Amina Claudine Myers, Jazz à Vienne, 1995 © Pascal Kober
Amina Claudine MYERS
Née le 21 mars 1942 à Blackwell en Arkansas, la pianiste, organiste, chanteuse, compositrice, enseignante Amina Claudine Myers symbolise à elle-seule les recherches de liberté qui traversent le monde afro-américain de l'après Seconde Guerre, soucieux d'affranchissement social et de reconnaissance politique autant que d'accomplissement humain et artistique, avide de redécouverte de racines méprisées ou oubliées autant que de modernité et de création. Femme élevée par des femmes dans un monde d'hommes, même celui de son art, elle a eu aussi à faire son chemin à travers son pays, de sa terre natale à Louisville, Chicago et New York, parmi ses pairs musiciens, ce qui n'a jamais été simple bien qu'elle garde sur ce sujet une discrétion, un regard lucide, objectif et sans amertume –ce qui est rare–, réservant toujours la première place à son jugement artistique dans son appréciation de ses pairs de l'autre sexe. Le monde afro-américain, pas plus que le reste de l'humanité, n'est exempt des traits humains éternels, même si son vécu de l'esclavage, de la ségrégation et du racisme –encore présents dans les mots de cette interview– sur le continent américain lui a permis de développer des alternatives généreuses dans les relations humaines à la société concurrentielle et prédatrice des Etats-Unis, et d'abord des formes de solidarités, une exigence artistique et une authenticité qui sont à la base d'une philosophie alternative, longtemps un phare universel, même si le jazz a égaré en 2024 la plus grande grande partie de ce message humaniste. Née à l'expression musicale dans la tradition du spiritual, Amina Claudine Myers a aussi bénéficié d'une solide formation classique de pianiste, a côtoyé dans un premier temps l'univers de la musique religieuse toujours présente dans son art, puis a découvert les courants mainstream et bebop du jazz avec caractère, à force de rencontres. C'est dans la sphère du free jazz –Muhal Richard Abrams, Kalaparusha, etc., autour de l'AACM de Chicago– qu'elle a trouvé ses repères et ses amitiés les plus profondes et durables, mais c'est aussi auprès de la génération des acteurs de l'après-guerre, les Von et George Freeman, Gene Ammons, Sonny Stitt, Art Blakey, etc., qu'elle a approfondi la culture afro-américaine, car au fond, Amina Claudine Myers est une éternelle étudiante, non pas au sens académique, mais comme le sont en général les artistes du jazz de culture, curieux de tout, expérimentateurs et donc toujours pionniers dans leur art, leur expression. Elle a aussi été portée par une époque riche en luttes sociales et politiques, et même si son discours ne le traduit pas au premier degré, il ne fait aucun doute que l'imagination de cette période, pour développer des alternatives de toutes natures aux impasses de la société américaine, a été un facteur favorable pour l'originalité de son expression. Elle a ainsi essayé de concilier, synthétiser toutes ses expériences, y compris son apprentissage classique, et le résultat est bien l’œuvre d'Amina Claudine Myers, parfois difficile à cerner pour ceux qui ne connaissent pas la complexité du cheminement d'une maîtresse-femme afro-américaine dans la société des Etats-Unis de la Seconde Guerre à nos jours. C'est tout l'intérêt de cette interview de faire un tour de cette déjà longue histoire, avec la voix pleine d'éclats de rire d'Amina Claudine Myers, et de pouvoir l'illustrer au moyen de ses enregistrements (discographie) et d'une vidéographie. Aujourd'hui devenue une Aînée de la grande histoire du jazz, elle bénéficie d'une reconnaissance (NEA Jazz Master 2024), un confort qui ne doit jamais faire oublier la route parcourue avec curiosité et les épreuves traversées, à force de volonté et courage. YS
Propos recueillis par Mathieu Perez Discographie par Jérôme Partage, Vidéographie par Hélène Sportis Photos Umberto Germinale-Phocus, Pascal Kober, Mathieu Perez,
Collection Amina Claudine Myers by courtesy
Images extraites de YouTube Avec nos remerciements © Jazz Hot 2024
Amina Claudine Myers et sa grand-tante en 1943
© Photo X, Collection Amina Claudine Myers by courtesy Jazz Hot: Quelles sont vos
premières expériences musicales?
Amina Claudine Myers: Quand j'avais 5 ans, ma mère m'emmenait à l'église de Blackwell, en Arkansas,
voir des quartets vocaux de gospel venus d'autres villes. Ils attiraient
toutes sortes de gens; des Blancs venaient s'asseoir au fond de l'église; à l’extérieur, de jeunes adolescents noirs s’asseyaient dans leur voitures avec
leurs fenêtres ouvertes. Ces chanteurs étaient hypnotiques; plus tard, ils ont
ajouté une guitare… C'était ma première expérience musicale.
Où avez-vous grandi? A Blackwell,
Arkansas. A l'âge de 2 ans, ma mère, Elmora Thurman, a déménagé à Kansas City,
dans le Missouri, pour trouver du travail et me soutenir. Mon père Nolan Myers
vivait à Kansas City, dans le Kansas. Ils avaient eu pour dessein de
m'avoir, suivant le plan de Dieu. J’ai grandi chez ma grand-tante qui a
également élevé ma mère. Quand j'avais 6 ou 7 ans, nous avons déménagé à
Roosevelt, une communauté noire au sud-ouest de Dallas, au Texas. Avant de
partir, ma grand-tante m'a demandé si je voulais aller avec ma mère ou avec
elle. Si je l’accompagnais, nous aurions des toilettes intérieures et il y
aurait une épicerie près de la maison; je l’ai choisie, elle. J'ai toujours
vécu avec ma grand-tante. Plus tard, j’ai vécu quelque temps avec ma mère à
Louisville, et j'allais la voir l'été.
D'où était originaire votre
famille?
Du côté de ma mère, ils
viennent de Hickory Hill, Arkansas. Du côté de mon père, de Blackwell. Mes
grands-parents vivaient à côté de chez ma grand-tante.
Le piano a-t-il été votre
premier instrument?
Vers 10-11 ans, je vivais à
Louisville avec ma mère. J'étudiais le violon et le piano à l’école. Ma mère
m’a dit qu’elle ne pouvait pas se permettre d’acheter les deux instruments.
Elle m’a demandé de choisir, j'ai choisi le piano. J'ai suivi des cours
particuliers jusqu'à l'université.
Vous avez grandi en jouant
du piano à l'église…
J'étais méthodiste, donc
j'allais aux services du dimanche. J’allais aussi à l'église baptiste parce
qu'il y avait beaucoup d'activités, comme BYPU (la principale organisation de
jeunesse pour les baptistes était l'Union des jeunes baptistes) le dimanche
soir où l'on apprend la Bible, des fêtes pour les gens en vacances, l’école
biblique de vacances. Le pianiste jouait deux accords pour que nous nous
levions et deux autres pour que nous nous asseyions, mais il était incapable de
les jouer et, moi, je le pouvais. J’ai joué ces accords et tout le monde a été stupéfait.
C’est ainsi que j’ai commencé à jouer du piano à l’église. L’église baptiste montait
aussi des pièces de théâtre. Par exemple, sur Jésus, à Pâques, à la fête des
mères, à Noël. On me donnait des répliques. Parfois j’étais un personnage, mais
le plus souvent, j’étais la narratrice. Je suis devenue un peu actrice. Puis,
l’église a formé un groupe de chant. Nous étions sept jeunes chanteuses et essayions
d'imiter les chanteurs du quatuor de gospel dont je vous parlais, en battant le
rythme avec nos mains et en les tapant sur nos cuisses. Donc, à 11 ans, j’ai
commencé à jouer pour l’église méthodiste. A l'âge de 12 ans, j'occupais le
poste de pianiste principale au sein du groupe de l'église baptiste. J'allais
même jusqu'à enseigner les chants aux chanteuses. Les morceaux que nous interprétions
étaient issus des hymnes du Dr. Watts(1). Nous
les réinventions en gospel, une forme musicale que j'ai appris à jouer à
l'oreille. Et j’ai commencé à utiliser des partitions de compositeurs noirs.
J'ai joué à l'église jusqu'à 15 ans lorsque j’ai déménagé à nouveau en
Arkansas.
C'est à ce moment-là que
vous avez créé un groupe…
Quand ma famille est
retournée en Arkansas, j'ai constitué un groupe avec trois jeunes femmes, dont
moi-même. En tant que pianiste, je leur enseignais les chansons. Lorsque nous
chantions du rhythm & blues, il s'agissait de titres originellement interprétés
par des chanteurs masculins, tels que «Try Me». Nous étions les Royal Hearts. Quand
nous chantions du gospel, nous étions les Gospel Four. Nous avions deux noms
car nous pensions alors que c'était un péché de chanter du rhythm & blues et
du gospel dans le même groupe! (Rires) Mais cela a duré environ une journée!
