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Alexis Tcholakian, Sunside, Paris, 2010 © Philippe Marchin, by courtesy
Alexis Tcholakian, Sunside, Paris, 2010 © Philippe Marchin, by courtesy


Alexis TCHOLAKIAN

Lush Life

 
2021. Alexis Tcholakian, Together Alone, autoproduit


Alexis Tcholakian est né le 12 juillet 1969 à Paris. Pianiste au phrasé subtil et mélodieux, il publie un bel album en piano solo, Together Alone, constitué de compositions du jazz (Steve Kuhn, Fred Hersch, Richie Beirach, Kenny Kirkland…) et de quelques originaux. Un disque qu’il ne présentera pas sur scène, en raison de son refus de jouer devant un public soumis à l’obligation de présenter un pass sanitaire, outil de contrôle social imposé en France –comme dans d’autres pays dans le monde occidental– depuis l'été 2021 en festivals, clubs et salles de spectacles. Peu nombreuses ont été les voix dans le monde des arts et du spectacle sous perfusion de subventions d'Etat, comme le reste de l'économie nationale depuis le début de la crisequi se sont élevées contre cette mesure liberticide qui rompt avec le principe d'égalité constitutionnel et au fronton de la République pour ceux qui contribuent également à ces subventions, c'est-à-dire 100% des citoyens.
Alexis Tcholakian fait partie de dissidents qui refusent, et il en tire courageusement les conséquences, notamment économiques, qui le contraignent à reporter l’édition sur support physique de son disque, en se mettant en retrait de la scène. Jazz Hot se fait un devoir autant qu'un plaisir sur le plan musical de vous permettre de mieux connaître un musicien de talent, de jazz jusqu'au bout de ses doigts et au fond de son cœur, ce qui allait de soi jusqu'à cette période de covid et sa gestion par les pouvoirs, malfaisante pour le jazz comme pour l'humanité.

Propos recueillis par Jérôme Partage
Photos: Gilles Debeurme by courtesy, Philippe Marchin by courtesy,
Collection Alexis Tcholakian by courtesy


© Jazz Hot 2021


Alexis Tcholakian au piano vers 8-9 ans © Collection Alexis Tcholakian, by courtesy





Alexis Tcholakian au piano vers 8-9 ans

© Collection Alexis Tcholakian, by courtesy




Jazz Hot: Quelle est votre formation de pianiste?

 

Alexis Tcholakian: J'ai démarré le piano à 7 ans avec une professeure de piano et concertiste classique, jusqu'à mes 15 ans. Les grands compositeurs classiques ont baigné mon enfance: Jean-Sébastien Bach était celui que je préférais. A 14 ans, au début de ma crise d'adolescence, j'ai alors découvert les Pink Floyd, les Beatles, les Stray Cats, Genesis… Puis, j'ai commencé à jouer des musiques comme le rock, le reggae, le hard-rock, le jazz-rock… et très vite j'ai été totalement happé par Weather Report, Miles Davis, Steps Ahead, les Brecker Brothers, Return to Forever… J'ai rapidement compris que tous ces grands musiciens étaient avant tout des jazzmen, et j'ai du coup commencé à détricoter le fil de l'histoire pour remonter progressivement jusqu'aux origines.

 

Comment avez-vous cheminé jusqu’au jazz?

 

J'ai eu une adolescence parisienne, dans le XIXe arrondissement, dédiée à la musique et à la débauche avec les amis. «Lush Life»! A 16 ans, j'ai su clairement que ma vie devait aller dans cette direction, j'ai quitté alors l'absurde système scolaire pour me consacrer entièrement à la musique. A cette époque, j'habitais seul dans une chambre de bonne, tout en mettant tous les soirs les pieds sous la table de chez mes parents, et j'ai alors commencé à travailler six à dix heures par jour, plus trois ou quatre nuits par semaine à jammer et jouer au ping-pong au studio BMT situé au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis). J'y ai croisé un tas de groupes comme les Neg Marrons, Les Garçons Bouchers... et je jouais tous les genres de musique qui se présentaient à moi. C’est alors qu’avec des amis j'ai monté No Smoking, mon premier groupe de compositions influencées par Serge Gainsbourg, Genesis, Pink Floyd... Ma découverte du jazz n’est réellement intervenue que deux années plus tard, à 18 ans, quand j'ai reçu deux de mes plus grands chocs musicaux avec Bill Evans et Charlie Parker. Ça a décidé de la suite.

