Err

Bandeau-pdf-web.jpg
Noé Reinhardt (g), William Brunard (dm), Sunset, Paris, 9 mai 2023 © Jérôme Partage
Noé Reinhardt (g), William Brunard (dm), Sunset, Paris, 9 mai 2023 © Jérôme Partage



Noé REINHARDT

Une histoire de famille…


le 16 février 1979 au sein d'une communauté tsigane évangéliste, Noé Reinhardt appartient à cette lignée de guitaristes bebop de la galaxie Django Reinhardt. Un mouvement que Django dont Noé est un parent– avait lui même initié en électrifiant sa musique, plus tard enrichie par son fils Babik (1944-2001) qui traça sa voie parmi les nombreux disciples de son père. Christian Escoudé qui monta avec Babik et Boulou Ferré son Trio Gitan au début des années 1980, s'engagea lui aussi dans cette direction en enrichissant sa culture musicale familiale de l'influence des Wes Montgomery, George Benson et autres. Babik Reinhardt et Christian Escoudé, deux figures de l'héritage de Django, ont profondément influencé Noé Reinhardt qui s'est épanoui dans cette esthétique en développant un jeu sans artifice ni démonstration, à la belle sensibilité blues.
Remarqué par Patrick Saussois (1954-2012) il y a plus de vingt-cinq ans, Noé Reinhardt a entretenu depuis lors un long compagnonnage avec Samy Daussat qui reste son partenaire privilégié. Leur dernier projet commun est le trio formé avec la guitariste italienne
Katia Schiavone sur le disque Reinhardt Memories (2021, Label Ouest). Une célébration de l'héritage de Django dans lequel Noé à baigné dès son plus jeune âge avant même d'en avoir conscience, au travers de cantiques de la foi pentecôtiste qui ont ponctué la vie sociale, rythmant les rencontres spirituelles, familles et amicales au milieu desquelles il a grandi. 

Propos recueillis par Jérôme Partage
Photos Philippe Cabaret by courtesy of Label Ouest,
Collection Noé Reinhardt by courtesy,
Jérôme Partage
Image extraite de YouTube
Avec nos remerciements

© Jazz Hot 2023



Noé Reinhardt en 1982 lors d'une mission évangélique en Bretagne. On aperçoit les musiciens sur scène à l'arrière © Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy




Noé Reinhardt en 1982 lors d'une mission évangélique en Bretagne, 
déjà sur scène…
© Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy



Jazz Hot: Vous êtes né à Lomme, dans la banlieue de Lille d’un cousin de Django. D’où vient votre famille?

 

Noé Reinhardt : De Paris et du Nord; j’ai grandi en région parisienne. A l’origine, la famille Reinhardt vient du Piémont où elle est restée pendant cinq cents ans. De là, elle est allée en Allemagne, puis en Belgique, à Paris et en Algérie. D’ailleurs, on est certain que le père de Django a vécu en Algérie. Le périple s’est terminé en Corse. Une autre branche, les Zigler est allée en Suisse. Django et Joseph étaient les cousins germains à la fois de mon grand-père et de ma grand-mère paternels.

 


Votre père jouait de la guitare dans un orchestre de musique religieuse…

 

Oui; dans les années 1950, il y a eu un éveil spirituel, avec le mouvement Vie et Lumière, dans une partie de la communauté gitane qui s’est convertie au protestantisme; les autres sont toujours catholiques. Mon père est né en 1928, et il a connu Django. Il a changé de religion vers 1978 ainsi que toute sa famille. A partir de là, ils se sont mis à chanter et jouer leurs cantiques dans le langage jazz de Django. Et moi, je suis un enfant de la Mission, comme Rocky Gresset ou Stochelo Rosenberg; je m’inscris dans la continuité de ce mouvement. J’ai grandi dans ce milieu musicalo-évangéliste, mais sans écouter les disques de Django. Ceci dit, la famille Schmitt de Lorraine, celle de Dorado et Tchavolo, est restée catholique mais ils jouent aussi la musique de Django dans leurs églises. 

 

de g. à d.:  Angelo Debarre, Moreno Winterstein, Noé Reinhardt, vers 1996 © Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtes


de g. à d.:  Angelo Debarre, Moreno Winterstein,
Noé Reinhardt, vers 1996
© Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy



Quand avez-vous commencé l’apprentissage de la guitare?