(Rires) On a un peu voyagé, on est allées à Fort Smith et à Menifee, en Arkansas.
Nous chantions des chansons gospel des Davis
Sisters,
originaires de Chicago, et des Caravans. Nous avons ouvert pour
les Staples Singers,
à Menifee. Pops Staples a cassé une corde de sa guitare, l’organisateur du
concert nous a alors demandé de chanter pendant qu'il réparait sa corde. Une
fois le concert terminé, des dames de l'église nous ont dit que nous sonnions aussi
bien que les Staples Singers.
Amina Claudine Myers, c. années 1960 © photo X, Collection Amina Claudine Myers by courtesy
Le gospel est un fondement de votre musique…
Quand j'étais petite, ma
mère m'a emmenée voir les Caravans à l'auditorium de Louisville. Je me souviens
que l’un d’eux marchait au milieu du public en chantant «That’s Enough».
C'était merveilleux. J'ai été vraiment influencé en les voyant ainsi que les
Davis Sisters. Des années plus tard, j'ai enregistré un disque avec Albertina Walker.
Je jouais de l'orgue. En fait, je ne l'ai jamais rencontrée. J'ai joué de
l'orgue et cela a été ajoutée en post-production, je ne connais même pas le nom
du disque. C'était dans les années 1970 lorsque je faisais de la musique avec Chess Records à
Chicago. Fontella Bass
m'a amenée chez Chess Records. J'ai aussi enregistré avec Little Minton
et d'autres artistes de Chess Records.
La musique classique est
également une composante importante de votre personnalité musicale.
Au lycée Lincoln, à 14-15
ans, j'avais une professeure de musique, Mme Bailey; elle dirigeait la
chorale. J'ai toujours été impressionnée par sa direction, car sa chorale était
excellente. Elle a été ma première influence en matière de chorale. Plus tard, Cedar Walton
m'a dit qu'elle avait été aussi sa prof (Rires). Ensuite, je suis allée au
Madison High School. Mon professeur de musique m'a emmené voir Philippa Schuyler.
Elle a fait un concert à l'église baptiste; toute une expérience! Après
la représentation, nous sommes allées la voir au sous-sol. Les partitions étaient
sur ses genoux. Elle ne souriait pas du tout. Des baptistes se tenaient autour
d'elle, mais personne ne lui parlait. Je me suis approchée d’elle, et je lui ai
dit que j'avais beaucoup apprécié le spectacle. Elle m'a fait un rapide sourire
et m'a dit: «Merci», puis, elle est revenue à cet air sérieux. Elle a été ma
première influence au piano. Alors oui, j'adorais la musique classique. En
fait, quand j'étais au Philander Smith College à Little Rock, Arkansas,
j'aimais tellement ça que je pensais devenir concertiste, mais il n’y avait
aucune chance que je répète huit heures par jour (Rires)! J'ai à peine fini mon
récital de fin d’année –on devait faire un récital avec le groupe à
l'université. Il y avait aussi une chorale; le chef d’orchestre me faisait
chanter toutes sortes de choses. Le Requiem de Mozart était mon préféré.
J’étais l’une des solistes du Messie de Haendel. A l’époque, la façon dont l’université
collectait des fonds consistait à organiser des concerts à travers le pays.
Ainsi, la chorale, composée de trente-deux membres, est allée à Chicago, en Oklahoma, au
Nebraska, etc. Nous logions chez des Blancs. Les petits garçons voulaient
dormir avec nous et nous embrasser sur la bouche (Rires). Leurs parents étaient
très gentils. Pour moi, faire partie d’une chorale était naturel.
Pendant les vacances d’été,
vous jouiez avec des chorales que vous dirigiez…
Oui, c'était principalement
hors de Louisville. J'ai joué avec et dirigé ces chorales. J'étais
essentiellement la directrice musicale. Je ne me souviens pas comment j’ai
obtenu ce poste… Cela a duré quelques années.
Quand avez-vous joué de
l’orgue pour la première fois?
Le Dr. Carl Harris tenait
l'orgue à tuyaux à l'université lors des vêpres du dimanche et des performances
de la chorale. J'adorais le regarder jouer ainsi que le son de cet instrument.
Au début, je jouais uniquement le Requiem de Mozart.
En 1960, le pianiste de
jazz Art Porter, Sr. (1934-1993) vous a prise sous son aile.
M. Porter enseignait au
lycée Horace Mann et dirigeait une chorale. C’était un pianiste de premier
plan. Il m'a emmené à Hot Springs, dans l’Arkansas, avec lui plusieurs fois. Je
me souviens qu'il avait donné un concert de piano solo dans un piano-bar réservé
aux Blancs. C'est là que j'ai rencontré Liberace. Un soir, Art m'a laissé
jouer. Il n'y avait personne au club, mais Liberace était là avec un ami. Il
était assis près du piano. J'ai joué un blues d'Ahmad Jamal, quelque chose de
simple. Avec cette voix très particulière, Liberace a lancé: «Niiiice! Niiiice!»
(Rires) M. Porter a essayé de
m'aider. Au cours de ma deuxième année, j'ai obtenu un gig dans un grand hôtel
de Little Rock réservé aux Blancs. C’était payé 12 dollars par soir, je pouvais
manger dans la cuisine. Les cuisiniers étaient des Noirs. Ils cuisinaient de la
soul food, c'était très bon. Le
premier soir, j’ai joué «Autumn Leaves» et «Summertime». C'étaient les seuls thèmes
de jazz que je connaissais. Je jouais aussi l’Invention à deux voies de
Bach. Je les jouais, encore et encore. Puis, le deuxième soir, j'ai été virée.
Le propriétaire m'a dit que mon répertoire était trop limité. Je n'avais jamais
entendu le mot «répertoire» auparavant, mais je comprenais ce qu’il signifiait.
Je suis rentrée chez moi en pleurant. (Rires)
Tout a commencé grâce à une
de vos amies…
Grâce à la Liz Taylor noire!
(Rires). Gloria Salter était une jeune femme de Detroit que j'ai connue à
l'université. Nous l'appelions l'Elizabeth Taylor noire. Elle est venue me voir
et m'a dit: «J'ai un gig pour toi: tu vas jouer dans une boîte de nuit.» A l’époque, en 1961, je ne pensais pas
jouer dans une boîte. J'ai répondu: «Je suis incapable de jouer dans une boîte
de nuit!» Elle a répliqué: «Si, tu peux. Ça paie cinq dollars par soir.» C’est
comme ça que j’ai commencé à jouer du jazz au Safari Room, sur la 9e Rue, à
Little Rock(2).
Au début, je jouais en solo, puis le propriétaire du club a ajouté un contrebassiste
et un batteur. Le club était situé dans un hôtel. De nombreux pianistes de jazz
qui venaient de Memphis, Tennessee, pour jouer dans les country clubs blancs du
coin, séjournaient dans cet hôtel. Charles Thomas en faisait partie. J’ai
beaucoup appris de lui. Le propriétaire avait un frère qui tenait un club de rhythm & blues plus loin dans la rue. Au-dessus
du club, c’étaient aussi des chambres d’hôtel. Ike et Tina Turner y logeaient. Au
même moment que le Safari Room, j'ai été engagée pour jouer de l'orgue dans une
église le dimanche. Donc, le samedi soir, je jouais au Safari. Et le dimanche
matin, à l'église. C'était dur parce qu’à l’église, je m'endormais sur mon
piano! (Rires)
Vous avez dit que passer du
gospel au jazz n’avait pas été une transition facile.
Je ne savais pas jouer du
jazz! (Rires) Il fallait tout apprendre à l'oreille. A part Nina Simone et
quelques chansons de Dakota Staton, je ne savais rien jouer. Mon initiation au
jazz s'est faite au Safari Room. Je connaissais «Autumn Leaves» et «Summertime».
J’ai copié «Stomping at the Savoy» d’Ella Fitzgerald, note pour note. Je ne
sais pas comment je m’en suis sortie. (Rires)
Quels musiciens de jazz
écoutiez-vous?
Lors de ma première année à
l’université (1960), je logeais
dans le dortoir. Une de mes camarades de classe passait tout le temps des
disques d’Erroll Garner. Je suis tombée amoureuse de son jeu, même si je n'ai
jamais essayé de l’imiter. Mes influences féminines sont Ella Fitzgerald, Nina
Simone et Dakota Staton.
Amina Claudine Myers/Jerold Donovan Trio, c. années 1960 © photo X, Collection Amina Claudine Myers by courtesy
Combien de temps a duré le gig
au Safari Room?