 

A 20 ans, vous êtes parti étudier au Berklee College of Music. Qu’avez-vous retiré de cette expérience?

 

De 18 à 19 ans j’ai pris des cours d'harmonie et d'arrangement avec le guitariste et arrangeur Manu Pekar. Il était diplômé de Berklee et m’a incité à m'y rendre. J’ai rempli le formulaire, en y joignant une partition originale et l'enregistrement sur une cassette. En retour, grâce à une bonne bourse d'étude annuelle offerte par Berklee, j’ai pu partir. Sans cela, les cours étant très chers et ma famille peu fortunée, je n'aurais pas pu y aller. Le lendemain de mon arrivée, un meurtre raciste s’est déroulé en bas de chez moi à Newburry Street. Le Boston de 1990 n'était pas vraiment sûr: je me souviens qu'il fallait éviter de se balader seul après 22h… Le décor était planté, et j'avoue ne pas l’avoir vraiment apprécié. Je n'ai passé là-bas qu'un semestre car je ne m'y sentais pas très bien, et j'ai profité de la pause de l'été pour revenir à Paris. Après, je ne voulais vraiment plus y retourner, d’autant que je n'ai jamais aimé les structures éducatives en tant qu'élève. J'ai préféré aller prendre des cours à Courbevoie, bien plus près de chez moi, avec un ami de Bill Evans et de Michel Petrucciani, le grand maître en harmonie Bernard Maury. Je retiens donc surtout de cette expérience mon immaturité psychologique du moment m’empêchant de m'adapter au contexte ainsi que l'insouciance de mes 20 ans. Mais aussi quelques chouettes rencontres, bien sûr.

 

Lesquelles?

 

J'ai croisé Kurt Rosenwinkel, Joshua Redman, Mark Turner, Danilo Perez –avec qui j'ai pris un cours marquant–, Geoff Keezer, Antonio Hart, Jorge Rossi, Seamus Blake… et plein d'autres magnifiques musiciens de ma génération. Cet endroit est vraiment de tout temps une pépinière de talents assez exceptionnelle. J'ai pu jammer avec Matthew Garrison (le fils de Jimmy) et écouté quelques concerts incroyables comme ce trio hallucinant, avec deux sax ténors et une batterie, composé de Joshua Redman (il se faisait appeler «Joshua Chedroff» à l'époque), Mark Turner (avec dreadlocks et poncho) et un super batteur canadien, je crois me souvenir, dont j'ai oublié le nom, dans un petit café sur Boylston Street. A part ça, je suis très peu sorti du campus, j'étais là-bas pour travailler et, excepté une date dans la ville et un week-end à la campagne avec un pote guitariste qui s'appelait Pieranunzi (aucun rapport avec Enrico,je crois), je n'ai fait que bosser. Je me souviens aussi de mon prof’ d'arrangement qui était texan, un gros gars sympa’ qui m'aimait bien; il m'a fallu un mois pour commencer à le comprendre tellement son accent était… déroutant! Sinon, de tous les profs que j'ai eus, je retiens essentiellement Christian Jacob, magnifique pianiste, compositeur et arrangeur avec qui j'aurais bien continué à prendre des cours quelques années.


 

Alexis Tcholakian, Sunside, Paris, 2010 © Philippe Marchin, by courtesy




Alexis Tcholakian, Sunside, Paris, 2010

© Philippe Marchin, by courtesy




Le jazz aux Etats-Unis est-il vécu et pratiqué de la même façon qu’en Europe?

