Connie Han «Southern Rebellion» (Connie Han, CD Crime Zone, Mack Avenue)
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Connie HAN
Connie Han est un miracle comme le jazz en produit souvent car il est généreux, mais un miracle étonne toujours. A seulement 25 ans, et après trois albums parfaitement réussis, conçus avec clairvoyance comme autant d'étapes de son développement artistique, la pianiste et compositrice démontre des qualités d'expression et de virtuosité qui se conjuguent avec une sensibilité intuitive au jazz. Une démarche qui relève d’une personnalité affirmée et d’une maturité précoce. Née dans une famille dévouée à la musique, traditionnelle et classique, dont elle a retenu une grande aisance instrumentale –une main gauche exceptionnelle et un beau toucher–, elle a choisi le jazz, «un art social» comme elle le définit, un langage dont elle a décidé qu'elle pouvait en respecter les fondements sans restreindre sa liberté de création et de femme libre du XXIe siècle. C'est par le regretté Kenny Kirkland (1955-1998), un pianiste de la fin du XXe siècle, qu'est arrivée la révélation de sa passion pour le jazz et, très rapidement, avec le conseil original du batteur Bill Wysaske qu'elle évoque ici, elle a choisi de s'inscrire dans la longue lignée des pianistes du jazz, d’Art Tatum et Mary Lou Williams jusqu'à Mulgrew Miller, Kenny Kirkland et McCoy Tyner, dont elle disait: «il était l’une des dernières légendes vivantes de la mythologie jazz post-bop qui a façonné ma personnalité et mon âme» dans l'hommage paru dans Jazz Hot 2020. Elle entend prolonger le message à sa façon, en s'inspirant notamment des saxophonistes, en composant aussi ou en jouant des standards qu'elle revisite avec originalité. Dans une interview à Brian Pace (cf. vidéographie), elle note qu'«il n’est pas besoin de déconstruire le jazz pour être originale.» Voilà pourquoi il faut écouter Connie Han sans s'appesantir sur une communication qui fait parfois référence à la science-fiction, ou focalise sur sa beauté naturelle comme cela arrive dans le jazz depuis toujours. Car la jeune femme est simplement une artiste bien décidée, et elle semble savoir d'où elle vient et où aller («Je pense dédier le reste de ma vie au jazz», interview déjà citée). On attend la suite avec impatience… Connie Han, de passage à Paris avant le confinement, est une artiste à découvrir (cf. vidéographie). Propos recueillis par Jérôme Partage
images extraites de YouTube Avec nos remerciements
© Jazz Hot 2021
Connie Han: Je
suis est née le 4 février 1996 à Los Angeles, CA. Mon père est originaire de
Shanghaï et ma mère de Taïwan. Je suis donc la première génération de
Sino-Américains. Je ne parle pas le mandarin. D’ailleurs quand je suis au
téléphone, les gens n’imaginent pas que je sois d’origine chinoise. Mes parents
sont tous deux musiciens professionnels et spécialisés dans la musique
traditionnelle chinoise. De plus, ma mère est professeur de piano classique.
C’est elle qui m’a initiée à l’instrument dès l’âge de 5 ans et m’a donné les
bases. J’ai ensuite suivi une formation classique.
Jazz Hot: Vous avez étudié dans
un lycée spécialisé dans les arts. Vous aviez déjà envie d’être musicienne
professionnelle?
Oui. Simplement, je ne savais pas encore que ce serait pour
jouer du jazz. Mes parents m’avaient inscrite dans ce lycée car ils pensaient
que ce serait un environnement stimulant pour moi. Cependant, connaissant les
aléas du métier de musicien, ils m’encourageaient à suivre un cursus plus
conventionnel. Je suis donc entrée à l’université, à 18 ans, dans le but
d’obtenir un diplôme. Mais, au bout de trois semaines, j’ai réalisé que je
voulais me consacrer à la musique à 100%. Etant par ailleurs d’un naturel très
indépendant, j’ai préféré commencer directement à travailler pour gagner ma vie
plutôt que d’entrer dans une école. Ça a d’abord inquiété mes parents, mais
quand ils ont compris que je savais où j’allais, ils m’ont totalement soutenue.
Comment avez-vous
découvert le jazz?
