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JAZZ STAGES
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JAZZ STAGES © Jazz Hot 2024
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Saint-Raphaël, Var
Huchette Jazz Marathon, 12 août 2024
Dans le cadre du 80e anniversaire du Débarquement
de Provence –le 15 août 1944–, la ville de Saint-Raphaël avait invité la troupe
du Caveau de La Huchette pour trois soirées, du 11 au 13 août. Le 12 août,
c’est un épatant marathon jazz que Dany Doriz et ses musiciens ont proposé au
public, se succédant sur scène de 18h à 23h30, avec une seule pause d’une heure
due à la tenue d’une conférence à proximité. A la fois chef d’orchestre et
maître de cérémonie, Dany Doriz en grande forme a su recréer l’ambiance
conviviale du Caveau sous les pins de la Côte d’Azur. Un régal de swing,
d’énergie et de bonne humeur.
Tandis que touristes et résidents affluaient
progressivement en ce chaud début de soirée, nos vocalistes anglophones ont
ouvert le concert-marathon par des titres chantés en français: l’Australienne
Wendy Lee Taylor avec «Plus je t’embrasse», le Chicagoan Jeff Hoffman avec
«Douce France» (Charles Trenet/Léo Chauliac, 1943). Le guitariste ne s’est pour autant pas gêné pour sortir son
blues avec le soutien groovy de Philippe Petit (org) et Didier Dorise (dm).
Dany Doriz aux mailloches avec Olivier Defaÿs et David Sauzay ont évidemment propulsé l'assistance «In the Mood» (Wingy Manone, 1930) devenu un des tubes des danseurs de la Libération à partir de 1944 grâce à l'Army Air Force Band du Capitaine Glenn Miller (tb, 1923-1944) disparu au dessus de la Manche le 15 décembre cette année-là, dans un avion qui le transportait de Londres en France; cet orchestre fit swinguer les troupes près de 1000 fois, un booster d’énergie, n’en doutons pas! Et alors que Jean-Philippe O’Neill prenait le relais de Didier
Dorise, Ronald Baker (tp,voc) donnait un tribute à son cher Nat King Cole avec un
«L.O.V.E.» que les estivants étaient en droit de prendre au pied de lettre!
Puis, Sylvia Howard a offert une version très blues de «On the Sunny Side of the Street», bien entourée par Olivier Defaÿs, Dany Doriz, Patrice Galas (kb) et Didier Dorise, une prestation remarquée et saluée par l’auditoire.
Evoquant Sidney Bechet qui avait adopté la Côte d’Azur, David Sauzay («Petite
Fleur») puis Olivier Defaÿs («Dans les rues d’Antibes»), ont fait revivre le jazz qui était la musique populaire partagée et dansée par tous. Dans
la foulée, entouré d’une paire de sax et de batteurs, avec un Patrice Galas
swinguant, Dany Doriz a fait résonner un «Sing, Sing,
Sing» détonant.
Final de cette première partie de soirée, l'indispensable drum battle où Didier Dorise et Jean-Philippe O’Neill ont repris le tandem historique Gene Krupa-Buddy Rich du JATP, et donné une chorégraphie jonglée de baguettes ébouriffante!
Après l'entracte,
la scène est réinvestie par Jeff
Hoffman, Philippe Petit et Didier Dorise, emmenés par un blues profond d'Olivier Defaÿs et David Sauzay à la nuit tombée.
Avec le renfort de Dany Doriz, Wendy Lee Taylor a ramené la danse au centre du jazz, à travers un hommage à Fred Astaire et aux comédies musicales sur «Puttin’ on the Ritz» (Irving Berlin, 1929), assorti
d’un remarquable numéro de claquettes: la dynamique jazzmen-danseurs est bien l'emblème du Caveau de La Huchette!
Figure respectée du vibraphone, héritier de Lionel Hampton, Dany Doriz a joué un
«How High the Moon» superbement aérien avant d'entamer un deux mains-deux doigts facétieux à l'orgue Hammond avec
Philipe Petit. Quelques mesures plus loin, Sylvia Howard nous faisait
repartir dans les astres («Fly Me to the Moon») avec le soutien subtil de
Patrice Galas et Jeff Hoffman.
La chanteuse d’Indianapolis nous a ensuite embarqué sur
«Caravan», au rythme d’un duo très complice avec Ronald Baker.
Au terme de plus de quatre heures de jazz qui ont comblé un public en réclamant encore davantage, les onze musiciens sont montés sur scène pour un salut presque final...
...et
comme chaque soirée réussie peine toujours à s'achever,
la troupe de La
Huchette a offert en rappel «Shut Up»,
un sketch jazz de Philippe Petit
qui a dévoilé ses talents de comédien.
On en aurait bien repris pour deux ou trois heures
de plus et les musiciens aussi...
Merci au Capitaine Doriz d'avoir orchestré
ce débarquement de swing!
Texte et photos
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Pertuis, Vaucluse
Festival de Big Bands de Pertuis (du 5 au 10 août), 8, 9 et 10 août 2024
25e édition pour le
Festival de Big Bands de Pertuis, devenu une véritable institution puisqu'il est l'un des rares festivals au monde spécialisé dans les grands orchestres de jazz. Une gageure qui doit sa pérennité à l’inextinguible passion de ses dirigeants: le tromboniste Léandre Grau, fondateur, président, programmateur du festival et Marcel Morello (père de Romain Morello, tb) qui veille scrupuleusement sur les délicats équilibres financiers. Une institution pour autant à taille humaine, animée par une équipe de
bénévoles dévoués dont le professionnalisme a permis une mise en œuvre au cordeau! C’est ce qu’on aime à
Pertuis: partager le jazz entre spectateurs, musiciens et organisateurs dans un esprit convivial, avec ce cadre naturel du Luberon non mondain à l'architecture villageoise, un contexte authentique, propice à l’art et à l’esprit populaire du jazz.
Comme de coutume, le festival a été inauguré le 5 août par le groupe TartOprunes, suivi du Big Band de Pertuis dirigé depuis 2019 par Christophe Allemand (ts). Se sont ensuite succédés: Jazz Messenger Spirit, le Big Band de Camargue (6 août), la chanteuse Cathy Heiting et le Middle Jazz Orchestra (7 août). Nous étions présents
pour les trois dernières soirées du jeudi 8 au samedi 10 août.
L'Oscarpicus, Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage
Jeudi 8 août, 19h30:
L’Oscarpicus
Pendant plus de dix ans, la Marseillaise Alice Martinez a
été la chanteuse du Big Band de Pertuis. Elle avait été repérée par Léandre
Grau en 2011, au sein du quartet de Norbert Grisot (cf. Jazz Hot n°657-2011). Mais cette année, c’est sous ses propres
couleurs qu’Alice se présentait au public, à la tête du sextet L’Oscarpicus,
avec des chansons jazz en français dont elle a écrit les paroles, les mélodies
étant à la main des membres de la formation. Entre fantaisies swing et ballades
nostalgiques, Alice est avant tout une conteuse d’histoires: «Bernie, l’homme
canon», «Le Petit remplaçant», un peu dans l’esprit des musiques inspirées par
l’univers du cirque chez Nino Rota; des histoires souvent nourries par des souvenirs
personnels: «Papy bougon» –avec un final new orleans à mettre au crédit de Sylvain Avazeri (tp) et
Ezequiel Celada (as)– ou «L’enfant des
coulisses» qui évoque son enfance auprès de son père batteur et homme de théâtre,
Jean-Pierre Martinez. Le soutien rythmique de Gabriel Manzaneque (g) ainsi qu’Olivier Lalauze (b) et Léo Achard (dm) du Way
Out Trio est impeccable. Mais c’est sur le rappel que les musiciens ont
donné le meilleur, avec un titre du répertoire de Lionel Hampton, «Lavander
Coffin» (Shirley Albert): on vous recommande chaudement la lecture
des paroles à se tenir les côtes! Signalons par ailleurs qu’Alice
Martinez tourne également avec The Shoeshiners, un groupe swing dévolu à
l’interprétation des standards.
L’Oscarpicus: Alice
Martinez (voc), Sylvain Avazeri (tp), Ezequiel
Celada (as,cl), Gabriel Manzaneque (g), Olivier Lalauze (b), Léo Achard (dm)
Jean-Loup Longnon Big Band, Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage
21h30: Jean-Loup
Longnon Big Band
C’est la deuxième fois, depuis 2010, que Jean-Loup Longnon (lead,tp,voc)
déploie son rutilant big band à Pertuis. Un big band qui
n’apparaît que par intermittence, au grand dam de son directeur qui, devant les
difficultés économiques croissantes pour faire naviguer un tel paquebot, privilégie
la douceur de la vie crétoise. L'occasion se faisant rare, c'est donc avec enthousiasme que nous retrouvions Môssieur Longnon, une drôle de bête, croisement improbable entre Gargantua et Thad Jones, à la fois Monsieur Loyal
bavard assurant à lui seul une partie du spectacle, chef d’orchestre d’une
précision d’horloger, maître arrangeur, compositeur (classique et jazz) de haut
vol.
Chloé Cailleton (voc) et Jean-Loup Longnon (tp),
Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage
Le big band commence par un thème original, «Rue de la
Liberté», célébrant une voie du XIXe arrondissement de Paris où sévissait jadis un bar jazz. On y entend deux bons
solos du Russe Kirill Bubyakin (ts) et de Pierre Guicquéro (tb). Suit une version
aérienne de «L’important c’est la rose» (Gilbert Bécaud) qui met en avant
Manuel Marchès (b) et Jean-Philippe Scali (bar). «Encore du bop» (Longnon),
titre d’un précédent album, tient ses promesses, notamment porté par le solo
exubérant de Gilles Repond (tb). Retour à la chanson avec Jean-Loup Longnon qui
donne de la voix sur «On n’est pas là pour se faire engueuler» (Boris Vian)
entre les ponctuations chamarrées des sections de soufflants. Se joignant à
l’orchestre sur «Love Is Here to Stay», Chloé Cailleton (voc) est une
instrumentiste à part entière, ses longues interventions scatées s’intégrant
parfaitement aux arrangements. Avec un démarrage à la
«Sing, Sing, Sing» (explosif Frédéric Delestré, dm), «Istanbounce» (Longnon)
saisit le public tandis que Jean-Loup Longnon prend un solo de trompette
simplement accompagné par le piano puis par le reste de la section rythmique. Ensuite,
le maestro aborde avec originalité «Lush Life» en remettant au jour les
inspirations du chef-d’œuvre de Billy Strayhorn venues de la musique classique
française: Debussy est en embuscade! L’orchestre monte encore un cran dans
l’intensité swing avec le thème basien «Funtime» (Sammy Nestico) tandis que Vincent
Labarre (tp) a pris temporairement la conduite des opérations. Et pour
compléter le tableau, le big band s’aventure du côté du funk (avec un Manuel
Marchès passé à la basse électrique) sur une composition récente, «Monastiráki»
(du nom d’un quartier d’Athènes) et sur le morceau final ouvert par un scat a cappella détonant de Jean-Loup
Longnon.
Jean-Loup Longnon Big
Band: Jean-Loup Longnon (lead,tp,voc), Vincent Labarre, Vincent Echard, Brice
Moscardini, Matthieu Tarot (tp), Gilles Repond, Cyril Galamini, Pierre Guicquéro,
Yoann Huot (tb), Patrick Bocquel (as,ss,cl), Xavier Quérou (as), Antoine Daures, Kirill
Bubyakin (ts), Jean-Philippe Scali (bar), Ludovic
Allainmat (p), Manuel Marchès (b), Frédéric Delestré (dm), Chloé Cailleton
(voc)
Hard Dixie Six, Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage
Vendredi 9 août,
19h30: Hard Dixie Six
Figure du jazz dit «traditionnel» en France, cofondateur en
1979 du Hot Antic Jazz Band, enseignant depuis 1987 au Conservatoire
d’Aix-en-Provence, le multi-instrumentiste Jean-François Bonnel (cl,s,cnt,g) était
déjà présent à Pertuis en 2023 avec ses Suricats (cf. notre compte-rendu).
Il se produit habituellement en quartet avec Hard Dixie Four, présenté à
Pertuis dans une version étendue avec deux autres soufflants: Prokhor
Burlak (ss,ts), né en 1989 à Vladivostok et installé à Paris depuis 2022 où il
est vite devenu une étoile montante de la scène jazz; Romain Morello (tb), né
en 1987 à Pertuis, un enfant du festival avec lequel il a grandi: formé par
Léandre Grau au Conservatoire de Pertuis, il a joué avec son sextet en 2023 à Pertuis et compte parmi les membres des fameux TartOprunes programmé
chaque année.
A la manière de l’Anachronic Jazz Band –qu’il avait
rejoint à sa reformation en 2013–, Jean-François Bonnel revisite des thèmes bop dans l’esthétique new orleans-mainstream avec une prédilection toute
particulière pour les compositions de Thelonious Monk: «We See», «Ruby My Dear»
–qu’ont croirait sorti du répertoire de Sidney Bechet!–, «Bye-Ya» ou encore la magnifique
ballade «Crepuscule With Nellie». Jean-François Bonnel aime par ailleurs les
assemblages qui démontrent avec pertinence la continuité du jazz sur les
décennies, comme lorsqu’il mêle «Jungle Drums» (Sidney Bechet, Zutty Singleton),
qu’il introduit superbement au soprano, et «Voyage» (Kenny Barron) ou bien «Yes
or No» (Wayne Shorter) accolé à «New Orleans Shout» (King Oliver). Prokhor
Burlak impressionne par la conviction de son jeu, et ses duos de soprano avec le
leader sont un régal («China Boy», Phil Boutelje, Dick Winfree), de même que
les couleurs cuivrées de Romain Morello sont particulièrement mises en valeur
en solo («Prelude to a Kiss», Duke Ellington). Le tout repose sur l’assise
rythmique irréprochable d’Elise Sut (tu), Gabriel Manzaneque (bjo) et Stéphane
Zé Richard (dm).
Hard Dixie Six:
Jean-François Bonnel (ss,cl), Romain Morello (tb), Prokhor Burlak (ss,ts),
Elise Sut (tu), Gabriel Manzaneque (bjo), Stéphane Zé Richard (dm)
Chicago Stompers avec Prokhor Burlak et Jean-François Bonnel (ss, à droite),
Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage
21h30: Chicago
Stompers
Venus de Milan, les Chicago Stompers ont activé leur machine
à remonter le temps pour nous plonger dans les Années folles et l’aube de la
décennie 1930, avec un souci minutieux de la reconstitution historique passant
bien sûr par le répertoire et les arrangements, mais aussi les tenues,
accessoires, voire instruments rares comme le violon à pavillon (ou violon
Stroh) utilisé par les orchestres de jazz au début du XXe siècle. Le tout assorti de clowneries irrésistibles et d’une
bonne humeur communicative. A la tête de cette joyeuse équipe, le pianiste,
chanteur et multi-instrumentiste Mauro L. Porro (cl,ss,cnt…), passionné de jazzhot, collectionneur de partitions, de
78 tours, de phonographes (entre autres!), arrangeur prisé (pour Vince Giordano
and The Nighthawks Orchestra de New York, entre autres) et également animateur
de La Boutiquephonie à Milan, à la fois salle de concert et agence artistique.
Pasquale Gravela (tp), Mauro L. Porro (p), Giorgio Gallina (tb), Martino Pellegrini (stroh vln),
Andrea Peschiera (voc), Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage
L’excellence des musiciens se remarque d’emblée (très
swinguant «Polka Dot Rag» de Sidney Bechet en ouverture) de même que les
qualités d’expression de la chanteuse de l’orchestre, Andrea Peschiera («You've
Got to Be Modernistic», James P. Johnson), en particulier en italien: «Fiorin
fiorello» (Carlo Buti), «Dinah» (Harry Akst) phrasé dans la langue
Dante. Si le concert est agrémenté d'effets sonores vocaux et instrumentaux gaguesques, de mises en scène rappelant les Marx Brothers –«I'll Fly to Hawaii» (Ira & Joe Shouster, Lou Davis), «I Miss My Swiss» (L.
Wolfe Gilbert, Abel Baer), «Horses» (Richard
A. Whiting, Gay Byron)– les Chicago
Stompers n’en sont pas moins de sérieux solistes, comme Giorgio Gallina (tb),
Sophia Tomelleri (as,cl) ou le grappellien Martino Pellegrini (vln), tandis que
Mauro L. Porro passe allègrement du piano au saxophone
soprano («Petite Fleur» de Sidney Bechet) ou au cornet («Dinah»). Décidément
bon esprit, l’orchestre a invité Jean-François Bonnel et Prokhor Burlak à se
joindre à lui sur quelques titres («Do Something» de Sam H. Stept et Bud Green,
«Oh, Lady Be Good!» de George & Ira Gershwin) pour le plus grand plaisir du
public qui n’a pas ménagé son enthousiasme. Un concert épatant qui s’est
terminé en parade au milieu des spectateurs ravis d'être associés à la fête.
Chicago Stompers: Mauro
L. Porro (lead,p,cl,ss,cnt,voc), Pasquale Gravela (tp,cnt,voc), Giorgio Gallina
(tb,voc), Sophia Tomelleri, Davide Vincenzi (as,cl), Arturo Garra (ts,cl,voc),
Paolo A. Vanzulli
(tu), Marco G. Rottoli (bjo), Giacomo Russo (dm), Martino Pellegrini (vln,
stroh vln), Andrea Peschiera (voc)
Julien Brunetaud Quintet, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage
Samedi 10 août,
19h30: Julien Brunetaud Quintet
Les lecteurs de Jazz
Hot connaissent bien Julien Brunetaud (p,kb,voc) de même
que nous leur avions déjà présenté Sam Favreau (b) et Cédric Bec (dm) avec la
chronique de l’album Feels Like Home (2020). Aujourd’hui en quintet, le pianiste désormais Marseillais
s’était adjoint l’incontournable Romain Morello et le ténor Vincent Strazzieri
(1981). Ce dernier, formé au Conservatoire d’Aix-en-Provence, a fait ses débuts
sur la scène jazz marseillaise dont il est aujourd’hui l’un des animateurs
après un intermède parisien de plusieurs années. Il se produit régulièrement
avec Olivier Chaussade (ts), Sylvain Romano (b) et Jean-Pierre Arnaud (dm).
On est heureux de retrouver un Julien Brunetaud les pieds bien ancrés dans le blues de Crescent City. Le répertoire, que ce
soient les reprises ou les originaux, évoque d’ailleurs les bayous de Louisiane
(comme la chaleur caniculaire du Luberon!): «Go to the Mardi Gras» (Pr.
Longhair), «Nola» (Brunetaud) ouvert par un solo de Cédric Bec, «Solitude»
(Duke Ellington) donné dans une version blues ou encore «Don't Get Around Much
Anymore» (Duke again) joué à la façon
de Dr. John avec toujours un bon dialogue entre le pianiste-chanteur et ses
deux soufflants: Vincent Strazzieri à la verve swing, Romain Morello à l’aise
avec l’accent néo-orléanais. Sur le «Boogie Woogie» d’Almos Milburn, Julien Brunetaud entraîne sa formation, faisant monter encore de quelques degrés
la température à Pertuis, avant de quitter le public en douceur sur une ballade de Stevie Wonder, pour le rappel.
Julien Brunetaud
Quintet: Julien Brunetaud (p,kb,voc), Romain Morello (tb), Vincent Strazzieri
(ts), Sam Favreau (b), Cédric Bec (dm)
Caja Negra Big Band & Bob Mintzer, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage
21h30: Caja Negra Big
Band & Bob Mintzer
Pierre Bertrand aime
les big bands. Formé aux conservatoires de Nice et de Paris, il monte le Paris
Jazz Big Band avec Nicolas Folmer (1998-2008) et dirige depuis 2009 le Nice
Jazz Orchestra, non loin de Cagnes-sur-Mer, sa ville de naissance. Parallèlement, il sort un premier disque sous son nom en 2010, Caja Negra (Cristal Records) –en sextet,
avec déjà Alfio Origlio (p), Jérôme Regard (b) et Minino Garay (perc)– qui sera
la matrice d’un projet au long court mêlant jazz, musiques latines et notamment
le flamenco. La Caja Negra devenue un big band, s’appuyant tout
particulièrement sur les rythmiciens Minino Garay et André Ceccarelli (dm), effectue
en 2022 une tournée avec un premier invité de marque, Randy Brecker. En 2024 à
Pertuis, c’est Bob Mintzer (ts) qui est le special
guest de Pierre Bertrand. Ancien des big bands de Buddy Rich, Thad Jones-Mel
Lewis et Sam Jones, membre des Yellowjackets, directeur du WDR Big Band depuis 2016, compositeur,
arrangeur, le ténor américain est un professionnel accompli, spécialiste des
grandes formations, auxquelles il apporte immanquablement son savoir-faire.
Bob Mintzer, Festival de Big Bands de Pertuis,
10 août 2024 © Jérôme Partage
Pierre Bertrand lui a d’ailleurs déroulé un tapis rouge tressé
d’arrangements de belle facture servant d’écrin à un répertoire bien rôdé de
compositions personnelles, de pièces de Duke Ellington (dont Pierre Bertrand
avait enregistré la Far East Suite en 2018) et de thèmes signés par l’invité. Le
lyrique «Hymn/Aqua» (Bertrand) est introduit par Stéphane Chausse (cl) et le
subtil «Tour Eiffel» (Bertrand) par le leader, à la flûte. Bob Mintzer déploie
sa sonorité de velours sur son titre «Aha!» et nous gratifie d’un superbe solo
imprégné de blues sur «Blue Pepper» (Far
East Suite, Duke Ellington). Pour autant, malgré tout ce que Pierre
Bertrand a mis dans le panier de la mariée –une écriture très fine, des
solistes aguerris, l’énergie zébulonesque de Minino Garay à quoi s’ajoute un
invité de stature internationale– l’orchestre reste sur un patchwork pas toujours convainquant avec les longues interventions flamenca,
vocales et dansées, de Paloma Pradalet et Sabrina Romero, sans lien avec
l’expression jazz. La Caja Negra nous laisse cependant sur une meilleure
impression avec un rappel plus dynamique, de nouveau aux couleurs d’Ellington
(«Agra/Amad», Far East Suite) soulignées
par une bonne intervention de Frédéric Couderc (bar).
Caja Negra Big Band
& Bob Mintzer: Pierre Bertrand (lead,ts,fl), Joel Chausse (lead tp), Sylvain
Gontard, Roman Didier (tp), Denis Leloup, Philippe Georges (tb), Stéphane
Chausse (lead as, cl), Frédéric Couderc (bar), Alfio Origlio (p), Jérôme Regard
(b), André Ceccarelli (dm), Minino Garay (perc), Paloma Pradal, Sabrina Romero
(voc) + Bob Mintzer (ts)
Nous quittons le festival de Pertuis plus que jamais
reconnaissant qu’il permette à ces grandes formations, nécessitant une
logistique coûteuse et complexe, de s’exprimer devant le public du jazz. Alors,
encore bravo et merci à Léandre Grau et son équipe!
Texte et photos
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Dinant, Belgique
Dinant Jazz (du 26 au 28 juillet), 27-28 juillet 2024
Au lendemain de la première soirée du vendredi durant
laquelle se tenait le tournoi des jeunes talents, nous avons suivi avec
délectation cette 22e édition du Dinant Jazz Festival sous le signe du
saxophone et le patronage de Chris Potter (ts).
Le samedi 27
juillet à 18h, la scène ouvre sur le quartet du guitariste Maxime Blésin: Igor
Gehenot (kb,p), Cédric Raymond (eb,b), Franck Agulhon (dm). Les compositions
sont du leader avec des moods variés,
cool ou néo-bop. Les solos sont équitablement répartis entre tous les musiciens:
«So Cool», «What I Do»... Le plus souvent l’un des quatre s’illustre tout seul
pour l’intro. Pour «Organic Maters», le featuring est dévolu au batteur français qui, parfait lecteur, se fond
sans problème dans les œuvres de Maxime Blésin. Suit une jolie ballade, «From Dust
to Down», puis «In the Mood for Mars» avec un solo magistral d’Igor Gehenot au
piano. Les artistes terminent leur prestation après l’envolée de Cédric Raymond
par un two-beats qui n’est pas sans
évoquer Herbie Hancock.
A 20h, Stefano Di Battista(as,ss) a choisi avec talent et fougue de réécrire les plus belles pages de la chanson
italienne: «La Vita è Bella», «Volare », les répertoires d’Ennio
Morricone, Lucio Dalla, Paolo Conte… Matteo Cutello (tp), Andrea Rea (p),
Daniele Sorrentino (b) et André Ceccarelli (dm) complètent le quintet. La musica è grande! Stefano Di Battista
déboule à 100 à l’heure, à l’alto puis au soprano, créatif et terriblement
swing. On ne peut s’empêcher de penser à Charlie Parker et, plus encore à Cannonball
Adderley. Sous le chapiteau ou dans la prairie la soirée est torride, dans nos
pieds et dans nos cœurs, au propre comme au figuré.
A 22h, nous voilà chauffés
à blanc pour attendre l’invité d’honneur de cette édition: le Chicagoan Chris
Potter. Une belle intervention de Lionel Loueke (g) sur «Aria for
Anna», un long et joli solo de John Patitucci (b) pour lancer le dernier thème,
«A Rising Dance». Johnathan Blake (dm) se charge des points-virgules, des breaks et des relances. Le ténor de
l’Illinois phrase et improvise avec une aisance naturelle,
inspirée sur des titres comme «Cloud Message».
Chris Potter, Dinant, 27 juillet 2024 © Jean Schoubs
Dimanche 28 juillet,
après avoir animé une messe gospel avec Grégoire Maret (hca), Rhoda Scott (org)
a ouvert à 15h la troisième journée du festival avec son batteur Thomas
Derouineau. Dinant s’éveille et, comme la veille, nous allons plonger dans les
rythmes diaboliques. Rhoda n’a pas, malgré ses 86 étés, altéré son plaisir et
le nôtre itou. Parmi les titres joués, «Watch What Happens» de Michel
Legrand. Les festivaliers, séduits, l’ovationnent debout. Il en sera de même
pour toutes les formations qui vont se succéder au podium.
A 16h30, tradition
dinantaise, le Dinant Jazz Orchestra est placé sous la direction de Maxime
Blésin. Le guitariste joue délicat avec un son velours mais, plus que tout,
c’est un excellent arrangeur. La rythmique est tenue par Pascal Mohy (p), Victor
Foulon (b) et Mimi Verderame (dm); les soufflants sont Pauline Leblond (tp), Stéphane
Mercier (as), Nicolas Kummert, Mathieu Najean (ts) et en guest Sophie Alour (ts) au son gras, profond, envoûtant, «getzien»
par moments («Te souviens-tu de notre amour»). «Caravan», arrosé de «Tequila»,
précède «Summertime», «Night Train», «Movin’Blues», «Too Hot», «Feo Manitikoko»
(solos de Kummert et Leblond), «Bœuf in the Basement», puis un blues qui permet
d’apprécier, enfin, Pascal Mohy. Suivent des chases entre tous les saxophonistes. Le solo de Maxime Blésin est
colorié par tous les souffleurs, en délicieuse harmonie. Pour «Galactic Blues»
se succèdent les ténors Sophie Alour, Mathieu Najean et Nicolas Kummert. L’approche
varie à l’aune du feeling de chacun. Pauline Leblond soloïse au plugger avant
l’envolée de Stéphane Mercier dont on remarque la maturité acquise par des
années de pratique.
A 18h30, le duo Vincent
Peirani (acc)/Grégoire Maret démontre qu’avec ces instruments à lamelles on
peut s’accorder et swinguer («Strange Meeting» de Bill Frisell). «J’entends
siffler le train», le «saucisson» de Richard Anthony, vient même faire la
preuve qu’on peut jouer jazz au départ de n’importe quelle mélodie.
Viennent ensuite «All Blues», «Father Christmas» (ouf!) avant qu’Elena Pinderhughes (flûte en ut) s’ajoute pour une
valse, une gavotte, des songs traditionnels
et folks. J’avoue n’avoir pas été convaincu par la flûtiste alors que je fus
étonné et bien accroché par Vincent Peirani et Grégoire Maret.
Vincent Peirani (acc) et Grégoire Maret (hca), Dinant, 28 juillet 2024 © Jean Schoubs
Le festival touche
à sa fin, avec, à 20h30, un Sax Summit du tonnerre de Dieu regroupant deux
altos, Stéphane Mercier et Stefano Di Battista (bon solo sur «Blues for
Michel»), trois ténors, Lionel Belmondo (auteur de la plupart des arrangements),
Sophie Alour et Chris Potter. La rythmique n’est pas de moindre qualité,
puisqu’on y trouve les Belges de Paris Eric Legnini (p) et Dré Pallemaerts
(dm), ainsi que le Gascon Thomas Bramerie (b). «Wayne’s Words» avec Lionel
Belmondo au soprano est superbe. L’octet est la meilleure conclusion de cette 22e édition sur la terre natale d’Adolphe Sax préparée avec un soin gourmet par le
programmateur Jean-Claude Laloux.
Jean-Marie Hacquier
Photos: Jean Schoubs
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Antibes-Juan-les-Pins, Alpes Maritimes
Jazz à Juan (du 8 au 18 juillet), 13 juillet 2024
Pour cette 63e édition, Jazz à Juan a encore su préserver quelques rendez-vous jazz de qualité
(El Comité le 11 juillet, Joshua Redman le 17...) bien qu’il se définisse aujourd’hui comme un «festival de jazz et musiques
contemporaines». Le festival se porte bien et a fait au global le plein de
spectateurs. On espère que cette programmation éclectique –qu’on retrouve
d’ailleurs dans tous les grands festivals– permette au jazz de conserver un
minimum de visibilité auprès du grand public d’autant que la Pinède Gould reste
une scène privilégiée pour entendre les grands noms du jazz de culture, comme
la venue de Chris Potter, le 13 juillet, nous l’a encore rappelée.
Eric Legnini (kb), Stéphane Belmondo (tp), Dré Pallemaerts (dm), Thomas Bramerie (b), Laurent Fickelson (org),
Jazz à Juan, 13 juillet 2024 © Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan
Pour tenter d’atteindre un public devenu volatile et aussi
parce que la musique rock fait aussi partie intégrante (avec le jazz et la musique classique) de leurs
références, Lionel (ts) et Stéphane (tp) Belmondo ont décidé de rendre hommage
au groupe de rock californien, Grateful Dead (1965-1995). Pour
autant, le lien avec le jazz, s’il est ténu, n’est pas inexistant: sans doute
Lionel le coltranien a t-il été sensible aux longues improvisations que le
groupe pratiquait en concert, paraît-il inspiré par John Coltrane. La musique tirée de
l’album Dead Jazz (Jazz &
People), sorti à l’automne dernier, s’inscrit dans une esthétique fusion
marquée par une frappe de batterie binaire (Dré Pallemaerts), l’utilisation
conjointe de l’orgue électronique (Laurent Fickelson) et du Fender Rhodes (Eric
Legnini), mais aussi de la contrebasse (Thomas Bramerie) qui donne un peu de
profondeur et de respiration à la sonorité du groupe, limitant la saturation
liée aux effets électroniques. Le psychédélique «China Cat Sunflower» est
ponctué par de longs solos pour lesquels les Belmondo n’ont pas lésiné sur la reverb… Plus swinguant, «The Other One»
(titre des Grateful Dead) bénéficie du groove
insufflé par Eric Legnini, tandis que sur le nappage électronique dressé par Laurent
Fickelson, pointent la sonorité rugueuse de Stéphane et l’énergie brute de
Lionel. La ballade «Stella Blue» est délicatement introduite par Eric Legnini
suivi d’un solo tout en sensibilité de Stéphane au bugle. En fin de concert, un
invité surprise a rejoint le sextet: un troisième clavier, Brad Mehldau, pianiste
du quartet de Chris Potter programmé en seconde partie de soirée, lui-même
coutumier des clins d’œil pop-rock et connaisseur des Grateful Dead. Les Frères
Belmondo nous aurons livré une prestation ludique et dynamique qui n’aura pas
manqué de ravir les amateurs de sonorités seventies.
Brad Mehldau (p), Chris Potter (ts), John Patitucci (b), Johnathan Blake (dm),
Jazz à Juan, 13 juillet 2024 © Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan
Chris Potter (ts) était là également pour présenter son dernier
album, Eagle’s Point (2023, Edition
Records), enregistré dans sa configuration favorite, le quartet, avec Brad
Mehldau (p), John Patitucci (b) et Brian Blade (dm), remplacé pour cette
tournée d’été par Johnathan Blake. Le ténor est l’auteur de l’intégralité des
compositions et lance le concert avec le premier titre du disque, «Dream of
Home», où s’exprime d’emblée sa belle sonorité limpide et veloutée et un
discours d’une remarquable intensité qui a mûri au fil des années, notamment durant
celles passées auprès de Dave Holland. Sans surprise, le phénoménal Johnathan
Blake apporte encore davantage de densité au quartet: son drumming nerveux sur
«Cloud Message» crée une sorte d’ivresse rythmique tandis que l’excellent John
Patitucci imprime ses superbes lignes de basse. Sous l’influence de ce
collectif ancré dans le swing et du projet musical parfaitement cohérent de
Chris Potter, le versatile Brad Mehldau arbore un jeu plus jazz que de coutume,
preuve que ce brillant technicien sait s’adapter à toutes les situations… Mais
ce sont les interventions de ses partenaires qui restent les plus marquantes:
Chris Potter, aérien sur «Eagle’s Point», ouvre avec suavité «Aria for Anna»,
ballade dédiée à sa fille, John Patitucci, aux prises de parole à la fois fortes
et subtiles, démontre qu’il sait aussi parler le langage du blues; d’une
inépuisable énergie, Johnathan Blake donne en fin de concert un solo
époustouflant, aussi mélodique que spectaculaire. Le quartet de Chris Potter nous aura tenu en haleine!
Jérôme Partage
Photos: Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan
© Jazz Hot 2024
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Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
Jazz à Beaupré - Festival Roger Mennillo, 5 juillet 2024
Après quelques saisons moins champêtres mais tout aussi réussies dans le jardin Joseph Richaud à Saint-Cannat, 2024 est l’année du
grand retour au Château de Beaupré pour le festival de jazz Roger Mennillo. Dans
ce cadre superbe, entre rusticité et raffinement, tout est prévu pour la
détente et le plaisir du public: la cour réaménagée ouvre sur une belle
cave et propose à la dégustation petits plats et grands crus. Le pré accueille
à la bonne franquette autour de tables de pique-nique. Quant aux concerts, ils
ont retrouvé leur lieu de prédilection, au frais entre la futaie de platanes et
la façade du château.
Baptiste Herbin Trio, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet
La première partie est traditionnellement réservée à un groupe
sinon local, du moins national. Mais ce soir, c’est un trio de pointures qui
présente un hommage très personnel à Django (et sans guitare!): Baptiste Herbin
(as,cl), Pierre Marcus (b) et Benjamin Henocq (dm), certainement le plus rodé aux
circuits jazz européen et américain. Aux dernières lueurs du jour, le trio
attaque un «Night and Day» fermement bebop, Baptiste Herbin dans un registre
aigu et volubile. Suit un «Troublant boléro» tout en langueur et sensualité, où
Pierre Marcus livre un beau solo de contrebasse sur un fond de roulement de
mailloches. Le groupe semble pouvoir faire varier les tempos et les ambiances à
l’infini, et s’approprier la musique de Django sans en trahir l’esprit: «Django», l’hommage de John Lewis, est amorcé au sax sur un tempo très lent, presque
funèbre, puis s’anime; en contraste, suit un «Nuits de Saint-Germain-des-Prés»
très festif et dynamique, démarrage rapide au sax et aux balais. Et si Django
allait au Brésil? «Choro Django» est une petite fête, propulsée par une
clarinette au son virevoltant et gai et une contrebasse qui balance bien. Sur «Anouman»
dédié à Hubert Fol, morceau intimiste et mélodieux, on aime la profondeur de
son de Baptiste Herbin et l’appui tout en nuances de la section rythmique.
Quant à «Djangology», il débute sur un solo de saxophone qui
évoque à s'y méprendre un accordéon musette. «Nuages», «Montagne Sainte-Geneviève»,
rien de l’univers de Django ne semble inaccessible au trio sans complexe qui aborde
le répertoire avec swing, délicatesse, culture et humilité.
Le public a réclamé le rappel à retardement, mais il ne l’a pas
regretté: le final sur «Tears» fut d’anthologie, avec un Baptiste Herbin triturant
le son et embouchant sax et clarinette à la Roland Kirk! On attend avec
impatience la traduction sur disque de ces multiples talents, sortie prévue en
septembre. On regrettera seulement les six passages de la Patrouille de France pas
tout à fait dans le tempo…
El Comité, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet
Après un intermède de dégustation, reprise avec El Comité, un
collectif de six musiciens de l’actuelle scène jazz cubaine: Carlos Sarduy (tp), Irving Acao (ss,ts,cl,fl), Rolando Luna (p,kb),Gaston Joya (b,eb), Rodney Barreto (dm), Yaroldy
Abreu Robles (perc), pour une musique foisonnante, apte à inverser
la courbe descendante des températures. Ces six compères sont les héritiers
directs des Paquito D’Rivera, Chucho Valdès ou encore du Buena Vista Social
Club, avec qui certains ont fait un bout de chemin. En 2018, on avait déjà
apprécié à Saint-Cannat la venue en trio d’Harold
Lopez-Nussa (participant habituel du Comité, et alter ego de Rolando Luna au
piano) avec déjà Gaston Joya (b), et son jeune frère Adrian Lopez-Nussa (dm,perc). Le format
sextet, avec l’ajout de percussions, semble donner l’avantage à la couleur
cubaine, mais de «Amistad» à «Dance
to Hope» et «Brainstorm Groove» (thème du batteur), El Comité poursuit la
fusion entre jazz et musique cubaine (Cubop) amorcée il y a près de
quatre-vingts ans par Dizzy Gillespie et Chano Pozzo. Ils ont absorbé et inscrit
dans leur patrimoine musical tous les courants qui ont traversé le jazz depuis
le bebop en un enrichissement permanent. Après un démarrage coltranien tout en
douceur, sur fond de bruissement de coquillages et percussions, qui prend de la
vitesse et de l’ampleur, le piano percussif de Rolando Luna entraîne le groupe
qui est bientôt à fond, les soufflants rutilants en souffle continu! L’atmosphère
se fait davisienne sur le morceau suivant, avec de belles interventions à la
clarinette et au bugle d'Irving Acao et Carlos Sarduy. Funk, groove, free,
rien au final n’a échappé à la moulinette cubaine! On assiste à de beaux
unissons de cuivres, lyriques ou cinglants, à des combinaisons variées en
trio piano/basse/percussions, remarquables, ou plus électriques avec Fender Rhodes/basse
électrique/batterie. C’est une musique brillante, débordante d’énergie, toujours
en mouvement, qui ravit autant le public que ses exécutants.
Rolando Luna (p), Carlos Sarduy (tp), Irving Acao (ts), Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet
Le lendemain, une pluie imprévue nous a privés de
la deuxième soirée qui annonçait le quartet de Julien Baudry et Champian Fulton
en trio, écourtant singulièrement cette 27e édition. Espérons que
les soutiens de ce petit festival indispensable lui donneront longue vie et que
nous nous retrouverons en 2025 pour du jazz avec «Nuages» mais sans pluie!
Texte et photos
Ellen Bertet
© Jazz Hot 2024
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Tinténiac, Ille-et-Vilaine
Festival Jazz'N Boogie, 14-15 juin 2024
Frank Muschalle et Ladyva, Festival Jazz'N Boogie 2024 de Tinténiac
© Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Entre Saint-Malo (40km au nord) et Rennes (30km au sud), le
charmant village breton de Tinténiac est posé sur le Canal d’Ille-et-Rance,
aujourd’hui dévolu au tourisme et à la pêche, qui réunit la Manche à Rennes puis à l’Océan
Atlantique. C’est dans le cadre bucolique du canal, à l’Espace Ille-et-Donac
(les deux rivières locales) qu’est née en 2012 l’idée d’un festival autour des passions réunies du directeur artistique, Gilles Blandin: le piano-jazz en général, précisément ses composantes:
le blues, le swing et, sur le plan stylistique, du ragtime au stride en passant
par le boogie, plus parfois vers Nat King Cole, Oscar Peterson, Ray Charles,
le mainstream en général. Gilles Blandin est lui-même pianiste de jazz et
professeur de musique depuis les années 1970. Jazz Hot n°334-1977 évoque son premier concert à 19 ans.
On lira
plus loin le détail de l’aventure originale de ce festival qui réunit une trentaine de bénévoles
locaux depuis une dizaine d’éditions, et comme dans le sketch de Fernand Raynaud
(Le 22 à Asnières), c’est par
l’intermédiaire de Rossano Sportiello à New York, invité de cette édition, que
nous avons découvert cette manifestation à moins de 2h de Paris par le TGV…
C’est donc le caractère international du festival, avec une
luxueuse programmation réunissant pour le piano, outre Rossano Sportiello de
New York, Louis Mazetier de Paris, le transalpin Luca Filastro venu de Calabre,
Frank Muschalle d’outre-Rhin, en duo avec Vanessa Gnaegi, la pianiste et chanteuse
suisse, plus connue sous son nom d’artiste «Ladyva». A ce programme all stars,
il faut bien sûr ajouter Gilles Blandin, qui prit sa part à ce festin
pianistique, le déjà confirmé Pablo Campos en trio qui a donné de beaux enregistrements: People Will Say, avec
rien moins que Kenny Washington, Peter Washington et Dave Blenkhorn, Jazz Life (Jazz aux remparts). Moins
connu mais tout aussi talentueux, Auguste Caron avec ses Rag Messengers,
Ezéquiel Celada et Ophélie Luminati (un bon CD, The Washin’ Machine, donne une idée de leur expression), ont captivé l'extérieur-jazz du festival.
Il faut vous dire que si, à Samois, les guitaristes de la
tradition de Django «tombaient des arbres» dans les années 1990, à Tinténiac, en
2024, ce sont les pianistes qui semblent sortir de terre, de stride et de
boogie en particulier, qui remettent à l’honneur d’une manière aussi savante
que spectaculaire, le grand Art des Luckey Roberts, James P. Johnson, Willie the
Lion Smith, Clarence Williams, Fats Waller, Earl Hines, Pete Johnson, Jimmy
Yancey, Albert Ammons, Teddy Wilson, Hazel Scott, Art Tatum, Joe Turner, on en
oublie, les «ticklers» du premier âge d’or du piano-jazz, de New Orleans à Harlem en passant par Kansas City et Chicago, où la beauté poétique, le rythme et la liberté se sont appuyés
sur la virtuosité –comme dans le cas de Django, car la musique populaire est aussi un spectacle vivant– et sur le blues et le swing, les
fondements culturels du jazz.
Le dance floor de Tinténiac
© Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
A Tinténiac, il y a du piano-jazz sur la scène à partir de
20h30, mais aussi à l’apéro-concert de 18h («extérieur-jazz»), pendant les entractes
et même les after hours car le public
insatiable comprend lui-même une densité anormalement élevée de connaisseurs et
de pratiquants de cette presque religion du piano blues, Jazz’n Boogie comme
le dit le nom du festival pour résumer un esprit plus large. C’est donc un
festival qui annonce et respecte la couleur, plaisir qui devient rare, et qui
explique ce public averti qui parcourt parfois des centaines de
kilomètres pour ne pas rater l’événement, et qui côtoie un public local, complètement conquis par le festival, qui, à l’occasion, ne dédaigne pas de danser.
Si le piano est au centre du festival, il y eut aussi
d’autres instrumentistes de haut vol: à la batterie, les très musicaux
Guillaume Nouaux (avec Rossano Sportiello, Louis Mazetier, Luca Filastro,
Gilles Blandin), Ophélie Luminati (Rag Messengers) qui apportent à ce
répertoire un soutien aussi précis, attentif que mélodique, et Ezéquiel Celada, in the mood, à la clarinette et au saxophone soprano (Rag Messengers). Il y avait encore l’enfant de Tinténiac
(la famille était réunie), Malo Mazurié, déjà fort connu sur la scène parisienne
où il fait admirer sa belle sonorité et son talent de trompettiste comme en témoigne son dernier disque Taking the Plunge. C’est dans
ce coin de Bretagne que Malo s’est construit auprès, entre autres, de Gilles et
Béatrice Blandin, professeurs de musique à l’école locale, le SIM, qui irradie à
Tinténiac, Combourg et d’autres localités voisines. En conclusion du festival, le trio du Franco-Argentin Pablo Campos qui allie des qualités pianistiques et une belle expression
vocale personnelle bien que dans la tradition revendiquée de Nat King Cole, confirmait le caractère
international de ce week-end avec le Romain Luca Fattorini (b) et un
vigoureux Danois, Malte Arndal (dm).
Guillaume Nouaux et Gilles Blandin
© Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Gilles Blandin (p) et Guillaume Nouaux (dm) en duo ont
ouvert le festival le 14 juin pour l’extérieur-jazz, entre l’Espace et le
canal dans un esprit mainstream, où standards de Gershwin, Jobim («But Not for
Me», «It Ain’t Necessarly So», «Corcovado») côtoyait des compositions jazz de
Fats Waller, George Shearing, Duke Ellington, Ray Bryant, Charlie Parker, Miles
Davis («Lullaby of Birdland», «Satin Doll», «Caravan», «In the Backroom», «Scrapple
From the Apple/Honeysuckle Rose»…), sans oublier ce qui fait la personnalité du
festival, du blues et des boogie de Memphis Slim à W.C. Handy, Albert Ammons, Pete Johnson («Four O'Clock Boogie», «Sixth Avenue Express», «St- Louis Blues»…).
Une assistance fournie qui ne se démentira pas jusqu’à la fin des concerts,
apprécie le pianiste et le batteur, et un parquet a été aménagé en plein air, mis à
profit par les couples de danseurs, pendant que dans le hall de l’espace, les
conversations vont bon train, sur le jazz, le piano et la mémoire de cette
tradition jazz, autour de l’apéro consistant organisé par l’équipe des
bénévoles. Tout est simplement et efficacement organisé sous la présidence
tranquille de Louis Rochefort, le présentateur avec Gilles Blandin des soirées; il n’y a ni service d’ordre, ni tension: le
public –les plus de 50 ans dominent– est chaleureusement accueilli, souriant et
heureux de se retrouver, d’autant que le climat, pas aussi hot que la musique, laissera le monopole des cordes aux pianistes.
Rossano Sportiello, Guillaume Nouaux, Malo Mazurié, Louis Mazetier, Luca Filastro
© Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Le premier concert sur la grande scène qui prolonge la soirée fut simplement phénoménal au plan du talent pianistique. Sont réunis trois pianistes d’exception: Louis Mazetier, Rossano
Sportiello, Luca Filastro, autour de deux pianos à
queue séparés par la batterie de Guillaume Nouaux, et devant laquelle se baladent Malo Mazurié et sa trompette. Trois pianistes et deux pianos, vous avez
compris, il y aura un jeu de chaises musicales, et donc des solos, duos, trios
et même quartets (à deux, quatre et jusqu’à huit mains selon
les moments), enrichis par les interventions sur mesure du batteur et éclatantes du trompettiste.
C’est de la haute-voltige, car outre les incessants changements scéniques et la
qualité musicale de tous les instants, c’est d’une virtuosité exceptionnelle.
Les
solos sont à l’initiative de chacun des pianistes: si le répertoire stride est
dominant (Fats Waller, James P. Johnson…), Louis choisit d’improviser quelques medleys, où son attaque nette et
puissante fait merveille, quand Luca propose une composition personnelle
(«Vilnius»), évoque Fats Waller et mêle parfois quelques accents d’Erroll Garner avec
un égal bonheur, ou que Rossano nous gratifie d’une belle pièce de Bud Powell («I'll Keep Loving You») et introduit la seconde partie
par «Chopin in jazz» combinant des thèmes du grand compositeur romantique et sa relecture poétique du jazz stride, interprétation où son toucher exceptionnel de délicatesse est à son sommet.Les duos Luca-Rossano («You Took Advantage on Me», «Monday
Date/Them Their Eyes»); Louis-Luca («Taking a Chance on Love/Keepin’ Out»);
Louis-Rossano («The Curse of an Aching Heart», «Darn That Dream»); Luca-Malo
(«Way Down Yonder»); Louis-Guillaume («Carolina Shout»); Luca-Guillaume
(«Stompin’ at the Savoy»); les trios Rossano-Malo-Guillaume («I’ll Never Be the
Same»); Louis-Malo-Guillaume («East St. Louis Toodle-Oo»); Louis-Luca-Guillaume
(«I Wish I Were Twins»); Luca-Malo-Guillaume («Running Wild»)… Tous ces
échanges complices, parfois émouvants, souvent «échevelés», font la part belle au stride, au blues et au boogie, et évoquent
aussi la tradition depuis le ragtime, Louis Armstrong, Duke Ellington, Bubber
Miley, Babby Dodds, Teddy Wilson, jusqu'à Bud Powell…, et se sont terminés en apothéose par des réunions en tutti à la fin des deux sets, où Gilles
Blandin s’est glissé au clavier avec gourmandise. Inutile de
dire que le public était conquis et subjugué par cette musique qui conjugue si
bien l’expression, la virtuosité et une joie de vivre d’un autre temps qui
n’était pourtant pas si facile.