 

J'aurais du mal à répondre, car ma courte expérience remonte à trente-deux ans déjà, et je ne suis pas retourné là-bas depuis. Cependant, je pense que la différence se situe surtout dans une forme d'urgence liée à l'histoire, aux racines et, bien sûr, à l'éducation musicale bien plus présente et bien mieux transmise dans la scolarité américaine que dans la scolarité française. Le jazz s'est créé là-bas, dans une urgence sociale, politique, de lutte contre la ségrégation, pour des droits et libertés fondamentales… C'est donc en lien avec leur histoire. En France et en Europe, nous avons des racines et des histoires différentes mais, comme nous y avons ajouté aussi le jazz depuis environ soixante-dix ans, ça commence à être aussi un peu les nôtres.

 

Qu’avez-vous fait à votre retour en France?

 

Je suis rentré l'été 1990, et je suis retourné vivre dans ma chambre de bonne dans le XIXe à Paris, manger de nouveau la bonne cuisine familiale. Autant le jazz est clairement né aux Etats-Unis, autant la cuisine n'y a pas encore fait son apparition (Rires). J'ai alors pris contact avec Bernard Maury et suis allé chez lui une fois par mois prendre quelques miettes de son immense savoir durant deux années. En parallèle, j'ai continué à écrire de la musique, à enseigner le piano et j'ai monté mon premier trio (piano, violoncelle électrique, batterie) dont il reste deux ou trois traces discographiques.

 


Aviez vous un regard différent sur la pratique du jazz en France en revenant des Etats-Unis?

 

Oui, car, comme je le disais, j'ai croisé et entendu de grands musiciens parmi les plus fabuleux, qui ont tous fait parler d'eux depuis, et également car le Berklee College of Music est une énorme structure comme seuls les Américains sont capables d’en créer pour l’enseignement musical. Une forme de démesure en lien avec l'esprit des premiers colons du «Nouveau monde» sûrement! Mais à l'époque, en 1990, il y avait également plein de magnifiques musiciens en France, et ce depuis les années 1930-40 d'ailleurs, sans pour autant jouir de l'arsenal financier et marketing des structures américaines; et c'est d'ailleurs aussi bien comme ça.

 

Quels sont vos pianistes et musiciens de référence?

 

Il y en a énormément. En vrac: Bill Evans, Keith Jarrett, Samson François, Martha Argerich, Vladimir Horowitz, Art Tatum, Bud Powell, Thelonius Monk, Michel Petrucciani, Mulgrew Miller, Hank Jones, Tommy Flanagan, Cedar Walton, Kenny Barron, Enrico Pieranunzi, Winton Kelly, Herbie Hancock, Chick Corea, Kenny Kirkland, Lazar Berman, Lennie Tristano, Phineas Newborn Jr., Tete Montoliu… sans oublier Rachmaninov, Chopin, Liszt, Bach… John Coltrane, Charlie Parker, Charles Mingus, Duke Ellington, Wayne Shorter…

Comment s’est déroulé votre début de carrière?

 

N'ayant jamais pensé en terme de carrière, je ne saurais dire. Elle n'a donc sûrement jamais démarré! (Rires) Mes débuts se sont plutôt bien passés: j'ai sorti mon premier disque à 26 ans –qui a été bien accueilli, au point d'avoir un bel article dans Le Monde, ce qui ne s'est jamais reproduit depuis d'ailleurs! (Rires). Je jouais très régulièrement au Petit-Opportun les cinq dernières années de son existence avec encore à l'époque des concerts sur deux, trois, quatre jours d'affilée, et dans d'autres clubs également. La vie parisienne était encore assez agréable à cette époque-là.

 

Parallèlement, vous avez commencé à enseigner. Qu’est-ce qui vous paraît important de transmettre à vos élèves?

