Err

Bandeau-pdf-web.jpg
Thibaud Mennillo © César Sylva, Collection Thibaud Mennillo by courtesy


Thibaud Mennillo © César Sylva,
Collection Thibaud Mennillo by courtesy




Thibaud MENNILLO

Jazz or no Jazz?

 
Né le 11 juin 1989 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), Thibaud Mennillo est le petit-fils du regretté Roger Mennillo (1926-2021), pianiste, pédagogue infatigable et créateur de l'actuel festival de jazz de Saint-Cannat qui aujourd’hui porte son nom. Fils de Bernadette Mennillo, Thibaud (Leportois) a choisi de reprendre le patronyme maternel comme nom de scène, pour marquer la filiation avec cette famille Mennillo très musicale. Une filiation qui passe par le piano, mais avec une approche, une sensibilité, une culture musicale qui lui sont propres –question de génération aussi, se situant à la fois dans le jazz et dans d’autres univers esthétiques.

Nous avions découvert Thibaud lors de la dernière édition du Jazz Festival Roger Mennillo, en juillet 2022, pour un premier grand concert solo. En effet, le jeune homme, ancien athlète de haut niveau, ingénieur de formation et fondateur d’un bureau d’études acoustiques, ne s’est (re)mis que récemment à l’instrument mais convainc par la subtilité de son expression où pointent notamment l'influence de McCoy Tyner, mais également de Keith Jarrett. Après la sortie d’un premier album, Quintes et Sens (Jazz Family) et, à cette occasion, d’un beau concert au Sunside le 28 mars dernier (il s'y produira de nouveau le 15 juillet prochain, dans le cadre du Festival Pianissimo), Thibaud Mennillo prépare déjà la suite… du côté de Coltrane et ailleurs!


Propos recueillis par Jérôme Partage
Photos
César Sylva et X,
Collection Thibaud Mennillo by courtesy

© Ja
zz Hot 2023



Thibaud, à la maison, au piano avec sa mère Bernadette et sa sœur Lucille en 1995 © Photo X, Collection Thibaud Mennillo by courtesy

Thibaud, à la maison, au piano avec sa mère Bernadette
et sa sœur Lucille en 1995
© Photo X, Collection Thibaud Mennillo by courtesy



Jazz Hot: Quelle a été l’influence de votre grand-père dans votre formation musicale?

 

Thibaud Mennillo: Tout jeune, j’ai eu accès à la vaste collection de vinyles et de CDs de musiques classique, contemporaine, jazz, électro-acoustique, rock constituée par mon père qui est un grand mélomane. Je piochais régulièrement dans cette collection qui comptait aussi des livres. Et quand mon grand-père, qu'on appelait «Opa», venait à la maison, il s’installait d’abord au piano. J’ai été initié au piano classique par ma Tante Violette, la sœur de mon grand-père, lequel m’a également donné quatre leçons de piano jazz à mes 13 ans. Mais je n’ai pas accroché. J’avais plus envie de découvrir par moi-même que de suivre un apprentissage. Et puis j’étais alors plus intéressé par le sport que par la musique même si j’en écoutais beaucoup. Je suis rentré en équipe de France d’athlétisme et c’est d’ailleurs le sport qui m’a permis d’acquérir de la rigueur et de la discipline. Quand mon grand-père voulait me donner un cours, je n’étais pas disponible et quand c’était moi qui voulais, c’est lui qui ne pouvait pas…

 

Le jazz, c’est un rendez-vous manqué avec Roger?

 

C’était volontaire en fait, de part et d’autre. Il disait à ma mère que je viendrai au piano quand le moment serait venu et qu’il ne fallait pas me forcer. Et j’y suis venu en novembre 2020: j’ai acheté un piano alors que je n’y avais plus touché depuis des années. C’est arrivé comme une pulsion. L’entreprise que j’ai créée en 2016 se développant, j’ai commencé à passer plus de temps sur la gestion et moins dans la technique où se situe la dimension créative de mon activité. Cela rompait mon équilibre. D’autre part, il y a eu la période covid qui a ouvert des réflexions et j’ai déménagé avec mon épouse en dehors de Paris, dans un endroit plus grand qui pouvait accueillir un piano. Cela faisait un moment que je pensais en acheter un, mais je voulais pouvoir en jouer à toute heure du jour ou de la nuit. Enfin, la dernière année de sa vie, mon grand-père ne jouait presque plus de piano. La famille me demandait de l’appeler pour l’inciter à s’y remettre. Et à chaque fois, comme à son habitude depuis que j’avais quitté la région marseillaise, il me disait: «Tu en es où au piano?». J’étais frappé qu’il continue à me poser cette question alors que lui-même avait arrêté. Et j’ai compris qu’il ne me la posait pas parce qu’il attendait que je le rende fier, mais parce qu’il savait qu’il manquait une pièce à mon puzzle. Et un peu avant sa disparition, durant les fêtes de Noël 2020, j’ai joué un petit morceau devant lui et il m’a dit: «Tu as un truc. Tu n’as pas besoin de prof. Trouve ton chemin mais ne lâche pas la musique.» Il m’a donné confiance et m’a confirmé que ce que j’étais en train de chercher allait vers quelque chose de sensible et de cohérent qui pouvait me correspondre.


