Jazz Hot: Vous êtes
né à Lomme, dans la banlieue de Lille d’un cousin de Django.
D’où vient votre famille?
Noé Reinhardt :
De Paris et du Nord; j’ai grandi en région parisienne. A l’origine, la
famille Reinhardt vient du Piémont où elle est restée pendant cinq cents ans. De
là, elle est allée en Allemagne, puis en Belgique, à Paris et en Algérie. D’ailleurs,
on est certain que le père de Django a vécu en Algérie. Le périple s’est
terminé en Corse. Une autre branche, les Zigler est allée en Suisse. Django et
Joseph étaient les cousins germains à la fois de mon grand-père et de ma
grand-mère paternels.
Votre père jouait de
la guitare dans un orchestre de musique religieuse…
Oui; dans les années 1950, il y a eu un éveil spirituel, avec
le mouvement Vie et Lumière, dans une partie de la communauté gitane qui
s’est convertie au protestantisme; les autres sont toujours catholiques. Mon
père est né en 1928, et il a connu Django. Il a changé de religion vers 1978
ainsi que toute sa famille. A partir de là, ils se sont mis à chanter et
jouer leurs cantiques dans le langage jazz de Django. Et moi, je suis un enfant de la
Mission, comme Rocky Gresset ou Stochelo Rosenberg; je m’inscris dans la
continuité de ce mouvement. J’ai grandi dans ce milieu musicalo-évangéliste, mais
sans écouter les disques de Django. Ceci dit, la famille Schmitt de Lorraine,
celle de Dorado et Tchavolo, est restée catholique mais ils jouent aussi
la musique de Django dans leurs églises.
de g. à d.: Angelo Debarre, Moreno Winterstein,
Noé Reinhardt, vers 1996© Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy
Quand avez-vous
commencé l’apprentissage de la guitare?
Vers 12-13 ans. Mon père avait une guitare chez nous. J’avais des cousins qui jouaient à un petit niveau. Ils sont passés un jour à
la maison, et ça m’a donné envie d’apprendre. Puis, à 14 ans j’ai eu un déclic:
l’un de ces cousins m’a copié une cassette d’un album du Trio Rosenberg. Et
j’ai préféré cet enregistrement, au son plus net, à ceux qu’avait mon père de
Django où l'on entendait les craquements. Bien sûr, quand j’ai réécouté Django
plus tard, j’ai compris que c’était mieux… Mais mon oreille n’était pas encore
prête à ce moment-là; c’est venu plus tard. Parallèlement, j’ai commencé à
pratiquer avec mon père et ses cousins lors des réunions du mouvement
évangéliste. Quand j’ai eu quelques rudiments, j’ai commencé à monter sur scène
avec eux, d’autant que je connaissais les cantiques depuis ma naissance. Puis,
entre 15 et 17 ans environ, Ninine Garcia qui faisait partie de la mission
évangélique où il jouait avec son père Mondine et avec le mien, a été l'un de mes
premiers professeurs. C’est un oncle musical. Rocky était plus avancé que moi
et m’a aussi montré des trucs. A la même période, il y a eu aussi les dirigeants
du mouvement, qui sont à la fois des pasteurs et d’excellents musiciens, qui
m’ont énormément appris comme Charles Welty,
qu’on appelle «Tarzan», qui a composé des dizaines de cantiques, ou Wasso
Ferret, dit «Balo», avec
lequel j’ai passé beaucoup de temps. Toujours à la même époque, j’ai fréquenté
un club de jazz, La Mezzanine, à Pierrelaye dans le Val d’Oise, qui organise
encore aujourd’hui un concert suivi d’une jam-session tous les jeudis. Je
me suis retrouvé à faire le bœuf –sans savoir ce que c’était– avec un sax, un
piano, une contrebasse et une batterie! Ça m’a fait énormément progresser, car
je n’avais jamais joué dans une formation jazz, seulement avec d’autres
guitares. C’est comme ça que j’ai commencé à apprendre des standards que je
travaillais ensuite avec des cousins ou des amis qui m’amenaient aussi d’autres
morceaux. J’ai alors également commencé à fréquenter La Chope des Puces, Le
Piccolo, Chez la Môme où m’amenaient mes cousins plus âgés qui avaient leur
permis de conduire. Et pendant qu’eux buvaient un coup et écoutaient, moi, je
jouais!
Quand avez-vous eu
vos premiers engagements?