Mon lycée avait un programme jazz de très bon niveau. Et
j’ai commencé à suivre des cours pour débutants, à écouter les grands
classiques qu’on nous recommandait comme Soul
Station d’Hank Mobley ou Kind of Blue
de Miles Davis. J’ai entendu des choses que je n’avais jamais entendues
ailleurs. Mais ce qui m’a vraiment fait basculer dans le jazz c’est le trio de
Kenny Kirkland et sa composition «Chance» avec Chris McBride et Jeff Tain
Watts. Il y avait une telle alchimie, une telle connexion avec le rythme. Je me
suis alors dit: «C’est ce que je veux faire quand je serai grande!» (Rires) J’avais 14 ans.
Bill Wysaske (dm), Ivan Taylor (b), Connie Han (p), studio de WRTI 90.1, Philadelphie, PA, 15 mars 2019,
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C’est dans ce même lycée que vous avez rencontré Bill Wysaske qui était alors votre professeur… Bill est un excellent communicant, et il a des principes pédagogiques pour le jazz très particuliers mais qui devraient être plus largement adoptés. Bien que n’étant pas mon professeur de piano, il était capable de susciter chez moi des idées musicales sophistiquées. C’est une approche qui va à l’encontre des habitudes: généralement, les jeunes pianistes se forment auprès de pianistes plus âgés. Je pense que les jeunes musiciens n’étudient pas assez avec des musiciens jouant d’un autre instrument. Or, c’est ce qui permet d’apprendre à jouer avec les autres, donc d’être musicien de jazz. Bill m’a aidée à développer mon sens du rythme, mon approche des harmonies et à jouer en petite formation. Alors que j’apprenais les changements d’accords, il m’a expliqué que c’était juste une palette de sons, et que tu peux choisir ceux que tu veux du moment que tu respectes les règles fondamentales. Il a été le premier enseignant à me parler comme à une artiste adulte. Cela m’a permis d’explorer la musique d’une façon plus mature que les autres élèves de mon âge. Et de professeur, Bill est devenu mon producteur, mon partenaire, le batteur et le directeur musical de mon trio. Les choses se sont faites progressivement: tout d’abord, il a souhaité produire; ensuite je lui ai proposé de rejoindre mon trio. Les artistes doivent prendre leurs propres décisions, mais je crois que c’est aussi important de prendre conseil auprès de gens plus expérimentés. Cela rend votre musique meilleure. Aujourd’hui, nous travaillons sur un pied d’égalité autant que possible. Nous échangeons nos idées musicales en sachant précisément quel son nous voulons. Nous avons la même source d’inspiration: la génération des «Young Lions» des années 1990 dont le pionnier a été Wynton Marsalis avec Black Codes (Columbia, 1985). Mais aussi le Joe Henderson des années 1960 et le Kenny Garrett des années 1990. Je suis très intéressée par la résurgence de ce qu’on appelle le «néo-bop» et j’ai envie de l’intégrer à ma musique.
Connie Han «A Shade of Jazz» (Joe Henderson)
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Quelles sont vos
principales influences au piano?
McCoy Tyner, Mulgrew Miller et Kenny Kirkland pour ce qui est du piano jazz moderne. Mais j’aime aussi
d’autres styles de pianistes: j’ai beaucoup étudié Hank Jones, qui est l’un des
pianistes les plus complets, ainsi qu’Art Tatum dont j’ai fait beaucoup de
transcriptions. J’ai appris la musique en écoutant et en transcrivant les
solos. Mais au fur et à mesure que je gagne en maturité comme improvisatrice,
j’ai envie de phraser davantage comme un cuivre. De ce fait, j’écoute beaucoup
Joe Henderson, Sonny Rollins et John Coltrane.
Connie Han «Passion Dance» (McCoy Tyner)
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Quand avez-vous
obtenu votre premier engagement professionnel?
A 17 ans, dans un restaurant de Los Angeles. C’est à partir
de là que je me suis vraiment projetée en tant que musicienne professionnelle
et leader. En outre, c’était pour moi le moment d’expérimenter les conséquences
des erreurs que je pouvais commettre. A l’école, les erreurs sont sans
conséquence puisqu’on est en apprentissage. Il s’agissait donc de me
confronter à la réalité, celle du musicien professionnel. C’est pourquoi, mon
passage à l’université, l’année suivante, a été très bref. J’ai alors commencé
à travailler avec Bill sur mon premier album et à jouer dans la région.
Ce premier album
était consacré aux compositions de Richard Rodgers. Pourquoi?
