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JAZZ STAGES © Jazz Hot 2023
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Django Celebration
Sunset-Sunside, Paris, 6 au 20 mai 2023
A l’occasion des 70 ans de la disparition de Django
Reinhardt –le 16 mai 1953– le Sunset proposait une programmation spéciale
s’étalant du 5 au 21 mai. Nous avons suivi cinq de ces soirées qui ont connu un
grand succès et offert un beau panorama de la galaxie Django en 2023, révélant
la proximité et les nuances entre les musiciens, notamment dans leurs façons
d’aborder les compositions du «Divin Manouche».
Guillaume Singer (vln), Edouard Pennes (b), Romain Vuillemin (g), Rémi Oswald (g), Sunset, 6 mai 2023 © Jérôme Partage
Nous avions découvert Romain Vuillemin avec son deuxième
album, Why Not?. Toujours à la tête
de son quartet –Guillaume Singer (vln), Edouard Pennes (b) et Rémi Oswald (g
rythmique, en remplacement de Julien Cattiaux)– le guitariste proposait, le 6
mai, dans un Sunset archicomble, un hommage à Django dans l’esprit et dans la
lettre, et aussi dans la continuité de son propre parcours. Portés par
l’énergie renvoyée par le public, les musiciens ont donné deux sets débordants
de swing et de bonne humeur. Dès le premier titre, «Honeysuckle Rose», ont est
pris par la vélocité du leader (quel solo sur «After You’ve Gone»!). La
complicité au sein du quartet est palpable, les échanges avec le grappellien Guillaume
Singer évoquent bien entendu le duo Django/Stéphane. Les interventions du violoniste
sont d’ailleurs toujours superbes, apportant des touches bienvenues de musiques d’Europe
centrale soulignant son propos (introduction de «Russian Lullaby») ou de musique classique (belle
improvisation sur «Minor Swing»). Romain Vuillemin ajoute de la variété en
chantant sur quelques titres, y compris pour faire patienter le public pendant
qu’il change une corde («Night and Day»). S’appuyant sur la solide rythmique
constituée par Edouard Penne, qu’on connaît aussi comme guitariste, et Rémi
Oswald à la pompe, l’orchestre explore le répertoire djangolien, y compris
les valses composées par le maître («Chez Jacquet», «La Gitane»), jusqu’aux
titres de Stéphane («Ballade», thème qu'il a écrit pour le film Les Valseuses de Bertrand Blier, 1974).
On aura plaisir à suivre Romain Vuillemin qui a sorti en décembre dernier un troisième opus célébrant la
rencontre entre Django et le musette, Three
Sides of a Coin, avec Pierre Cussac (acc) en invité.
Adrien Moignard (g), Noé Reinhardt (g), William Brunard (b), Hugo Lippi (g), Sunset, 9 mai 2023 © Jérôme Partage
Changement de décor avec, le 9 mai, Noé Reinhardt
(petit-fils d’un cousin de Django), Adrien Moignard et Hugo Lippi –tous trois
armés de guitares électroacoustiques qui annoncent une orientation bop et
blues– soutenus par un pilier des rythmiques Django, William Brunard (b).
L’ambiance est à l’intimisme, aux ballades délicates puisées dans les
compositions du maître («Cavalerie», «Nuages») ou les standards («All the
Things You Are»). Babik –qui est l’une des grandes inspirations de Noé– est également
à l’honneur avec son joli thème «Incertitude». Mais c’est dans son approche
originale du répertoire Django que le quartet se révèle le plus intéressant
avec un «Manoir de mes rêves» aux accents funky et un «Tears» très blues que
Noé Reinhardt a arrangé de façon à ce que la mélodie ne ressurgisse qu’en
pointillés. On reconnaît par ci par là quelques accords, on hésite sur
l’identité du morceau, pour enfin identifier l’un des chefs d’œuvres Django et
Stéphane. Un concert tout en subtilités dont on retiendra aussi un «After You’ve
Gone» introduit avec délicatesse par Hugo Lippi pour enchaîner sur un tempo
plus rapide. De la belle dentelle!
Philip Catherine et Antoine Boyer, Sunset, 11 mai 2023 © Jérôme Partage
La soirée du 11 mai
proposait la rencontre entre deux générations: Philip Catherine (80 ans) et Antoine
Boyer (26 ans). Ce dernier est un disciple de Mandino Reinhardt et de Francis-Alfred
Moerman avec lequel il a enregistré son premier CD dès 2009. Philip et Antoine n’avaient joué qu’une seule fois en duo, en 2014, et les retrouvailles se sont déroulées dans la plus grande simplicité: la liste des
morceaux a été rédigée sur un coin de table peu avant le concert! Rencontre
également de deux univers: le son électrique et méditatif de Philip côtoyant le
son acoustique d’Antoine, inscrit dans la tradition Django à laquelle il mêle à
l’occasion quelques nuances hispanisantes («Always»), ce qui s’explique sans
doute par ses collaborations avec le guitariste de flamenco Samuelito. Par
ailleurs, l’extrême sensibilité de Philip a donné des moments de grâce sur
«Lover Man» ou sur sa très jolie ballade, «To Martine». On retiendra aussi un
«Manoir de mes rêves» avec de légers accents brésiliens et deux belles reprises
issues de la chanson française: «Les Amoureux des bancs publics» et «Les
Feuilles mortes».