 

Vers 12-13 ans. Mon père avait une guitare chez nous. J’avais des cousins qui jouaient à un petit niveau. Ils sont passés un jour à la maison, et ça m’a donné envie d’apprendre. Puis, à 14 ans j’ai eu un déclic: l’un de ces cousins m’a copié une cassette d’un album du Trio Rosenberg. Et j’ai préféré cet enregistrement, au son plus net, à ceux qu’avait mon père de Django où l'on entendait les craquements. Bien sûr, quand j’ai réécouté Django plus tard, j’ai compris que c’était mieux… Mais mon oreille n’était pas encore prête à ce moment-là; c’est venu plus tard. Parallèlement, j’ai commencé à pratiquer avec mon père et ses cousins lors des réunions du mouvement évangéliste. Quand j’ai eu quelques rudiments, j’ai commencé à monter sur scène avec eux, d’autant que je connaissais les cantiques depuis ma naissance. Puis, entre 15 et 17 ans environ, Ninine Garcia qui faisait partie de la mission évangélique où il jouait avec son père Mondine et avec le mien, a été l'un de mes premiers professeurs. C’est un oncle musical. Rocky était plus avancé que moi et m’a aussi montré des trucs. A la même période, il y a eu aussi les dirigeants du mouvement, qui sont à la fois des pasteurs et d’excellents musiciens, qui m’ont énormément appris comme Charles Welty, qu’on appelle «Tarzan», qui a composé des dizaines de cantiques, ou Wasso Ferret, dit «Balo», avec lequel j’ai passé beaucoup de temps. Toujours à la même époque, j’ai fréquenté un club de jazz, La Mezzanine, à Pierrelaye dans le Val d’Oise, qui organise encore aujourd’hui un concert suivi d’une jam-session tous les jeudis. Je me suis retrouvé à faire le bœuf –sans savoir ce que c’était– avec un sax, un piano, une contrebasse et une batterie! Ça m’a fait énormément progresser, car je n’avais jamais joué dans une formation jazz, seulement avec d’autres guitares. C’est comme ça que j’ai commencé à apprendre des standards que je travaillais ensuite avec des cousins ou des amis qui m’amenaient aussi d’autres morceaux. J’ai alors également commencé à fréquenter La Chope des Puces, Le Piccolo, Chez la Môme où m’amenaient mes cousins plus âgés qui avaient leur permis de conduire. Et pendant qu’eux buvaient un coup et écoutaient, moi, je jouais!


Quand avez-vous eu vos premiers engagements?

 

Ça s’est mis en place progressivement entre 16 et 18 ans. A la jam de la Mezzanine, le contrebassiste Hervé Czak m’a remarqué et m’a proposé de faire un concert avec lui. C’était mon premier gig payé. Petit à petit, je me suis «imposé» dans les concerts du Val d’Oise. Mais mon premier vrai engagement dans le jazz manouche, c’était avec Patrick Saussois, je devais avoir environ 17 ans. Il avait entendu dire qu’il y avait un jeune Reinhardt dans la région, et il m’a appelé pour me proposer de jouer avec lui au Bistro d’Eustache. J’ai d’ailleurs rencontré Joseph Di Mauro ce soir là. Patrick était un recruteur, comme dans le football. Il a fait beaucoup pour cette musique notamment en faisant enregistrer des gens qui n’en avaient pas les moyens. On s’est retrouvés régulièrement par la suite mais sans forcément jouer ensemble. Vers 17 ans également, j’ai rencontré Samy Daussat, et on a commencé à jouer ensemble un an plus tard quand j’ai eu mon permis de conduire, ce qui m’a donné la possibilité de me produire régulièrement à Paris et ailleurs. Je travaille donc avec Samy depuis plus de vingt-cinq ans; on s’est tout de suite compris. Il m’a expliqué un tas de choses très utiles, des accords, des mises en place; il est très pédagogue. Je connais des guitaristes qui jouent plus vite, mais ils ne savent pas expliquer comme lui. C’est le patron des master-classes! J’ai aussi joué avec Rocky à mes débuts. Il ne jouait pas encore de jazz Django à l’époque.