Malo, Gilles, Luca, Guillaume, Rossano et Louis © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Dans l’esprit convivial du festival, signalons deux
invités-surprise pour le public, en piano-duo, en introduction de la seconde
partie sur la grande scène: Marc et Gabriel Durst (père et fils, et physiquement ça ne laisse place à aucun doute), que Gilles
Blandin et une amitié de longue date avaient convié au festin d’ivoire. Une découverte pour tous, une belle
complicité et toujours cette étonnante virtuosité autour de la tradition de
Fats Waller à Art Tatum, pour laquelle le «gamin», ingénieur par ailleurs, a judicieusement fabriqué une
prothèse de prolongation du petit doigt de main gauche de manière à respecter les accords du Maître dont les mains étaient si grandes… Inutile de dire que la surprise était d'excellent niveau, avec une mise au point des échanges de pianos que les liens familiaux n'expliquent qu'en partie; il faut aussi de la passion et un sacré travail!
Gabriel et Marc Durst © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Le 15 juin, l’extérieur-jazz nous a permis de découvrir The
Rag Messengers, le trio réunissant Auguste Caron (p), Ezequiel Celada (cl, ss)
et Ophélie Luminati (dm), une musique joyeuse en parfait accord avec l’esprit du
festival. Auguste Caron a fait revivre le regretté François Rilhac, tant par le répertoire («Martinique» de Fats Waller; «Shreveport Stomp», «Original Jelly Roll Blues», «Winin Boy Blues», «Don't You Leave Me Here» de Jelly Roll Morton; «Fussin’» de Willie the Lion Smith; «Supraton in Marrakouch» de François Rilhac; «Passeport to Paradise», «Moulin à café» de Sidney Bechet; «Jubilee Stomp» de Duke Ellington; «Joshua Fit the Battle of Jericho»; «Wild Cat Blues» de Clarence Williams/Fats Waller; «Stardust» d’Hoagy Carmichael; «Snowy Morning Blues» de James P. Johnson…) que par sa qualité d’attaque sur le piano, où l’on apprécie ses évocations de
la poésie du ragtime aussi bien que son jeu pétillant sur les up-tempos. Virtuose et puissant sur son piano droit, il entraîne
avec un sourire éclatant et une indéniable énergie, dans le prolongement de
celle constatée la veille, ses deux compagnons vers ce premier jazz qui n’a pas
pris une ride. Ezequiel Celada alterne avec bonheur la clarinette au son boisé,
droit et le vibrato de son saxophone soprano, dans l’esprit d’un Bechet apaisé
(«Passport to Paradise»). Quant à Ophélie Luminati, elle accompagne avec une
précision millimétrée de ses roulements de caisse claire ou de ses toms graves, de ses
rebords de caisse opportuns pour évoquer le washboard, le tap dance, et de ses ponctuations économes aux cymbales, n'hésitant pas à emballer la machine sur le «One Step» final de Nick La Rocca (Original Dixieland Jass Band). Rien ne
semble en fait improvisé dans ce trio où il y a un beau travail complice qui a
littéralement captivé et enthousiasmé l’assistance… au point qu’elle en a
oublié de danser. Cette première partie de soirée avait déjà des allures de
concert car le public subjugué n’a lâché le trio qu’à regret après un rappel.
Ophélie Luminati, Ezequiel Celada, Auguste Caron © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Frank Muschalle et Ladyva
© Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Le concert du soir proposait en première partie le duo
spectaculaire, essentiellement autour du boogie, avec le parrain du festival, Frank Muschalle, le «spécialiste mondial» en la matière, qui est aussi à
l’origine du festival, et sa disciple, Ladyva, attraction du festival 2024. Frank
Muschalle est encore un pianiste d’exception, dans le registre blues et boogie,
et il a travaillé sur la profondeur de ses interprétations, sur le son, pour
garder ce qui fait l’authenticité de cette musique. Dans le set, il a commencé
par plusieurs pièces en solos, dont certaines assez rares, qui ont déchaîné le public sans perdre l’esprit
de la musique, faisant valoir une virtuosité hors norme, pour un public très
sensible à cette dimension, alternant traditionnels («Mecca
Flat Blues» d’Albert Ammons, «Swingin´ the Boogie» de Pete Johnson, «Mama, You
Don't Mean Me no Good» de Little Brother Montgomery, «Suitcase Blues» d’Hersal Thomas qui vécut moins de 20 ans) et
compositions originales («Blue
Without You», «Boogie Woogie Plunger»).
La deuxième partie du set a alterné les duos boogie avec une
Ladyva, elle aussi très compétente («Footpedal
Boogie» d’Albert Ammons/Pete Johnson, un original de Frank: «Mutiny in the
Fishhouse») et un spectacle quelque peu différent, par l’esprit, de Ladyva
en soliste, où elle chante parfois dans un registre modernisé qu’on pourrait
qualifier de «boogie-rock» pour en donner une idée approximative. Ladyva est
une bonne pianiste de boogie –ses duos avec le maître Frank
Muschalle, un véritable défi–, et il y eut des moments très spectaculaires; en soliste, elle sait parfaitement emballer son public avec d’autres arguments comme sa présence scénique et son sourire.
Le public lui a fait un triomphe et, bien sûr, le concert s’est encore terminé en up-tempo pour un boogie woogie à six mains quand
Gilles Blandin a été convié par Ladyva et Frank Muschalle à un «Sixth Avenue
Express» endiablé qui a soulevé le public de ses chaises.
Gilles Blandin, Ladyva, Frank Muschalle © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Après un entracte rag, stride & boogie, comme toujours
autour de pianistes venus en spectateurs mais qui avaient les doigts qui
démangent (Christophe
Benz, Michel Reimbert et Marie de Boysson, une disciple du regretté Jean-Paul Amouroux…),
il appartenait au trio de Pablo Campos de terminer en beauté ces deux jours,
avec un répertoire assez éclectique, introduit par «Love You Madly» de Duke
Ellington puis allant des standards («Besame Mucho», «What a Little Moonlight
Can Do», «By Myself», «Mad About the Boy», «Thou Swell», «I Don’t Know Enought
About You»…) à West Side Story, la
comédie musicale de Leonard Bernstein, dans
une interprétation en solo du leader de trois pièces («Maria», «Tonight»,
«Somewhere»), sans oublier un détour par la chanson de Bourvil «La Tendresse», richement
harmonisée et interprétée au chant de manière personnelle et émouvante par un Pablo
Campos très fin pédagogue dans sa manière d’introduire chacun des thèmes par
des commentaires savants et contextuels.
Malte Arndal, Luca Fattorini, Pablo Campos © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
La référence jazzique du pianiste-chanteur est Nat King Cole,
il ne s’en cache pas, et la voix bien posée, claire, juste et expressive de
Pablo, complétée par un jeu de piano de haute tenue et en harmonie avec
l’esprit musical du moment, sont en phase avec ce répertoire qui
évoque d’autres voix célèbres comme Billie Holiday, Dinah
Washington, Judy Garland et Peggy Lee. Le bassiste Luca Fattorini apporta une contribution
élégante comme cette belle ligne de basse en ostinato qui accompagne «Mad About
the Boy». Le batteur Malte Arndal, dans son style plus nerveux, compléta ce bon
trio. Bien que dans une autre couleur que le reste d’un programme tourné vers
le piano stride et boogie, ce dernier concert fut comme une respiration
décalée, appréciée par ce public de connaisseurs qui avait déjà été rassasié de
l’autre spécialité de Tinténiac (au-delà de la galette de sarrasin) le piano boogie and blues… enfin jusqu’à la prochaine édition!
Yves Sportis
Photos: Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
avec nos remerciements
© Jazz Hot 2024
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Le Cercle suédois, Paris
Larry Browne Quartet, 19 juin 2024
Le 19 juin, dans le cadre de ses «Rivoli Mercredi Jazz», le Cercle suédois, bientôt contraint au déménagement (cf. Hot News), accueillait le quartet du toujours swinguant Larry Browne: Zoé Sédano (p), Léonard Pauly (b) et Rémy Voide (dm). Avec les qualités de showman qu'on lui connaît, le trompettiste-chanteur a animé deux sets où se sont enchaînés les standards avec des arrangements au cordeau tirés des répertoires de Duke Ellington, Cole Porter ou Nat King Cole.
Zoé Sédano (p), Larry Browne (tp), Borys Janczarski (ts), Léonard Pauly (b), Rémy Voide (dm),
Cercle suédois, Paris, 19 juin 2024 © Jérôme Partage
On retiendra en particulier «Ain't Necessary So What» combinant habilement le «Ain't Necessary So» des frères Gershwin et le «So What» de Miles Davis, où s'est exprimé le beau toucher blues et perlé de Zoé Sédano. L'intensité du swing est montée d'un cran au second set –section rythmique plus chaude, public plus réceptif qu'en début de repas– d'autant que deux invités se sont joints au quartet pour faire le bœuf: le ténor polonais Borys Janczarski (complice du regretté Rasul Siddik sur Contemplation, 2020, For Tune) arrivé sur «A Beautiful Friendship» (Donald Kahn/Stanley Styne) puis la chanteuse Manu Le Prince sur «Lullaby of Birdland» (George Shearing/George David Weiss).
On espère bien sûr que le Cercle suédois continuera à proposer ses soirées jazz conviviales quand il aura trouvé ses nouveaux locaux.
Jérôme Partage
Texte et photo
© Jazz Hot 2024
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Spring in Bruxelles
23 mars - 15 juin 2024
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Jazz Station, 23 mars 2024
Ce projet s’inscrit dans le cadre des «Young
Talents» issus des Conservatoires de Bruxelles et il est régulièrement programmés par la
Jazz Station. Il s’agit donc d’écouter et retenir les musiciens et les musiciennes
qui prendront la relève sur nos scènes. D’ores et déjà, Eliot Knuets (g) et Wajdi
Riahi (p), par exemple, sont des valeurs déjà confirmées. Ce soir, c’est la
nouvelle promotion des écoles de jazz qui se présente à nous.
Ornella Noulet (as,ss) dirige un sextet qui
prend Jackie McLean, le hard bop et la musique modale en référents, ce qui
n’exclut pas quelques originaux. Les tempos sont rapides, les phrases incisives
sont jouées forte. Péchés de jeunesse:
il faut faire beaucoup de notes, multiplier les triples et quadruples croches
(«It’s Time»). Gaspard Mathelin (tp) alterne les solos avec Ornella Noulet. Les
thèmes sont généralement exposés par les souffleurs en parfaite union. A la
contrebasse, on se doit de souligner la grande maîtrise de Scott Cizhou Wong:
il tient le tempo, juste et imperturbable, indifférent aux frappes
intempestives et parfois approximatives d’Egon Wolfson (dm). Le très jeune
Roman Raynaud (g) n’intervient pas dans tous les thèmes mais au cours des rares
solos qui lui sont dévolus; on retient un beau son et une grande aisance du
doigté; il colore avec un sens aigu des belles harmonies de passage. Loïc
Lengagne (p), accompagnateur discret, succède avec créativité aux discours des
solistes, leur emboitant le pas, développant les idées exprimées par l’altiste
ou le trompettiste. Le très beau «A Ballad for Doll» est venu en respiration
dans le premier set, nous permettant d’apprécier au mieux la souplesse et
l’aisance de chacun. Ornella Noulet n’a joué que deux morceaux au soprano (un
dans chaque set); c’est bien dommage car l’instrument encourage sa vélocité et
sa créativité. Le deuxième set commence par «Blues for Swanny Correa» avec
Lucie, une chanteuse correcte, un peu sous-amplifiée (merci Yannick). Puis on se lance à corps perdu dans un jazz modal
qui doit plus à Coltrane qu’à McLean. Ornella Noulet se libère totalement avec
des phrases répétées en gradations et
des harmoniques; Loïc Langagne est exubérant; le trompettiste s’abstient et
Roman Raynaud sort ce qu’il a dans le ventre: Wild and Fury! Les figures de style varient dans cette deuxième
partie avec des duos (as/b, g/p, as/dm). Les musiciens sont à l’aise et
bien plus en nuances qu’en première partie. C’est d’ailleurs les nuances –accentuations, breaks– que cette belle
jeunesse doit encore apprendre. En définitive, une soirée agréable qui ouvre
sur des lendemains… qui chantent!
Mark Turner (ts), Jazz Station, 31 mars 2024 © Roger Vantilt
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Jazz Station, 31 mars 2024
Le premier morceau donné par le Mark Turner (ts)
Quartet débute par une longue intro’ basse
(Joe Martin)/batterie (Jonathan Pinson) avec déjà un double tempo joué sur
les drums. Jonathan Pinson apparaît dans une forme éblouissante; son jeu est
une déferlante qui emmène les quatre musiciens. Sorte de petite suite, la
deuxième partie, enchaînée, est plus apaisée. Le thème suivant, démarre à
contrario par un ensemble à l’unisson trompette/sax ténor. Une fois de plus le
tempo est doublé derrière l’excellent solo de Jason Palmer (tp) puis on change
de climat en dédoublant avec un dialogue sax/contrebasse et un solo de batterie
remarqué pour la fluidité de l’attaque sur le snare drum. Carte de visite du groupe: les longues intros. Cette
fois, c’est Mark Turner qui s’y applique, seul, avec un grand lyrisme. Le
bassiste et le batteur le rejoignent avant de laisser la place à Jason Palmer,
également seul et pareillement inventif. La structure est riche et variée tout
au long du concert avec des ensembles écrits, des duos en harmonie, des
changements rythmiques et des contrastes qui ouvrent sur des solos
hyper-créatifs. L’attention de l’auditeur ne peut faiblir tant les
constructions sont à chaque fois d’agréables surprises. La cohésion magistrale
du quartet sur une musique savante nous laisse groggys mais heureux!
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Jazz Station, 11, 15, 17 mai 2024
Le 11 mai, le
premier soleil du printemps n’a pas contrarié les projets des jazzfans habitués
des concerts de 18h le samedi à la Jazz Station. Il faut dire que chaque
musicien du quartet de Jacques Schwarz-Bart s’est déjà produit en diverses
formations au cours des vingt premières années de ce club incontournable de la
capitale européenne. Le
concert s’est principalement orienté sur le répertoire du dernier album du ténor guadeloupéen, The Harlem Suite (Ropeadope), et de quelques originaux
non-encore publiés («Dead-Dress Blues»,
«Joli morceau»). Avant chaque morceau, le leader a tenu à nous dévoiler l’idée
qui a prévalu à l’origine de l’écriture. Ainsi, «Contredanse» se veut l’image
du vaudou haïtien et de la musique des Caraïbes; «Time Travel» est un mix
de différents grooves. L’ambiance ira crescendo sur la scène comme dans le
public. Jacques Schwarz-Bart se caractérise par un jeu puisant en une sorte de
hard bop coloré, parfaitement maîtrisé dans tous les registres et
particulièrement juste dans l’aigu («Twisted»). Grégory Privat (p) nous a
offert de longs solos, progressifs en intensité allant même jusqu’à la transe. Reggie Washington (b) a
fait son nid à Bruxelles. Le sexagénaire, humble serviteur des leaders, séduit
toujours autant par son accompagnement précis dans le tempo. J’étais un peu
dubitatif quant au jeu d’Arnaud Dolmen (dm) lors du premier set; il s’est
heureusement libéré au fil des morceaux, collant aux virages de Schwarz-Bart
avec beaucoup d’enthousiasme. En rappel, une ballade bluesy, «From Goré to
Harlem». Beau début de soirée, musique séduisante!
Une
douzaine de spectateurs seulement le 15 mai pour ce concert des Lundis d’Hortense: les
absents ont toujours tort! L’essentiel tourne autour des titres de l’album Phases (Hypnote) de Manu Codjia (g), sorti
en 2021 en trio avec Lieven Venken (dm), lequel signe des originaux avec le
leader, et Giuseppe Millaci (b). Dès le
premier morceau («Phase One»), Lieven Venken impose un drive énergique précédant une belle ballade («Al Blade») de la
plume du guitariste. Suit une composition de Wayne Shorter qui met en valeur
Giuseppe Millaci pour un solo richement inspiré. Au long du premier set, les
ballades succèdent aux tempos bien marqués et les brosses aux sticks. Manu
Codjia affectionne particulièrement l’écho et la reverb modulés au pédalier.
Son jeu, clair, est principalement basé sur une succession d’accords émaillés
de passages en single notes. Echos et résonances sont les maîtres mots! En fin
de première partie, Lieven Venken lance «Stingy Lulu Blues». Cette composition
sonne en référence aux marching bands louisianais. Le second set, truffé de
standards, déroule «Oleo» et d’excellents breaks à la batterie. Suit «Why My
Heart Sings» et pour conclure «You Belong to Me» joué en accords et sonnant
dans un style proche de Wes Montgomery.
La chanteuse sud-africaine Tutu Puoane, établie en
Flandre, se produit un peu partout, de Londres à Paris, mais rarement à
Bruxelles. Bonne raison pour se rendre le 17 mai de nouveau à la Jazz Station de
Saint-Josse-ten-Noode! Dans la salle, avant le concert et pendant l’entracte,
on n’entend parler que le néerlandais, c’est dire la popularité de cette
chanteuse qui déplace ses fidèles à trente-cinq kilomètres plus au Sud! Pour
contenter tout le monde, elle s’est adressée à nous en anglais! Elle a écrit
les textes que son époux, Ewout Pierreux (p), a mis en musique. C’est un peu
l’histoire de son pays qu’elle conte avec profondeur et une belle ampleur
(aisance à l’aigu), avec des accents ethniques mais aussi de blues («Open Your
Eyes»). Elle surprend dans le deuxième thème en sifflant un long solo. On
notera ensuite le solo puissant d’Ewout Pierreux sur «Open Your Eyes» et celui
de Clemens van der Feen (b) sur «The Falling Days» où la contrebasse est
naturelle, sans micro embarqué. Avec «The Power of Life» en ouverture du second
set, Ewout Pierreux prouve sa filiation dans un swing inspiré d’Horace Silver
et Herbie Hancock avec le soutien de Dré Pallemaerts (dm). Le concert se
terminera par un duo piano-voix justement intitulé «You and I». En rappel, nous aurons encore droit à une très jolie
ballade: «Song for Kedi».
• The Music Village, 10 juin 2024
La musique de Jacky Terrasson (p), en trio
avec Géraud Portal (b) et Lukmil Perez (dm), accroche et séduit par un
répertoire qui mixe chanson française et standards américains. Les arrangements
sont joyeusement brodés («Caravan», «Misty»), n’hésitant pas à mêler Piaf, Chopin
et «Besame Mucho». On remarque les chorus en accords appuyés des deux mains,
les ostinatos qui frisent la transe pour introduire les solistes et fixer l’attention
de l’auditoire. Ainsi, «Caravan», déstructuré, est ouvert par un solo de Géraud
Portal, puis un ostinato de la main gauche pour lancer Lukmil Perez. Après
«Misty», un calypso met en valeur le contrebassiste qui chantonne toutes les notes
qu’il joue. Une valse en 3/4 s’émaille de breaks.
D’un bout à l’autre les rythmes sont puissants. A aucun moment Jacky Terrasson
ne laisse la main gauche au repos alors que la droite tricote les doubles et
les triples croches. Le second set se termine par un hymne profond à mi-chemin du
gospel. En rappel, «Autumn Leaves» nous
reconduit dans une nuit froide, contraste frappant avec la chaleur qui
réchauffa nos cœurs.
• Jazz Station, 15 juin 2024 Pour ce concert, Igor Gehenot (p) avait
choisi d’inviter Franck Agulhon (dm) pour accompagner ses amis belges: Steven
Delannoye (ts), Gregory Houben (tp, flh) et Sal La Rocca (b). Il n’a pas dû le
regretter car le Français s’est parfaitement intégré au quintet, un œil sur son
Real Book et les deux oreilles ouvertes
pour suivre les solistes avec les accentuations de mise, sans dévier du tempo.
Le quintet est dans la bonne tradition hard bop, dans la filiation des Messengers d’Art
Blakey. C’est d’ailleurs par une composition de Freddie Hubbard qu’ils amorcent
la soirée. Suivent «Grew’s Tune» de Mulgrew Miller, «Sans souci» de Gigi Gryce et Donald Byrd,
«Sail Away» de Tom Harrell et «Driftin’» d’Herbie Hancock en rappel. Chaque
musicien aura sa part d’aura en solo. On a particulièrement noté ceux d’Igor
Gehenot sur «Sans souci», «Black Inside» d’Antonio Faraò et sur «Driftin’»;
ceux, inventifs, de Sal La Rocca sur «Yama» de Lee Morgan et «Driftin’»; l’aisance
de Steven Delannoye dans «Grew’s Tune» et «Black Inside». Gregory Houben est à
l’aise partout: à la trompette il s’envole sur «Yama», au bugle il pose sa
belle sonorité feutrée sur «Sail Away»», à la trompette bouchée, lors du
deuxième rappel «All the Things You Are» (Jerome Kern) vient clôturer un
joli concert in the tradition.
Jean-Marie Hacquier
Photo: Roger Vantilt
© Jazz Hot 2024
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Jean-Pierre Rebillard (b), Larry Gillespie (tp),
Laurent Katz (p), Le Melville,
30 mai 2024 © Jérôme Partage
Le Melville, Paris
Larry Gillespie Trio
Ouvert
depuis novembre 2022 rue Jean Mermoz, près du Rond-Point des Champs-Elysées, Le Melville
–dont le nom rend hommage au grand réalisateur Jean-Pierre Melville (cf. Tears Roger Paraboschi) qui fit
des clubs de jazz un des décors récurrents et du jazz une des bandes-son favorites de ses polars–, est un dining bar dans la tradition du jazz Rive-Droite des années 1950-1967 (cf. Tears Michel Sardaby) avec jazz et musiques latines, du mardi au samedi à partir de 20h30.
Le 30 mai, le
trompettiste bien nommé Larry Gillespie s’y produisait en trio. Ancien membre de l’orchestre
de Ray Charles, il est installé en région parisienne depuis deux ans,
et y avait séjourné dans les années 1990 se liant
avec le pianiste Laurent Katz qui écrit les arrangements de son West Coast
Big Band. Pour compléter le trio, l’excellent Jean-Pierre Rebillard tenait la
contrebasse. Sur un répertoire évoquant Chet Baker, Stan Getz, Stan Kenton, les musiciens ont donné deux sets pleins d’élégance et de
swing, de «A Foggy Day» (George Gershwin) –où s’est exprimée la sonorité chaude
du leader– à «Once I Loved» (Antônio Carlos Jobim) ou encore la belle
composition de Laurent Katz, «Mr. The Hawke», inspirée par le batteur de la
Côte Ouest Ted Hawke, amoureux de Paris et sideman de Dave Pike (vib) ou de Kai Winding (tb). La soirée s'est terminée comme il se doit en bœuf avec l’arrivée de Zoé
Sédano (p) et son duettiste actuel Larry Browne (tp,voc) –ils seront à l'affiche du Café Laurent le 10 juin prochain– lequel trompettiste s'est livré à un réjouissant duo suivi d’une «scat battle» endiablée avec Larry
Gillespie. Si on ajoute à cela une cuisine délicieuse et un accueil convivial, tous les ingrédients étaient réunis d’une soirée légère qui nourrit les papilles et l’âme.
Jérôme Partage Texte et photo
© Jazz Hot 2024
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Paris, Sunset
Pat Martino Tribute Quartet
Staffan William-Olsson, Joel Frahm, Pat Bianchi, Joris Dudli, 10 mai 2024
Le 10 mai, le Pat Martino Tribute Quartet, formation dédiée à la mémoire du grand
guitariste de Philadelphie disparu en 2021, effectuait l’étape
parisienne de sa tournée européenne au Sunset. C’est Staffan William-Olsson
(1959) qui était chargé d’évoquer le jeu enraciné dans le blues de Pat Martino.
Le guitariste suédois vit à Oslo depuis 1986. Il a débuté sa vie musicale par la
fusion et le rock, et n’a pas grandi dans le même climat musical que Pat Martino. Pour autant, il a choisi aujourd'hui cette filiation; sa
participation au long-court au groupe The Real Thing, cofondé en 1992 par Sigurd
Køhn (ts) et Palle Wagnberg (org), comme la direction de son nonet Sharp 9, attestent d’un parcours cohérent dans le jazz depuis de longues années. En sa qualité d’ancien
accompagnateur de Pat Martino pendant dix années, l’organiste Pat
Bianchi (1975) a apporté au groupe une intensité blues & soul héritée de ce
précieux compagnonnage, ajouté à d’autres tout aussi formateurs avec Lou Donaldson,Alvin Queen ou encore Ralph Peterson Jr. L’assise rythmique du quartet reposait sur les qualités de swing de l’excellent Joris Dudli (1957) –dont
nous avons récemment chroniqué le dernier album–, souvent sollicité par les musiciens américains de passage sur le Vieux Continent. Enfin, le
superbe ténor Joel Frahm (1969), soliste vedette de cette affiche, a insufflé
une revigorante énergie bop.
Joris Dudli (dm), Staffan William-Olsson (g), Pat Bianchi (org), Joel Frahm (ts), Sunset, 10 mai 2024 © Jérôme Partage
L’hommage s’est ouvert sur deux compositions de Pat Martino,
«Draw Me Down» et «The Visit», suivies de deux bons originaux de Staffan
William-Olsson, «Mortal Enemies», un thème dérivé de «Just Friends», et une
bossa, «The Black Pearl». «Reboppin’» de Joey DeFrancesco a mis en avant le
groove profond de Pat Bianchi tandis que Joel Frahm glissait avec malice, au détour d’un solo captivant, quelques mesures du générique d’une saga à succès avant de laisser la parole à Joris Dudli pour un solo plein
de relief. Le quartet a fait preuve de sensibilité sur les ballades
telles «Along Came Betty» (Benny Golson) et «Lament» (J.J. Johnson) joliment
exposée par Staffan William-Olsson, suivi d’une remarquable intervention de Joel Frahm en solo.
Un hommage à la hauteur du guitariste de légende
qu’était Pat Martino, bienvenu car la communauté du jazz n’avait
pu lors de son décès pendant les confinements covid, lui témoigner son respect et sa reconnaissance pour la pierre qu'il a légué à l'édifice collectif du jazz.
Jérôme Partage
Texte et photo
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JAZZ STAGES © Jazz Hot 2023
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December in Bruxelles
Jazz Station, Sounds
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Jazz Station, 2 décembre 2023
Le Martiniquais Grégory Privat (p, kb, voc)
est un habitué des caves parisiennes. A Bruxelles, il avait répondu à l’invitation
de David Linx à la Jazz Station et au Marni au cours de la saison écoulée.
L’enthousiasme qu’il suscita ne pouvait manquer d’inciter les organisateurs de
la «gare du jazz» à le réinviter. Les habitués s’étaient donné le mot, il
manquait des chaises pour recevoir tout le monde à cet unique concert
bruxellois. Cette fois, il est en trio avec Chris Jennings (b) et Tilo Bertholo
(dm). Grégory Privat joue merveilleusement bien avec fluidité dans le doigté,
des phrases jolies et inspirées. Ce qui surprend, c’est son chant en voix de
tête. Ce chant essentiel ou complémentaire peut apparaître superflu. La plupart
des originaux, tous chantés en créole, sont gravés sur l’album Soley
(2020, Buddham Jazz): «Las», «Le
Pardon», «D.N.A.» ou encore «Soley». Ajoutez à cela des nouveautés:
«Phenix», «Genesis», «Heliopolis» et «Another Board» dédié à son
grand-père. Les constructions rythmiques et harmoniques du leader sont
variées
et de bon goût, les conversations avec le batteur captivent. Chris
Jennings ne
m’a pas fait grande impression lors du premier set: ses interventions à
l’archet sonnaient faux et ses pizzicatos péchaient par lourdeurs
(«Metamorphosis»).
Il s’est heureusement rattrapé en deuxième partie. On retiendra (et ce
n’est
pas courant) la gentillesse de Grégory Privat dans ses adresses comme
dans ses
rencontres particulières lors des nombreuses dédicaces.
Matheus Nicolaiewsky (b), Joris Posthumus (as),
Sander Smeets (dm), Jazz Station, 8 décembre 2023
© Jean-Marie Hacquier
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Jazz Station, 8 décembre 2023
Outre la belle énergie du leader, c’est la
parfaite cohésion du trio Joris Posthumus (as), Matheus Nicolaiewsky (b),
Sander Smeets (dm) qui doit être retenue. Basse et batterie sont à l’unisson du
sax alto. Joris Posthumus avoue son admiration pour John Coltrane et Kenny
Garrett («Little Steps», «That’s Elvin»). Son discours post-bop est volubile,
certes, mais il sait aussi, avec talent, changer les structures, doubler ou
dédoubler, passer en harmoniques, placer des breaks, initier des stop-chorus,
dialoguer avec son bassiste ou son batteur («Key Fingers», «Contra-Band») … et
pas seulement dans les 4/4! Le répertoire axé sur ses compositions («Human
Live») ne néglige pas les ballades («The Pelgrims Travel») ni les citations
(«All the Things You Are»), ni les reprises-surprises qu’il a joliment
réarrangées («Night and Day»). Matheus Nicolaiewsky,
au faciès imperturbable, joue juste et puissant. L’attaque de la main droite
est solide faisant appel tant à l’index et au majeur qu’à l’auriculaire
lorsqu’il ne phrase pas en accords. Sander Smeets est la quintessence de la
batterie, de Jo Jones à Elvin en
passant par Blakey. On retiendra ses roulements à la caisse claire et le solo
pris sur la charleston. Pas une seconde d’ennui au cours de ces deux sets,
longs mais pour nous encore trop courts!
•
Jazz Station, 16 décembre 2023, 18h
Sur les scènes belges, on rencontre souvent
Armando Luongo (dm) comme accompagnateur. On a déjà noté son écoute et le
soutien discret mais efficace qu’il apporte aux solistes. Ce soir, on l’a découvert
leader et compositeur avec le groupe qui l’accompagne sur son album New Lands (Hypnote Records). C’est
d’ailleurs l’intitulé du thème d’ouverture en fast tempo. Pour «Korean Tree», il use des mailloches sur les
cymbales avant un premier solo de Wajdi Riahi (p), excellent comme d’habitude.
Suit un jeu de questions/réponses entre le guitariste italien Giovanni Di Carlo
et le sax alto de Kansas City Matt Clark. Jean-Paul Estiévenart (tp) est invité
sur la ballade «La Ballata di Kali», un morceau qui démarre sur des blue notes et un ostinato au piano. Le set se termine sur de joyeux débordements,
trompette et saxophone rivalisant de prouesses. La deuxième
partie débute par une intro de Wajdi Riahi et quatre notes répétitives,
obsédantes. Suivent «Nazno Ballerino» et «Vibes» avant un original, «Out Off
Control», des blue notes tendance gospel,
des solos pour tous et particulièrement pour Giovanni Di Carlo qui s’était fait
beaucoup trop discret jusque-là. Wajdi Riahi siffle le thème en finale, hors
contrôle. Après «Looser», on revient à un ostinatoau piano propice à un solo fulgurant d’Armando Luongo.
Rosario Giuliani, Sounds, Bruxelles, 16 décembre 2023
© Jacques Prouvost by courtesy
• Sounds, 16 décembre 2023, 21h
En 1997, Rosario Giuliani (as) était venu
gagner l’European Jazz Contest d’Hoeilaart (banlieue flamande de Bruxelles). A
la suite, il effectuait son premier concert en Belgique, à la tête de son
quartet. Cela se passait au Sounds Jazz Club d’Ixelles tenu à l’époque par
Sergio Duvaloni et Rosy Merlini. Le Sounds est encore aujourd’hui un des
incontournables rendez-vous de la capitale belge. Entretemps, Rosario Giuliani a continué son
chemin tissé de lauriers en passant notamment par Lutèce. Nous avons retrouvé
le saxophoniste romain et son inséparable pianiste, Pietro Lussu quelques
vingt-six années plus tard et l’un comme l’autre n’ont pas pris une ride
(musicale): même fougue, même créativité hard bop! Pour l’auditeur, même
plaisir d’écoute! Pour l’occasion, Sergio et Rosy, retraités, n’ont pas manqué
de venir saluer cette perle du jazz transalpin. Outre Rosario et Pietro Lussu,
le quartet compte un très bon batteur russe, Sasha Mashin, et un surprenant
bassiste, Dario Deidda, qui use d’une guitare-basse acoustique. Une
révélation éblouissante! La sonorité de l’instrument a la chaleur d’une
contrebasse, mais, en plus, son propriétaire en joue avec dextérité et
créativité. Le concert et celui de la veille font l’objet d’un enregistrement live pour Hypnote Records. Dès le
premier thème, «London by Night», Rosario Giuliani lance le quartet sur un
tempo fougueux. Après un premier solo, il met en valeur son pianiste et son
bassiste; suit un dialogue intéressant (4/4) entre drums et piano avant un second solo de l’altiste qui se termine sur
la reprise du thème. On est déjà séduits! Pour le deuxième morceau, «Paese di
Sabbia», Rosario Giuliani débute seul par une longue et rapide intro qui oblige
ses compagnons à dédoubler pour ouvrir sur le beau solo de Pietro Lussu.
Nerveux, Rosario chipote son bec et son bocal lorsqu’il cède le lead à l’un ou
l’autre. Le quatrième morceau est une ballade qui dévoile le jeu sensible et
les vibratos de l’altiste. Dario Deidda suit avec un solo particulièrement
inspiré. En conclusion du premier set, l’altiste met ses pas dans ceux de
Coltrane («Interference») avec le cri, les modulations et les harmoniques.
La deuxième partie est presqu’entièrement constituée d’une longue suite écrite
par Pietro Lussu mais elle n’a pas encore de nom. Rosario propose «Brussels»
et le public applaudit comme s’il fallait encore cela pour le conquérir! Au
cours de cette longue œuvre, on ne s’ennuie pas: le pianiste exprime tout son
talent, initie les changements de rythmes, de fast-tempo à legato.
Dario Deidda est chaleureusement ovationné, il le mérite. L’œuvre se poursuit
par un duo basse/batterie avant un final en feu d’artifice.
Jean-Marie Hacquier
Photos: Jean-Marie Hacquier
Jacques Prouvost, by courtesy
© Jazz Hot 2023
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Autumn in Bruxelles
Jazz Station, Flagey, Bozar
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Jazz Station, 22 septembre 2023
Les fins de
semaine en club commençaient à nous manquer. La nouvelle saison à la Jazz Station est donc arrivée à point nommée. J’apprécie beaucoup Tuur Florizoone (acc). Ce
soir-là, avec son trio Tricycle, il avait choisi un répertoire faisant la part
belle aux fugues et gavottes à cent lieues du jazz. J’ai noté au passage
quelques beaux solos de Vincent Noiret (b) («Jouer au Parc Rouge») et de
Philippe Laloy (as, ss, bfl), particulièrement à la flûte-basse («Ugo», «Zoom»).
«Contamine Montjoie» est venu, en seconde partie, confirmer l’option
moyenâgeuse du répertoire. Où est le swing d’antan!
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Flagey Studio 4, 29 septembre 2023
J’aime assez bien me
laisser bercer par les trios scandinaves. Avec celui de Thod Gustavsen (p), Steinar
Raknes (b) et Jarle Vespestad (dm), à la barre du navire (Flagey n’est-il
pas surnommé «le paquebot»), j’ai écouté le clapotis des vagues sur les flancs
du bateau dans les fjords d’Oslo à Bergen. Au fil de la croisière, on est
d’abord entraîné par une suite symphonique puis les moods alternent: vagues répétitives, variations, valses lentes et
quelques orages pas bien méchants. Les songssont gracieux; la cohésion est parfaite entre les trois hommes qui
s’écoutent, se répondent et se complètent. C’est beau! Il manquait peut-être de
temps en temps un peu de groove!
Christian McBride, Bozar, Bruxelles, 6 octobre 2023
© Serge Braem, by courtesy
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Bozar, 6 octobre 2023
Après Flagey, Bozar:
une manière de renouer avec les deux plus grandes salles de concerts pour le jazz
à Bruxelles! Et de quelle manière! Très belle, assurément, puisqu’il s’agissait du dernier projet de celui qui est sans doute le meilleur bassiste
américain du moment: outre Christian McBride et ses papotages (traduction
littérale de jawing), on retrouvait
Marcus Strickland (ts, bcl) et Josh Evans (tp). Nasheet Waits était aux tambours
et cymbales et ce fut une superbe découverte d’un excellent dialoguiste. Le
répertoire est principalement tiré du dernier album du leader, Prime (Mack
Avenue). Les structures varient au fil des thèmes tant pour les tempos, les
couleurs («Moonchild»), la distribution des chorus ou des ensembles.
Ainsi, l’alternance ténor-trompette (call
and answer), les stop-chorus parfaits, une longue intro à la
contrebasse, le velouté du son de Marcus Strickland à la clarinette-basse
(«John Day»), la déferlante des drums en adéquation totale avec le discours de
tous et les relances de ce terrible Nasheet Waits. A 51 ans et trois centaines
d’enregistrements, le contrebassiste de Philadelphie est plus qu’un
accompagnateur doué (pour Joshua Redman par exemple), c’est un soliste
merveilleux (agilité et finesse du doigté), un très bon arrangeur-compositeur
et un leader incontestable qui rejoint un panthéon qui va de Ray Brown à Ron Carter. Un concert parfait de bout en bout!
• Bozar, 24 octobre 2023
Ce 24 octobre, Bozar proposait les concerts
de deux guitaristes aux approches stylistiques complètement différentes: Philip Catherine et John Scofield. Honneur dès 19h30 au quartet de Philip
Catherine avec Nicola Andreoni (p, kb), Bart De Nolf (b) et Angelo Moustapha (dm,
perc). Après un incident sans gravité en début de concert –Philip Catherine
ayant glissé de sa chaise– la musique s’est déroulée sans heurts avec cette
touche de romantisme bleu ciel qui caractérise le guitariste belge. Son «Misty
Cliffs» est joué en entrée, puis on note parmi les huit thèmes interprétés:
«Crepuscule» de Django, «So in Love» de Cole Porter et un très joli «Mare Di
Note» de Nicola Andreoni. Bart De Nolf assure le tempo avec maestria, Philip
Catherine distribue les solos, initie des questions/réponses avec le pianiste italien
puis avec le jeune percussionniste béninois. Les structures varient: des
ballades surtout, mais aussi un tango. Le guitariste laisse résonner les notes
bleues préférant, comme à son habitude, les couleurs aux envolées lyriques.
Puisqu’à plus de 80 ans il n’a plus rien à prouver, ses solos sont courts,
laissant parties belles à Nicola Andreoni et Angelo Moustapha. Un concert
parfait, une mise en valeur des accompagnateurs et une musique séduisante,
belle comme on la connait.
John Scofield, Bozar, Bruxelles, 24 octobre 2023
© Jeanfrançois Prins, by courtesy
La seconde partie de soirée est diamétralement à
l’opposé de la première. John Scofield pousse le son, tire sur les cordes
(vibrato) qu’il réaccorde entre chaque morceau. Les tempos sont vigoureux
truffés de triples croches. La technique est stupéfiante tant au plectre qu’aux
doigts; les chorus se ponctuent par des accords lorsqu’ils ne sont pas entièrement
exposés en accords seuls; la phrase se termine immanquablement par deux accords
pleins. Le répertoire alterne groove, swing et shuffle, des originaux et des
standards («I’ll Remember April») avec des accents gospel et rhythm & blues. Entre «Mr.
Tambourine Man» et «TV Band», il glisse deux ballades et deux hommages à Carla
Bley disparue la semaine précédente. Vicente Archer, à la contrebasse, calque
son jeu solo sur la vigueur du leader laissant de temps en temps vibrer la
note. Bill Stewart, excellent batteur, apparait plus effacé, même en solo. Faut
dire que le leader tient la dragée haute! Fort heureusement, le final sur «The
Theme» vient nous rappeler qu’il n’est pas quantité négligeable. L’engouement
gagne le public qui applaudit et salue en standing ovation. La demande en
rappel est ignorée: la chose devait être convenue puisque l’éclairagiste n’a
pas tardé à rallumer la salle.
•
Jazz Station, 28 octobre 2023
Malgré une assistance réduite d’une
trentaine de personnes, il fallait s’attendre à ce que ce le duo Ivan Paduart (p) / Olivier Ker Ourio (hca) fasse quelques références à Toots Thielemans puisque
tous les deux ont accompagné l’harmoniciste-guitariste. Après «Rain Waltz» de
Fred Hersch en ouverture, c’est déjà le très beau «For My Lady» de Toots qui
suit. Ivan Paduart prend le premier solo et Olivier Ker Ourio le second. Les jolies
harmonies nous imposent un silence ému. Le son clair et pur du Réunionnais ne
vient pas démentir sa filiation. «J’éprouve
énormément de gratitude» pour Toots, dira, de son côté, Ivan Paduart. Pour continuer dans
ce climat onirique, Ivan Paduart nous offre deux originaux, «Brésilienne» et
«Résilience», puis Oliver Ker Ourio nous fait découvrir «Eva», une composition
dédiée à sa fille qui ajoute le lyrisme à la beauté. Constantes dans ce
concert: le dialogue respectueux, l’inspiration et, osons le mot, le romantisme.
«Day of Wine and Roses» d'Henry Mancini et Johnny Mercer est introduit par le pianiste en walking bass précédant un solo très disert
et une finale legato de l’harmoniciste.
Suivent «I Do It for Your Love» de Paul Simon et «For the Time Being» de Bert
Joris. «Crush» d’Ivan Paduart arrive en conclusion d’un concert en un set de 45
minutes qui nous laisse heureux mais affamés.
•
Flagey Studio 4, 2 novembre 2023
Le Studio 4 de Flagey a étonnamment fait le
plein pour ce concert hors norme en hommage au compositeur-batteur Paul Motian (1931-2011).
Reflet de l’album Once Around the Room: A Tribute to Paul Motian (ECM), le septet emmené par Joe Lovano (ts, ss, cl) et Jakob Bro (g) compte deux
batteurs, Jorge Rossy et Joey Baron, deux contrebassistes, Larry Grenadier et
Thomas Morgan, et un bassiste, Anders Christensen. Le concert est
largement improvisé sur un canevas d’accords, voir sur un seul. Dans cette
formation originale, surprenante autant qu’intéressante, la mélodie est le
vecteur premier. Joe Lovano est, on s’en doute, le plus volubile alors que le
Danois Jakob Bro endosse le rôle de coloriste avec guitare, pédales, échos et loops. Quatre longs morceaux sont au
programme: le premier, post-coltranien, est libre, usant de dissonances et
d’inventivité, le second, en contraste, propose une belle ballade qui magnifie les
pastels et la créativité de Jakob Bro, le troisième, initié au soprano, est une
succession de purs solos offerts successivement à chaque musicien. Avec «Mambo
Jambo», Jakob Bro et Joe Lovano se partagent le leadership. Joey Baron m’apparait
plus impliqué que son alter ego Jorge Rossy: le premier dialogue avec le
soliste alors que le second se contente le plus souvent d’assurer le tempo. La
percussion des peaux varie des brosses aux sticks en passant par les mains nues
alors que Joe Lovano agite des clochettes. Des deux contrebassistes, j’ai préféré
le jeu de Larry Grenadier, Thomas Morgan s’illustrant avec une seule prise de
solo. En revanche, je retiens leur belle complémentarité: quand l’un joue
pizzicato, l’autre utilise l’archet. La guitare basse d’Anders Christensen m’a
parue bien pâle, si pas inutile dans ce septet atypique. 75 minutes, quatre
thèmes et un rappel nous ont procuré un intérêt curieux et croissant comme pour
la majorité des spectateurs qui ont longuement et chaleureusement ovationné les
artistes.
Benoît Vanderstraeten (eb), Marc Frankinet (tp, flh), Antoine Cirri (dm),
Jazz Station, 8 novembre 2023 © Jean-Marie Hacquier
• Les Lundis d'Hortense, Jazz Station, 8 novembre 2023
Pour le premier concert de cette tournée
d’automne, Les Lundis avaient choisi de programmer, un mercredi, un quartet
originaire de la région de Liège constitué de Jacques Pirotton (g), Benoît
Vanderstraeten (eb), Marc Frankinet (tp, flh) et Antoine Cirri (dm). Le
répertoire se devait d’évoquer les souvenirs des musiciens ayant illustré
l’histoire musicale de la Cité Ardente, ce que ne manqua pas de faire Antoine
Cirri lors de la présentation de chaque morceau. Ainsi le premier thème
co-écrit par Jacques Pelzer et Benoît Quersin (b, 1927-1992). Pour
continuer, «Ornette» de Karl Berger (p, 1935-2023): un morceau qui rappelle les
années «libertaires». De José Bedeur (b, 1934), on écouta «Cold Blues», une
sorte de suite avec des changements de tons et de tempos. Attendue, la
ballade «In a Little Provincial Town» de Bobby Jaspar fut l’occasion d’un
solo superbe de Jacques Pirotton. Antoine Cirri nous rappela ensuite que Jon
Eardley (tp, 1928-1991) vivait à Verviers lorsqu’il se produisait avec le
grand orchestre de la W.D.R. Sa composition «Black», jouée en fin du premier
set, fut offerte par Marc Frankinet à la trompette avant une conclusion sur de
vigoureux 4/4 entre le batteur et le guitariste. La deuxième partie évoqua avec «La Danse du
cœur» le passage par Liège, ses caves et son conservatoire, du pianiste américainDennis Luxion (1952). La ballade «Alema» qu’on attribue faussement à Chet Baker
fut l‘occasion d’un solo de trompette –bien entendu– mais aussi d’un majestueux
solo de Benoît Vanderstraeten. Le bassiste ne devait pas en rester là puisque
«Beautiful Black Eyes», riche composition de Jean Lerusse (b,tp, 1939-2013), atteignit
des sommets. Ce fut aussi le cas pour «Ariane» de Léo Fléchet (p, 1928-2004) avec,
en final, le remarquable solo de batterie dispensé par Antoine Cirri. «Mister
A.T.», écrit par Walter Bolden, en hommage à Art Taylor (dm, 1929-1995) qui
résida longtemps à Liège, vint en illustration de ce voyage dans l’est de la Belgique.Un voyage où, à mon grand regret, le grand absent
fut René
Thomas qui est pourtant le modèle de Jacques Pirotton. Un peu court
cette Histoire du jazz à Liège (pour
reprendre le titre de la première œuvre de Jean-Pol Schroeder, aux éditions
Labor, 1985)! Et un peu maigre l’assistance… cette fois!
•
Jazz Station, 25 novembre 2023
Nous connaissions Steven Delannoye comme ténor
de différents combos et comme sociétaire du Jazz Station Big Band. Ce soir, il remplaçait
le duo Tamara Mozes (p, voc)/Zsolt Kaltenecker (p) annulé en dernier ressort.
Néanmoins, ce ne fut pas une jam session
que nous avons pu suivre, mais bien le concert d’un quartet surprenant à divers
points de vue. D’abord, par la découverte, aux côtés du pianiste Nicola
Andrioli, du guitariste Thomas Decock et du batteur-saxophoniste Pit
Dahm. Ensuite, par la cohésion du groupe autour des originaux de Steven
Delannoye («After Sunday», «No Where») et quelques intemporels de Thelonious Monk, Wayne
Shorter («JuJu») et Joe Henderson («Uptown»). La multiplication des couleurs
nappées par Nicola Andrioli avec le piano et quatre claviers, dont la ligne de
basse jouée sur le synthé Prophet est d’une grande délicatesse. Je ne me souviens
pas avoir écouté l’Ostendais Thomas Decock auparavant. C’est un excellent
guitariste: ses solos sont riches, sa sonorité pleine et ses blue notes font mouche. Le batteur
luxembourgeois joue aussi très bien du sax ténor, ce qui nous a valu de
surprenants duos de saxophones avec son leader («One Chance»). A la batterie
son discours colle véritablement à celui de Steven Delannoye. Du jazz et du bon!