Gwen Cahue (g), William Brunard (b), Simba Baumgartner (g), Samson Schmitt (g), Sunset, 12 mai 2023 © Jérôme Partage
Le lendemain, Simba Baumgartner (g) et Gwen Cahue (g),
accompagnés de William Brunard (b), invitaient Samson Schmitt (g). Simba, 27
ans, est un enfant de la balle, petit-fils d’Henri Baumgartner (1929-1992), le
fils aîné de Django issu d’un premier mariage (Baumgartner était le patronyme
de son beau-père), connu comme guitariste sous le nom de Lousson Reinhardt. Très
naturellement, Simba se trouve très jeune avec une guitare entre les mains et
monte sur scène dès ses 10 ans, au Bal de la Rose de Monte-Carlo. Pour soutenir
la vocation de leur fils, ses parents se sédentariseront à Samois-sur-Seine. On
connaît mieux Gwen Cahue dont nous avons chroniqué les albums Memories of Paris et Margin Call. Quant à Samson Schmitt, fils
et disciple de Dorado, sa carrière internationale, qui passe régulièrement par
les Etats-Unis (où il a notamment enregistré avec le Django AllStars) parle
d’elle-même. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour une célébration de
Django au plus près de la culture jazz qui s’est développée autour de lui et à
sa suite. Aux guitares acoustiques, Simba et Gwen démarrent le premier set avec
«Night and Day» et «Topsy» (sur lequel Gwen glisse quelques mesures de «Hit the
Road Jack»), soutenus par la sonorité profonde de William Brunard. L’arrivée de
Samson, à la guitare électroacoustique, donne une ampleur supplémentaire à la
musique dont l’esprit est baigné par la sensibilité tsigane. Emotion, intensité
et énergie caractérisent ce concert qui enchaîne «Bossa Dorado» (Dorado
Schmitt), «Blues en Mineur» (avec une citation humoristique du thème de Mission Impossible par Samson),
«Troublant boléro», «Gypsy Swing» (Samson Schmitt) ou encore «Tears» gratifié
d’un superbe solo de Samson. Quel bonheur!
Adrien Moignard (g), Mathieu Chatelain (g), Diego Imbert (b), Alexandre Cavaliere (vln), Sunset, 20 mai 2023 © Jérôme Partage
Le 20
mai, le Sunset était encore plein à craquer pour le trio d’Adrien Moignard
–Mathieu Chatelain (g rythmique) et Diego Imbert (b)– qui accueillait Alexandre
Cavaliere (vln) assurément l’un des héritiers les plus doués de Stéphane
Grappelli bien qu’il s’en distingue par un jeu tourné vers le bop. Une
orientation qui convient bien à Adrien Moignard comme le démontre le choix d’un
titre de Sonny Rollins, «Oleo». Django est bien sûr présent avec notamment
«Webster» et «Flèche d’or» que l’orchestre rend avec dynamisme –excellent
soutien de Mathieu Chatelain et Diego Imbert– et enthousiasme. Les regards sont
complices, les rires affluent, les musiciens prennent du plaisir à jouer et le
public en redemande! L’incontournable «Nuages» est superbement exposé par
Adrien Moignard tandis qu’Alexandre Cavaliere offre un solo de toute beauté,
plein d’intensité. Il introduit ensuite longuement –et toujours magnifiquement–
«How High the Moon» avant d’être rejoint par le reste de la troupe qui dévoile le thème. Autre belle entrée en matière: à la manière de Stéphane,
Alexandre joue sa «Ballade» des Valseuses en pinçant les cordes du violon. Ravissement de l’assistance, jusqu’au fond de
la salle où les amis musiciens sont réunis un verre à la main: Noé Reinhardt,
Simba Baumgartner et Fanou
Torracinta n’en perdent pas une miette!
Bravo au Sunset, en partenariat avec Label Ouest, d’avoir organisé ce bel
anniversaire! On remet ça en 2024?
Texte et photos
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2023
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Bruxelles en mai
Lorenzo Di Maio Everglow Quartet: Lorenzo Di Maio (g), Wajdi Riahi (p, ep),
Cédric Raymond (moog, kb), Pierre Hurty (dm), Jazz Station, 12 mai 2023
Nous pensions bien connaître Lorenzo Di Maio pour
ses prestations au sein de différentes formations belges. Ce soir-là, il nous
proposait en première: un quartet à son nom, sans bassiste et avec quatre
claviers. On aurait pu s’en étonner si le moog n’avait fait l’office du cordiste absent. D’étonnements en surprises nous
allions être servis. Ce fut magnifique du début à la fin par l’écriture simple
et fine, mais surtout par la grande sensibilité qui a prévalu au long de deux
sets et deux rappels. Lorenzo Di Maio propose des compostions sur des harmonies
chaudes (blue notes). Les accords de
base sont égrainés puis enrichis avec des césures qui tiennent l’auditeur en
haleine, les développements progressent en intensité. Le quartet, très soudé,
est totalement au service de la musique et de la direction voulue par le leader.