 

Noé Reinhardt (g) avec Nonnie Rosenberg (b), Hot Brass, Paris, vers 1996 © Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy  Noé Reinhardt avec Stochelo Rosenberg, Hot Brass, Paris, vers 1996 © Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy
Noé Reinhardt (g) avec Nonnie Rosenberg (b) (à gauche) et Stochelo Rosenberg (à droite), Hot Brass, Paris, vers 1996
© Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy



Vous avez joué avec Christian Escoudé. Comment cela a-t-il commencé ?

 

J’avais un cousin, Ramuncho Ferrari (vln) qui invitait une à deux fois par an dans sa maison du Val-d’Oise des musiciens de jazz manouche comme Ninine. C’est comme ça que j’ai rencontré, vers 17-18 ans, Christian, Marcel Azzola, Frédéric Sylvestre, Florin Niculescu et croisé une première fois Babik. A partir de là, Christian m’a régulièrement invité pour des bœufs, et il m’a pris dans ses groupes à quelques occasions comme pour un concert au Duc des Lombards vers 2003 avec Dorado Schmitt, Martin Taylor et Jean-Marc Jafet (b); j’étais très impressionné. A la même période, j’ai fait brièvement partie de son Trio gitan avec Romane. Christian m’a toujours encouragé. C’est aussi pour moi un oncle musical.

 

Quelle était votre relation avec Babik?

 

Je l’ai vraiment connu juste avant son décès (ndlr: le 12 novembre 2001). Vers août 2001, je suis allé le voir chez lui à Cotignac, dans le Var, avec un cousin. Ma guitare électrique était alors cassée, et je n’avais qu’une guitare acoustique. Quand il a ouvert l’étui, j’ai compris qu’il n’avait pas très envie de jouer avec moi. Après le dîner, il nous a mis un disque de musique brésilienne, et il a joué quelques thèmes à lui. Et là, j’ai rusé pour saisir ma chance en lui demandant: «Tu peux me montrer les accords de ce morceau?», alors que je les connaissais très bien. Nous ne sommes pas nombreux dans la communauté gitane à jouer électrique, et à connaître le répertoire de Babik. Après m’avoir montré, il m’a tendu sa guitare en me disant: «Tiens, essaye!» J’ai joué son morceau à la perfection, en plaçant une phrase un peu bebop. Alors là, il était content! Du coup, il a sorti une deuxième guitare électrique, et on a joué toute la nuit. A la fin, il m’a demandé d’où je venais et pourquoi on ne se connaissait pas, bien qu’étant de la même famille…

 

Samy Daussat, David Reinhardt, Noé Reinhardt © Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy


Samy Daussat, David Reinhardt, Noé Reinhardt
© Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy


Vous avez monté le Trio Reinhardt avec David Reinhardt peu après la disparition de Babik…

 

J’ai rencontré David, qui avait alors 15 ans, aux obsèques de Babik. On ne se connaissait pas non plus. Puis, avec Samy Daussat, on l’a pris sous notre aile, et on a monté le Trio Reinhardt en s’inspirant du Trio Gitan. On a tourné un peu ensemble puis on a enregistré. Pour les festivals, on a étendu la formation à Costel Nitescu (vln) et Jean-Marc Jafet qui était un ancien musicien de Babik. J’ai d’ailleurs également joué dans le groupe de Jean-Marc, Agora, où j’ai remplacé Sylvain Luc. Cela m’a donné l’occasion de découvrir un autre monde musical, très différent de celui de Django. Aujourd’hui, David a quitté la scène jazz. Il est devenu pasteur, et il joue dans les missions évangéliques. Il donne aussi des master-classes et enseigne dans une école depuis 2016.

 

Quand vous êtes-vous mis à l’écoute de Django?

 

Assez tard, même si l’esprit de Django traîne dans la tête de chaque Gitan… Du coup, quand Dorado Schmitt ou le Trio Rosenberg jouaient les solos de Django, je ne le savais pas. Mais en 2003, j’ai acheté un triple CD de Django –c’était les 50 ans de sa mort– et là j’ai reconnu les phrases. Puis, ce sont des musiciens un peu plus jeunes que moi, notamment Adrien Moignard et Sébastien Giniaux, qui j’ai rencontrés vers 2004-2005, qui m’ont donné envie de jouer la musique de Django. J’ai fini par m’acheter une guitare Django, vers 2010-2011, qui était plus facile à jouer que celle qui me venait de mon père.