de gauche à droite: Jean-Pierre (le père), Bernadette (la mère), Lucille (la sœur), Guillaume (le frère) Tante Violette, Roger (alias Opa), Thibaud, Mamette (la grand-mère), Le Tholonet (13), 1997 © Photo X, Collection Thibaud Mennillo by courtesy   
de gauche à droite: Jean-Pierre (le père), Bernadette (la mère), Lucille (la sœur), Guillaume (le frère)
Tante Violette, Roger (alias Opa), Thibaud, Mamette (la grand-mère), Le Tholonet (13), 1997
© Photo X, Collection Thibaud Mennillo by courtesy

 


Plus jeune, vous aviez conscience de ce que représentait Roger dans la scène jazz de la région marseillaise?

 

Mon grand-père séparait la famille et la musique. Cela explique aussi le peu de leçons que j’ai prises avec lui. Pour moi, c’était un grand-père et la musique faisait partie de notre environnement ordinaire. Ce n’est qu’après son décès que j’ai découvert son histoire musicale, en particulier grâce à l’article paru dans Jazz Hot. Je me suis rendu compte qu’il avait énormément œuvré pour la transmission du jazz.

 

Quels souvenirs avez-vous gardés du festival qu’il organisait à Saint-Cannat?

 

Les concerts de Gonzalo Rubalcaba, Kenny Barron, Monty Alexander, Jacky Terrasson, Chucho Valdés ou Yaron Herman à ses débuts. J’ai aussi fait partie de l’organisation, ce qui m’a permis d’approcher ces grands artistes en dehors de la scène. Tous très simples et très accessibles. On sentait qu’ils étaient heureux de jouer. Sinon, j’ai été proche de Ben Aronov, qui jouait beaucoup avec mon grand-père et qui était un peu de la famille. Aujourd’hui encore, son festival est l’un des rares de la région qui permet d’écouter du jazz, tel que mon grand-père l’a découvert et aimé. C’est donc un patrimoine. 

 

Après avoir quitté le giron familial, vous avez continué à écouter du jazz?

 

J’en ai beaucoup écouté jusqu’à ce que j’entre en école d’ingénieur, à 23 ans. J’ai écouté Monk, Randy Weston, Frank Sinatra, Bill Evans, et Charlie Parker qui m’a fait basculer dans Coltrane. J’ai ensuite eu du mal à écouter d’autres saxophonistes en dehors d’Ornette Coleman. Et Coltrane m’a amené à McCoy Tyner, et à partir de là, je ne pouvais plus écouter du Bill Evans. Quand je révisais les maths à la fac, j’écoutais du free et j’associais des idées mathématiques à la musique. C’était un moyen mnémotechnique. Et puis, entre 23 et 30 ans, je n’ai plus rien écouté. Je m’y suis remis avec le piano. Mais aujourd’hui j’écoute surtout de la musique contemporaine, comme Philip Glass ou Steve Reich. Sinon, une de mes principales références aujourd’hui c’est Keith Jarrett, qui d’ailleurs pour moi ne fait pas du jazz mais du piano contemporain. Il m’a beaucoup inspiré pour mon album. En fait, ma culture musicale et mes goûts brassent autant le jazz que la musique classique et sa part contemporaine avec l’électroacoustique.

 

Est-il vrai que vous jouez uniquement d’oreille?

 

Oui, dans mes propres tonalités. Je ne fais pas de relevés d’improvisation, bien qu’on me l’ait conseillé. Je pense qu’il n’y a pas besoin de coder l’histoire que le musicien raconte à travers l’improvisation. En revanche, je fais beaucoup de citations dans mes concerts solos, liées à des séquences d’improvisation qui me reviennent en tête. Je ne lis ni n’écris la musique afin de garder de la fraîcheur dans mes improvisations. Pour moi, le jazz est un langage oral. Et pour le moment, j’arrive à mémoriser les thèmes que j’ai composés.