«Buenos Aires», en
hommage à Astor Piazzolla ouvre le concert. Suivent «Tenacity», puis «Lost» au cours
duquel le guitariste use délicatement des loops pour progresser avec un solo
hallucinant. Je découvre le pianiste Wajdi Riahi. Il suit et surprend par sa
vélocité; sa créativité enrichit la mélodie. Pierre Hurty est juste, collant à
chaque note de chaque phrase, il ponctue quand il faut, où il faut. Le solo
pris en usant des deux grands tomsest lyrique. Avec «Back Home», en swing lent, on mesure le feeling profond du compositeur. Cédric Raymond prend un solo sur lesynthé Prophet et des accents gospel arrivent en finale. Pour débuter
la seconde partie, Lorenzo Di Maio reprend «Woodstock 1969»: un titre de son
premier album, une parenthèse pop-rock dans un livret qui compte encore
«Mélancolie» et un très beau solo en
retenues de Wajdi Riahi. Avec «Détachement», comme pour presque tous les
morceaux, le premier solo est assuré par le guitariste avant ceux du pianiste,
du claviériste et du batteur. La cohésion est tellement parfaite que des chorus
sont pris en unisson guitare/piano. C’est en symbiose totale et crescendo qu’ils vont à
la dernière coda. L’audience est séduite et ses ovations sont gratifiées de
deux rappels.La tournée «Overglow» va sans doute aboutir en
festivals. Il ne faudra pas manquer de réécouter cette beauté engendrée par
Lorenzo Di Maio et ses acolytes.
Lorenzo Di Maio, Jazz Station, Bruxelles, 12 mai 2023 © Roger Vantilt
Bart Defoort Quartet: Bart Defoort (ts), Ron Van Rossum
(p), Sal La Rocca (b), Sebastiaan De Krom (dm),
Jazz Station, 18 mai 2023
Il y avait
longtemps que nous n’avions plus pu écouter un quartet post bop in the
tradition! Bart Defoort et Salvatore La Rocca, 59 ans, sont venus nous rappeler que l’ossature de
l’orchestre de modern jazz se joue en
quartet. A leurs côtés, deux hollandais qui ont pas mal bourlingué en Belgique:
Ron Van Rossum et Sebastiaan De Krom; ils figuraient d’ailleurs aux côtés de
Bart Defoort lorsqu’il reçut le «Django d’Or» de la Sabam en 2008 pour le
meilleur album de l’année. On se
rappelle Ron Van Rossum comme sideman de Jacques Pelzer au Lion s’envoile (Liège, années 1970). Il aurait, parait-il, abandonné la musique et le piano
jusqu’à la reconstitution du quartet de Bart Defoort. Quant à Sebastiaan De
Krom, lauréat du concours des jeunes au défunt «European Jazz Contest» au début
des années 1980, il s’est fait oublier en émigrant à Londres où on le trouve
régulièrement dans la rythmique du Ronnie Scott's.
Le décor planté,
on attendait les vétérans. Pas de problème pour Sal La Rocca puisqu’aujourd’hui
encore il reste le bassiste le plus demandé sur nos scènes. Il nous offrit deux
compositions magnifiquement charpentées: «North Area» et «Dire Non». Quant à
Bart Defoort, il faut avouer qu’on avait un peu perdu sa trace en-dehors du Brussels Jazz Orchestra. D’un
grand classicisme, on admire sa sonorité chaude et sa créativité («With You»).
Sebastiaan De Krom est de classe internationale même si, emporté par son grand
professionnalisme il a parfois tendance à pousser.
Son toucher aux baguettes comme aux brosses est léger, terriblement swing. Ron
Van Rossum fera dans l’économie avant de s’affirmer par une très jolie
composition –«Inspirity »– introduite
longuement à la basse avant les solos inspirés du pianiste et du batteur. La cohésion, hésitante en début de concert,
va s’affirmer au fil des titres qui sont autant des compositions de l’un et de
l’autre. Mon grand âge fit qu’il me fallut renoncer au deuxième set afin de
rester relativement en forme et revenir le lendemain (à suivre).
Ziv Ravitz Trio: Ziv Ravitz (dm), Reinier Baas (g),
Haggai Cohen-Milo (b), Jazz Station, 19 mai 2023
On aime bien Ziv
Ravitz en Belgique: il accompagnera d’ailleurs Nicolas Fiszman (g) pour son
concert à Flagey le 27 mai prochain. Ce n’est pas non plus la première fois que
ce sympathique batteur israélien se produit à la Jazz Station. Kostia, Yannick
et Charlotte lui ont, de commun accord, offert une carte blanche de deux jours, avec deux groupes différents. Pris par
des occupations extra-musicales, je n’ai pu assister qu’au premier des
concerts, le vendredi. Mais aux deux parties, cette fois!
Le batteur, tout
sourire, est présent, souple et attentif derrière ses invités; son solo-seul en
fin de concert est renversant! On est ravi par le jeu du bassiste («Sandwich») en
solos comme en trilles partagées avec le guitariste. Quant au guitariste,
Reinier Baas, qu’en dire? Du bien et du mal. Du bien par sa créativité, du mal
par la sonorité rock de sa Gibson plate. Et puis, il a tendance à mettre le
volume à fond la caisse. Trop de
«brillance» aussi! A côté de cela, il est la vedette de ce soir par ses
compositions qui flirtent allègrement avec la musique post-yiddish. Son expression
est intense, en solo l’accord est sonné pleines
cordes avant son déroulé en single
notes. Son jeu, touffu, est très volubile (trop?). Le guitariste parcourt
le manche et se joue des harmonies. Singulièrement il n’utilise que des
faux-barrés qui lui permettent de faire sonner le mi grave comme une dominante.