J’avais 19 ans, et je ne me sentais pas encore assez mûre en
tant que compositrice. Par ailleurs, il est important de comprendre et d’apprendre l’American Songbook et en
particulier Richard Rodgers qui en est l’un des plus grands contributeurs.
C’était aussi un challenge d’essayer d’interpréter ce répertoire dans un style
de jazz moderne en réinventant les harmonies, la structure rythmique. Cela
revient d’une certaine façon à composer, et à mettre en valeur ce
patrimoine.
Quelle était votre
inspiration pour le suivant, Crime Zone?
Le titre et le visuel de la pochette sont une référence au
film de science-fiction Blade Runner (Ridley
Scott, 1982). Je ne dirais pas que c’est également le cas pour la musique, mais
pour l’attitude et le style, oui. Consciemment, j’ai choisi de revendiquer une
apparence différente de ce que l’on attend généralement des femmes dans le
jazz. Pourtant le jazz porte dans ses origines quelque chose de sensuel et de
brut. J’ai vu une interview de Hank Jones dans laquelle il racontait que son
père lui demandait de ne pas jouer cette «musique du diable», alors
qu’aujourd’hui le jazz et devenu très convenable. Tant mieux, mais je ne crois
pas pour autant qu’affirmer sa féminité soit un problème. On peut avoir l’air
d’une rock-star et jouer cette musique dans la tradition.
Qu’est-ce que le jazz
pour vous?
Tout en ayant une dimension intellectuelle, il exprime les
instincts primaires humains. Cela vient spécifiquement du rythme et de ses
racines africaines. Il permet d’exprimer ce que vous ne pouvez pas dire avec
des mots: ce que c’est d’être un humain et les relations avec les autres
humains.
Parlez-nous de votre
nouvel album, Iron Starlet…
Il est dans le prolongement du précédent. Il s’agit d’être
moderne en célébrant la tradition. Mais avec encore un peu plus de
maturité.
A 25 ans, vous avez
déjà trois albums en leader à votre actif. Imaginez-vous aussi accompagner des
musiciens sur leurs propres projets?
Absolument! J’espère avoir l’occasion de le faire. Pour
l’instant, je suis concentrée sur mon travail de leader.
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DISCOGRAPHIE
Leader CD 2015. Connie Han Interprets the Richard Rodgers Songbook, autoproduit CD 2018. Connie Han, Crime Zone, Mack Avenue 1140 CD 2019. Connie Han, Iron Starlet, Mack Avenue 1171
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VIDEOGRAPHIE par Hélène Sportis
Connie Han, New York City's Steinway Hall, NY, 2020, image extraite de la vidéo YouTube (cliquer sur l'image)
Chaînes YouTube de Connie Han
https://www.youtube.com/channel/UCZUhzUrX6oXmTKcSu-cMG9w/playlists
https://www.youtube.com/c/ConnieHanJazz/videos
2018. Connie Han, Edwin Livingston (b), Bill Wysaske (dm),
«Grüvy», live at the Dirty Dog Jazz Cafe, Grosse Pointe Farms, MI, 29 septembre
https://www.youtube.com/watch?v=_Ec8fIglwbU
2019. Connie Han, Ivan Taylor (b), Bill Wysaske (dm), Live
from the WRTI 90.1 Performance Studio, 15 mars 2019
https://www.youtube.com/watch?v=wcyleuJt3Dg
2019. Connie Han, interview et musique, The Pace Report live
at the Jazz Standard, New York, NY, Ivan Taylor (b), Bill Wysaske (dm), Brian
Vincent Pace (dir, prod), Outward Media Group
https://www.youtube.com/watch?v=NGknkriZsLw
2020. Connie Han compositrice, Jeremy Pelt (tp), Walter
Smith III (ts), Ivan Taylor (b), Bill Wysaske (dm), «Mr. Dominator», album Iron
Starlet, Mack Avenue Records
https://www.youtube.com/watch?v=FJXTkhwKURw
2020. Connie Han soliste-interprêtre, «Girl Talk», New York
City's Steinway Hall, NY
https://www.youtube.com/watch?v=k3i0-h2c2WY
2020. Connie Han, Ivan Taylor (b), Bill Wysaske (dm), live
at Subculture in Manhattan/NYC Winter Jazzfest, NY, 10 janvier
https://www.youtube.com/watch?v=KeztlazsaFA
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