Jean-Marie Hacquier
Photos: Jean-Marie Hacquier,
Serge Braem et Jeanfrançois Prins, by courtesy
© Jazz Hot 2023
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L'entrée du PizzaExpress Jazz Club
au 10 Dean Street © Jérôme Partage
Londres, PizzaExpress Jazz Club
Georgia Mancio Quartet
Faire
étape à Londres, lorsque l’on est amateur de jazz, passe par quelques adresses
bien connues comme le légendaire Ronnie Scott’s et le PizzaExpress Jazz Club,
tous deux situés dans le très animé quartier de Soho où se concentrent les pubs
débordants de bière et de musique rock. Une courte étape dans la capitale
britannique, nous a fait opter pour le PizzaExpress. Rappelons que le
restaurant en rez-de-chaussée a été inauguré en 1965 par Peter Boizot –un
entrepreneur, philanthrope et jazzfan– et le club en sous-sol en 1969. D’abord
ouvert sur la scène jazz londonienne, le PizzaExpress Jazz Club a reçu, à
partir de 1975, les plus grands solistes américains: Bud Freeman, Buddy Tate,
Bob Wilber, Al Grey, Benny Carter, Jay McShann, Al Cohn, Tal Farlow, Scott Hamilton
et bien d’autres. Revendu par son fondateur en 1993, le club a poursuivi son
activité en se déployant sur plusieurs sites londoniens –le PizzaExpress Live
Holborn, le Pheaseantry Chelsea et plus récemment le Piano Lounge à Covent
Garden– et en poursuivant sa participation à divers festivals comme le
PizzaExpress Jazz Festival (1979-1981), le Soho Jazz Festival (1986-2002) ou le
London Latin Jazz Festival (depuis 2012).
Robin Aspland (p), Georgia Mancio (voc), Andrew Cleyndert (b), Dave Ohm (dm),
PizzaExpress Jazz Club, Londres, 12 septembre 2023 © Jérôme Partage
Le 12 septembre, la chanteuse Georgia Mancio s’y produisait,
pour la première fois depuis 2019, avec un trio constitué de Robin Aspland (p),
Andrew Cleyndert (b) et Dave Ohm (dm). Nous avions découvert Georgia Mancio
avec son album Quiet Is the Star, en duo avec le pianiste et compositeur Alan
Broadbent, dont le répertoire a constitué l’essentiel des titres joués (Georgia
Mancio ayant posé des paroles sur ses thèmes). Mais c’est avec un standard
plein d’allant et de swing, «Almost Like Being in Love» (Alan Jay
Lerner/Frederik Loewe) que Georgia Mancio a ouvert le premier set, sur lequel Andrew
Cleyndert a offert d’emblée un solo à la sonorité charnue. Né à Birmingham en
1963, le contrebassiste a une solide expérience (Bobby Watson, Ted Curson, Bud
Shank, George Coleman, Ray Bryant et plus récemment Stan Tracey, p, Benny Green
et Junior Mance) et a créé son propre label, Trio Records qui a notamment édité On the Road (2002) de Junior Mance et Mo
Is On (2018) avec Claus Raible. Au cours de cette soirée dominée par
les ballades («Small Wonder», «Quiet Is the Star»…), Robin Aspland a déployé un
beau toucher, élégant et perlé. Le pianiste, né à Leeds en 1961, est également
un accompagnateur aguerri (Steve Grossman, Bobby Watson, Eddie Henderson,
Ronnie Scott, Pete King, Kenny Wheeler…). On a de même apprécié le soutien
subtil de Dave Ohm, partenaire de longue date de Georgia Mancio avec laquelle
il vient de reprendre la direction du Eltham Jazz Club ouvert en 2014 par Hugh
et Marion Ockendon, décédés en 2020 et 2022. En outre, le batteur, né en 1967 à
Londres, est un pilier de sa scène jazz: ancien membre de l’orchestre maison du
Ronnie Scott’s et accompagnateur privilégié des musiciens de passage au
PizzaExpress, il a par ailleurs travaillé avec Benny Golson et Claire Martin. Souriante
et sans affectation, Georgia Mancio a donné un récital intimiste notamment
marqué par des compositions récentes, à l’instar de «Then and Now» écrit
pendant le covid, ou des morceaux un peu plus rythmés comme «Just Like a Child».
A l’issue de cette plaisante soirée, nous nous
sommes attardés sur les nombreuses photos ornant les murs du clubs, dont
plusieurs ont été prise par notre regretté David Sinclair qui avait dressé dans Jazz
Hot n°495 (décembre 1992) le portrait de ce lieu qu’il aimait et
fréquentait avec assiduité. Après un dernier salut à la photo de Peter King
signée David, nous avons laissé le PizzaExpress Jazz Club à ses bonnes
vibrations chargées d’histoire.
Texte et photos
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2023
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Paris, 38 Riv’
Shjazz Quartet, 21 août 2023
Le 21 août, la cave du 38 Riv’ proposait une belle découverte avec la
venue de la chanteuse Sharon Doelwijt, dite Shjazz, venue de Groningen, au nord
des Pays-Bas, où elle a tenu un club de jazz, Le Petit Théâtre (en français
dans le texte), dans lequel elle donnera le 25 août un ultime concert avant
qu’il ne cesse son activité, victime des confinements, de l’inflation et des
hausses de loyer, entre autres difficultés. Sharon Doelwijt est née au Suriname
en 1972 et a grandi aux Pays-Bas dans une famille musicienne avec laquelle elle
a notamment découvert Nat King Cole, Billie Holiday ou encore Dinah Washington,
cette dernière restant chez elle une influence majeure dans sa façon de
poser sa voix. Après avoir étudié le design et le théâtre, elle a parcouru le
monde avant de se consacrer définitivement au jazz, tout en gardant une
dimension théâtrale (qui caractérise d’ailleurs son jeu de scène) passant par
des spectacles mêlant contes de fées et jazz, destinés aux enfants.
Laurent Marode (p), Shjazz (voc), Stéphane Chandelier (dm), David Sauzay (ts),
38 Riv', 21 août 2023 © Jérôme Partage
Souriante, pleine d’humour et d’énergie, Shjazz était portée par des
accompagnateurs de premier ordre: David Sausay (ts), Laurent
Marode (org) et Stéphane Chandelier (dm), qui ont d’ailleurs récemment
sorti l’excellent Joyride. La chanteuse et le trio parisien ne se sont produitsque quelques fois ensemble depuis ces derniers mois, mais déjà une
franche complicité les unit, participant au caractère chaleureux du concert, de
même que la présence massive du public. Shjazz raconte sa vie au fil des
standards, introduisant chacun par quelques mots. Chaque histoire est un peu la
sienne, de «I Fall in Love Too Easily», où elle exprime une sensibilité aigüe,
à «Since I Fell for You», titre marqué par le blues et la filiation avec Dinah
Washington à laquelle on pense également avec «What a Difference a Day Makes»
pris sur un tempo bossa. Sharon se fait aussi truculente sur «The Frim Fram
Sauce», swingue sur chaque note avec «My Heat Belongs to Daddy». L’entente avec
David Sauzay, qui lui donne la réplique, est au beau fixe. Le soutien attentif
de Laurent Marode et Stéphane Chandelier, maîtres du groove, fournit une
assise solide à la chanteuse qui d'ailleurs envisage de s’installer à Paris. Welkom!
Texte et photo
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2023
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Bassenge, Belgique
Jazz au Broukay, 18 et 19 août 2023
Depuis vingt-six ans, les organisateurs
dressent leur chapiteau et ses annexes sur la berge de la rivière Geer, en
toute simplicité, avec le seul souci d’œuvrer pour soutenir une association
d’handicapés en mettant en valeur les nouveaux projets des artistes locaux. Comme
à l’accoutumée, la soirée du samedi était consacrée à la tradition Django. Difficile
de trouver festival plus convivial en Euregio (triangle frontalier entre le
Limbourg hollandais, le Limbourg flamand et la Province de Liège)!
Mimi Verderame, Jazz au Broukay, Bassenge, Belgique © Jean Schoubs
Pour la première soirée, le choix est
original avec deux groupes dirigés par des batteurs: Olivier Chavet, originaire
des Cantons de l’East Belgium, et Mimi Verderame, le Liégeois d'origine italienne le plus
sollicité pour accompagner les artistes
internationaux.
Olivier Chavet, né à Aix-la Chapelle,
a rassemblé pour son projet «Racines» son frère, Daniel Chavet (g), Werner
Lauscher (b), Igor Gehenot (p) et Heidi
Bayer (flh, tp). Le batteur nous offre ses compositions («Qui c’est?»,
«Travers»…) basées sur des canevas rythmiques métronomiques. Les solos sont
généralement courts (deux ou trois chorus) à l’exception de ceux d’Igor
Géhenot, éblouissant, volubile, à son meilleur niveau. Werner Lauscher tient sa
place discrètement, alors que le guitariste, frère du leader, ne peut cacher
son attirance vers le rock. On attendait
de découvrir Heidi Bayer: la jeune Allemande ne prendra qu’un thème à la
trompette et c’est heureux puisqu’au bugle on notera une belle sonorité,
ronde et nuancée. Toutefois, on aurait désiré un peu plus de hardiesse dans le
jeu.
Impérial, Mimi Verderame était venu avec
quelques standards («Whisky» de Thelonious Monk, «Airegin» de Sonny Rollins),
et un soliste inconnu de dernière minute, le Néerlandais Gideon Tazelaar (ts).
Le batteur est à la pointe de chaque note jouée: magnifique en ballade comme en fast tempo. Ses tambours et cymbales
chantent gaiement, et il adore relancer. Nicolas Thys (b), irréprochable comme
d’habitude, nous offrit quelques solos superbes («Gone With the Wind»). C’est
le premier concert du leader avec Gideon Tazelaar et ça ne sera sans doute pas
le dernier. Le saxophoniste –formé à la Juilliard School avec Wynton Marsalis et
George Coleman– a conquis la centaine d’auditeurs et tous les musiciens
présents. A l’aise dans l’aigu,
dans les graves et sur tous les tons, son discours est éminemment créatif. Une
grande maîtrise, et une révélation! Concluant
«Airegin» par des 4/4 d’enfer, le trio nous a reconduits, heureux et repus après
un blues en guise de rappel.
Feigeli Prisor, Jazz au Broukay, Bassenge, Belgique © Jean Schoubs
Le samedi, c’est l’atmosphère balkanique de
l’octet «Elle est où Anne?» qui nous fit patienter dans l’attente (et la tente)
de cette deuxième soirée. Grande foule, comme d’habitude pour le jazz teinté de la couleur du
Divin Manouche et grande récompense avec le trio + guest de Feigeli Prisor (g). La Hollande et la
Flandre sont riches de cette implantation manouche et Feigeli Prisor est sans
doute l'un des plus talentueux guitaristes bataves. Comme tous, il joue avec virtuosité,
accélérant les tempos jusqu’à l’impossible. Mais ce qui le distingue, c’est la
gaieté, la netteté du son, la précision du doigté et les digressions
surprenantes. Sendelo Schäfer (g) tenait la rythmique indispensable,
imperturbable. Fremdo Rosenberg, bassiste gaucher et puissant, complétait
joliment les envolées du maître. J’ai été moins séduit par les solos de Wattie
Rosenberg (vln). Parmi les vingt morceaux joués, on retrouvait des
incontournables: «The Sheik of Araby», «Minor Swing», «The Man I Love» et «Les
Yeux Noirs ».
Après un pain-saucisse et une bière, nous
étions d’attaque pour entendre le dernier groupe avec Samson Schmidt (g),
Alexandre Tripodi (vln) qui remplaçait Joachim Ianello retenu ailleurs et,
surprise du chef, le pianiste liégeois, Johan Dupont. L’association du pianiste
avec ces deux musiciens avait de quoi étonner. Disons le tout de go, malgré la longue introduction du pianiste virtuose, nous le préférons dans ses
œuvres habituelles, qu’elles soient classiques ou jazz! Rien à redire quant au
jeu des deux autres musiciens, en adéquation avec le thème du jour.
A l’année prochaine!
Texte: Jean-Marie Hacquier
Photos: Jean Schoubs, avec nos remerciements
© Jazz Hot 2023
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Pléneuf-Val-André, Côtes d'Armor
Jazz à l'Amirauté (mardis du 4 juillet au 29 août), 15 août 2023
Retour à Pléneuf en cette année 2023 pour le maintenant traditionnel
rendez-vous du mardi sur cette Côte d’Armor qui conjugue la beauté des paysages
d’un bord de mer découpé, de somptueuses plages de sable (Val André), un arrière-pays
où existe encore la beauté de la pierre (Pléneuf) et un petit port (Dahouët)
qui, naguère, voyaient les baleiniers partir sans se retourner, au mépris
parfois de leur vie, vers le Grand Nord à la conquête de l’ambre. L’équipe de Jazz à l’Amirauté, plutôt «oldies but goodies», ne semble pas être affectée par les années qui passent, et ils sont
toujours aussi nombreux (une trentaine), bénévoles, enthousiastes,
accueillants, efficaces et soudés pour apporter à leurs concitoyens et leurs
invités de l’été, parfois étrangers, chaque mardi des mois de juillet et août
un moment de culture récréative, sans ostentation, sans service d’ordre
apparent, sans étalage mégalomaniaque malgré une assistance toujours soutenue
(environ un millier de personnes par concert), avec une convivialité et une
simplicité très jazz aussi dans l’esprit.
L’entrée est toujours gratuite, on peut adhérer à l’association sans obligation
et la petite ville, ses élus, ses commerçants, encouragent cette énergie dans
un bel élan collectif. Le cadre n’a toujours pas changé: le parc et le château de l’Amirauté (cf. nos précédents comptes rendus)
conservent encore ce charme désuet et si appréciable d’une station balnéaire
plus que centenaire, avec ses tennis en terre battue et surtout ses élégants
pins qui entourent la scène devant le château de l’Amiral dont les fantômes
bienveillants sont ceux de Louis Armstrong, Lionel Hampton, Ella Fitzgerald,
Count Basie… Le jeune maire, Pierre-Alexis Blévin, a le projet d’ici à deux ans
d’aménager le château et le parc (restaurer, agrandir et équiper) et comme
l’entente avec notre festival est au beau fixe, cela donne beaucoup d’optimisme
à la dynamique équipe drivée par le triumvirat habituel, Marie Pascal Flouriot,
Daniel Baudouart pour la présidence, et les
conseils avisés d’Elie Guilmoto, le capitaine de Jazz à l’Amirauté.
Dany Doriz et Michel Pastre, Jazz à l'Amirauté, Pléneuf-Val-André, 15 août 2023 © François Zimmermann
Cette année, Zeus ou sans doute Toutatis, car nous sommes en Bretagne, a quelque
peu abusé de ses forces, et ce n’est ni la canicule ni la sécheresse qui ont
provoqué l’annulation de deux soirées sur les huit, mais bien la pluie et la
fraîcheur, assez inhabituelles en cette période. Mais qu’on se rassure, le
maire et l’équipe du jazz ont géré le problème sans état d’urgence anxiogène,
et ont même réussi, semble-t-il, à déplacer un des concerts annulés à la fin
août. Comme chaque année, la formule le veut, nous n’étions présents qu’à l’un
des mardis, le 15 août, pour la venue de Doriz-Pastre, Pères et fils, mais toute la programmation du 4 juillet au 22 août (prolongée jusqu'au 29 août pour accueillir un concert annulée en juillet)
mérite un coup de chapeau par sa cohérence: c’est du jazz (pas seulement une
étiquette, ce qui est appréciable pour un
festival de jazz car cela devient rare), plutôt mainstream dans le goût et l’esprit des organisateurs (c’est un
choix artistique comme un autre), et le public toujours présent confirme qu’il
est possible de partager sa passion du jazz sans sacrifier à l’éclectisme, à la
mode ou à la démesure en contradiction avec l’esprit hot et humain du jazz. Le public, d’année en année, construit ainsi sa
connaissance du jazz, depuis les tout-petits du premier rang jusqu’aux
Ancien(ne)s qui réactivent leurs souvenirs des précédentes éditions.
Le 15 août donc, c’était le jour d’un «classique», une sorte de synthèse
de l’esprit de ce festival avec la venue du groupe Doriz-Pastre, Pères &
Fils, c’est-à-dire la réunion de plusieurs générations de musiciens de la
tradition mainstream: Dany Doriz
(1941), l’Ancien, le grand vibraphoniste héritier de la tradition de Lionel
Hampton, est par ailleurs patron du Caveau de La Huchette à Paris depuis plus
de 50 ans. Il n’est plus à présenter aux lecteurs de Jazz Hot (cf. Jazz Hot n°543) et les innombrables
comptes rendus et articles sur la danse…).
Les lecteurs de Jazz Hot connaissent également fort bien Michel Pastre (1966, cf. Jazz Hot n°564), au saxophone
ténor, qui est déjà de la génération suivante, l’un de ceux qui prolongent
cette tradition, celle en particulier des gros sons du ténor (filiation
Illinois Jacquet, mais aussi Arnett Cobb, Lester Young, Coleman Hawkins et tant
d’autres selon les moments et le répertoire). Dany et Michel sont non seulement
les gardiens du temple du jazz, mais aussi les pères du batteur Didier Dorise
et du pianiste-organiste César Pastre, et cela explique le nom du groupe en
tournée en cet été 2023. Entre Dany-l’Ancien et César-le-Jeune, il y a le fil
conducteur de 53 ans de l’histoire du jazz!
Dany Doriz (vib), Jean-Philippe O'Neill (dm), Michel Pastre (ts), César Pastre (org),
Jazz à l'Amirauté, Pléneuf-Val-André, 15 août 2023 © Yves Sportis
Didier Dorise, blessé au pied, a dû déclarer forfait et, pour
l’occasion, Dany Doriz a «adopté» Jean-Philippe O’Neill (1969) pour le
remplacer à la batterie. La famille du Caveau de La Huchette, établie depuis
plus de 50 ans, compte beaucoup d’enfants adoptifs qui partagent ces principes
essentiels du jazz, à savoir le blues, le swing et l’expressivité, avec pour
toile de fond une bonne humeur certaine et une énergie forgées dans cette
longue pratique de la musique en live,
pour la danse en particulier, à La Huchette bien sûr!
César
Pastre (1994), déjà un habitué de Pléneuf (cf. le compte rendu de l’édition de
2022),
était le benjamin de cette équipe et complétait cette réunion de plusieurs
générations autour d’une tradition mainstream qui continue de vivre et de se renouveler sans prétendre inventer la roue: chacun apporte sa pierre à l’édifice collectif.
La grande qualité du jazz, on le sait, c’est sa capacité à inventer et à
grandir en se nourrissant des racines et des échanges entre générations et avec
le public.
La personnalité de Dany Doriz, comme son ancienneté et un humour
pince-sans-rire, en font un leader naturel. Le mariage de sa manière aérienne
sur les lamelles de son vibraphone avec le gros son de Michel Pastre et leur
énergie ne sont plus à vanter pour ceux qui ont suivi les nombreuses rencontres
de ces deux musiciens au Caveau de La Huchette entre autres, car ils ont aussi
tourné ensemble. Comme leurs aînés Lionel Hampton et Illinois Jacquet auxquels
ils se réfèrent, ils ont une complicité naturelle, autour d’un répertoire qui
doit beaucoup aux big bands historiques, ceux de Lionel Hampton et de Count
Basie en particulier. Dany Doriz dirige parfois un big band, et Michel Pastre,
lui-aussi, a rendu hommage au Count à la tête d’un big band, et beaucoup de ces
arrangements en quartet reprennent l’esprit big band, avec les riffs en
background des chorus de chacun, avec l’orgue qui évoque les sections de cuivres,
avec la batterie plantureuse de Jean-Philippe O’Neill qui remplit l’espace et
porte la formation. Les deux aînés en profitent pour faire étalage de leurs
qualités d’expression.
César, qui joue le double rôle d’organiste et de bassiste (à l’orgue),
et qui s’est fait une spécialité du blues, rhythm & blues et du boogie
woogie, prend plus que sa part dans la dynamique d’ensemble avec beaucoup de
concentration car, avec Jean-Philippe O’Neill, les deux «fils» forment la section
rythmique du groupe, même s’ils ne se privent pas d’apporter leur contribution
par quelques beaux chorus.
Michel et César Pastre, Jazz à l'Amirauté, Pléneuf-Val-André, 15 août 2023 © Yves Sportis
Jean-Philippe O’Neill a montré qu’il était un fils naturel digne de la
famille, apportant un volume, une qualité de mise en place, un drive et une
souplesse à l’ensemble par ces shuffles dans la tradition, avec un aplomb, une sûreté qui étonnent toujours quand on
sait qu’il n’était pas initialement du projet, et qui confirment tout ce que le
jazz a de miraculeux… sans négliger la quantité de travail en amont pour
atteindre ce résultat en live.
Après un premier thème «The Chase», tiré de la rencontre après la
Seconde Guerre de deux grands ténors (Wardell Gray et Dexter Gordon), on a eu
droit à «Hamp’s Boogie» de Milt Buckner, «Stolen Sweets » de Wild Bill Davis,
un organiste auquel César a emprunté quelques accents, «Isn’t She Lovely» de
Stevie Wonder, «Bottoms Up» d’Illinois Jacquet brillamment repris par Michel
Pastre, «Midnight Sun» de Lionel Hampton, qui est aussi devenu «la spécialité»
de Dany Doriz, «Jumpin’ at the Woodside» de Count Basie où Jean Philippe
0’Neill a pu faire apprécier le brillant de son jeu dans un chorus spectaculaire,
et, en premier rappel, un autre immortel du Count qui en a donné une version-étalon, «April in Paris», avec un
Dany Doriz au meilleur de sa soirée, lyrique, toujours plein d’humour et
d’énergie pour associer le public à cette musique particulièrement
émoustillante en live.
Dany Doriz (vib) et Jean-Philippe O'Neill (dm), Jazz à l'Amirauté, Pléneuf-Val-André, 15 août 2023 © Yves Sportis
La conclusion a été apportée sur un «Douce France» (Charles Trenet), fredonné à l'unisson par le public, peut-être un message politique légèrement nostalgique
d’un art de vivre très français, encore présent à Pléneuf dans ce site et dans ce moment du festival, à moins que ce soit
le remerciement du groupe à cette organisation de Jazz à l’Amirauté, pétrie
dans la convivialité, pour les remercier d’un accueil toujours aussi agréable,
direct et sincère, appréciation à laquelle nous nous joignons sans réserve.
Le
festival continue pour deux autres mardis encore, et l’équipe réfléchit déjà à
l’édition 2024 et en particulier à la manière de fêter son quart de siècle: 25 ans,
c’est la fleur de l’âge!
Texte: Yves Sportis
Photos: Yves Sportis et François Zimmermann
© Jazz Hot 2023
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Festival de Big Bands de Pertuis (du 7 au 12 août), 7 et 10 août 2023
Que se passe-t-il au 303 de la rue Giraud? En ce début août,
sous un soleil encore généreux, une foule se presse à l’entrée de l’Enclos de
la Charité, où la 24e saison du
festival de big bands de Pertuis va s’ouvrir. Le temps de se poser, retrouver
les collègues, commander un plat ou un verre, et c’est parti pour trois heures de
jazz minimum! Car le festival de Pertuis est avant tout une affaire de convivialité,
de partage et de fidélité. Dans cet esprit, les deux
premières soirées ont été gracieusement offertes au public, avec pour seule
contrepartie financière l’euro symbolique de réservation sur la billetterie en
ligne. Il est plus prudent de s’assurer une place si on tient à être en
tribune, car il y a foule aussi bien de «vieux» amateurs que de simples curieux
de musique venus en famille.Les tarifs des concerts payants restent quant à eux
très démocratiques, de 10 à 25€ pour une
place en tribune, ce qui permet l’ouverture à un large public selon la
philosophie affirmée de l’organisation.
Les TartOprunes, Festival de Big Bands de Pertuis, 7 août 2023 © Ellen Bertet
Lundi 7 août, 19h30: Les TartOprunes
C’est la tradition: Les TartOprunes,
groupe mascotte du festival de Pertuis, ouvre la soirée, cette fois en hommage
à Alex. Alex est mort… mais non, je rigole! On a failli y croire, devant les
tenues de deuil et le démarrage en forme de marche funèbre. Retenu par quelque
sombre besogne, le bassiste a délégué son fantôme pour accompagner les copains
tout au long de leur délire! Du jazz, mais pas que: «Night in Tunisia», «Take
Five», «Caravan» ou «Well You Needn’t» font un crochet chaloupé par les
Caraïbes, le blues et le rock sont du voyage. Humour, inventivité, TartOprunes,
marqué définitivement du label «déjanté», sait se renouveler, et ne nous
épargne rien: scat délirant sur un poème sans rime de Benjamin Legrand (le
fils), cris et incantations… qui ne font pas oublier une vraie culture jazz et
une belle maîtrise de leurs instruments. Une entrée en matière finalement plus
joyeuse que funèbre!
Les TartOprunes: Valentin Halin (tp), Romain Morello (tb), Ezequiel Célada (sax), Alex Chagvardieff (b), Clément Serre (g), Maxime Briard (dm), Bastien Roblot (perc, voc)
Big Band de Pertuis, Festival de Big Bands de Pertuis, 7 août 2023 © Ellen Bertet
21h30: Big Band de Pertuis
A la suite, le Big Band de
Pertuis va remettre du «sérieux» devant une cour comble. Présenté par l’ami
Léandre Grau, directeur artistique, qui nous rappelle tout ce que le festival
doit à la solidarité et au soutien des commerces et partenaires locaux (Mairie de Pertuis,
qui prête aussi le lieu, Pays d’Aix, Département), et se désole du manque «d’enthousiasme»
de la Région. Mention spéciale aux bénévoles, toujours
aussi nombreux et motivés, aux petits soins des musiciens et du public.
Dirigé depuis 2019 par Christophe
Allemand, Léandre ayant retrouvé avec bonheur sa place au pupitre de trombones,
le Big Band de Pertuis ne cesse de peaufiner et de renouveler les grands
standards avec une plénitude du son, une cohésion affirmée qui lui permettent
de s’attaquer à des morceaux d’anthologie («Jumpin’ at the Woodside», «Brazilian
Fantasy»…). Dix-sept musiciens portés par une belle énergie, à l’écoute, auxquels se
joint sur «All of Me» la voix de Coline Fourment, Alice Martinez ayant mis ses
autres talents au service de l’Education nationale. Une découverte mais pas une
inconnue, Coline est l’élève de Jean-François Bonnel et leader de son propre
groupe, le Coline Quintet. Elle a une voix naturelle, souple, qui sait donner
de la puissance sans forcer, encore en maturation, mais une recrue prometteuse,
très agile en scat.
La deuxième partie du concert,
après une petite coupure destinée à rafraîchir les gosiers, s’annonce swingante
à souhait, s’illumine de beaux solos soutenus par des nappes de son qui donnent
de la profondeur à l’interprétation. On remarque Lionel Aymes au bugle, «What Is This Thing Called Love»,
Léandre sur «Blue Daniel»; retour de Coline sur «I Cried for You», «Them Their
Eyes», les thèmes puisent dans le réservoir infini de la tradition jazz, tout
cela sans clinquant, mais un belle profondeur de son, une vraie envie de jouer,
d’être ensemble. Le Big Band de Pertuis a de beaux jours devant lui.
Big Band de Pertuis: Christophe Allemand (lead, s), Yves Martin, Lionel Aymes,
Yves Douste, Roger Arnaldi (tp), Nicolas Sanchez, Valentin Halin (tp, flh), Léandre
Grau, Lonny Martin, Hugo Sojia (tb), Laurence Allemand, Alice Arcadias, Jérémie
Laures (s), Gérard Grelet (g), Julien Sabde (p), Bruno Roumestan (b), Jérémie
Marron (dm), Coline Fourment (voc)
Les Suricats, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2023 © Ellen Bertet
Jeudi 10 août, 19h30: Les Suricats
Où l’on reparle de Jean-François
Bonnel (JFB). C’est en effet à son inspiration que se sont formés les Suricats, la
plupart issus de sa classe de jazz d’Aix-en-Provence. Maryline Ferrero est une
musicienne confirmée, et prof de piano à Pertuis.
Les musiciens entrent en scène
les uns après les autres, et chaque instrument se joint au(x) précédent(s): le premier,
Maxime Merlin, chante «Body and Soul» et s’accompagne à la contrebasse sur un
rythme lent, rejoint bientôt par Maryline Ferrero qui enchaîne au piano sur le «Travissimo»
enlevé d’Al Cohn. Coline Fourment actualise «The Man I Love» en un «J’en ai
marre de l’amour», Elise Sut assure les basses et José Doutre le beat, pendant que Marcel Teton trouve un
nouvel emploi à son violon et que JFB nous régale à la clarinette! Une équipe équilibrée
et énergique réunie autour d’un projet qui n’a rien de passéiste: faire revivre
le jazz et les rythmes des années 1920 à 1930, avec la même conviction que
certains Sidney Bechet ou Bessie Smith. Leur multi-instrumentisme autorise des
combinaisons infinies sur des thèmes peu exploités («Old Daddy Blues», «I’m
Sorry I Made You Cry»). Coline incarne Bessie avec âme sur «Nobody Knows You
When You Are Down» ou «The Devil’s Gonna Get You». Elle nous gratifie même d’un
passage à la trompette sur «Viper Mad»!
Jean-François Bonnel est un
leader discret, capable de faire la pompe à la guitare pendant que Maxime prend
la vedette au sax. Une vraie réussite pour cette jeune formation qui possède
bien le langage du swing et assez de liberté pour s’approprier un répertoire
pas toujours facile, tout ça avec une bonne humeur contagieuse!
Les Suricats: Jean-François Bonnel (ss, cl, g), Elise Sut (tu), Maryline Ferrero (p), Maxime Merlin (b,
ts, voc), José Doutre (dm), Marcel Teton (vln,
bjo), Coline Fourment (voc, tp)
Jean-Pierre Derouard Swing Music Big Band, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2023 © Ellen Bertet
21h30: Le Swing Music Big Band de Jean-Pierre Derouard
Jean-Pierre Derouard a un parcours
exemplaire dans le jazz: des débuts précoces à la batterie et à la trompette,
l’immersion rapide dans le circuit du jazz national puis des collaborations
avec les jazzmen américains (dont Benny Golson, Frank Wess et Nicholas Payton!),
ont forgé un musicien bien ancré dans le jazz, qui décide en 2008, après une
période en leader de petits groupes, de monter son propre big band. Ce soir,
l’orchestre est augmenté sur plusieurs thèmes de Kristin Marion au chant et
Philippe Martel au piano. Jean-Pierre Derouard présente
l’orchestre, et c’est parti, sur un claquement de caisse claire qui donne le
ton de la soirée: ce sera chaud, swing, percutant, un démarrage à la Basie, une
de ses grandes inspirations. Un son énorme et pourtant d’une grande clarté
(merci aux sonorisateurs), une pêche qui fait donner le meilleur aux
solistes: Eric Breton (ts) sur «The Hudson», Guy Bodet (tp) et Nicolas Fourgeux
(as). Mais le leader sait aussi jouer sur les contrastes, opposant un calme duo
piano-batterie à une attaque surprise de cuivres, et laisser la part belle à
ses solistes.
Le big band évolue en fonction
des disponibilités, mais la base rythmique (Antoine Dalaunay, p, David Salesse,
b, Enzo Mucci, g) est solide, et nombre de participants sont aussi leaders par
ailleurs. On remarque l’alto d’Esaie Cid, magnifique sur « Things Ain’t
What They Used to Be» (Duke Ellington), le splendide son de ténor de Michel
Pastre sur «Jumpin’ at the Woodside» ou dans ses duos avec Kristin Marion
(«Perdido»), et Ronald Baker (tp), émule brillant de Freddie Hubbard. Kristin Marion from Annecy a un solide parcours en
jazz, une belle voix mature, des idées, une présence scénique, un look
«fitzgerien», et chante en français sur les standards immortalisés par Ella (au
grand désespoir de quelques inconditionnels de l’anglais…) et arrangés par Stan
Laferrière. Elle est accompagnée au piano par son mari et pianiste Philippe
Martel, en alternance avec Antoine Delaunay. La reprise a lieu sur «All of Me»,
lancé par Antoine Delaunay en mode Basie, toujours avec cette énergie cuivrée
qui emporte l’adhésion des plus moroses! Et les standards s’enchaînent («How
High the Moon», «Shiny Stockings», l’emblématique «Mack the Knife» en anglais
cette fois!) Enzo Mucci (g) est mis à l’honneur par Jean-Pierre Derouard, à l’instar d’un
Freddie Green, incontournable pour le tempo: pour rappel, il a accompagné à la
basse ou à la guitare Memphis Slim, Dorado Schmidt et Bireli Lagrène, Cécile
McLorin-Salvant.
Un morceau d’anthologie «Sing
Sing Sing», pris sur tempo d’enfer, annonce la fin de ce superbe concert, et
Jean-Pierre Derouard nous gratifie d’une démonstration complète de ses talents
de batteur, démarrant par un solo de grosse caisse, ne nous épargnant aucun
changement de rythme, accalmies et orages, roulements et caresses, moments
mélodieux. Une pyrotechnie qui soulève l’enthousiasme et demande un rappel!
Le Swing Music Big Band: Jean-Pierre Derouard (lead, dm), Guy Bodet, Ronald Baker, Eric
Mussotte, Gilles Relisieux (tp), Philippe Desmoulins, Gilles Repond, Philippe
Gibrat (tb), Esaïe Cid, Nicolas Fourgeux (as), Michel Pastre, Eric Breton (ts),
Eric Levrard (bar), Enzo Mucci (g), Antoine Delaunay, Philippe Martel (p),
David Salesse (b), Kristin Marion (voc)
Une bonne soirée parmi les tant d’autres que nous a
concoctées Léandre Grau, qui se renouvellent au fil des
éditions avec toujours cette atmosphère de vraie fête et cette exigence de vrai festival de jazz: c'est donc toujours possible! La prochaine édition sera certainement très spéciale, le Festival de
Big Bands de Pertuis fêtera son quart de siècle, qu’on se le dise!
Texte et photos
Ellen Bertet
© Jazz Hot 2023
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Antibes-Juan-les-Pins, Alpes Maritimes
Jazz à Juan (du 10 au 21 juillet), 15 juillet 2023
Piloté pour la deuxième année par le triumvirat de
programmateurs Jean-Noël Ginibre, Reno Di Matteo et Pascal Pilorget, Jazz à
Juan a présenté une édition 2023 une nouvelle fois sous le signe de
l’éclectisme –jusqu'au DJ animant le coin restauration à l'arrière des gradins–, politique qui est désormais celle des grands événements
estivaux dits «de jazz» destinés à un public indifférencié. Du jazz et du
bon, l’historique Jazz à Juan et sa toujours ensorcelante Pinède Gould en ont cependant
encore servi aux amateurs, notamment au cours de la soirée du 15 juillet où
nous étions présents.
Brad Mehldau (p), Larry Grenadier (b), Jeff Ballard (dm),
Jazz à Juan, 15 juillet 2023 © Rivierakris, by courtesy of Jazz à Juan
Depuis ses débuts, au milieu des années 1990, Brad
Mehldau compte parmi les pianistes actuels les plus médiatisés de la
scène jazz. Sa renommée auprès du grand public du jazz n’est guère devancée
que par celle de ses aînés Keith Jarrett et Herbie Hancock. Pourtant, comme Keith Jarrett,
l’expression musicale de Brad Mehldau tient plus dans sa manière de la musique de variété que du jazz. Il puise à la source des standards mais aussi
à la pop et des variété, tout en empruntant au jazz une partie de ses codes
idiomatiques. Rien n'empêche pour autant d'apprécier le pianiste dans cet exercice à la marge du jazz –d'autres musiciens également à l'affiche le sont encore davantage, et cela a toujours existé–, d'autant qu'il reste entouré de ses fidèles et excellents Larry Grenadier (b) et Jeff Ballard (dm). On relève ainsi, selon les thèmes, une certaine densité dans le jeu de Brad Mehldau –le soutien solide de ses deux
partenaires la renforce encore–, comme sur le premier titre, «Aquaman»,
un original du pianiste tout comme «For David Crosby» sur lequel Jeff Ballard a
donné un long et vigoureux solo. Mais si la musique est exécutée avec
virtuosité, l’interprétation manque le plus souvent de chair et de chaleur, de blues peut-on résumer. C'est le cas de
«I Concentrate on You» (Cole Porter), et dans une moindre mesure sur «The
Nearness of You» (Hoagy Carmichael) joué avec plus de conviction.
Joey Calderazzo (p), Eric Revis (b), Branford Marsalis (ts), Justin Faulkner (dm),
Jazz à Juan, 15 juillet 2023 © Rivierakris, by courtesy of Jazz à Juan
Ce rapport distendu au jazz n'a pas de place dans le concert suivant, c’est avec une expression ancrée
d’une rare profondeur que Branford Marsalis (ts, ss) a assuré la seconde partie
de soirée. Quel bonheur de profiter en livede ce formidable quartet constitué de Joey Calderazzo (p), Eric Revis (b) et
Justin Faulkner (dm)! Dès les premières notes du concert, Branford
imprime sa présence au soprano avec une
formidable énergie. Mais le leader, toujours souriant et décontracté, sait
aussi se mettre en retrait pour laisser la parole à ses partenaires dont la
longue complicité permet une totale fluidité dans les échanges. Lyrique et
bouillonnant, Joey Calderazzo est un spectacle à lui tout seul. Son jeu d’une
époustouflante intensité fait monter la mayonnaise du swing à un niveau
jubilatoire, à l’unisson du vrombissant Justin Faulkner qui a par ailleurs
offert quelques solos décoiffants. Quant au soutien impeccable du fondamental
Eric Revis, il apporte encore de la matière à la musique de Branford Marsalis,
décidément d’une richesse exceptionnelle avec selon les thèmes des passages
par le jazz mainstream, le post-bop, le free ou le new orleans. Pour le rappel, Branford convie sur scène Larry Grenadier et Jeff
Ballard heureux comme des gamins de faire le bœuf avec le saxophoniste et son
pianiste. Un final en feu d’artifice, concluant ce concert qui était la démonstration
même de la différence entre une expression artistique populaire puisée dans une tradition, et les musiques de variétés devenues improvisées pour éviter la ringardisation par les phénomènes de mode. Si on se fie à l’applaudimètre,
on constate que la grande majorité des festivaliers s'est satisfaite sans distinction des deux prestations signe que le public recherché a été atteint, au-delà des amateurs qui sont enclins à travailler leurs perceptions et donc plus sélectifs.
Texte: Jérôme Partage
Photos: Rivierakris, by courtesy of Jazz à Juan
© Jazz Hot 2023
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Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
Jazz Festival Roger Mennillo, 9 juillet 2023
Comme à l’accoutumée, le Jazz Festival Roger Mennillo se
tenait début juillet avec une attention particulière aux amateurs de piano. On
regrette cependant l’annulation de la première soirée du samedi 8 –qui avait à son affiche Harold Lopez
Nussa– faute de réservations. Cette déconvenue a été heureusement compensée par la belle soirée
du dimanche 9 juillet –qui a fait le plein de spectateurs– proposant
deux concerts de qualité avec le quartet d’Ugo Lemarchand et, en seconde partie, le
trio de Jacky Terrasson.
Hervé Sellin (p), Ugo Lemarchand (ts), Darryl Hall (b), Jason Brown (dm),
Jazz Festival Roger Mennillo, St-Cannat, 9 juillet 2023 © Ellen Bertet
Né à Olemps (Aveyron) en 1982, Ugo Lemarchand a débuté à 12
ans au saxophone alto avant d’entrer au Conservatoire de Montpellier quatre ans
plus tard. Creusant le sillon du jazz, il apprend également à maîtriser le
ténor et le soprano, poursuivant son cursus, à partir de 2009, à l'Ecole
Nationale de Musique de Villeurbanne. Il participe alors à diverses formations
dans la région lyonnaise, dont celle du regretté Mario Stantchev. Il s’est
depuis intégré à la scène jazz marseillaise s’inscrivant dans le sillage de Roger
Mennillo avec lequel il avait enregistré Thinking of Ben (autoproduit) en 2015 et participé, avec également Laure Donnat, à un concert
au Château de Beaupré (l’ancien site du festival) en 2017. Il enseigne
aujourd’hui au sein de l’association fondée par le pianiste, Art Expression,
également organisatrice du festival, et toujours dirigée avec passion par Chris
Brégoli. Devant les spectateurs du jardin Joseph Richaud, Ugo Lemarchand est venu présenter son disque, Thalia, récemment sorti chez Jazz
Family, avec les musiciens ayant participé à l’enregistrement: Darryl
Hall (b), Jason Brown (b), tandis que Dado Moroni était remplacé ce
soir par Hervé Sellin (p). C’est donc une rythmique de haut vol qui
accompagnait le ténor, se mettant d’ailleurs régulièrement en retrait pour
laisser ses partenaires dérouler leur expression pleine de relief et profiter
lui aussi de l’écoute. Après un premier morceau nerveux, «Kan» (Ugo Lemarchand)
qui d’emblée capte l’attention, Darryl Hall introduit par un long solo, ponctué
du chant des cigales, «One Shot», une ballade bluesy. Sur «Beatrice» (Sam
Rivers), Hervé Sellin déploie un jeu aérien et trempé dans le blues, à l’image
de cette magnifique section rythmique qui porte le swing à son plus haut degré
d’intensité. Sur un autre de ses thèmes, «Thalia», Ugo Lemarchand nous donne un
bon solo avec un beau son de ténor velouté. Les originaux du leader sont en
effet de bonne facture à l’instar de «Blues for Max/Blues for Boba» deux thèmes
entremêlés au cours desquels le quartet envoie une sacrée énergie! Un concert
revigorant qui va de pair avec l’album Thalia dont nous recommandons chaudement l’écoute, au moins pour le plaisir d’y
retrouver un autre pianiste d’exception: Dado Moroni.
Jacky Terrasson (p), Sylvain Romano (b), Lukmil Perez (dm),
Jazz Festival Roger Mennillo, St-Cannat, 9 juillet 2023 © Ellen Bertet
Avec Jacky Terrasson (p), entouré de Sylvain Romano (b) et
Lukmil Perez (dm), l’énergie de la musique est différente, sous tension permanente,
à l’image du pianiste lui-même qui par moments se soulève de son siège et
paraît danser, comme pris par une sorte de transe. Il surprend du coup par une
version inhabituellement nerveuse du thème principal des Parapluies de Cherbourg (Michel Legrand) dont la mélodie ne nous
est révélée qu’en cours de morceau et reprise à la fin sous forme de ballade.
Même traitement pour le célèbre «Besame Mucho» qui se trouve «déconstruit»
comme pour coller à l’air du temps… Jacky Terrasson ne manque ni d’habileté ni
de virtuosité mais paraît à la mi-temps du concert arrivé à court d’idées: les
motifs sont repris en boucle pour maintenir la tension –également entretenue
par le drive de Lukmil Perez–, mais la
répétition systématique du procédé finit par lasser quelque peu malgré l’originalité
des reprises (c’est encore le cas avec «Take Five» de Dave Brubeck), voire la
variété des citations (comme le thème de Mission
Impossible sur «Smile»). Malgré ces petites faiblesses et un répertoire
très grand public, le trio de Jacky Terrasson a donné un concert de bon niveau,
suscitant pas moins de deux rappels du public.
Texte: Jérôme Partage
Photos: Ellen Bertet
© Jazz Hot 2023
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Bruxelles en juin
Jazz Station, Caveau du Max
• Jazz Station, 24 juin 2023
On connait
Stéphane Galland comme le batteur d’Aka Moon. On le connait moins comme
accompagnateur et beaucoup moins encore comme compositeur. Pour agrémenter ses
créations, il a fait appel à des chasseurs de rythmes … comme de bien entendu! Outre Wajdi Riahi, le
pianiste belgico-tunisien et l’altiste belge Sylvain Debaisieux qu’on
découvre aujourd’hui en pleine maturité, il a ramené quelques-uns de ses élèves
du Conservatoire et d’autres de ses rencontres internationales. Au sein du
sextet, on trouve: le trompettiste français
Pierre-Antoine Savoyat, la jeune, talentueuse et impétueuse bassiste batave,
Louise van den Heuvel et la ténor japonaise Shoko Igarashi.
On s’attendait à un
déluge de drums; il n’en fut rien. Mais en ce qui concerne les rythmes, ce fut
dense, complexe, créatif et généralement peu usité. Pour cette musique qui
swingue et qui groove, il fallait écrire de jolies compositions et de beaux
arrangements. Ceci explique un canevas plutôt rigoureux pour les membres du
groupe qui doivent jouer sans partition! Les solos généralement courts sont
agrémentés de nombreux backings: alto
et ténor derrière la trompette, bugle et ténor en nappes derrière l’altiste hyper-inspiré,
unisson des souffleurs pour enrichir les solos du pianiste. Les tempos sont
respectés avec les césures imposées et les accentuations dirigées pour amener,
sur des rythmes répétitifs des changements de tons, des montées dans l’aigu
puis retour au grave («Tremous Culture»). Il y a des riffs derrière les envolées
de Sylvain Debaisieux qui n’hésite pas à taquiner les harmoniques («Lindy
Perfect»). Pierre-Antoine Savoyat repose la trompette pour l’un ou l’autre beaux solos au bugle, comme sur «Morphin’
Dolphins». Un peu timorée, Shoko Igarashi s’illustre humblement sur le
romantique «Amazing». Wajdi Riahi en ici moins l’occasion, mais à chaque fois
il est éblouissant («Lindy Effect»). Sautillante, souriante et attentive, Louise
van den Heuvel concoure au groove puissant que lui offre Stéphane Galland
(intro de «It’s Staky» et «Positiv») Sur le deuxième morceau du second
set, on a aussi noté un pur duo ts/as amené par un break impérial.
Pour clôturer la
saison de la Station, la toujours nombreuse assistance réclama un chouia
en rappel. Ce fut un hypnotique «Africa Blue»: la création de Coltrane revue par les arrangements et la plume experte de Stéphane Galland, 53
ans.
• Caveau du Max, Schaerbeek, 29 juin 2023
Le restaurant Le
Max accueille des buffets-concerts mensuels depuis 1999. Ce présent soir de
juin, Michel Mainil, le programmateur, qui est aussi saxophoniste, avait choisi
de clôturer la saison par le quartet de Daniel Polain (ts). Fils d’un clarinettiste
dixieland verviétois, il n’en est pas moins un continuateur de Stan Getz, comme
son doyen Robert Jeanne. C’est la biographie du «Sound», du début à sa fin, que
le musicien liégeois nous conta entre les hommages musicaux: «Don’t Get Around Much Anymore», «Jumpin’ at
the Woodside», «Jordu», «Everything Happens to Me», «Line For Lions»,
«Bernie’s Tune» pour le premier set, «Oh Grande Amor» et «Desafinado»,
notamment, pour le deuxième.
Les images et les
souvenirs réjouissent l’assistance bourgeoise qui reconnait quelques standards.
Jean Borlée (b) distribue les tempos, Jean-Denis Tourneur (g) les accords. Le leader et Sébastien Jadot (tb) s’écoutent et se complètent en harmonie ou en
questions/réponses. Les 4/4, sans batteur, lancés par Jean Borlée sont
applaudis chaleureusement. Comme ça fait du bien de retrouver ces perles anciennes qui ne demandent qu'à être portées par les nouvelles générations!
Jean-Marie Hacquier
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Jazz at Lincoln Center Orchestra
Philharmonie de Paris-Cité de la musique, 10 juin 2023
L’événement jazz de ce mois de juin 2023 était la présence à la Philharmonie
de Paris, les 10, 13 et 14, de Wynton
Marsalis (tp) et de son Jazz at Lincoln Center Ochestra en tournée en Europe depuis le début du mois et jusqu'au 8 août, avec une ultime date en septet à Marciac. Le public était évidemment au rendez-vous dès le 10 juin pour acclamer le plus
prestigieux big band de la planète: un régal absolu pour
tout amateur de jazz. Avec sa bonhommie habituelle, Wynton Marsalis a ouvert le
concert en septet sur un thème mid-tempo de son cru. Ce format lui convient
bien et nous a permis d’apprécier sa sonorité toujours aussi superbe, dense et
expressive, de même que la section rythmique d’exception du LCJO: le beau jeu
teinté de blues de Dan Nimmer (p), le son profond de Carlos Henriquez(b) qui tient solidement les lignes de basse,
tandis qu’Obed Calvaire possède un drive épatant. Le big band au complet
enchaîne avec un thème de Dave Brubeck puis un original de Sherman Irby (as),
proposant ainsi à la fois un jazz de répertoire (Cat Anderson, Duke Ellington…) et
quelques compositions de ses membres, annoncés depuis son pupitre de la section
des trompettes par Wynton Marsalis qui ne se met pas en avant, laissant les
solos à ses partenaires comme le talentueux Elliot Mason (tb), le volubile
Abdias Armenteros (ts) ou ses trois excellents collègues trompettistes, Kenny
Rampton, Ryan Kisor et Marcus Printup. Pour le premier rappel, Chris Crenshaw a
troqué le trombone pour le tuba et donné un «Man From Tanganyika» (McCoy Tyner)
aux accents de New Orleans. Les ovations du public ont suscité un deuxième
rappel, un magnifique «Embraceable You» offert par Wynton Marsalis, seul avec
la section rythmique. Un final pour lequel le directeur de JALC a sorti ses
tripes nous rappelant l’extraordinaire musicien qu’il est ainsi que l'importance fondamentale du feeling quel que soit le thème joué. Quelle soirée!
