Roberto Magris © Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Roberto MAGRIS From Trieste to Kansas City
Roberto Magris est né le 19 juin 1959 à Trieste,
port septentrional de l'Adriatique enclavée dans la Slovénie, à la frontière orientale de l’Italie, qui fut sous domination
austro-hongroise jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale où elle devint italienne, avant de passer
trente ans plus tard, sous administration de l'ONU, à l’issue du
second conflit mondial avant de réintégrer l'Italie en 1954, sans son arrière-pays qui resta, par traité, possession de la Yougoslavie en 1977, puis de la Slovénie érigée en République en 1991 après le démantèlement de la Yougoslavie et l’effondrement du bloc communiste en Europe de l’Est et dans les Balkans. On retrouve une tradition du jazz localement à Trieste mais aussi en Slovénie où existait dès l'époque yougoslave, une pratique, des clubs et des festivals de jazz (Ljubljana), sans doute favorisée par la présence alliée à la Libération puis la présence onusienne, anglo-américaine, jusqu'à 1953. L’héritage multiculturel ancestral de Trieste a suscité la curiosité de Roberto Magris dès
son jeune âge, au moment même où, parallèlement, il déchiffrait sur son piano
les disques de Bud Powell. Un intérêt qui explique qu’au
début de sa carrière, il soit allé à la rencontre des jazzmen de
Tchécoslovaquie, Pologne, Roumanie, Allemagne de l’Est, plutôt que vers les
musiciens de Chicago ou de Kansas City, avec lesquels il ne nouera de relation
qu’à compter du milieu des années 2000, avec la rencontre de Paul Collins, activiste du jazz à Kansas City, et la création du label JMood Records
qui édite, depuis, la plupart de ses disques.
Tout le mystère et l'originalité de la personnalité
musicale de Roberto Magris plongent sans doute dans cette richesse multiculturelle, et se trouvent dans sa capacité à assimiler, avec une curiosité en éveil, quelles que soient les époques et les lieux, le
langage du jazz au point de côtoyer avec bonheur quelques-uns des
grands artistes classiques de cette musique –d’Herb Geller et Albert Tootie Heath à Art Davis et Idris Muhammad, en passant par Ira
Sullivan– auxquels il donne la réplique sur plusieurs albums où s’entendent ses
qualités d’expression ancrées dans le swing et le blues, avec une dimension
lyrique toute italienne mais également une culture savante pénétrée de la tradition de ce monde central des Balkans. Sur les terres du jazz, Roberto Magris donne la pleine mesure de son talent, avec ses partenaires américains et européens. Son grand écart réussi entre Trieste et l'Amérique s'explique aussi par une personnalité entreprenante, hyperactive, une mobilité au propre et au figuré, capable de s'adapter à tous les contextes, américains ou du monde au-delà du rideau de fer, comme des cadres les plus informels ou à l'opposé institutionnels pour des projets de commande. Même son détour par l’«acid-jazz» dans les années 1990, se place dans un registre où l'expression, le blues et le swing ont leur place. Le pianiste
a élaboré une discographie quantitativement importante, en leader et coleader seulement, à la hauteur sur le plan qualititatif de ses inspirations, puisées notamment dans le monde post-coltranien, chez McCoy Tyner, Stanley
Cowell, entre beaucoup d'autres, car nul doute que Roberto Magris est attentif aux grands artistes du jazz dans leur ensemble. Egalement compositeur et arrangeur, Roberto Magris construit ainsi une œuvre originale, à cheval entre plusieurs mondes, sans perdre ou galvauder l'esprit de ses inspirations, avec «respect» comme il le souligne.
Propos recueillis par Jérôme Partage
Photos Michele Giotto, H.-J. Marquet, X, Collection Roberto Magris by courtesy Avec nos remerciements
© Jazz Hot 2021
Roberto Magris, sur le piano familial, Noël 1963
© Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Jazz Hot: Comment avez-vous découvert et appris le piano?
Roberto Magris: Mes parents n’étaient pas
musiciens mais ils m’ont offert quelques leçons de piano à titre d’essai. Comme
j’ai eu une réaction positive, ils ont loué un piano sur lequel j’aimais passer
du temps à jouer. J’ai étudié la musique classique pendant de nombreuses
années, puis à l’adolescence, je me suis progressivement tourné vers le rock;
on était alors au début des années 1970. J’aimais particulièrement Santana et
ses albums Welcome et Caravanserai, sans savoir qu’ils avaient
été influencés par Coltrane. Au lycée, j’aimais écouter à la radio le programme
jazz de la RAI présenté par Adriano
Mazzoletti(1). J’étais attiré par le swing et ces accords de piano que je n’avais
jamais entendus auparavant. J’ai été spécialement impressionné par un morceau
que j’avais enregistré lors de cette émission: une version de «Night in
Tunisia» par Bud Powell. Je pouvais jouer le thème d’oreille, mais il m’a fallu
des semaines pour reproduire approximativement les accords. C’est ainsi que
j’ai appris le jazz: en écoutant des centaines d’albums, en transcrivant des
solos et en jouant sur scène lors de jam sessions et de concerts.
Comment était alors la scène jazz de Trieste?
Trieste
possédait une scène jazz du fait qu’avait été créé, après la Seconde Guerre
mondiale, le Territoire libre de Trieste qui est resté sous administration
anglo-américaine jusqu’en 1953. Il est arrivé la même chose à Berlin et à
Vienne. Durant cette période, les troupes américaines basées à Trieste, qui
était la frontière occidentale du monde communiste, ont suscité l’ouverture de
nombreux clubs où jouaient les musiciens locaux auxquels on a demandé
d’assimiler rapidement le langage du jazz qui venait des V-Discs. Ainsi, dans
les années 1950, nous avions à Trieste une première génération de musiciens de
jazz assez bons et modernes, également exercés par les jam sessions avec les
musiciens américains qui servaient dans l’armée: Herbie Mann en fit partie.
Quand j’ai commencé à jouer du jazz, à la fin des années 1970, beaucoup de ces
jazzmen locaux étaient encore là, tandis que le Circolo Triestino del Jazz organisait des concerts dans les théâtres et les clubs. Assez rapidement, je
suis parvenu à intégrer les sections rythmiques d’orchestres qui accompagnaient
des artistes de passage comme Kai Winding, Eddie Lockjaw Davis, Sal Nistico et plusieurs
jazzmen italiens d’importance.
Roberto Magris en 1981 © Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Quelles ont été vos premières influences au piano?
Après mes
premiers essais avec Bud Powell, le premier disque de jazz que j’ai acheté fut The Way I Really Play d’Oscar Peterson.
Et c’est toujours l’un de mes préférés! Cependant, ma véritable influence est
Bobby Timmons (Moanin’, This Here, Dat There, So Tired…)
avec Les McCann, car j’aimais le «soul jazz». Avec mon premier groupe, au lycée,
j’ai étudié et joué les classiques de Charlie Parker quand la plupart des
musiciens en Italie jouaient alors du free. Puis, après avoir écouté Coltrane,
McCoy Tyner est devenu mon héros. Plus tard, j’ai eu une période Monk dont les
accords altérés ont marqué à jamais mon approche du piano. Il y eu aussi Bill
Evans, enfin la découverte d’Andrew Hill qui m’a hypnotisé avec ses
compositions dansantes et sa grande liberté musicale.