C’est surprenant mais peu envoûtant…! Après «The Dragon», j’ai mieux aimé
«Silent Wish»!
Jean-Marie Hacquier
Photo Roger Vantilt
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Cyril Galamini Quartet / Giovanni Mirabassi New Quartet
Stockfish, Nice (Alpes-Maritimes), 4 avril 2023
Schneor Dasniere-ini (g), Sofian El Mabrouk (b), Cyril Galamini (tb),
Stockfish, Nice, 4 avril 2023 © Umberto Germinale-Phocus
Mercoledì 5 aprile lo Stockfish di Nizza, "la più grande tra le piccole sale” come amano definirla gli appassionati, ha ospitato un riuscito doppio concerto jazz. La tradizione di sostenere la scena locale facendo esibire giovani musicisti in apertura di serata dà i suoi frutti permettendo alle giovani leve del jazz transalpino una bella ribalta ed a noi l'occasione di testarne la maturazione. Cyril Galamini, trombonista classe 1997, ha guidato con sicurezza un quartetto completato da Schneor Dasniere-ini alla chitarra e dalla sezione ritmica composta da Sofian El Mabrouk e Max Miguel. Un bel suono ed un fraseggio sempre alla ricerca della melodia sono le caratteristiche principali del leader che, dall'iniziale "Soulville” di Horace Silver alla chiusura monkiana di "Well, you needn't” ha accompagnato piacevolmente il pubblico in una rilettura della storia del jazz moderno. Non sono mancate alcune composizioni originali, sue e del chitarrista, oltre alla classica "Line for Lyons” di Mulligan a testimonianza della predilezione per gli anni 50 senza divisioni in steccati tra cool e bop.
La seconda parte della serata, invece, era dedicata al pianista italiano, da tempo trapiantato in Francia, Giovanni Mirabassi. Al suo trio, formato dal giovane contrabbassista Clément Daldosso e dallo storico collaboratore Lukmil Perez alla batteria, si è aggiunto il sassofono torrenziale di Guillaume Perret che, in questa versione acustica, ha dimostrato di poter competere come suono e fraseggio con i migliori esponenti del suo strumento. Il repertorio del live è stato completamente estratto dal recente disco The Swan and the Storm ed il New Quartet dimostra di aver assimilato le composizioni rendendole con un fuoco ed una libertà maggiori rispetto all'incisione in studio. L'obliquo tema di "Getting nasty”, il melodico omaggio al collega Hersch in "Red for Fred”, il groove quasi inaspettato di "Go with the flow” in contrapposizione alla malinconia della title track o dello scorrere del tempo ("Cinquantuno”, l'età di Mirabassi al momento della composizione del brano) sono il segno di una ulteriore maturazione del pianista. Dal musicista introverso e malinconico degli esordi ad un artista completo che tiene in sé poesia e slancio ritmico, coadiuvato dall'ottimo solismo di Perret e dall'impeccabile sezione ritmica.
Come inatteso bis i quattro hanno deciso di eseguire un brano inedito che uscirà a breve in un cd a nome di Lukmil Perez che vedrà la collaborazione di Chucho Valdés. Un po' di Cuba ha, quindi, chiuso una serata in grado di accontentare il gusto del pubblico che gremiva la sala tenendo insieme storia e.
Adriano Ghirardo
Foto: Umberto Germinale-Phocus
© Jazz Hot 2023
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Giovanni Mirabassi (p), Clément Daldosso (b), Guillaume Perret (ts), Lukmil Perez (dm), Stockfish, Nice, 4 avril 2023 © Umberto Germinale-Phocus
Mercredi
5 avril, le Stockfish de Nice, «la plus grande des petites salles»
comme aiment à l'appeler les passionnés, a accueilli avec succès un
double concert de jazz. La
tradition de soutenir la scène locale en faisant jouer de jeunes
musiciens en ouverture de soirée porte ses fruits, permettant aux talents en herbe du jazz transalpin d'être mis à l’honneur, et à nous, l'occasion de tester leur maturité. Cyril Galamini, tromboniste né en
1997, dirigeait avec assurance un quartet complété par Schneor
Dasniere-ini (g), Sofian El Mabrouk (b) et Max Miguel (dm). Un beau son et un phrasé toujours à la
recherche de la mélodie sont les principales caractéristiques du leader
qui, du «Soulville» d'Horace Silver en début de concert à la conclusion
monkienne de «Well, You Needn’t», a agréablement fait voyager le public
dans une réinterprétation de l'histoire du jazz moderne. Il y avait
quelques compositions originales du leader et du guitariste, ainsi que
le classique «Line for Lyons» de Gerry Mulligan témoignant de la
préférence pour les années 1950 sans barrière entre cool et bop.