 

En fait, j'ai commencé à donner des leçons de piano à 18 ans, mais je me suis vraiment mis à enseigner sérieusement vers 22-23 ans, notamment quand Bernard Maury m'a demandé d'être l'un de ses assistants à l'Ecole Supérieure de Jazz, à Beaubourg, école qui préfigurait la Bill Evans Piano Academy. J'ai aussi dirigé l'école Paris Jazz School pendant deux ou trois ans, une école de jazz dédiée à la pratique amateur. Je suis très réservé quant aux écoles de formation professionnelle. C’était une belle équipe d'une douzaine de profs dont Jean-Paul Adam (as), Jean-Pierre Thirault (ts), Déborah Tanguy (voc), Joël Bouquet (p), Hugo Lippi (g) et le regretté Claude Mouton (b). Selon moi, ce qui est important à faire passer, c'est trouver son son, son espace, son phrasé… Ce qui suppose qu'une bonne partie de la technique pianistique et de la compréhension harmonique doivent être acquises. Etre en recherche de soi, explorer et découvrir petit à petit, quel que soit le niveau d'ailleurs. Le plus important étant aussi la joie, le plaisir, le désir de jouer au piano, et non pas de jouer du piano, comme disait Samson François, l'un des plus grands poètes de l'instrument.

 

Le trio est votre formation privilégiée…

 

Parce qu'un trilogue est ternaire et crée automatiquement du rebond. Le trio piano-contrebasse-batterie est la formule reine pour un pianiste. Il permet de multiples échanges ainsi qu'une large palette de jeux et une stabilité rythmique pour le soliste. Trois individualités qui s'écoutent et se répondent, avec une liberté qui devient plus restreinte au-delà de trois, font qu'il y a un mouvement circulaire dans lequel il y en a toujours un pour booster les deux autres. Comme le triptyque humain avec le corps, l'esprit et l'âme. Et aussi la Sainte Trinité, le tricycle et la trilogie du Seigneur des Anneaux! (Rires) J'aime également le solo, le duo, le quartet, le quintet… L'espace dans lequel s'inscrit le piano est différent selon la formation.



Alexis Tcholakian (p), Lilian Bencini (b), Cédrick Bec (dm), Petit Duc, Aix-en-Provence, 2017 © Gilles Debeurme, by courtesy
Alexis Tcholakian (p), Lilian Bencini (b), Cédrick Bec (dm), Petit-Duc, Aix-en-Provence, 2017 © Gilles Debeurme, by courtesy

 


Quelle place tiennent les standards et compositions d’autres musiciens dans votre travail?

 

Une place énorme, essentielle et inépuisable. Une source de beauté et d'apprentissage sans fin. Depuis plus d'un siècle, il y a eu tellement de magnifiques morceaux qui ont été écrits qu'il y a d'ailleurs un côté un peu présomptueux à vouloir en écrire soi-même.

 

Votre dernier album, Together Alone, est en piano solo. Comment l’avez-vous préparé, choisi le répertoire?

 

Après avoir enregistré quatorze de mes compositions en trio pour les albums Inner Voice Vol.1 et Vol.2, puis sorti Light Ahead, un live, en deux volumes, en trio, mélangeant des standards, des morceaux de Michel Petrucciani et quelques compositions, je voulais enregistrer un album studio en piano solo et revenir aux inépuisables standardsSearch for Peace, le premier et dernier jusqu'alors, datait de 2005. Chemin faisant, j'ai commencé à ajouter quelques «new standards» de musiciens et compositeurs, essentiellement pianistes, dont la sensibilité est en résonance avec la mienne. Au bout d'un moment, je me suis retrouvé avec 25% de standards et 75% de new standards. Il paraissait évident que le répertoire avait pris naturellement une autre direction; c'étaient ces morceaux-là que je voulais vraiment jouer, c'était cette couleur que j'entendais et qui se mariait clairement avec mes deux dernières compositions. Une fois le répertoire choisi, il a fallu bosser un peu, car plusieurs d'entre eux cachent une complexité harmonique qui demande du travail pour développer des chemins mélodiques intéressants ou au moins cohérents.

 

Qu’est-ce que le jazz pour vous?

