Lia Pale
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22 septembre 2013
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Introducing
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© Jazz Hot n°665, automne 2013
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Pour son premier album, Gone Too Far, Lia Pale, nous livre une œuvre hybride. La chanteuse autrichienne de 27 ans – également pianiste, flûtiste, percussionniste et danseuse – interprète, en anglais, des poèmes de Wilhelm Müller extraits du Winterreise (Le Voyage d'hiver) de Franz Schubert, un grand Viennois. Ni tout à fait du jazz, ni tout à fait de la musique classique, et pas vraiment de la pop, Lia Pale échappe aux pièges de l’album-concept ou de la seule imitation pour faire œuvre de création. A ses côtés, se dessine la silhouette de Mathias Rüegg (Jazz Hot n° 592, 639, 654), dont la pensée musicale originale a donné toute sa personnalité au Vienna Art Orchestra, entre tradition européenne savante et musiques populaires américaines, le jazz et ses dérivés, habité par ce même désir de revisiter ces lieder profonds et bouleversants. On peut encore apprécier la clarté de l'expression de Lia Pale dans une série de vidéos présentes sur la toile où la chanteuse, souvent a cappella ou avec le seul soutien d'un instrument percussif, d'un accord final de piano ou de ses seules mains, interprète les standards de belle manière…
Propos recueillis par Mathieu Perez
Jazz Hot : Pourquoi avoir choisi d’adapter la musique de Schubert pour votre premier album ?
Lia Pale : C’est arrivé par coïncidence. J’ai toujours su que je travaillerais sur la musique de Schubert. Mathias Rüegg était l’un de mes professeurs. Je travaillais à une chanson entre la musique classique et la pop et suis allée lui demander conseil. Nous avons discuté et il m’a aidé. A cette époque, il avait déjà arrangé des chansons de Schubert. Puis nous avons pensé écrire d’autres arrangements. Il y a un an, en octobre, nous avons joué trois chansons au Porgy & Bess. Et je suis partie en Suède poursuivre mes études.
Comment avez-vous travaillé sur l’album ?
Mathias et moi avions décidé de faire une démo’ et on s’est mis à skyper comme j’étais en Suède. Il aimait ma façon de chanter et il avait toujours voulu arranger la musique de Schubert. Je pense qu’il avait déjà arrangé trois chansons du Winterreise du temps du Vienna Art Orchestra. Nous avons trouvé un label. Bien qu’ils nous aient beaucoup encouragés, je pense qu’ils ne savaient pas vraiment ce que l’album donnerait. Mais nous l’avons fait !
Comment avez-vous choisi les chansons ?
J’ai écouté le Winterreise et les chansons sont venues naturellement.
La musique de Schubert vous a-t-elle toujours été familière ?
J’ai une formation classique, j’ai étudié le piano. A Vienne, quand vous commencez à jouer du piano, c’est le type de chanson que vous apprenez. Cette musique m’était familière mais je ne me voyais pas en artiste lyrique. Je voulais utiliser une autre voix. Et pas une voix classique avec des arrangements jazzy. Parfois, des mélodies classiques sonnent comme des standards. Certaines chansons de Schubert sont des standards avant que les standards n’existent. Mais pourquoi chanter ces chansons comme on le faisait à l’époque ? Bien que je n’aie pas une formation d’artiste lyrique, je pensais pouvoir interpréter ces chansons mais à ma façon. Et Mathias est un bon arrangeur.
Comment s’est passée cette collaboration avec Mathias Rüegg ?
Mathias est une vraie source d’inspiration. Il m’a ouvert un monde. Je suis née dans une petite ville près de Linz, à deux heures de Vienne. Je n’ai pas grandi en écoutant du jazz. Loin de là. J’ignorais tout de cette approche. Je l’ai découverte en travaillant avec lui. C’est pourquoi j’ai tant aimé travailler avec Mathias. Il vit dans le monde du jazz depuis trente ans. J’ai beaucoup appris à ses côtés.
Avez-vous toujours voulu être chanteuse ?
Les gens sur scène me fascinaient. Je voulais en faire partie de ce spectacle mais je ne savais pas comment. J’ai commencé à chanter à l’âge de 14, 15 ans et j’ai su tout de suite que je n’arrêterai jamais. A l’école, il y avait une fille qui savait chanter. Elle avait deux, trois ans de plus que moi. Quand je l’ai entendu chanter un solo dans le chœur de l’école, j’ai su tout de suite que je voulais chanter. Elle n’était pas connue et ne chantait pas sur une grande scène mais je pouvais m’identifier à elle. Après ça, je savais.
Les chansons du Winterreise sont si tristes, comment avez-vous dépassé cette tristesse ?