La
deuxième partie de la soirée était consacrée au pianiste italien
installé depuis longtemps en France, Giovanni Mirabassi. Son trio,
composé du jeune bassiste Clément Daldosso et de son collaborateur
historique Lukmil Perez, batteur cubain, a été rejoint par le saxophone
torrentiel de Guillaume Perret qui, dans cette version acoustique, a
montré qu'il pouvait rivaliser en termes de son et de phrasé avec les
meilleurs représentants de son instrument. Le répertoire live a été
entièrement extrait du récent album The Swan and the Storm, et le New
Quartet démontre qu'il a assimilé les compositions, les jouant ici avec
plus de fougue et de liberté que lors de l'enregistrement en studio. Le
thème oblique «Getting Nasty», en hommage mélodique à «Red for Fred» de
son collègue Fred Hersch, le groove presque inattendu de «Go With the
Flow», en contrepoint à la mélancolie de la chanson-titre sur le temps
qui passe, «Cinquantuno», l'âge de Mirabassi au moment de sa
composition, sont le signe d'une nouvelle maturation du pianiste. Du
musicien introverti et mélancolique de ses débuts à l'artiste complet,
Giovanni Mirabassi porte en lui la poésie et l'élan rythmique, secondé
par l'excellent soliste Perret et l'impeccable section rythmique.
Comme
rappel inattendu, les quatre ont choisi d'interpréter une composition
inédite qui sortira bientôt dans le CD de Lukmil Perez en leader, avec
la participation de Chucho Valdés en guest. Un
peu de Cuba clôturait donc une soirée capable de satisfaire le goût du
public qui remplissait la salle, faisant cohabiter histoire et
modernité, poésie et rythme, comme seul le bon jazz peut le faire.
Adriano Ghirardo
Traduction-Adaptation: Hélène Sportis
Photo: Umberto Germinale-Phocus
© Jazz Hot 2023
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Patrick Bacqueville Quintet
Caveau de La Huchette, Paris, 1er avril 2023
Samedi 1er avril, nous découvrions un «nouveau» lieu, un incontournable des soirées branchées parisiennes où se pressent les
jeunes touristes en quête de «nouvelles» expériences festives: le Caveau de La Huchette!
Poisson d’avril mis à part, le club plein comme un œuf (les restrictions covid
paraissent bien lointaines) devait recevoir le trio Swingin’ Bayonne (Arnaud
Labastie, p, Patrick Quillart, b, Jean Duverdier, dm) avec Patrick Bacqueville
(tb, voc) en invité. C’était sans compter sur le bazar national provoqué par la réforme des retraites qui depuis janvier mobilise
syndicats et simples citoyens (provisoirement?) sortis de leur torpeur post-covid.
Conséquence du mouvement social, le trio bayonnais est resté en gare faute de
train…
Patrick Bacqueville (voc, tb), Esaie Cid (as), Philippe Milanta (p), Moïra Montier-Dauriac (b), Elisabeth Keledjian (dm),
Caveau de La Huchette, 1er avril 2023 © Jérôme Partage
Qu’à cela ne tienne, l’ami Bacqueville a pris la relève et monté pour l'occasion, comme cela se fait en pareil cas, un groupe constitué d’Esaie Cid (as), Philippe Milanta (p), Moïra Montier-Dauriac
(b) et Elisabeth Keledjian (dm, voc). Ce public juvénile peu familier du jazz, de son répertoire, de son histoire humaine et collective, comme du lien indéfectible entre swing et danse dite be-bop, a été visiblement séduit par
l’ambiance conviviale et généreuse du Caveau: coup de foudre d'un soir ou d'une vie? Le renouvellement du public jazz est une gageure. Se sont ainsi succédé parties instrumentales («I'm Beginning to
See the Light», «Perdido» avec un solo d’Esaie Cid à la virulence parkérienne)
et parties chantées («Sometimes I'm Happy, Sometimes I'm Blue») par Patrick
Bacqueville, «If Dreams Come True» porté par une Elisabeth Keledjian qui, outre
ses qualités de rythmicienne, possède une voix bluesy. Soutenu avec conviction par Philippe Milanta –aux interventions
toujours superbes– et Moïra Montier-Dauriac, à la belle sonorité, le leader a
su capter cette assistance turbulente pour arriver à la brancher sur l'esprit collectif du jazz, soit par ses solos de trombone, soit par
son scat à la Louis Prima qui a suscité l’enthousiasme général, notamment sur
«You Can Depend on Me». Une soirée où le jeune public s'est pris au jeu de l'orchestre, dans la joie et la bonne humeur.
Jérôme Partage Texte et photo
© Jazz Hot 2023
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Bruxelles en mars
Gerald Clayton White Cities: Gerald Clayton (p, org, kb), Marquis Hill (tp), Logan Richardson (as),
Jeff Parker (g), Joel Ross (vib, dm), Bozar, 9 mars 2023
Pianiste américain né en Hollande (Utrecht
1984), Gerald Clayton m’avait fort impressionné à l’occasion des derniers concerts de Charles Lloyd en Belgique. Dès
lors, je m’attendais à ce que la salle M (100 places) du Palais des Beaux-Arts
soit archi-comble. Il n’en fut rien. J’estime l’audience à plus ou moins 75
personnes. La pluie? La grève générale du lendemain?