 

En 2008, vous avez d’ailleurs enregistré avec Adrien Moignard, Sébastien Giniaux et Richard Manetti un disque en hommage à Django avec le projet Selmer #607

 

C’est à ce moment-là que j’ai vraiment commencé à me mettre dans cette musique. Je pouvais jouer deux ou trois morceaux de Django sur scène, mais je n’étais pas encore capable d’assurer un concert entier sur ce répertoire. Je n’avais pas assez de dextérité dans les doigts, et j’avais peur de trouver dans le public un guitariste gitan qui jouait Django bien mieux que moi. Sur le disque Selmer #607, il y avait une rythmique composée de deux guitares rythmiques et une contrebasse. Chaque soliste devait jouer deux ou trois morceaux sur le modèle de guitare Selmer 607 prêtée par un luthier, et venait avec les titres qu’il voulait jouer, de Django ou autres. N’étant pas un grand spécialiste de la guitare Django, j’ai fait ce que j’ai pu! J’avais composé un thème pour mon fils qui venait de naître, et je l’ai joué au pouce, «Evan's Hair»: ça a bien marché. Pour le deuxième volet, en 2009, on a invité d’autres musiciens comme Stochelo Rosenberg et, pour le troisième en 2016, un petit jeune qui débutait: Antoine Boyer. On aurait mieux fait de lui casser les doigts à celui-là! (Rires)



Noé Reinhardt avec Ninine Garcia, La Chope des Puces, Saint-Ouen, vers 2016 © Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy  Noé Reinhardt avec Rocky Gresset, La Chope des Puces, Saint-Ouen, vers 2016 © Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy

Noé Reinhardt avec Ninine Garcia (à gauche) et Rocky Gresset (à droite), La Chope des Puces, Saint-Ouen, vers 2016

© Photo X, Collection Noé Reinhardt by courtesy


Vous avez donc commencé votre carrière de musicien sans vraiment connaître la musique de Django…

 

Ma sensibilité au bebop m’a porté directement vers Babik Reinhardt, Joe Pass –que j’ai toujours entendus–, George Benson et Christian Escoudé.

 

Votre premier disque en leader est Eleven Standards (2010, Label Ouest)

 

J’avais un peu peur de sortir un CD sous mon nom… et on m’a rassuré. J’avais croisé Jérôme Regard, un super contrebassiste à qui j’avais parlé du projet. J’ai fait une maquette pour Michel Lefort qui organisait un festival manouche à Angers (ndlr: Gipsy Swing Festival, 1993-2014, cf. comptes rendus dans Jazz Hot), qui l’a transmise au label. On est rentrés en studio directement, on n'a fait qu’une prise, chacun est venu avec un morceau.

 

Comment s’effectue votre travail de composition?

 

Je ne suis pas un grand compositeur, mais si on me demandait douze originaux pour un album (ce qui n’est pas encore arrivé), je serais capable de les sortir en trois semaines. Après, si j’ai des compositions à faire, des airs vont tourner dans ma tête. Parfois, ça me vient alors que suis en train de faire des courses ou de manger; alors, sur le moment, je chante la mélodie sur un dictaphone et ensuite je la transpose à la guitare.

 

Votre dernier album, Reinhardt Memories (2021, Label Ouest) est un hommage à la famille Reinhardt: Django, Joseph et Babik…

 

Nous ne sommes pas très nombreux à faire de la musique dans la vraie famille de Django. Il y a David, Simba Baumgartner –petit-fils de Lousson (Henri Baumgartner), le fils aîné de Django– et Lévis Adel-Reinhardt, arrière-petit-fils de Joseph Reinhardt. C’est très important de perpétuer la musique de la famille Reinhardt.

 

Comment est né ce nouveau trio avec Samy Daussat et Katia Schiavone?

 

Je l’ai découverte sur internet où je l’ai entendue jouer bebop, mais je ne suis pas arrivé à la contacter. Puis, je l’ai retrouvée par hasard dans un bistrot et je lui ai proposé de nous rejoindre. On a eu juste le temps de faire un concert au Baiser Salé avant la catastrophe du confinement…

 


Katia Schiavone, Noé Reinhardt, Samy Daussat, Sunset, 9 décembre 2021 © Philippe Cabaret, by courtesy of Label Ouest
Katia Schiavone, Noé Reinhardt, Samy Daussat, Sunset, 9 décembre 2021 © Philippe Cabaret, by courtesy of Label Ouest



Comment avez-vous vécu cette période de privation de liberté?