Ça s’est mis en place progressivement entre 16 et 18
ans. A la jam de la Mezzanine, le contrebassiste Hervé Czak m’a remarqué et m’a
proposé de faire un concert avec lui. C’était mon premier gig payé. Petit à
petit, je me suis «imposé» dans les concerts du Val d’Oise. Mais mon premier
vrai engagement dans le jazz manouche, c’était avec Patrick Saussois, je devais avoir
environ 17 ans. Il avait entendu dire qu’il y avait un jeune Reinhardt dans la
région, et il m’a appelé pour me proposer de jouer avec lui au Bistro d’Eustache.
J’ai d’ailleurs rencontré Joseph Di Mauro ce soir là. Patrick était un
recruteur, comme dans le football. Il a fait beaucoup pour cette musique
notamment en faisant enregistrer des gens qui n’en avaient pas les moyens. On
s’est retrouvés régulièrement par la suite mais sans forcément jouer ensemble. Vers
17 ans également, j’ai rencontré Samy Daussat, et on a commencé à jouer ensemble un an plus tard quand j’ai eu mon permis de conduire, ce
qui m’a donné la possibilité de me produire régulièrement à Paris et ailleurs.
Je travaille donc avec Samy depuis plus de vingt-cinq ans; on s’est tout de
suite compris. Il m’a expliqué un tas de choses très utiles, des accords, des
mises en place; il est très pédagogue. Je connais des guitaristes qui jouent plus vite, mais ils ne savent pas expliquer comme
lui. C’est le patron des master-classes! J’ai aussi joué avec Rocky à mes
débuts. Il ne jouait pas encore de jazz Django à l’époque.
Noé Reinhardt (g) avec Nonnie Rosenberg (b) (à gauche) et Stochelo Rosenberg (à droite), Hot Brass, Paris, vers 1996
© Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy
Vous avez joué avec Christian Escoudé. Comment cela a-t-il
commencé ?
J’avais un cousin, Ramuncho Ferrari (vln) qui invitait
une à deux fois par an dans sa maison du Val-d’Oise des musiciens de jazz
manouche comme Ninine. C’est comme ça que j’ai rencontré, vers 17-18 ans,
Christian, Marcel Azzola,
Frédéric
Sylvestre, Florin
Niculescu et croisé une première fois Babik. A partir de là, Christian m’a
régulièrement invité pour des bœufs, et il m’a pris dans ses groupes à quelques
occasions comme pour un concert au Duc des Lombards vers 2003 avec Dorado
Schmitt, Martin Taylor et Jean-Marc Jafet (b); j’étais très impressionné. A la même
période, j’ai fait brièvement partie de son Trio gitan avec Romane. Christian m’a
toujours encouragé. C’est aussi pour moi un oncle musical.
Quelle était votre
relation avec Babik?
Je l’ai vraiment connu juste avant son décès (ndlr: le 12 novembre 2001). Vers août 2001, je
suis allé le voir chez lui à Cotignac, dans le Var, avec un cousin. Ma guitare
électrique était alors cassée, et je n’avais qu’une guitare acoustique. Quand il
a ouvert l’étui, j’ai compris qu’il n’avait pas très envie de jouer avec moi.
Après le dîner, il nous a mis un disque de musique brésilienne, et il a joué
quelques thèmes à lui. Et là, j’ai rusé pour saisir ma chance en lui demandant:
«Tu peux me montrer les accords de ce morceau?», alors que je les connaissais très bien. Nous ne sommes pas
nombreux dans la communauté gitane à jouer électrique, et à connaître le
répertoire de Babik. Après m’avoir montré, il m’a tendu sa guitare en me
disant: «Tiens, essaye!» J’ai joué
son morceau à la perfection, en plaçant une phrase un peu bebop. Alors là, il
était content! Du coup, il a sorti une deuxième guitare électrique, et on a joué
toute la nuit. A la fin, il m’a demandé d’où je venais et pourquoi on ne se
connaissait pas, bien qu’étant de la même famille…
Samy Daussat, David Reinhardt, Noé Reinhardt
© Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy
Vous avez monté le
Trio Reinhardt avec David Reinhardt peu après la disparition de Babik…
J’ai rencontré David, qui avait
alors 15 ans, aux obsèques de Babik. On ne se connaissait pas non plus. Puis,
avec Samy Daussat, on l’a pris sous notre aile, et on a monté le Trio Reinhardt
en s’inspirant du Trio Gitan. On a tourné un peu ensemble puis on a enregistré.
Pour les festivals, on a étendu la formation à Costel Nitescu (vln) et
Jean-Marc Jafet qui était un ancien
musicien de Babik. J’ai d’ailleurs également joué dans le groupe de Jean-Marc,
Agora, où j’ai remplacé Sylvain Luc. Cela m’a donné l’occasion de découvrir un
autre monde musical, très différent de celui de Django. Aujourd’hui, David a
quitté la scène jazz. Il est devenu pasteur, et il joue dans les missions
évangéliques. Il donne aussi des master-classes et enseigne dans une école
depuis 2016.