 

Il y a de nombreuses années, j'ai répondu à la question «pourquoi le jazz?» pour le webzine DNJ(1), ce qui revient au même, et ma réponse n'a pas varié: «Pour me sentir vivant. La musique est une aspiration métaphysique, elle me permet de fuir momentanément ma condition «d'oiseau mazouté». Le jazz me donne la possibilité –l'illusion?– de lutter contre ce mazout qui me colle aux ailes, et de m'envoler vers des cieux plus cléments, glaner des bribes de liberté! J'ajouterai que le jazz, des work songs en passant par le bebop et le free jazz, est également une revendication sociale et politique. Toute son histoire est faite de luttes, de revendications, de désir de liberté... jusqu'à aujourd'hui où, dans ce contexte totalitaire, il semble qu'une profonde amnésie se soit installée parmi la majorité de ses représentants. Comment auraient réagi Charles Mingus, Max Roach, Abbey Lincoln, Miles Davis et des dizaines d'autres, confrontés à la situation liberticide actuelle?

 

Aujourd’hui vous vivez dans le Var. Pourquoi avoir quitté Paris?

 

Je suis né à Paris, j'y ai vécu quarante-sept ans, puis je me suis installé quatre années à Marseille; je peux donc dire que j'ai une assez longue expérience de la ville et de ses méfaits. Grâce à ma passion, et à mes horaires décalés, j'ai pu me garder un peu à l'écart du stress citadin, surtout parisien, ce qui est déjà pas mal. Depuis longtemps, je pense que les grosses villes sont une aberration pour l'équilibre individuel et collectif, une aliénation pour l'humain alors coupé de sa réelle nature qui est justement la nature. Nous en voyons les effets pervers depuis longtemps, et d'autant plus dans cette période de folie «Covid de sens». Le côté hors sol d'une grande partie des citadins est un gros souci pour eux-mêmes et pour nos sociétés. La crise philosophique, spirituelle, financière et systémique majeure que nous traversons en ce moment est un tournant historique, unique dans l'histoire de l'humanité, à ne surtout pas dénier si l'on veut éviter le transhumanisme qui nous est promis depuis longtemps, et dont l'avènement pourrait voir le jour d'ici quelques années si l'hypnose et la psychose collectives ne prennent pas fin rapidement. Nos pensées créent notre réalité à l'échelle individuelle et aussi, de façon plus complexe, à l'échelle collective. A ce sujet, je conseille notamment de lire Le Grand virage de l'humanité du physicien, ingénieur et expert en intelligence artificielle Philippe Guillemant, et de regarder aussi ses nombreuses conférences et interviews sur le sujet, pour prendre la mesure de la chose, et comprendre qu'un meilleur futur est possible. Un grand virage à bien négocier donc! Sinon, la Provence verte où je vis est, sans exagérer, malgré mes années marseillaises, la plus belle région du monde!

 

Quel est selon vous le poids de votre histoire familiale et de vos origines sur votre façon d’envisager le jazz et dans votre réaction à la situation politique actuelle?

 

J'ai quatre origines différentes identifiées, mais mes origines arméniennes –mon grand-père paternel a fui le génocide de 1915-1916, génocide soutenu et coorganisé par les Allemands en guise de répétition pour le suivant à venir une vingtaine d'années plus tard– sont évidemment remplies de mémoires complexes, récupérées de mes ascendants et jouent sûrement un rôle dans mon grand désir de liberté. Désir de liberté que l'on retrouve dans le jazz et que l'on devrait retrouver également dans la vie personnelle de chacun et dans la vie collective. Ma réaction est assez vive car une dictature mondiale par le contrôle numérique est clairement en route, c'est d'une évidence indiscutable, et la tyrannie croissante étouffe un peu plus chaque jour nos libertés fondamentales. Selon moi, il n'est plus l'heure de minauder et de se satisfaire de son petit égotisme mesquin, mais juste d'y opposer un non ferme et définitif. J'ai lu récemment que le triptyque Liberté-Egalité-Fraternité ne pouvait tenir que grâce à la Fraternité qui permettait les deux autres. Il faut donc le lire de droite à gauche, la Fraternité donne l'Egalité qui à son tour donne la Liberté. Travaillons donc la Fraternité et le reste devrait suivre.