Cela a duré aussi longtemps
que j'étais à l'université (1960-1963). J'y jouais tous les week-ends. Mon
batteur, Nelson, dont je ne me souviens plus du nom de famille, vivait à
Lexington, Kentucky. Il m'a appelée un jour et m'a dit: «J'ai un gig pour toi:
tu vas jouer de l'orgue.» La conversation était presque identique à celle de
Gloria Salter. J'ai répondu: «Je suis incapable de jouer de l'orgue.» Il a
répondu: «Si, tu peux. Il y a des pédales qui sont comme les touches du clavier
de piano.» C'est comme ça que j'ai commencé à jouer de l'orgue. L’orgue
commençait à peine à faire son apparition dans les clubs. J'avais 19 ans. Je
prenais un car tous les vendredis pour jouer au Elks, un club noir de rhythm & blues à Lexington. Et je ne
savais pas jouer de l'orgue! (Rires) J'ai appris «Shaking Up Baby», «Two Lovers»
et j'essayais de jouer un blues en début de soirée. (Rires) Je me souviens
d'une fois où l’accueil du public était froid; personne n'applaudissait. Je
pensais qu'ils n'aimaient pas ce que je jouais; en fait, c'était juste le début
de la soirée; ils n'étaient pas encore chauds. A la fin de la nuit, tout le
monde dansait.
Ajarumu (Jerold Donovan), Amina Claudine Myers et Cozy Eggleston en 1966 © Photo X, Collection Amina Claudine Myers by courtesy
Pourquoi avez-vous déménagé
à Chicago en 1963?
Quand j'ai obtenu mon
diplôme en éducation musicale, la mère de ma colocataire m'a dit que je devrais
déménager à Chicago pour trouver du travail. Alors, j'y suis allée et je suis
restée chez une de mes tantes qui vivait à Chicago. J'ai trouvé un emploi dans
une toute nouvelle école, l'école primaire George T. Donoghue. J'y ai travaillé
de 1963 à 1969. D'abord, j’étais prof remplaçante, puis remplaçante à temps
plein, puis enseignante à temps plein. J'enseignais la musique, puis j'ai formé
un groupe qui se composait de trois garçons qui jouaient des bongos et des
congas et de deux filles qui jouaient du tambourin et des maracas. Le directeur de
l’école nous emmenait au North Side de Chicago pour jouer devant des enfants
blancs. A quel moment avez-vous commencé à jouer du jazz?
Quand je suis arrivée à
Chicago, une amie colocataire et moi sommes allées à un bal. Il y avait un
jeune photographe; je suis devenue amie avec lui. Il avait deux congas dans sa
voiture. Un soir, il m'a invitée à l'accompagner dans le West Side parce qu'il
voulait participer à une jam session. Il s’est avéré qu’il ne pouvait pas jouer.
(Rires) C’était gênant! (Rires) Il a dit au leader du groupe que je savais
jouer du piano; celui-ci m’a dit de jouer. Quand il m'a entendue, il a
viré le pianiste-maison et m'a embauchée. J'étais choquée (Rires)! C’est comme
ça que tout a commencé. Plus tard, le saxophoniste ténor Cozy Eggleston m'a
entendue et m'a engagée. Son épouse Marie était également musicienne, elle jouait du saxophone alto. Dans le groupe
de Cozy, Alvin Fielder
était le batteur. Nous avons joué ensemble au moins un an. Ensuite, le batteur Jerold Donovan (aka Gerald Donovan ou Donavan, né Joe Shelton), qui deviendra
plus tard Ajaramu(3), m'a embauchée. Cozy a toujours
prétendu qu'Ajaramu m'avait débauchée de son groupe! (Rires)
Au début des années 1960,
vous avez brièvement fait partie du groupe maison au McKie’s…
Cela a duré environ un
mois. J’ai été embauchée pour jouer des jam sessions le lundi. Je n’aimais pas
ce gig. Faire des jam sessions, c’est fatiguant. Mais tout le monde venait, aussi
bien la tête d'affiche Sonny Stitt que tous les musiciens locaux.
Comment vous êtes-vous impliquée dans l’AACM?
Ajaramu m'a introduite. Il
connaissait Muhal (Richard Abrams). A l’AACM(4), il fallait être invitée.
Ce qui m’a surprise, c’est qu’ils n’étaient pas intimidants. Ils vous acceptaient
comme vous étiez; c'était une petite famille. L’épouse de Muhal cuisinait pour
nous tous chez Muhal. Quiconque était dans la maison restait manger. Une fois,
elle cuisinait des légumes verts, des patates douces et du pain de maïs fait
maison. Pour moi qui venais de la campagne, j’avais l’habitude de manger de la
viande avec tout. Nous mettions de la viande dans nos légumes verts. Je ne
savais pas qu’on pouvait cuisiner des légumes sans viande et que c’était si bon!
(Rires)
Le livre de George Lewis, A
Power Stronger Than Itself: the AACM and American Experimental Music (The
University of Chicago Press, 2008) raconte l’histoire de l’AACM en profondeur.
Quel aspect souhaitez-vous mettre en valeur?
La créativité. Roscoe Mitchell
peignait, Muhal peignait. Les musiciens de l’AACM faisaient toutes sortes de
choses. L’AACM m'a montré que, moi aussi, je pouvais peindre et composer. Nous
devions tous écrire de la musique, c'était obligatoire. Il n’y avait cela nulle
part ailleurs à Chicago. Des concerts de l'AACM avaient lieu dans la communauté
noire, dans le South Side, où nous avions un endroit pour jouer notre propre
musique. Nous avions aussi un programme de formation pour les jeunes. J’enseignais
le chant. Le respect qu’ils m’ont témoigné était comme si nous étions tous sur
un pied d’égalité. J’ai été façonnée par l'AACM. Ils connaissaient
l'histoire de la musique. Une fois, Roscoe a rendu hommage à Duke Ellington, je
chantais «Lush Life», la composition de
Billy Strayhorn. Il y avait aussi des pièces de théâtre. En 1968, Joseph Jarman
et moi étions les protagonistes du Dream écrit par Muhal. Il n'y avait aucun
dialogue écrit. Muhal nous disait les grandes lignes de la pièce. Et c’était à
nous d’improviser les répliques. Joseph et moi jouions un couple, mari et femme.
Il était musicien et je jouais une garce avec une perruque blonde, me promenant
en nuisette et fumant des cigarettes. Roscoe avait un groupe de rock dans cette
pièce. Ça a été un succès pendant un mois.
Notre cher ami Rasul Siddik
est décédé en janvier 2023…
J'adorais Rasul. Je l'ai
connu à l'AACM, à Chicago. Une fois, il m'a fait écouter une cassette de lui
chantant du blues. Je ne savais pas qu'il chantait! La dernière fois que je
l'ai vu, nous étions au Maroc avec Archie Shepp. Il jouait à fond! Je ne l'ai
jamais vu autant jouer de ma vie.
De qui avez-vous le plus
appris à l’AACM?
De Muhal. J'ai aussi
beaucoup appris de Kalaparusha (Maurice McIntyre).
Il venait chez moi. J'avais un piano électrique; il s'asseyait et jouait. Il
pensait à la musique tout le temps. Un jour, il nous a demandé, à Rita Warford
et moi, de participer à un hommage pour son père. Lorsque nous avons enregistré
son disque Humility in the Light of
Creator, en 1969, il m’a demandé pourquoi je n’avais pas joué plus –j'avais juste joué ce qu'il m'avait dit de jouer, j’avais envie de jouer davantage mais
je n’osais pas… En 2005, j’ai rejoint George
Lewis
et Roscoe à Paris pour un concert de l’AACM. Roscoe avait un ami à Paris, un peintre chauffeur de taxi. Il nous conduisait dans la ville. Il nous a
dit qu'il avait vu Dieu pendant que nous jouions. C'est un joli compliment.
Kalaparusha et Muhal étaient très spirituels.
D'autres membres de l'AACM viennent
du Sud. Quelqu'un d’autre que vous était-il aussi marqué par le gospel?
Pas à ma connaissance.
Qui faisait partie de votre
premier groupe en tant que leader à l'AACM?
Mon trio s’appelait Amina and
Company. C'était avec Fred Hopkins, et Ajaramu puis Don Moye
nous a rejoints. Je jouais du piano. Anthony Braxton
a également joué avec nous. Sa musique était alors différente. Il était magnifique, il l’est toujours! Dans les années 1960, quand nous jouions au club Hungry Eye,
à Chicago, Kalaparusha et Roscoe se joignaient à nous. Roscoe se promenait avec
une boîte à cigares. Il demandait aux spectateurs d’y mettre quelque chose et,
la semaine suivante, il sortait quelque chose de cette boite et vous le donnait.
Une fois, il m'a donnée un petit squelette en porte-clés.
Quelles sont vos influences
à l’orgue?
Dans les années 1960, les
orgues Hammond B3 commençaient à se faire une place dans les clubs. La plupart
du temps, les clubs où je jouais n'en avaient pas, alors je devais apporter le
mien. Une fois, alors que nous jouions avec le trio de Jerold Donovan au Hungry
Eye, Skip
James(5) était à l'alto. Nous interprétions «Impressions» sur
un tempo vraiment rapide. J'ai regardé dans le public et j'ai vu Jimmy Smith. Ça m’a stupéfaite. J'ai mal joué ce
thème, je me suis perdue dans la musique, mais, à la fin, j'étais dedans à nouveau.