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2023
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Tchavolo Schmitt et Edouard Pennes,
Duc des Lombards, 7 juin 2023 © Jérôme Partage
Tchavolo Schmitt Trio Duc des Lombards, Paris, 7 juin 2023
Après le festival Django qui s'est tenu au Sunset en mai, le Duc des Lombards prolongeait la commémoration des 70 ans de la disparition du Divin Manouche avec la venue de Tchavolo Schmitt (g), le 7
juin, un beau moment de musique et
d’humanité. Entouré des talentueux Julien Cattiaux (g) et d’Edouard Pennes (b) –qu'on avait entendu au Sunset avec Gwen Cahue–,
le guitariste a présenté quelques-uns des titres de l’album Miri
Chterna, qu’il a enregistré l’année dernière avec eux. Heureux d’être
en scène, Tchavolo se tourne après chaque morceau vers ses partenaires, leur
prend la main, leur témoigne son affection et sa reconnaissance et les
interrogent du regard sur le choix du titre suivant qu’il accueille avec un «ah oui, c’est bien ça». Tchavolo n’est
pas un de ces acrobates de la guitare qui cherchent à épater la galerie par
leur technique et leur rapidité. Lui, prend le temps de former les notes, de
les faire ressentir avec profondeur. Le
blues des Tsiganes chevillé aux cordes, Tchavolo joue Django, le maître révéré
–jamais un jour ne passe sans qu’il l’écoute– avec toute son âme et donne de
l’épaisseur et de la poésie à n’importe quelle mélodie, comme «Jardin d’hiver»
(Benjamin Biolay/Keren Ann) popularisé par Henri Salvador. On s'étonne juste un peu que le club ne soit pas plus rempli pour le grand Tchavolo et que le public ne réagisse pas davantage à sa musique, si ce n'est quand, avec deux doigts de malice, il forme quelques accords de rock & roll au milieu d'un solo. Comme dans les festivals, les amateurs de jazz auraient-ils cédé leur place dans les clubs aux consommateurs cherchant à accrocher une sortie culturelle de plus au bilan de leurs vacances?
Texte et photo
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2023
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Ramona Horvath (p), Brisa Roché (voc),
38 Riv', 29 mai 2023 © Jérôme Partage
Brisa Roché & Ramona Horvath 38 Riv', Paris, 29 mai 2023
Le 29 mai, le public du au 38 Riv’ a assisté à une rencontre inédite et déjà très complice, celle entre Brisa Roché (voc) et Ramona Horvath (p) qui se
produisaient en duo pour la première fois. Les retours réguliers au jazz de
Brisa –qu’elle décrit comme son jardin secret– sont toujours bienvenus,
surtout avec une accompagnatrice de ce niveau. Ramona a ainsi suivi avec brio les improvisations toujours aussi imaginatives de Brisa en variant superbement les couleurs selon les thèmes: garnériennes sur le morceau d’introduction «All
Too Soon», en piano solo, blues sur «Fine and Mellow» et «Black Coffee» ou
encore stride sur «Lover, Come Back to Me» (et quel solo!) et «He Ain't Got Rhythm»,
nouvellement ajouté au répertoire de Brisa, tout comme «One Never Knows, Does
One» qu’elle a chanté pour la première fois. Un répertoire qui est celui du jazz de culture, ne faisant pas de concessions à la variété, et que la chanteuse
habite avec sincérité, toujours sous l’égide
de Billie Holiday, mais aussi d'Ella Fitzgerald (magnifique «The Thrill Is Gone»). Ce beau concert de fin d’après-midi (nous étions dimanche) s’est
achevé en rappel sur «Careless Love». On espère ne pas trop attendre jusqu'au prochain rendez-vous que ne manqueront pas de nous donner Brisa Roché et Ramona Horvath.
Texte et photo
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2023
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Bruxelles en mai
Lorenzo Di Maio Everglow Quartet: Lorenzo Di Maio (g), Wajdi Riahi (p, ep),
Cédric Raymond (moog, kb), Pierre Hurty (dm), Jazz Station, 12 mai 2023
Nous pensions bien connaître Lorenzo Di Maio pour
ses prestations au sein de différentes formations belges. Ce soir-là, il nous
proposait en première: un quartet à son nom, sans bassiste et avec quatre
claviers. On aurait pu s’en étonner si le moog n’avait fait l’office du cordiste absent. D’étonnements en surprises nous
allions être servis. Ce fut magnifique du début à la fin par l’écriture simple
et fine, mais surtout par la grande sensibilité qui a prévalu au long de deux
sets et deux rappels. Lorenzo Di Maio propose des compostions sur des harmonies
chaudes (blue notes). Les accords de
base sont égrainés puis enrichis avec des césures qui tiennent l’auditeur en
haleine, les développements progressent en intensité. Le quartet, très soudé,
est totalement au service de la musique et de la direction voulue par le leader.
«Buenos Aires», en
hommage à Astor Piazzolla ouvre le concert. Suivent «Tenacity», puis «Lost» au cours
duquel le guitariste use délicatement des loops pour progresser avec un solo
hallucinant. Je découvre le pianiste Wajdi Riahi. Il suit et surprend par sa
vélocité; sa créativité enrichit la mélodie. Pierre Hurty est juste, collant à
chaque note de chaque phrase, il ponctue quand il faut, où il faut. Le solo
pris en usant des deux grands tomsest lyrique. Avec «Back Home», en swing lent, on mesure le feeling profond du compositeur. Cédric Raymond prend un solo sur lesynthé Prophet et des accents gospel arrivent en finale. Pour débuter
la seconde partie, Lorenzo Di Maio reprend «Woodstock 1969»: un titre de son
premier album, une parenthèse pop-rock dans un livret qui compte encore
«Mélancolie» et un très beau solo en
retenues de Wajdi Riahi. Avec «Détachement», comme pour presque tous les
morceaux, le premier solo est assuré par le guitariste avant ceux du pianiste,
du claviériste et du batteur. La cohésion est tellement parfaite que des chorus
sont pris en unisson guitare/piano. C’est en symbiose totale et crescendo qu’ils vont à
la dernière coda. L’audience est séduite et ses ovations sont gratifiées de
deux rappels.La tournée «Overglow» va sans doute aboutir en
festivals. Il ne faudra pas manquer de réécouter cette beauté engendrée par
Lorenzo Di Maio et ses acolytes.
Lorenzo Di Maio, Jazz Station, Bruxelles, 12 mai 2023 © Roger Vantilt
Bart Defoort Quartet: Bart Defoort (ts), Ron Van Rossum
(p), Sal La Rocca (b), Sebastiaan De Krom (dm),
Jazz Station, 18 mai 2023
Il y avait
longtemps que nous n’avions plus pu écouter un quartet post bop in the
tradition! Bart Defoort et Salvatore La Rocca, 59 ans, sont venus nous rappeler que l’ossature de
l’orchestre de modern jazz se joue en
quartet. A leurs côtés, deux hollandais qui ont pas mal bourlingué en Belgique:
Ron Van Rossum et Sebastiaan De Krom; ils figuraient d’ailleurs aux côtés de
Bart Defoort lorsqu’il reçut le «Django d’Or» de la Sabam en 2008 pour le
meilleur album de l’année. On se
rappelle Ron Van Rossum comme sideman de Jacques Pelzer au Lion s’envoile (Liège, années 1970). Il aurait, parait-il, abandonné la musique et le piano
jusqu’à la reconstitution du quartet de Bart Defoort. Quant à Sebastiaan De
Krom, lauréat du concours des jeunes au défunt «European Jazz Contest» au début
des années 1980, il s’est fait oublier en émigrant à Londres où on le trouve
régulièrement dans la rythmique du Ronnie Scott's.
Le décor planté,
on attendait les vétérans. Pas de problème pour Sal La Rocca puisqu’aujourd’hui
encore il reste le bassiste le plus demandé sur nos scènes. Il nous offrit deux
compositions magnifiquement charpentées: «North Area» et «Dire Non». Quant à
Bart Defoort, il faut avouer qu’on avait un peu perdu sa trace en-dehors du Brussels Jazz Orchestra. D’un
grand classicisme, on admire sa sonorité chaude et sa créativité («With You»).
Sebastiaan De Krom est de classe internationale même si, emporté par son grand
professionnalisme il a parfois tendance à pousser.
Son toucher aux baguettes comme aux brosses est léger, terriblement swing. Ron
Van Rossum fera dans l’économie avant de s’affirmer par une très jolie
composition –«Inspirity »– introduite
longuement à la basse avant les solos inspirés du pianiste et du batteur. La cohésion, hésitante en début de concert,
va s’affirmer au fil des titres qui sont autant des compositions de l’un et de
l’autre. Mon grand âge fit qu’il me fallut renoncer au deuxième set afin de
rester relativement en forme et revenir le lendemain (à suivre).
Ziv Ravitz Trio: Ziv Ravitz (dm), Reinier Baas (g),
Haggai Cohen-Milo (b), Jazz Station, 19 mai 2023
On aime bien Ziv
Ravitz en Belgique: il accompagnera d’ailleurs Nicolas Fiszman (g) pour son
concert à Flagey le 27 mai prochain. Ce n’est pas non plus la première fois que
ce sympathique batteur israélien se produit à la Jazz Station. Kostia, Yannick
et Charlotte lui ont, de commun accord, offert une carte blanche de deux jours, avec deux groupes différents. Pris par
des occupations extra-musicales, je n’ai pu assister qu’au premier des
concerts, le vendredi. Mais aux deux parties, cette fois!
Le batteur, tout
sourire, est présent, souple et attentif derrière ses invités; son solo-seul en
fin de concert est renversant! On est ravi par le jeu du bassiste («Sandwich») en
solos comme en trilles partagées avec le guitariste. Quant au guitariste,
Reinier Baas, qu’en dire? Du bien et du mal. Du bien par sa créativité, du mal
par la sonorité rock de sa Gibson plate. Et puis, il a tendance à mettre le
volume à fond la caisse. Trop de
«brillance» aussi! A côté de cela, il est la vedette de ce soir par ses
compositions qui flirtent allègrement avec la musique post-yiddish. Son expression
est intense, en solo l’accord est sonné pleines
cordes avant son déroulé en single
notes. Son jeu, touffu, est très volubile (trop?). Le guitariste parcourt
le manche et se joue des harmonies. Singulièrement il n’utilise que des
faux-barrés qui lui permettent de faire sonner le mi grave comme une dominante.
C’est surprenant mais peu envoûtant…! Après «The Dragon», j’ai mieux aimé
«Silent Wish»!
Nicolas Fiszman
(g), Olivier Bodson (tp, flh), Frank Deruytter (ts), Arnould Massart (p), Nicolas
Thys (b), Ziv Ravitz (dm), Flagey, 27 mai 2023
En préambule de ce
reportage, il nous plaît de retrouver Ziv Ravitz derrière les drums –il semble
ne plus vouloir quitter le territoire belge– mais signalons surtout le choix
de Nicolas Fiszman de nous revenir en tant que guitariste et compositeur. Ce
musicien qu’on a l’habitude d’écouter comme bassiste accompagnant d’autres, dont
de nombreux chanteurs-euses (Maurane, Cabrel, Bashung, Patricia Kaas, Viktor
Lazlo…), pouvait-il remplir le Studio 4 de Flagey malgré un gigantesque «Brussels Jazz Week End»? Vous me
posez la question? Eh bien, je réponds «oui»!
Epinglons d’entrée
le choix judicieux de remplacer les keyboards
par des backings de reeds (sax-ténor) et de horns
(trompette et bugle). Ça devenait trop rare dans les combos! Ce soir, c’est
surtout le compositeur qui signe et présente tous les morceaux, reflets de son
album éponyme(Cristal Records 353). Toutes les œuvres sont empreintes
d’une certaine tendresse («Gilles & Shangu») avec quelques blue notes. Légers, les thèmes sont
courts avec peu de notes mais elles sont essentielles. Le développement du
canevas se fait par paliers, enrichissements harmoniques et quelques gradations
de tons. Des chansons courtes aux couleurs pastel! Les rythmes vont des
valses lentes aux tempos plus soutenus: honky tonk train pour «Fast Ride», groovy pour «Shall We Meet at Breakfast», gospel lent pour «Gilles & Shangu», crescendo de «Z & Z». Nicolas Fiszman,
leader, cède quelques beaux solos à ses accompagnateurs: Olivier Bodson
dans «Shall We Meet at Breakfast», Arnould Massart («Gilles & Issaïah»),
Nicolas Thys («Are We Done?»), Ziv Ravitz («Broken Light»), Frank Deruytter («Freddy»). J’ai beaucoup
apprécié tous les solos de Nicolas Fiszman particulièrementdans «Broken
Light». Riche de souvenirs et d’influences, il rend hommage à Toots Thielemans
et Ivan Paduart («Jean Baptiste & Ivan»), Nadia Boulanger(«Once a
Day»), Maurane(«Mau») et bien évidemment à Philip Catherine, son maître à
penser, lors d’un premier rappel en trio «g/b/dm». Quel joli mois de
mai!
Jean-Marie Hacquier
Photo Roger Vantilt
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Django Celebration
Sunset-Sunside, Paris, 6 au 20 mai 2023
A l’occasion des 70 ans de la disparition de Django
Reinhardt –le 16 mai 1953– le Sunset proposait une programmation spéciale
s’étalant du 5 au 21 mai. Nous avons suivi cinq de ces soirées qui ont connu un
grand succès et offert un beau panorama de la galaxie Django en 2023, révélant
la proximité et les nuances entre les musiciens, notamment dans leurs façons
d’aborder les compositions du «Divin Manouche».
Guillaume Singer (vln), Edouard Pennes (b), Romain Vuillemin (g), Rémi Oswald (g), Sunset, 6 mai 2023 © Jérôme Partage
Nous avions découvert Romain Vuillemin avec son deuxième
album, Why Not?. Toujours à la tête
de son quartet –Guillaume Singer (vln), Edouard Pennes (b) et Rémi Oswald (g
rythmique, en remplacement de Julien Cattiaux)– le guitariste proposait, le 6
mai, dans un Sunset archicomble, un hommage à Django dans l’esprit et dans la
lettre, et aussi dans la continuité de son propre parcours. Portés par
l’énergie renvoyée par le public, les musiciens ont donné deux sets débordants
de swing et de bonne humeur. Dès le premier titre, «Honeysuckle Rose», ont est
pris par la vélocité du leader (quel solo sur «After You’ve Gone»!). La
complicité au sein du quartet est palpable, les échanges avec le grappellien Guillaume
Singer évoquent bien entendu le duo Django/Stéphane. Les interventions du violoniste
sont d’ailleurs toujours superbes, apportant des touches bienvenues de musiques d’Europe
centrale soulignant son propos (introduction de «Russian Lullaby») ou de musique classique (belle
improvisation sur «Minor Swing»). Romain Vuillemin ajoute de la variété en
chantant sur quelques titres, y compris pour faire patienter le public pendant
qu’il change une corde («Night and Day»). S’appuyant sur la solide rythmique
constituée par Edouard Penne, qu’on connaît aussi comme guitariste, et Rémi
Oswald à la pompe, l’orchestre explore le répertoire djangolien, y compris
les valses composées par le maître («Chez Jacquet», «La Gitane»), jusqu’aux
titres de Stéphane («Ballade», thème qu'il a écrit pour le film Les Valseuses de Bertrand Blier, 1974).
On aura plaisir à suivre Romain Vuillemin qui a sorti en décembre dernier un troisième opus célébrant la
rencontre entre Django et le musette, Three
Sides of a Coin, avec Pierre Cussac (acc) en invité.
Adrien Moignard (g), Noé Reinhardt (g), William Brunard (b), Hugo Lippi (g), Sunset, 9 mai 2023 © Jérôme Partage
Changement de décor avec, le 9 mai, Noé Reinhardt
(petit-fils d’un cousin de Django), Adrien Moignard et Hugo Lippi –tous trois
armés de guitares électroacoustiques qui annoncent une orientation bop et
blues– soutenus par un pilier des rythmiques Django, William Brunard (b).
L’ambiance est à l’intimisme, aux ballades délicates puisées dans les
compositions du maître («Cavalerie», «Nuages») ou les standards («All the
Things You Are»). Babik –qui est l’une des grandes inspirations de Noé– est également
à l’honneur avec son joli thème «Incertitude». Mais c’est dans son approche
originale du répertoire Django que le quartet se révèle le plus intéressant
avec un «Manoir de mes rêves» aux accents funky et un «Tears» très blues que
Noé Reinhardt a arrangé de façon à ce que la mélodie ne ressurgisse qu’en
pointillés. On reconnaît par ci par là quelques accords, on hésite sur
l’identité du morceau, pour enfin identifier l’un des chefs d’œuvres Django et
Stéphane. Un concert tout en subtilités dont on retiendra aussi un «After You’ve
Gone» introduit avec délicatesse par Hugo Lippi pour enchaîner sur un tempo
plus rapide. De la belle dentelle!
Philip Catherine et Antoine Boyer, Sunset, 11 mai 2023 © Jérôme Partage
La soirée du 11 mai
proposait la rencontre entre deux générations: Philip Catherine (80 ans) et Antoine
Boyer (26 ans). Ce dernier est un disciple de Mandino Reinhardt et de Francis-Alfred
Moerman avec lequel il a enregistré son premier CD dès 2009. Philip et Antoine n’avaient joué qu’une seule fois en duo, en 2014, et les retrouvailles se sont déroulées dans la plus grande simplicité: la liste des
morceaux a été rédigée sur un coin de table peu avant le concert! Rencontre
également de deux univers: le son électrique et méditatif de Philip côtoyant le
son acoustique d’Antoine, inscrit dans la tradition Django à laquelle il mêle à
l’occasion quelques nuances hispanisantes («Always»), ce qui s’explique sans
doute par ses collaborations avec le guitariste de flamenco Samuelito. Par
ailleurs, l’extrême sensibilité de Philip a donné des moments de grâce sur
«Lover Man» ou sur sa très jolie ballade, «To Martine». On retiendra aussi un
«Manoir de mes rêves» avec de légers accents brésiliens et deux belles reprises
issues de la chanson française: «Les Amoureux des bancs publics» et «Les
Feuilles mortes».
Gwen Cahue (g), William Brunard (b), Simba Baumgartner (g), Samson Schmitt (g), Sunset, 12 mai 2023 © Jérôme Partage
Le lendemain, Simba Baumgartner (g) et Gwen Cahue (g),
accompagnés de William Brunard (b), invitaient Samson Schmitt (g). Simba, 27
ans, est un enfant de la balle, petit-fils d’Henri Baumgartner (1929-1992), le
fils aîné de Django issu d’un premier mariage (Baumgartner était le patronyme
de son beau-père), connu comme guitariste sous le nom de Lousson Reinhardt. Très
naturellement, Simba se trouve très jeune avec une guitare entre les mains et
monte sur scène dès ses 10 ans, au Bal de la Rose de Monte-Carlo. Pour soutenir
la vocation de leur fils, ses parents se sédentariseront à Samois-sur-Seine. On
connaît mieux Gwen Cahue dont nous avons chroniqué les albums Memories of Paris et Margin Call. Quant à Samson Schmitt, fils
et disciple de Dorado, sa carrière internationale, qui passe régulièrement par
les Etats-Unis (où il a notamment enregistré avec le Django AllStars) parle
d’elle-même. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour une célébration de
Django au plus près de la culture jazz qui s’est développée autour de lui et à
sa suite. Aux guitares acoustiques, Simba et Gwen démarrent le premier set avec
«Night and Day» et «Topsy» (sur lequel Gwen glisse quelques mesures de «Hit the
Road Jack»), soutenus par la sonorité profonde de William Brunard. L’arrivée de
Samson, à la guitare électroacoustique, donne une ampleur supplémentaire à la
musique dont l’esprit est baigné par la sensibilité tsigane. Emotion, intensité
et énergie caractérisent ce concert qui enchaîne «Bossa Dorado» (Dorado
Schmitt), «Blues en Mineur» (avec une citation humoristique du thème de Mission Impossible par Samson),
«Troublant boléro», «Gypsy Swing» (Samson Schmitt) ou encore «Tears» gratifié
d’un superbe solo de Samson. Quel bonheur!
Adrien Moignard (g), Mathieu Chatelain (g), Diego Imbert (b), Alexandre Cavaliere (vln), Sunset, 20 mai 2023 © Jérôme Partage
Le 20
mai, le Sunset était encore plein à craquer pour le trio d’Adrien Moignard
–Mathieu Chatelain (g rythmique) et Diego Imbert (b)– qui accueillait Alexandre
Cavaliere (vln) assurément l’un des héritiers les plus doués de Stéphane
Grappelli bien qu’il s’en distingue par un jeu tourné vers le bop. Une
orientation qui convient bien à Adrien Moignard comme le démontre le choix d’un
titre de Sonny Rollins, «Oleo». Django est bien sûr présent avec notamment
«Webster» et «Flèche d’or» que l’orchestre rend avec dynamisme –excellent
soutien de Mathieu Chatelain et Diego Imbert– et enthousiasme. Les regards sont
complices, les rires affluent, les musiciens prennent du plaisir à jouer et le
public en redemande! L’incontournable «Nuages» est superbement exposé par
Adrien Moignard tandis qu’Alexandre Cavaliere offre un solo de toute beauté,
plein d’intensité. Il introduit ensuite longuement –et toujours magnifiquement–
«How High the Moon» avant d’être rejoint par le reste de la troupe qui dévoile le thème. Autre belle entrée en matière: à la manière de Stéphane,
Alexandre joue sa «Ballade» des Valseuses en pinçant les cordes du violon. Ravissement de l’assistance, jusqu’au fond de
la salle où les amis musiciens sont réunis un verre à la main: Noé Reinhardt,
Simba Baumgartner et Fanou
Torracinta n’en perdent pas une miette!
Bravo au Sunset d’avoir organisé ce bel
anniversaire! On remet ça en 2024?
Texte et photos
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2023
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Cyril Galamini Quartet / Giovanni Mirabassi New Quartet
Stockfish, Nice (Alpes-Maritimes), 4 avril 2023
Schneor Dasniere-ini (g), Sofian El Mabrouk (b), Cyril Galamini (tb),
Stockfish, Nice, 4 avril 2023 © Umberto Germinale-Phocus
Mercoledì 5 aprile lo Stockfish di Nizza, "la più grande tra le piccole sale” come amano definirla gli appassionati, ha ospitato un riuscito doppio concerto jazz. La tradizione di sostenere la scena locale facendo esibire giovani musicisti in apertura di serata dà i suoi frutti permettendo alle giovani leve del jazz transalpino una bella ribalta ed a noi l'occasione di testarne la maturazione. Cyril Galamini, trombonista classe 1997, ha guidato con sicurezza un quartetto completato da Schneor Dasniere-ini alla chitarra e dalla sezione ritmica composta da Sofian El Mabrouk e Max Miguel. Un bel suono ed un fraseggio sempre alla ricerca della melodia sono le caratteristiche principali del leader che, dall'iniziale "Soulville” di Horace Silver alla chiusura monkiana di "Well, you needn't” ha accompagnato piacevolmente il pubblico in una rilettura della storia del jazz moderno. Non sono mancate alcune composizioni originali, sue e del chitarrista, oltre alla classica "Line for Lyons” di Mulligan a testimonianza della predilezione per gli anni 50 senza divisioni in steccati tra cool e bop.
La seconda parte della serata, invece, era dedicata al pianista italiano, da tempo trapiantato in Francia, Giovanni Mirabassi. Al suo trio, formato dal giovane contrabbassista Clément Daldosso e dallo storico collaboratore Lukmil Perez alla batteria, si è aggiunto il sassofono torrenziale di Guillaume Perret che, in questa versione acustica, ha dimostrato di poter competere come suono e fraseggio con i migliori esponenti del suo strumento. Il repertorio del live è stato completamente estratto dal recente disco The Swan and the Storm ed il New Quartet dimostra di aver assimilato le composizioni rendendole con un fuoco ed una libertà maggiori rispetto all'incisione in studio. L'obliquo tema di "Getting nasty”, il melodico omaggio al collega Hersch in "Red for Fred”, il groove quasi inaspettato di "Go with the flow” in contrapposizione alla malinconia della title track o dello scorrere del tempo ("Cinquantuno”, l'età di Mirabassi al momento della composizione del brano) sono il segno di una ulteriore maturazione del pianista. Dal musicista introverso e malinconico degli esordi ad un artista completo che tiene in sé poesia e slancio ritmico, coadiuvato dall'ottimo solismo di Perret e dall'impeccabile sezione ritmica.
Come inatteso bis i quattro hanno deciso di eseguire un brano inedito che uscirà a breve in un cd a nome di Lukmil Perez che vedrà la collaborazione di Chucho Valdés. Un po' di Cuba ha, quindi, chiuso una serata in grado di accontentare il gusto del pubblico che gremiva la sala tenendo insieme storia e.
Adriano Ghirardo
Foto: Umberto Germinale-Phocus
© Jazz Hot 2023
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Giovanni Mirabassi (p), Clément Daldosso (b), Guillaume Perret (ts), Lukmil Perez (dm), Stockfish, Nice, 4 avril 2023 © Umberto Germinale-Phocus
Mercredi
5 avril, le Stockfish de Nice, «la plus grande des petites salles»
comme aiment à l'appeler les passionnés, a accueilli avec succès un
double concert de jazz. La
tradition de soutenir la scène locale en faisant jouer de jeunes
musiciens en ouverture de soirée porte ses fruits, permettant aux talents en herbe du jazz transalpin d'être mis à l’honneur, et à nous, l'occasion de tester leur maturité. Cyril Galamini, tromboniste né en
1997, dirigeait avec assurance un quartet complété par Schneor
Dasniere-ini (g), Sofian El Mabrouk (b) et Max Miguel (dm). Un beau son et un phrasé toujours à la
recherche de la mélodie sont les principales caractéristiques du leader
qui, du «Soulville» d'Horace Silver en début de concert à la conclusion
monkienne de «Well, You Needn’t», a agréablement fait voyager le public
dans une réinterprétation de l'histoire du jazz moderne. Il y avait
quelques compositions originales du leader et du guitariste, ainsi que
le classique «Line for Lyons» de Gerry Mulligan témoignant de la
préférence pour les années 1950 sans barrière entre cool et bop.
La
deuxième partie de la soirée était consacrée au pianiste italien
installé depuis longtemps en France, Giovanni Mirabassi. Son trio,
composé du jeune bassiste Clément Daldosso et de son collaborateur
historique Lukmil Perez, batteur cubain, a été rejoint par le saxophone
torrentiel de Guillaume Perret qui, dans cette version acoustique, a
montré qu'il pouvait rivaliser en termes de son et de phrasé avec les
meilleurs représentants de son instrument. Le répertoire live a été
entièrement extrait du récent album The Swan and the Storm, et le New
Quartet démontre qu'il a assimilé les compositions, les jouant ici avec
plus de fougue et de liberté que lors de l'enregistrement en studio. Le
thème oblique «Getting Nasty», en hommage mélodique à «Red for Fred» de
son collègue Fred Hersch, le groove presque inattendu de «Go With the
Flow», en contrepoint à la mélancolie de la chanson-titre sur le temps
qui passe, «Cinquantuno», l'âge de Mirabassi au moment de sa
composition, sont le signe d'une nouvelle maturation du pianiste. Du
musicien introverti et mélancolique de ses débuts à l'artiste complet,
Giovanni Mirabassi porte en lui la poésie et l'élan rythmique, secondé
par l'excellent soliste Perret et l'impeccable section rythmique.
Comme
rappel inattendu, les quatre ont choisi d'interpréter une composition
inédite qui sortira bientôt dans le CD de Lukmil Perez en leader, avec
la participation de Chucho Valdés en guest. Un
peu de Cuba clôturait donc une soirée capable de satisfaire le goût du
public qui remplissait la salle, faisant cohabiter histoire et
modernité, poésie et rythme, comme seul le bon jazz peut le faire.
Adriano Ghirardo
Traduction-Adaptation: Hélène Sportis
Photo: Umberto Germinale-Phocus
© Jazz Hot 2023
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Patrick Bacqueville Quintet
Caveau de La Huchette, Paris, 1er avril 2023
Samedi 1er avril, nous découvrions un «nouveau» lieu, un incontournable des soirées branchées parisiennes où se pressent les
jeunes touristes en quête de «nouvelles» expériences festives: le Caveau de La Huchette!
Poisson d’avril mis à part, le club plein comme un œuf (les restrictions covid
paraissent bien lointaines) devait recevoir le trio Swingin’ Bayonne (Arnaud
Labastie, p, Patrick Quillart, b, Jean Duverdier, dm) avec Patrick Bacqueville
(tb, voc) en invité. C’était sans compter sur le bazar national provoqué par la réforme des retraites qui depuis janvier mobilise
syndicats et simples citoyens (provisoirement?) sortis de leur torpeur post-covid.
Conséquence du mouvement social, le trio bayonnais est resté en gare faute de
train…
Patrick Bacqueville (voc, tb), Esaie Cid (as), Philippe Milanta (p), Moïra Montier-Dauriac (b), Elisabeth Keledjian (dm),
Caveau de La Huchette, 1er avril 2023 © Jérôme Partage
Qu’à cela ne tienne, l’ami Bacqueville a pris la relève et monté pour l'occasion, comme cela se fait en pareil cas, un groupe constitué d’Esaie Cid (as), Philippe Milanta (p), Moïra Montier-Dauriac
(b) et Elisabeth Keledjian (dm, voc). Ce public juvénile peu familier du jazz, de son répertoire, de son histoire humaine et collective, comme du lien indéfectible entre swing et danse dite be-bop, a été visiblement séduit par
l’ambiance conviviale et généreuse du Caveau: coup de foudre d'un soir ou d'une vie? Le renouvellement du public jazz est une gageure. Se sont ainsi succédé parties instrumentales («I'm Beginning to
See the Light», «Perdido» avec un solo d’Esaie Cid à la virulence parkérienne)
et parties chantées («Sometimes I'm Happy, Sometimes I'm Blue») par Patrick
Bacqueville, «If Dreams Come True» porté par une Elisabeth Keledjian qui, outre
ses qualités de rythmicienne, possède une voix bluesy. Soutenu avec conviction par Philippe Milanta –aux interventions
toujours superbes– et Moïra Montier-Dauriac, à la belle sonorité, le leader a
su capter cette assistance turbulente pour arriver à la brancher sur l'esprit collectif du jazz, soit par ses solos de trombone, soit par
son scat à la Louis Prima qui a suscité l’enthousiasme général, notamment sur
«You Can Depend on Me». Une soirée où le jeune public s'est pris au jeu de l'orchestre, dans la joie et la bonne humeur.
Jérôme Partage
Texte et photo
© Jazz Hot 2023
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Bruxelles en mars
Gerald Clayton White Cities: Gerald Clayton (p, org, kb), Marquis Hill (tp), Logan Richardson (as),
Jeff Parker (g), Joel Ross (vib, dm), Bozar, 9 mars 2023
Pianiste américain né en Hollande (Utrecht
1984), Gerald Clayton m’avait fort impressionné à l’occasion des derniers concerts de Charles Lloyd en Belgique. Dès
lors, je m’attendais à ce que la salle M (100 places) du Palais des Beaux-Arts
soit archi-comble. Il n’en fut rien. J’estime l’audience à plus ou moins 75
personnes. La pluie? La grève générale du lendemain?
Le projet pour ce quintet sans bassiste se
veut un hommage au peintre de Chicago: Charles White, chantre antiségrégationniste,
décédé en 1979 à 61 ans. White a parcouru les Etats-Unis depuis Chicago
jusqu’en Californie en passant par New York. Les musiciens du quintet viennent
tous de Chicago, de New York ou de Los Angeles. Gerald, fils de John Clayton, a
parcouru le même chemin que l’artiste-peintre. Son hommage à Charles White se
veut le film de leurs cheminements similaires à travers les States, ses
paysages, ses mœurs. C’est une succession de climats et de couleurs, une
succession de longs chapitres. Le récit s’articule sur des séquences
répétitives avec des accords et des rythmes simples que les musiciens
développent lentement, comme un voyage, avec les vaguelettes du lac Michigan,
les autoroutes monotones, le vent, le soleil et puis la mer. Le concerto
s’émaille de quelques scènes plus dures observées dans le Sud (solo de sax alto,
gospel au Hammond). Le chant des solistes est souvent tapissé par l’unisson
sax-trompette. Le jeu du guitariste est assez anodin avec quelques doigtés
ratés. J’ai été fort impressionné par le vibraphoniste Joël Ross; en solo
il est le plus créatif des accompagnants. Ses passages derrière les drums ne
sont, par contre, que des ponctuations. Mais il faut bien suivre la partition,
n’est-ce pas! Cette partition, elle est envahissante: les musiciens doivent s’y
tenir note par note et lorsqu’on voit poindre un solo, on se réjouit! Je
n’aimais pas trop la sonorité rauque de Marquis Hill alors que Logan Richardson,
alto droit et casquette de travers, m’a laissé un bon souvenir avec un fast-solo coltranien.Gerald Clayton joue de l’orchestre mais
trop peu de lui. On voudrait écouter plus souvent la luxuriance de son jeu.
Lorsqu’il accompagne, la main droite est sur le piano et la gauche sur le
Rhodes ou sur les interrupteurs du loop. L’orgue sert à dessiner les couleurs. Gerald
Clayton est le compositeur et le leader, il impose le démarrage des parties
orchestrées et la place des solos purs, sans accompagnement. Le concert de 90
minutes se termine à l’orgue par un gospel, le salut de rigueur et, en rappel, «I
Love You» de Cole Porter. Satisfaction mitigée!
Olivier Collette Trio: Olivier Collette (p), Victor Foulon (b),
Daniel Jonkers (dm), Jazz Station, 15 mars 2023
Je n’aime pas beaucoup la musique classique
arrangée par Jacques Loussier (p). Mais j’ai quand même voulu tester ce
qu’Olivier Collette, ci-devant pianiste, compositeur et arrangeur émérite,
avait fait de Bach, Chopin, Liszt,
Ravel, Purcell, Mozart, Debussy et
autres Piazzolla. Le concert a débuté par le Boléro de
Ravel suivi de «Liebestraum» du tendre Liszt, une variation d’Olivier Collette
sur le «Prélude en do mineur» de Bach, le «Deuxième mouvement» du Concerto
en sol majeur de Maurice Ravel, un bel
arrangement sur «Badinerie» de Jean-Sébastien, «Cold Song» d’Henri Purcell, le
deuxième mouvement du Concerto n°21 de Wolfgang Amadeus Mozart, «The Little
Negro» de Claude Debussy, la «Valse Posthume en la mineur n°17» de Frédéric Chopin
et, pour terminer le second set: le «Liber Tango» d’Astor Piazzolla. Le rappel
(obligé) se fera avec une variation sur le «Prélude en do majeur» de
Jean-Sébastien Bach. Tous ces morceaux se trouvent sur l’album éponyme Classical Tribute, autoproduit et disponible via le pianiste.Vous dire que j’aime beaucoup Olivier Collette
dans un autre registre, ça ne vous
apprendra rien! Je mentionnerai quand même ce que j’ai le mieux apprécié:
l’arrangement fait sur «Badinerie» et ce que le pianiste fit du «Little Negro». J’ai plus particulièrement et heureusement admiré les excellents
solos du bassiste, Victor Foulon, sur le «Rêve d’Amour» et la «Badinerie». Sur
«Little Negro», l’arrangement d’Olivier Collette a débuté joliment en ragtime et s’est prolongé par des solos de
piano puis de contrebasse, des 4/4 et un vivifiant solo de drums d’un batteur
très effacé dans les autres parties.
Debussy avait vu naître le jazz et, comme d’autres il a voulu s'en rapprocher. Instants
de grâce! Je me suis éloigné vers 20h30
affamé d’authenticités… jazz!
Fien Desmet (voc) et Marjan Van Rompay (as), Jazz Station, Bruxelles, 18 mars 2023 © Roger Vantilt
Wolf Trio: Wout Gooris (p), Marjan Van Rompay (as), Fien Desmet (voc), Jazz Station, 18 mars 2023
Une fois de plus la Jazz Station a voulu nous surprendre avec un groupe de structure non-conventionnelle en offrant sa scène à la saxophoniste Marjan Van Rompay. Cette musicienne m’avait agréablement surpris, il y a une douzaine d’années au festival de Gand, accompagnée par le contrebassiste Janos Bruneel. Avec son troisième album, Circles, la jeune flamande (1985) innove encore et offre à la capitale belge le premier concert de son nouveau groupe. Le projet, très accompli (peut-être trop), réunit Woot Gooris et Fien Desmet. Entre la cheffe et la chanteuse il y a une osmose sur une partition rigoureuse qui laisse peu de place à l’improvisation. Les jeunes dames sont très souvent à l’unisson et quand une prend le lead, l’autre suit à l’octave ou en contrechant («Circles»). Pas de dérapage dans cette union-fusion. Le pianiste assure l’indispensable base harmonique et prend peu de solos («Curtain Call»). La voix de Fien Desmet est claire, bien assurée et juste sur le tempo. Le souffle de Marjan Van Rompay à l’alto est comme un murmure, une caresse. On sent la vibration de l’air. Douée d’une bonne technique, elle travaille les résonances dans le bocal et dans le corps de l’instrument parvenant à doubler le son. Lente ou moderato, les climats sont tendres, nuancés, en retenue. La cohésion alto/voix est parfaite. La voix chantée en «ou-ou» est un véritable instrument. Les paroles interpellent avec un peu d’insistance parfois («Marry Me Baby», «Feel How We Leave Away»). Le public, surpris, attentif, a applaudi discrètement dans l’attente de laisser éclater ses chaleureux vivats en fin de concert.
Jorge Rossy (vib), Robert Landfermann (b), Jeff Ballard (dm), Jazz Station, Bruxelles, 25 mars 2023 © Roger Vantilt
Jorge Rossy Vibes Trio Puerta: Jorge Rossy (vib, marimba), Robert Landfermann (b), Jeff Ballard (dm), Jazz Station, 25 mars 2023
Le mois dernier, je vous ai parlé de mon admiration
pour Bill Stewart (dm). Ce mois-ci, je dois épingler Jeff Ballard (dm) au
panthéon des drummers contemporains et exceptionnels. Je suis loin d’aimer les
solos des batteurs qui en remettent des couches pour épater la galerie! Jeff
Ballard –comme Bill Stewart– c’est tout le contraire: une ouïe attentive, une présence
légère et constante derrière les solistes. Ses solos n’en remettent pas («Pensatina»).
C’est d’ailleurs le cas pour les trois compères avec quelques chorus bien
répartis, bien pensés, essentiels!
Jorge Rossy, et c’est curieux de le constater, a accompagné, comme Jeff Ballard, Brad Mehldau
(p) qui, soulignons-le en passant, se produisait, en solo, le même soir à Bozar!
Le choix de Rossy pour le vibraphone et le marimba n’est pas sans rapport avec
les climats épurés qu'offrent ces instruments; c’est un
désir que le Barcelonais a depuis l’enfance et ses essais à la trompette. Avec
ce trio, dont le mood n’est pas sans
rappeler The Art of the Trio de Brad Mehldau, Jorge Rossy peut développer
ses préférences pour un discours sans fioritures («Fever» de Charles Davis). L’entente entre le
marimba, souvent préféré au vibraphone et les drums, aux sticks comme aux balais,
est parfaite («Sweet Rollin’»). Complémentaire et bien intégré, le bassiste de Cologne assure un accompagnement sûr rythmiquement («Ventana»);
il ose quelques jolies intros en harmoniques («Ho») avec des solos en double-tempo ou en solo-pur
comme pour «Sicilia Cariddi». Colorée, légèrement mélancolique parfois, la
musique du Trio Puerta est envoûtante du début à la fin.
John Beasley (p), Dianne Reeves (voc), Bozar, Bruxelles, 29 mars 2023 © Axel Tihon by courtesy
Dianne Reeves (voc), John Beasley (p, kb, clavinette), Romero Lumbano (g), Reuben Rogers (b, eb), Terreon Gully (dm), Bozar, 29 mars 2023
Après un premier morceau en quartet avec
des chorus de tous les musiciens, Dianne Reeves entre en scène, souriante, dans
une robe longue et ample. Tonnerre d’applaudissements!En une trentaine d’années, c’est la
troisième fois que j’assiste à un concert de Dianne Reeves, et c’est de mieux en
mieux, pardon, c’est plus-que-parfait! Sur le thème, en
improvisation et en scat, sa voix est forte, profonde dans les graves et
juste dans l’aigu. Elle dirige ses accompagnateurs, choisit les césures et les
reprises, distribue les rôles. Aujourd’hui, elle est assurément the first diva of vocal jazz. Dès
l’entame, elle scatte et elle swingue («Povo» de Freddie Hubbard). Entre deux
chorus, elle se dit heureuse d’être là, avec une fantastic audience dans cette belle salle Henri Lebeuf dessinée par
Victor Horta. Suit «I’m All Smiles» sur lequel le guitariste et
le pianiste prennent les premiers solos. «Peace»,
la jolie ballade d’Horace Silver, permet à la diva de nous inciter à plus
d’amour partout et toujours. John Beasley s’illustre par un beau solo au
piano («Yesterdays»). Les Frères Gershwin sont au répertoire et Dianne Reeves a choisi
«Someone to Watch Over Me» et «Our Love Is Here to Say». Sur le fast tempo qui suit, Reuben Rogers (b)
dialogue avec la chanteuse. Il alterner contrebasse et basse électrique à six cordes au gré des couleurs et des climats. Dianne Reeves évoque ses
rencontres avec Herbie Hancock et rend hommage à Wayne Shorter, dont elle
reprend «Footprints ». «Minuano» de Pat Metheny démontre l’inventivité de
la chanteuse. Les scats montent et descendent, aériens, entrainants, nombreux. Romero
Lubambo se voit offrir un solo («Bacchio») avant l’immersion en
orchestre, chant et onomatopées, dans une bossa de Carlos Jobim: «Quiet Nights
and Quiet Stars» continué par «One Note Samba». Présentation du band,
applaudissement des solistes, solos de tous, fausse sortie et puis chaleureusestanding ovation. En rappel,
cabotine, Dianne Reeves fait chanter la salle («You Taught My Heart to Sing» de Sammy Cahn et McCoy Tyner), repose le micro et nous quitte lentement, en chantant. Je n’oublierai jamais Billie Holiday et
Sarah Vaughan mais, pour la maîtrise, le swing et la puissance du chant, Dianne
Reeves est la plus belle voix depuis Ella
Fitzgerald!
Jean-Marie Hacquier
Photos: Roger Vantilt et Axel Tihon by courtesy Avec nos remerciements
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Bruxelles en février
Arbenz x Mehari/Veras: Florian Arbenz (dm), Herman Mehari (tp), Nelson Veras (g),
Jazz Station, 4 février 2023, 18h30
Continuant sur ses récentes découvertes du côté des Helvètes, Kostia Pace, le directeur de la Jazz Station, nous a proposé ce trio sans contrebasse. Il n’en fallait pas plus pour susciter ma curiosité! J’avais déjà écouté Nelson Veras, mais les autres musiciens m’étaient totalement inconnus. J’ai tenu l’écoute pendant tout le premier set. Si, derechef je vous informe de ceci, c’est parce qu’il y a une suite dans ce reportage…
En
fait, pendant 45 minutes, nous avons écouté un leader omniprésent.
Compositeur et batteur, Florian Abenz domine des pieds et des mains ses
deux collègues qui n‘ont sans doute été choisis que pour magnifier le
chef («Burning the Beat», «Groove Eight», «Circus»). S’il offre à
Herman Mehari de jouer une de ses compositions –«Let’s Try Again»– ce
n’est pas, pour le trompettiste, l’occasion de nous livrer une once de
créativité: ses phrases sont mièvres et servies sans aucune nuance et
plus encore, sans groove! Et le guitariste se borne à quelques rares
accords qui viennent en ponctuations des déferlements de batterie. Ce
batteur suisse est extraordinaire et puissant. Inventif, il ne recule
même pas –pour un thème – à mater le son en recouvrant son matériel
d’une couverture. Ses structures, originales, voire complexes,
pourraient être intéressantes avec un peu plus de générosité pour ses
partenaires.
Florian Arbenz, Jazz Station, Bruxelles, 4 février 2023 © Roger Vantilt
Egon Loosveldt (dm), The Music Village, 4 février 2023, 20H30
Il ne sera pas dit que j’ai quitté mes pantoufles pour rentrer tôt. Il me fallait plus et mieux dans les oreilles! Claudiquant, transi, je suis descendu du haut de Saint-Josse au bas de la Grand’Place, bien décidé à aller écouter Emil Vicklkly (p) et Stéphane Mercier (as). Caramba! Encore raté! C’était la veille qu’ils se produisaient au Village. Survinrent alors, pour un premier set de soixante minutes, quatre musiciens et une contrebassiste. J’ai immédiatement réalisé que si du jazz il y aurait, cela devrait être des oldies. Et ce fut du boogie-woogie! De «Why You Want» à «Just a Gigolo» en passant par Nat King Cole, Elvis Presley, Fats Domino, Ray Charles, «Shake Run & Roll», et «Twist Again». Les sixties de mes 20 ans sont venus créer une belle récréation. Ah, oui: ils ont aussi joué «It Don’t Mean a Thing». La formation anversoise est bien rodée avec de très bons musiciens emmenés par le guitariste-leader. Le trompettiste et la bassiste (douée et charmante) chantent également, le plus souvent en backings et wap-doo-wap. Un trompettiste genre Harry James dans l’aigu, un batteur genre Hampton (Lionel) et une contrebassiste qui nous a livré un excellent solo, il faudrait être bégueule pour ne pas goûter à ce plaisir-là aussi! Las, à 22 heures, je n’ai pas trouvé de concert baroque!
The Cream Colored Ponies, Music Village, Bruxelles, 4 février 2023 © Jean-Marie Hacquier
Abdullah Ibrahim (p solo), Flagey, 8 février 2023
Salle Quatre comble au Centre Culturel Flagey pour le premier des concerts des «Piano Days» dont c’est la 10e édition. Abdullah Ibrahim, 88 ans, droit comme un I, avance à petits pas puis s’installe derrière le clavier du grand Fazioli. Après quelques secondes de silence, comme pour nous inviter à la méditation, il entame 45 minutes ininterrompues, comme à son habitude, de songs tirés de ses nombreux enregistrements et, plus particulièrement de l’album Solotude enregistré en 2021 (Gearbox Records). Les chansons, souriantes en mode majeur, nostalgiques en mineur, se succèdent et se lient, «Mannenberg» notamment. Le toucher est sensible, sans précipitation, ponctué de silences qui laissent couler l’accord jusqu’à nous. La main gauche est parcimonieuse. Bien souvent, une simple note dans les graves souligne le tempo. Les césures évoquent Monk, l’harmonie et les altérations Ellington. Les couleurs de ces mosaïques restent lumineuses mais diaphanes. On revoit Invictus et le sourire de Madiba. Les mélodies, sensibles, parlent de l’Afrique du Sud, de ses hymnes et de ses rythmes balancés, sortes de gospels des townships. Abdullah Ibrahim s’interrompt, se lève, recueille les applaudissements nourris, joint les mains pour dire merci. Le bouquet de fleurs traditionnel est remis brièvement par une jeune dame puis il repose les mains sur les touches pour une de ses plus jolies compositions, «Wedding», qu’il livre en entier. Après une nouvelle salve d’applaudissements debout, Abdullah Ibrahim chante la main à l’oreille à la Bécaud. Personne ne sait s’il s’agit d’un chant malay (du Cap) en langue xhosa, mais on fait silence et on respecte. A la sortie on resplendit comme revivifié!