Quand vous êtes-vous mis à l’écoute de Django?
Assez tard, même si l’esprit de Django traîne dans la tête
de chaque Gitan… Du coup, quand Dorado Schmitt ou le Trio Rosenberg jouaient les
solos de Django, je ne le savais pas. Mais en 2003, j’ai acheté un triple CD de
Django –c’était les 50 ans de sa mort– et là j’ai reconnu les phrases. Puis, ce
sont des musiciens un peu plus jeunes que moi, notamment Adrien Moignard et
Sébastien Giniaux, qui j’ai rencontrés vers 2004-2005, qui m’ont donné envie de
jouer la musique de Django. J’ai fini par m’acheter une guitare Django, vers
2010-2011, qui était plus facile à jouer que celle qui me venait de mon père.
En 2008, vous avez
d’ailleurs enregistré avec Adrien
Moignard, Sébastien Giniaux et Richard
Manetti un disque
en hommage à Django avec le projet Selmer
#607…
C’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à me mettre
dans cette musique. Je pouvais jouer deux ou trois morceaux de Django sur
scène, mais je n’étais pas encore capable d’assurer un concert entier sur ce
répertoire. Je n’avais pas assez de dextérité dans les doigts, et j’avais peur
de trouver dans le public un guitariste gitan qui jouait Django bien mieux que
moi. Sur le disque Selmer #607, il y
avait une rythmique composée de deux guitares rythmiques et une contrebasse.
Chaque soliste devait jouer deux ou trois morceaux sur le modèle de guitare
Selmer 607 prêtée par un luthier, et venait avec les titres qu’il voulait
jouer, de Django ou autres. N’étant pas un grand spécialiste de la guitare
Django, j’ai fait ce que j’ai pu! J’avais composé un thème pour mon fils qui
venait de naître, et je l’ai joué au pouce, «Evan's Hair»: ça a bien marché.
Pour le deuxième volet, en 2009, on a invité d’autres musiciens comme Stochelo
Rosenberg et, pour
le troisième en 2016, un petit jeune qui débutait: Antoine Boyer. On aurait mieux fait de lui casser
les doigts à celui-là! (Rires)
Noé Reinhardt avec Ninine Garcia (à gauche) et Rocky Gresset (à droite), La Chope des Puces, Saint-Ouen, vers 2016
© Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy
Vous avez donc
commencé votre carrière de musicien sans vraiment connaître la musique de
Django…
Ma sensibilité au bebop m’a porté directement vers Babik
Reinhardt, Joe Pass –que j’ai toujours entendus–, George Benson et Christian
Escoudé.
Votre premier disque
en leader est Eleven Standards
(2010, Label Ouest)
J’avais un peu peur de sortir un CD sous mon nom… et on m’a
rassuré. J’avais croisé Jérôme Regard, un super contrebassiste à qui j’avais
parlé du projet. J’ai fait une maquette pour Michel Lefort qui organisait un
festival manouche à Angers (ndlr: Gipsy Swing Festival, 1993-2014, cf. comptes rendus dans Jazz Hot), qui l’a transmise au label. On est rentrés en studio
directement, on n'a fait qu’une prise, chacun est venu avec un morceau.
Comment s’effectue
votre travail de composition?
Je ne suis pas un grand compositeur, mais si on me demandait
douze originaux pour un album (ce qui n’est pas encore arrivé), je serais capable
de les sortir en trois semaines. Après, si j’ai des compositions à faire, des
airs vont tourner dans ma tête. Parfois, ça me vient alors que suis en train de
faire des courses ou de manger; alors, sur le moment, je chante la mélodie sur un
dictaphone et ensuite je la transpose à la guitare.
Votre dernier album, Reinhardt Memories (2021, Label Ouest)
est un hommage à la famille Reinhardt: Django, Joseph et Babik…
Nous ne sommes pas très nombreux à faire de la musique dans
la vraie famille de Django. Il y a David, Simba Baumgartner –petit-fils de
Lousson (Henri Baumgartner), le fils aîné de Django– et Lévis Adel-Reinhardt, arrière-petit-fils
de Joseph Reinhardt. C’est très important de perpétuer la musique de la famille
Reinhardt.
Comment est né ce
nouveau trio avec Samy Daussat et Katia
Schiavone?