 

J’en ai profité pour me perfectionner: j’ai appris des valses, ce qui n’était pas dans mon répertoire. J’ai joué à distance et, parfois, j’ai bravé le couvre-feu pour donner des concerts. Avant le confinement, on ne savait pas la chance qu’on avait de pouvoir aller entendre de la musique à Paris en trente minutes. J’ai beaucoup plus mal vécu le deuxième confinement.

 

Lors de l’hommage à Django au Sunset, en mai 2023, vous avez présenté des arrangements originaux de «Tears» ainsi que de «Manoir de mes rêves» dans une veine funky…

 

Oui, ça fait penser un peu au «Brazil» de George Benson. On peut tout faire avec Django. Mais «Minor Swing», on le joue «normal» car beaucoup de spectateurs viennent pour ce titre; c’est un incontournable avec «Nuages». Pareillement, j’entends Django partout, on peut tout jouer à sa façon. Par exemple, je joue des génériques de mangas, et j’organise des petits jeux sur les réseaux sociaux pour que les gens devinent de quoi il s’agit. Même au milieu des soucoupes volantes, on arrive à placer Django!

 

Vous vivez la moitié de l’année en caravane…

 

Je pars avec les gens de ma communauté qui partagent ce mode de vie. Nous prenons la route idéalement à la mi-mai. Cette année, je suis resté en caravane jusqu’à début décembre. Il y a le chauffage! Mais certains voyagent moins longtemps, juste un mois ou deux. On suit les missions évangélistes qui partent du centre de la France, du Loiret, début mai. Il y a environ cent missions de cinquante à cent caravanes qui suivent chacune un itinéraire défini à l’avance, avec les autorisations de l’Etat pour s’installer sur les différents sites. On peut rejoindre une mission où et quand on le souhaite et la quitter de la même façon. Parfois, plusieurs missions peuvent se retrouver, en particulier sur une ville-ressources comme Lyon qui permet de vendre sur les marchés et les foires. Souvent, c’est aussi l’occasion de rendre visite à la famille et aux amis pendant l’été. Le tout autour de la musique, du barbecue… et de la prière pour les plus croyants.

 


Noé Reinhardt et Samy Daussat, Sunset, 9 décembre 2021 © Philippe Cabaret, by courtesy of Label Ouest
Noé Reinhardt et Samy Daussat, Sunset, 9 décembre 2021 © Philippe Cabaret, by courtesy of Label Ouest



Cette vie nomade est-elle propice aux échanges musicaux?

 

Ce n’est pas si évident du fait qu’on ne va pas toujours dans les mêmes endroits. Parfois, on rencontre beaucoup de musiciens, d’autres fois non… Mais je vois de plus en plus de jeunes qui font de la musique. Quand j’étais gamin, les gens de mon âge n’étaient pas nombreux à jouer de la guitare –dans le sens de jouer les standards. Il faut dire aussi qu’à l’époque, on ne trouvait pas dans le commerce de cassettes de Django qu’on aurait pu écouter sur l’autoradio. Celles qui circulaient dans la communauté avaient été repiquées sur des vinyles. Le fameux concert du Gipsy Project de Biréli à Jazz à Vienne en 2002 qui est disponible sur YouTube a donné un nouvel impact à la musique de Django et a inspiré beaucoup de jeunes musiciens qui ont eu envie d’aller vers cette musique. Sinon, tout le monde pratique un peu l’instrument dans les réunions évangéliques. Et puis, il y a des différences géographiques: les gens de l’Est sont plus nombreux à faire de la musique. Je suis allé à Forbach en septembre 2022: les musiciens poussent comme des champignons! J’y ai rencontré trois jeunes de 20 ans qui jouent super. C’est pareil chez les Gitans du côté allemand, mais il y a peu d’échanges de part et d’autre de la frontière: on n’a pas le même mode de vie, pas la même langue… Par contre, grâce aux réseaux sociaux, je découvre des guitaristes gitans, partout dans le monde, tous les jours.

 

Quelle est votre pratique musicale quand vous êtes en caravane?