Plus tard, Jimmy m'a dit: «L'essentiel est de finir correctement.» Cela vous sauve
un peu. (Rires) J'ai pris une seule leçon avec lui: il a joué de l'orgue
pendant environ une heure; je voulais jouer et essayer des idées musicales, il
ne m'a pas laissée jouer du tout! (Rires) Puis, il s’est mis au piano et a joué
pendant encore une heure. (Rires) Jack McDuff était un autre de mes organistes favoris. Il pouvait
faire dire des injures à son orgue! (Rires) George Benson était avec lui. Après le tube «This Masquerade», j’ai dit à George d’un air très sérieux que lorsque je
viendrais à New York, je logerai chez lui. Ça lui a fait peur. Il m'a
dit qu'il était marié… Je le taquinais (Rires). J'aimais aussi Odell Brown
(org, 1940-2011) –sa mère était présidente du club de jazz de Louisville–, j'utilise certaines de ses techniques; j'adorais son style; il a coécrit «Sexual
Healing» avec Marvin Gaye, mais il n’a jamais obtenu la reconnaissance qui lui
revenait. Il y avait aussi Eddie Buster (org, 1932-1999) et Baby Face Willette (org,comp, 1933-1971) qui se
produisait dans un club qui avait aussi un bowling. A son arrivée, il lançait:
«Ce serait sympa si vous pouviez éteindre la machine à requiller.» (Rires)
Vous avez dit dans
l’hommage de Jazz Hot à McCoy Tyner
qu’il avait été l’une de vos influences. Et John Coltrane?
J'ai découvert Coltrane
à l'université. Son disque Ole, avec deux bassistes, m'a bluffée! Je me
souviens de l'avoir vu au Plugged Nickel, à Chicago, en 1966, Alice
était au piano. Roscoe a fait un bœuf avec eux. A l’époque, nous étions engagés
avec Ajaramu dans un club en bas de la rue. Nous sommes allés voir Coltrane
vers 1h du matin. Quand nous sommes arrivés, Trane jouait «My Favorite
Things». La musique a rempli tout le club. Puis le propriétaire a commencé à
faire clignoter la lumière. Ce devait être un samedi car les clubs fermaient à
5 heures du matin le weekend. Dans la semaine, ils fermaient à 4 heures du
matin. Mais Trane n’y prêtait pas attention, il continuait à jouer. Ce qu’il
jouait était tellement spirituel! Tout le monde avait les yeux fermés. C'est
dans ce même club que nous sommes allés voir Monk une autre fois. Quand nous
sommes arrivés, le propriétaire le cherchait, c'était la pause. Monk n'est
jamais revenu. Nous avons dû repartir sans avoir eu l’occasion de l’entendre. Miles a également joué là.
Quelle est le premier grand nom avec qui vous avez joué ?
Eddie
Harris.
J'ai joué avec lui pendant environ deux semaines. C'était vers 1969. Il était
très gentil. Il savait que mon jeu était limité, alors il choisissait des
chansons qu'il savait que je pouvais jouer. Il me facilitait la tâche. Un soir,
il n’y avait personne dans le club. Il a joué un thème en si bémol mais il l'a
joué en si. Quand je lui ai dit qu'il jouait en si, il a dit qu'il pensait le
jouer en si bémol. Il l'avait fait exprès. C'était une leçon: apprendre à jouer
dans toutes les tonalités. Il commençait toujours la soirée en jouant du blues.
Avez-vous eu l’occasion de
jouer avec Von Freeman?
Oui, mais pas avant 2002,
au Bimhuis, à Amsterdam. Il y avait Hein van de Geyn à la contrebasse et Han Bennink
à la batterie. J'étais morte d'inquiétude! Je ne savais pas ce qu’il allait
jouer. Je suis allée chez Muhal et je lui ai demandé si je pouvais consulter
certaines de ses partitions. Il en avait des boîtes. C’était comme chercher une
aiguille dans une botte de foin. Je ne savais pas quoi choisir! J'ai choisi
«Ruby, My Dear» parce que je trouvais que ça sonnait bien, ainsi que d'autres
thèmes dont je n'avais jamais entendu parler. J'étais très inquiète! Nous
arrivons donc en Europe. Nous étions dans la voiture. Sur un ton familier, je
lui ai dit: «Von, as-tu une idée de ce que nous allons jouer ce soir?» Il a
répondu: «Non.» Voilà! Le premier soir, il a commencé avec «There Will Never Be
Another You». Cela ne m’a posé aucune difficulté. Ensuite, il a joué un thème
que je ne connaissais pas, mais au deuxième refrain, je l'avais. Von nous a laissé
faire, nous pouvions être créatifs. Le seul thème qu'il a annoncé était «Summertime».
Sinon, il commençait à jouer directement.
Comment avez-vous obtenu le
gig avec Sonny Stitt?
Vers 1969, Ajaramu est
devenu son batteur et Sonny m'a engagée. Nous avons joué en trio pendant
environ six mois. Sonny était un maître des standards. Une fois, il a joué «Autumn
in New York». Ce n'est pas facile à jouer, nous répétions très peu. Par exemple,
si nous répétions tel thème en mai, il l'appelait en octobre. Lorsqu’il a
attaqué «Autumn in New York», je n’ai même pas eu le temps de poser la main sur le
clavier. (Rires) Il avait déjà commencé à jouer; j’apprenais les thèmes pendant
que nous les jouions; j'ai tout appris d’oreille. Un soir, il a joué quatre
blues d'affilée, tous dans des tonalités différentes. Je me suis dit: «putain!».
Non seulement il les jouait dans des tonalités différentes, mais en plus, il en
faisait aussi quelque chose de différent à chaque fois. C'était une leçon! Au
fait, sa grand-mère s'appelait «Claudine»…
Ajaramu, Gene Ammons, à droite: Amina Claudine Myers © Photo X, Collection Amina Claudine Myers by courtesy
En 1970, je suis allée en
voiture de Chicago à Kansas City pour le voir. Nous avons commencé à travailler
ensemble vers la fin de l’année 1970 ou début 1971. Je suis restée avec lui
pendant deux ans et demi. Même chose: Ajaramu était son batteur et Jug m'a
engagée –j’ai entendu dire qu’il n’aimait pas ce surnom de «Jug». Il était si
expressif, il lui suffisait de jouer une seule note et le public devenait fou.
On a beaucoup joué en Californie, à San Francisco, Los Angeles…
Ajaramu et Amina Claudine Myers, Quartet de Gene Ammons, Prison de County Cook, c. années 1970 (6) © Photo X, Collection Amina Claudine Myers by courtesy Qu'avez-vous appris de lui?
Ce que j'ai appris de Jug,
c'est la façon de programmer un set. George Freeman,
son guitariste, m'a aussi beaucoup appris; par exemple, il me disait que
lorsqu’il jouait dans le registre aigu, je devais jouer dans le registre grave,
et vice versa. Avec eux, j'ai appris à construire un chorus, à jouer de façon détendue.
Jug ne disait jamais ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Il m’a fait une
réflexion juste une seule fois: quand je jouais avec lui, j'étais déjà dans
l'AACM, j'entendais d’autres sons, j'ouvrais ma musique. Une fois, j’ai eu envie
de ne pas rester dans le blues, alors, j’en suis sortie. Jug s'est retourné, a
posé ses mains sur l'orgue et a dit: «Ce n’est pas du blues, Claud’!» J'ai donc
dû apprendre à rester avec sa musique et à ne pas en sortir. J'ai aimé jouer
avec lui jusqu'au troisième passage au Club Baron, à New York. Après ça, son
répertoire changeait et je voulais faire mon propre truc.
Pourquoi n’avez-vous jamais
enregistré avec lui?
Il voulait que nous
enregistrions ensemble, mais je ne sais plus qui était le producteur de
l'époque, et des musiciens new-yorkais ont été engagés. Nous n'avons jamais
enregistré ensemble...
Amina Claudine Myers et George Freeman © Photo X, Collection Amina Claudine Myers by courtesy
Vous
avez joué au Club Baron à New York; vous souvenez-vous d'un soir en
particulier?
Quand Jug jouait au Club
Baron, tout le monde venait. Un soir, il y a eu Louis Armstrong qui a salué
le public; Dizzy Gillespie qui m'a marché sur les pieds et, quand je le lui
ai dit, il s'était mis à rire… Stanley Turrentine, Lee Morgan… Je me souviens
de Tony Williams que Jug avait invité sur scène. C’est à ce moment-là que j’ai
réalisé à quel point il était un excellent batteur. Il a joué léger mais puissant.