Comment avez-vous débuté professionnellement?
En 1977, j’ai
assisté à un séminaire jazz organisé à Venise par Giorgio Gaslini(2) où j’ai
rencontré des musiciens qui m’ont introduit sur la scène de Vénétie. Le Gruppo
Jazz Marca de Trévise, dirigé par le batteur Franco Polisseni, était à la
recherche d’un nouveau pianiste. J’ai eu la chance de l’intégrer et, après les
premières répétitions, la décision a été prise de revenir à une formule trio.
Nous avions des engagements tous les week-ends. Notre inspiration venait en
particulier de deux albums en trio que j’aime toujours écouter aujourd’hui: The Awakening d’Ahmad Jamal et Blues for the Viet Cong de Stanley
Cowell.
Roberto Magris avec Eddie Lockjaw Davis, Trieste, Italie,1984 © Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
La proximité de Trieste avec l’Europe centrale a été
déterminante pour vous…
Comme vous le
savez, Trieste est une ville multilingue et multiculturelle avec un fort
héritage provenant de l’ancien empire austro-hongrois. Durant le lycée, j’ai
adoré creuser cet aspect, et j’ai ressenti une attirance particulière pour la culture
de Vienne, Prague, Budapest, Cracovie et de l’Europe centrale. Je ne comprenais
pas pourquoi, en Italie et généralement en Occident, personne n’accordait de
considération aux cultures des pays de l’Est. Au début des années 1980, j’ai
commencé à m’intéresser de plus en plus à ce qui se passait là-bas, et j’ai
voulu aller voir par moi-même. Après avoir envoyé quelques lettres, j’ai été
invité à participer au Festival de jazz de Prague, en 1984, où j’ai rencontré Frantisek
Uhlir (b) et Pavel Smetacek (cl) avec lesquels je suis resté lié toute ma vie.
Je suis également allé à Budapest où j’ai rencontré Tony Lakatos (s) et Janos
Gonda (p) qui m’avait impressionné avec son mémorable album Sámánének/Shaman Song (Pepita). En 1986, j’ai joué
au Sibiu Jazz Festival en Roumanie (créé en 1975) ainsi qu’au Tonne Jazz Club de Dresde. C’était le seul club qui existait officiellement en RDA à l’époque. J’y suis
d’ailleurs retourné en 2019, et j’ai retrouvé le patron du club, trente-cinq ans
après. C’était assez émouvant… Toujours
est-il que dans ces années 1980, je suis devenu une sorte d’habitué du jazz
au-delà du rideau de fer, particulièrement à Prague. D’un point de vue musical,
je me sentais appartenir à ce courant du jazz d’Europe centrale, assez méconnu
à l’Ouest, et j’essayais d’abolir les frontières. J’étais en phase avec ce jazz, inspiré par Coltrane et l’expérience modale, qui incluait également une
relecture des mélodies du folklore et les influences romantiques. Je pense à la
musique documentée par des labels d’Etat oubliés comme Supraphon, Poljazz,
Hungaroton, Pannonton, Jugoton, Amiga… Quand je rentrais de voyage, j’explorais
cette philosophie musicale avec le Gruppo Jazz Marca (Roberto Magris, Lilli Furlan, Franco Polisseni). L’album Mitteleuropa (Gulliver, 1985) est d’ailleurs tout à fait
représentatif de cette démarche.
En 1987, vous avez fondé votre quartet italien…
Après
l’expérience du Gruppo Jazz Marca –le batteur est mort soudainement–, j’ai
formé mon quartet italien (Marco Castelli ts-ss, Luigi Rossi b, Davide Regazzoni dm) avec une orientation post-coltranienne, straight
modern jazz, travaillant essentiellement sur des compositions originales. Il y
a eu deux versions de ce quartet en vingt ans, séparées par un entracte, ma
période acid jazz, à la suite de laquelle j’ai totalement renouvelé les musiciens.
Le premier quartet m’a aidé à grandir musicalement et professionnellement en
Italie et en Europe. Avec le second quartet, j’ai développé encore davantage ma
carrière internationale avec des tournées en Amérique latine, en Australie, en
Asie, en Chine et en Extrême-Orient. J’ai dû arrêter en raison de mon implication
grandissante dans Europlane et mes voyages aux Etats-Unis.
Cette période acid jazz se situe dans les années
1990 avec la création des groupes DMA Urban Jazz Funk et Alfabeats Nu Jazz. Comment
cela est-il venu?
Avec mon amour
pour le soul jazz est née une passion pour le Hammond B3 (Jimmy Smith, Larry
Young, John Patton, Eddy Louiss…). Quand l’acid jazz l’a remis au goût du
jour, j’ai acheté un Hammond, et j’ai fondé le DMA Urban Jazz Funk qui
comprenait, comme c’était la mode à l’époque, un «gentil» M.C., un rappeur qui
ne délivrait pas un discours négatif mais des textes inspirés du jazz. Avec ce
groupe, je me suis produit dans plusieurs grands festivals de jazz comme ceux de
San Sebastian, Montréal et Du Maurier à Vancouver. Mais après quelques années,
j’en ai eu assez de la musique groovy. J’ai donc remanié la formation qui est
devenue l’Alfabeats Nu Jazz avec une nouvelle direction musicale orientée vers
le jazz progressif, et un retour graduel au piano acoustique. Mais le caractère
mixte de la musique rendait les engagements difficiles à trouver. C’est dommage
car c’est, à mon avis, l’un des meilleurs groupes que j’ai eu en Europe…
Parlez-nous de la création de l’Europlane Orchestra
en 1998.
L’opportunité
s’est présentée en raison de la présence à Trieste du siège de l’Initiative
centre-européenne (CEI, créée en 1989). L’Europlane Orchestra était un ensemble de jazz
«ouvert» rassemblant des musiciens d’Europe de l’Est et de l’Ouest (avec
également quelques invités comme Philip Catherine et Roberto Ottaviano) ce qui
correspondait à la vocation de la CEI d’aider à l’intégration de l’Est avec
l’Ouest. De plus, j’ai eu la chance de renouer avec des amis de vingt ans, de
l’époque du rideau de fer, dans des conditions artistiques complètement
différentes. C’était formidable! J’ai ainsi eu la tâche de composer et
d’arranger un nouveau répertoire, ce qui ne fut pas simple mais pleinement
satisfaisant. J’ai alors beaucoup appris de l’art de l’arrangement. Lorsque les
derniers pays de l’Est ont adhéré à l’Union européenne, quelques années plus
tard, notre mission était terminée et les fonds ont été coupés…
Vous avez tourné en Europe avec Herb Geller. Quand
cela a-t-il commencé?
Nous nous
sommes rencontrés pour la première fois en 2003 –il avait 75 ans– pour
enregistrer l’album Il bello del jazz
(Soul Note), et nous avons continué à jouer ensemble jusqu’à la fin, mais pas
de façon continue en raison de sa santé fragile. Herb Geller était un gentleman, avec un sens de l'humour très vif –il adorait les films de Woody Allen– et il m'a
fait entrer dans son magnifique monde de jazz bâti par Benny Carter,
Strayhorn, Duke, Johnny Hodges, Basie, Al Cohn, Zoot Sims… Il aurait pu défier
Jimmy Rowles sur sa fameuse connaissance des standards et des chansons du
répertoire, et il aimait collectionner toutes sortes de partitions musicales.