 

Vous avez annoncé l’annulation de vos engagements depuis la mise en place du pass sanitaire: comment cette décision a-t-elle été accueillie dans votre entourage et par les autres musiciens?

 

Effectivement, j'ai déjà annulé des concerts, et je continuerais à en annuler si l'enfer qui nous est promis perdure. Je l'ai dit et je l'ai écrit, je ne jouerai pas pour un public ségrégué par ce pass totalitaire, je ne me compromettrai pas à cautionner le totalitarisme ambiant. Faire des concessions dans la vie est essentiel pour vivre ensemble le plus harmonieusement possible; mais se compromettre est autre chose, ça a trait à notre être profond, à notre conscience, à notre âme. J'ai trop conscience des enjeux actuels et de l'instrumentalisation qui les sert pour faire passer ma petite personne avant les intérêts de l'humanité. En même temps, pour relativiser mon cas par rapport à d'autres, c'est sûrement moins compliqué pour moi, car je ne suis pas connu, je ne suis pas visible médiatiquement, je vis seul, me contente de peu et n'ai économiquement personne à charge… Et j'ai besoin que mes actes soient en adéquation avec ma pensée rationnelle et ma pensée émotionnelle. Mes prises de positions sont donc en cohérence avec ma conscience. De plus, je ne représente un danger pour personne si ce n'est pour moi-même (Rires). Concernant les gens qui me suivent un peu et les amis musiciens, je n'ai eu globalement que des réactions positives. Beaucoup pensent tout bas ce que je me permets d'exprimer tout haut. Bien sûr, il y a toujours des bémols, tout dépend en quelle tonalité se joue la chanson. La plupart me trouvent courageux, alors que ce «courage» n'est qu'un des effets que crée mon positionnement, et d'autres, ceux qui n'ont pas pris la mesure du moment, pensent qu'il serait préférable de jouer le jeu, de biaiser, en attendant que tout ça se tasse –«allez quoi, ne pas être en adéquation avec ses valeurs de vie, c'est pas si grave!». Mais se voiler la face et se réfugier dans le mutisme n'ont jamais rien réglé.



Alexis Tcholakian (p), Claude Mouton (b), Lukmil Perez (dm), Sunside, 2010, Paris © Philippe Marchin, by courtesy
Alexis Tcholakian (p), Claude Mouton (b), Lukmil Perez (dm), Sunside, Paris, 2010 © Philippe Marchin, by courtesy

 


Vous avez relevé la situation de ségrégation créée par ce pass. Comment expliquez-vous que dans sa globalité, le monde du jazz, à Paris comme à New York, où un certificat de vaccination est exigé, s’accommode sans protester, voire avec zèle, de ce type de mesures liberticides, contraires aux valeurs qu’il prétend porter?

 

Je vois plein de raisons: le conformisme; l'égoïsme, la peur de perdre le peu qui a été construit; l'oubli de l'histoire; la couardise; le manque d'intégrité, d'altérité, de philosophie de vie, de spiritualité… L'étroitesse d'esprit; la peur économique; la peur de mourir; la non compréhension du vivant… Les peurs, toujours les peurs. Excepté quelques grands sages, nous en avons tous. L'éveil de la conscience suppose de lâcher ses peurs. Je ne juge personne, chacun fait ce qu'il peut, je ne m’exonère pas non plus de certaines peurs, je déplore seulement la situation. La musique est spirituelle, nous travaillons en résonance avec la matière primordiale, les vibrations et les fréquences qui sont à l'origine de l'univers. Essayons de ne pas trahir notre être profond, utilisons notre libre-arbitre. Je sens que je vais encore me faire des amis (rires)…

 

Si ce pass perdure, comment envisagez-vous la suite?