Le projet pour ce quintet sans bassiste se
veut un hommage au peintre de Chicago: Charles White, chantre antiségrégationniste,
décédé en 1979 à 61 ans. White a parcouru les Etats-Unis depuis Chicago
jusqu’en Californie en passant par New York. Les musiciens du quintet viennent
tous de Chicago, de New York ou de Los Angeles. Gerald, fils de John Clayton, a
parcouru le même chemin que l’artiste-peintre. Son hommage à Charles White se
veut le film de leurs cheminements similaires à travers les States, ses
paysages, ses mœurs. C’est une succession de climats et de couleurs, une
succession de longs chapitres. Le récit s’articule sur des séquences
répétitives avec des accords et des rythmes simples que les musiciens
développent lentement, comme un voyage, avec les vaguelettes du lac Michigan,
les autoroutes monotones, le vent, le soleil et puis la mer. Le concerto
s’émaille de quelques scènes plus dures observées dans le Sud (solo de sax alto,
gospel au Hammond). Le chant des solistes est souvent tapissé par l’unisson
sax-trompette. Le jeu du guitariste est assez anodin avec quelques doigtés
ratés. J’ai été fort impressionné par le vibraphoniste Joël Ross; en solo
il est le plus créatif des accompagnants. Ses passages derrière les drums ne
sont, par contre, que des ponctuations. Mais il faut bien suivre la partition,
n’est-ce pas! Cette partition, elle est envahissante: les musiciens doivent s’y
tenir note par note et lorsqu’on voit poindre un solo, on se réjouit! Je
n’aimais pas trop la sonorité rauque de Marquis Hill alors que Logan Richardson,
alto droit et casquette de travers, m’a laissé un bon souvenir avec un fast-solo coltranien.Gerald Clayton joue de l’orchestre mais
trop peu de lui. On voudrait écouter plus souvent la luxuriance de son jeu.
Lorsqu’il accompagne, la main droite est sur le piano et la gauche sur le
Rhodes ou sur les interrupteurs du loop. L’orgue sert à dessiner les couleurs. Gerald
Clayton est le compositeur et le leader, il impose le démarrage des parties
orchestrées et la place des solos purs, sans accompagnement. Le concert de 90
minutes se termine à l’orgue par un gospel, le salut de rigueur et, en rappel, «I
Love You» de Cole Porter. Satisfaction mitigée!
Olivier Collette Trio: Olivier Collette (p), Victor Foulon (b),
Daniel Jonkers (dm), Jazz Station, 15 mars 2023
Je n’aime pas beaucoup la musique classique
arrangée par Jacques Loussier (p). Mais j’ai quand même voulu tester ce
qu’Olivier Collette, ci-devant pianiste, compositeur et arrangeur émérite,
avait fait de Bach, Chopin, Liszt,
Ravel, Purcell, Mozart, Debussy et
autres Piazzolla. Le concert a débuté par le Boléro de
Ravel suivi de «Liebestraum» du tendre Liszt, une variation d’Olivier Collette
sur le «Prélude en do mineur» de Bach, le «Deuxième mouvement» du Concerto
en sol majeur de Maurice Ravel, un bel
arrangement sur «Badinerie» de Jean-Sébastien, «Cold Song» d’Henri Purcell, le
deuxième mouvement du Concerto n°21 de Wolfgang Amadeus Mozart, «The Little
Negro» de Claude Debussy, la «Valse Posthume en la mineur n°17» de Frédéric Chopin
et, pour terminer le second set: le «Liber Tango» d’Astor Piazzolla. Le rappel
(obligé) se fera avec une variation sur le «Prélude en do majeur» de
Jean-Sébastien Bach. Tous ces morceaux se trouvent sur l’album éponyme Classical Tribute, autoproduit et disponible via le pianiste.Vous dire que j’aime beaucoup Olivier Collette
dans un autre registre, ça ne vous
apprendra rien! Je mentionnerai quand même ce que j’ai le mieux apprécié:
l’arrangement fait sur «Badinerie» et ce que le pianiste fit du «Little Negro». J’ai plus particulièrement et heureusement admiré les excellents
solos du bassiste, Victor Foulon, sur le «Rêve d’Amour» et la «Badinerie». Sur
«Little Negro», l’arrangement d’Olivier Collette a débuté joliment en ragtime et s’est prolongé par des solos de
piano puis de contrebasse, des 4/4 et un vivifiant solo de drums d’un batteur
très effacé dans les autres parties.
Debussy avait vu naître le jazz et, comme d’autres il a voulu s'en rapprocher. Instants
de grâce! Je me suis éloigné vers 20h30
affamé d’authenticités… jazz!
Fien Desmet (voc) et Marjan Van Rompay (as), Jazz Station, Bruxelles, 18 mars 2023 © Roger Vantilt
Wolf Trio: Wout Gooris (p), Marjan Van Rompay (as), Fien Desmet (voc), Jazz Station, 18 mars 2023
Une fois de plus la Jazz Station a voulu nous surprendre avec un groupe de structure non-conventionnelle en offrant sa scène à la saxophoniste Marjan Van Rompay. Cette musicienne m’avait agréablement surpris, il y a une douzaine d’années au festival de Gand, accompagnée par le contrebassiste Janos Bruneel. Avec son troisième album, Circles, la jeune flamande (1985) innove encore et offre à la capitale belge le premier concert de son nouveau groupe. Le projet, très accompli (peut-être trop), réunit Woot Gooris et Fien Desmet. Entre la cheffe et la chanteuse il y a une osmose sur une partition rigoureuse qui laisse peu de place à l’improvisation. Les jeunes dames sont très souvent à l’unisson et quand une prend le lead, l’autre suit à l’octave ou en contrechant («Circles»). Pas de dérapage dans cette union-fusion. Le pianiste assure l’indispensable base harmonique et prend peu de solos («Curtain Call»). La voix de Fien Desmet est claire, bien assurée et juste sur le tempo. Le souffle de Marjan Van Rompay à l’alto est comme un murmure, une caresse. On sent la vibration de l’air. Douée d’une bonne technique, elle travaille les résonances dans le bocal et dans le corps de l’instrument parvenant à doubler le son. Lente ou moderato, les climats sont tendres, nuancés, en retenue. La cohésion alto/voix est parfaite. La voix chantée en «ou-ou» est un véritable instrument. Les paroles interpellent avec un peu d’insistance parfois («Marry Me Baby», «Feel How We Leave Away»). Le public, surpris, attentif, a applaudi discrètement dans l’attente de laisser éclater ses chaleureux vivats en fin de concert.