 

J’ai des amis qui sont musiciens amateurs: ils ne jouent pas très bien, mais ils sont contents de faire quelques standards; et on s’arrange. On fait un barbecue, une partie de pétanque, un peu de musique et on passe la soirée comme ça. J’ai autant de plaisir à jouer avec eux qu’avec d’excellents musiciens pendant un concert. De même, quand on suit une mission évangélique, on arrive dans une ville, et on peut tomber sur un gars dans sa caravane qui va sortir une guitare. Tu ne l’as jamais vu de ta vie et pourtant tu vas avoir un échange musical avec lui parce que tu partages la même musique et le même mode de vie; et après, chacun repart de son côté. On ne se reverra peut-être jamais. Quand je passe par Lyon, je retrouve des amis musiciens qui ne sont pas gitans. On fait au mieux pour se retrouver musicalement et se faire plaisir.

 

Est-ce que vous transmettez aussi la pratique de la musique aux plus jeunes?

 

Oui, j’ai appris à jouer à mon neveu, Punky Ferret qui vient d’une famille gitane plutôt liée à des gens de Hollande comme Fapy Lafertin et le Trio Rosenberg. J’ai aussi donné des master-classes et ça m’a plu. J’en ai dirigé une à l’Ecole de musique Django Reinhardt de Tunis, devant des enfants, majoritairement des petites filles avec leur foulard. Ils avaient travaillé «Minor Swing» pendant deux mois; je les ai disposés en cercle –ils étaient une quarantaine–, je me suis mis au milieu et on a joué «Minor Swing» ensemble. Ça m’a fait extrêmement plaisir de jouer Django avec ces jeunes qui viennent d’une culture musicale très différente.


Quelle est votre définition du jazz?

 

C’est un très bon médicament pour les gens. Je pense qu’ils sortent du club avec de l’enchantement. En tous cas, moi je serais plus content de voir Pat Metheny qu’un film qui ne m’intéresse pas ou qu’une expo à laquelle je ne comprends rien! (Rires) Le jazz, c’est aussi de la sueur, des rapports entre musiciens, parfois des incompréhensions, des fous rires. C’est un art vivant.

 

Y-a-t-il une dimension spirituelle dans la musique?

 

On dit que la musique vient du Ciel. Dans la Bible, les anges jouaient déjà de la trompette. Et quand un gars joue un blues, ça monte directement là-haut!

 

Adrien Moignard (g), Noé Reinhardt (g), William Brunard (dm), Sunset, Paris, 9 mai 2023 © Jérôme Partage

Adrien Moignard (g), Noé Reinhardt (g), William Brunard (dm), Sunset, Paris, 9 mai 2023 © Jérôme Partage



Il y a une couleur blues dans votre jeu…

 

La base du jazz, c’est le blues. Et puis mon grand-père, ce n’est pas Django, c’est George Benson! (Rires) D’ailleurs, j’ai des amis qui le connaissent et qui lui ont fait écouter mon CD en trio avec Samy. Il était très étonné que je joue électrique. Quand je l’ai rencontré, il m’a dit en rigolant: «Un Gitan, ça joue du Django, laisse-nous notre musique!». George Benson est un dieu dans la communauté gitane, comme Frank Sinatra. En fait, ils sont plus populaires que Django!

 

Pourquoi?

 

C’est lié à la qualité des enregistrements qui sont plus récents et au fait que cette musique se prête plus à la danse pour les gens d’aujourd’hui. En tous cas, j’ai rarement vu des gens de ma communauté danser sur du Django. Il y a donc deux temps musicaux différents dans nos soirées: les échanges à la guitare autour de Django, puis la danse avec la musique de Benson ou d’autres.

 

Avez-vous eu d’autres expériences à l’étranger?

 

La musique n’a pas de frontière: j’ai fait une master-classes près de Boston, il y avait des gens qui venaient d’Israël ou d’Australie pour jouer du Django. C’est formidable! Sinon, une belle découverte a été pour moi vers 2000 le guitariste argentin Luis Salinas. Il m’a donné une autre vision de la musique. Je ne savais pas qu’on pouvait jouer de cette façon et aussi bien. Mais c’est un autre univers, je n’ai pas eu envie de l’imiter pour autant. Il est dommage que les musiciens manouches ne s’exportent pas davantage. On les appelle «les gens du voyage», mais en vérité ils n’aiment pas voyager trop loin. Par exemple, vous ne ferez jamais monter Ninine Garcia dans un avion! (Rires)

 

Quels sont vos projets?