Quand je suis venu le chercher à l'aéroport pour la première fois, il m'a
expliqué que devant se limiter à deux bagages à main, l’un était pour le sax
alto et l’autre soit pour le sax soprano, soit pour les partitions… Evidemment,
il avait choisi de prendre un sac plein de partitions. Il aimait presque autant
le jazz que le baseball, et c'était un bon point de départ pour moi, car
j'avais l'habitude de jouer au baseball dans mon adolescence. Avant chacune de
nos réunions pour des concerts, je recevais généralement un appel de sa fille
me prévenant qu'il devait bien manger, et suffisamment, bien dormir, ne pas
faire de voyages pénibles, car il avait alors environ 80 ans. Il aurait
d’ailleurs aussi pu être mon père. Herb était au courant de ces appels. Une
fois à Turin, après le concert, au lieu de venir avec nous au restaurant, il me
dit: «Je me sens un peu fatigué,
peut-être vaut-il mieux que j'aille à l'hôtel pour récupérer et me détendre.» Pensant aux avertissements de sa fille, je l’ai encouragé en ce sens. Le
lendemain, au petit déjeuner, je lui demande s’il s’était bien reposé. Il me
répond avec un grand sourire: «Absolument
parfait! Je n’ai pas du tout dormi, car je devais regarder en streaming les
matchs de baseball de la ligue majeure que je ne pouvais pas manquer. Mais ne
le dis pas à ma fille!».
Roberto Magris avec Herb Geller, Padova Jazz Festival, Italie, 2009 © Michele Giotto, Collection Roberto Magris by courtesy
Que retenez-vous en particulier de votre relation?
Nous avons
enregistré deux albums et donné de nombreux concerts ensemble. Avec lui,
j'aimais jouer d'une manière un peu différente de mon style habituel, plus tournée
vers la tradition, en pensant aux pianistes de la West Coast et même à Teddy
Wilson. Il adorait ça, même quand je ne pouvais pas éviter d’ajouter quelque
chose «out», de temps en temps. Il a joué au sommet jusqu'à la fin, avec
ses phrases bop vibrantes et son ton romantique dans les ballades. Ce fut un
honneur pour moi de passer du temps et de partager la scène avec lui. Herb me
racontait tout le temps des anecdotes sur sa carrière, et il m’a donné beaucoup
de ses partitions anciennes. Il me parlait de la nécessité que des gens comme
moi gardent en vie le jazz –il entendait le jazz «classique». Il craignait que
ces belles musiques et partitions soient oubliées. Il m’a donc confié une sorte
de devoir. De façon surprenante, quelques années plus tard, Art Davis, bien que dans une perspective musicale complètement différente, m’a donné une mission
similaire. J'adore me souvenir des deux!
Roberto Magris (p), Art Davis (b), Tony Lakatos (ss), John Alesi (dm),
Catalina Jazz Club, Los Angeles, CA, 2006 © Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
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Roberto Magris avec Art Davis, Mutual Musicians Foundation, Kansas City, KS, 2007
© Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Comment est né JMood Records…
En 2006, le
promoteur de jazz de Kansas City, Paul Collins, m'a invité à me produire pour la
première fois aux USA, après avoir écouté mon album Check-In (Soul Note) avec Tony Lakatos, qu’il a également fait venir
à Los Angeles, au Catalina Jazz Club et à la Jazz Bakery, avec Art Davis (1934-2007) à la
basse. Les concerts s’étant très bien déroulés, il m'a de nouveau invité à
jouer, cette fois à Kansas City, en trio avec Art Davis, que tout le monde appelait
«Dr. Art», et Jimmy Junebug Jackson (dm). A cette époque, je travaillais avec le
label Soul Note, et j’ai proposé à son propriétaire, Flavio Bonandrini, d’enregistrer
le trio. Du coup, Paul Collins a organisé une session à Kansas City. Mais nous
avons eu une mauvaise surprise: peu après, les labels Black Saint et Soul Note
de Bonandrini ont été rachetés par CAM Jazz qui ne voulait pas de ces bandes(3).
Paul a donc décidé de sortir le disque lui-même et a créé ainsi JMood Records.
Au demeurant, Kansas City Outbound
aurait dû être publié sous le nom d’Art Davis, mais il a souhaité que ce soit
sous le mien, car il m’avait demandé de choisir les titres et que, pour lui, le
leader d’un trio est toujours le pianiste. J’ai sinon une anecdote très drôle à
propos de cet enregistrement: Paul Collins avait réservé le studio pour une
session nocturne afin d’économiser de l’argent. Mais quand nous sommes arrivés
sur place, nous nous sommes aperçus que le piano était désaccordé. J’avais un
vol retour le lendemain, donc impossible de reporter la séance. Le propriétaire
du studio a immédiatement téléphoné à l'accordeur de piano: sa femme a répondu
qu'il était sorti pour prendre des bières avec des amis, mais qu’elle lui
demanderait de rappeler à son retour. Dr. Art, Junebug et moi attendions
affalés sur le canapé, désespérés… Dr. Art, qui était assez énervé, a allumé la
télévision. Juneburg nous a proposé de regarder le dernier Rocky, et on a commencé le film. Pendant
ce temps, l’accordeur est arrivé. Au moment du film où intervient le match
final de Rocky Balboa, Paul Collins est entré et a déclaré: «L’accordeur a terminé son travail, nous
sommes prêts à commencer!». Mais nous avons répondu en chœur: «Ah non, maintenant on veut finir le film!».
Je me souviens encore du visage de Paul retournant dans la cabine du studio et
expliquant à l’ingénieur du son que nous voulions finir de regarder Rocky… Et après que Rocky ait remporté
son dernier match, nous sommes retournés au studio, encore tout émus, et nous
avons réalisé une belle séance!
Roberto Magris avec Paul Collins et Idris Muhammad
Mad Dog Burbank Recording Studio, Los Angeles, CA, 2008
© Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Deux ans après Kansas
City Outbound, vous avez enregistré à Los Angleles, CA, Mating Call avec Idris Muhammad (1939-2014)…
Art Davis souhaitait enregistrer de nouveau avec son ami Idris Muhammad. Ainsi, après Kansas City Outbound, Paul a prévu une
autre session d'enregistrement en trio, mais quelques mois plus tard, Dr. Art
est décédé. Un soir, sa femme l’a trouvé, de retour d’un concert, près de sa
voiture comme endormi sur sa contrebasse. Il avait eu une crise cardiaque. Quant
à Idris, il avait quitté le trio d’Ahmad Jamal, car il n’y trouvait plus sa place
depuis que celui-ci avait ajouté un percussionniste. Quand nous nous sommes
rencontrés à Los Angeles, il ne voulait plus se produire en trio. Notre
décision, à la suite du décès de Dr. Art, d’enregistrer en quintet, lui allait
donc très bien. Le groupe comprenait également les ténors Paul Carr de
Washington, DC, et Michael O'Neill de San Francisco, CA, ainsi que la jeune
bassiste, Elisa Pruett, qui est devenue alors l'un de mes bassistes préférés aux
Etats-Unis. A cette époque, j’écoutais Mating Call de Tadd Dameron et John Coltrane, et j'ai été tellement impressionné par cette
composition hypnotique que j'ai décidé d'essayer un nouvel arrangement, en
ayant également à l'esprit la batterie groovy d'Idris. La veille de
l’enregistrement, nous avons joué à la Jazz Bakery (Santa Monica, CA). Quelques
jours plus tard, au moment de quitter Los Angeles, Idris m'a donné sa carte et
m'a dit: «Appelle-moi chaque fois que tu as besoin d'un batteur.» J'étais
flatté, mais j'ai rapidement répondu: «Même si j'ai un concert en trio?» Et il
a répondu en riant: «Oui, bien sûr!». Malheureusement, nous ne nous sommes par
revus car Idris est mort quelques temps après.