Jorge Rossy (vib), Robert Landfermann (b), Jeff Ballard (dm), Jazz Station, Bruxelles, 25 mars 2023 © Roger Vantilt
Jorge Rossy Vibes Trio Puerta: Jorge Rossy (vib, marimba), Robert Landfermann (b), Jeff Ballard (dm), Jazz Station, 25 mars 2023
Le mois dernier, je vous ai parlé de mon admiration
pour Bill Stewart (dm). Ce mois-ci, je dois épingler Jeff Ballard (dm) au
panthéon des drummers contemporains et exceptionnels. Je suis loin d’aimer les
solos des batteurs qui en remettent des couches pour épater la galerie! Jeff
Ballard –comme Bill Stewart– c’est tout le contraire: une ouïe attentive, une présence
légère et constante derrière les solistes. Ses solos n’en remettent pas («Pensatina»).
C’est d’ailleurs le cas pour les trois compères avec quelques chorus bien
répartis, bien pensés, essentiels!
Jorge Rossy, et c’est curieux de le constater, a accompagné, comme Jeff Ballard, Brad Mehldau
(p) qui, soulignons-le en passant, se produisait, en solo, le même soir à Bozar!
Le choix de Rossy pour le vibraphone et le marimba n’est pas sans rapport avec
les climats épurés qu'offrent ces instruments; c’est un
désir que le Barcelonais a depuis l’enfance et ses essais à la trompette. Avec
ce trio, dont le mood n’est pas sans
rappeler The Art of the Trio de Brad Mehldau, Jorge Rossy peut développer
ses préférences pour un discours sans fioritures («Fever» de Charles Davis). L’entente entre le
marimba, souvent préféré au vibraphone et les drums, aux sticks comme aux balais,
est parfaite («Sweet Rollin’»). Complémentaire et bien intégré, le bassiste de Cologne assure un accompagnement sûr rythmiquement («Ventana»);
il ose quelques jolies intros en harmoniques («Ho») avec des solos en double-tempo ou en solo-pur
comme pour «Sicilia Cariddi». Colorée, légèrement mélancolique parfois, la
musique du Trio Puerta est envoûtante du début à la fin.
John Beasley (p), Dianne Reeves (voc), Bozar, Bruxelles, 29 mars 2023 © Axel Tihon by courtesy
Dianne Reeves (voc), John Beasley (p, kb, clavinette), Romero Lumbano (g), Reuben Rogers (b, eb), Terreon Gully (dm), Bozar, 29 mars 2023
Après un premier morceau en quartet avec
des chorus de tous les musiciens, Dianne Reeves entre en scène, souriante, dans
une robe longue et ample. Tonnerre d’applaudissements!En une trentaine d’années, c’est la
troisième fois que j’assiste à un concert de Dianne Reeves, et c’est de mieux en
mieux, pardon, c’est plus-que-parfait! Sur le thème, en
improvisation et en scat, sa voix est forte, profonde dans les graves et
juste dans l’aigu. Elle dirige ses accompagnateurs, choisit les césures et les
reprises, distribue les rôles. Aujourd’hui, elle est assurément the first diva of vocal jazz. Dès
l’entame, elle scatte et elle swingue («Povo» de Freddie Hubbard). Entre deux
chorus, elle se dit heureuse d’être là, avec une fantastic audience dans cette belle salle Henri Lebeuf dessinée par
Victor Horta. Suit «I’m All Smiles» sur lequel le guitariste et
le pianiste prennent les premiers solos. «Peace»,
la jolie ballade d’Horace Silver, permet à la diva de nous inciter à plus
d’amour partout et toujours. John Beasley s’illustre par un beau solo au
piano («Yesterdays»). Les Frères Gershwin sont au répertoire et Dianne Reeves a choisi
«Someone to Watch Over Me» et «Our Love Is Here to Say». Sur le fast tempo qui suit, Reuben Rogers (b)
dialogue avec la chanteuse. Il alterner contrebasse et basse électrique à six cordes au gré des couleurs et des climats. Dianne Reeves évoque ses
rencontres avec Herbie Hancock et rend hommage à Wayne Shorter, dont elle
reprend «Footprints ». «Minuano» de Pat Metheny démontre l’inventivité de
la chanteuse. Les scats montent et descendent, aériens, entrainants, nombreux. Romero
Lubambo se voit offrir un solo («Bacchio») avant l’immersion en
orchestre, chant et onomatopées, dans une bossa de Carlos Jobim: «Quiet Nights
and Quiet Stars» continué par «One Note Samba». Présentation du band,
applaudissement des solistes, solos de tous, fausse sortie et puis chaleureusestanding ovation. En rappel,
cabotine, Dianne Reeves fait chanter la salle («You Taught My Heart to Sing» de Sammy Cahn et McCoy Tyner), repose le micro et nous quitte lentement, en chantant. Je n’oublierai jamais Billie Holiday et
Sarah Vaughan mais, pour la maîtrise, le swing et la puissance du chant, Dianne
Reeves est la plus belle voix depuis Ella
Fitzgerald!