Fabrice Alleman (ss, ts, voc, whistlle)/Reggie Washington (b, eb), Jazz Station, 10 février 2023
Ce mois-ci, Kostia Pace a choisi de nous
proposer des concerts solo, duo ou des associations instrumentales
non-conventionnelles. Ainsi, cette semaine, à la veille du concert solo de
Lionel Loueke auquel je ne pus assister, il offrait de venir découvrir, le
vendredi soir le duo entre Fabrice Alleman et Reggie Washington. Surprise:
la salle est pleine malgré l’absence de bières d’Orval depuis plus de deux
semaines!
Après le quart d’heure académique –une tradition dans les pays latins–,
les musiciens ouvrent sur «Nardis» de Bill Evans, contrebasse et sax-soprano.
La suite du concert, comme annoncé, fait la part belle aux compositions de
Wayne Shorter et John Coltrane. Pour «Beauty & the Beast», Reggie Washington
empoigne la basse électrique alors que Fabrice Alleman ajuste une anche sur le
soprano et se lance. Pour le middle-part,
il ponctue chaque séquence de deux notes au saxo par deux notes chantées à
l’aigu, call & answer, entre l’instrument et la voix. Suit
«Lennie’s Lament» de Trane. Reggie Washington garde la basse électrique alors
que Fabrice Alleman saisit le ténor, ajuste l’anche et le bocal, le porte à ses
lèvres, le repose et reprend le soprano. Après un solo de guitare-basse,
Fabrice chante dans la même tessiture que le soprano. Son second solo, il le
donne au ténor et part dans les suraigus. Au long du concert, il hésitera
souvent entre s’exprimer au ténor ou au soprano. Mais c’est incontestablement
au soprano qu’il est le plus à l’aise! Perfectionniste sans doute, il change
l’anche qu’il grignote et suce avant chaque morceau. Concession aux «saucissons» ensuite, les musiciens nous livrent un «Sweet
Georgia Brown» endiablé avec un solo en respiration continue et une coda sur
«Salt Peanuts». Pour clôturer la première partie, les compères jouent «Wayne’s
Thang» de Kenny Garrett avec, de nouveau des reprises soprano-voix et le thème
sifflé par Fabrice qui invite le public à le suivre pareillement… ou à peu de
choses près!
La seconde partie reprend avec «Infant
Eyes» de Wayne Shorter (eb+ss), suivi par l’imparable «My Favorite Things»,
version Coltrane (b+ss, eb+ss) et «26-2» (ts+b) du même John. Après le salut à
la salle, les jazzmen lancent «Sunny». Reggie Washnington est superbe à la guitare-basse.
Le public réclame un deuxième et court rappel et c’est «Four», contrebasse et
sax-ténor. En mémoire de ce très bon concert et nonobstant un petit côté show assumé par Fabrice (sifflet, voix),
je garde dans ma mémoire émerveillée la sonorité de Fabrice Alleman. Je me suis même fait la réflexion: C’est sans doute un des plus beaux sons de soprano que j’aie entendu depuis
Sidney Bechet.
Reggie Washington et Fabrice Alleman, Jazz Station, Bruxelles, 10 février 2023 © Roger Vantilt
Introducing Eliott Knuets: Eliott Knuets (g), Olivier Collette (p), Stéphane
Guillaume (ts, ss, fl), Sam Gerstmans (b), Pierre Hurty (dm), Les Lundis d'Hortense, Jazz Station, 15 février 2023
Des vents favorables avaient soufflé à mes
oreilles: tu dois absolument écouter Eliott
Knuets, un guitariste de 19 ans appelé à un bel avenir. Pour m’en
convaincre, j’avais marqué d’une pierre blanche la date du mercredi 15 février à mon calendrier troglodytique. Bien
installé, le dos à la colonne et face à la scène, j’ai commencé par tester une
bière inconnue puisqu’il n’y a toujours pas d’Orval dans les frigos de la Jazz
Station! Après le quart d’heure habituel, les musiciens montent sur scène à la
suite d’un «gamin-une-guitare-à-la-main». Sam Gerstmans est à la contrebasse,
Olivier Collette au piano, Pierre Hurty aux drums et puis un saxophoniste dont le nom et le visage ne me
sont pas inconnus, Stéphane Guillaume, de Paris, France.
Le premier morceau du premier set est déjà
une composition du jeune guitariste, «Cranes», écrit sans doute un 31 octobre,
jour d’Halloween! Il expose le thème aux doigts avant de prendre le solo au
plectre. La technique est parfaite en allers-retours; on peut déjà être rassuré
quant aux recommandations reçues! Stéphane Guillaume, réjouit, prend la
deuxième partie, d’une belle sonorité pleine. «Into The Storm» est co-écrit par Eliott Knuets et Olivier Collette qui n’est autre que l’oncle de la vedette et
son mentor. La musique s’envole, forte et swingante. On note que le guitariste
ne regarde jamais la position de ses doigts sur le manche. Malgré un fast-tempo, juste un œil au lutrin pour la suite des accords. Il use d’une Gibson
semi-plate et non découpée; les notes sont vibrées à chaque césure. Ça balance
grave et plus encore lorsque Stéphane Guillaume prend un solo éblouissant.
Suivent un nouveau solo d’Elliott, un autre d’Olivier Collette et un premier de
Pierre Hurty. J’avais découvert ce dernier à l’occasion d’un tournoi des jeunes
talents au festival de Dinant, il y a... quelques années, avant le covid. Que de progrès accomplis par
ce batteur, quelle assurance! Encore un original d’Eliott Knuets, «Strange
Feeling», avec un superbe solo de Sam Gerstmans. Je ne vous décrirai pas Sam
Gerstmans: il est parfait sans doute, le
meilleur bassiste belge qu’on ait eu depuis le départ pour la France de
Philippe Aerts! On poursuit avec «Body and Soul» entamé seul par le guitariste
avant la suite des solos, sax ténor, guitare, piano et la reprise du thème. Le dernier morceau du premier set est
une compo récente d’Eliott Knuets qu’il intitule, faute de mieux, «Blues».
Pour la deuxième partie, nous aurons droit
à deux compositions d’Olivier Collette, «Bounce» et «Cascatinha», une rumba exposée en unisson
piano et flûte. Mais aussi et encore trois originaux d’Eliott Knuets, décidément
prolifique: «Happy Tune», «Circles» avec Stéphane Guillaume au soprano et «Little Song» avec de belles relances de
Pierre Hurty. Les bravos n’en finissent pas et le rappel ne manquera pas à l’appel. «How Deep Is the Ocean» nous
vaut de superbes 4/4 joués en trio guitare/basse/batterie.
Minuit! Voici, l’aube sur une découverte
importante, un successeur aux Reinhardt, Thomas et Catherine dans la dynastie
des guitaristes belges qu’on peut retrouver sur le dernier disque d’Olivier
Collette, Heptone Colours. Choix judicieux et majeur pour ce concert des
Lundis d’Hortense!
Jean-Marie Hacquier
Photos: Jean-Marie Hacquier et Roger Vantilt
© Jazz Hot 2023
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Julie Campiche Quartet
Jazz Station, Bruxelles (Belgique), 27 janvier 2023
La jeune direction de la Jazz Station porte
son choix de programmes –en dehors des musiciens Belges– sur des groupes
internationaux sensés nous surprendre par l’originalité ou l’instrumentation.
Ce fut encore le cas ce vendredi-là avec le quartet suisse de la harpiste Julie
Campiche (Leo Fumagalli, ts, Manu Hagmann, b, Clemens Kuratle, dm). Faisant fi
des étiquettes, ces Helvètes surprennent agréablement au déroulé des thèmes de
leur second album, You Matter(autoproduit).
Julie Campiche, Jazz Station, Bruxelles, 27 janvier 2023 © Roger Vantilt
Tous les instruments sont reliés aux
chambres d’échos et loops via des pédaliers. En totale ignorance de la musique
qui sera prodiguée, on pourrait s’attendre à un déluge de décibels. Il n’en est rien. Les effets sont magistralement
utilisés au service d’une musique réverbérée mais en nuances. Les musiciens se
côtoient depuis cinq ans en parfaite symbiose créatrice sur des canevas
originaux du leader, du batteur ou du saxophoniste («Lies», «Fridays of Hope»,
«Aquarius»…). Les références sont multiples: le jazz pour les syncopes, les
breaks, l’articulation, les tensions/détentes, les improvisations, la créativité
(solos de Leo Fumagalli); la pop pour l’aspect songs; le classique pour le lyrisme, l’harmonie, les passages
concertants. L’écriture rigoureuse est riche et se meut dans les tempos et les moods (ballades, références indiennes).
La harpiste murmure, l’Orient danse aussi. L’ossature des morceaux tourne, en
solo, à deux, à trois, ensemble. Chaque musicien est excellent. On est pris
dans le climat frais distillé par la réverb’;
les voix coulent dans la vallée et leurs échos glissent sur le flanc des
montagnes helvètes. Notre attention est soutenue, émerveillée. Ce sont des
symphonies de couleurs. Alors, jazz ou pas jazz?... C’est l’extase? Oui! Trois
fois oui!
Jean-Marie Hacquier
Photo: Roger Vantilt
© Jazz Hot 2023
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JAZZ STAGES © Jazz Hot 2022
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Monte-Carlo, Monaco
Monte-Carlo Jazz Festival, 9 novembre 2022
A Moodswing Reunion: Joshua Redman (ts), Brad Mehldau (p), Christian McBride (b), Brian Blade (dm)
Brad Mehldau (p), Joshua Redman (ts), Christian McBride (b), Brian Blade (dm),
Monte-Carlo Jazz Festival, 9 novembre 2022 © Umberto Germinale-Phocus
All'interno della variegata
programmazione del Monte-Carlo Jazz Festival, la serata che destava maggiore
interesse negli appassionati era quella del 9 novembre 2022 in cui la Salle Garnier
ospitava la reunion del gruppo di all-stars composto da Joshua Redman, Brad
Mehldau, Christian McBride e Brian Blade. Era il lontano 1994 quando
un quartetto di promettenti giovani pubblicava quel MoodSwing, sotto il nome di Redman, che oggi
rappresenta un classico del modern mainstream. Quei musicisti, nel
frattempo assurti a stelle di prima grandezza, hanno continuato a collaborare
ed incontrarsi in vari progetti fino alla reunion culminata nei dischi RoundAgain (2020) e LongGone (2022) ed alla tournée tuttora in corso.
Il concerto monegasco ha
confermato il livello di interplay quasi telepatico sviluppato negli anni dal
quartetto e la continua ricerca di nuove soluzioni all'interno di strutture che
tengono insieme tradizione e modernità. Il concerto, iniziato con
due composizioni di Redman tratte dal nuovo disco LongGone («Long Gone» e «Kite Song»),
ha messo in luce la crescita espressiva di un combo in grado di passare
dall'esuberante postbop delle origini ad una musica in grado di inglobare anche
influenze provenienti dalla musica colta soprattutto grazie allo stile di
Mehldau ma pure nella ricerca timbrica dei sassofoni di Redman. I voli improvvisativi dei
due principali solisti sono stati impeccabilmente stimolati e sostenuti da una
delle ritmiche più swinganti della scena contemporanea in cui McBride, sia
nello stile che in composizioni come la blueseggiante «Floppy diss»,
rappresenta l'anima più dichiaratamente afro-americana. La ballad «Sweet Sorrow»,
che apriva il disco MoodSwing con una atmosfera di rarefatta intensità, ha
rappresentato uno dei momenti di maggiore intensità di un live che, in un'ora e
mezza, non ha mai avuto momenti di cedimento. La vitalità di Redman,
l'introversa sapienza armonica di Mehldau ed il gioco di rimando continuo fra
McBride e Blade hanno scaldato il pubblico «costringendo» il gruppo ad un
doppio bis. Se il primo, tratto dal
disco di Mehldau Highway Rider a cui Redman partecipò, sembrava programmato
gli applausi persistenti hanno portato i quattro a sciogliersi nel trascinante
blues finale a dimostrazione di come pure le strutture armoniche più semplici
sappiano sempre, nelle mani giuste, riservare emozioni e sorprese.
Ed è questo il segreto del jazz che, quando evita di cercare contaminazioni a tutti i costi, resta la migliore sintesi fra la complessità armonica europea ed il trascinante ritmo africano.
Adriano Ghirardo
Foto: Umberto Germinale-Phocus
© Jazz Hot 2022
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Brad Mehldau (p) et Joshua Redman (ts), Monte-Carlo Jazz Festival, 9 novembre 2022 © Umberto Germinale-Phocus
Au sein de la programmation variée du Monte-Carlo Jazz Festival, la soirée qui a suscité le plus d'intérêt chez les passionnés est celle du 9 novembre 2022 où la Salle Garnier a accueilli les retrouvailles du groupe all-stars composé de Joshua Redman, Brad Mehldau, Christian McBride et Brian Blade. Cela fait longtemps en 1994 que le quartet de jeunes artistes prometteurs sortait ce MoodSwing, sous le nom de Redman, qui représente aujourd'hui un classique du courant moderne. Ces musiciens, entre-temps devenus des stars de premier ordre, ont continué à collaborer et à se rencontrer dans divers projets jusqu'aux retrouvailles aboutissant aux albums RoundAgain (2020) et LongGone (2022) et à cette tournée toujours en cours.
Le concert de Monaco a confirmé le niveau d'interaction presque télépathique développée au fil des ans par le quartet et la recherche continue de nouvelles solutions au sein de structures qui maintiennent ensemble tradition et modernité. Le concert, commençant par deux compositions de Joshua Redman tirées du nouvel album («Long Gone» et «Kite Song»), a mis en lumière l’expressivité croissante d'un combo capable de passer du post-bop exubérant des origines, à une musique capable d'incorporer également des influences de la musique savante surtout grâce au style de Mehldau mais aussi à la recherche de timbres des saxophones de Joshua Redman. Les envolées d'improvisation des deux principaux solistes ont été impeccablement stimulées et soutenues par l'une des rythmiques les plus swinguantes de la scène contemporaine dans laquelle Christian McBride, tant par le style que par ses compositions, comme la très blues «Floppy Diss», représente l'âme la plus ouvertement afro-américaine. La ballade «Sweet Sorrow», qui ouvrait l'album MoodSwing, dans une atmosphère d’une profonde intensité, a été l'un des moments forts d'un concert qui, en 1h 1/2, n'a jamais connu de fléchissements. La vitalité de Joshua Redman, la science harmonique introvertie de Brad Mehldau et le jeu continu de références croisées entre Christian McBride et Brian Blade ont chauffé le public jusqu’à «imposer» au groupe un double rappel. Si le premier, tiré de l'album Highway Rider de Brad Mehldau auquel a participé Joshua Redman, semblait programmé, les applaudissements persistants ont conduit les quatre musiciens à se fondre dans le blues final envoûtant démontrant à quel point les structures harmoniques les plus essentielles savent toujours, entre de bonnes mains, générer des émotions et des surprises.
C'est là le secret du jazz qui, lorsqu'il évite la recherche de pollutions à tout prix, reste la meilleure synthèse entre complexité harmonique européenne et rythme africain envoûtant.
Adriano Ghirardo
Traduction-Adaptation: Hélène Sportis
photo: Umberto Germinale-Phocus
© Jazz Hot 2022
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Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme
Jazz en Tête, 18-22 octobre 2022
Clermont-Ferrand est une ville spacieuse, calme, accueillante,
sans pièges à touristes, où il fait bon vivre, dans le souvenir de la lave des
volcans, appelés puys en Auvergne.
Comme toujours, à l’origine d’un festival de jazz, on
trouve quelques passionnés kamikazes. C’est ainsi qu’en 1988, Xavier
Felgeyrolles, qui organisait déjà des concerts, décida de passer à la vitesse
supérieure pour créer, avec son association, un festival, qui en est à sa 35e année! Ce festival fonctionne uniquement avec des bénévoles, une quarantaine au
moment du festival. Seuls quelques techniciens sont rémunérés au coup par coup.
Programmé en dehors de la saison d'été, la programmation est principalement constituée de
musiciens et de groupes qu’on voit rarement, ou pas du tout, dans les autres
festivals. C’est l’originalité et la saveur de Jazz en Tête qui organise deux concerts par soir à partir de 20h.
18 octobre
Grève oblige, trains supprimés, je rate les deux
premiers concerts, et pas des moindres: Jet All Stars 22 avec Steve Nelson
(vib), Kenny Davis (b), Billy Kilson (dm); puis Gonzalo Rubalcaba (p) et
Aymée Nuviola (voc)…
19 octobre
Premier train supprimé. Un deuxième est bon mais
j’arrive en gare à 19h33. Le concert de 20h a du retard. Ouf! M’y voilà assis,
prêt à l’écoute.
Jim Rotondi
Quintet
Au cours du concert, dans un français parfait, Jim
Rotondi nous conte une anecdote touchante. En 2002, à Jazz en Tête, il était
avec un groupe auquel le festival avait adjoint une traductrice. Après le
concert, il invita celle-ci au restaurant, elle accepta, et depuis, dit-il,
j’habite avec elle. Bien sûr, le morceau suivant «Julie» lui sera dédié.
Jim Rotondi (tp, flh) a débuté chez Lionel Hampton
puis joué avec le Big Band de Charles Mingus, George Coleman, etc. C’est un trompettiste
au son déclamatoire dans l'esprit new orleans, d’une grande maîtrise sur toute la tessiture,
une puissance et une vélocité rares dans
le suraigu. Un phrasé qui va de Louis Armstrong jusqu’à Wynton Marsalis en passant par
les boppers. A la contrebasse Darryl Hall, bien connu chez nous, à la pompe
aérienne et joyeuse. Danny Grissett est au piano, dans la descendance Teddy
Wilson, parfait dans ce quintet. Jon Bouteiller est un sax ténor rentre dedans
au gros son texan, qui atteint la suavité de Stan Getz sur les tempos lents. Il
est aussi l’arrangeur ainsi que le compositeur de quelques morceaux. Le clou du
programme c’est Jason Brown à la batterie. Un régal! Je n’avais plus entendu
ces friselis, ces froissements, ces caresses des balais depuis longtemps. Aux
baguettes, c’est l’incendiaire, le réchauffement climatique garanti. Un quintet
roboratif, solide, collectif, in the tradition.
Pas loin des Jazz Messengers. Cela fait du bien de revenir au jazz mainstream,
histoire de remettre le train sur ses rails…
Danny Grissett (p), Jim Rotondi (tp), Jon Bouteiller (ts), Darryl Hall (b, caché),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 19 octobre 2022 © Serge Baudot
Mark
Guiliana Jazz Quartet
J’ai entendu pour la première fois le batteur Mark
Guiliana dans le disque ultime de David Bowie (Black Star) aux côtés de jazzmen, dont Donny McCaslin (s), et
j’avais dressé l’oreille. Depuis il est devenu le phare de la nouvelle
génération. Tel qu’on l’a entendu ce soir, il est ce qu’on appelle un batteur
africain, à la façon Dennis Charles, toutes proportions gardées, c’est-à-dire
qu’il joue des tambours frappés, les roulements sont très rares chez lui. Il réussit à
marquer le temps tout en l’encadrant de figures rythmiques. Dans son long solo,
c’étaient les rugissements des lions dans la forêt. Batteur atypique qui sort
des coloristes à la mode. En soutien il est étincelant, sans fioritures, ça
pulse. Avec le pianiste Jason Lindner on peut croire parfois qu’on entend
Debussy et Fauré jouant du jazz. Grande richesse d’accords dans
l’accompagnement. Jasper Høiby est un contrebassiste à la pompe bebop, d’une
vélocité incroyable, très mélodique dans ses solos. J’ai gardé le meilleur pour
la fin, le saxophoniste Jason Rigby, dans la descendance de Coltrane, grande
puissance, énergie sans faille. Il joue concentré, dans le recueillement. Il
développe de longues mélodies sur des ostinatos du groupe, jusqu’à la transe. Toute
la musique de ce groupe, tout à fait dans le jazz d’aujourd’hui, repose sur ces
longues mélodies qui rendent l’écoute si prenante, avec quelque chose de
religieux.
Jason Lindner (p), Jasper Høiby (b), Jason Rigby (ts), Mark Guiliana (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 19 octobre 2022 © Serge Baudot
20 octobre
Mino Cinelu
Mino Cinelu ou l’art de la scène. Il trône vêtu de
blanc entouré de ses percussions, et de temps en temps, se déplace vers l’avant
scène ou vers ses musiciens, dégageant ainsi une présence heureuse. Il joue de
la batterie debout. Toujours décontracté et souriant en pleine connivence avec
ses deux compères Tony Tixier (p, clav), et Raynald Colom (tp). Deux
Martiniquais et un Américain, pour le meilleur, dans ce trio hors norme formé
spécialement pour Jazz en Tête. Le jeu de trompette de Raynald Colom montre une
ressemblance avec le jeu des trompettistes des Balkans, la puissance en plus.
Il nous gratifiera d’un solo absolu plutôt recherché, mélodie tendance
orientale, captivante, avec des intonations qui font croire à une trompette
à quatre pistons, mais il n’y en a que trois. Le pianiste joue de ses claviers
avec grande aisance. Le groupe joue beaucoup sur les ostinatos des claviers
assurant une légère hypnose qui fait entrer dans la musique. A certains moments,
Mino Cinelu se sert d’une sorte de tambour électronique duquel il sort des sons
incroyables. Il utilise tout son matériel avec maestria. S’emparant de sa
guitare, il nous offre une chanson éclatante, à l’orée du gospel ou du chant
africain. A noter un émouvant hommage à Joe Zawinul qui nous a quittés en 2007.
Et Mino Cinelu a le rythme dans la tête et dans le cœur. Certes il y eut
quelques facilités, quelques flottements, broutilles tant le concert était
dense, fougueux et enthousiasmant.
Tony Tixier (p), Mino Cinelu (perc), Raynald Colom (tp),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 20 octobre 2022 © Serge Baudot
Samara Joy
On m’avait beaucoup parlé de Samara Joy. Et la voilà
qui apparaît, souriante, vêtue d’une courte robe rose, dans l’éclat de sa
jeunesse. Elle s’adresse gentiment, longuement, au public. D’ailleurs elle va
parler, trop, entre chaque chanson; elle raconte des histoires, des anecdotes,
à un public non anglophone… Mais avec une telle candeur, une telle joie, que ce
public est ravi. On sent en elle le besoin de se faire aimer.
Dès les premières notes, on se demande d’où lui
viennent ce talent, ses possibilités vocales, son sens du jazz. On la compare
souvent à Ella Fitzgerald, elle n’en a ni la puissance rythmique, ni ce swing
communicatif. Elle est absolument dans la descendance de Sarah Vaughan, avec
encore plus de possibilités vocale. Elle passe de l’extrême grave contralto au
suraigu soprano, caracolant, cascadant là-haut, avec une aisance, une
souplesse, une douceur qui défient l’imagination, au niveau d’une cantatrice.
Elle atteint la puissance des chanteuses gospel (les vraies!).
Elle est accompagnée par le remarquable pianiste Vincent Bourgeyx qui suit la chanteuse dans toutes ses ruptures et inflexions,
Mathias Allamane toujours solide et
inventif à la contrebasse, un son boulet de canon, et Malte Arndal à la
batterie, très classique, mise en place exemplaire et qui tient le groupe à la
baguette. Très bon trio classique avec de la pêche et la joie de jouer. Soutien
cinq étoiles pour la chanteuse.
Samara Joy est bien meilleure sur les standards que
sur des compositions nouvelles. Plus à l’aise, décontractée. Entre autres un «‘Round
About Midnight» complètement renouvelé, on entend dans la mémoire celui joué
par Miles et Coltrane. Il s’en dégage un charme et une émotion sans pareilles.
Vraiment du grand art. Et surprise des surprises, elle chante divinement «La
Mer», en français, sans accent, alors qu’elle dit ne pas parler français.
D’autres grands moments sur «Memories of You», «I Remember You», «September Song», et
d’autres…Et puis un morceau a cappella, sans failles, d’une pureté absolue,
dans lequel elle fit montre de toutes ses possibilités. Au fond elle pourrait
se passer d’accompagnement! A Jazz Diva is Born.
Vincent Bourgeyx (p), Samara Joy (voc), Mathias Allamane (b), Malte Arndal (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 20 octobre 2022 © Serge Baudot
21 octobre
Biréli
Lagrène, Solo Suites
Un concert solo guitare. Diable! Beaucoup passerait
leur chemin. Biréli Lagrène, vêtu de blanc, entre en scène sa guitare à la
main. Il s’assoit derrière le micro, enserre sa guitare. Seul en scène, pas
d’appareils, pas de pédales. Une guitare acoustique, c’est tout, mais pour lui
c’est un tout qui signifie beaucoup, qui signifie qu’on peut jouer une musique
sublime sans de multiples accessoires, qu’on peut justement pratiquer une
musique au zénith.
Un lyrisme à la Django, une technique époustouflante,
une virtuosité hallucinante, au service de sa musique. Incroyables la rapidité
des doigts, la rapidité des enchaînements d’accords: sa guitare est un orchestre
à elle toute seule. Exemple: il joue l’introduction de «Birdland», accords pleins,
on entend Weather Report. A l’autre extrême, on a quelques notes d’une partita
de Bach, et même carrément un morceau d’une œuvre de Bach, swinguée. On aura une longue et merveilleuse suite partant de
«‘Round About Midnight», à la fois étincelante et lyrique, qui glisse vers «Les
Feuilles mortes» et d’autres chansons connues. Réjouissant! Ce diable de guitariste nous a tenus en haleine
pendant plus d’une heure, et on en redemandait…
Biréli Lagrène, Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 21 octobre 2022 © Serge Baudot
Eduardo
Farias Brazilian Trio
Le Brésil et le jazz ont toujours fait bon ménage. La
nouvelle génération ne dément pas cette perception. Eduardo Farias vient des favellas.
Il a appris le piano à l’église et jouait chez lui sur une planche où il avait
dessiné les touches blanches et noires. Depuis, il a fait un long chemin,
jouant de plusieurs instruments, composant, enseignant. Un musicien complet. Il
a étudié et joué avec tout le gratin de la musique brésilienne et son écoute
des grands pianistes de jazz: Bill Evans, Gonzalo Rubalcaba, Brad Mehldau, etc.
Il s’est donné une technique prodigieuse avec une vélocité de formule 1: le
Biréli Lagrène du clavier! Ce qui se démontra sur «April Child». Grand
improvisateur, il n’oublie jamais la mélodie dans ses envolées. C’est un
pianiste de la joie, de la chauffe et de l’enchantement. Un hommage émouvant à
Carlos Jobim.
A la batterie, Antonio Carlos Harlando joue dans la
cour des très grands batteurs. Des frappes sèches qui bloquent un roulement par
exemple, chose rare aujourd’hui une utilisation quasi continue des cymbales,
une mise en place et un swing à faire danser Satan. Il écoute les autres et les
propulsent, avec la pompe sanglante et le contrepoint de la contrebasse
d’Hermeto Coridor. Certes la bossa et la samba sont souvent présentes, mais
depuis Stan Getz on sait que ça jazze parfaitement.
Un invité surprise, le saxophoniste Baptiste Herbin,
qu’Edouardo présente comme son grand frère. Dès les premières notes, on sent la
connivence entre les deux. C’est un saxophoniste mélodique et incantatoire, visant
à la transe lui aussi, par de longues phrases sur un son puissant. Pas de
déballage, seulement de la musique.
Premier rappel, «Vera Cruz», avec un solo de batterie
embrasé. La salle en liesse. Deuxième rappel, une samba piano-sax à vous
envoyer vivre au Brésil. Troisième et long rappel, «The Girl of Ipanema», le
pianiste seul donne toute sa ferveur, son émotion, sa sensibilité, prouvant que
la musique n’est pas qu’un orage de notes, même si c’est bien aussi. Un concert
des plus généreux qui galvanisa le public.
Darryl Hall (b), Eduardo Farias (p), Baptiste Herbin (as), Antonio Carlos Harlando (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 21 octobre 2022 © Serge Baudot
22 octobre
Grabriel
Fernandez Mundo Trio
Le saxophoniste Gabriel Fernandez est né à Montevideo
(Uruguay) mais a fait ses études musicales à Clermont-Ferrand. Il fait partie
des musiciens de jazz d’Auvergne, c’est donc, comme on dit, le régional de l’étape.
Un jeu sobre, mélodique, plutôt mainstream, de la conviction et de
l’engagement. Malheureusement, il est accompagné par un guitariste laborieux, à
côté de ses pompes, rarement en place, ne jouant que des plans. Une
insuffisance compensée par Jean-Luc Difraya qui tient la batterie et les
percussions. Il est également un chanteur haute-contre, et lorsque son chant
éclate comme les grandes orgues de la cathédrale, le groupe s’envole, hélas
pour peu de temps. C’est un batteur dans la tradition qui a joué avec tout le
gratin du jazz français. Mais pourquoi diable s’est-il entêté à accompagner de
longs morceaux basés sur le tango, mais détournés, au cajon, instrument anti
jazz au possible, alors qu’il avait tous les tambours du monde. Il y eut quand
même de belles réussites comme la ballade sur un tango de 1932 de Carlos
Gardel.
Jean-Marie Frédéric (g), Gabriel Fernandez (ts), Jean-Luc Difraya (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 22 octobre 2022 © Serge Baudot
The
Mountain Four All Stars
Quatre grands du jazz réunis pour la circonstance.
Ils ont tous joué à Jazz en Tête à un moment ou un autre, mais jamais ensemble.
Le guitariste et chanteur Lionel Loueke, au jeu parcimonieux mais profond,
chaque note a son poids; il joue parfois staccato, peut monter au brasier. Il
chante d’une voix bien timbrée tout en jouant des rythmes avec les lèvres, épaulés
par le batteur Antonio Carlos Harlando qu’on avait entendu avec Eduardo Farias,
et qui remplaçait Eric Garland; il était en feu balayant tambours et cymbales,
propulsant le groupe, rallumant le Puy de Dôme. Joe Sanders est remplacé par un
contrebassiste indien, Harish Raghavan, de la grande école de la basse jazz,
une pompe démoniaque, des solos inattendus, des notes boulets de canon et quel
swing! Une découverte qui rend heureux. Au sax ténor, Walter Smith III. Il joue
constamment avec Ambrose Akinmusire ou Eric Harland. Il a progressé en écoutant
tous les grands saxophonistes de Charlie Parker à Coltrane et Wayne Shorter, il
est un condensé de ces deux maîtres, et pas seulement. Sûrement l’un des
saxophonistes les plus intéressants de la jeune génération, le plus inventif.
Tout de noir vêtu, debout au centre du groupe, yeux fermés, statue du
commandeur. C’est parti pour une longue introduction rubato qui va monter en
pleine exaltation, dans un jeu collectif, le quartet en osmose totale. Les
morceaux seront bâtis sur ce modèle, à l'exception des interventions en solo. On
aura, entre les incendies, des morceaux très lents, rêveurs, qui vous titillent
tous les nerfs. Le jazz est merveilleux, il suffit que des musiciens se
rencontrent et jouent ensemble, et ça fonctionne du feu de dieu.
Lionel Loueke (g), Harish Raghavan (b), Walter Smith III (ts), Antonio Carlos Harlando (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 22 octobre 2022 © Serge Baudot
En plus des concerts, tous les soirs, dans le bar de
l’Océania, se tenait une jam-session très fréquentée jusqu’à l’aurore. Ça
jazzait dur autour d’un verre. Et dans les couloirs et les ascenseurs de
l’hôtel toujours du jazz pour vous accompagner. L’originalité de Jazz en Tête, en dehors de la programmation est d’organiser des concerts Hors les
Murs dans le Puy de Dôme, plus d’autres concerts et actions diverses.
Dans le Hall de la Maison de la Culture on pouvait
flâner devant quelques œuvres photographiques. Des photos noir et blanc de
musiciens de jazz, immortalisés par Michel Vasset. D’autres noir et blanc
également de «Women in Jazz» très impressionnantes de Patrick Del Corpo. Et des
dessins jazz de Cabu, qui rendent joyeux. Il écrivait: «Le jazz, ça me rend dingue. J’esquisse quelques pas de swing et je
danse dans ma tête.»
Tout est dit. Après ce festival pas comme les autres,
le jazz nous danse dans le corps et dans la tête.
Serge Baudot
Texte et photos
© Jazz Hot 2022
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Pascale Elia, Eben-Emael, 19 août 2022
© Jean Schoubs
Eben-Emael, Belgique
Jazz au Broukay, 19-20 août 2022
Avant toute chose, il est important de
situer sur une carte la commune d’Eben-Emael! Je vais vous aider… C’est une
petite enclave wallonne en province de Limbourg, au Sud de Maastricht (Pays-Bas),
entre les autoroutes E25 et E313. On y arrive au départ de Liège en
franchissant successivement la Meuse et le canal Albert. Arrivé dans cette
petite commune, vous vous rendez compte que vous êtes allé trop loin puisque
votre GPS sur lequel vous avez tapoté «Moulin du Broukay» vous indique
de faire demi-tour et d’emprunter une petite rue puis un petit chemin qui vous
amène au départ d’une promenade à vélo le long de la rivière (le Geer). Stupeur!
Deux camionnettes grises vous empêchent de poursuivre. Un «officiel» vous
enjoint de garer votre véhicule, de continuer à pied ou de vous asseoir dans
l’un des transports offerts aux festivaliers. Après être monté à bord et avoir cahoté entre bocages et pâturages
pendant deux ou trois kilomètres, vous êtes arrivé. Les tentes du festival se
dressent en bord de piste, entre rivière et colline, à côté d’un ancien moulin
à eau aménagé en centre culturel. Invisibles mais proches: les dragons ailés de
la tour d’Eben-Ezer vous épient à travers les feuillages. Vous vous promettez
de revenir bientôt visiter cette tour construite à l’aide de silex par un
passionné d’ésotérisme. Fin de la visite touristique, début des festivités!
Nous sommes le vendredi 19 août, il est 18h30.
Jean-Pol Schroeder a concocté pour l’ouverture
un cocktail vidéo intitulé Peace and Jazzqui, de manière anachronique, de Louis Armstrong à Don Cherry, nous plonge dans ce creuset commun à notre
musique: «liberté, égalité, solidarité» mais aussi contestation et révolution. Bam Trio (Maxime Moyaerts, org, Bastien
Jeuniaux, g, Arnaud Cabay, dm) occupe la scène à partir de 20h. Le jeune
Cabay (fils du vibraphoniste Guy Cabay) n’est, semble-t-il, pas encore arrivé à
maturité. Bastien Jeuniaux (g) séduit par un toucher souple, juste, mélodieux;
Maxime Moyaerts (org) ne nous surprend plus, mais c’est toujours avec grand
plaisir qu’on apprécie son groove puissant
à la manière d’un Jimmy McGriff ou d’un Lou Bennett (faut pas l’oublier celui-là)!
La clôture de la première journée était
placée sous le charme, la grâce, la puissance et le timbre chaleureux de
Pascale Elia (voc) et son Homin’In Quartet: Pascal Mohy (kb), Werner Lauscher
(b) et Adrien Verderamé (dm). On n’a pas oublié la jolie chanteuse liégeoise.
Partie sur la West Coast en 2005, elle nous est revenue en 2019 après cinq ou
six albums, après des tournées internationales dont le Japon. Avec un répertoire
de standards, quelques compositions et un amour particulier pour la bossa nova
(«Desafinado»), elle enchante par un timbre profond, justement nuancé et une
présence (puissance) qui ne cède en rien aux grands noms de l’histoire
américaine («Con Alma», «I’ll Never Be Another Me, Another You», «The Man I
Love», «What Is This Thing Called Love»…). Werner Lauscher (b), 59 ans, natif
d’Aix-la-Chapelle, est sérieusement implanté en Belgique (Pepinster); il joue
et accompagne la plupart des solistes belges et les étrangers de passage (Bob
Mintzer, Charlie Mariano, Joachim Kuhn…); son jeu est solide, parfaitement juste
et volubile quand il le faut; sa modestie va de pair avec le timide mais
talentueux pianiste liégeois Pascal Mohy (ici au Fender Rhodes). Adrien
Verderamé (dm) –le frère de Mimi– est moins présent sur la scène jazz bien
qu’ayant déjà accompagné Pascale Elia en 1995. Rien n’est à jeter dans ce
quartet soudé qui swingue et séduit.
Pour débuter l’après-midi du samedi,
quatre cents personnes se pressaient autour des tentes, de la musique, de la
bière et des saucisses. Volle backcomme on dit à Bruxelles et à Bilzen, carton
plein pour les francophones du Sud! Dès 18h, dans la première tente,
un big band baptisé «Slim Bigband Vitzkids» réunissait sous la direction
d’un prof' de sax alto un ensemble de jeunes issus des académies hollandaises
de Heerlen et Maastricht, mais aussi
d’Aix-la-Chapelle. Une belle illustration de ce qu’on nomme ici
«l’Euregio». Etonnante cette formation
jouant des chansons jazzy émaillées de solos par de très jeunes musiciens, comme
ce tromboniste de 6 ans et ces deux batteurs qui alternent et qui doivent avoir
entre 8 et 10 ans («Moanin’»).
Comme d’habitude, la journée du samedi est dédiée
au jazz manouche. Et, comme de bien
entendu, il fallait un descendant de la dynastie Reinhardt. Ce soir, ce sera
Dylan (g), auteur de «For Austin» et d’une jolie ballade dédiée à son fils. Le
trio intitulé «Sweet Caravan» est conduit par l’excellent Jean Borlée (b). La
guitare rythmique est dans les mains de Jérôme Nahan, facteur d’instrument, ami
de Dylan. Au répertoire: «Bluesette», «Les Valseuses» de Stéphane
Grappelli, «All the Things You Are» et, en rappel, rien moins que «Yardbird
Suite» de Charlie Parker. Le jeune Reinhardt livre un jeu clair, séduisant mais
sans grandiloquence alors que Nahon, surprend, et pas toujours agréablement, par ses choix lorsqu’il
s’affiche en soliste.
Joachim Iannello, Eben-Emael, 20 août 2022 © Jean Schoubs
Clou du festival: Joachim Ianello (vln)
Trio avec les solides Nicolas La Placa (g) et Nicolas Puma (b). En invité,
Rocky Gresset (g), le soliste véloce de Thomas Dutronc. La musique suscite
l’hystérie d’un public connaisseur et/ou imbibé de bières. «Stompin’ at the
Savoy», «Pent up House», «Si tu savais», «For Sefora» (le tube de
Stochelo Rosenberg), «Webster» et «Troublant Bolero» de Django, «Cherokee» et,
en rappel: «I can’t Give you Anything but Love». Comme il se doit, les tempos
sont soutenus, rapides et, en prime, une corde en moins à l’archet. Joachim
Iannello, qu’on avait déjà entendu là-bas avec Johan Dupont (p) est un musicien
de très grande classe, inspiré et créatif à souhait. Rocky Gresset (g) ne s’en
laisse pas compter sur le compte de l’intensité et de la vitesse; la rythmique est inébranlable; snaps de Nicolas Puma
(b), accompagnement rythmique sûr de Nicolas La Placa qui prend même de très
beaux solos à la guitare sèche. Fin de cette deuxième journée idyllique! Tiens,
il y a eu un violent et court orage sur le dernier thème? J’ai failli ne pas
m’en apercevoir!
Heureux, comblé, je n’ai pas fait le chemin qui
aurait dû aboutir au troisième après-midi. Et pourtant, le Gumbo Jazzband et
son lindy-hop méritaient sans doute le détour. Il y a pas mal d’activités,
touristiques, sportives, culturelles ou culinaires qui émaillent la vie du
Broukay; il faudra y revenir un peu plus souvent!
Jean-Marie Hacquier
photos: Jean Schoubs
avec nos remerciements
© Jazz Hot 2022
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The Drew Davis Sextet (ts): César Pastre, Xavier Nikqi, Kevin L’Hermite, Thomas Mestres, Jean-Marc Labbé
© Yves Sportis
Pléneuf-Val-André, Côtes-d'Armor
Jazz à l'Amirauté, 16 août 2022
Comme si de rien n’était, le festival Jazz à L’Amirauté,
créé en 1995, de cette petite ville –tricéphale– des Côtes-d’Armor que baigne la
baie de St-Brieuc, a repris ses activités après deux années de mise entre
parenthèses pour cause de covid. «Tricéphale», parce que la commune regroupe la
jolie ville terrienne de Pléneuf, le charmant port de Dahouët au Sud, départ il y
a un siècle encore des derniers baleiniers qui se rendaient jusqu’à Terre-Neuve,
et de la station balnéaire, chic, de Val-André à l’architecture du début du XXesiècle, principale attraction touristique estivale.
Quand on arrive dans le parc de l’Amiral avec sa bâtisse et
ses grands pins centenaires, sa scène et ses tennis, en dehors de la sécheresse
qui a frappé ici comme ailleurs, on pourrait penser que la vie ne s’est pas
arrêtée. Et pourtant, la précédente édition, c’était il y a trois ans déjà et,
bien entendu, il s’en est passé des choses. D’abord, un nouveau maire, étonnamment
jeune (moins de 35 ans), Pierre-Alexis Blévin, a été élu. La tête pleine de
projets, dont celui du réaménagement-agrandissement, à vocation culturelle, du
parc de l’Amirauté et des locaux, il prolonge avec enthousiasme le soutien
municipal qui dépasse maintenant le quart de siècle.
La direction du festival s’est renouvelée et étoffée. Si
Elie Guilmoto est toujours le directeur artistique, il a passé le relais de la
présidence, pour la dimension organisation à un duo, deux fidèles membres
de l’association, Marie-Pascale Flouriot et Daniel Baudouart. Le changement dans
la continuité, vrai pour cette fois, élargit ainsi le cercle des décideurs et
des responsabilités, sans changer l’esprit, la convivialité, le bénévolat de
tous, et la personnalité de la programmation, qualités qui restent le modus operandi de cette trentaine
d’ami(e)s au service du jazz et de leurs concitoyens, dans la bonne humeur et avec simplicité (pas de service d’ordre apparent), réalité largement appréciée par le
public toujours aussi fidèle et nombreux.
Comme vous le savez par les précédents comptes-rendus (2019), c’est un festival hebdomadaire –tous les mardis des mois de juillet et août, du 5 juillet au 23 août en 2022. La beauté de la mer n’est plus la seule raison d’aller à Pléneuf-Val André, et en dehors des vacanciers, les spectacles attirent dans un rayon qui s’élargit à St-Brieuc, Rennes, voire Brest et Paris. Il y a aussi toujours nos amis anglais qui considèrent encore que, grande ou moins grande, les deux rives du Channel, c’est toujours la Bretagne.
Le parc et la scène de l'Amirauté et les nouveaux co-présidents Daniel Baudouart et Marie-Pascale Flouriot © Yves Sportis
Cette année, c’est la dynamique Champion Fulton qui a ouvert
le festival (5/7), suivie de la bonne formation de Pauline Atlan et Louis
Mazetier avec Nicolas Montier (12/7). Les célèbres Haricots Rouges ont fêté
leurs 60 ans ici (29/7), et le 26 juillet, c’est le parrain du festival
en personne, Philippe Duchemin (avec Patricia Lebeugle et Jean-Pierre Derouard)
qui ont captivé l’assistance d’après les échos que nous en avons eu. Le mois
d’août a débuté avec la légendaire Rhoda Scott (2/8) qui ne déçoit jamais, The
One-Eyed Cats & Mirek Mokar & His Boogie Messengers, dont la longueur
du nom n’a pas lassé les auditeurs.
Avant le clap de fin de l’édition 2022 avec le Gaalad
Moutoz Swing (23/8), nous avions choisi le 16 août pour rendre visite à cette
scène, à cette équipe swing & hot, et à la formation totalement dans
l’esprit de Drew Davis qui fait le bonheur des amateurs de la musique de danse,
indissociable de l’histoire du jazz, en particulier depuis un certain Louis
Jordan (1908-1975), aussi illustre que connu. Louis Jordan est l’un de ceux qui
fixa des codes d’expression ancrés sur le boogie woogie et l’expression
corporelle, la danse, où excellaient les Afro-Américains déjà au début du XXe, codes largement
repris par le rock and roll, le rhythm and blues. Louis Jordan en fut l’artisan
originel, lui et d’autres mais lui plus que tout autre en raison de son talent,
d’un répertoire très drôle et de sa célébrité. Il côtoya avec ses Tympany Five
les grands artistes du jazz, dont Ella Fitzgerald, il repris parfois leur répertoire,
le plus souvent avec un humour qui faisait sa particularité, les paroles de ses
chansons aux messages souvent doubles, triples, ambigus, ancré sur les réalités
les plus terriennes (le quotidien) provoquant le rire.
Drew Davies (voc, ts), Thomas Mestres (tp), Jean-Marc Labbé (bar), Pléneuf-Val-André, 16 août 2022 © Yves Sportis
Depuis qu’il fait le bonheur des danseurs, une vingtaine
d’années, dont ceux du Caveau de La Huchette, temple du be-bop (la danse) à Paris, Drew Davis, avec ses musiciens, honore le répertoire de Louis
Jordan et de ses suiveurs, des thèmes, des arrangements et d'une manière qu’ils ont creusés, travaillés à un de degré de
perfection rare. Drew Davies (voc,
ts), le leader et Thomas Mestres (tp), Jean-Marc Labbé (bar), César Pastre (p),
Xavier Nikqi (b), Kevin L’Hermite (dm) ont ainsi déroulé ce
16 août avec fougue et énergie «Jack You’re Dead», «Is You Is or Is You
Ain't My Baby?», «Caldonia Boogie», «Early in the Morning», «Let the Good Times
Roll», «I Want a Roof Over My Head», «Five Guys Named Moe» pour le plaisir de
spectateurs qui ont mis du temps à se chauffer malgré la belle ardeur des
musiciens, sans doute parce que la dimension «danse» manquait à cette
assistance, par timidité ou manque de préparation, en dehors de quelques
enfants dont le naturel a supprimé les barrières. Drew Davis a usé des effets
de voix, de saxophone dans l’esprit des sax hurleurs, comme Thomas Mestres avec
ses effets wah-wah à la trompette ou ses aigus brillants. Arrangements avec contre-chant du sax baryton de Jean-Marc Labbé; chorus de César
Pastre dans le registre spectaculaire du boogie woogie, toujours bien soutenu par la ryhmique du contrebassiste, le shuffle du batteur; riffs de la section de cuivres; accents vocaux et diction parfaite de Drew Davis: tout a contribué
à ces presque deux heures de blues & boogie à haute énergie. Le rappel
chaleureux sur «Let the Good Time Roll» montre que le public s’était enfin
chauffé sur cette musique à haute tension. Les musiciens se sont livrés sans
calcul et ont bien mérité cette ovation finale. Les disques du groupe se sont
arrachés dans l’après concert, signe que le public avait été ravi de sa soirée.
César Pastre (p), Xavier Nikqi (b), Kevin L’Hermite (dm), Pléneuf-Val-André, 16 août 2022 © Yves Sportis
Il restait encore une soirée, le mardi suivant, mais
nul doute que, sauf nouvelle privation de libertés, cette édition est déjà une
base solide et renouvelée pour prolonger une de ces histoires originales de
jazz, de swing, de boogie et de blues arrivées jusqu'à cette côte nord de la Bretagne par le miracle de
l’histoire et de la culture. L’interrompre de manière aussi brutale et
intempestive que cela a été fait depuis deux années comporte des risques
vitaux. Car la particularité des miracles est de ne pas se renouveler.
Yves Sportis
texte et photos
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Marciac, Gers
Jazz in Marciac, 6 août 2022
La clôture de la 44e édition du Festival Jazz in Marciac était aux couleurs de New
Orleans. Le public était venu nombreux pour cette thématique autour du jazz de
culture, une évocation de la créolisation au sens large, qui dépassait
quelquefois le cadre du jazz
.
C’est ce que propose l’excellent
banjoïste Don Vappie, véritable mémoire vivante de cette culture et qui
prolonge la riche personnalité de Danny Barker tant sur le plan de la
transmission que de l’aspect rythmique de l’instrument en y ajoutant de
superbes talents de soliste et mélodiste. Le leader présente un répertoire
principalement issu de son album The Blue Book of Storyville (Lejazzetal Records) en
débutant le concert dans la formule du quartet de son fameux Créole Jazz Serenaders qui se
produit régulièrement au jazz brunch du restaurant R’evolution à New Orleans
avec ce soir David Horniblow (cl), David Kelbie (g) et Sébastien Girardot (b).