 

   Thibaud Mennillo © César Sylva, Collection Thibaud Mennillo by courtesy




Thibaud Mennillo © César Sylva,

Collection Thibaud Mennillo by courtesy





Si Keith Jarrett n’appartient pas à la sphère jazz, qu’est-ce qui caractérise le jazz?

 

A mon sens, le jazz est une musique avec des parties écrites importantes: intro, thème, coda. Chez Keith Jarrett, on sort de ça. La grille n’est pas directement évoquée, tout est sous-jacent. Les accords sont minimalistes. De ce fait, on se laisse porter par un message sans être dans les codes imposés par le jazz, nécessaire pour jouer en collectif. Quand on écoute Jack DeJohnette dans son trio, la pulsation est rentrée. On a un paysage qui s’ouvre. C’est une question difficile, car moi-même j’ai du mal à me situer…

 

Justement, compte-tenu de vos références à la musique contemporaine et à Keith Jarrett, vous considérez-vous comme un jazzman?

 

Mon univers a déjà évolué depuis l’enregistrement de l’album. Je suis passé à la musique répétitive avec des microchangements de tonalités. Je suis sorti du jazz mais avec des citations qui permettent de tenir mon discours. Je ne me définis même pas comme pianiste car pour moi le piano c’est plusieurs instruments en même temps. Quand je joue, j’entends un orchestre symphonique. Je me considère comme un improvisateur piano moderne, pas comme un jazzman. D’ailleurs, je ne peux pas jouer les standards comme on doit les jouer. J’ai besoin de m’exprimer à ma manière: par exemple, dans mon album, j’ai cassé la grille de «Someday» en plein milieu de l’improvisation avec mes harmonies. Je ne suis pas non plus un musicien contemporain, même si j’ai un projet en cours avec un musicien issu du conservatoire, dans l’électro-acoustique.

 


Comment abordez-vous l’exercice du piano solo?

 

J’aborde la musique de façon sensorielle sur le moment présent. De ce fait, je peux être influencé par ce que j’ai entendu dans les minutes avant de me mettre au piano et/ou ce que j’ai vécu comme évènement juste avant ou les jours d’avant. Ensuite, dans le jeu au piano, je joue avec les énergies, cela peut provenir du public, de la salle, du piano, de la lumière, de la résonance, etc. Par ailleurs, je trouve mes inspirations à travers beaucoup de formes que je vois comme des «boîtes» qui se retrouvent à chaque fois avec des formes différentes et des couleurs différentes en fonction du moment. Le son du piano est très important dans le choix de mes couleurs et de mes boîtes que j’ouvre. Ensuite, au fur et à mesure que j’avance dans le piano, je découvre des mélodies, des harmonies qui elles aussi peuvent évoquer un souvenir (souvent d’enfance), comme une réminiscence, et de ce fait, je capte toute l’énergie autour de moi pour y mettre toute ma sincérité sur l’instant présent: authenticité musicale, l’insouciance de l’enfance qui ressurgit. Je dépasse alors mes influences musicales pour emprunter des chemins de traverse et de digressions.

 

Comment entrent en jeu les aspects rythmiques et techniques?

 

C’est comme une pulsation interne qui s’élabore et s’opère au fur et à mesure que j’avance dans le piano. A la fois, les touches m’attirent comme des aimants dans une sorte de rythme qui s’installe au fur et à mesure. Quant à la technique, je ne la vois pas dans mon jeu, je l’oublie totalement, ce qui fait que je reste sur toutes les autres thématiques en espérant que les doigts suivent les idées. Je ne suis pas non plus du genre à faire des gammes techniques d’échauffement avant de jouer, ce qu’il fait que la technique s’assimile au fur et à mesure que je mets en place une architecture d’improvisation, me permettant d’être dans le lâcher prise lors d’un concert, d’une performance ou d’un enregistrement.

 

En dehors de vos prestations piano solo, avez-vous des projets dans le jazz?

 

J'ai monté deux duos: Mensky, avec le compositeur électro-acousticien Stanislav Makovsky, et un autre duo avec le contrebassiste Olivier Pinto dans un univers très coltranien, marqué par la personnalité de McCoy Tyner. En outre, on m’a fait plusieurs propositions depuis l’enregistrement du disque. Je fais des sessions, j’essaie des choses... J’ai sinon en projet de monter un quartet. Cela se concrétisera progressivement en fonction des opportunités et des idées de développement.


SITE INTERNET:
https://thibaudmennillo.com

CHAÎNE YOUTUBE:
DISCOGRAPHIE:
2022. Thibaud Mennillo, Quintes et Sens, Jazz Family 085
2022. Thibaud Mennillo, Quintes et Sens, Jazz Family

*