Je l’ai découverte sur internet où je l’ai entendue jouer
bebop, mais je ne suis pas arrivé à la contacter. Puis, je l’ai retrouvée par
hasard dans un bistrot et je lui ai proposé de nous
rejoindre. On a eu juste le temps de faire un concert au Baiser Salé avant la
catastrophe du confinement…
Katia Schiavone, Noé Reinhardt, Samy Daussat, Sunset, 9 décembre 2021 © Philippe Cabaret, by courtesy of Label Ouest
Comment avez-vous
vécu cette période de privation de liberté?
J’en ai profité pour me perfectionner: j’ai appris des
valses, ce qui n’était pas dans mon répertoire. J’ai joué à distance et, parfois, j’ai bravé le couvre-feu pour donner des concerts. Avant le confinement, on ne
savait pas la chance qu’on avait de pouvoir aller entendre de la musique à
Paris en trente minutes. J’ai beaucoup plus mal vécu le deuxième confinement.
Lors de l’hommage à Django
au Sunset, en mai 2023, vous avez présenté des arrangements originaux de «Tears» ainsi
que de «Manoir de mes rêves» dans une veine funky…
Oui, ça fait penser un peu au «Brazil» de George Benson. On
peut tout faire avec Django. Mais «Minor Swing», on le joue «normal» car
beaucoup de spectateurs viennent pour ce titre; c’est un incontournable avec
«Nuages». Pareillement, j’entends Django partout, on peut tout jouer à sa
façon. Par exemple, je joue des génériques de mangas, et j’organise des petits
jeux sur les réseaux sociaux pour que les gens devinent de quoi il s’agit. Même
au milieu des soucoupes volantes, on arrive à placer Django!
Vous vivez la moitié de
l’année en caravane…
Je pars avec les gens de ma communauté qui partagent ce mode
de vie. Nous prenons la route idéalement à la mi-mai. Cette année, je suis
resté en caravane jusqu’à début décembre. Il y a le chauffage!
Mais certains voyagent moins longtemps, juste un mois ou deux. On suit les
missions évangélistes qui partent du centre de la France, du Loiret, début mai.
Il y a environ cent missions de cinquante à cent caravanes qui suivent chacune un
itinéraire défini à l’avance, avec les autorisations de l’Etat pour s’installer
sur les différents sites. On peut rejoindre une mission où et quand on le
souhaite et la quitter de la même façon. Parfois, plusieurs missions peuvent se
retrouver, en particulier sur une ville-ressources comme Lyon qui permet de
vendre sur les marchés et les foires. Souvent, c’est aussi l’occasion de rendre
visite à la famille et aux amis pendant l’été. Le tout autour de la musique,
du barbecue… et de la prière pour les plus croyants.
Noé Reinhardt et Samy Daussat, Sunset, 9 décembre 2021 © Philippe Cabaret, by courtesy of Label Ouest
Cette vie nomade est-elle propice aux échanges musicaux?
Ce n’est pas si évident du fait qu’on ne va pas
toujours dans les mêmes endroits. Parfois, on rencontre beaucoup de musiciens,
d’autres fois non… Mais je vois de plus en plus de jeunes qui font de la
musique. Quand j’étais gamin, les gens de mon âge n’étaient pas nombreux à jouer
de la guitare –dans le sens de jouer les standards. Il faut dire aussi qu’à
l’époque, on ne trouvait pas dans le commerce de cassettes de Django qu’on
aurait pu écouter sur l’autoradio. Celles qui circulaient dans la communauté
avaient été repiquées sur des vinyles. Le fameux concert du Gipsy Project de
Biréli à Jazz à Vienne en 2002 qui est disponible sur YouTube a donné un nouvel impact à la musique de Django et a
inspiré beaucoup de jeunes musiciens qui ont eu envie d’aller vers cette
musique. Sinon, tout le monde pratique un peu l’instrument dans les réunions
évangéliques. Et puis, il y a des différences géographiques: les gens de l’Est sont
plus nombreux à faire de la musique. Je suis allé à Forbach en septembre 2022:
les musiciens poussent comme des champignons! J’y ai rencontré trois jeunes de
20 ans qui jouent super. C’est pareil chez les Gitans du côté allemand, mais
il y a peu d’échanges de part et d’autre de la frontière: on n’a pas le même
mode de vie, pas la même langue… Par contre, grâce aux réseaux sociaux, je
découvre des guitaristes gitans, partout dans le monde, tous les jours.
Quelle est votre
pratique musicale quand vous êtes en caravane?
J’ai des amis qui sont musiciens amateurs: ils ne jouent pas
très bien, mais ils sont contents de faire quelques standards; et on s’arrange.