Roberto Magris avec Albert Tootie Heath,
Chapman Recording Studio, Lenaxa, KS, 2009
© Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
En 2009 et 2010, vous avez effectué quatre sessions
en studio avec Albert Tootie Heath…
Paul voulait
produire un album dédié à Lee Morgan, un autre consacré à Elmo Hope et à d’autres
pianistes bebop oubliés, d’autant que Kansas City est la ville de naissance de
Charlie Parker. Il m'a ainsi proposé de travailler sur le choix des morceaux et
les arrangements. Et il a invité Tootie Heath qui avait été, à Philadelphie, un
copain et un partenaire de Lee Morgan. Tootie avait plein d’anecdotes à ce
sujet et, du coup, on a inclus une longue interview sur la dernière piste du CD.
Nous avons enregistré Morgan Rewind: A
Tribute to Lee Morgan Vol. 1 après un concert au Phoenix Jazz Club de
Kansas City, le 14 décembre 2009. Le volume 2 a été gravé le 1er
novembre 2010 avec un groupe complètement
différent constitué d’Elisa Pruett, et deux jeunes musiciens appelés à recevoir
une reconnaissance internationale: Brandon Lee (tp) et Logan Richardson
(as). Quant au One Night in With Hope and More Vol. 1, nous l’avons enregistré le
15 décembre 2009 avec Elisa et Tootie. J’ai adoré passer du temps avec lui.
C’était quelqu’un d’une grande ouverture d’esprit, plein de blagues et de
belles histoires. Et un grand maître de la batterie, bien entendu. Tootie a
demandé, lui aussi, que le premier disque sorte sous mon nom. L’histoire s’est
encore reproduite avec Idris Muhammad, de retour à Los Angeles, et avec le
saxophoniste de Philadelphie Sam Reed. Donc, je peux dire que j'ai gagné «sur
le terrain» le leadership des nombreux projets lancés par le JMood et le rôle
de «directeur musical» du label. Année après année, j’ai sorti dix-huit albums
aux Etats-Unis et, après des premiers disques-hommages (Lee Morgan, Cannonball
Adderley, Elmo Hope, Charlie Parker et les maîtres du bebop de Kansas City),
j’ai commencé à enregistrer ma propre musique, en accord avec mes objectifs
artistiques. Ça a été possible grâce aux retours positifs des critiques
américains.
Comment les sessions étaient-elles organisées? Il
est arrivé, comme avec Tootie Heath, que vous enregistriez plusieurs albums
durant le même séjour à Kansas City!
«La magie est dans la première prise», comme disait Idris. Je conçois une
session d'enregistrement comme un concert joué en studio avec deux ou trois
sets d’environ une heure chacun. Avec trois heures de musique, il arrive qu’un
producteur fasse deux CDs. Il est important de recréer les mêmes conditions
d'un concert live lorsque les musiciens essaient d'être créatifs et prennent des
risques lors de leurs solos. La musique jazz doit être fraîche et improvisée,
en studio aussi. Quant à novembre 2010, nous avons alterné trio et septet en
studio, donc le même jour nous avons enregistré Morgan Rewind: A Tribute to Lee Morgan Vol. 2. Cela s’est
particulièrement bien passé, mais cela n’est pas toujours le cas, bien sûr.
C'était une exception. Quant au troisième album en deux jours, nous avons
profité de l’enregistrement de Cannonball
Funk’n Friends alors que le batteur Alonzo Scooter Powell était en ville.
Il a fait sa carrière dans les studios de Los Angeles et était rentré chez lui
pour rendre visite à sa mère à Kansas City, juste pour quelques jours, en
parfaite coïncidence avec nos séances en studio. Cependant, tout faire en
seulement deux jours a été un tour de force pour moi car il était assez
difficile de garder sa concentration en continu durant tout ce temps.
Roberto Magris avec Sam Reed,
Chapman Recording Studio, Lenaxa, KS, 2011
© Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
En 2011, vous avez enregistré avec Sam Reed(4)…
Tootie avait
mentionné Sam Reed comme un héros du jazz à Philadelphie. Ainsi Paul et moi
nous sommes renseignés sur lui et Paul l’a contacté. En raison de son âge et de
son état de santé, il était resté longtemps en retrait de la scène. Il a
pourtant accepté de venir à Kansas City et de se remettre à la pratique de son
instrument; mais il n’avait pas l’énergie pour s'occuper du programme musical.
Alors, encore une fois… on m'a demandé de m’en charger! Paul a également invité
un jeune tromboniste, Kendall Moore, qui s’est plus tard installé à Houston,
TX, où il est devenu l’un des grands noms de la région. La séance en studio
avec Sam n’a pas été facile car il était épuisé par le voyage, et nous avons dû
fréquemment faire des pauses, ce qui m’a donné l’idée d’utiliser l’orgue
Hammond qui était dans un coin du studio. Cela a donné un bel album groovy,
honnête, qui honore un musicien, Sam Reed, qui mérite d'être reconnu comme
l'une des figures historiques de la scène jazz de Philly.
Roberto Magris avec Ira Sullivan, Criteria Studios, Miami, FL, 2017
© Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Sur Sun Stone
(2017), vous jouez avec des musiciens de Miami, mais également avec Ira Sullivan
(1931-2020) qui lui est un citoyen adoptif de Chicago, bien que né à Washington, DC…
Après le succès
de Live in Miami@The WDNA Jazz Gallery
(2016), on m'a demandé de revenir à Miami pour des concerts et un autre enregistrement.