Elles sont si tristes ! (rires) Elles portent sur la solitude et la mort. Parfois, les mélodies m’aidaient à surmonter cette gravité. Il est intéressant de noter que les chansons de Schubert ne sont jamais qu’en mode mineur, il y a les mêmes parties en majeur. Schubert a écrit plus de 700 chansons. Il a tant écrit et est mort si jeune ! Il était si pauvre et sans reconnaissance ! Nous parlons là d’un génie. Il est très inspirant de voir ces personnages s’accrocher à leurs idées. Puis, travailler pendant une semaine au studio d’enregistrement était magique. Mais j’avais encore tant à apprendre et ces chansons sont si fragiles. Il faut être très fort pour surmonter ça. Elles demandent beaucoup d’exigence. Après l’enregistrement, on m’a conseillé de prendre quelques jours de repos. C’était la première fois que je travaillais dans un studio et c’était très intense. C’est étrange, le jour d’après, je me suis rendue sur la tombe de Schubert, peut-être pour boucler la boucle ou tout simplement dire au revoir, je ne sais pas. Durant deux semaines, j’étais vidée. Je ne pouvais me rattacher à rien. Je n’étais pas sûre du résultat de ce projet mené sur un an. Cela peut paraître un peu cliché mais les chansons sont venues à moi. Elles étaient là. Je ne les ai pas vraiment choisies. J’ai toujours su que nous ferions cet album et que ce serait le Winterreise. Je ne me suis même jamais intéressée à autre chose. On ne peut pas se cacher derrière ces chansons. Si vous le faites, la musique en souffre. Vous devez mettre votre ego de côté pour les chanter. Seules les chansons comptent. Elles m’ont forcée à lâcher prise. Cette expérience m’a changée.
Avez-vous étudié les compositions originales au préalable ?
Tout à fait. J’écoutais les chansons, assise au piano, pour trouver ma façon de les interpréter. Puis j’ajoutais les paroles, puis je travaillais les mélodies, choisissant le bon ton et le bon tempo pour les chanter.
Comment travailliez-vous avec Mathias Rüegg ?
On s’asseyait et nous échangions des idées. Je pouvais aussi chanter et nous en parlions. Une fois que la forme et l’idée générale étaient claires, l’arrangement était limpide.
Diriez-vous de Gone Too Far que c’est un album crossover ?
Oui, c’est un crossover (rires). Je déteste ce mot ! La première fois que j’ai chanté de cette façon, c’était à la demande d’un de mes excellents professeurs de piano. Il m’avait demandé de chanter des chansons de Manuel de Falla avec un quartet classique. C’était la première fois que je chantais de la musique classique avec une voix qui n’était pas celle d’une artiste lyrique. Pour l’album, je ne m’intéressais pas particulièrement au croisement des genres. C’est simplement que cela n’avait pas de sens de m’empêcher de combiner le jazz et la pop.
Quel type d’avis Mathias Rüegg vous a-t-il donné en travaillant sur le Winterreise ?
Il voulait toujours savoir où j’en étais de mon processus de recherche et si j’avais changé de direction sur tel ou tel titre afin qu’il réadapte son arrangement. Je chantais devant lui ou nous écoutions mes enregistrements, et il me faisait des remarques, souvent sur mon intonation. Il me connaît très bien. Il défend toujours l’intérêt de la musique. Mais stylistiquement, il me laissait faire ce que je voulais. Il savait que cela n’avait pas de sens de me dire de chanter de telle ou telle manière. Ce serait comme indiquer à quelqu’un sa façon de marcher. Cela le changerait et ne l’aiderait pas à trouver sa propre voix.
Avant de travailler à cet album, connaissiez-vous le désir de Mathias Rüegg d’arranger la musique de Schubert ?
Il a commencé, il y a vingt ans. Il a fait un premier arrangement d’une chanson de Schubert mais sentait qu’il était trop tôt, qu’il n’était pas prêt. Il sentait que cela tournait trop autour de lui et pas de l’arrangement. Il m’a dit qu’il avait besoin de temps pour aborder la musique de Schubert. Le moment est maintenant opportun. Il a toujours voulu le faire de façon plus confidentielle. On s’est entraidés, d’une certaine manière. Il m’a donnée ma chance et m’a fait confiance. Il n’a jamais douté de moi. Quand je l’ai rencontré en 2010, le Vienna Art Orchestra venait de se dissoudre et il ne savait pas quelle direction prendre. Nous nous sommes rencontrés au bon moment. C’est aussi pour cette raison que nous n’avons jamais douté du projet. Nous n’avions pas le choix.
Vous donnez de plus en plus de concerts, Mathias Rüegg fait-il partie de la tournée ?
Oui, et d’ailleurs il est au piano. Il s’y est remis en 2010. Il avait arrêté d’en jouer à l’âge de 25 ans. Et chaque fois que nous jouons les chansons, elles deviennent plus claires.
Quelle a été la réception de l’album en Autriche?
Nous étions inquiets pour son côté classique, et par le fait que c’est une chanteuse de 27 ans qui interprète la musique de Schubert, mais nous avons tendance à oublier que Schubert est mort à 30 ans. Le public classique a été très ouvert. En Allemagne, nous avons eu d’excellentes critiques, plus qu’en Autriche. Ils aimaient le fait que ce ne soit pas prétentieux.
Réfléchissez-vous déjà à la prochaine étape ?
Je songe à mieux connaître la musique de Schumann. Si je poursuivais dans cette voie, ce serait la prochaine étape.
www.liapale.net
CD 2012. Gone Too Far, EmArcy 0602537296613 (Universal)
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