennuyeux, et le
retour de l’épaisse sonorité de sax fait un bien fou. Quand
Holman est très sobre comme dans l’exposé de « Along Came
Betty » c’est tout de suite mieux. Ira Sullivan y joue du
ténor comme dans « Just In Time ». Jim Holman donne le
meilleur de lui-même dans ce « Sunny Side » joué très
lent, et exposé avec talent au ténor par Ira Sullivan qui délivre
aussi un solo moins fastidieux que le pianiste. Un disque qui pour
nous vaut surtout pour Ira Sullivan.
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The Campbell Brothers
Beyond the 4 Walls
Hell No, Heaven Yes !, It’s
Alright Now, Mama’s Gone, Believe I’ll Run On, Lord, I Just Want
to Thank You, Nobody’s Fault but Mine, When All of God’s Children
Get Together, Joy, Make a Joyful Noise, I Ain’t Gonna Cry no More,
God, Can We Talk for a Minute ? Chuck Campbell (voc, pedal steel), Phil
Campbell (g, voc), Darick Campbell (voc, lap steel), Carlton Campbell
(dm, perc), Daric Bennett (b), Denise Brown (voc, perc), Tiffany
Godette (voc)
Enregistré à Salina (Kansas, USA),
date non précisée
Durée : 48' 40''
Dixiefrog 8748 (Harmonia Mundi)
Les Campbell Brothers ont la
particularité de proposer un gospel qui s’appuie sur les voix de
la communauté, représentée ici par Chuck, Phil, Darick Campbell
avec les vocaux de Denise et Tiffany, et sur des instruments
particuliers : les lap steel guitars (guitares en acier jouées à
plat). Beyond the 4 Walls se veut aussi un hommage à tous les
artistes qui ont permis au gospel d’être entendu dans le monde
entier. De Sam Cooke à Sister Rosetta Tharpe en passant par BB King
et Edwin Hawkins, on retrouve tous ces univers avec toujours comme
fil rouge les guitares qui vibrent pour donner un peu plus de trémolo
aux voix qui sollicitent « God » . La spiritualité
évoquée dans les textes n’empêche pas le corps de vibrer et pour
ça, les Campbell Bros connaissent la musique. « It’s Alright
Now » en est un exemple parfait, mais le CD en recèle d’autres
qui sont plus ou moins subreptices, comme cette intervention de la
guitare quasi wah-wah sur « Believe I’ll Run On » et la
voix sensuelle et profonde d’une des deux chanteuses. Si vous
n’êtes pas ami avec le bon Dieu, cet album peut vous faire accéder
à la révélation. Dans le cas contraire, il vous permettra de
comprendre le succès du blues-rock des groupes anglais et américains
lors des décennies écoulées, n’est-ce pas Mister E.C !
Michel Maestracci
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The Chamber Jazz Quintet Meets André Villéger
For All We Know
Some Other Time, But Not for Me, For
All We Know, Last Night When We Were Young, Pretty Girl, Mean To Me,
Never Let Me Go, Blues for C, Gee Baby Ain’t I Good to You, It
Might as Well Be Spring, Over the Rainbow
Rebecca Cavanaugh (voc), André Villéger (ts), Claude
Carrière (p), Frédéric Loiseau (g), Marie Christine Dacqui (b),
Bruno Ziarelli (dm)
Enregistré les 6 et 7 mai 2013, Paris
Durée : 53' 57''
Black & Blue 777.2 (Socadisc)
Après Looking Back, voici For
All We Know, second album de Rebecca Cavanaugh publié chez Black
& Blue. Cette jeune chanteuse, de parents américains ayant
grandi à Londres, pour les besoins de ses études (un master
d’histoire en arts décoratifs) s’est installée à Paris. Comme
plusieurs étudiantes de passage dans notre capitale, elle a soigné
son mal du pays en s’adonnant à sa seconde et bien sage passion,
la musique et plus particulièrement la jazzy ; il en est de
plus dangereuses ! Rebecca ne joue pas dans la cour des divas
et des grandes cantatrices qui ont écrit l’histoire du jazz. Mais
douée d’un vrai talent pour magnifier son joli brin de voix, elle
excelle dans ce style intimiste. D’autant que, pour ne rien gâcher,
cette jeune et ravissante personne est soutenue par une formation qui
assure. Sans être le Louis Armstrong’s Jazz Four qui accompagnait
Lillie Delk Christian chez Okeh en 1928, The Chamber Jazz Quintet se
tient fort bien. Et l’invité, André Villéger, qui est beaucoup
plus qu’une simple rencontre, mérite une écoute attentive.
Félix W. Sportis
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Randy Weston / Billy Harper
The Roots of the Blues
Carnival, Blues to Senegal, Berkshire
Blues, Body and Soul, Congolese Children Song, If One Could Only See,
Blues to Africa, How High the Moon, Cleanhead Blues, Timbuktu, Roots
of the Nile, Take the A Train, The Healers Billy Harper (ts), Randy Weston (p)
Enregistré les 8 et 9 février 2013,
New York
Durée : 54’ 00’’
EmArcy 0602537474233 (Universal)
Randy Weston et Billy Harper ont depuis
longtemps fait résonner ensemble leurs sonorités énigmatiques,
unis par l’authenticité de leur enracinement et leur liberté
d’expression qui rend vaine toute classification pseudo-stylistique
ou périodisante. Le blues est la dominante de leur parole, un blues
à la fois tendre et rugueux, qui renvoie aux sources du jazz,
irriguant dans les directions du rhythm and blues, de Luckey Roberts
ou Jim Europe, Monk ou Ellington (des références propres à Randy
Weston). Dans l’esprit de Coltrane ou Ayler, à la manière d’un
George Adams ou d’un Ari Brown, Billy Harper s’exprime dans une
veine très virile, mêlant l’église, le blues et le free dans un
cadre mélodique souvent très émouvant (« If One Could Only
See »). La belle expression de mélodies mises à nu prend une
forme très rythmique, le poids percussif du piano ancrant le lyrisme
du saxophone. Il en ressort un dialogue lumineux, pas toujours aussi
intense qu’il aurait pu (les deux hommes n’ont plus l’âge de
la vigueur technique et l’improvisation s’égare parfois un peu),
mais dont la personnalité suffit à elle seule à résumer une
histoire d’une grande profondeur. En revanche, on peut avoir de
nombreuses réserves sur l’afro-centrisme qui s’exprime ici (et,
plus largement, dans l’œuvre de Weston ou dans le discours de
Harper également. Il témoigne d’un certain aveuglement
idéologique et esthétique, à la fois sur le jazz (c’est une
Afrique poétisée qui est évoquée, et ses couleurs n’existent
que par le filtre du jazz américain) et sur l’histoire (l’Afrique
n’est pas un Age d’Or innocent : c’est le lieu de la mise
en esclavage et du racisme anti-noir exercé par les marchands
d’Afrique du Nord, avant même la déportation). Ce discours semble
faire désormais partie intégrante d’une mythologie afro-américaine
qui ne correspond pas à la réalité historique dont Randy Weston
nous avait pourtant abondamment entretenue ( Jazz Hot N°576),
évoquant en particulier son ancrage dans la musique new-yorkaise. La
musique parle en effet d’elle-même et la richesse de ses
références expressives puise dans l’incroyable histoire du jazz –
l’omniprésence du blues suffira à s’en convaincre.
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