On retiendra quelques grands moments comme sa version de «Panama» ou du «Bobby Bolden Blues» de Jelly Roll Morton avec la longue
introduction à la fois rythmique et mélodique autour du blues de Don Vappie,
mettant également en valeur le clarinettiste britannique Dave Horniblow au jeu
fluide et expressif et à la sonorité boisée évoquant l’école créole de
Jimmie Noone. Don Vappie se révèle être un excellent chanteur tant en anglais
qu’en créole et son goût pour les belles mélodies en marge du jazz se vérifient
sur «Abandon». Au milieu
de son concert, il présente son premier invité, l’impeccable batteur Guillaume
Nouaux sur le rythme chaloupé de «Port
Bayou St. John». Puis, c’est le tour d’Olivier Franc au soprano pour une
évocation convaincante de Sidney Bechet, tant au niveau du jeu que du vibrato,
sur «Madame Bécassine».L’arrivée de Victor Goines apporte une autre dimension à la formation, tant à la clarinette qu’au soprano: on peut retenir le
superbe solo sur le classique «Do You
Known What It Means to Miss New Orleans» joué avec plein de lyrisme et
d’expressivité. On notera l’arrangement à deux clarinettes sur le thème «Candy Lips» immortalisé en 1927 par
Clarence Williams et ses Jazz Kings avec déjà le même type d’arrangement et une
belle interaction entre les souffleurs. On retrouve l’ensemble du groupe avec
les invités au complet sur un blues typique de New Orleans, que l’on
doit au pianiste James Booker (1939-1983), avant une version de «On the Sunny Side of the Street»pleine d’autorité avec le soprano d’Olivier Franc. La rythmique amenée par
Sébastien Girardot et la pompe de Dave Kelbie assurent une solide fondation au
Jazz Creole de Don Vappie quel que soit le tempo.
Don Vappie (bjo), David Kelbie (g) et Sébastien Girardot (b), Victor Goines (cl), Guillaume Nouaux (dm),
Marciac, 6 août 2022 © David Bouzaclou
La deuxième partie de soirée
mettait à l’honneur le septet de Wynton Marsalis dans une nouvelle
mouture où l’on retrouve les fidèles Carlos Henriquez (b), Victor Goines
(ts,ss,cl), ainsi que Chris Crenshaw (tb), Sean Mason (p), Jason Marsalis (dm)
et Don Vappie qui fait le lien entre les deux parties. Wynton Marsalis a
proposé un répertoire issu en majorité de la grande tradition jazz new orleans
auquel s’ajoutent quelques titres plus modernes. Il y a chez Wynton Marsalis
un respect de la tradition qui va au-delà de la simple relecture d’un
répertoire et qui rend intemporel un artiste tel que Louis Armstrong. C’est
d’ailleurs avec «Hotter Than That» qu’il
débute le concert dans lequel Chris Crenchaw se fait remarquer au scat dans un
final très bluesy, où Wynton marque d’emblée sa personnalité avec son jeu de synthèse entre diverses formes d’approches de l’instrument, dont une
superbe articulation et un sens du swing naturel. «Timelessness» est une composition de Wynton Marsalis issue de la bande originale du film,
un intéressant biopic sur Buddy Bolden, selon moi, bien qu'il soit diversement apprécié, l’un des musiciens précurseurs du jazz dont
la légende perdure encore aujourd’hui. Belle introduction du jeune pianiste
Sean Mason sur le classique «Basin
Street Blues», avec des notes perlées et quelques fulgurances
évoquant Earl Fatha Hines, introduisant le leader au cœur de l'esprit du blues et de New orleans, utilisant la trompette et le plunger tout comme Chris Crenchaw au trombone dans l'esprit de son prédécesseur Wycliffe Gordon. La surprise est venue de l’arrivée sur
le même thème d’Olivier Franc au soprano dans son style reconnaissable au vibrato dense, plein de fougue et de lyrisme.
Changement d’atmosphère et
d’idiome avec la composition d’Ellis Marsalis «Twelve’s It», un classique
pour Wynton qui l’avait joué à Marciac en 2015 en septet ou sur disque avec
The Marsalis Family. Cette composition enregistrée à l’origine en trio par
Ellis Marsalis avec également son fils Jason aux baguettes est un thème dans un
style purement hard bop. Dans ce contexte, Wynton développe un jeu brillant
dans ses interventions proches d’un Woody Shaw répondant au ténor de Victor
Goines au style évoquant le Coltrane des années 1950. Don Vappie délaisse son
banjo pour la guitare en alternant passages en accords et chorus typiquement
bop. La rythmique impeccable apporte un équilibre à l’ensemble variant à
merveille les climats par des interventions de Jason Marsalis aux cymbales et
dans son jeu de caisse claire d’une grande clarté notamment sur l’introduction de
«St Louis Blues».
Wynton Marsalis (tp) et Victor Goines (as), Marciac, 6 août 2022 © Francis Vernhet, by courtesy of Jazz in Marciac
«After», superbe ballade d’Ellis Marsalis que l’on peut entendre d§s 1986 sur l’excellent album J Mood de Wynton Marsalis, met
en valeur le trompettiste avec un beau travail autour de la mélodie à la
trompette bouchée. «St Louis Blues»,
sur un arrangement de Wycliffe Gordon, met en valeur de beaux passages
d’improvisations collectives entre les trois soufflants: mention pour le
volubile Victor Goines à la clarinette. Puis, retour à Louis Armstrong, à son
Hot Five et Hot Seven, avec, comme l’indique Wynton Marsalis, une pièce
maîtresse de 1926, «Skid Dat De Dat».Le scat plein d’à-propos de Chris Crenshaw agrémenté de superbes
interventions du septet est un régal. Autre thème d’Ellis Marsalis, «Swingin at the Haven», arrangé
par Victor Goines, toujours dans une veine hard bop que n’auraient pas reniée
les Jazz Messengers, enregistré en 1986 sur le très bon album de Branford
Marsalis Royal Garden Blues, avec un beau solo de Chris Crenshaw, de
longues phrases et une mise en place impeccable dans la lignée de JJ Johnson.
Le duo Sean Mason et Victor Goines sur «Petite
Fleur» évoque le lyrisme et la personnalité singulière de Sidney Bechet plus dans l’esprit que dans la forme, avec un superbe passage stride de
Sean Mason et un long solo mélodique de Jason Marsalis répondant au slapping swing de
Carlos Henriquez: l’un des moments forts du concert. Le
premier rappel sur «Happy Birthday»,pour les 61 ans de Victor Goines, enchaîne avec le standard «New Orleans» chanté avec
authenticité par Don Vappie. Le deuxième rappel est un thème de Wynton Marsalis
plus moderne –faisant référence à son travail en septet– avec une
couleur monkienne de Victor Goines au ténor et un nouveau chorus de Sean Mason,
la révélation du septet. Ce dernier confirme la vitalité et le talent d’une nouvelle génération de musiciens attachés à l'esprit du jazz transmis par la
famille Marsalis, Ellis, Wynton, Jason & Co, n'oublions pas Delfeayo et Branford…
David Bouzaclou
Photos: David Bouzaclou
et Francis Vernhet by courtesy of Jazz in Marciac
Avec nos remerciements
© Jazz Hot 2022
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Pertuis, Vaucluse
Festival de Big Bands de Pertuis, 5-6 août 2022
Depuis 1999, une semaine par an, l’association du Festival
de Big Bands invite le jazz à l’Enclos de la Charité et y reçoit des big bands
de tous horizons et de toutes tendances, en cela fidèle aux objectifs de
départ, à savoir diffuser auprès du plus grand nombre une musique universelle et
belle. Dans cet esprit, des tarifs abordables sont pratiqués, ainsi que la
gratuité pour les deux premières soirées, et pour les enfants de moins de 12
ans, ce qui permet d’intéresser un public local qui vient se régaler en
famille. Le tout dans une ambiance chaleureuse, avec le côté guinguette pour
trinquer et se restaurer.
Une logistique énorme pour une ville d’environ 21 000
habitants, dont la pérennité est rendue possible par l’aide généreuse des
partenaires publics et privés, une participation massive de bénévoles
passionnés, et une direction artistique qui sait renifler les bons coups et les
talents en devenir. Et puis les big bands, c’est aussi un plaisir des
yeux!
En 2022, le programme proposait, comme toujours un choix artistique aussi varié que
l’est le jazz, faisant toujours une place aux artistes locaux sans se priver de
la découverte d’artistes de tous les horizons et de projets originaux comme ces
hommages à Brassens et Ray Charles. En ouverture, le 1er août les TartOprunes,
incontournables et toujours en évolution; le Big Band de Pertuis, at home, sous la direction de Léandre
Grau, le directeur artistique du festival et le pédagogue, inépuisable dans
toutes ses fonctions. Le 2 août: What Elle’s, sextet féminin au swing affirmé; le
Kinship Orchestra, sur une idée originale: des thèmes inspirés des écrits de
Jorge Luis Borges. Le 3 août: The Yellbows, quartet déjanté tendance
New-Orleans; Le Hérault Big Band dans un hommage à Georges Brassens. Le 4 août: Holy Bounce Orchestra, pour un retour
vers les années 30 et les clubs de Harlem; Le Barcelona Big Band Blues &
Uros Perry, dans un hommage à Ray Charles qui a mis le feu à l’Enclos de la
Charité d’après les échos que nous en avons eus! Les absents ont toujours tort…
Nous étions là, le 5 août et, en première partie, nous avons apprécié le Hot Sugar Band & Nicolle Rochelle de
retour d’une tournée américaine. Le groupe présente un programme très
swing des années trente, en hommage à Eleanora (Fagan), la Billie Holiday des
débuts. Nicolle Rochelle, qui a déjà à son actif une réincarnation de Josephine
Baker, s’est coulée dans une très belle robe années folles à franges et paillettes;
et le ramage s’accorde au plumage dans un registre légèrement plus aigu
que Billie, mais elle en a intégré le blues, l’expressivité, le phrasé et cette
façon «lazy» de traîner sur certaines fins de phrases. Le groupe: Bastien Brison
(p), Julien Didier (b), Yves Le Carboulec (tp, arr), Corentin Giniaux (cl, ts,
arr), Jonathan Gomis (dm, arr), Clément Trimouille (as, cl, arr), Bastien Weeger (g), est un ensemble bien rodé (il existe depuis 2011), dont l’orientation
première était le lindy-hop, jusqu’à la rencontre avec Nicolle et Billie. Ils
nous offrent de beaux échanges sur «With Thee I Swing», «What a Little
Moonlight Can Do» où clarinette, sax, trompette et voix se répondent sur un tempo
sauvage, le grave et emblématique «Don’t Explain», «What a Night, What a Moon,
What a Girl»… Le répertoire s’élargit à un «April in
Paris» chanté en français, sur lequel le groupe sonne à la Basie, d’un «Love
You Madly» évoquant Ella
Fitzgerald, «Darn That Dream» en duo voix-piano, plus nostalgique,
et un final avec le classique «Swing, Brother, Swing» où la chanteuse fait
montre d’un certain talent d’entertainer.
Assurément un groupe à suivre!
Nicolle Rochelle (voc) et le Hot Sugar Band, Pertuis, 5 août 2022 © Ellen Bertet
Sur la grande scène, Nola Spirit Big
Band, c’est le spectacle du Big Band Brass de Dominique Rieux (tp), David
Cayrou (bs) et leurs quinze musiciens, dont le dernier projet r évoque la
musique de New Orleans. On y compte Dominique Rieux (tp, dir.
musicale), Tony Amouroux (tp), Cyril Latour (tp), Rémi Vidal (tb), Michel Chalot
(tb), Baptiste Techer (tb), David Cayrou (bs, co-dir.), Bastien Maury (sax), Jean-Michel Cabrol (sax), Pascal Pezot (sax), André Neufert (dm),
Thierry Ollé (clav), Julien Duthu (b), Florent Hortal (g). Pour que la fête
soit complète, ils se sont adjoints les services du crooner anglais Gead
Mulheran, veste et bottines léopard, et de la danseuse Angie Larquet,
paillettes et plumes, qui vont intervenir tout au long de la soirée pour
décoincer les arthroseux et les timides. «Louisiana 1927» (Randy Newman), est
un blues joué à la guitare par Florent Hortal et la section de cuivres. Il
rappelle la terrible crue du Mississippi de la même année, qui fit 250 morts,
et la résilience incroyable de la ville. Mais on passe vite à des ambiances
plus festives, avec des thèmes plus funk ou rhythm & blues qui commencent à
chauffer la salle. Les deux entertainersn’hésitent pas à descendre de scène, et c’est parti! L’avant-scène se
transforme vite en piste de danse pour une soirée de musique à fond la caisse, entrainée
par un orchestre à l’énergie contagieuse, qui enchaîne les échanges et les
chorus (Tony Amouroux/Cyril Latour). La soirée ne pouvait se terminer qu’avec
un «When the Saints Go Marchin’ In» qui
fait l’unanimité!
Nola Spirit Big Band, Pertuis, 5 août 2022 © Ellen Bertet
Le 6 août, place au Belmondo Quintet: Stéphane
Belmondo (tp, bugle), Lionel Belmondo (fl, ts), Laurent Fickelson (p), Sylvain
Romano (b), Mathieu Chazarenc (dm). Chez les Belmondo, le jazz est depuis
toujours une affaire de mémoire, comme ce petit intermède drôle entre Lionel
Belmondo et Léandre Grau qui se remémorent leur rencontre, en 1982, lorsque
Lionel a monté son premier big band dans sa compagnie pendant le service
militaire. Les deux frères ont perdu leur père, Yvan, sax baryton, en 2019, et
lui rendent hommage avec un morceau lent et nostalgique de leur plume («Song
for Dad»), tiré de leur dernier enregistrement, Brotherhood, sorti en 2021. Il contient une autre révérence à Yusef
Lateef («Yusef’s Tree») en souvenir de
leur collaboration en tournée et sur disque au début des années 2000. Le
quintet est resté centré sur une musique très proche des racines, influencée
par Coltrane, Yusef Lateef, Sonny Rollins et Wayne Shorter («Wayne’s
Words», écrit par Lionel). Cette mémoire est le fondement d’une culture
jazzique très profonde et d’une expression qui n’a jamais eu besoin de se distancier
du jazz, vécu comme un rêve, comme c’est le cas des grands créateurs de cette
musique. Les Frères Belmondo respirent le jazz depuis toujours, et c’est ce qui
fait la beauté de leurs interprétations, sensibles et directes. Bien soutenus
par une solide section rythmique avec les excellents Laurent Fickelson, Sylvain
Romano et Mathieu Chazarenc qui appartiennent aussi à cette tradition post bop
ancrée dans le jazz de culture, Stéphane et Lionel ont confirmé leur statut de
premier plan parmi les aînés aujourd’hui, en restant toujours accessibles.
Laurent Fickelson (p), Sylvain Romano (b), Stéphane Belmondo (tp),
Lionel Belmondo (ts), Mathieu Chazarenc (dm), Pertuis, 6 août 2022 © Ellen Bertet
En seconde partie d’une soirée intitulée
«Remember Jaco», le Multiquarium Big Band rendait hommage à Jaco Pastorius sous
la direction d’André Charlier et Benoît Sourisse. Biréli Lagrène, la guest star
très attendue de l’événement –et pour cause car il croisa la route du
légendaire Jaco– joua l’Arlésienne, bloqué sur un tarmac quelque part en
Europe… Petit moment de stress pour le directeur artistique lorsqu’il fallut
annoncer à une cour comble l’absence de Biréli et son remplacement. Mais il y
avait certainement une bonne étoile au-dessus de Pertuis, surtout un public compréhensif
et un réseau efficace qui ramena de Nîmes Léo Chazallet et sa basse Fender, pasfretless comme celle du maestro, mais
peu importe car Léo Chazallet est aussi un surdoué de son instrument –sa vie en
musique a commencé à 3 ans. Il a fréquenté le Conservatoire de Montpellier sous
la férule de Serge Lazarevitch, et il y a côtoyé Dominique Di Piazza entres
autres maîtres. Il a même étudié la contrebasse avec Louis Petrucciani et
Pierre Boussaguet. Léo Chazallet n’est pas un inconnu, et
le public est aussi venu pour le Multiquarium et ses dix-sept musiciens de haut
niveau déjà reconnus pour la plupart. Theshow can go on! Les projets d’André
Charlier (dm) et Benoît Sourisse (p, kb) sont motivés par la nécessité de
transmettre les musiques et les œuvres des musiciens qui ont enthousiasmé leur
jeunesse, sous forme d’hommage, comme cela se fait dans la tradition du jazz.
Ce soir, c’est le parcours de Jaco Pastorius en big band qui est évoqué, sur
des arrangements de Stéphane Guillaume, Benoît Sourisse et Pierre Drevet, avec
les thèmes du répertoire ou de la plume du maître: «(Used to Be a) Cha Cha»,
«Continuum», où s’illustre Léo Chazallet, «The Chicken» de Pee Wee Ellis,
«Barbery Coast», «Palladium» de Wayne Shorter (avec Pierre Drevet)…
Multiquarium Big Band, Pertuis, 6 août 2022 © Ellen Bertet
Par la qualité des arrangements, le
choix du répertoire, le ton est bien là, les solos s’enchaînent sur un fond où
dominent les ensembles de cuivres mêlant jazz, rock et funk, avec une pêche
incroyable! C’est techniquement abouti en même temps que porteur d’une émotion,
d’un drive certain et d’une joie palpable des musiciens à
faire revivre cette musique de leur jeunesse. La formation compte de
beaux instrumentistes; on retient par exemple les interventions percussives des
Charlier père et fils, d'Eric Poirier (tp), Benoît Sourisse (p), et il faudrait énumérer tout l’orchestre pour
chacun des chorus car le Multiquarium Big Band est un véritable all stars de la
scène du jazz en France avec les Claude Egea, Pierre Drevet, Julien Ecrepont, Eric Poirier (tp), Fred Borey et Pierre-Marie Lapprand (ts), Lucas St-Criq (as), Stéphane Chausse (as), Fred Couderc (bar), Gil Farinone, Damien Verherve, Didier Havet, Philippe
Georges (tb), Léo Chazallet (eb), Pierre Perchaud (g), André Charlier
(dm), Nicolas Charlier (perc), Benoît Sourisse (p, Hammond B3). Le public ne
s’y trompe pas.
La soirée s’est naturellement terminée
sur un blues, la musique fondatrice sans laquelle cet orchestre, ce festival
et notre passion ne seraient pas là ce soir! Un bel orchestre de musiciens de talent,
une musique spectaculaire, à l’énergie, il n’y a rien de tel pour conclure ce
beau panorama de big bands, un monde en soi de l’univers du jazz, fait de
travail (la mise en place), d’homogénéité, de solidarité, d’écriture, d’arrangements
mais aussi d’improvisation car nous sommes dans le jazz.
L'ovation finale de Léandre Grau et des bénévoles du festival, 6 août 2022 © Ellen Bertet
Comme à chaque édition, le public est
venu nombreux, a participé dans la bonne humeur car l’accueil est simple et
jazz, et si Léandre Grau est à Pertuis le chef d’orchestre d’un big band, il
l’est aussi d’un formidable événement, Le Festival de Jazz de Big Band, dont la
dimension organisationnelle est à l’aune de la «spécialisation» big band: le
treizième travail d’Hercule. Bravo à l’ensemble de l’équipe, et à l’an prochain!
Ellen Bertet
texte et photos
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Ystad, Suède
Ystad Sweden Jazz Festival, 4-6 août 2022
Nous revoici à Ystad après deux années d’enfermement et
d’entrave à la libre circulation à travers l’Europe. Le festival suédois est d’ailleurs
parvenu à maintenir son activité durant la crise sanitaire: en 2020, en
proposant dix concerts, devant un public restreint, diffusés en streaming;
en 2021, en limitant les jauges mais sans port du masque obligatoire et encore
moins de QR code discriminant. 2022 était donc l’année du retour à la «normale», et nous avons retrouvé intact l’esprit particulièrement chaleureux qui
caractérise le festival et son équipe, du président Thomas Lantz et du directeur
artistique Jan Lundgren aux nombreux bénévoles qui font vivre cette petite
semaine de jazz, notamment Itta Johnson, Ingrid H. Fredriksson et Bryan Ralph
pour la communication, les relations presse et autres questions logistiques. La
programmation reste également de bon niveau, variée, tout en étant centrée,
pour l'essentiel, sur la sphère jazz; elle s’est toutefois quelque peu resserrée,
passant d’une quarantaine de concerts en 2019 à moins de trente, répartis sur
quatre jours (du 3 au 6 août) au lieu de cinq. Nous évoquons ici les plus
marquants d’entre eux.
Le 4 août à 13h, dans la salle de bal de l’hôtel Ystad
Saltsjöbad, nous découvrions l’excellent Gotland Big Band, formation de dix-sept
musiciens dirigée par Marcus Grufstedt (dm). Basé sur l’île de Gotland, au
sud-est de la Suède, le big band a été fondé en 1971 par les pouvoirs publics
qui le financent entièrement. Il est encore aujourd’hui constitué de musiciens
employés par l’Etat suédois et depuis 1988 géré par la Gotlands Musikstiftelse,
institution ayant pour mission d’animer la vie musicale de l’île. Le big band,
qui se nommait le Visby Storband jusqu’en 2019, fut dirigé par le saxophoniste
Bernt Eklund jusqu’en 2005. Son histoire est aussi marquée par la personnalité
du trompettiste de Chicago Ernie Englund (1928-2001), installé en Suède à
partir de 1944, qui en fut la principale figure de la fin des années 1970 à la
fin des années 1980, y faisant venir des invités de marque comme Max Roach. De
nos jours, le big band ne se produit plus que cinq à six fois par an et c’est surtout
en trio que Marcus Grufstedt –qui est originaire d’Ystad– parcourt l’île de
Gotland. L’orchestre n’ayant pas de leader fixe, c’est donc à Marcus Grufstedt
(qui l’a rejoint en 1999), auteur du programme joué ce jour, que revenait la
direction musicale. Swing et énergie étaient au rendez-vous de ce concert, dans
l’esprit du Thad Jones-Mel lewis Orchestra, porté par de bons soufflants et une
section rythmique apportant du relief à l’ensemble: le swinguant Daniel Tilling
(p), le solide Josef Karnebäck (b) appuyés par un Marcus Grufstedt d’une grande
finesse, tandis que le percussionniste cubain Eliel Lazo (Chucho Valdés, Herbie
Hancock, Bob Mintzer…), basé à Copenhague, apportait ses propres couleurs
rythmiques. Le concert s’est achevé sur un long solo d’Eliel Lazo tandis que
l’utilisation des flûtes à la place des saxophones donnait à ce final un parfum
très 70’s. Il est à noter que l’ensemble des titres présentés ont été enregistrés
sur le récent l’album Chopsless (sous le nom de Mac
Groover Big Band).
Le Gotland Big Band, Ystad, 4 août 2022 © Jérôme Partage
A 16h, Cyrille Aimée (voc, g) était sur la
scène de l’Ystads Teater. A l’évidence, la Française a gagné en maturité et ses
interprétations en épaisseur, que ce soit dans sa langue natale («Petite
fleur») ou en anglais. Elle était de plus fort bien entourée par le superbe
pianiste de New Orleans David Torkanowsky (Cyrille vit aujourd’hui à Crescent
City) et l’excellent contrebassiste italien (mais ayant étudiéà Paris)
Matteo Bortone. De «How Deep Is the Ocean», avec un Bortone très mélodique et un
Torkanowsky imprimant de magnifiques touches blues, à «It’s Almost Like Being
in Love», introduit par un duo voix-contrebasse fort réussi, Cyrille Aimée a
convaincu notamment par sa maîtrise du scat. En revanche, ses propres
compositions, hors jazz, ou sa démonstration en solo sur son looper (machine
permettant d’enregistrer des séquences musicales, de les répéter en boucle et
de rajouter des couches sonores successives), bien que techniquement bluffante,
présentait un moindre intérêt sur le plan de l'expression jazzique. On préfère retenir son joli solo guitare-voix
sur «La Javanaise» ou sa version new orleans de «La Vie en rose» donnée en
rappel.
Toots Thielemans avait une relation particulière avec la
Suède (où il a vécu au début de sa carrière et dont il avait appris la langue).
Il avait d’ailleurs joué à Ystad en 2010 et 2011, pour les deux premières
éditions du festival. En cette année de son centenaire, les jazzmen suédois s’en
souviennent. Ainsi, à 18h30, dans le restaurant Saluhallen (ancien marché
couvert réaménagé), Filip Jers (hca) rendait-il hommage au «Baron» en compagnie
de Carl Bagge (p) et avec le soutien de Martin Höper (b) et Chris Montgomery (dm).
On commence à bien connaître Filip Jers (voir les compte-rendus des années 2016, 2017et 2019)
et sa belle sonorité dans la filiation directe du maître. Nous avions découvert
Carl Bagge à Ystad, en 2013, auprès de la talentueuse Isabella Lundgren (voc). Il
est le fils du pianiste et arrangeur Lars Bagge (1935-2000), leader d’un groupe
vocal à succès, Gals and Pals (dans le style Double-Six), dans les années 1960.
Pianiste maîtrisant bien l’idiome jazz, il codirige le Ekdahl-Bagge Big Band et
vient de sortir un premier disque avec son trio, Visitor. Pour rentre hommage à Toots, les deux comparses ont donné
plusieurs titres de son répertoire: «Someday My Prince Will Come», «Days of
Wine and Roses», marqué par le blues, ou encore «Sophisticated Lady» (superbe duo
piano-harmonica en intro) que Toots avait conseillé à Filip Jers de jouer à
chacun de ses concerts, comme il l’a raconté avec humour. Le quartet a
également repris quelques titres issus du songbooksuédois que Toots affectionnait, Filip Jers en profitant pour dévoiler
l’étendue de son registre, d’une grande sensibilité, allant jusqu’à faire
sonner son harmonica à la manière d’un violoncelle. Un formidable tribute qui s’est bien sûr achevé avec
le standard de Toots, «Bluesette».
Carl Bagge (p), Martin Höper (b), Chris Montgomery (dm), Filip Jers (hca), Ystad, 4 août 2022 © Jérôme Partage
Un autre hommage était proposé à 21h, à l’Ystads Teater,
celui-là à Oscar Peterson et Duke Ellington. Il fut mené par deux personnalités
de la scène jazz suédoise: Jan Lundgren (p) et Ulf Wakenius (g), accompagnés
par Hans Backenroth (b) et le Danois Kristian Leth (dm), tous deux impeccables
dans leur soutien rythmique. En préambule, Jan Lundgren a rappelé qu’il avait
découvert le jazz avec Oscar Peterson (voir son interview dans Jazz Hot n°666),
tandis qu’Ulf Wakenius a été le dernier guitariste du grand pianiste canadien.
Les compositions de ce dernier étaient donc au programme de la soirée, associées
à celles de Duke Ellington. Après deux titres en trio
piano-contrebasse-batterie, dont un magnifique «Night Train» –qui a révélé le
beau toucher blues que Jan Lundgren sait déployer sur le jazz de culture–, Ulf
Wakenius a rejoint la scène et donné un solo également imprégné de blues sur
«In a Sentimental Mood». «Just Squeeze Me» a été l’occasion d’un savoureux
duo entre le pianiste et le guitariste, tandis que le titre d’Oscar Peterson,
«You Look Good to Me» a été introduit par un bel échange entre Jan Lundgren et
Hans Backenroth à l’archet. Le directeur du festival a aussi donné à entendre
une composition personnelle fort réussie, «Blues for Oscar». Un concert de
qualité qui s’est achevé avec deux titres d’Oscar: «Cakewalk» et, en rappel,
«When Summer Comes».
Ulf Wakenius, Ystad, 4 août 2022
© Jérôme Partage
Le 5 août à 13h, le contrebassiste Mattias Svensson
(longtemps associé au trio de Jan Lundgren) avait réuni à l’Ystad Saltsjöbad un
quintet constitué de sa compatriote et partenaire régulière Viktoria Tolstoy
(voc), du Californien Bill Mays (p), du Luxembourgeois Pascal Schumacher (vib)
et du Danois Morten Lund (dm). L’enthousiasme communicatif de Mattias Svensson
a été l’un des atouts de ce concert sympathique où chacun a apporté sa pierre:
soutien très swing de Bill Mays, belles couleurs harmoniques de Pascal
Schumacher, énergie de Morten Lund et professionnalisme incontestable de
Viktoria Tolstoy, tant sur les reprises que sur les originaux du bassiste
(jolie ballade: «My Toot Toots»). Ce début d’après-midi jazz s’est achevé sur «Hallelujah I Love Her So» qui nous a valu un scat très blues
de Mattias Svensson.
Le concert du 6 août à 13h, à l’Ystads Teater, a été une découverte.
Il s’agissait d’un quartet associant deux musiciens scandinaves –le Suédois
Karl-Martin Almqvist (ts) et le Norvégien Magne Thormodsæter (b)– et deux
musiciens sud-africains –Nduduzo Makhathini (p) et Ayanda Sikade (dm)–, pour
près d’une heure et demie d’un jazz nerveux, dans une esthétique post-bop, construit
autour de morceaux originaux dont tous ne revêtaient pour autant pas la même
intensité: on regrettera ainsi la platitude des ballades. Né dans le sud-ouest
de la Suède en 1968, Karl-Martin Almqvist, ténor à la sonorité charnue, a
étudié au Conservatoire de Malmö puis à New York, notamment auprès de George
Garzone. Il vit à Stockholm. Magne Thormodsæter (1973) est originaire de
Bergen, diplômé du conservatoire, et a notamment accompagné Paquito D'Rivera,
Diana Krall, Andy Sheppard et a appartenu au Vienna Art Orchestra de Mathias
Rüegg. Il dirige le Bergen Big Band. Nduduzo Makhathini (1982) est un disciple
de Bheki Mseleku (1955-2008) qui l’a initié à la musique du quartet de John
Coltrane qui reste pour lui une puissante source d’inspiration. Il est, depuis
plus de vingt ans, ami et partenaire d’Ayanda Sikade, d’un an son aîné,
rencontré à l’université. Clé de voûte rythmique du groupe, Ayanda Sikade
déploie un jeu tout en dynamique et en swing. C’est à lui et à Nduduzo Makhathini
que l’on doit l’encrage véritablement jazz de la musique. Il est à noter que
ces quatre musiciens ont enregistré ensemble, il y a quelques années –sous le
nom de Nduduzo Makhathini–, l’album Listening
to the Ground.
Jan Lundgren écoutant Ronnie Gardiner, honoré par le festival
pour ses 90 ans, Ystad, 6 août 2022 © Jérôme Partage
A 16h, à l’Ystads Teater, le festival a connu un moment
particulièrement émouvant, peut-être le plus fort de son histoire: Ronnie
Gardiner fêtait ses 90 ans (qu’il venait d’avoir le 25 juillet) et a été
nommé à cette occasion ambassadeur honoraire du Ystad Sweden Jazz Festival
(tout comme Quincy Jones, Bengt-Arne Wallin ou Svend Asmussen). Ce messenger ayant prêché pendant soixante
ans en terre scandinave méritait assurément une véritable reconnaissance (et
au-delà des frontières de la Suède!), si ce n’est sa grande humilité, laquelle lui a
fait décliner l’offre de Duke Ellington d’enregistrer avec lui (il ne se
trouvait pas –à tord– assez bon!). Autour du batteur étaient réunis Jan Lundgren,
Hannah Svensson (voc), Klas Lindquist (as) et Martin Sjöstedt (b). Nous
connaissons moins bien les deux derniers –pourtant excellents!–, alors que Klas
Lindquist apparaît dans plusieurs de nos chroniques (Artistry Jazz Group, Snorre Kirk). Né en 1975 à
Göteborg, il a été formé à Stockholm et à New York. On le retrouve au sein du
Hot Club de Suède, du Stockholm Swing All Stars ou à la tête de son propre
nonet. Martin Sjöstedt (1978) est originaire d’Uppsala et a commencé à
accompagner des jazzmen professionnels dès 16 ans. Il est également pianiste.
Il a une trentaine de disques à son actif et se produit régulièrement avec le Stockholm
Jazz Orchestra. Le concert s’est ouvert par une belle improvisation de Jan
Lundgren sur un «Take the A Train» aux accents stride. Puis, «Unconditionnal
Love», chanté par Hannah Svensson a été le terrain d’échanges d’une grande
finesse entre Jan Lundgren et Ronnie Gardiner, en grande forme! Klas Lindquist,
à l’expressivité intense et Martin Sjöstedt, d’une grande musicalité, n’étaient
pas en reste. Le pianiste a ensuite proposé un original, «Unexpected Return» en
référence à Bengt Hallberg (p, 1932-2013) qui s’éloigna le la scène pendant dix
pour s’occuper de sa femme malade avant d’y effectuer un «retour inattendu». Le
final fut marqué par un solo époustouflant de Ronnie Gardiner sur «Caravan»,
débutant à mains nues sur la caisse claire, enchaînant avec les maillets, les
baguettes avec une virtuosité stupéfiante qui suscita une clameur dans le
public bondissant pour une standing
ovation. Très touché par l’accueil de la salle, Ronnie Gardiner prit la
parole avec sa modestie habituelle pour remercier les organisateurs du
festival. En rappel, «I'm Just a Lucky so and so» fut la conclusion swinguante
de ce très beau moment. Bravo et bon anniversaire Mr. Gardiner!
A 18h30, à Saluhallen, nous découvrions en live un superbe pianiste de 25 ans, Zier Romme Larsen, que nous
connaissons pour être l’un des membres du trio d’Alvin Queen. Il a publié
en 2019 un premier album sous son nom, Stories (Storyville). Il était ici leader d’un bon quintet regroupant Søren Høst (ts),
Jacob Artved (g), Matthias Petri (b) et Cornelia Nilsson (dm), seule Suédoise
de ce groupe danois. Sans dénier leurs qualités aux accompagnateurs, c’est le
jeu de Zier Romme Larsen qui nous a captivés, d’un magnifique «Someday My
Prince Will Come» d’abord en solo puis en trio, en passant par «In a Mellow
Tone», «Over the Rainbow», «Just You, Just Me» jusqu’à «Jubilation» de Junior
Mance, avec une belle introduction gospelisante. Car chez Zier Romme Larsen on
entend tout le jazz: le swing, le blues, le gospel. C’est d’ailleurs avec un
gospel, en solo, que le pianiste a conclut le concert. Alvin Queen ne s’y est
pas trompé!
Enfin, à 21h, à l’Ystads Teater, avait lieu le concert de
clôture, avec les invités d’honneur de cette édition 2022: les Yellowjackets de
Bob Mintzer (ts), Russell Ferrante (p,kb),
Dane Alderson (eb) et William Kennedy (dm). Le quartet –dont Russell
Ferrante est le seul membre fondateur– fête cette année ses 45 ans. Une
longévité exceptionnelle pour une formation jazz, comme l’a souligné Bob
Mintzer dans un sourire, et dont nous avons récemment chroniqué deux albums.
La musique jouée était de haut niveau et malgré ses fondements fusion, elle
reste enracinée dans la tradition du jazz. L’expressivité de Bob Mintzer est
particulièrement profonde, même si elle s’épanouit davantage au ténor acoustique
qu’au saxophone électronique EWI. Installé derrière un set de batterie
démesuré, William Kennedy est tout en groove. La sax et
le batteur constituant les deux locomotives à swing du groupe, tandis que
Russell Ferrante –une main sur le piano, une main sur le synthé– et Dane
Alderson arborent un jeu plus technique, moins expressif, même si tout dans ce concert était
d’excellente facture. Les Yellowjackets ont ainsi donné un aperçu prometteur de
leur prochain disque avec les titres «Facing North», «Red Sea», «Early»,
«Challenging Times» ou encore «Tenacity» après lequel Bob Mintzer a salué
Ronnie Gardiner, qui suivait le concert depuis une des loges du théâtre, déclarant
malicieusement:«Je voudrais être
comme lui quand je serai grand!». Effectivement, en jazz tout est affaire
de ténacité!
The Yellowjackets, Ystad, 6 août 2022 © Jérôme Partage
Dans la journée, les 5 et 6 août, Nicole Johänntgen (as) a
assuré une déambulation en solo à travers les rues d'Ystad, allant à la
rencontre des passants au son de «Take Five», «St Thomas», «Isn’t She Lovely»
ou encore «Take the A Train», marquant le rythme avec son saxophone et
démontrant encore sa capacité à jouer le jazz de culture avec conviction –et
toujours un soubassement blues–, même si elle a pour habitude d’emprunter des
chemins musicaux très variés.
Nicole Johänntgen, Ystad, 6 août 2022
© Jérôme Partage
Enfin, les soirées des 4, 5 et 6 août se sont
prolongées avec les traditionnelles jam-sessions –dirigées cette année par
Zoltan Csörsz (dm), le batteur habituel de Jan Lundgren– qui se sont tenues un
peu plus tôt que d’habitude, dans l’un des salons de l’hôtel Ystad Saltsjöbad,
pour les deux premiers soirs, et dans le foyer du théâtre pour la soirée de
clôture. S’y sont retrouvés notamment: Matteo Bortone, Mattias Svensson (b),
Filip Jers et Grégoire Maret pour une «harmonica battle», Carl Bagge, Bill Mays
(p), Viktoria Tolstoy (voc) ou encore Nicole Johänntgen qui a su capter
l’attention de l’audience le 5 août. Tout ceci avec la participation de
l’orchestrateur en chef du festival, Jan Lundgren, qui prend toujours un grand
plaisir à ces after hours. La jam de
fin de festival s’est tenue en plus petit comité: elle était avant tout
destinée aux bénévoles. Elle n’en a pas été moins festive avec notamment une
savoureuse rencontre entre Nduduzo Makhathini (p), Ayanda Sikade (dm), Klas
Lindquist (as) et Martin Sjöstedt (b) qui s’est également mis au piano en
compagnie de Cornelia Nilsson (dm). Une jam dont Ronnie Gardiner, sur un nuage,
n’a pas perdu une miette!
Notre seul regret pour cette édition 2022 est de ne pas
avoir pu assister au concert de Gunhild Carling (tp, misc. instr.) qui avait
lieu le 3 août à une quarantaine de kilomètres d’Ystad. On guettera donc son
prochain passage au Caveau de La Huchette. Vi ses nästa år Ystad!
Jérôme Partage
texte et photos
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Dinant, Belgique
Dinant Jazz, 20e édition, 28-31 juillet 2022
Les prémices du
festival se sont tenues en soirée, le jeudi 28 juillet, dans la collégiale
cinassiennes (Ciney) avec le quartet de Philip Catherine (g), Nicola Andrioli
(p), Federico Pecora (b) et Angelo Mustapha (dm). Puis, en clôture, le Michel
Herr «Positive Tentet» avec Nathalie Loriers (p), Bert Joris (tp), Paul Heller
(s), Peter Hertmans (g), Sam Gerstmans (b), Dré Pallemaerts (dm) et un quartet à
cordes. Je n’ai pu assister à ces deux concerts condruziens ni au nouveau projet du Michel Herr Tentet. Aux dires des nombreux participants la musique a souffert de la mauvaise acoustique de
l’édifice religieux.
Pas de tournoi des
jeunes cette année. Il fallait toutefois honorer les promesses faites aux
lauréats des éditions pré-virus. Ainsi, le groupe «Voids» de Noémie Decroix
(voc), le vendredi et le trio de Wajdi Riahi (p), le samedi. Assurément, la
poétesse Noémie a un joli timbre forte qui
doit encore être travaillé pour la justesse et pour la position du micro.Wajdi Riahi (p) et
son trio furent, l’année dernière, les gagnants du concours des jeunes talents
lors d’une pause covid. Waji Rialhi, musicien
d’origine tunisienne résidant à Bruxelles, a bien assimilé les leçons de ses
maîtres belges. Le jeu est léger, riche en harmonies et en changements rythmiques. J’ai beaucoup
apprécié son contrebassiste: Basile Rahola, déjà très sollicité par la Jazz
Station. Pierre Hurty (dm) est sans doute le recordman des participations aux
tournois des jeunes du Dinant Jazz, mais il a encore du travail sur la planche… Bonne route à eux!
Les choses se
mirent plus sérieusement à swinguer dès 20h, le vendredi soir, dans le parc
Saint-Norbert d’une abbaye où coulent à profusion Leffe blonde et Leffe rosée.
David Linx avait réuni autour de sa belle voix Paolo Fresu (tp, flh), Hamilton de Holanda (mand) et une rythmique composée de Diederik Wissels (p, arr), Christophe
Wallemme (b, eb) et Arnaud Dolmen (dm). La mise en place est parfaite, et les
solistes rivalisent sur les ballades et tempos enlevés. La fusion est
intéressante: trompettiste et mandoliniste contre-chantent, reprennent, relancent
et dialoguent avec un David Linx qui ne cesse de surprendre par un métier
abouti (utilisation du micro notamment). Le public est conquis et en redemande; standing
ovation justifiée.
Chouchou de
Jean-Claude Laloux (initiateur et directeur du festival), Marcus Miller (eb) était
le parrain de cette édition. Il vint clôturer la première soirée abbatiale avec
un «nouveau» quartet qui n’apporte rien de nouveau dans un rock-fusion que le
sonorisateur ne manque pas de trop amplifier à la satisfaction drogués de décibels. Leffe n’est pas Tomorrowland et je ne goûte pas de ces
pains-là! Il remettra le couvert le lendemain («Night in Tunisia» et la reprise
de deux thèmes joués la veille) avec son «New Band»: Bobby Sparks (kb), Donald
Hayes (as), Russell Gun (tp), David Chriverton (dm) et Reggie Washington (eb) enguest pour deux morceaux («So What»).
Réapparition aussi
d’Hamilton de Holanda en début de soirée pour, cette fois, un hommage appuyé à
Antonio Carlos Jobim. Puis, en clôture de cette journée du samedi, un
surprenant «Trumpet Summit»: Stéphane Belmondo (tp, flh) conduit des échanges
au plus haut niveau entre Paolo Fresu (tp bouchée, flh), Flavio Boltro (tp) et
notre Jean-Pol Estiévenart (tp). Les quatre trompettistes bénéficient du
soutien d’Igor Gehenot (p), au sommet de son talent, du sautillant Sal La Rocca
(b) et du séduisant Noami Israëli (dm). «Wayne», «Prétexte», «Pino», «Rainy
Day», «Song for Dad», «Grossman» et «Rhythm’ning» en rappel.
Jean-Pol Estiévenart et Paolo Fresu, Dinant, 30 juillet 2022 © Jean Schoubs
Tôt dimanche –11h30– le Père Augustin et six de ses frères vinrent au podium célébrer une grand’messe
à la gloire de Dieu et du jazz. Un juste retour des choses pour remercier les
moines de prêter l’herbe sèche de leur verger. L’illustration des Evangiles
était assurée par un chœur gospel de six chanteur-ses, un claviériste et, à
l’Est de l’autel: le trio de Maxime Moyaerts (org). David Linx, surpris par l’invitation
de dernière minute, assurera deux inclusions bibliques.
Après une hostie
et un déjeuner frugal, les concerts reprennent dès 16h: Eric Legnini (p),
Sylvain Romano (b) et Dré Pallemaerts (dm) occupent la scène pour accompagner
une autre fratrie: celle des Belmondo. Premier thème et hommage appuyé à Yusel
Lateef, joué au coquillage par Stéphane et au bansuri par Lionel («Yusef Trees»).
Les frères sont en verve. On est particulièrement heureux de réécouter Lionel
(ts) qui ne se contente pas d’écrire et arranger, il livre ici des envolées
coltraniennes. Les leads tournent,
les tempos changent, les solos fusent à la trompette, au bugle, à la flute
traversière; les musiciens s’appellent et dialoguent. De longs intermèdes
mettent en valeur les accompagnateurs
(Romano puis Legnini). On aborde la musique de film de la plume de Flavio Boltro et une démarcation d’Ascenseur pour l’Echafaud qu'on doit semble-t-il à Stéphane Belmondo, mais si
ce n’est lui, c’est donc son frère!
La mise en place
et la balance du Dinant Jazz Big Band prend beaucoup de temps, et on se prend à
imaginer une clôture à 23h au lieu de 21h, ce qui ne va pas tarder à se
concrétiser! Enfin, après cette longue attente, Maxime Blésin (g, voc) lance sa
rythmique: Pascal Mohy (p), Victor Foulon (b) et Mimi Verderamé (dm). Aux
pupitres, Thimoté Lemaire (tb), Pauline Leblond (tp), Stéphane Mercier (as, fl),
Nicolas Kummert (ts) et Grégoire Tirtiaux (bs). Le répertoire fait
principalement référence aux deux albums brésiliens de Toots (centenaire oblige).
Le premier thème est écrit et arrangé par Grégoire Tirtiaux. Suit: «Sou Eu»,
écrit et chanté en brésilien par Maxime Blésin. Grégoire Maret (hca) rejoint leband puis c’est au tour de Stéphane
Belmondo, décidément dans tous les coups! Maxime Blésin chante «Voltando do
Samba»; Stéphane Belmondo multiplie les citations; Stéphane Mercier dirige
une de ses compositions («Juan Chito») puis Hamilton de Holanda vient pour des
questions/réponses avec le batteur puis l’harmoniciste. Ça swingue à tout va!
Nicolas Kummert s’illustre pour le septième titre, et David Linx nous gratifie
d’une composition chantée en français. C’est sur deux compositions de Hermeto
Pascoal («No Um Talvez» et «Bebê») arrangées par Michel Herr que tout ce beau
monde termine pour une longue ovation. Assistance au garde-à-vous!
Pascal Mohy (p), Maxime Blésin (b), Hamilton de Holanda (mand), Victor Foulon (b), Grégoire Maret (hca)
et le Dinant Jazz Big Band, Dinant, 31 juillet 2022 © Hugo Lefèvre
La fête est
réussie, et on aurait pu en rester là si Viktor Lazlo (voc) n’avait eu à nous
séduire encore. Elle s’était entourée de bons musiciens: Khalil Chahine (g),
Christophe Cravero (p, vln), Felipe Cabrera (b), Arnaud Dolmen (dm) et Stéphane
Chausse (s). Elle laisse une place large à ses accompagnateurs sur des
titres de son dernier album: «Suds», «Ouvre» «Mon Ile», «Devenir le garçon»,
«An Sel Soley», «Après toi», «La Verticale», «Charabia» avec un chorus au
violon de Viktor Lazlo herself, doublé par Christophe Cravero. Les chansons
chaloupent en nos cœurs puis, en final, la chanteuse appelle sur scène son «petit frère par le cœur mais grand par le
talent»: David Linx. Cent-cinq minutes plus tard et après un «Bukowski», de
et avec David, le festival se clôture par un rappel en duo sur un tube, «Cry Me a River».
J’avoue être arrivé à
Dinant avec une appréhension: c’est
toujours à peu de chose près les mêmes musiciens que Jean-Claude Laloux invite.Et bien, je l’avoue, contrit –pardonnez-moi, mon Père!–, il a eu vachement raison!
Les artistes des quatre coins du monde applaudissent leurs confrères belges et
une joyeuse camaraderie s’installe, transfigure et transporte musiciens et spectateurs. La lumière de
l’Esprit Saint? Dieu soit loué!
Père Jean-Marie Hacquier
Photos: Hugo Lefèvre, Jean Schoubs
avec nos remerciements
© Jazz Hot 2022
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La scène de Jazz à Juan
© Umberto Germinale-Phocus
Antibes-Juan-les-Pins, Alpes Maritimes
Jazz à Juan, 12 et 18 juillet 2022
La 61e édition de Jazz à
Juan marquait un retour à la normale après deux années de covid (l'an passé avait proposé une édition «encadrée») comme pour tous les
festivals, sans jauge, sans masques, sans pass et autres mesures liberticides et
discriminatoires (particulièrement problématiques s'agissant de jazz!). C’était également la première édition programmée par le nouveau
trio Jean-Noël Ginibre (Loop Productions), Reno Di Matteo (Anteprima) et Pascal
Pilorget (GiantSteps) après la disparition en 2021 de Jean-René Palacio qui fut
le directeur artistique du festival pendant 10 ans.
Nous avons retrouvé la Pinède Gould et sa spectaculaire vue sur la
mer qui constituent l’un des plus mythiques décors des scènes jazz du monde. Nous
étions présents pour deux soirées prometteuses, celles des 12 et 18 juillet.
Le festival, qui a accueilli une vingtaine de têtes d’affiche (dont Cécile
McLorin-Salvant, George Benson, Rhoda Scott, Roberto Fonseca, Van Morrison,
Stacey Kent, Gilberto Gil, Joey Alexander ou encore Diana Krall…), a aussi été
l’occasion de nombreuses animations musicales à l’heure de l’apéritif: des
concerts à la petite pinède et au kiosque à musique, ainsi que des marching
bands déambulant dans les rues d’Antibes et de Juan-les-Pins. L’Hôtel Marriott-Ambassadeur accueillait
également un after hours ouvert aux musiciens
amateurs.