On fait un barbecue, une partie de pétanque, un peu de musique et on passe la
soirée comme ça. J’ai autant de plaisir à jouer avec eux qu’avec d’excellents
musiciens pendant un concert. De même, quand on suit une mission évangélique,
on arrive dans une ville, et on peut tomber sur un gars dans sa caravane qui va
sortir une guitare. Tu ne l’as jamais vu de ta vie et pourtant tu vas avoir un
échange musical avec lui parce que tu partages la même musique et le même mode
de vie; et après, chacun repart de son côté. On ne se reverra peut-être
jamais. Quand je passe par Lyon, je retrouve des amis musiciens qui ne sont pas
gitans. On fait au mieux pour se retrouver musicalement et se faire
plaisir.
Est-ce que vous
transmettez aussi la pratique de la musique aux plus jeunes?
Oui, j’ai appris à jouer à mon neveu, Punky Ferret qui vient
d’une famille gitane plutôt liée à des gens de Hollande comme Fapy Lafertin et
le Trio Rosenberg. J’ai aussi donné des master-classes et ça m’a plu. J’en ai
dirigé une à l’Ecole de musique Django Reinhardt de
Tunis, devant des enfants, majoritairement des petites filles avec leur
foulard. Ils avaient travaillé «Minor Swing» pendant deux mois; je les ai disposés
en cercle –ils étaient une quarantaine–, je me suis mis au milieu et on a joué
«Minor Swing» ensemble. Ça m’a fait extrêmement plaisir de jouer Django avec ces
jeunes qui viennent d’une culture musicale très différente.
Quelle est votre
définition du jazz?
C’est un très bon médicament pour les gens. Je pense qu’ils
sortent du club avec de l’enchantement. En tous cas, moi je serais plus content
de voir Pat Metheny qu’un film qui ne m’intéresse pas ou qu’une expo à laquelle je ne comprends rien! (Rires) Le jazz, c’est
aussi de la sueur, des rapports entre musiciens, parfois des incompréhensions,
des fous rires. C’est un art vivant.
Y-a-t-il une
dimension spirituelle dans la musique?
On dit que la musique vient du Ciel. Dans la Bible, les
anges jouaient déjà de la trompette. Et quand un gars joue un blues, ça monte
directement là-haut!
Adrien Moignard (g), Noé Reinhardt (g), William Brunard (dm), Sunset, Paris, 9 mai 2023 © Jérôme Partage
Il y a une couleur
blues dans votre jeu…
La base du jazz, c’est le blues. Et puis mon grand-père, ce
n’est pas Django, c’est George Benson! (Rires)
D’ailleurs, j’ai des amis qui le connaissent et qui lui ont fait écouter mon CD
en trio avec Samy. Il était très étonné que je joue électrique. Quand je
l’ai rencontré, il m’a dit en rigolant: «Un
Gitan, ça joue du Django, laisse-nous notre musique!». George Benson est un
dieu dans la communauté gitane, comme Frank Sinatra. En fait, ils sont plus
populaires que Django!
Pourquoi?
C’est lié à la qualité des enregistrements qui sont plus
récents et au fait que cette musique se prête plus à la danse pour les gens
d’aujourd’hui. En tous cas, j’ai rarement vu des gens de ma communauté danser
sur du Django. Il y a donc deux temps musicaux différents dans nos soirées: les
échanges à la guitare autour de Django, puis la danse avec la musique de Benson
ou d’autres.
Avez-vous eu d’autres
expériences à l’étranger?
La musique n’a pas de frontière: j’ai fait une master-classes près de Boston, il y avait des gens qui venaient d’Israël ou d’Australie pour
jouer du Django. C’est formidable! Sinon, une belle découverte a été pour moi
vers 2000 le guitariste argentin Luis Salinas. Il m’a donné une
autre vision de la musique. Je ne savais pas qu’on pouvait jouer de cette façon
et aussi bien. Mais c’est un autre univers, je n’ai pas eu envie de l’imiter
pour autant. Il est dommage que les musiciens manouches ne s’exportent pas
davantage. On les appelle «les gens du voyage», mais en vérité ils n’aiment pas
voyager trop loin. Par exemple, vous ne ferez jamais monter Ninine Garcia dans
un avion! (Rires)
Quels sont vos
projets?
J’aimerais enregistrer des standards de la variété française
à la façon Django. Plutôt des années 1980, comme je l’ai fait avec «Le Cimetière
des éléphants» d’Eddy Mitchell pour le projet Selmer #607. Cette version a bien plu –j'ai eu de bons retours dans la communauté gitane– et a pas mal tourné sur les radios: du coup, j’ai même
gagné des sous avec ça! (Rires)
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