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In the Mood

Le Fonds Bill Coleman à Marciac

La vente des meubles de Lily Coleman aux enchères, à Cadeillan, le 14 novembre 2013 a soulevé des interrogations légitimes. Il s’agit là effectivement d’une vente pour payer les frais de séjour de Lily Coleman en fin de vie à la maison de retraite (merveilleuse société). Mais de cette vente sont exclues les archives de Bill Coleman.

En effet, en 2004, Lily Coleman a fait don, selon les règles administratives, à la Mairie de Marciac, de ses archives (albums photos, films et documents divers) sous forme d’un courrier détaillé des pièces données, dont l’étude de Maître Ruel a copie. Ce document officiel, daté de 2004, rend la Mairie de Marciac, propriétaire des biens donnés et il interdit toute vente de ces archives. 
Le Centre du Patrimoine indique qu’une partie de ces archives a déjà été récupérées lors du départ de Lily Coleman en maison de retraite. Lily Coleman a fait cette donation en stipulant que c’était pour créer un fonds dans le cadre d’une médiathèque qui correspond au projet « d’excellence » rural que Marciac a remporté et qui a débouché sur le concept d’un espace polyvalent. Ces archives devront être numérisées. Elles sont, dit-on, en lieu sûr en attendant leur valorisation effective. Les projets territoriaux prennent, on le voit, beaucoup du temps.

Il nous reste à attendre que ces archives soient mises en valeur dans le cadre de cet espace conformément au souhait de Lily Coleman. Il ne s’agira pas d’un musée Bill Coleman comme le bruit en a couru, et que nous espérions, mais d’un fonds Bill Coleman. Ce fonds dépasse le musicien qu’était Bill Coleman et a une dimension sociologique qui pourra en principe faire l’objet d’études dans un cadre universitaire.

Bill était un excellent documentariste, parce qu’il ne cherchait pas à l’être. Tout est annoté avec précision. Il y a des photos uniques de musiciens dont c’est peut-être le seul témoignage. Il a observé ses semblables (Benny Carter, etc.) et c’est donc un témoignage de valeur de la profession de musicien noir aux Etats-Unis à son époque.

Ses documents sur les périodes françaises et européennes sont également précieux. Bill Coleman a en effet tourné pour son plaisir des petits films 16mm de ses amis musiciens. Bill Coleman aimait la musique, les musiciens, et ceci, pour l’avoir personnellement connu, sans arrière-pensée, notamment politique. Je tiens à signaler au passage, parce que je l’ai approché, que s’il a en effet connu les humiliations de la ségrégation, et qu’il a préféré vivre en France, il s’estimait fièrement américain. En d’autres termes, plus proche de la tradition élégante et cultivée de la Harlem Renaissance que du concept politisé actuel de l’Africain-Américain qui n’existait pas de son vivant. Méfions-nous des faits détournés de leur contexte. Bill Coleman était un seigneur qui mérite non seulement d’être préservé, mais aussi d’être respecté. Le premier acte de ce respect sera de mettre à disposition de tous, ses archives, et de façon non lucrative.

Lily Coleman a suivi des conseils et a fait au mieux de façon isolée. Il n’y pas pour l’instant, en France, de projet collectif de centralisation des archives et des dons post mortem, dans le domaine jazz ou plus largement musical. D’ailleurs comment peut-on préserver le jazz si on est incapable d’en donner une définition consensuelle. Quelques initiatives individuelles ont le seul mérite de préserver les archives de la destruction ou de la dispersion. Le concept des fonds est très administratif, donc rigide et pas accessible à tous comme nous l’a démontré l’attitude de la Bibliothèque Nationale de France avec le Fonds Delaunay (impossibilité par exemple, il y a quelques années, pour des amateurs et chercheurs passionnés, d’avoir accès au film de la maison Couesnon de 1951 que Charles avait préservé… mais que nous venons de trouver récemment disponible sur youtube !).

La préservation des archives musicales est une nécessité, le concept du fonds est discutable et élitiste, et les initiatives individuelles dispersées inefficaces. En outre aucun contrôle de la valorisation effective, aucune évaluation des procédures de mise à disposition de ces fonds ne semblent envisagés. Enfin, réserver nos archives au seul circuit universitaire alimente la mise à disposition des précieux faits historiques aux propagandes pseudo-culturelles de ces institutions de la pensée unique. On n’y étudie pas le fait pour ce qu’il est dans son contexte d’époque, on l’utilise a posteriori avec un degré de compréhension primaire comme alibi à des théories progressistes. Une solution digne, respectueuse des artistes du passé, démocratiquement accessible au plus grand nombre reste à trouver. Sinon, ça ne sert finalement à rien.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°665, Automne 2013