Miles est venu dès le premier soir. Il s’est approché de l’orgue et a dit: «Où
est l’ampli?» Quelqu’un l’avait posé à l’autre bout de la scène. Le deuxième
soir, il est venu accompagné de deux belles femmes, une Noire et une Blanche. Il
s'est approché de l'orgue avec elles et a dit: «C'est l'organiste!» (Rires) Le
troisième soir, j'ai dit à Miles: «J'ai écrit de la musique pour toi.» Je lui ai
demandé son numéro. Quand je suis revenu à Chicago, j’ai dit à tout le monde
que j’avais le numéro de téléphone de Miles (Rires). J'ai appelé, appelé,
appelé, pas de réponse (Rires). Miles n’avait pas de musique, en tout cas pas
de moi! La même chose m'est arrivée avec Della Reese. Un soir, Carmen McRae a
été invitée sur scène. Lee Morgan m'a dit de monter jouer de l'orgue. Personne
ne voulait que cette soirée se termine. Jug transpirait et avait sorti son
mouchoir. Il a attaqué un thème que je ne connaissais pas. J'ai demandé quelle
tonalité. Il a dit mi bémol. Alors j'ai allumé l'orgue très très bas. (Rires) Carmen
a chanté. Elle ne laissait rien l’arrêter. J'ai très mal joué… Après, j'ai
entendu dire qu'elle disait du mal de moi dans la loge. Des années plus tard,
je jouais au Japon, Carmen était là. Mais je n’ai pas eu l’occasion de lui
parler, je n’ai pas pu m'excuser. J'aurais aimé le faire.
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Sonny Stitt et
Gene Ammons étaient-ils si différents?
Complètement différents! Ensuite, ils ont commencé à jouer ensemble. Une fois, j'ai joué avec Dexter Gordon, Rahsaan Roland Kirk,
Sonny et Jug pour une battle of saxes.
Nous sommes allés à New Orleans et dans le Mississippi, j'étais à l'orgue.
C'était super. Je dois admettre qu’à l’époque, je ne trouvais pas Dexter très
intéressant comme musicien, mais c’était un homme merveilleux. J'ai réalisé
plus tard qu'il était aussi un Maître.
Qu’est-ce que ces musiciens
appréciaient dans votre jeu?
Je pense qu’ils m’ont
engagée parce que j’avais un bon feeling et que je pouvais swinguer. Avoir un
bon feeling est très important.
Le dernier morceau que vous
avez joué lors de votre concert à Paris, en janvier dernier, était un blues. Jerome Harris a joué un long solo formidable!
Oui, je ne l'ai jamais
entendu jouer comme ça! C'était un bel hommage à John Lee Hooker.
Où avez-vous appris à jouer
le blues?
Je ne sais pas… J’ai
entendu le blues à la radio quand j’étais petite. A l'université, j'adorais Jimmy Reed
(g,voc,hca,comp, 1925-1976). Plus tard, j'ai entendu John Lee Hooker.
Quand j'enseigne en privé aux vocalistes masculins, je leur fais écouter Jimmy
Reed. Aux vocalistes féminins, Bessie Smith.
Il y a tant de façons de jouer du blues, façon gospel, calypso, rythmée etc. Vous
pouvez le chanter vite ou lentement, ça marche.
Comment est né le disque Amina
Claudine Myers Salutes Bessie Smith (Leo Records, 1980)?
Honnêtement, je ne savais
rien d'elle. J'ai acheté son recueil de chansons et ses disques. J’ai
enregistré les chansons que j’aimais, et j’ai écrit «African Blues».
Amina Claudine Myers (org) avec le New York Organ Ensemble de Lester Bowie (tp): non identifié (g), James Carter (ts), Famoudou Don Moye (dm) c. 1991 © Photo X, Collection Amina Claudine Myers by courtesy
Vous avez également
travaillé avec Fontella Bass (voc,p, 1940-2012) et enregistré From the Root to the Source (Soul Note,
1980), avec sa mère Martha Bass (voc, 1921-1998). Malachi Favors
est aussi présent.
Nous l'avons enregistré à
Milan. Nous étions en tournée. Avec Fontella, on ne répétait pas. Nous sommes
également allées en Australie. Elle était super, elle m'aimait bien. Elle m'a
trouvé des engagements. Grâce à elle, j'ai fait un disque avec Little Milton
(g,voc, 1934-2005).
Pourquoi avoir déménagé à
New York en 1976?
Quand j'étais à Chicago,
j'enseignais à l'école primaire. Je ne pensais pas jouer dans des clubs. Encore
une fois, il y avait toujours quelqu'un pour m'impliquer dans quelque chose. Puis,
je suis entrée à l'AACM. Et j’ai travaillé avec Gene Ammons et mon petit ami de
l'époque, Ajaramu. J'ai apprécié ce gig, mais je voulais faire mon propre truc.
Une fois que j’ai déménagé à New York, j’ai commencé à comprendre qui j’étais, je
me sentais libre. Mais, au début, j’avais peur de New York (Rires). Je logeais
chez le batteur Eddie Moore (dm, 1940-1990), un ami d'Ajaramu. Il vivait entre
Central Park West et la 104e Rue. Il a joué un rôle déterminant dans ma vie. Il
m'a logée, ensuite, j'ai trouvé un appartement au coin de la rue.
Quelles ont été vos
premières expériences musicales à New York?
Eddie a été le batteur de
Sonny Rollins. Il m'a emmenée le voir parce qu'il cherchait un pianiste. Il
faisait alors des répétitions qui duraient cinq heures. Pendant la pause, je
suis allée au piano et j'ai joué. J'ai pensé que Sonny m'entendrait, mais il
était dans une autre pièce au téléphone. Il a secoué la tête comme pour balayer
ça d’un revers de la main, il ne m'a pas embauchée. Il a embauché un jeune
Blanc, je crois. Mais, au moins, j'ai eu ma chance, et il m'a entendue.
Quelles sont vos
expériences les plus désagréables?
Un soir au Tin Palace, je
me suis présentée à Milt Jackson et je lui ai dit que j'adorerais jouer avec
lui. J'ai fait une longue introduction. Sa réponse a été: «Je te demande pardon?»
(Rires) J'ai recommencé: J'ai dit que je m'appelais Amina Claudine Myers, etc.,
j'ai refait ma petite présentation. (Rires) Il était très froid. C'était la
vieille école. «Comment oses-tu venir vers moi et me dire que tu veux jouer avec
moi?»… Ce genre d'attitude; il fallait faire ses preuves. Plus tard, alors que j'avais un
engagement à Washington DC, Milt Jackson et moi nous sommes retrouvés dans le
hall du même hôtel. Quand il m'a vue, il m'a embrassée sur la main, il était très
sympa. Je ne pouvais pas y croire (Rires). Il était complètement différent. Tout
ça était un jeu. Un soir, George Coleman m'a
fait un coup que je n'oublierai jamais, jamais. Lui et Clifford Jordan
connaissaient Gene Ammons, ils nous ont entendus jouer plusieurs fois. Je
connaissais George parce que sa femme Gloria
Coleman
(1931-2010) jouait de l'orgue. Nous avons fait un concert à Jefferson City,
Missouri, avec elle et une Allemande; nous jouions toutes ensemble, le groupe
s’appelait 3B’s. Ajaramu avait une
voiture et George l'avait embauché pour le conduire, lui et son groupe, à des
concerts dans le New Jersey et ailleurs. Donc, un soir, Eddie m'a
emmenée dans une galerie d'art sur Madison Avenue. Harold Mabern était au
piano. J'ai demandé à George si je pouvais jouer, il a dit: «Je ne vois pas
pourquoi.» Il a joué le premier set. On ne s’attend jamais à être appelée dès
le premier set. Il y avait dans la foule deux filles blanches de la galerie et
un bassiste noir de Californie. Lors du deuxième set, George ne m’a pas appelée.
Je lui ai demandé s'il allait me demander de jouer. Il a dit: «oui». Il joue le
troisième set, le concert touchait à sa fin. Il a appelé l'une des deux
filles sur scène, mais elle a refusé. Ensuite, il a appelé le bassiste de
Californie qui était assis à côté de moi. George m'a complètement ignorée, il
savait que je travaillais avec Gene Ammons. A la fin, Mabern m'a fait signe de me
mettre au piano, c'était le dernier thème. J'étais sur scène une minute, et
c'était fini. Plus tard, quand Ajaramu est rentré à la maison, il m’a dit que
George me passait le bonjour… Une fois, j'ai croisé Mabern sur Broadway à Times Square. Je lui ai demandé son numéro de
téléphone parce que je venais d'arriver à New York et que je voulais être
amicale avec les musiciens. Il m'a dit qu'il était marié (Rires). Comme si
j’allais l’appeler pour ça…
Vous avez joué avec Art Blakey
et les Messengers…
Quand je suis arrivée à New
York, John Stubblefield m'a dit qu'Art cherchait un pianiste. A l’époque, il y
avait Bobby Watson et David Schnitter. Walter Davis, Jr., entrait et sortait du
groupe. Art m'a embauchée. Il tirait la langue quand il jouait. il me disait: «n'aie pas peur!»». Je lui répondais : «Je n'ai pas peur!». Cet homme savait
swinguer, moi, je le suivais! John m'avait dit de faire savoir à Art que je
chantais. Alors, Art m’a laissé chanter.