Le 12, Charles Lloyd (ts, fl) était présent pour la cinquième
fois à Juan-les-Pins, toujours habité par le souvenir de sa première venue, pour
l’édition de 1966 (il avait alors 28 ans) dont il avait constitué la révélation
comme le rappelle la couverture du Jazz Hot n°223 de septembre 1966. Le
saxophoniste a évoqué la présence cette année-là de l’orchestre de Duke
Ellington, précédant de quelques mois la disparition de Billy Strayhorn auquel
il a rendu hommage. Et c’est en quartet, accompagné de Bill Frisell (g), Reuben
Rogers (b) –avec lesquels il a publié, ces dernières années, trois albums chez Blue Note, sous le nom Charles Lloyd & The Marvels– ainsi que Kendrick Scott (dm), que le saxophoniste a proposé au public, pour
ouvrir la soirée, une heure de très beau jazz post-bop, Bill
Frisell apportant un beau contrepoint; un concert dominé par les
ballades sur lesquelles Charles Lloyd se fait méditatif et souvent
lyrique, allant quelque fois aussi vers plus de légèreté, tandis que le drumming nerveux de Kendrick Scott, par contraste, met la musique sous tension.
Bill Frisell (g) et Charles Lloyd (ts), Juan-les-Pins, 12 juillet 2022 © Umberto Germinale-Phocus
En seconde partie, changement d’ambiance avec le Reunion
Sextet de Chucho Valdés (p) et Paquito D’Rivera (as, cl) qui nous ont offert un
concert comme une fête éclairée par le soleil de La Havane. Le pianiste et le
saxophoniste (80 et 74 ans), en grande forme, ont célébré à la fois les 60 ans
de leur rencontre et leurs retrouvailles qui sont également l’objet d’un album: I Missed You Too!. Paquito, en Monsieur Loyal malicieux a raconté cette relation musicale
et amicale avec Chucho, qui l’écoutait amusé, et a présenté des
compositions très réussies: «Lorena's Tango» (Chucho), aux belles accentuations
blues données par le pianiste, a été l’occasion d’un très swinguant solo de
l’excellent de Diego Urcola (tp, vtb). «I Missed You Too!», titre éponyme de
l’album, a été introduit par le contrebassiste Jose A. Gola. Le titre «Mozart»
fut un moment particulièrement savoureux, Chucho et Paquito passant avec
dextérité du classique (avec la reprise de la «Petite musique de nuit») au jazz
et à la musique cubaine. Facétieux, Paquito fait chanter l’air au public et enchaîne
avec «Sous le ciel de Paris»! Chucho s’amuse également avec des citations de
«Take Five» et de «Watermelon Man»… Un autre titre de Chuco, «Claudia», une
ballade, a permis d’apprécier le magnifique toucher du pianiste et le son tout
en rondeur de Paquito. Une prestation débordant d’énergie, qui a aussi
bénéficié du soutien de Dafnis Pietro (dm) et Roberto Junior Vizcaino (perc),et s’est achevée par un rappel en feu d’artifice devant un parterre transformé
en piste de danse.
Chucho Valdés (p), Paquito D'Rivera (as), Jose A. Gola (b),
Juan-les-Pins, 12 juillet 2022 © Umberto Germinale-Phocus
Le 18, deux générations de pianistes se suivaient. En
ouverture, Tigran Hamasyan était en trio avec Matt Brewer (b) et Justin Brown
(dm) avec lesquels il a enregistré StandArt (Nonesuch Records) où ils reprennent plusieurs grandes compositions du jazz.
Débutant en solo avec «Laura», Tigran s’éloigne rapidement du thème pour
emprunter des chemins «jarrettiens» vers d’autres territoires musicaux. Malgré
sa belle technique, en cherchant à renouveler l’approche du répertoire, il passe
à côté de la mélodie, comme on a pu le regretter sur «All the Things You Are»,
opposant une certaine dureté dans son jeu. Heureusement, quelques bons échanges
avec la section rythmique ont agrémenté ce récital quelque peu «hors sol».
Herbie Hancock, Juan-les-Pins, 18 juillet 2022 © RivieraKris, by courtesy of Jazz à Juan
Herbie Hancock (dont c’était le treizième passage à Juan
depuis 1963!) a pris la suite avec l’intention de donner un véritable show. Le
pianiste –qui devait fêter ses 80 ans à Juan en 2020, année où l’édition a été
annulée– avait comme une revanche à prendre. S’adressant longuement au public,
souriant et affable, Herbie, alternant piano acoustique et électrique, était
venu pour un retour nostalgique sur sa propre carrière, entouré de Terence
Blanchard (tp), Lionel Loueke (g, voc), James Genus (b) et Justin Tyson (dm).
Après un medley de ses compositions, «Ouverture» totalement planant, il a évoqué son amitié avec
Wayne Shorter à travers son célèbre titre «Footprints» mis en valeur par
Terence Blanchard. L’évocation de son groupe Head Hunters et des années 1970 a
fait se croiser jazz, jazz-rock et funk, ce qui n’a pas été sans quelques
magnifiques notes de piano sur «Actual Proof». Mais cherchant avant tout à être
spectaculaire, Herbie Hancock, loin de se contenter d’être un
superbe pianiste, a déployé ses joujoux électroniques (guitare-synthé,
vocoder…) pour une version particulièrement planante de «Come Running to Me»
agrémentée par les effets vocaux de Lionel Loueke, loin de tout expressivité
jazz. Et la star de parachever sa démonstration de force avec un «Watermelon
Man» qui a remporté l’adhésion totale du public. Une célébration de la
personnalité musicale d’Herbie Hancock, avec ses chemins de traverse.
Jérôme Partage
Photos: Umberto Germinale-Phocus,
RivieraKris by courtesy of Jazz à Juan
© Jazz Hot 2022
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Luke Sellick, Monty Alexander, Jason Brown © Ellen Bertet
St-Cannat, Bouches-du-Rhône
Jazz Festival Roger Mennillo, 8-9 juillet 2022
En ce début juillet, Art Expression présentait,
suivant la formule initiée et portée par le regretté Roger Mennillo et par la
très active Chris Brégoli sur près d’un quart de siècle, ses deux soirées
consacrées au piano. Le jardin Joseph Richaud, encore vert en ce début juillet,
accueille agréablement un public d’habitués dont la fidélité ne se dément pas
au fil des éditions. Fidèles aussi, les soutiens institutionnels et privés qui
accompagnent le festival, notamment la mairie de St-Cannat, pour qui le
festival et l’activité de Jazz Expression reste un enjeu culturel.
Thibaud Mennillo-Leportois
© Ellen Bertet
Le vendredi 8 juillet, à 20h30, nous partons en voyage:
Thibaud Mennillo-Leportois, petit-fils de Roger, par ailleurs ingénieur et gérant
de société, a posé les doigts sur un clavier il y a 2 ans pour ne plus le
lâcher. Disons quand même que le jazz a fait partie de son univers dès le
premier biberon, distillé par ses deux amateurs de parents à la collection de disques
impressionnante. Et tout est là, dans ce programme bien nommé «Spiritualité», dans
cette première suite solo de 40 minutes où s’exprime une culture jazz
protéiforme et très personnelle. Il livre un monde habité de multiples
influences, où dominent Thelonious Monk et McCoy Tyner, mais aussi Bill Evans. Son
programme se poursuit avec cette fois une pièce courte à l’ambiance africaine:
jeu sur les cordes, double flûte qui imite les chants d’oiseaux. Le pianiste termine
son set avec «One Day My Prince Will Come», porté par une grande expressivité. Intériorité,
gravité, ressenti profond: on se doute que le grand-père Roger a été un guide déterminant
dans le parcours musical du petit-fils, qui se définit lui même comme «pianiste
de jazz moderne», et qui se projette déjà avec passion dans cette voie.
Kirk Lightsey (p), Piero Odorici (ts), Darryl Hall (b), Jerome Jennings (dm) © Ellen Bertet
George Cables, qu’on attendait en deuxième partie, a
malheureusement été hospitalisé la veille du concert (à Paris, il a depuis pu rentrer dans son pays). C’est à une autre
légende du clavier, Kirk Lightsey, que la providence trouvait libre ce soir-là,
que revint la direction du quartet, aux côtés de Piero Odorici (ts), Daryl Hall
(b) et Jerome Jennings (dm). Kirk Lightsey, qui porte ses 85 ans avec une
vivacité et un brio plus que réjouissants, est paradoxalement plus connu comme
accompagnateur, alors qu’il déploie en scène une aura et une présence «royale»
qui en font un leader incontestable. Il possède une liberté d’expression sans
limites, un sens du récit, et son sourire permanent témoigne d’une réelle joie
de jouer, de partager. Piero Orodici, avec un son chaud et profond au sax
ténor, se situe dans la lignée mélodique des Coltrane et Pharoah Sanders. Il a
débuté le sax à 10 ans, et la liste de ses collaborations, de ses débuts professionnels
avec Sal Nistico et Steve Grossman à Cedar Walton, Dee Dee
Bridgewater, Cyrus Chestnut, Alvin Queen, Enrico Pieranunzi et Roberto Gatto… est
aussi longue qu’éloquente! Il nous a gratifiés de belles impros, en parfait
équilibre avec ses partenaires, dont Darryl Hall, qu’il côtoie depuis 2017.Darryl Hall, from
Philadelphia, a choisi de se fixer en France, mais il reste très actif sur
les circuits internationaux. Musicalement très proche des racines américaines,
il possède un swing subtil mais affirmé, un jeu tout en nuances et très
mélodique. Jerome Jennings, quoique rare en
France, n’est pas un parfait inconnu: à 42 ans, chef résident de l’orchestre de
la Juilliard School, compositeur, il a à son actif des collaborations avec, entre
autres, Sonny Rollins, Wynton Marsalis, Christian McBride, The Mingus Big Band,
Benny Golson… C’est un musicien engagé socialement dans la communauté
afro-américaine, en cohérence avec un parcours musical très centré sur la
tradition. Il a une présence sonore remarquable, d’une finesse et d’une variété
de motifs impressionnants. C’est un quartet de «leaders» qui a ravi ce soir-là les
spectateurs.
Laure Donnat, Cédrick Bec, Ugo Lemarchand © Ellen Bertet
Le samedi 9 juillet, le Quartet de Laure Donnat (voc), avec Ugo
Lemarchand (p, ts), Lilian Bencini (b), Cédrick Bec (dm) ouvrait la soirée. Après
sa relecture en 2010 de Billie Holiday, Laure Donnat continue d’explorer avec
respect et bonheur le répertoire des grandes chanteuses américaines. Ce soir,
elle évoque, avec une voix qui a gagné en puissance ou dont elle utilise plus
la puissance au service de l’expression, Abbey Lincoln, une de ses influences majeures
(«Throw It Away»), Nina Simone (le très jouissif et déclamatoire «Four Women»,
appuyé par les mailloches de Cédric Beck), ou Janis Joplin, avec son «Ode au
Capitalisme»! Bref des vocalistes de choc, fortes femmes, shouters aux profondes racines blues. Sur les traces de Roger, Ugo Lemarchand
est également très impliqué dans l’association Jazz Expression, animant une
grande partie des ateliers jazz. Il délaisse parfois le sax, son instrument de
prédilection, pour évoquer au piano le jeu de Roger Mennillo («Séquence») avec maîtrise
et sensibilité. Lilian Bencini (b), autodidacte, s’est fait rapidement un nom
dans le monde du jazz. Il accompagne la chanteuse dans la vie, sur scène et sur
disques, sur des projets en duo (Billie
Holiday) et plus récemment sur le projet Voix Divines. Cédrick Bec (dm) a acquis très vite une notoriété
nationale, et n’a cessé de multiplier les rencontres –de Ben Aronov, Archie
Shepp à Wynton Marsalis– et les tournées
qui l’on conduit jusqu’en Chine. Capable de se couler dans tous les styles et
les formats, c’est un batteur léger, élégant et très efficace. Le quartet a
conclu sur «My Foolish Heart», énergique à souhait.
Jason Brown, Luke Sellick, Monty Alexander © Ellen Bertet
Pour la conclusion du Festival, le Monty Alexander Trio,
avec Jason Brown (dm) et Luke Sellick (b) était de retour. Encore, me
direz-vous! Mais oui. Si on ne compte plus les passages de Monty Alexander à
St-Cannat –le dernier en 2017 au château de Beaupré–, le public ne boude jamais
et revient toujours plus nombreux, sûr de passer une très bonne soirée, car le
pianiste est là pour le plaisir du public et le bouche-à-oreille fonctionne
toujours. Crinière et barbe blanches, toujours très classe en costard noir, il a
naturellement dédié son concert à l’ami Roger Mennillo, disparu depuis son
dernier passage, pour une prestation moins «éclectique» que lors de son dernier
passage, plus recentrée sur la double culture jazz et jamaïcaine, dont il a une
conscience aigüe et qu’il pratique avec un enthousiasme égal et un profond ressenti.
Les deux courants ne luttent pas, ils se complètent pour donner naissance à un
groove omniprésent, forgé par trois-quarts de siècle (son âge –pardon Monty!) passés devant un clavier!
Pour témoins, ses disques Rasta Monket Harlem-Kingston Express, ponts
culturels jetés de l’Atlantique Nord au golfe du Mexique! Le leader laisse
volontiers la parole à ses partenaires, et c’est avec bonhommie qu’il quitte son
siège et, inquisiteur ou amateur, les regarde jouer: Jason Brown a été l’élève
de Billy Hart, tandis que Luke Sellick suivait l’enseignement de Ron Carter à
la Juilliard; autant dire que la base est solide et dynamique! Et le leader
peut donc à loisir développer ses improvisations, se laisser aller à sa
fantaisie, du Steinway au mélodica, avec une énergie naturellement «renouvelable»
avec «Skamento», «Love Notes» ou «No Woman, No Cry» qui chavire le public.
Voici le scoop: au prochain concert à St-Cannat, Monty chantera! Son
dernier album, Love Notes, un recueil
de chansons romantiques accompagnées au piano, est sorti le 19 août!
Ellen Bertet
texte et photos
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Lyon, Rhône
Jazz à Cours & à Jardins, 11 juin 2022
Tenu par une poignée de bénévoles extrêmement impliqués, ce
festival de la Cité des Gaules dévoile de plus en plus de lieux tenus un peu
secrets pour distiller un jazz sans concession et ouvert sur le monde. Et pour
faire exister, comme le rappellent les organisateurs, «un rêve culturel,
jardinier et pourtant tellement urbain».
Les adhérents du club de boules sont déjà à la manœuvre en
cette fin de printemps caniculaire pour tenir le bar dont les boissons fraîches
seront les bienvenues… La onzième édition du festival Jazz à cours & à
jardins, ouverte le 30 avril avec trois concerts du quartet du saxophoniste
François Dumont d’Ayot programmés dans le cadre de l’International Jazz Day, se
poursuivait du 10 au 21 juin, avec, ce samedi 11 juin, une soirée Jazz’n the Courtyard qui démarre donc
en début d’après-midi au cercle bouliste du Point du jour sur les hauteurs de
Lyon. Ambiance bucolique et bon enfant pour ce concert qui met justement en
avant quelques enfants du jazz grâce à un partenariat avec le conservatoire à
rayonnement régional qui célèbre cette année ses 150 ans.
Les musiciens du Quartet Victoria Alex (Victoria Alexanyan, voc, Vincent Forestier, p, Amin Al Aiedy, b, oud, Mathéo Ciesla, dm) sont tous issus des classes dudit
conservatoire et proposent un jazz de création basé sur leurs propres
compositions dont certaines s’inspirent de mélodies de l’Arménie, pays où la
chanteuse a ses racines. La voix est proche de cette tradition musicale, alors
même que la rythmique s’ancre, quant à elle, dans un jazz plus orthodoxe sur le
plan de la forme. Avec notamment un excellent contrebassiste qui sait rester
très en soutien de l’harmonie. Un mariage tout en finesse, plutôt réussi, qui
n’est pas sans rappeler l’exotisme des douces mélopées de l’Albanaise Elina
Duni. Les deux pays sont certes séparés de quelques milliers de kilomètres mais
le lien esthétique et musical se fait aussi grâce au caractère montagnard de
leurs géographies respectives et à leurs cultures rurales notamment basées sur
le pastoralisme. Deux petits bémols toutefois à cette programmation: côté
musiciens, je suis toujours étonné que de jeunes pousses ne réussissent pas à
faire venir leur propres amis, leurs copains ou leurs familles lorsqu’ils se
produisent eux-mêmes en concert. Dans les rangs du public, cet après-midi-là,
uniquement des tempes grises! Alors que la moyenne d’âge des musiciens ne
devait pas dépasser la trentaine et que tous les concerts du festival sont
gratuits! Où était donc passé le jeune public du jazz ce jour-là? Côté
organisation, enfin, si les spectateurs veulent assister au concert suivant qui
se déroule à dix minutes de là, il leur faut partir avant la fin! Un petit
temps de battement serait le bienvenu…
Vincent Forestier (p), Victoria Alexanyan (voc), Amin Al Aiedy (b), Mathéo Ciesla (dm),
Lyon, 11 juin 2022 © Pascal Kober
Un peu plus loin, donc, changement de décor pour la suite de
la soirée. «Soirée» est d’ailleurs un bien grand mot puisqu’en dépit de cette
appellation, la plupart des concerts démarrent entre 17h et 17h30 pour
s’achever peu après le coucher du soleil. C’est d’ailleurs l’une des
particularités de Jazz à cours & à jardins: tout se déroule en plein air, à
la lumière du jour et dans des sites généralement peu connus des habitants eux-mêmes.
Un vrai plaisir de découverte!
Tel est le cas pour les quatre prestations suivantes qui se
tiennent à Sainte-Foy-lès-Lyon, dans un magnifique domaine arboré de cinq
hectares qui fut autrefois un séminaire construit dans les années 1920 (son
imposant voisin, le séminaire Saint-Irénée a même accueilli le pape Jean-Paul
II lors de sa visite à Lyon en 1986). Transformé en hôtel-restaurant et en
salles de réunions en 2008, le domaine Lyon Saint-Joseph s’ouvre au jazz dans
un paysage qui embrasse un joli panorama sur les monts du Lyonnais, à l’ouest
de la ville. Cadre enchanteur qui sied bien à la fanfare Dixieland de la… Musique de l’Artillerie! Soit une caisse claire, un saxophone soprano, un
soubassophone, un trombone et deux trompettes en grand uniforme. En somme, dans
un tel domaine, le parfait mariage du sabre et du goupillon (réécoutez Jean
Ferrat!). Ces six militaires-là nous transportent d’un seul coup d’un seul
depuis cette verte prairie jusqu’à La Nouvelle-Orléans, allant même jusqu’à
déambuler dans le parc parmi les enfants, ravis de ce voyage immobile au fil de
mélodies si connues que chacun peut les fredonner.
Fanfare de la Musique de l’Artillerie, Sainte-Foy-lès-Lyon, 11 juin 2022 © Pascal Kober
Le directeur artistique du festival, François Dumont d’Ayot,
multi-saxophoniste et même collectionneur d’instruments forts étranges, enchaînera
en duo avec son batteur Attilio Terlizzi en sautant allègrement les décennies
pour nous proposer un jazz radicalement différent, plus proche du free que de
la musique des marching bands. Le trio du clarinettiste Sylvain Kassap
poursuivra dans la même veine en adjoignant au duo soufflant-rythmicien un
accordéoniste (diatonique), Yannick Martin, très déjanté, venu des musiques
traditionnelles. Ce qui n’empêchera nullement les métriques atypiques à onze
temps, les références aux mélodies perses voire les hommages rendus au
trompettiste Don Cherry. Le percussionniste, quant à lui, joue tout autant de
ses instruments à peau que de ses effets électroniques et a d’ailleurs un peu
tendance à se perdre dans les réglages desdits effets plutôt que d’assurer le
soutien rythmique. Une critique que l’on peut hélas de plus en plus formuler en
direction de nombre de musiciens qui confondent expression et électronique.
S’en suivra, bien évidemment, la réunion entre le trio de
Sylvain Kassap et le duo de François Dumont d’Ayot, agrémenté de Pascal Bonnet,
le bassiste de ce dernier. Démarrage avec un très beau duo en
questions-réponses entre la clarinette basse et le saxophone baryton pour un
concert qui, tout du long, marquera indubitablement le temps fort de cette soirée
par la qualité des échanges dans cette rencontre entre des musiciens qui se
connaissent bien et surtout, connaissent bien leurs univers et langages
respectifs. Signes d’une véritable complicité qui est un peu la marque de
fabrique de ce festival totalement atypique à qui l’on ne peut que souhaiter
«bon vent» pour la douzième édition à l’heure où la plupart des grands
événements ne raisonnent plus qu’en terme de jauge et de notoriété sur les
réseaux (que l’on dit) sociaux.
PS: On nous a dit le plus grand bien du trio Un sacré
imaginaire (Julie Campiche, Cédric Chatelain et Eric Longsworth) mais nous
n’avons hélas pas pu nous rendre aux concerts de clôture du festival.
Pascal Kober
texte et photos
© Jazz Hot 2022
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Hommage à Tina May / Montier Jazz Circus
Petit Journal Saint-Michel, Paris, 28 mai et 4 juin 2022
Le 28 mai, le pianiste Patrick Villanueva organisait au Petit Journal Saint-Michel un hommage à Tina May (voir nos Tears) dont il a été un proche. Son idée était très simple: évoquer chacune des facettes de cette chanteuse magnifique et prolifique: il a donc d’abord pioché dans leur répertoire commun, choisi des thèmes du jazz et de la chanson française qu’elle aimait chanter, réarrangé des compositions pour lesquelles elle avait écrit des paroles. Puis, il a réuni tous ceux qui ont connu Tina, et qu’on ne voit pas toujours ensemble sur une même scène.
Pascal Gaubert (ts), Pauline Atlan (voc), Thierry Peala (voc), Pierre Maingourd (b),
de dos Patrick Villanueva (p), Petit Journal St-Michel, 28 mai 2022 © Mathieu Perez
Le quartet de Patrick, composé de Pascal Gaubert (ts), Pierre Maingourd (b) et Germain Cornet (dm), a lancé la soirée avec «Cheesecake» de Dexter Gordon avant d’être rejoint par Pauline Atlan (voc) pour «Them There Eyes», le premier morceau qu’elle a chanté en duo avec Tina, puis, un magnifique «September in the Rain», interprété en français et en anglais. De beaux moments, il y en a eu plusieurs au cours des deux sets. Lorsque Florence Pelly et Jacques Verzier ont chanté «My Ship», extrait de la comédie musicale Lady in the Dark, puis «Dansez sur moi», avec Laurence Saltiel et Gilles Vajou; lorsque Patrick a joué sa composition très jazz avec «Love Me»; lorsque Pauline Atlan a chanté un formidable «You Go to My Head» à la sauce samba, que Patrick avait arrangé pour Tina. Nous avons vu aussi Thierry Peala reprendre «Gentle Piece» de Kenny Wheeler avec des paroles de Tina, et aussi la jeune Pauline Corbaz assurer la partie chanson française («Premier Bal» de Bechet, et «La Fête continue» de Michel Emer). C’est toute la richesse du parcours de Tina que nous avons retrouvée. Dommage que ce concert n’ait pas été enregistré! MP
Le 4 juin, le Montier Jazz Circus plantait son chapiteau dans un Petit Journal bondé. Le public ne s’était en effet pas trompé sur la qualité de l’affiche proposée: la toute nouvelle formation emmenée par Nicolas Montier (ts, ss), dans la lignée de son précédent orchestre, Les Rois du Fox-Trot, avec lesquels il s’est produit pendant plus de vingt ans. De fait, une bonne partie des musiciens ont prolongé l’aventure avec le saxophoniste: Patrick Bacqueville (tb, voc), Shona Taylor (tp, voc), Marc Bresdin (as, cl), Jacques Schneck (p) de même que Michel Bonnet (tp) et Michel Bescont (ts), remplacés ce soir-là respectivement par Louis Relisieux et Thomas Savy. Du côté des entrants, on trouve Pierre Maingourt (b), Christophe Davot (g) et Vincent Frade (dm), ces deux derniers, indisponibles, étaient remplacés pour l’occasion par Ziggy Mandacé et Germain Cornet.
A l'avant: Patrick Bacqueville (tb), Shona Taylor (tp), Louis Relisieux (tp), Nicolas Montier (ts), Marc Bresdin (as),
Thomas Savy (ts), à l'arrière: Jacques Schneck (p), Pierre Maingourd (b), Ziggy Mandacé (g), Germain Cornet (dm),
Petit Journal St-Michel, 4 juin 2022 © Jérôme Partage
Avec une bonne humeur communicative, le Montier Jazz Circus a proposé un premier set consacré aux compositions de l’orchestre, toutes de très bonne facture, à commencer par le premier titre, «Peace of Chance» (Bacqueville). On a retenu sinon une savoureuse «Panama Waltz» (Bonnet), suivie du très dynamique «She Winked at You» (Montier) qui a été l’occasion d’une homérique tenor battle entre Nicolas Montier et Thomas Savy. «Claude et Nathalie» (Montier) a bénéficié du groove vrombissant de Germain Cornet, tandis que le titre «Huuuu» (Montier) –dont les harmonies sont empruntées à «Fascinating Rhythm»– a donné lieu à un solo de Patrick Bacqueville qui, au passage, a cité quelques mesures de l’original de Gershwin. Seul standard de ce premier set, «J’ai deux amours» a été mis en valeur, avec poésie, par Ziggy Mandacé. Le set suivant était dédié à la musique de Duke Ellington. Shona Taylor a donné de la voix sur «It Don't Mean a Thing», «Coco» a permis de belles interventions de Pierre Maingourd et Jacques Schneck, enfin, sur «Jungle Jamboree», on a pu entendre Patrick Bacqueville faire usage du plunger. On souhaite longue vie à cet excellent orchestre dont on espère qu’il ne tarde pas à nous offrir un prolongement sur microsillons. JP
Jérôme Partage et Mathieu Perez
textes et photos
© Jazz Hot 2022
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The Cookers
New Morning, Paris, 3 avril 2022
Voilà longtemps que nous n’avions pas vu un concert aussi exceptionnel. A Jazz Hot, nous les connaissons bien, les Cookers. A l’exception du trompettiste David Weiss, chacun nous a accordé de longs entretiens. Eddie Henderson (tp, n°594, 678), Billy Harper (ts, n°504, 658), Donald Harrison (as, n°644), George Cables (p, n°575, 680), Cecil McBee (b, n°482, 581, 607), Billy Hart (dm, n°624). Cette formation existe depuis une dizaine d’années, mais ces musiciens sont complices depuis la fin des années 1960 pour certains. Ils ont joué des kyrielles de fois ensemble avec des équipes différentes. C’est une famille. Sur la scène du New Morning, le 3 avril, on l’a senti plus que jamais.
George Cables (p), Billy Harper (ts), David Weiss (tp), Eddie Henderson (tp), Cecil McBee (b),
Donald Harrisson (as), Billy Hart (dm), New Morning, 3 avril 2022 © Jérôme Partage
La setlist est
simple: trois thèmes par set, de vingt minutes chacun. Pour chaque
thème, chaque musicien prend un long chorus. Le premier set pioche dans
les premiers disques des Cookers: «The Call of the Wild and Peaceful
Heart», «Peacemaker» et «Croquet Ballet», inoubliable, que Billy
Harper avait enregistré avec Lee Morgan. Le second set puise dans le
disque Look Out! qui vient de sortir (voir notre chronique): «The Mystery of Monifa Brown», «Destiny Is Yours». Et, en rappel,
«The Core». Chaque intervention est remarquable: Billy Hart
stupéfie par son inventivité, Eddie Henderson touche par sa chaleur,
George Cables éblouit par sa virtuosité, sans parler de la solidité de
Donald Harrison, Billy Harper, Cecil McBee, David Weiss. Les Cookers
livrent le jazz le plus profond et le plus contemporain autant qu’ils
jubilent sur scène. On peut juste s'étonner, même si le New Morning était bien rempli, qu'une telle affiche n'ait pas réuni encore plus de monde et notamment plus de musiciens pour venir assister à un événement aussi exceptionnel. John Betsch et Rasul Siddik étaient cependant présents…
Mathieu Perez
Photo: Jérôme Partage
© Jazz Hot 2022
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L'Alpe-du-Grand-Serre, Isère
Jazz' Alp, 4 au 12 mars 2022
Ils sont revenus à
leurs premières amours! Après une année perturbée par un certain virus qui a
imposé une session estivale (voir notre chronique) à un festival qui se
joue depuis six ans les pieds dans la neige, la sympathique équipe de Jazz’Alp
a réanimé l’hiver pour une édition qui a fait la part belle aux découvertes, y
compris locales. Large sourire aux
lèvres pour la petite équipe de Jazz’Alp à l’issue de la dernière soirée du
festival. Les concerts de cette sixième édition ont presque tous fait le plein
dans la salle du Chardon Bleu toute de bois vêtue. Adieu masques, ausweis et
autres «solutions» hydroalcooliques. Place à la liberté d’écouter la note bleue
dans de bonnes conditions grâce aux bons soins de bénévoles dévoué(e)s, grâce à
un accueil chaleureux et grâce aussi à un ingénieur du son au-dessus de tout
soupçon.
A
L’Alpe-du-Grand-Serre, au sud du département de l’Isère, on est loin, très
loin, des grosses machines festivalières de l’été. En témoigne l’attention
portée au pays et à ses gens. Nous sommes ici en Matheysine, entre Trièves et
Oisans. A deux pas de la métropole grenobloise, certes, mais quand même déjà
ailleurs. Dans les Alpes; dans l’alpe; dans la montagne en somme. Hier encore,
autour de La Mure, capitale de la région, les gueules noires extrayaient du
sous-sol un anthracite de premier choix. Les exploitations ont fermé il y a
vingt-cinq ans. Ne restent plus que quelques corons et autres chevalements pour
dire le passé industriel et, surtout, une vitalité culturelle qui doit sans
doute beaucoup aux anciennes solidarités ouvrières. A preuve, le dynamisme
de l’enseignement musical. Hier, ces petites écoles rurales formaient le
creuset qui alimentait les fanfares locales. Aujourd’hui, elles font naître
nombre de petites (et de grandes!) formations que l’équipe, réunie autour de
Gérard Duchamp, sémillant président du festival, tient à présenter le plus souvent
possible en ouverture de soirée. Place aux amateurs. Aussi.
L’atelier jazz de
l’école de musique de La Mure s’est ainsi associé à l'ensemble La Lyre de
Bourg-d’Oisans pour assurer la première partie de l’ETC quintet le mercredi 9
mars. Sur le (petit!) plateau (et même parmi le public!), pas moins de
vingt-deux musiciens! Et des bons! Moyenne d’âge? Trop compliquée à calculer!
Mais de très jeunes adolescents côtoient sur scène des papys et des mamies!
Pour le jazz, la relève est bel et bien là. Sous la houlette du saxophoniste
Laurent Nyssen, un très joli travail d’ensemble, avec de somptueux arrangements
autour de quelques ballades et gospels bien choisis.
L'atelier jazz de l'école de musique de La Mure, 9 mars 2022 © Pascal Kober
En témoigne aussi la
soirée de clôture, dont la première partie a été confiée à l’Afro Collectif
Roizonne, une sympathique bande de fous furieux. Fous, surtout, de l’afro
beat du batteur d’origine nigériane Tony Allen et de Fela Kuti. Eux
viennent de la vallée tout à côté. Quelques milliers d’habitants tout au plus,
une poignée d’éleveurs, une petite route qui serpente dans les alpages… Un
caractère qu’a bien su saisir un mien ami, Emmanuel Breteau qui vient de
publier sur ce petit pays un livre de photographies noir & blanc, magnifique! Derrière les montagnes (éditions Bizalion, Arles).
Bref, une «alpinité» quasi-emblématique qui contraste fortement avec cette
musique qui transpire l’Afrique par tous ses pores et qui ne rechigne
d’ailleurs pas aux thèmes engagés («Colonial Mentality», «Water No Get Enemy»)
voire aux discours militants sur la ségrégation, l’exploitation du continent ou
les ravages de la corruption. Percussions à gogo, une belle section de cuivres,
une stratocaster qui sait faire des «cocottes» funky et la voix habitée
d’Alizée Réant, tout était présent pour inciter à la danse si la salle n’était
si… petite!
Murielle Souet, 6 mars 2022 © Pascal Kober
Autre belle surprise
parmi les premières parties, le sextet Soleme dont Murielle Souet, la chanteuse et
saxophoniste, est également… élue d’une petite commune des alentours. Sur
scène, une instrumentation atypique sans aucune batterie. Au répertoire, des
reprises de standards quelque peu transfigurés, comme cette version très lente
du «Footprints» de Wayne Shorter, l’esprit presque latin de ce «Solar» de Miles
Davis, ce touchant chorus de flûte de Marc Souet sur «Agua de Beber» ou encore
un «Night and Day» joliment introduit a capella. La soirée se poursuivra
avec Ultra Light Blazer, une formation qui mêle le rap à des rythmiques
extrêmement complexes interprétées avec une belle précision mais, hélas!, à un
volume sonore bien trop élevé pour le lieu…
Le lendemain, la
trompettiste de Tatanka doit faire face à des problèmes de santé. Son trio est
donc remplacé au pied levé par celui de… l’ingénieur du son du festival, Pascal
Billot, qui outre son oreille attentive aux mixages, est également (très bon)
saxophoniste et guitariste. D’ailleurs, comme son alto traîne toujours à ses
côtés, la tradition à Jazz’Alp veut qu’il soit invité à venir faire le bœuf
presque chaque soir! Ce lundi, c’est donc avec sa propre formation qu’il assure
le concert. Le trio Barock (Pascal Billot et Michel Teyssier, g, Sergio
Zamparo, fl voc) est issu de L’Artisterie, un collectif de musiciens qui avait
magnifiquement accompagné notre confrère Robert Latxague au Jazz Club de
Grenoble pour ses lectures de textes issus de son livre Tourments
d’amour (éditions France Libris). Il propose là des compositions fines
et délicates, subtilement dérangées par la gouaille et l’expressivité du
chanteur, et ira même jusqu’à inviter sur les deux derniers rappels, Joris
Loïodice, le jeune batteur du groupe qui assurait la première partie, Between
Ukulélé, issu de l’école de musique de Vizille.
Relâche le lendemain,
du moins côté musique vivante, avec la projection de Bird, le film
que Clint Eastwood avait consacré en 1988 à la vie de Charlie Parker. Poignant,
bien sûr, mais le confort des sièges ne se prête guère à 2h40 de projection… Le
mercredi, l’ETC quintet, rend, quant à lui, hommage, dans son intitulé-même, à
Charles Mingus, avec cette abréviation de «Eat That Chicken», un thème du grand
contrebassiste. Oh Yeah! C’est d’ailleurs au hard bop que les
musiciens se réfèrent dans leurs (excellentes!) compositions, doublées d’un
travail époustouflant sur les arrangements, les interprétations et la qualité
du son de chacun des instrumentistes. On retiendra notamment «58» écrit par
Camille Virmoux, le contrebassiste, ou encore «Seul B», un blues signé par le
saxophoniste Benoît Charguereau. Des thèmes originaux comme on aimerait en
écouter plus souvent. Seul bémol: l’absence d’un chorus du contrebassiste dont
je subodore qu’il aurait pu être très musical.
Je vous ai déjà dit,
l’an passé, tout le bien que je pensais d’Olivier Chabasse, l’un des rares à
jouer de l’étonnant Grand Stick Chapman. Il revient cette année mais dans une
formation radicalement différente qui réunit autour de lui le batteur Joël
Allouche et le saxophoniste Alain Debiossat, fondateur du groupe Sixun dans les
années 1980. Même lorsqu’il n’y a pas le moindre instrument harmonique comme
sur ce «Dolphin Dance» d’Herbie Hancock, quelle belle musicalité et quelle
qualité d’écoute entre ces trois-là! Avec leur version de «Come Together» des
Beatles, c’est comme si Marcus Miller s’était lui-même invité au concert…
Filip Verneert (g) et Gil Lachenal (b),
11 mars 2022 © Pascal Kober
Je ne saurai clore
cette chronique sans évoquer le jazz de création du très européen Filip
Verneert & Enrique Simón quartet. Le premier est belge et développe un jeu
de guitare lyrique au son aussi moelleux que celui de son compatriote Philip
Catherine. Le second est espagnol et enseigne le piano à Murcia quand il ne
compose pas pour cette formation. Ils sont ici accompagnés par le batteur
espagnol Pedro Vázquez ainsi que par Gil Lachenal, l’un des tous meilleurs
contrebassistes français qui sait «groover» tout en faisant chanter sa
«grand-mère». L’ensemble nous régalera ce soir-là d’arrangements très écrits
(pas facile de faire jouer ensemble deux instruments aussi proches
harmoniquement que la guitare et le piano) qui ne sont pas sans rappeler
parfois l’art du contrepoint en musique classique mais sans jamais oublier la
liberté de l’improvisation. Et quelles improvisations! Bref, une belle réussite
à poursuivre avec l’écoute de leur premier album, Lucentum.
Enfin, il ne faut pas
quitter l’Alpe-du-Grand-Serre sans souligner les nombreux à-côtés de Jazz’Alp,
tout aussi riches que la programmation elle-même. Ainsi une centaine d’élèves
des écoles du pays ont-il été invités à assister en matinée à une petite
causerie musicale autour de l’histoire du jazz (essentielle en ces temps
pétueux!) animée par Olivier Chabasse et le guitariste Jean-Philippe Watremez.
Ainsi Raphaël Serfati a-t-il tenu tout au long du festival, un stand de livres,
d’albums, de CDs autour de la note bleue et de numéros de Jazz Hot.
Un libraire singulier qui a fondé il y a à peine quatre ans une librairie à
Mens, petite commune de moins de 2000 habitants, dans laquelle il propose
plusieurs dizaines d’ouvrages sur le jazz! Ainsi, enfin, de François Drapier,
graveur, peintre et… trompettiste messin, qui a été invité chaque soir à venir
dessiner les musiciens en direct et qui a pu exposer d’étonnants croquis saisis
sur le vif. Belle alliance entre les arts du spectacle et les arts visuels qui
laisse présager de sympathiques prolongements à Jazz’Alp. Longue vie à toute
l’équipe (qui veut s’agrandir: contactez-les!). On se retrouve l’an prochain
autour d’un murçon.
Pascal Kober
Texte et photos
© Jazz Hot 2022
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Philippe Chagne Quartet, Esaie Cid Quartet, Dany Doriz & Michel Pastre
Caveau de La Huchette, Paris, 16 mars, 2 et 13 avril 2022
Deux ans presque jour pour jour après sa longue fermeture, suivie d'une réouverture sous contrainte, nous étions enfin de retour au Caveau de La Huchette, les contrôles ségrégationnistes étant suspendus. On n'avait pourtant pas l'impression d'avoir quitté le Caveau depuis si longtemps tant les retrouvailles parurent naturelles. Si ce n'est qu'un public très jeune et majoritairement féminin occupe désormais les bancs du sous-sol alors que les habitués de la piste de danse se font plus rares.
Pour nous remettre en train, on a pu compter le 16 mars sur Philippe Chagne (ts), à la tête d'un bon quartet. Une assurance tout-swing, car on sait que le ténor a affuté ses anches dans les sections de cuivres des big bands (Gérard Badini, Michel Pastre, François Laudet...) tout en proposant régulièrement des projets variés (un bel hommage à Mingus en 2018), et dernièrement une relecture jazz de musiques de films concoctée avec ses complices Olivier Defaÿs et Philippe Petit, Swingin' Affair fait sa B.O., parue chez Frémeaux. Au piano, Rémi Toulon, notamment connu pour son trio Take 3 avec le même Philippe Chagne et Robert Ménière, a évolué dans des contextes assez différents, tout comme le contrebassiste Marc Bollengier qu'on a pu entendre auprès de Ronald Baker et Chris Cody, comme de Dave Liebman et Nicolas Folmer. Enfin, à la batterie, Pascal Mucci a tenu les baguettes dans les formations du bluesman Nico Duportal. Au programme des réjouissances, de belles compositions du jazz («Fried Bananas» de Dexter Gordon, «In a Mellow Tone» de Duke Ellington...), quelques blues et ballades sur lesquels le leader s'est exprimé avec profondeur («Doxy» de Sonny Rollins, «On a Misty Night» de Tadd Dameron) et même
un réjouissant passage funky sur le «Watermelon Man» d'Herbie Hancock,
donnant lieu à de savoureux échanges entre Rémi Toulon et Pascal Mucci. Free at Last, comme disait Martin Luther King!
Philippe Chagne (ts), Rémi Toulon (p), Marc Bollengier (b), Pascal Mucci (dm),
Caveau de La Huchette, 16 mars 2022 © Jérôme Partage
Le 2 avril, c'est Esaie Cid (as) qui officiait dans un Caveau bondé (la fièvre du samedi soir!) où l'on retrouvait cette fois ce mélange des publics qui caractérise le club: habitués, danseurs, curieux, touristes, amateurs de jazz, de même que différentes générations qui se côtoient comme nulle part ailleurs. On remarque tout de même une présence plus marquée de jeunes gens qui d'ailleurs s'expriment avec bonheur sur la piste de danse et certains même avec talent! Dans cette ambiance surchauffée, le saxophoniste catalan n'a pas eu de peine à encourager la ferveur de l'audience, soutenu par une belle équipe: Patrick Cabon (p), Kevin Gervais (b) et François Laudet (dm). De «Perdido» (Juan Tizol) à «Tickle Toe» (Lester Young), le swing était au rendez-vous avec parfois quelques nuances latines comme sur «Fiesta Mojo» (Dizzy Gillespie) sur lequel l’excellent Patrick Cabon a accentué la couleur afro-cubaine. Enfin, quoi de mieux qu'une soirée avec deux bons batteurs? Ainsi, au deuxième set, François Laudet a cédé son siège pour quelques titres à Germain Cornet tout à son affaire sur «Jump for Joy» (Duke Ellington).
Dany Doriz (vib), Michel Pastre (ts), Didier Dorise (dm), César Pastre (org),
Caveau de La Huchette, 13 avril 2022 © Jérôme Partage
Le 13 avril un quartet aussi réjouissant qu'original était à l'affiche du Caveau, constitué de deux pères et deux fils: d'un côté, Dany Doriz (vib) et Didier Dorise (dm), de l'autre, Michel (ts) et César Pastre (org). Soit les retrouvailles entre deux familles de musiciens qui partagent la scène depuis longtemps. Dany, le maître des lieux, qui a fêté ses 80 printemps en septembre dernier, est toujours d'une extrême finesse. Didier, batteur précis et énergique, offre un soutien rythmique solide, amplifié par le groove de César qui a déjà un sacré métier. Enfin, ténor au son puissant et suave, Michel Pastre s'impose comme l’un des excellents représentants de son instrument de ce côté-ci de l'Atlantique. Une belle soirée qui redonne l'envie de marcher «On the Sunny Side of the Street».
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot 2022
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JAZZ STAGES © Jazz Hot 2021
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L'Alpe-du-Grand-Serre, Isère
Jazz' Alp, 29 juillet au 2 août 2021
Dans les montagnes de la Matheysine, on ne renonce pas.
Cinq ans déjà qu’avec l’association Courant d’Arts, Gérard Duchamp et ses amis,
Daniel, Marie-Noëlle et les autres, ont lancé Jazz’ Alp, le petit festival de la
(non moins petite) station de sports d’hiver de L’Alpe-du-Grand-Serre. Qui,
comme il se doit, se déroulait traditionnellement début mars, à la fin de la
saison de ski.
L’année dernière, la quatrième édition s’était achevée deux
jours avant le premier confinement, avec un concert des Doigts de l’Homme, le
fameux groupe de jazz manouche fondé au début des années 2000 par le guitariste
Olivier Kikteff. Alors, pour 2021, ils y avaient cru, les bénévoles de
Jazz’ Alp, bâtissant une programmation artistique qui aurait dû nous réjouir des
5 au 13 mars derniers. C’était sans compter le énième confinement ou le énième
couvre-feu qui jetteront tous leurs efforts au tapis. Mais c’était aussi sans
compter l’énergie de l’équipe et sa volonté de ne rien lâcher. Résultat: on
prend les mêmes (ou presque) et on r’commence. En été cette fois… «Car
comment passer deux ans sans festival et sans musique vivante dans nos
montagnes?»
Maracuja, L’Alpe-du-Grand-Serre, 29 juillet 2021 © Pascal Kober
Prologue tout en douceur dès la mi-juillet avec les tendres
chansons à danser de Camille Lachenal, seule en scène avec sa voix, son nain de
jardin et ses petites machines. Une belle découverte! Le jeudi 29 juillet, le
quartet Maracuja ouvrait vraiment les festivités, précédé par un autre quartet,
Ipso Facto, en première partie. Les compositions lumineuses de la flûtiste
Amina Mezaache doivent beaucoup aux riches harmonies du Brésil et à une
instrumentation atypique. La contrebasse est ici remplacée par un soubassophone
aux lignes mélodiques onctueuses et la batterie par un set de percussions aux
sons littéralement inouïs, très sensuels et tactiles, tout de bois et de peaux.
Une très jolie couleur d’ensemble et des arrangements chatoyants et
remarquablement écrits complètent un tableau qui fleure bon les tropiques non
sans rappeler parfois la folie (douce) d’un Hermeto Pascoal. Un enchantement!
Olivier Chabasse (b), L’Alpe-du-Grand-Serre,
30 juillet 2021 © Pascal Kober
La pluie fait des claquettes, sous le barnum, à minuit, le 30 juillet. Sale
temps à L’Alpe-du-Grand-Serre. Même en été. Même avec les ritournelles de
Claude Nougaro dans l’oreille. Ce soir, en solo intégral, Olivier Chabasse fait
un sans faute à tous les niveaux, avec un concert enthousiasmant et une
technique totalement maîtrisée. L’homme est d’abord contrebassiste et, pour la
petite histoire, joue d’ailleurs d’un instrument fabriqué à deux pas d’ici, au
pied du Vercors, par le luthier Christian Laborie. C’est toutefois un autre
luthier qui surprendra le public lorsqu’Olivier sortira son Grand Stick, une
espèce de piano-guitare à douze cordes, conçu en 1974 par l’Américain Emmett
Chapman et qui se joue en «tapping» (une pratique popularisée notamment par
Stanley Jordan) avec les deux mains sur le manche, tenu verticalement, l’une
assurant la ligne de basse et l’autre la mélodie, les contrechants voire…
l’harmonie! Ils sont à peine une centaine en France à s’essayer à cet
instrument singulier dont le premier exemplaire avait été acheté par le grand
Joe Zawinul lui-même et qui, en jazz, nécessite un sacré sens du swing pour ne
pas tomber dans le travers de l’exercice technique pour chien savant. Olivier
Chabasse, lui, est toujours dans la musicalité et le sens de la nuance.
D’autant plus impressionnant qu’il chante aussi sur ses propres
accompagnements, ce qui, foi de bassiste, est en soi très impressionnant! Ses
reprises du répertoire de Claude Nougaro sont pures merveilles et je me demande
bien pourquoi aucun producteur n’a encore signé avec lui pour enregistrer un
album qui se vendrait comme des petits pains à l’issue de chaque concert…
Gérard Duchamp, qui assure la direction artistique d’une
bonne partie de Jazz Alp’, joue lui-même de la contrebasse. Un atavisme qui le
pousse à programmer des musiciens de la note grave? Toujours est-il que le
quintet qui suit est celui d’un autre bassiste, électrique cette fois, qui
écume régulièrement les scènes régionales. Ce soir-là, Philippe Soriano compose
la majorité de son répertoire, à l’exception d’une reprise de «Nardis» de Miles
Davis. Surtout, il est extrêmement bien entouré par des musiciens qui savent la
signification (et la mise en pratique!) du mot «groove». Techniquement, ça
virevolte avec aisance, expression et virtuosité, tout autant sur des thèmes
complexes et des mesures à quinze temps que lors de ce duo d’une rare intensité
entre Pascal Billot, au saxophoniste alto, et Philippe Bonnet, tout en finesse
à la batterie. Un concert que les musiciens présents dans la salle auront
apprécié à sa juste mesure.