 

J’aimerais enregistrer des standards de la variété française à la façon Django. Plutôt des années 1980, comme je l’ai fait avec «Le Cimetière des éléphants» d’Eddy Mitchell pour le projet Selmer #607. Cette version a bien plu –j'ai eu de bons retours dans la communauté gitane– et a pas mal tourné sur les radios: du coup, j’ai même gagné des sous avec ça! (Rires)


*


DISCOGRAPHIE

2010. Noé Reinhardt, Eleven Standards, Label Ouest
2010. Noé Reinhardt, Eleven Standards, Label Ouest


Leader/coleader
CD 2008. Collectif, Selmer #607, Cristal Records 0825
CD 2009. Collectif, Selmer #607 invite Stochelo Rosenberg, Cristal Records 160
CD 2010. Noé Reinhardt Trio, Eleven Standards, Label Ouest 304 023.2
CD 2016. Collectif, Selmer #607: Vol. III. Anniversary Songs, LDC Music 08
CD 2021. Noé Reinhardt, Reinhardt Memories, Label Ouest 304 041.2

2008. Collectif, Selmer #607, Cristal Records2009. Collectif, Selmer #607 invite Stochelo Rosenberg, Cristal Record2016. Collectif, Selmer #607: Vol. III. Anniversary Songs, LDC Music2021. Noé Reinhardt, Reinhardt Memories, Label Ouest












Sideman

CD 2004. David Reinhardt Trio, RDC Records 40084-2


*


VIDEOGRAPHIE

Noé Reinhardt, Chriss Campion, Rocky Gresset, Tchavolo Schmitt, Cirque d'Hiver, Paris, 17 février 2020, image extraite de YouTube
Noé Reinhardt, Chriss Campion, Rocky Gresset, Tchavolo Schmitt,
Cirque d'Hiver, Paris, 17 février 2020, image extraite de YouTube


Chaîne Youtube de Noé Reinhardt
https://www.youtube.com/channel/UCtbrpPZwjZqL0ZjuN3wO6lw

2009. Noé Reinhardt, Rocky Gresset (g), «Them There Eyes», Aux Petits Joueurs, Paris, 21 octobre
https://www.youtube.com/watch?v=OOnZ3GL862I

2012. Noé Reinhardt, Ghali Hadefi (b), Meivelyan Jacquot (dm),
«Le Cimetière des éléphants»
https://www.youtube.com/watch?v=abadMjLTZHE

2015. Noé Reinhardt, Samy Daussat (g), William Brunard (b), «Lullaby of Birdland», Atelier Charonne, Paris, 16 avril
https://www.youtube.com/watch?v=z1ChKEG5q5w

2016. Noé Reinhardt, Mathieu Chatelain (g), Costel Nitescu (b), «Affirmation», Monk-La Taverne de Cluny, Paris, 3 novembre
https://www.youtube.com/watch?v=xTO4sbc1nnI

2018. Noé Reinhardt, Laurent Epstein (p), Hervé Czak (b), Fred Delestré (dm), « I’ll Remember April», La Mezzanine, Pierrelaye, Val-d’Oise, avril
https://www.youtube.com/watch?v=0PRHwGdGeys

2019. Noé Reinhardt, Julien Cattiaux (g), Jérémie Arranger (b), «Just Friends», Monk-La Taverne de Cluny, Paris, 11 avril
https://www.youtube.com/watch?v=a_G0YvA-zX0

2019. Noé Reinhardt interviewé par Ghali Hadefi (www.selmer607school.com)
https://www.youtube.com/watch?v=nP6XGFCF2qc

2020. Noé Reinhardt, Chriss Campion, Rocky Gresset, Stochelo Rosenberg, Tchavolo Schmitt, «Minor Swing», Cirque d’Hiver, Paris, 17 février
https://www.youtube.com/watch?v=Mbmj9pIIt5g

2023. Noé Reinhardt, Rocky Gresset (g), «Amour éternel» (cantique), Athis-Mons, Essonne, 12 mars
https://www.youtube.com/watch?v=ptJhrOTdNqQ

*