Un jour, je lui ai demandé plus d'argent. Il a dit: «Tu veux voir un contrat?».
J'ai dit: «Oui, je veux le voir !» (Rires) Je n'ai évidemment jamais vu de
contrat. Puis, il a dit: «Prends ton passeport, on va au Brésil.» J'étais surexcitée!
J'ai dû faire un passeport. Tout d’un coup, le manager d’Art ne m'a plus répondu; plus personne ne me répondait. En gros, Walter Davis était revenu dans le
groupe pour faire ce concert au Brésil. J'avais encore les partitions, je
ne leur ai pas rendu. (Rires) C'était ma façon de me révolter (Rires). Je les ai gardées longtemps et je les leur ai finalement rendues.
Quand était-ce?
En 1977 ou
1978. En fin de compte, je n’ai joué qu’un seul concert au Village Gate. Le
groupe était hot! Les saxos étaient hot! Art était fantastique! Plus tard,
Stubblefield m'a dit qu'Art disait que j’avais essayé de prendre contrôle du groupe.
J'ai ri. C'était tellement ridicule! (Rires) Jouer avec lui a été une belle
expérience. «Tu ressembles à Mary Lou Williams», disait-il. Il adorait Mary
Lou, et comme je lui ressemblais et que je jouais du piano, il m'aimait bien. La
dernière fois que je l'ai vu, il sortait du Sweet Basil, à New York. Je l'ai
embrassé sur la joue. Il m’a dit: «Attention! Tu pourrais choper le sida!»
Quel a été votre premier gig
important à New York?
Marion
Brown.
Il voulait que je joue sa musique pour piano: il m'avait entendue jouer quelque
part et voulait que je l'enregistre. Nous avons joué à l'université de Chicago
et de New York, et dans quelques endroits du Nord-Est. En concert, il commençait
en solo, puis j’arrivais. Nous avons fait plusieurs concerts jusqu'à
l'enregistrement de Poems for Piano (The Piano Music of Marion Brown),
en 1979.
Où jouiez-vous avec votre
formation?
Dans les années 1970, j'ai
donné mon tout premier concert en dehors de Chicago à Gary, Indiana. Certains
spectateurs qui m'avaient déjà entendue avec Jug étaient présents. A la fin de
la soirée, un homme s'est approché de moi et m'a lancé : «C'ETAIT QUOI ÇA?!».
Ça m'a un peu blessée. (Rires) Il voulait réentendre le répertoire que je
jouais avec Jug. Quand je suis arrivée à New
York, je me promenais dans la ville, et je regardais par les fenêtres des
restaurants et des bars pour voir s'ils avaient un piano. Je ne savais pas qu’on
avait besoin d'un agent. J'allais dans le Village chercher des gigs. J'ai
trouvé un restaurant de fruits de mer situé à Greene Street. Les gens venaient y
regarder le hockey sur un grand écran. Ils criaient et ne se souciaient pas de
la musique. Mais le propriétaire m'aimait bien. J'y travaillais le mardi soir.
Je pouvais manger et boire gratuitement. J'ai adoré ce gig, cela a duré environ
deux ans. Ensuite, j'ai travaillé dans deux restaurants très élégants. Puis
dans un troisième, également élégant. Quand les cuisiniers chinois me voyaient monter
sur scène, ils applaudissaient. Il y avait un autre endroit, une sorte de
cabaret avec supper club. Joanne
Brackeen y travaillait. Là, j'avais deux chanteurs, un homme et une femme, c'était vers 1984. J'ai embauché Jerome Harris.
C'est peut-être par Oliver Lake
que je l'ai rencontré. Nous jouions mes compositions et des
standards. J'utilisais ces gigs comme des répétitions.
Depuis des années, vous
jouez avec les mêmes musiciens. Qu’appréciez-vous chez Jerome Harris, Reggie Nicholson
et Thurman Barker?
Ce sont mes musiciens
préférés. Avec eux, nous pouvons pousser la musique plus loin, elle a besoin de
liberté. Jerome a une connaissance profonde du feeling, comme le blues qu'il
jouait à Paris. Je ne l’ai jamais entendu jouer un blues comme ça. Il est si
érudit! Et si, en concert, j’ai un problème technique, il sait quoi dire à l’ingénieur
du son. Musicalement, il sait quoi faire, et il est respectueux. Il ne cherche
pas à s’approprier ma musique. A Chicago, j'avais un bassiste qui jouait comme
il voulait, pas comme je voulais qu'il joue. Avec les batteurs, je dois parfois
leur dire ce que je veux. Mais Thurman et Reggie sont très créatifs; ils sont
ouverts et respectueux. Beaucoup de musiciens ne savent pas comment s’ouvrir.
Même s’il y a d’excellents musiciens à New York, beaucoup ne savent jouer que
d'une certaine manière. Vous savez, il y a un son traditionnel du jazz mais vous
pouvez étendre la musique, la musique doit grandir. On ne peut pas la jouer toujours de
la même manière, elle est là pour nous. Par exemple, j’aime jouer du blues
traditionnel et jouer ouvert. Cela devient alors ma propre création.
Vous avez dit que Muhal Richard Abrams était votre frère spirituel, vous avez
joué en duo avec lui…Muhal m'a dit qu'il voulait
que nous fassions un duo. Il serait au piano et moi à l’orgue. Une fois, on a
fait un trio avec Willie Pickens,
trois pianos. Nous avons fait un disque à Milan lors de notre tournée. Sur scène,
je jouais la musique que j'entendais et Muhal faisait son truc. J'ai utilisé la
leçon apprise de George Freeman,
quand il jouait sur le registre grave, je jouais sur le registre aigu, et vice
versa. Certains me demandaient quelle partie je jouais. Je disais que je ne le savais
pas. Je ne le savais vraiment pas. (Rires) C'était merveilleux! Sur ma composition
«Dance From the East», Muhal jouait mes lignes. Il aimait les jouer. Il a donc travaillé
les doigtés. Nous travaillions chacun de notre côté pour voir comment cela
allait se passer avant de jouer. En concert, nous nous écoutions et nous
jouions. Parfois nous étions dans le même registre. Mais cela n’avait pas
d’importance car c’était complètement ouvert. C’était comme si on ne pouvait
pas faire de mal tant qu’on savait improviser. Improviser, c’est comme raconter
une histoire. J'adorais Muhal, il était constamment au piano. C’était un sage.
Il ne vous disait jamais comment jouer. Lorsque je l’ai rencontré pour la
première fois dans les années 1960, il m’a montré différents styles au piano.
Il m'a emmenée voir Ellis Larkins et Hank Jones. Il m’a parlé de James P.
Johnson et d'autres grands pianistes. Quand j’écrivais de la musique pour big
band, il ne voulait pas la voir, il le faisait exprès. Je suppose que
j'essayais d'obtenir son approbation. Il m'a inspirée. Il m'a dit quelque chose
que je n'oublierai jamais: «Mme Myers, vous êtes l’un des meilleurs pianistes
que je connaisse.»
Amina Claudine Myers, Sanremo, Italie, 1992
© Umberto Germinale-Phocus
Etiez-vous proche d’un
musicien comme Cecil Taylor?
Ah oui, je suis allée le
voir plusieurs fois. La première fois que j'ai joué dans un club du
centre-ville à New York, il est venu. Je ne pouvais pas y croire. C'était un
homme chaleureux et amical. Il m'impressionnait énormément.
Quand avez-vous commencé à
composer de la musique?
J'ai commencé à composer à
l'AACM. J'ai écrit pour eux de la musique pour big band, mais Improvisational
Suite pour chœur, orgue et percussions, pour 16 voix d'opéra et deux
percussionnistes, est ma première grande composition en 1979. Je voulais
montrer des chanteurs d'opéra en train d'improviser. Ils n’avaient jamais fait
ça. J’ai écrit plusieurs compositions, comme The Circle of Time pour 8
chanteurs, ou Interiors, pour un orchestre de chambre.
Qu’est-ce qui vous inspire…
Quand j'ai écrit «Park
People», je me suis inspirée des sans-abri et des toxicomanes qui habitaient de
l'autre côté de la rue de chez moi à Chicago. Comme je devais transporter mon
orgue moi-même pour les concerts dans les clubs, je filais 5 dollars à quelques
sans-abri pour qu'ils me donnent un coup de main à le charger dans ma voiture. Pour
A View From the Inside, je voulais montrer l’esprit intérieur d’un
musicien. J'avais un cuisinier, un chef… J'avais aussi un danseur et chorégraphe.
C'était une pièce improvisée. Des thèmes comme «Ploughed Fields», sur le disque
The Circle of Time, sont tirés d’une
histoire vraie. «Have Mercy Upon Us», est tiré d’une expérience personnelle.