Paul a décidé de changer de groupe pour y inclure le grand multi-instrumentiste
de Chicago Ira Sullivan, qui vivait à Miami depuis de nombreuses années. Mon
ami Mark Colby (1949-2020), un saxophoniste vivant à Chicago mais ayant vécu à Miami,
était très proche d’Ira qui revenait chaque année dans sa ville natale pour se
produire au légendaire Jazz Showcase de son ami de toujours Joe Segal
(1926-2020). Ira y a joué avec Charlie Parker, Lester Young, Wardell Gray et
Red Rodney, pour ne citer que quelques noms qu'il m'a mentionnés. Ira y a joué aussi
avec Mark, et j'y ai joué également avec Mark, mais pas avec Ira. La connexion
Chicago-Miami-The Jazz Showcase était donc opérante pour nous. Je veux dire
quelques mots sur Mark, qui est mort également en 2020, après avoir lutté contre
une vilaine maladie, que Dieu le bénisse! Il n'était pas très connu en Europe,
même s'il était l’un des ténors les plus respectés au monde. Sans doute parce
qu’il est peu venu en Europe après son installation à Chicago où il enseignait
dans les universités d'Elmhurst et DePaul. Il a été le directeur musical du Maynard
Ferguson Big Band et de Bob James, et il a joué et enregistré avec Phil Woods
et Stan Getz qui était son principal mentor. Quant à Ira, je l'ai rencontré
dans une forme physique et musicale étonnante. C'est un cat à l'ancienne qui peut facilement passer d'un instrument à
l'autre (trompette, saxophones, flûtes, percussions), sans trop se soucier des
partitions et des tonalités. C'était un homme de spiritualité (il m'a donné la copie d'un CD assez
inhabituel du pianiste Scott Earl Holman, He
Will Be Immanuel, basé sur des hymnes religieux et des versets de la Bible,
auquel il avait participé en 2014) et nous nous sommes facilement accordés sur
le concept spirituel de Sun Stone. Du point de vue musical, je me suis
concentré sur un programme bluesy, allant du bop au jazz modal, en hommage à
Ira, retraçant son histoire d'un point de vue stylistique. Ira était tellement
content de ce projet qu'au cours de la session il a surgi pour proposer
d'essayer un moment «free jazz» sur «Amazing Grace», hors programme convenu.
C'était tellement drôle! J'étais prêt à le faire, mais Paul nous a arrêtés… car
le temps de studio était serré et cher… et Paul est tout sauf un amateur de free…
Quel dommage! Malheureusement, je n’aurai plus l’occasion d'essayer de nouveau
du free jazz avec Ira.
Comment avez-vous réparti votre temps entre
l’Europe et les Etats-Unis jusqu’en 2019?
Quand j'ai
commencé ma collaboration avec Paul Collins en 2006, j’avais de bonnes
relations avec les ambassades italiennes et les instituts culturels opérant à
l'étranger, donc, outre l’Italie, je me produisais dans différents endroits en
Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud. Mais il devenait de plus en
plus difficile de continuer alors que l’essentiel de mes projets se passaient
aux Etats-Unis, vivant successivement à Los Angeles, Kansas City, Miami puis
Chicago. En 2016, j'ai eu la surprise de recevoir une offre de mon vieil ami
Frantisek Uhlir pour monter un trio basé à Prague, comprenant également une
autre ancienne connaissance, le batteur Jaromir Helesic: le MUH Trio,
l'acronyme de Magris/Uhlir/Helesic. Frantisek a proposé de s'occuper de la
promotion des concerts, ainsi entre 2016 et 2019, j'ai coordonné mes activités
aux Etats-Unis avec les tournées de concerts saisonnières du MUH Trio en
Europe. Jusqu'à présent, nous avons joué plus d'une centaine de concerts en
Europe centrale, et nous avons également enregistré deux albums, Prague After Dark (2016) et A Step Into Dark (2019). J'ai un lien
particulier avec Prague, où j'ai commencé à donner des concerts dans les années
1980, à l'époque du rideau de fer, et que je considère comme une deuxième maison.
Idem pour Cracovie, où j'ai joué plusieurs fois au fil des ans, et où j'ai de
très bons amis; l'un d'eux est le regretté saxophoniste Janusz Muniak(5).
Roberto Magris avec le MUH Trio: Frantisek Uhlir (b) et Jaromir Helesic (dm),
IG Jazz, Freiberg, Allemagne, 2019 © H.-J. Marquet, Collection Roberto Magris by courtesy
Ressentez-vous une différence lorsque vous jouez
avec des musiciens américains et des musiciens d’Europe centrale?
Le jazz est
comme un langage, avec ses règles et ses particularités. Une fois que vous
l'avez appris, vous pouvez parler avec les autres, où que vous soyez dans le
monde. Bien sûr, le contenu de ce que vous dites est important. Les musiciens
de jazz sont des individus: chacun avec leur propre type et niveau de
créativité, de culture, d'art et de spiritualité. De même, comptent aussi la
scène jazz et la société dont viennent chacun d’eux. Bien sûr, les grands
maîtres du jazz sont pour la plupart des Afro-Américains, mais la scène jazz
européenne aussi, dans sa variété, a apporté une grande contribution au jazz. Comme
vous êtes français, on peut citer les exemples de Stéphane Grappelli, Jean-Luc Ponty,
Martial Solal ou Michel Petrucciani, qui ont pu être de grands musiciens de
jazz sans perdre leur identité européenne. D'un autre côté, si vous écoutez Weather
Report ou le Cannonball Adderley Quintet avec Joe Zawinul, vous ne devinerez
jamais que le pianiste est un Européen né à Vienne. Donc, je pense que
l'individualité, ce que vous avez dans votre propre bagage, prévaut sur les
conditions extérieures. Quant à moi, j'ai mes goûts et mon sens du jazz mais
j'essaie de les adapter aux différentes circonstances musicales lorsque je joue
aux USA ou en Europe. C’est toujours ma musique, mais mon son est légèrement
différent à cause du contexte et des musiciens impliqués. En tous cas, où que
je sois, je n'oublie jamais la tradition du jazz afro-américain ni que je suis
un musicien de jazz européen et, surtout, je me demande depuis toujours si je
peux trouver la musique que j’aime dans celle que je joue.
Les règles et
les particularités du langage jazz continuent d’évoluer à partir de la
tradition établie par les maîtres. La question n’est donc pas ce que vous jouez
(standards ou originaux) mais comment vous le jouez, quel langage vous utilisez
et en quoi cela s’inscrit dans l’histoire du jazz. Aujourd'hui, on appelle «jazz» certaines
musiques qui ne comportent aucun élément provenant de Duke, Monk, Mingus,
Coltrane, Ornette, ni aucune trace de blues ou aucune sorte de rythme lié
au rythme afro-américain, de Baby Dodds à Sonny Murray en passant par Milford
Graves. Donc c'est une grande confusion, surtout pour les jeunes qui
aimeraient aborder notre musique pour la première fois. Quand j'étais jeune, je
jouais de la musique classique, et je pouvais clairement faire la différence
entre le classique et le rock. Ça peut être intéressant de tout
mélanger, si cela a du sens artistiquement, musicalement, commercialement… Mais
je pense que le langage du jazz doit être appris, parlé et compris par les musiciens
qui se présentent comme des musiciens de jazz. Sinon, je suis désolé de dire,
il s’agit alors de fake news et cela arrive de plus en plus fréquemment.