 

Pour ce qui me concerne, plutôt sereinement. Sans être un grand sage, j'évite le plus possible de vivre dans la peur. La peur n'évite pas le danger, au contraire elle l'attire. Je l'ai appris dans mon enfance. J'ai aussi appris qu’entre autres valeurs, mot désuet, de vie, on ne doit jamais céder au chantage. Donc je profite de l'incroyable beauté de mon lieu de vie, du petit paradis où je vis depuis un an, de mon piano, de mes feux de cheminée, des bons vins de la région, des réunions entre amis, des concerts et jam sessions en circuits parallèles, des échanges fréquents avec ma mère qui est âgée maintenant, et à qui je dois beaucoup, notamment pour la confiance dont elle a toujours fait preuve me concernant, des chants des oiseaux… A 52 ans, sauf à devenir centenaire, la plus grande partie de ma vie est derrière moi et, de façon assez sereine, je n'ai pas vraiment d'attente personnelle pour celle qui me reste à vivre. Me supportant plutôt bien au quotidien et appréciant la solitude, tous ceci me va. Ce qui est, est. En revanche, en ce qui concerne notre avenir commun, je partage l'analyse de plusieurs personnes qui pensent plus loin que le bout de leur nez, qui ne se contentent donc pas de regarder le doigt quand on leur montre la lune, et pensent que ce pass cèdera bientôt la place au marché des objets connectés, puis aux nano technologies intégrées au corps humain, pour en arriver au monstrueux délire mortifère, basé sur le quiproquo du matérialisme et de la non compréhension de la conscience, de l'homme augmenté. La numérisation totale de la société, la dictature numérique mondiale. Le transhumanisme serait alors atteint, et les âmes en seraient affectées très profondément. Quelle tristesse pour l'humanité si cela arrivait. «Le clown, ce n'est pas moi mais cette société monstrueusement cynique et si inconsciemment naïve qui joue le sérieux pour mieux dissimuler sa folie.», disait Salvador Dali.

 


1. Cette interview est reproduite sur le site Piano Bleu: http://www.pianobleu.com/alexis_tcholakian.html




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DISCOGRAPHIE
2017. Alexis Tcholakian Trio, Inner Voice Vol. 1, Studio du Sous-Sol
2017. Alexis Tcholakian Trio, Inner Voice Vol. 1, Studio du Sous-Sol



Leader/coleader

CD 1996. Alexis Tcholakian Trio, Point de Vue, PV 9609

CD 1998. Alexis Tcholakian Trio, Le Songe de l'Athanor, autoproduit AT 9811

CD 2003. Alexis Tcholakian Trio, Hidden Face, Soul Motion 3504

CD 2005. Alexis Tcholakian, Search for Peace, Bad Cat Music 08/1

1996. Alexis Tcholakian Trio, Point de Vue, PV1998. Alexis Tcholakian Trio, Le Songe de l'Athanor, autoproduit2003. Alexis Tcholakian Trio, Hidden Face, Soul Motion2005. Alexis Tcholakian, Search for Peace, Bad Cat Music












CD 2005. Alexis Tcholakian Trio, Masquerades, Gats Prod 022

CD 2009. Alexis Tcholakian Trio, New Breath: Live in Paris, autoproduit

CD 2010. Alexis Tcholakian Trio, Poetic Memory: Live @ The Sunside, Aphrodite Records 106021

CD 2014-15. Ingrid James/Alexis Tcholakian Trio, Trajectoire, Newmarket Studios 3346.2

2005. Alexis Tcholakian Trio, Masquerades, Gats Prod2009. Alexis Tcholakian Trio, New Breath: Live in Paris, autoproduit2010. Alexis Tcholakian Trio, Poetic Memory: Live @ The Sunside, Aphrodite Records2014-15. Ingrid James/Alexis Tcholakian Trio, Trajectoire, Newmarket Studios












CD 2017. Alexis Tcholakian Trio, Inner Voice Vol. 1, Studio du Sous-Sol 001

CD 2017. Alexis Tcholakian Trio, Inner Voice Vol. 2, Studio du Sous-Sol 002

CD 2017. Alexis Tcholakian Trio, Light Ahead: Live @ UGAB Part I, Blue Brain 0421-01

CD 2017. Alexis Tcholakian Trio, Light Ahead: Live @ UGAB Part II, Blue Brain 0421-02