Parfois, cela vient de l'actualité. Parfois, du monde spirituel et de Dieu.
Comment est né votre hommage
à Mary Lou Williams(7)?
En 2010, le Chicago Jazz
Institute m’a demandé de composer et diriger une composition pour un orchestre
de jazz de 18 musiciens en l’honneur du 100e anniversaire de Mary Lou Williams.
La vérité est que je ne savais rien de sa vie, tout comme je ne savais rien de
celle de Bessie Smith. Mais je l'ai rencontrée plus d'une fois. Quand je suis
arrivée à New York, je suis allée la voir seule chez elle; elle était très
gentille. J'ai joué du piano pour elle et ensuite je lui ai dit que je chantais
aussi. Elle a dit: «Inutile de chanter.» (Rires) Mais j’ai chanté «Fine and
Mellow» de Billie Holiday. Elle a dit: «Ok, tu peux chanter.» J'ai assisté à
plusieurs de ses concerts, tous merveilleux. J’ai tellement appris en écoutant
simplement.
Amina Claudine Myers, Jazz à Vienne, 1995 © Pascal Kober
Vous avez également créé un
groupe gospel appelé Generation IV.
Generation IV reprend des
thèmes interprétés par des chanteurs de gospel des années 1950. Tout a débuté
lorsque Pyeng, la fille d'Henry Threadgill (1944, AACM), a exprimé son désir
d'apprendre à chanter le gospel. Son enthousiasme a été si contagieux qu'elle a
même impliqué sa fille, Luna. Cela sonnait si bien que j'ai pensé que nous
devrions faire quelque chose. Je voulais une troisième chanteuse. Richarda
Abrams, qui étudie avec moi depuis longtemps, était la personne idéale. J'ai
nommé ce groupe Generation IV parce qu'il rassemble quatre générations
distinctes. Je suis également chanteuse au sein de la formation, où le chant et
l'improvisation occupent une place centrale.
Amina Claudine Myers dirigeant un quartet vocal, c. années 2000 © Photo X, Collection Amina Claudine Myers by courtesy
Depuis un bon moment, vous
travaillez sur un projet sur la militante abolitionniste Harriet Tubman (c.1820/25-1913)
J'ai mis de côté ce projet intitulé General
Harriet Tubman pendant environ trois ans, car j'ai consacré du temps à la
composition de l'hommage à Mary Lou Williams. Et l'automne dernier a été
particulièrement chargé pour moi. J'ai enregistré un album en solo au piano et
à l'orgue chez ECM. En décembre, j'ai participé à un événement de l'AACM
organisé par George
Lewis au Centre culturel Park
Avenue à New York, où j’avais animé un workshop choral et joué ma nouvelle
composition intitulée «Stay in the Light», en collaboration avec Richarda
Abrams et avec la participation spéciale de George Lewis. C'était de la musique
improvisée. Sans parler des concerts prévus avec Jerome et Reggie. Mais je n’oublie
mon projet sur Tubman, pour lequel j'ai écrit environ 90 pages. J'espère le
finaliser d'ici la mi-2024.
Amina Claudine Myers, AACM Concert Series, Community Chuch of New York, NY, 2018 © Mathieu Perez
1. Isaac Watts (1674- 1748) est un hymnographe, poète, prédicateur, théologien, logicien et pédagogue anglais. Il était un prolifique et populaire compositeur de cantiques, crédité de la création d'environ 750 hymnes. Parmi ses œuvres figurent «When I Survey the Wondrous Cross», «Joy to the World» et «Our God, Our Help in Ages Past».
2. En 1954, la Cour suprême des Etats-Unis a déclaré illégales les écoles ségréguées, marquant ainsi le début officiel de la fin de la ségrégation avec l'emblématique affaire Brown v. The Board of Education (31 mai 1955). Cependant, ce n'est que le 24 septembre 1957 que neuf adolescents allaient incarner ce changement en entrant dans l’école, avec la présence de la 101e Division aéroportée pour faire respecter le droit après l’intervention de Martin Luther King, Jr. auprès du Président des Etats-Unis Eisenhower qui renvoie la Garde nationale mobilisée par le gouverneur raciste de l’Arkansas Orval Faubus (cf. Fables of Faubus de Charles Mingus qui le traitait de «nazi»). Ces neuf jeunes, appelés les "Little Rock Nine", étaient les premiers étudiants afro-américains à se voir appliquer le droit en vigueur aux Usa, en intégrant la Central High School de Little Rock.
3. Cf. interview du 23 février 1977 par Ted Panken, publiée sur https://threefoldpress.org/ajaramuparttwo
4. L'Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM) a été cofondée à Chicago, IL en 1965 par Muhal Richard Abrams, Jodie Christian, Kelan Phil Cohran et Steve McCall. En 1983, elle s'est institutionalisée en devenant l'AACM New York Chapter, Inc., aujourd'hui présidée par Amina Claudine Myers. L'AACM a eu notamment pour membres: Art Ensemble of Chicago, Anthony Braxton, Roscoe Mitchell, Wadada Leo Smith, Henry Threadgill, Frank Gordon, Chico Freeman (Jazz Hot n°412, n°482, n°620, n°675), Leroy Jenkins, Lester Bowie, etc. Informations: aacm-newyork.com
5. Skip James, aka Don Carlos James (1940-2021) –à ne pas confondre avec le célèbre bluesman du même nom (voc, g, p, comp. 1902-1969)– est le frère de Stafford James (b, 1946, Jazz Hot n°477, 1990). Il a débuté en effectuant des remplacements dans le groupe de Sonny Stitt quand Dexter Gordon était indisponible. Outre le trio avec Ajaramu (Jerold Donovan) et Amina Claudine Myers, il a joué avec Bill Brimfield (tp, 1938-2012), Ken Chaney (p, 1938-2012) et Harold Jones (dm, 1940). Mais après avoir obtenu un diplôme en commerce et finances, il a abandonné la musique pour une brillante carrière au sein de l'entreprise Motorola. (Source: Stafford James, avec nos remerciements.) Skip James est cité dans l'interview d'Ajaramu (cf. note n°3).
6. Gene Ammons, arrêté en 1962, a été condamné en 1963 à 15 ans de prison pour usage de stupéfiants (cf. Jazz Hot n°189-1963). Il a continué à pratiquer son instrument en prison, et a été libéré au bout de 7 années. Cook County Jail est la prison de Chicago, le troisième centre pénitentiaire des USA. Autour des années 1970, des musiciens venaient y donner des concerts pour les prisonniers, enregistrés parfois, comme B.B. King (Live in Cook County Jail) en 1970 ou encore Jimmy McGriff et Lucky Thompson (Concert: Friday the 13th-Cook County Jail) en 1973, et donc Gene Ammons, qui avait sans doute fréquenté l’établissement comme pensionnaire, y est revenu jouer avec Amina Claudine Myers à une date non précisée pour cette photo.