Roberto Magris (p), Eric Hochberg (b), Mark Colby (ts), Eric Jacobson (tp), Greg Artry (dm), P.J. Aubree Collins (voc),
Joe Segal's Jazz Showcase, Chicago, IL, 2018 © Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Et l’acid jazz…
En fait, je
n'ai jamais cessé d'utiliser un langage jazz (phrasé jazz, harmonies jazz,
blues et formation dans la tradition jazz) durant cette période. J’ai été aidé
en cela par les nombreuses références aux organistes de jazz, ma passion pour
le jazz soul, Bobby Timmons, Les McCann, etc. Ainsi, je ne me suis jamais senti loin du jazz. Au contraire, j'ai continué à le jouer dans un
environnement musical différent –l’acid jazz peut swinguer– et cette expérience
n'a jamais été en conflit avec mon feeling musical et le fait d’être un
pianiste de jazz straight ahead. J'ai eu la chance de creuser davantage
quelques instruments électriques (Fender Rhodes, Hammond, claviers) et
d'apprendre quelque chose sur le groove; pour être tout à fait honnête, j'ai commencé en pensant aux groupes
de Cannonball Adderley. C'était une expérience
musicale pleine de fraîcheur: les gens dansaient sur notre musique, ce qui est
très inhabituel pour moi!
Pourquoi ne pas avoir sorti d’album à l’orgue dans
l’esprit Les McCann, Brother Jack McDuff ou Richard Groove Holmes?
Mon problème
est que je n'ai jamais eu d'instrument Hammond B3 à la maison, pour profiter,
pratiquer, expérimenter. Avec mon groupe d'acid jazz, j'ai utilisé un simple clavier
Hammond d'origine et quelques claviers supplémentaires, car c'était beaucoup
plus simple pour les déplacements et les balances sur scène. Le studio de
Kansas City possédait un vrai Hammond B3, donc je peux dire que j'ai appris un
peu à en jouer quand j'ai pu y passer du temps. C'est un instrument tellement
gros et lourd; en plus, c'est un ampli... assez compliqué. J’imagine que la
plupart des organistes étaient en résidence dans des clubs spécifiques, car c’est
un instrument difficile à faire circuler. Du coup, mon clavier Hammond, qui a
le même son, est très correct, mais il est limité dans l'éventail des
possibilités pour le jazz pur. La mauvaise nouvelle, c'est que Paul m'a dit que
le studio d'enregistrement de Kansas City a fermé entre-temps –effet Covid?. De toute façon, il va falloir en trouver un autre. S'il a un Hammond B3 à
l'intérieur, cela pourrait être une bonne première étape pour essayer un album
de jazz d'orgue à l'avenir. Oui, j'adorerais!
Comment choisissez-vous les musiciens qui vous
accompagnent sur les sessions aux Etats-Unis? S’agit-il de suggestions de la
part de Paul Collins?
Oui, Paul me
fait des propositions et nous choisissons ensemble. Nous avons des musiciens de
Kansas City, Miami et Chicago qui font partie de la «JMood Team», et que nous
«employons» selon diverses combinaisons. Pour autant, cette équipe est toujours
ouverte à de nouveaux venus, notamment les jeunes musiciens que Paul aime
garder sous son radar.
Paul Collins et Roberto Magris, Chicago, IL, 2018 © Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Comment le
catalogue de JMood s’est-il constitué?
Le catalogue
est le reflet de l’activité de Paul comme promoteur de concerts. Il s’est construit
projet après projet, année après année. Il n'y avait pas de plan initial prévoyant
que je serais le principal artiste du label, cela s’est trouvé en raison des
circonstances que j’ai évoquées. Pour ce qui est de l’avenir, Paul réfléchit à
basculer progressivement vers des sorties uniquement en numérique, comprenant
également des singles et des EP, en particulier pour les jeunes artistes
émergents. Aux Etats-Unis, la tendance est à la disparition du disque physique qui, à terme, risque d’être réservé aux collectionneurs… lorsqu’il est
disponible. Quelle tristesse de mon point de vue! On constate également que les
jeunes artistes de pop et de rap vivent principalement de leurs concerts, dont
les places sont vendues le plus cher possible, car les revenus provenant du
téléchargement et du streaming ne sont que résiduels. Il est difficile de dire
comment le jazz sera affecté par cette tendance. Quant à moi, je ne peux
accepter que mes prochains albums ne sortent qu’au format digital. On verra…
d’autant que la pandémie pourrait encore modifier la donne.
Votre jeu est très ancré dans le blues. Comment
l’expliquez-vous? De même, on entend vos proximités avec votre «héros» McCoy
Tyner…
Ma femme
plaisante en disant que dans une vie antérieure, je devais être un musicien noir
de Kansas City… Simplement, je me suis senti bien avec le blues. En outre, j’ai
écouté de nombreux musiciens grâce auxquels j’ai appris à consolider cet esprit, à
commencer par Bobby Timmons, Les McCann et Horace Silver, puis Wynton Kelly,
Tommy Flanagan, Oscar Peterson, Monk, Randy Weston et bien d’autres. Mais
sinon, oui, mon héros, c’est McCoy Tyner! Non seulement pour son style de piano,
blues inclus, mais aussi parce que sa façon de jouer et sa musique ont toujours
eu un effet positif sur moi, délivrant un message d'amour, de paix et de
spiritualité. Il est dans la lumière avec sa musique et représente pour moi
l'un des meilleurs exemples de musiciens de jazz cherchant et trouvant une
beauté positive dans sa musique, sa façon de jouer et, last but not least, dans sa façon d’être en public. Bien sûr, pour
l'histoire, son nom restera à jamais lié à Coltrane, mais il ne faut pas
oublier qu'il a su le quitter lorsque sa direction a changé. J'en ai aussi
parlé avec Art Davis. Le choix de Tyner a été de suivre son propre chemin, en
développant son concept de beauté spirituelle, issu de son humanité positive.
Une fois, il y a de nombreuses années, je me suis produit dans un festival
juste avant son trio, mais j'étais trop timide et respectueux pour l'approcher
dans les coulisses. Le respect est un mot important, dans le jazz aussi.
Dans les notes du livret de Suite! (2018), vous laissez entendre que ce disque est une sorte de
manifeste. En quoi?
Toute ma vie
musicale j'ai voulu faire un album comme celui-ci et, enfin, quand j'ai eu le
sentiment que j'étais prêt, je l'ai fait. Outre la musique, ce disque a une dimension spirituelle et sociale avec en partie des textes récités et des
paroles sur les musiques. La plupart des thèmes sont des originaux, mais j'ai
également inclus des chansons de King Crimson, Santana, John Lennon et quelques
standards du jazz avec de nouveaux arrangements. Pour autant, ces deux CDs
n’ont rien d’étrange ou de sournoisement «tendance»: il s’agit juste d’un album
de jazz moderne joué avec amour et inspiration, comme un résumé de ma carrière.
Roberto Magris avec Mark Colby,
Transient Recording Studio, Chicago, IL, 2019 © Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Avez-vous des enregistrements en réserve non encore
publiés par JMood?
Après la sortie
de Shuffling Ivories cette année, qui
est un duo avec Eric Hochberg (b) en hommage à la tradition du jazz afro-américain, d'Eubie Blake à Andrew
Hill, nous prévoyons de sortir en 2022 l’album Match Point que j’ai enregistré en 2018, à Miami, avec un quartet
latin comprenant Alfredo Chacon au vibraphone et aux congas (Dion Kerr, b et Rodolfo Zuniga, dm). J’ai deux autres
disques en réserve: l’un enregistré en duo à Chicago avec le regretté Mark Colby et l’autre
intitulé High Quote, que j’ai gravé à
Kansas City en 2012 –mais qui avait été laissé de côté– avec un «small big band», sur un programme
inspiré par Oliver Nelson et Gerald Wilson.