Zarhzä, L’Alpe-du-Grand-Serre, 1er août 2021 © Pascal Kober
Les deux jours de clôture du festival se feront sous le
signe de la fête et de la danse sous le chapiteau. Avec Zarhzä tout d’abord,
fine équipe de saltimbanques bien dérangés des tempos, à mi-chemin entre
l’orchestre de bal et le Brass Fantasy de Lester Bowie. En dépit des
températures toujours fraiches, ces énergumènes-là mettront le feu au public
pour finir par chanter a capella parmi les spectateurs. Le lendemain,
précédé en première partie par Soleme, un sextet d’excellente facture sur les
grands standards du jazz (et notamment un très touchant «Blue in Green»), la
petite souris et ses matous affamés feront déferler un blues de derrière les
fagots qui ne laissera personne indifférent: sens du spectacle affirmé et
relation très chaleureuse avec le public, Little Mouse and the Hungry Cats,
jeune formation tout récemment créée, devrait faire un tabac dans les années à
venir si les petits cochons (du showbiz) ne les mangent pas.
Première édition estivale très réussie, donc, pour ce
festival qui sait jouer la carte de la convivialité, de la bonne humeur et des
plaisirs partagés que l’on a trop tendance à oublier aujourd’hui dans d’autres
manifestations. Et tiens, puisqu’on parle de plaisirs, si vous vous rendez à
Jazz’ Alp l’hiver prochain, je vous conseille le sauté de veau et les olives
maisons ainsi que la petite goutte d’alcool de myrte (tout aussi maison) de la
patronne (corse…) de l’hôtel des Gentianes tout proche. Miam!
texte et photos: Pascal Kober
© Jazz Hot 2021
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Kenny Barron, 11 juillet 2021, Saint-Cannat
© Félix W. Sportis
Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
Roger Mennillo Jazz Festival, 11 juillet 2021
Dans l’espace champêtre du jardin Joseph Richaud qui, au
centre de la commune de Saint-Cannat, offre à ses quelques cinq mille habitants
un espace ombragé ceint de murs de pierres aux parfums enfantins, s’est, le
dimanche 11 juillet, clos la 23e édition du Roger Mennillo Jazz Festival. Pour cette dernière soirée gratuite
en forme de jam session, s’étaient réunis parents et amis, élèves et musiciens
de tous âges conduits par le contrebassiste Michel Zenino, pour adresser un
hommage sans tristesse, comme un message de vie continuée, au fondateur de la
manifestation disparu au début de l’année.
La veille, alors que la nuit n’avait pas encore déposé son
voile sur l’assistance, Jacky Gérard, le maire du village, avait ouvert
les
festivités par un message ému et chaleureux à l’endroit de Roger. Après
les
quelques mots de bienvenue chargés d’émotion adressés au public par
Christiane
Brégoli, l’autre animatrice de la manifestation, il promit aux quelques
350 personnes présentes de pérenniser et de donner plus d’éclat encore à
cette manifestation de jazz qui conférait à sa
collectivité, disait-il «un rayonnement bien plus large que la seule
région».
En effet, l’ami Kenny Barron était de retour comme le
symbole de cette volonté de maintenir l’identité du festival; à croire que les
dieux s’y étaient associés, l’endroit connu alors la magie des soirées d’été
comme la Provence en a seule le secret. La formation, composée de Kenny Barron (p), Steve Nelson
(vib), Peter Washington (b) et Johnathan Blake (dm), ouvrit le concert par une
lecture élégiaque d’une ancienne (1932) et belle mélodie d’Irving Berlin, «How Deep Is the Ocean»(1). Dans
une introduction tout en retenue au cours de laquelle, par le traitement des
harmonies, il fit progressivement redécouvrir le thème, le pianiste installa le
climat de la pièce pour permettre au vibraphoniste dans un phrasé aérien de
poursuivre sur quatre chorus, suivis de trois autres
tout aussi lyriques du pianiste, puis de deux autres très profonds du
contrebassiste, le tout accompagné par le jeu aux balais très discret du
batteur. La pièce se termina sur la reprise du thème par l’ensemble, après un
très construit 8/8 du batteur. Belle et discrète homélie à l’ami Roger. En rupture avec le thème précédent, la formation enchaîna
sur un autre standard, au contenu guère plus gai (une brouille de
l’infidélité), «Don’t Explain» (Arthur Herzog et Billie Holiday, 1944). La
composition traitée avec beaucoup d’humour sur un rythme caraïbe (rumba) en
tempo moyen, permettait un dialogue piano/vibraphone plein de vivacité
et d’à-propos, recréation appréciée par l’assistance. Avec le troisième thème, Kenny Barron revint à ses amours,
Thelonious Monk: une composition de 1952, «Monk’s Dream», dont la facture
rythmique fit ressortir la cohérence du groupe et la maîtrise instrumentale de chacun: le pianiste
(trois chorus) en vint à l’épure rythmique soutenu
par une partie de batterie très Philly Joe Jones, tandis que le vibraphoniste (trois chorus) explorait la partie mélodique du thème, notamment
sur le pont. Un moment musical fort du concert qui fut apprécié par les
amateurs de jazz et de swing, nombreux dans ce jardin.
Et, en guise de commentaire musicologique à la pièce qu’il
venait d’interpréter, Kenny Barron enchaîna sur «Body and Soul», la composition
de Johnny Green (1930), dont la version de Coleman Hawkins (1939) constitue une
des pièces historiques du jazz. L’introduction du thème, annoncée par un
traitement monkien de la structure harmonique, éclaira toute l’histoire du
jazz; le pianiste donna musicalement les ressorts rythmiques et harmoniques qui
firent que le Bean soit allé chercher Sphère pour l’accompagner dès 1940.
Formidable commentaire de texte musical aboutissant à une exposition tout en
sobriété du thème par le vibraphone sculpté par le silence. L’ensemble était
soutenu par le bassiste et le batteur aux balais en parfait accord avec le ton
musical choisi. Chacun des musiciens prit ses soli dans l’esprit proposé par
Kenny. Plus de six minutes de grande intensité. Moment rare. L’assistance ne
s’y trompa pas qui applaudit longuement.
Sans prendre la peine d’annoncer l’œuvre
suivante, Kenny Barron, après une courte introduction de
huit mesures, remonta le temps jusqu'à 1928 avec la composition de George
Gershwin, «Embraceable You»,
en tempo medium up. Steve Nelson emboîta le pas joyeux de son leader, le tout
accompagné par une remarquable section rythmique sans retenue. Rupture d’ambiance et d’espace: sur deux chrorus, un duo piano/contrebasse vint apporter une note d'intensité et d'intimité. Durant ce
mouvement original, qui souligna la superbe clarté du toucher de Kenny et la
mise en place exceptionnelle de Peter Washington, le public retint son
souffle avant d'exploser en applaudissements: instants magiques que mit en relief l’entrée aussi discrète que
bien amenée de Blake aux balais.
Kenny Barron (p), Peter Washington (b), Steve Nelson (vib),
Johnathan Blake (dm), 11 juillet 2021, Saint-Cannat © Félix W. Sportis
Ensuite, Nelson, Blake et Washington quittèrent l’estrade,
laissant Kenny Barron interpréter en solo sa composition écrite en l’honneur du
pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim, «Song for Abdullah»(2).
Le public eut tout loisir d’en admirer la rigueur et la beauté. La pièce, aux
accents d'hymne sud-africain dont l'inspirateur s'est fait une spécialité,
fut magnifiquement servie par la maîtrise technique du pianiste dont le détaché
du jeu très classique n’ôtait rien à la lecture romantique de l’œuvre. Le
public de Beaupré, qui avait déjà eu l’occasion de
l’entendre, l’applaudit longuement. Le groupe se reconstitua pour donner en final une version
somme toute assez classique d’un thème qui eut les faveurs des hard-boppers des
années 1950-1960: «Softly as in a Morning Sunrise»,
une très ancienne chanson (1928) de Romberg et Hammerstein, une version qui fut l'objet d’une superbe
interprétation des quatre musiciens. Après un rappel, le quartet donna une version
assez courte de la pièce de Thelonious Monk, «Green
Chimneys» (1966), écrite en référence à une institution qui avait
accueilli sa fille, Barbara, pièce que Kenny avait déjà interprétée dans
une version plus longue, en 2015 à Beaupré, le Kenny Barron Trio comprenant alors Kiyoshi
Kitagawa
(b) et Johnathan Blake (dm). C'est un thème familier de Kenny Barron
qui servit de titre à un excellent album paru chez Criss Cross Jazz
(enregistré en 1983 et 1987).
Dans cette soirée d’exception, il fut permis de retrouver l’esprit
d’une ville, Philadelphie, transcendée par le talent de son leader soutenu
par Johnathan Blake, le
benjamin de la formation né lui aussi à Philadelphie en 1976, dans une
famille de musiciens. Egalement admirateur d’Elvin Jones, ce batteur
tonique et plein de finesse, au son si particulier, s’avéra être ici,
par son drive, un digne successeur de Philly Joe Jones. Né à Los Angeles
en 1964, Peter
Washington, est un
brillant contrebassiste, formé à l’école de Harold Land, des Jazz
Messengers et
de Tommy Flanagan; sa mise en place est irréprochable. Quant à Steve
Nelson, un
natif d’une des Capitales du jazz, Pittsburgh (1954), ses acquis auprès
des
plus exigeants (Mulgrew Miller, Jackie McLean…) firent merveille. Sa
sonorité, combinant le feeling blues à la Milt Jackson et la virtuosité
lumineuse de Lionel Hampton, a ravi le public. La musicalité de ses
interventions trouva à s’exprimer dans ce répertoire très mélodique.
Il n’est point besoin de présenter Kenny Barron. Comme les
grands crus, il se bonifie, si cela est encore possible car c'est un maître du clavier depuis des années. Notre
région, où il s’est produit à de nombreuses reprises, l’avait justement
récompensé de la Médaille d’Or du Conseil Général des Bouches-du-Rhône en 2002
lors du Festival de Jazz de Salon-de-Provence, pour l’ensemble de son œuvre
déjà considérable. Après un superbe concert en piano solo au Mas de Fauchon en 2019 dont chacun se souvenait en l’absence de Roger Mennillo déjà empêché par la
maladie qui l'a emporté, c’était la 7e fois qu’il se produisait à Saint-Cannat en ce 11 juillet
2021. Toujours aussi profond, brillant musicien et compositeur, Kenny Barron est
tout simplement un grand concertiste comme on le dirait de grands interprètes classiques, Gould, Richter ou
Janis.
A la sortie, le public était rayonnant,
chacun s’accordant à reconnaître qu’il avait assisté à une soirée
musicale exceptionnelle. texte et photos: Félix W. Sportis
© Jazz Hot 2021
1. Cette chanson écrite en 1932, en pleine Grande Dépression, dans laquelle le songwriter se pose dans des questions
existentielles auxquelles il ne sait répondre que par l’amour, apporta la célébrité à Irving Berlin.
2.
Né
Dollar Brand en 1934 au Cap, Afrique du Sud, Abdullah Ibrahim, un
pianiste de talent et ami de Kenny Barron, se produisit, en compagnie de
la
chanteuse Bea Benjamin, pour la première fois en Europe au
Festival de Jazz d’Antibes en 1963.
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Rhoda Scott & Thomas Derouineau
Varages (Var), 16 juillet 2021
Varages, jolie commune de 1200 âmes, perchée sur un rocher à la lisière du parc naturel du Verdon, organisait, en partenariat avec Jazz Hot, une grande soirée de jazz le 16 juillet 2021, pour la première fois de son histoire. Près de 500
spectateurs (un record d’affluence!), venus en voisins mais parfois aussi au
delà des limites du département, se sont pressés pour écouter Rhoda Scott
dont la popularité auprès du grand public ne s’est pas démentie. L’organiste,
arrivée au village dans la matinée, avait été invitée à visiter la faïencerie
et le moulin à huile –les deux mamelles de l’artisanat varageois–, ainsi que
l’orgue de l’église Notre-Dame-de-Nazareth dont la restauration fait l’objet
d’une souscription.
Thomas Derouineau (dm) et Rhoda Scott (org), Varages, 16 juillet 2021 © Jérôme Partage
Et le soir, c’est en duo avec le batteur Thomas Derouineau
que Rhoda Scott a présenté quelques titres de son dernier album (Movin’ Blues, Sunset Records), parmi
lesquels, «Blue Law» et «Caravan» (avec
un bon solo de Thomas Derouineau). La formule en duo permettant à «the Barefoot
Lady» d’enchaîner les morceaux au fil de son inspiration, elle a embarqué sans
peine l’audience pour un voyage aux sources de son apprentissage musical, celui
de l’église afro-américaine, notamment évoquée par une version d’une grande
densité de «Come
Sunday» et par le gospel
«I’m Looking for a Miracle». Pour conclure, Rhoda Scott a déployé son
énergie communicative sur un «In the Mood» (l'hymne de la Libération)
qui a soulevé l’enthousiasme
général. On se souviendra de cette belle soirée de l’été 2021, une
salvatrice
respiration, sans contrôles ni contraintes, entre deux serrages de
verrous, sanitaire mais pas que… De ce côté aussi, «we're looking for a
miracle» pour la Libération!
texte et photo: Jérôme Partage
© Jazz Hot 2021
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Lyon, Rhône
Jazz à Cours & à Jardins, 5 et 13 juin 2021
Pour sa dixième édition, ce goûtu festival de la capitale
des Gaules a repris ses aises printanières après avoir été contraint, l’an
passé, à un report automnal. Et c’est tant mieux car Jazz à Cours & à
Jardins, joue ainsi le rôle d’un fort agréable moment apéritif en ouverture des
nombreuses manifestations de l’été.
En vérité, tout a déjà commencé lors de l’International Jazz
Day du vendredi 30 avril par un prélude animé par le patron du festival
lui-même, le multi-instrumentiste François Dumont d’Ayot qui, à cette occasion,
a décidé de maintenir, contre vents et marées, trois concerts de sa propre
formation, un quartet, dans des résidences pour personnes âgées ou «empêchées»
(comme on dit dans la novlangue). Je n’y étais toutefois pas, tout comme j’ai
hélas raté, en ouverture du festival, le vendredi 4 juin, les deux concerts de
Julia Kallman sur les répertoires de Georges Brassens et de Boris Vian.
Le lendemain, c’est dans le jardin de l’Institut Cervantes
qu’il convenait de prendre le frais en début d’après-midi. Faut-il le rappeler?
La particularité de ce festival, c’est de proposer des concerts (à entrée
libre!) dans des lieux habituellement fermés au public. L’intitulé du festival
joue sur cette double lecture: la promesse d’une découverte de sites un
tantinet secrets et une scène insolite où les artistes se répartissent (comme
on dit dans leur jargon) entre cour (à droite pour nous, public, regardant le
plateau) et jardin (à gauche, donc). Cette configuration bucolique est très
séduisante, comme en témoigne ce premier concert de l’Austral Duo, en surplomb
des toitures lyonnaises de la presqu’île. Yves-Marie Bellot et Angelina Pelluet
sont encore étudiants au département des musiques nouvelles du conservatoire de
Lyon mais leurs compositions originales vont littéralement enchanter le public
avec un vrai sens de la mélodie et une jolie voix qui porte des chansons
d’amour sans lien direct avec le jazz mais fort élégamment troussées.
Sylvain Kassap (cl) et Hélène Labarrière (b), Lyon, 5 juin 2021 © Pascal Kober
Changement de décor en fin d’après-midi avec la très
martiale cour de la résidence du gouverneur militaire de la ville. En plein
cœur de la cité, à deux pas du parc de la Tête d’Or, ces quelques centaines de
mètres carrés de vieilles pierres n’ont pas dû souvent accueillir des harmonies
aussi déjantées que celles du duo entre Sylvain Kassap (aux clarinettes) et
Hélène Labarrière (à la contrebasse). Et quel son(ptueux!), cette contrebasse,
pourtant démontable en deux parties! Alors, déjantées certes (pour des
militaires) les harmonies, mais curieusement, ça chante et ça chante même bien,
y compris pour qui ne serait pas sensible à l’univers du free jazz dans lequel
ont longuement évolué ces deux musiciens au fil de leurs carrières. Un bel hommage
sera d’ailleurs rendu au contrebassiste Jean-Jacques Avenel qui a longtemps
joué avec Steve Lacy. Enorme travail sur le grain du son, complicité évidente
dans les échanges (un regard suffit parfois pour passer d’un registre à un
autre), on perçoit là une belle histoire d’amitié qui se poursuit tout aussi
fortement avec l’intégration de François Dumont d’Ayot et d’Attilio Terlizzi,
son batteur, pour achever magnifiquement le concert.
La clôture du festival, le 13 juin, se déroulait, quant à elle, en deux
lieux fort différents: le jazz club Mademoiselle Simone, dans la cour d’un
hôtel situé non loin de la gare de Perrache et le gigantesque parc de…
l’archevêché! Conclusion (mais on s’en doutait…): les archevêques sont mieux
lotis que les amateurs de jazz! Le quintet de Maxime Thomy impressionne. Des
gamins (à peine dix-huit ans pour certains) avec de forts niveaux de technique
instrumentale (notamment le guitariste, Léo Geller, et le batteur, Julien
Ducruet), mais pas seulement. Elèves du département jazz du conservatoire de
Lyon, ils déroulent un répertoire bâti en grande partie sur des compositions
plutôt bien vues mais aussi sur des standards comme la… septième symphonie de
Beethoven, intelligemment transfigurée en jazz. Le second groupe de cette
première partie de journée est le Sud Ardèche Jazz Workshop, un collectif créé
en 1993 qui se produit avec une instrumentation atypique (deux violoncelles,
guitare, basse, batterie et quatre «soufflants»), en intérieur, dans une
décoration de club de jazz qui fait des clins d’œil au célèbre Preservation
Hall de La Nouvelle Orléans.
Peter A. Schmid (s), Lyon,
13 juin 2021 © Pascal Kober
Dans le parc de l’archevêché, panorama somptueux sur la
ville de Lyon et jusqu’au Mont Blanc pour le concert du Suisse Peter A. Schmid.
L’homme joue notamment du tubax, une sorte de saxophone contrebasse en ut (soit
une octave plus bas que le baryton !), inventé tout récemment (en 1993) et qui
compte pas moins de cinq mètres de tuyaux ! La formation réunionnaise qui suit
(Fangar Zanatany) relève davantage du maloya, musique emblématique de cette île
de l’Océan Indien, mais elle fait danser petits et grands dans cet immense îlot
de verdure où sont réunis pas loin de cinq cents spectateurs.
François Dumont d’Ayot assurera lui-même la fin de son
festival en proposant son propre quartet auquel s’adjoint Peter A. Schmid.
Démarrage en fanfare avec un thème très swinguant interprété à l’orgue Hammond,
suivi du titre « Les Cyclamens», l'une de ses compositions en hommage à Steve Lacy («car c’est Lacy qui
l’amène»…) et d’une nouvelle reprise du «Chant des canuts», écrit par
Aristide Bruant en 1894 (sur une antienne populaire anonyme dont la mélodie est probablement antérieure à la Révolution) pour célébrer les révoltes ouvrières de 1831 et 1834 et
repris en forme de complainte par Yves Montand.
Charles Trenet, lui, chantait tout autre chose il y a fort
longtemps: «C’est un jardin extraordinaire / Il y a des oiseaux qui tiennent
un buffet / Ils vendent du grain, des petits morceaux de gruyère ». Jazz à
cours & à Jardins n’aura pas fait la révolution, mais un festival où des
bénévoles vendent, pour presque rien, des quiches lorraines au comté et aux
lardons, mitonnées à la maison, ne peut pas déplaire. Y compris à un Messin
d’origine, pourtant sourcilleux sur la présence de fromages du… Jura dans la
quiche! Longue vie et rendez-vous au printemps 2022 pour la onzième édition.
texte et photos: Pascal Kober
© Jazz Hot 2021
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JAZZ STAGES © Jazz Hot 2020
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François Dumont-d'Ayot © Pascal Kober
Lyon, Rhône
Jazz à Cours & à Jardins, 6 septembre et 10 octobre 2020
Je n’ai pu assister qu’à deux journées de l’édition 2020 de Jazz à
Cours & à Jardins mais quel enchantement de retrouver les plaisirs vrais
des concerts en direct après un été sans festival et tant d’ersatz diffusés de
longs mois durant et jusqu’à la nausée sur les réseaux dits sociaux! La
première (le dimanche 6 septembre) se déroulait dans un site charmant: le
cercle des boulistes (lyonnais, évidemment !) du Point-du-Jour. Ce lieu tout à
fait improbable, situé sur les hauteurs de Lyon, forme un cadre idéal pour de
petites formes intimistes qui ont tout de même rassemblé pas loin de trois
cents personnes. Au menu, petites gâteries culinaires mitonnées par les
adhérents du club (nous ne sommes pas par hasard dans la capitale de la
gastronomie!) et trois concerts. La première partie est assurée par Al Maktaba,
un ensemble oud-guitare-violoncelle-voix-percussions-danse, fort agréable à
l’écoute mais dont le lien avec le jazz est pour le moins ténu, d’autant que
les musiciens ne contextualisent guère les thèmes qu’ils interprètent.
Apparemment des classiques du répertoire oriental mais s’agit-il là de poèmes
amoureux, de berceuses pour les enfants, de chants de révolte ou de résistance?
Nous n’en saurons rien. Attilio Terlizzi, batteur attitré de François Dumont-d’Ayot,
saxophoniste et fondateur du festival, prendra le relais au djembe, aux congas
et au chant pour une carte blanche. Envolées aux percussions harmoniques (vibraphone),
citation fugace du «Spain» de Chick Corea, batterie jouée aux mailloches
pour un duo avec Fred Balsarin, son compère sorcier des sons électroniques,
l’ensemble est joué tout à l’énergie. Et quelle énergie! François
Dumont-d’Ayot le rejoindra sur la fin du set comme pour annoncer le concert de
clôture de la journée.
Une clôture en majesté puisque
le saxophoniste invite une rythmique jazz de rêve réunissant le batteur John
Betsch (swing assuré!) et la contrebassiste Leila Soldevilla (groove imparable
et son magnifique!) pour accompagner le flûtiste Michel Edelin. François
Dumont-d’Ayot s’en donne à cœur joie au fil de nombreux chorus dont certains
très déjantés qui ne sont pas sans lien avec l’expressivité d’un Steve Lacy.
Michel Edelin lance un petit clin d’œil à la photographie avec un thème
(«Prévert Is Now») en hommage à Robert Doisneau et à son fameux portrait du
poète posant dans le O de l’enseigne du magasin Mérode.
A gauche: Michel Edelin, à droite: Leila Soldevilla © Pascal Kober
Le samedi 10 octobre, Jazz à Cours & à Jardins clôturait son
édition avec une pensée pour les malvoyants. Le second concert (auquel je n’ai
hélas pas pu assister) proposait même une création musico-ludo-sensorielle
imaginée par François Dumont-d’Ayot. Le premier se déroulait quant à lui au
siège de l’association Valentin-Haüy qui porte le nom du fondateur, dès le
XVIIIe siècle, d’écoles destinées aux aveugles. Le saxophoniste arrive avec pas
moins de huit saxes différents! Il faut dire que François Dumont-d’Ayot est
très attentif à son propre son et que cette boulimie instrumentale relève
presque de l’esprit de collection pour quelqu’un qui s’intéresse aussi aux
multiples déclinaisons de l’invention d’Adolphe Sax: Conn’O’Sax en fa (dix
exemplaires fabriqués!), soprano blanc, baryton rouge, flûte en si
bémol, alto droit, soprano courbé, etc. Attilio, son batteur, s’en amuse: «Plus
François amène de saxes et plus j’enlève des fûts sur ma batterie!» Autre
singularité côté rythmique: Pascal Bonnet, joue de la basse acoustique fretless, un instrument très peu
pratiqué, à mi-chemin entre la contrebasse d’un Charles Mingus et la basse
électrique d’un Jaco Pastorius. Somptueuse sonorité. Le répertoire quant à lui,
était annoncé autour des standards. Il n’en fut rien ou presque. Nombreuses
compositions, souvent sur des mesures asymétriques, de François Dumont-d’Ayot,
dont l’une, «Mini Mona» dédiée à la fois à l’auteur de la Joconde et à…
Leonardo Vinci!, compositeur baroque napolitain aujourd’hui méconnu.
Le saxophoniste saura
toutefois glisser un standard d’un autre genre, interprété ici dans une version
très groovy à six temps : «Le Chant des canuts», écrit par Aristide Bruant en 1894
pour célébrer les luttes des ouvriers tisserands du quartier de la Croix-Rousse
au XIXe siècle. Bel hommage du musicien lyonnais, comme pour rappeler fort
opportunément en ces temps pétueux, que la révolte pourrait bien gronder à
nouveau…
texte et photos: Pascal Kober
© Jazz Hot 2020
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Dany Doriz & Archysax
Festival de Jazz de Lunel In (Hérault), 13 août 2020
Voilà une performance internationale qui s’est tenue à Lunel dans l’Hérault grâce aux jazz spirits, sorte d’esprit libre,
informel, collectif et indestructible, à travers le temps et l’espace: un
festival live, en vrai donc, avec des
musiciens remontés comme s’ils n’avaient plus joué depuis le 14 mars dernier en
raison d’un confinement moyenâgeux, et leur public démasqués assis ou masqués
en circulation, mais en osmose et en fête dans les arènes; car les aficionados
avaient bien conscience que le plat interdit risquait de ne pas repasser de si
tôt, compte tenu du suicide économique collectif quasi planétaire actuel, à
défaut de soins basiques d’une société développée contre un virus. L’ambiance
était donc au rendez-vous malgré la situation. Les producteurs de ce festival,
le Labory Jazz Club (Production), né en 2005 en hommage à Guy Labory (2 avril
1937 Nîmes-11 octobre 2004, voir Jazz Hot Supplément 616),
un autre passionné combattif à qui le jazz a tout donné et qui le lui a rendu
toute sa vie sans jamais rien lâcher, ont maintenu (partiellement) leur 17e édition, les
12 et 13 août derniers, en entrée libre et gratuite grâce aussi à la Ville de
Lunel. Rien que cette prouesse patiente d’équilibrisme administratif et
logistique pour arriver à aboutir le projet mérite l’admiration.
De gauche à droite: Didier Dorise (dm), Dany Doriz (vib), Jeff Hoffman (g), Geoffrey Secco,
Philippe Chagne, Pascal Thouvenin, Matthieu Vernhes, Olivier Defaÿs © Chaîne YouTube de Dany Doriz
Dany Doriz a intelligemment
profité de cette exceptionnelle fenêtre de liberté pour présenter sa nouvelle
formation en nonet, avec l’Archysax de Pascal Thouvenin (aussi arrangeur),
composée des quatre autres saxophonistes Geoffrey Secco/Philippe Chagne/Matthieu
Vernhes/Olivier Defaÿs, et de Jeff Hoffman (g,voc), Philippe Petit (org),
Didier Dorise (dm), Dany Doriz (vib, lead). Beau succès pour le patron du Caveau de La Huchette toujours
fermé comme d’autres lieux de musique, danse, spectacles y compris à Broadway
confiné au moins jusqu’en janvier 2021! N’hésitez pas à goûter un peu de
cette soirée très spéciale, presque d’un autre temps, pleine d’élan et de swing
sur deux vidéos: l’une, en présentation successive des morceaux joués
sur la chaîne YouTube de Dany Doriz (https://www.youtube.com/watch?v=WQpQLYFD6Zk&feature=youtu.be), l’autre, pour «In the Mood» de Glenn
Miller, le tube de la Libération (un hasard de choix pour les facétieux), sur la chaîne YouTube du
Labory Jazz Club (https://www.youtube.com/watch?v=H3xCMVh_hyw).
Hélène Sportis
Photo: Chaîne Youtube de Dany Doriz
© Jazz Hot 2020
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Jean-Baptiste Franc (p), Fabricio Nicolas-Garcia (b), Gabrielle Sandman (voc), Esaie Cid (cl), Café Martin, 14 août 2020 © Jérôme Partage
Octave et Anatole
Café Martin, Paris, 14 août 2020
Le Café
Martin, place Martin Nadeau, en bordure du Père-Lachaise, est connu des
habitués du quartier pour sa vaste et agréable terrasse ainsi que pour son
excellente cuisine. Le 14 août, ce sympathique établissement accueillait, pour
la première fois, un concert de jazz. En ces temps funestes pour les clubs et
les musiciens, une nouvelle adresse pour le jazz, à l’air libre, est un peu de
terrain regagné par l’art sur l’hystérie organisée. C’est le collectif «Octave
et Anatole» qui a ainsi animé la terrasse, ce jour-là composé de Gabrielle
Sandman (voc), Esaie Cid (as, cl), Jean-Baptiste Franc (p) et Fabricio
Nicolas-Garcia (b). Dotée d’un joli timbre, Gabrielle Sandman a donné à
entendre une série de grands standards dont elle a livré une interprétation sans
artifice inutile: «Exactly Like You», «Taking a Chance on Love», «Ain’t
Misbehavin’», «Lover, Come Back to Me» ou encore «Blue Moon». Ces titres ont
été évidemment l’occasion de profiter aussi des qualités musicales de ses
partenaires. Altiste d’une grande délicatesse, Esaie Cid (Jazz Hot n°674)
a été l’artisan d’un
dialogue tout aussi savoureux à la clarinette («Love Me or Leave Me»)
-instrument sur lequel on entend de plus en plus fréquemment le
Barcelonais qui tend à jouer middle jazz autant que bebop- tandis
que le jeu de Jean-Baptiste Franc (dont a apprécié les solos, notamment
sur
«You’re Driving Me Crazy»), très marqué par l'influence des grands
maîtres du stride, offrait, en complicité avec
l'habile Fabricio Nicolas-Garcia, un soutien rythmique débordant de
swing.
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot 2020
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Esaie Cid Duo & Larry Browne Duo
Péniche Le Marcounet, Paris, 7 et 9 juin 2020
Après
trois mois d'enfermement administratif sans clubs ni concerts ni
festivals, si ce n'est quelques ersatz par écrans interposés
(l'intelligence artificielle promise pour demain), la
réouverture à Paris des terrasses, depuis le 2
juin, a provisoirement rendu la possibilité de consommer le jazz tel que
le recommandait Jean-Paul Sartre: sur place (on préfère les bananes)!
Lieu fort
apprécié à la belle saison pour sa vaste terrasse en bord de Seine, la
péniche
Le Marcounet a donc sonné le rassemblement des musiciens, des danseurs
et des
amateurs de la Capitale, les clubs n’ayant pas encore pu reprendre leur
activité et les festivals ayant déjà renoncé pour l'année 2020. Ainsi,
les concerts donnés, en début de soirée, par les duos Esaie Cid
(as)/Clément Trimouille (g), le dimanche 7 juin, et Larry Browne (tp,
voc)/Jean-Philippe Bordier (g), le mardi 9 juin, ont été l’occasion de
joyeuses
retrouvailles et la petite scène a paru bien étroite pour accueillir les
nombreux musiciens
avides de renouer avec les sensations charnelles du live.
Le 7, le duo formé par Esaie Cid (Jazz Hot n°674) et Clément Trimouille a reçu d’emblée un premier
invité, Pierre Richeux, qui a fait office de contrebassiste titulaire. C’est
donc en trio que s’est déroulé le premier set, les musiciens enchaînant les
titres au feeling: «Angelica»,
«Two Sleepy People», «Main Steam», «Cat
Meets Chick» ou encore «Get Happy», enrobés dans des échanges subtils où
la tradition s'exprime avec dynamisme. Au deuxième set, le trio s’est
transformé
en quartet avec Martin Cazals à la caisse claire. Puis, Dominique
Lemerle (b, voir
notre récente interview) est venu ajouter de la profondeur au swing raffiné d’Esaie Cid
(belles versions de «How High the Moon», «Stryke Up the Band» et «I’ll Be
Seeing You») tandis que Nicolas Rousserie était à la guitare et qu’un second
altiste, Thomas Gomez, donnait la réplique au leader! Enfin, le troisième set a
vu se succéder Lucas Montagnier et François Homps à la guitare, Josselyn Prud'Hom à la
contrebasse, Elisabeth Keledjian et Thomas Racine à la caisse claire, pour se
terminer en sextet avec le renfort remarqué de Noé Codjia (tp).
Noé Codja (tp), Thomas Gomez (as), Elisabeth Keledjian (dm) (g) Esaie Cid (as),
Pierre Richeux (b), Clément Trimouille (g), Le Marcounet, 7 juin 2020 © Jérôme Partage
Le
9, le duo réunissant Larry Browne et Jean-Philippe
Bordier a accordé une large place à la chanson française («Chez moi»,
«La Belle
vie», «C’est si bon», au premier set), les interprétations pleines
d’énergie et
d’humour du trompettiste et chanteur américain étant tempérées par le
jeu du
guitariste, imprégné d’une douce langueur brésilienne. Ces légers
accents bossa
ont encore joliment habillé «La Vie en rose», au deuxième set, avant que
Larry
n’offre une belle évocation de Lee Morgan sur «Blue Gardenia» et une
toute
aussi réjouissante d’Horace Silver sur «Strollin’». Le duo a ensuite été
rejoint par un guitariste (Slim) et une chanteuse (Kristina Ray) sur
«You’d
Be so Nice to Come Home to», puis une trompettiste (Brigitte), avant que
le concert ne
se transforme en véritable scène ouverte, au troisième set, avec
l’intervention d’une
autre vocaliste (Mélissa sur «Two Sleepy People» et «Ain’t Misbehavin’»)
et un
final réunissant deux guitares (Lucas Micheneaud et Sylvain Debrez, habituellement
contrebassiste), un trombone (Clément Garnault), un sax (Armando), un
chanteur
(intéressant mais non identifié) et une troisième chanteuse (Donna
Lorraine)! Lucas Michenaud, Jean-Philippe Bordier (g), Mélissa (voc), Larry Browne (tp, voc), Le Marcounet, 9 juin 2020 © Jérôme Partage
Le Marcounet, ressusciteur d’une vie jazzique
parisienne en déconfiture plus qu'en déconfinement, dans ce monde d'après, qui l'eût dit? Bravo pour son énergie à toute l'équipe de la péniche, devenue la guinguette de sympathiques fins
d'après-midi et soirées, véritables respirations à l'air libre,
favorisées par un bel accueil, dans la triste mascarade concoctée par
Ubu
et ses sbires. Aux amateurs de jazz de se presser dans ce qu'il reste de
lieux indépendants et vivants tels que celui-ci, de lieux de survie
collective devrait-on dire…
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot 2020
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David Blenkhorn (g) et Harry Allen (ts), Caveau de La Huchette, 11 mars 2020 © Alexandra Green
David Blenkhorn Trio + Harry Allen
Caveau de La Huchette, Paris, 11 mars 2020
Aujourd’hui, les portes sont fermées et Paris désert… Nous dédions ce compte-rendu du 11 mars à la démocratie –vitale pour l’esprit, le corps et l’âme–, la seule vraie patrie du jazz du fait même de ses racines. Ce soir-là, nous sommes encore allés swinguer à La Huchette avec le trio de l’Australien David Blenkhorn (g, voc) –comprenant le Suédois Viktor Nyberg (b) et le Danois Andreas Svendsen (dm)– qui accueillait un invité «de luxe», Mr. Harry Allen, originaire de Washington DC. Tous faisant fi de savoir comment et quand ils rentreraient chez eux à l’approche des mauvaises nouvelles d'un prochain confinement étouffant, devant un public d’irréductibles peu nombreux mais privilégiant encore le virus du jazz à tout autre, le set démarre et, pour nous déplomber de l’atmosphère extérieure, commence à nous insuffler de l’énergie, de la chaleur humaine, bientôt un souvenir lointain. Tenant d’une belle tradition du ténor qui va de Ben Webster à Al Cohn, en passant par Stan Getz et Paul Gonsalves, Harry Allen enchaîne les introductions, les chorus, magnifiant, avec une apparente volubilité tranquille mais dans un groove envoutant, quelques très beaux thèmes du répertoire: «On a Slow Boat to China», «Tangerine», «If I Had You», «In a Mellow Tone», «Comes Love», «Embraceable You» ou «Corcovado», en totale complicité avec l’excellent David Blenkhorn aux harmonies colorées, aux notes en diphtongues entre blues et Django, attentif à tous les riffs, à ourler de contre-chants les solos de son invité et de ses autres partenaires de scène. Il faut également signaler le soutien sans faille de la jeune rythmique scandinave également à l’aise dans ses chorus. La soirée s’est joyeusement achevée par un bœuf au goût spécial de dernière liberté, avec en tout trois batteurs, deux bassistes (Alex Gilson), trois sax (Jeanne Michard, Esaie Cid...), un pianiste (Jean-Baptiste Franc), un trompettiste (Björn Ingelstam) et une chanteuse (Megg Farrell), tous venus «partager» l’ambiance hot: soit plus de monde sur scène que dans la salle! Le dernier thème «Lover, Come Back to Me» a permis aux derniers cats de savourer et prolonger l’instant. Oui, «le jazz c’est comme les bananes, ça se consomme sur place», disait Jean-Paul Sartre en 1947, et à cette époque, la liberté de l'instant, le goût des bananes ou l’énergie libre du jazz, c’était revivre. «En attendant Godot», le Caveau de La Huchette a dû éteindre la lumière et le son depuis le samedi 14 mars au soir, sans doute pour sa plus longue période d’interruption depuis 1946. Les musiciens aujourd’hui «confinent» et se filment chez eux, à un, à deux mais séparés au moins d’un mètre règlementaire, avec la solution hydro-alcoolique sur le piano: «le charme discret de la sécurité médicale». Peut-être un jour ferons-nous le compte de tous ceux qui seront morts du virus de la solitude, de la maladie de l’abandon, du manque de soins pour les autres maladies, du manque de feu sacré ou d’énergie vitale, et aussi le décompte de tout ce que nous aurons englouti de nous-mêmes, en nous laissant enfermer, plutôt que de combattre en collectif les virus «de tous poils», avec un réel travail préalable d’anticipation et de soutien des soignants, des anciens et des plus fragiles, avec les remèdes qui guérissent plutôt qu'avec les discours qui culpabilisent ceux qui n’ont qu’une responsabilité limitée (la délégation de pouvoir électorale) dans la régression sociale des services publics et sanitaires organisée par les politiques et le monde économique depuis tant d'années. Pour cela, il faudra plutôt «des chefs d’orchestre qui ont la partition dans la tête, que la tête dans la partition» (Arturo Toscanini, 1867 Parme-1957 New York NY).
Hélène Sportis et Jérôme Partage Photo: Alexandra Green
© Jazz Hot 2020
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10 mars 2020 Le Centenaire de Boris Vian
Hier soir, aux Deux Magots, un des lieux piliers du Saint-Germain jazzo-existentiel d’après-guerre,
étaient fêtés les 100 ans de la naissance de Boris (10 mars 1920), un
des fidèles de Jazz Hot, avant même son adhésion officielle au Hot Club
en 1937, car le Lycée Condorcet de sa rentrée en 1936, est à 600 mètres
du 83 rue d’Amsterdam où le Hot Club, créé en 1932, organise les
concerts de jazz «Hot » dès 1935 (mars 1935, parution de Jazz Hot),
l’année où Boris est malade, surtout d’enfermement maternel, et trompe
l’ennui en lisant et en rêvant de trompette d’occasion à Ville d’Avray,
son très jeune violoniste «à domicile», Yehudi Menuhin, vient de
repartir. Par la suite, ce sera un compagnonnage de grande proximité,
Boris ne s’éloignant jamais à plus d’un kilomètre des adresses de Jazz
Hot, qui symbolise sa conquête d’une certaine liberté, et la dernière
adresse de Boris, Cité Véron, n’est plus qu’à 500 mètres de la Rue
Chaptal. Une histoire d’amour avec le jazz et Jazz Hot où l’espace se réduit avec la maladie, comme dans son prémonitoire et complet Ecume des jours écrit en 1946. Jusqu’à
son décès le 23 juin 1959, Boris ne cessera de combattre les
faux-semblants de convenances, allant jusqu’à pester d’abord contre la
pièce au théâtre, puis jusqu’à son dernier souffle, contre le film (de
Michel Gast sorti le 26 juin 1959!) tiré de sonpolar anti-ségrégation J’irai cracher sur vos tombes écrit
dans une sorte de fulgurance claire et paru dans la foulée, toujours en
1946: là aussi, tout y est, la tension, l'inéluctable. Une exposition
est en cours Aux Deux Magots jusqu’au 23 mars reprenant les différentes
facettes de l’expression de Boris Vian, entre profondeur des tourments
humains et amusements pour tromper la mort, et comme disait son voisin
de terrasse nichée derrière les ailes du Moulin Rouge, l’illustre poète
Jacques Prévert, «Soyons heureux, ne serait-ce que pour donner
l’exemple », un courage forcené pour dépasser les horreurs de
l'histoire. Hier soir, l’assistance était nombreuse et joyeuse,
peut-être un peu loin du jazz et donc de ce besoin de libération
vitalement ancré chez Boris, mais s’amuser non loin de Boris, c'est déjà
une façon de mûrir, et qui sait, aussi vers un jazz libérateur qui à
Paris, en France, n’a trouvé de sens réel dans la population que dans
des temps suffisamment troublés, comme à la suite des deux guerres
mondiales. Pour connaître toutes les activités autour de ce Centenaire: https://centenaireborisvian.com et le site officiel: https://www.borisvian.org/qui-est-il.html
Hélène Sportis
© Jazz Hot 2020
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Laurent Marode Nonet
New Morning, Paris, 29 janvier 2020
Le 29 janvier, au New Morning, l’excellent Laurent Marode (p) assurait
le concert de sortie de son nouvel album, Starting
Soon (Black & Blue), le second avec son nonet, après This Way Please (2016, Black &
Blue). La plupart des musiciens présents sur le premier disque sont toujours de
l’aventure et étaient aussi sur scène (à l’exception de Franck Basile, remplacé
au baryton ce soir par Jean-Philippe Scali): Fabien Mary (tp), Jerry
Edwards (tb), David Sauzay (ts, fl), Pablo Arias (as), Nicholas Thomas (vib),
Fabien Marcoz (b) et Mourad Benhammou
(dm), soit la fine fleur du bop parisien. On connaît les qualités de chef
d’orchestre et d’arrangeur de Laurent Marode qui donne à son nonet l’ampleur étincelante
d’un big band, aidé en cela par des solistes dotés d’une belle énergie, respectueux d’une tradition bien assimilée.
Le Nonet de Laurent Marode avec Isabelle Seleskovitch, New Morning, 29 janvier 2020 © Jérôme Partage
De quoi donner
de l’éclat aux bonnes compositions du leader qui constituent l’essentiel du
répertoire, du chaloupé «Today Is Nat’s Day» (en hommage à Nat Adderley) au
très dynamique «David’s Rush Hour», en passant par un blues d’Yves Brouqui,
«Brook’s Idea» et quelques standards comme «Little Chris» d’Harold
Land que la flûte de David Sauzay habille d’une belle couleur dans l'esprit de l'époque. Maniant
avec habileté l’art de la synthèse, Laurent Marode nous transporte ainsi dans
un monde musical à la croisée des chemins, quelque part entre Art
Blakey et Charles Mingus, voire Lalo Schifrin. Un joli
intermède a marqué le second set avec l’intervention d’Isabelle Seleskovitch
(voc, voir notre chronique), invitée sur deux morceaux: «Get Out of
Town» (Cole Porter) et une version en français du «Sophisticated
Lady» de Duke Ellington, simplement en duo avec le pianiste. Une belle
soirée.
Jérôme Partage
Texte et photo
© Jazz Hot 2020
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Hayati Kafé avec Ahmet Gülbay et Olivier Defaÿs,
Petit Journal St-Michel, 24 janvier 2020 © Jérôme Partage
Hayati Kafé & Ahmet Gülbay Quartet
Petit Journal St-Michel, Paris, 24 janvier 2020
L’été
dernier, nous avions découvert, au festival d’Ystad, le chanteur d’origine
turque, Hayati Kafé, installé en Suède depuis les années 1960 où il a connu le
succès dans les variétés. Il était de passage le 24 janvier au Petit-Journal St-Michel, club-restaurant repris depuis novembre 2018 par un amoureux du lieu et du jazz,
Mehmet Terkivatan, qui partage les mêmes racines, où il était
accompagné par le quartet de son compatriote Ahmet Gülbay (p): Olivier Defaÿs
(ts), Laurent Souques (b), Alain Chaudron (dm). Devant un public restreint
(pour cause de conflit des retraites), mais réuni autour des musiciens
avec une proximité chaleureuse, le crooner d’Istanbul a servi deux sympathiques
sets sous le signe du Great America
Songbook. On retiendra de cette soirée des échanges savoureux
voix-sax
(«Triste» de Jobim), un solo de saxophone chanté par Hayati Kafé sur
«Teach Me
Tonight» de Gene de Paul, les revigorantes interventions d’Olivier
Defaÿs, particulièrement en verve et en swing sur «Too Close for
Comfort», de Jerry Bock
et George David Weiss, et les facétieuses improvisations d’Ahmet Gülbay,
citant entre deux mesures Thelonious Monk, Claude Bolling ou Michel
Legrand. Un
concert avec la spontanéité d’une jam-session, qui s’est conclu avec
l’arrivée
d’Eric Breton (ts) et «La Belle Vie» de Sacha Distel interprétée en
français
par Hayati Kafé. La tradition jazz de la Turquie a retrouvé le temps de
cette soirée une joie qu’on croyait oubliée.
Jérôme Partage
Texte et photo
© Jazz Hot 2020
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Claude Abadie toujours à l'écoute de son orchestre,
Ville-d'Avray, 19 janvier 2020 © Jérôme Partage
Joyeux Centenaire Mr Abadie Suite
Ville-d'Avray, Hauts-de-Seine
Jazz à Vian, 19 janvier 2020
C’est un triple anniversaire que célébrait cette année le
Festival Jazz à Vian de Ville-d’Avray: les 100 ans de Claude Abadie (né
le 16 janvier 1920, cf. Jazz Hot n°661), les 10 ans de du
festival (dont la programmation est assurée par le pianiste Serge Forté), et
les 100 ans de Boris Vian (né dans cette jolie ville, le 10 mars 1920),
la même année peu après Claude.
Revenons donc au plus extraordinaire en ce dimanche après-midi: un
musicien,
chef d’orchestre et arrangeur offre à son public, à l’occasion de ses
100 ans,
un concert complet dans la joie de partager ce qu’il a appris du jazz:
le sens
du collectif et le souci du détail. Claude Abadie a épaté l’assistance
pendant une heure de concert, largement consacrée au répertoire de
Thelonious
Monk, donnant le tempo, fermant les morceaux, dirigeant, souriant,
distribuant et prenant des chorus. Avec autant de précision que
d’humour, l’ancien
élève de l’Ecole Polytechnique a intelligemment présenté et introduit
chaque
morceau, tant pour des explications de structures ou difficultés
musicales,
que de choix spécifiques d’arrangements, ou pour des éclairages
historiques et biographiques concernant les compositeurs et les
morceaux. On a
ainsi pu entendre, avec des arrangements complexes aux harmonies
fidèlement monkiennes, rappelant parfois aussi Duke Ellington, «Blue
Monk», «'Round Midnight» avec la mise en exergue du second pont écrit
par
Cootie Williams, «Epistrophy», «Pannonica», mais aussi un original de
Claude
Abadie, inspiré par Gerry Mulligan, «In Coda Venenum», un titre de Paul
Vernon (ts, longtemps membre du tentet),
«Viv’ment l’15 novembre!», en référence au
beaujolais
nouveau lors de leurs répétitions, ou encore un thème de George
Gershwin, «A
Foggy Day», joliment exposé au baryton. Le concert devait se finir sur
«Alvin
G» (une composition de Phil Woods dédiée à Al Cohn) mais Claude Abadie
nous a
même offert un rappel et pris à cette toute fin, un solo: bluffant! Cet
évènement jazzique restera dans les mémoires comme celui donné par le plus
jeune centenaire de la scène jazz, à l’enthousiasme intact, d’une incroyable
sérénité et gentillesse.
Une vraie leçon de vitalité et de jazz avec ce que cette
musique comporte de patrimoine à relayer par l’écoute, l’oral, la
perception, l’échange dans l’instant. Alors, comme on dit dans les bons
concerts de jazz: One More Time!, Happy Birthday Mr. Abadie! et merci…
Le Claude Abadie Tentet, Ville-d'Avray, 19 janvier 2020 © Alexandra Green
Le Tentet de Claude Abadie est constitué de: Claude
Abadie (cl, dir, arr), Jean-François Higounet (tp, flh), Fernand Polier (tp),
Jean-Marc Farinone (tb), Yves Autret (as), Bernard Bosset (ts), Jean-Philippe
Winter (bar), Luc Triquet (p), Jean-Louis Bisson (b), Albert Glowinski (dm)
Hélène Sportis et Jérôme Partage
Photos: Alexandra Green et Jérôme Partage
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