7. Mary Lou Williams fait partie des musiciens ayant contribué à Jazz Hot, cf. n°97, mars 1955.
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DISCOGRAPHIE par Jérôme Partage
1979. Amina Claudine Myers, Poems for Piano:
The Piano Music of Marion Brown, Sweet Earth Records
Leader LP 1979. Amina Claudine Myers, Poems for Piano: The Piano Music of Marion Brown, Sweet Earth Records 1005 LP 1979. Amina Claudine Myers, Song for Mother E, Leo Records 100 (=CD Leo Records 935) LP 1980. Amina Claudine Myers, Salutes Bessie Smith, Leo Records 103 LP 1983. Amina Claudine Myers, The Circle of Time, Black Saint 0078
CD 1984. Amina Claudine Myers Trio, Jumping in the Sugar Bowl, Minor Music 8002 CD 1986. Amina Claudine Myers Sextet, Country Girl, Minor Music 801012 CD 1987. Amina Claudine Myers, Amina, Novus 3030-1-N CD 1988. Amina Claudine Myers, Women in (E)Motion, Tradition & Moderne 102
CD 1989. Amina Claudine Myers, In Touch, Novus 3064-1-N CD 2005-08. Amina Claudine Myers, Augmented Variations, Amina C Records CD 2016. Amina Claudine Myers, Sama Rou: Songs From My Soul, Amina C Records
Sidewoman
LP 1969. Maurice McIntyre, Humility in the Light of the Creator, Delmark 419 LP 1978. Muhal Richard Abrams, Lifea Blinec, Arista Novus 3000 LP 1978. Lester Bowie, The 5th Power, Black Saint 0020 (=CD 120020-2) LP 1978. Lester Bowie, African Children, Horo 29-30 LP 1979. Muhal Richard Abrams, Spihumonesty, Black Saint 0032 (=CD 120 032-2) LP 1979. Henry Threadgill, X-75 Volume 1, Arista Novus 3013 LP 1980. Martha Bass/Fontella/Bass-David Peaston, From the Root to the Source, Soul Note 1006 (=CD 121006-2) LP 1981. Muhal Richard Abrams, Duet, Black Saint 0051 (=CD 120051-2) LP 1981. Collectif, Amarcord Nino Rota, Hannibal Records 6313 300 (=CD 9301, 1 titre avec Muhal Richard Abrams Orchestra) LP 1981. Arthur Blythe, Blythe Spirit, CBS 85194 LP 1981. Frank Lowe, Exotic Heartbreak, Soul Note 1032 (=CD 121032-2) LP 1982. Frank Lowe, Live From Soundscape, DIW 399 LP 1983. Pheeroan AkLaff, Fits Like a Glove, Gramavision 8207 CD 1984. Henry Threadgill Sextet, Subject to Change, About Time 1007 CD 1989. Greg Osby, Season of Renewal, JMT 834435-2
CD 1990. Charlie Haden, Dream Keeper, Polydor 847 876-2 CD 1991. Lester Bowie's New York Organ Ensemble, Funky T./Cool T., DIW 853 CD 1991. Lester Bowie, The Organizer, DIW 821 CD 1991. Marian McPartland, Piano Jazz, The Jazz Alliance 12022 CD 1991. Jim Pepper, Afro Indian Blues, PAO 10330 CD 1992. Jeanne Lee, Natural Affinities, OWL 070 CD 1992. World Saxophone Quartet with Fontella Bass, Breath of Life, Elektra Nonesuch 9-79309-2 CD 1992-93. Anthony Braxton, 4 (Ensemble), Compositions 1992, Black Saint 120124-2 CD 1992-93. Bernie Worrell, Pieces of Woo: The Other Side, CMP 65 CD 1993. Nicky Skopelitis, Ekstasis, Axiom 514518-2 CD 1993. Henry Threadgill, Song Out of My Trees, Black Saint 120154-2 CD 1994. The Brazz Brothers/Lester Bowie, Brazzy Voices, In + Out 77029-2 CD 1994. Liu Sola, Blues in the East, Axiom 524003-2 CD 1995. Third Rail, South Delta Space Age, Antilles 533965-2 CD 1998. Ray Anderson, Funkorific, Enja 9340-2 CD 1998. Jazzonia, Little Boy Don't Get Scared, Douglas 12 CD 1998. Liu Sola, Haunts, Also Productions
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VIDEOGRAPHIE par Hélène Sportis
Amina Claudine Myers (p) & Generation IV: Richarda Abrams, Jeanette T. Carter, Chinyelu Ingram (voc),
57e Jazzaldia Donostia, San Sebastian, Espagne, 24 juillet 2022, image extraite de YouTube
Chaînes YouTube Amina Claudine Myers https://www.youtube.com/channel/UCmL2dMuNJHvENea0-qX1CFw https://www.youtube.com/channel/UCL225Zc0qdw-B6S4MTyrY7Q
1969. Maurice McIntyre (ts,cl,cor,perc), Leo Smith (tp,flh), John Stubblefield (ss), Malachi Favors/Mchaka Uba (b), Ajaramu (aka Gerald Donavan)/Thurman Barker (dm), George Hines (voc), album Humility In The Light Of The Creator, Delmark 419, Ter-Mar Studios, Chicago, IL, 5 & 25 février https://www.youtube.com/watch?v=bNcNXZhUTfA
1978. Amina Claudine Myers, album The 5th Power-Lester Bowie (comp,tp), Arthur Blythe (as), Malachi Favors (b), Phillip Wilson (dm), Black Saint Records BSR0020, GRS Studio, Milan, Italie, 12-17 avril https://www.youtube.com/watch?v=7Cuvq8doYeA&list=OLAK5uy_kfRUbnOlyxI11M1W5-hbTBU5mEOzj7GWA
1979. Amina Claudine Myers (comp.p), Pheeroan Aklaff (perc,dm,voc), album Song for Mother E, Leo Records 100, Big Apple Studio, New York, NY, 9 octobre https://www.youtube.com/watch?v=B9RVlSeVkWc&list=OLAK5uy_lL9rIPVYqfioLQrI57HOih4N7dy01-i2k
1980. Amina Claudine Myers, album From The Root to the Source (comp,tp), Fontella Bass (p,org,voc), Martha Bass (voc), David Peaston (voc,perc), Malachi Favors (b), Phillip Wilson (dm), Soul Note SN 1006, Barigozzi Studios, Milan, Italie, 4-5 janvier https://www.youtube.com/watch?v=yemiJ7bKl2g
1980. Amina Claudine Myers, album Salutes to Bessie Smith, Cecil McBee (b), Jimmy Lovelace (dm,perc) Leo Records 103, Big Apple Studio, New York, NY, 19 & 22 juin https://www.youtube.com/watch?v=mSGwquLVznA&list=OLAK5uy_mUtWbIz0eU5pjmAGL7eLRvI9qZ9a5r5wM
1981. Amina Claudine Myers (p,harpsi,perc), Muhal Richard Abrams (p,synth,perc), album Duet, Black Saint Records BSR0051, Barigozzi Studios, Milan, Italie, 11-12 mai https://www.youtube.com/watch?v=Bhc4fO1Z5JE&list=OLAK5uy_kXT994CXJHL5vHmW9_ck1NpAwLufUli-c
1984. Amina Claudine Myers (comp,arr,p,org,voc), Thomas Palmer (b), Reggie Nicholson (perc,voc), Minor Music 8002, Tonstudio Bauer, Ludwigsburg, R.F.A, mars https://www.youtube.com/watch?v=cSx9y548P8U
1994. Amina Claudine Myers (org), album Brazzy Voices, Lester Bowie (comp,tp), The Brazz Brothers (prod): Jan Magne Førde/Jarle Førde (tp,flh)/Helge Førde (tb)/Stein Erik Tafjord (tu), Famoudou Don Moye (perc), Egil Bop Johansen (dm,voc), The Skruk Choir/David Peaston (voc), In+Out Records IOR77029, Norvège, Oslo/25 février, Bergen Jazzforum, 11 novembre https://www.youtube.com/watch?v=4ZMGEu4EuRU&list=OLAK5uy_mVU_1lqfjjAzE8ZaM5JWAzLTz-kjODavg
1994. Amina Claudine Myers (org), Lester Bowie (tp) New York Jazz Ensemble, James Carter (ts), Luis Bonilla (tb), Kelvyn Bell (g), Don Moye (perc), Burghausen Jazzfest, Allemagne https://www.youtube.com/watch?v=mTXb1aVliWU
2001. Amina Claudine Myers, Archie Shepp (ts,p,voc), Wayne Dockery (b), Ronnie Burrage (dm), 32e Jazzwoche, Wackerhalle, Burghausen, Allemagne, BR-alpha, 4 mai https://www.youtube.com/watch?v=Nf5KKSVSQUU https://archive.org/details/jazzwoche-burghausen/Jazzwoche+Burghausen+2001%EF%BC%9AArchie+Shepp+Quartet.mp4
2015. Amina Claudine Myers, Muhal Richard Abrams (p,comp)' Experimental Band , Roscoe Mitchell/Henry Threadgill (as), Wadada Leo Smith (tp), George Lewis (tb), LaRoy Wallace McMillan (bar,fl), Leonard Jones (b), Thurman Barker (dm,vib), Reggie Nicholson (dm,perc), Jay Pritzker Pavilion, Millennium Park, Chicago Jazz Festival, 6 septembre https://www.youtube.com/watch?v=DK9RO_YzCXE
2016. Amina Claudine Myers, Sama Rou-Songs from My Soul, Amina C Records https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_nG1GZLNbCCm-EWjAfB2vvuUmF1zdvXMjE
2015-2020. Amina Claudine Myers, Henry Grimes (b), Jerome Harris (b,voc), Reggie Nicholson (dm), Janet Jordan/Lisa Sokolov/Richarda Abrams/Fay Victor/Clinton Ingram/ Chinyelu Ingram/Cooper Moore/Charles Carter (voc) 7 juillet 2015, Arts for Art Vision Festival 20, au Judson Memorial Church, New York, NY 10 octobre 2020, Vision Healing Soul, The Clemente, New York, NY 23 juillet 2021, AFA’s Vision Festival 25, au Pioneer Works, Brooklyn, NY https://www.youtube.com/watch?v=C_Adi5iJ6Ho&list=PL6RpUsh9Wy6uPOH-OCNmgcTr8qp21CGMg&index=1
2021. Amina Claudine Myers, paroles et musique, live at Living Legacy Jazz Award, MidArts, Philadelphie, 6 novembre https://www.youtube.com/watch?v=hF_LTcbXSCM https://www.youtube.com/watch?v=hN21hJQAIVs
2022. Amina Claudine Myers & Generation IV, Richarda Abrams/Jeanette T. Carter/ Chinyelu Ingram (voc), 57e Jazzaldia Donostia, San Sebastian, Espagne, 24 juillet https://www.youtube.com/watch?v=eAuNGzqYhgg
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