Votre discographie ne semble pas comporter
d’albums en sideman. Vous n’avez donc enregistré qu’en leader ou
coleader?
Je n'y ai
jamais pensé auparavant, car j'ai joué des centaines de concerts en tant que
sideman, en club, avec plein de musiciens différents, mais c'est drôle à dire,
vous avez tout à fait raison: je n'ai encore jamais fait partie du groupe
d’un autre musicien qui aurait réalisé une session en studio. Ça ne s’est
simplement pas produit.
Vous avez donné un concert en hommage à Jay McShann (1916-2006), à Kansas City. L'aviez-vous rencontré?
Non. Je devais le rencontrer
à Kansas City et recevoir des partitions originales de sa part, mais
il est décédé peu avant. J’ai donné un
concert en sa mémoire le 1er juillet 2007, dans la Blue Room de l’American
Jazz Museum de Kansas City et, le même jour, le maire m’a fait citoyen d’honneur
de la ville. Avant le concert, la fille de Jay McShann m’avait invité chez son père
pour prendre un café, jouer sur son piano et m’offrir quelques partitions
écrites de sa main. Le lendemain, j’ai rencontré son petit-fils dans un café pour
parler des archives de son grand-père, dont certaines remontent à Charlie Parker, et
qui restaient à organiser. Mais il venait de rentrer d’Irak, où il avait servi
comme soldat volontaire, et il était encore sous le choc. Il a commencé à me
raconter ce traumatisme… J’ai essayé de replacer la conversation sur Jay
McShann, mais c’était impossible… Ce fut pourtant une belle rencontre, et
comme je venais de composer un nouveau morceau, une sorte de blues un peu oriental,
je l’ai appelé «Iraq Blues»! Je me suis alors posé la question de le jouer à l’American
Jazz Museum. L’idée amusait beaucoup Dr. Art mais pas du tout Paul… Je me suis
dégonflé, et j’ai annoncé au public le titre «Oriental Blues» et Dr. Art a lancé
en rigolant: «Je ne connais pas ce
morceau, tu veux jouer autre chose?». Le concert d’après, j’ai enfin osé
annoncer le véritable titre, et tout s’est bien passé. Depuis j’ai enregistré cet «Iraq Blues» plusieurs fois, et je suis toujours parvenu à repartir des Etats-Unis
sans problème! (Rires)
le petit-fils et la fille de Jay McShann, Roberto Magris et Paul Collins, American Jazz Museum, Kansas City, KS, 2007 © Photo X, Collection Roberto Magris by courtesy
Comment vivez-vous la crise du Covid-19?
Things ain’t what they used to be… J'ai peur que nous soyons encore
au milieu de la troisième guerre mondiale, et je ne me sens pas encore prêt à
planifier mes futures activités musicales. J'ai reçu une invitation d’un
festival de jazz en Israël cet été que j'espère pouvoir concrétiser. Le jazz
est né dans des petits clubs où les musiciens font face aux auditeurs. J'aime, et j'ai absolument besoin pour ma musique de cette dimension. Je n'aime pas
jouer en streaming dans une pièce vide ni pour un nombre limité de personnes
assises séparément, une chaise devant l'autre. Donc, si quelqu'un m'appelle
dans les prochains mois, je viendrai, mais je suis prêt à rester en retrait jusqu'à
la «nouvelle Renaissance». Nul doute que cela viendra, et tant que mes
enregistrements réalisés continueront à sortir, je creuserai la musique
que j'aime. Je vais essayer quelque chose de différent, de me préparer pour
pour le nouvel «après-guerre». J'espère confronter mon expérience et mes
connaissances musicales avec les nouveaux venus et être prêt à témoigner du
monde jazz d'où je viens aux jeunes musiciens, comme l’ont fait pour moi Herb
Geller et Art Davis. J'aime beaucoup ce que Gil Evans a fait dans les dernières
années de sa carrière. Bien sûr, je ne me sens pas si vieux à 62 ans, mais je
pense que cette pandémie est un avertissement pour notre société. Il y aura un
avant et un après.
1. Adriano Mazzoletti (Genova, 1935) est un journaliste, homme de radio et de télévision, producteur de disques et auteur de plusieurs ouvrages sur le jazz (Quarant'anni di jazz in Italia, 1965; Eddie Lang, 1997; Il jazz in Italia, 2 volumes, 2004-2010), d'un dictionnaire du jazz. Il a dirigé une encyclopédie du jazz, créé et animé plusieurs programmes sur le jazz à la RAI. 2. Giorgio Gaslini (Milan 1929-Borgo Val di Toro, 2014) est un pianiste et compositeur. Il a notamment accompagné Don Cherry, Gato Barbieri, Jean-Luc Ponty, Roswell Rudd, Max Roach. il est l'auteur de la musique du film La Notte de Michelangelo Antonioni (1961), et il a transposé la musique d'Albert Ayler et Sun Ra pour piano. Auteur de musique classique et contemporaine (opéras, symphonies) dès les années 1970, il a aussi composé pour l'Italian Instabile orchestra de Carlo Actis Dato. 3. Cam jazz est un label italien créé en 2000, qui a racheté les labels Soul Note et Black Saint, et qui propose à son catalogue Marc Johnson, Kenny Wheeler, Joey Baron, Dave Douglas, Martial Solal, Enrico Rava, une vision moins hot et ouverte du jazz, loin de l'esprit de ce que furent Soul Note et Black Saint de Flavio Bonandrini. 4. Sam Reed est né à Kingstree, SC,.en 1935, comme Albert Tootie Heath qui lui est originaire de Philadelphie. 5. Janusz Muniak (Cracovie, 1941-2016) est un saxophoniste ténor qui a joué avec Tomasz Stańko (tp) et avait ouvert, en 1992, un club de jazz à Cracovie.
ROBERTO MAGRIS & JAZZ HOT (chroniques de disques): 621-2005, 650-2009, 656-2011, 657-2011 (2 chroniques), 670-2014, 673-2015, 682-2017 (2 chroniques), 686-2018, Jazz Hot 2019, Jazz Hot 2021 (3 chroniques)
SITE INTERNET DE JMOOD RECORDS: https://jmoodrecords.com
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DISCOGRAPHIE
2018. Roberto Magris, Suite!, JMood
Leader/coleader
LP 1981. Gruppo Jazz Marca, Comunicazione
Sonora, International Audio Film 6001 (=CD Arision 018)
LP 1982. Gruppo Jazz Marca, Aria di Città, International
Audio Film 6002 (=CD Arision 045)
CD 1985. Gruppo
Jazz Marca, Mitteleuropa, International Audio Film 6003
CD 1990.
Roberto Magris Israsextet, Live in Israel, Jazzis 1012
CD 1990.
Roberto Magris & The D.I. Project, Music of Today, Splasc(H) 355-2
CD 1994.
Roberto Magris Quartet, Maliblues, MAP 0103
CD 1997. DMA,
Urban Jazz Funk, Tring 019
CD 1998.
Europlane Orchestra, Live at Zoo Est, Zoo Est 101 CD 1999.