CD 2021. Alexis Tcholakian, Together Alone, autoproduit (disponible en digital, à paraître en CD)

2017. Alexis Tcholakian Trio, Inner Voice Vol. 1, Studio du Sous-Sol2017. Alexis Tcholakian Trio, Inner Voice Vol. 2, Studio du Sous-Sol2017. Alexis Tcholakian Trio, Light Ahead: Live @ UGAB Part I, Blue Brain2021. Alexis Tcholakian, Together Alone, autoproduit






 






Sideman

CD 1998. Virginie Ramirez, Sous le ciel de Paris, Ned Music VR 1731

 
DVD

DVD 2007. Alexis Tcholakian, Self Portrait: Live @ L’Archipel, Bad Cat Music

DVD 2009. Alexis Tcholakian Trio, Play Time, Aphrodite Records 106018-7

2007. Alexis Tcholakian, Self Portrait: Live @ L’Archipel, Bad Cat Music2009. Alexis Tcholakian Trio, Play Time, Aphrodite Records






 










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VIDEOGRAPHIE
par Hélène Sportis

Alexis Tcholakian, Caval’Air Jazz Festival 2019, image extraite de la video YouTube (cliquer sur l'image)
Alexis Tcholakian, Caval’Air Jazz Festival 2019, image extraite de la video YouTube (cliquer sur l'image)


Chaînes YouTube, SoundCloud et site d’Alexis Tcholakian

https://www.youtube.com/c/alexistcholakian/playlists

https://www.youtube.com/channel/UC86S_VftkxXAbNMf7sfsBbA/playlists

https://www.youtube.com/channel/UC0eNHuuFHmwaEbZCpWyqcFg/playlists

https://soundcloud.com/tcholakian-alexis

https://alexistcholakian.wixsite.com/alexis-music/music

 

2010. Alexis Tcholakian Trio, Claude Mouton (b), Thierry Tardieu (dm), DVD Play Time, Aphrodite Records, «You Don't Know What Love Is», «E & Y», 24 janvier

https://www.youtube.com/watch?v=W3ZavUbDaxc

https://www.youtube.com/watch?v=BPOncH3FoCM

 

2014. Alexis Tcholakian Trio, Laurent Camuzat (b), Lukmil Perez (dm), Sunside, Paris, 16 janvier

https://www.youtube.com/watch?v=kwFlxn6EwVY

 

2015. Alexis Tcholakian Trio, Laurent Camuzat (b), Antoine Banville (dm), Sunside, Paris, 20 janvier

https://www.youtube.com/watch?v=8XEQrPaD3F0&list=PLcNE8Qw3dDFRJsPiZWSWH5BcCk2KvYadW&index=5

 

2017. Alexis Tcholakian (p,comp) Trio, Lilian Bencini (b), Cédrick Bec (dm), le Jam, Marseille, 21 décembre

https://www.youtube.com/watch?v=iC1iRFi7dM8&list=PLcNE8Qw3dDFTcb9Cu7pgQPdJ3oQP3LUg0

https://www.youtube.com/watch?v=GKshRijGHS4

 

2018. Alexis Tcholakian (p,comp) Trio, Lilian Bencini (b), Cédrick Bec (dm), présentation de l’album Inner Voice, le Jam, Marseille, 1er juin, ©la seine tv

https://www.youtube.com/watch?v=k3yF5qexy2k

 

2018. Alexis Tcholakian, Max Ionata (ts) Quartet, Sam Favreau (b), Cédrick Bec (dm), le Jam, Marseille, 27 octobre

https://www.youtube.com/watch?v=3KSrF_h-4Is&list=PLcNE8Qw3dDFRMHcf6QUNz4HRY-kRMeqIE

 

2019. Alexis Tcholakian Trio, Christophe Le Van (b), Philippe Le Van (dm), Tribute to Michel Petrucciani, Caval’Air Jazz Festival, Esplanade Ste Estelle, 6 septembre

https://www.youtube.com/watch?v=L3QY1y72vHo

https://www.youtube.com/watch?v=CZoVOC52HVw


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