Europlane Orchestra, Plays Kurt Weill, Pull 2208
CD 2001-03. Roberto
Magris & The Europlane Orchestra, Current Views, Soul Note 121425
CD 2003. Roberto
Magris Europlane, Il bello del jazz, Soul Note 121395 (avec Herb Geller)
CD 2003. Roberto
Magris Europlane, Check-In, Soul Note 121325 (avec Tony Lakatos)
CD 2003. Roberto Magris 4tet, Live in Melbourne, RSP 2020-4
CD 2005.
Alfabeats Nu Jazz, Stones, Oasis
CD 2007. Roberto
Magris Trio, Kansas City Outbound, PCAMI (avec Art Davis)
CD 2008. Big
Band Ritmo-Sinfonica Città di Verona Plays the Music of Roberto Magris:
Restless Spirits, Velut Luna 175
CD 2008. Roberto
Magris Quintet, Mating Call, JMood 001 (avec Idris Muhammad)
CD 2009. An
Evening with Herb Geller & the Roberto Magris Trio: Live in Europe 2009,
JMood 012
CD 2009. Roberto
Magris Quintet, Morgan Rewind: A Tribute to Lee Morgan Vol. 1, JMood 002 (avec
Albert Tootie Heath)
CD 2009. Roberto
Magris Trio, One Night in With Hope and More Vol. 1, JMood 003 (avec Albert
Tootie Heath)
CD 2009-10. Roberto
Magris Trio, One Night in With Hope and More Vol. 2, JMood 008 (avec Albert
Tootie Heath)
CD 2010. Roberto Magris Septet, Morgan Rewind: A
Tribute to Lee Morgan Vol. 2, JMood 007
CD 2010. Roberto
Magris Quintet, Cannonball Funk'n Friends, JMood 005
CD 2011. Ready
for Reed: Sam Reed Meets Roberto Magris, JMood 006 CD 2011. Roberto Magris Quartet with Voice, Canzoni
Italiane in Jazz, Pop-EyeCD 2012. Roberto
Magris Space Trek, Aliens in a Bebop Planet, JMood 004
CD 2013. Roberto
Magris, Enigmatix, JMood 010
CD 2013-14. Roberto
Magris, Need to Bring Out Love, JMood 013
CD 2015-16. Roberto
Magris, World Gardens, JMood 016
CD 2016. Roberto
Magris Sextet, Live in Miami@the WDNA Jazz Gallery, JMood 014
CD 2016. The
MUH Trio, Prague After Dark, JMood 015
CD 2017. Roberto
Magris Sextet, Sun Stone, JMood 017 (avec Ira Sullivan)
CD 2018. Roberto
Magris, Suite!, JMood 018
CD 2019. The
MUH Trio, A Step Into Light, JMood 020
CD 2019.
Roberto Magris & Eric Hochberg, Shuffling Ivories, JMood 021
*
VIDEOGRAPHIE par Hélène Sportis
Roberto Magris, image extraite de la video YouTube (cliquer sur l'image)
Chaîne YouTube
Roberto Magris
https://www.youtube.com/channel/UC4YaHDxSYZP1txSRr5YP6bQ
https://www.youtube.com/user/scheckkl5/videos
dont la série
piano solo: «Jazz From the Lockdown», 2020-2021
1981. Gruppo
Jazz Marca, Roberto Magris, Franco Testa (b), Franco Polisseni (dm), album Comunicazione Sonora, label
International Audio Film, studio Harmony, Trévise (Vénétie-Italie), 9 mai
https://www.youtube.com/watch?v=KpNA_ImGxyw
https://www.youtube.com/watch?v=i67gB6uR02o
2004. Roberto
Magris, «Una sera a Treviso» (composition Roberto Magris), Big Band
Ritmo-Sinfonica "Città di Verona" et Orchestra Giovanile del Veneto, direction Marco Pasetto, Teatro
Camploy, Verona, Italie, concert de Noël, 22 décembre
https://www.youtube.com/watch?v=bpt65IefZQQ
2007. Roberto
Magris, Art Davis (b), Jimmy "Junebug" Jackson/Zack Albetta (dm), album Kansas City Outbound, Chapman
Recording Studios, Kansas City, MO, vidéo promo PCAMI, 2-3 juillet 2007
https://www.youtube.com/watch?v=ooF_hC5JD9k
2009. Roberto
Magris, Herb Geller/Denis Rakumovic (as), Nikola Matosic (b), Enzo Carpentieri
(dm), live at "Novi Sad Jazz Festival 2009 », Novi Sad, Serbie, 19
novembre
https://www.youtube.com/watch?v=WnZdxuixfgE
https://www.youtube.com/watch?v=jIcdUoDUHjA
2016. Roberto
Magris, Bryan Lynch (tp), Jonathan Gomez (ts), Chuck Bergeron (b), John Yarling
(dm), Murph Aucamp (cga), live at the WDNA Jazz Gallery - 88.9 FM Public Radio,
Miami, FL, et album Roberto Magris Sextet Live in Miami @ The WDNA Jazz
Gallery, label JMood Records, 6 février
https://www.youtube.com/watch?v=_SDhnwVvqeE
https://www.youtube.com/watch?v=jsjDztpOtqc
2016. Roberto
Magris, Nikola Matosic (b), Gasper Bertoncelj (dm), «Song for An African
Child», Cultura Nuova Jazz, Passons (Udine), Italie, 30 juillet
https://www.youtube.com/watch?v=EVw6nnzRWgg
2016. Roberto
Magris, Frantisek Uhlir (b), Jaromir
Helesic (dm), MUH Trio, Jazz Club Reduta, Prague, Tchéquie,13 octobre
https://www.youtube.com/watch?v=RsJU9zJk56U
2017. Roberto
Magris, Frantisek Uhlir (b), Jaromir Helesic (dm), TriesteLovesJazz, 20 juillet
https://www.youtube.com/watch?v=9R8PsXASsY8
2017. Roberto
Magris, Ira Sullivan (ss,fl), Mark Colby (ts), Shareef Clayton (tp), Jamie
Ousley (b), Rodolfo Zuniga (dm), album-titre Sun Stone (composition Roberto
Magris), label JMood Records, Criteria Studios/The Hit Factory, Miami, FL, 7
décembre
https://www.youtube.com/watch?v=Uk4nQcR6m14
https://jmoodrecords.com/sun-stone-roberto-magris-sextet-jm-017
2017. Roberto
Magris, Ira Sullivan (ss), Mark Colby (ts), Shareef Clayton (tp), Jamie Ousley
(b), Rodolfo Zuniga (dm), «Look at the Stars» (composition Roberto Magris) live
at the WDNA Jazz Gallery - 88.9 FM Public Radio, Miami, FL, 8 décembre
https://livestream.com/accounts/14242321/events/7967414/videos/166992818
https://www.youtube.com/watch?v=o3_u7W26h9w
2020. Roberto
Magris, Frantisek Uhlir (b), Jaromir Helesic (dm), live at the Birdland Jazz
Club Neuburg an der Donau/Neubourg sur le Danube, Allemagne, 18 janvier
https://www.youtube.com/watch?v=Cw8HpLqG8no https://www.youtube.com/watch?v=oPplzUBDICA
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