Jean-Marie Hacquier
Photos: Roger Vantilt et Axel Tihon by courtesy Avec nos remerciements
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Bruxelles en février
Arbenz x Mehari/Veras: Florian Arbenz (dm), Herman Mehari (tp), Nelson Veras (g),
Jazz Station, 4 février 2023, 18h30
Continuant sur ses récentes découvertes du côté des Helvètes, Kostia Pace, le directeur de la Jazz Station, nous a proposé ce trio sans contrebasse. Il n’en fallait pas plus pour susciter ma curiosité! J’avais déjà écouté Nelson Veras, mais les autres musiciens m’étaient totalement inconnus. J’ai tenu l’écoute pendant tout le premier set. Si, derechef je vous informe de ceci, c’est parce qu’il y a une suite dans ce reportage…
En
fait, pendant 45 minutes, nous avons écouté un leader omniprésent.
Compositeur et batteur, Florian Abenz domine des pieds et des mains ses
deux collègues qui n‘ont sans doute été choisis que pour magnifier le
chef («Burning the Beat», «Groove Eight», «Circus»). S’il offre à
Herman Mehari de jouer une de ses compositions –«Let’s Try Again»– ce
n’est pas, pour le trompettiste, l’occasion de nous livrer une once de
créativité: ses phrases sont mièvres et servies sans aucune nuance et
plus encore, sans groove! Et le guitariste se borne à quelques rares
accords qui viennent en ponctuations des déferlements de batterie. Ce
batteur suisse est extraordinaire et puissant. Inventif, il ne recule
même pas –pour un thème – à mater le son en recouvrant son matériel
d’une couverture. Ses structures, originales, voire complexes,
pourraient être intéressantes avec un peu plus de générosité pour ses
partenaires.
Florian Arbenz, Jazz Station, Bruxelles, 4 février 2023 © Roger Vantilt
Egon Loosveldt (dm), The Music Village, 4 février 2023, 20H30
Il ne sera pas dit que j’ai quitté mes pantoufles pour rentrer tôt. Il me fallait plus et mieux dans les oreilles! Claudiquant, transi, je suis descendu du haut de Saint-Josse au bas de la Grand’Place, bien décidé à aller écouter Emil Vicklkly (p) et Stéphane Mercier (as). Caramba! Encore raté! C’était la veille qu’ils se produisaient au Village. Survinrent alors, pour un premier set de soixante minutes, quatre musiciens et une contrebassiste. J’ai immédiatement réalisé que si du jazz il y aurait, cela devrait être des oldies. Et ce fut du boogie-woogie! De «Why You Want» à «Just a Gigolo» en passant par Nat King Cole, Elvis Presley, Fats Domino, Ray Charles, «Shake Run & Roll», et «Twist Again». Les sixties de mes 20 ans sont venus créer une belle récréation. Ah, oui: ils ont aussi joué «It Don’t Mean a Thing». La formation anversoise est bien rodée avec de très bons musiciens emmenés par le guitariste-leader. Le trompettiste et la bassiste (douée et charmante) chantent également, le plus souvent en backings et wap-doo-wap. Un trompettiste genre Harry James dans l’aigu, un batteur genre Hampton (Lionel) et une contrebassiste qui nous a livré un excellent solo, il faudrait être bégueule pour ne pas goûter à ce plaisir-là aussi! Las, à 22 heures, je n’ai pas trouvé de concert baroque!
The Cream Colored Ponies, Music Village, Bruxelles, 4 février 2023 © Jean-Marie Hacquier
Abdullah Ibrahim (p solo), Flagey, 8 février 2023
Salle Quatre comble au Centre Culturel Flagey pour le premier des concerts des «Piano Days» dont c’est la 10e édition. Abdullah Ibrahim, 88 ans, droit comme un I, avance à petits pas puis s’installe derrière le clavier du grand Fazioli. Après quelques secondes de silence, comme pour nous inviter à la méditation, il entame 45 minutes ininterrompues, comme à son habitude, de songs tirés de ses nombreux enregistrements et, plus particulièrement de l’album Solotude enregistré en 2021 (Gearbox Records). Les chansons, souriantes en mode majeur, nostalgiques en mineur, se succèdent et se lient, «Mannenberg» notamment. Le toucher est sensible, sans précipitation, ponctué de silences qui laissent couler l’accord jusqu’à nous. La main gauche est parcimonieuse. Bien souvent, une simple note dans les graves souligne le tempo. Les césures évoquent Monk, l’harmonie et les altérations Ellington. Les couleurs de ces mosaïques restent lumineuses mais diaphanes. On revoit Invictus et le sourire de Madiba. Les mélodies, sensibles, parlent de l’Afrique du Sud, de ses hymnes et de ses rythmes balancés, sortes de gospels des townships. Abdullah Ibrahim s’interrompt, se lève, recueille les applaudissements nourris, joint les mains pour dire merci. Le bouquet de fleurs traditionnel est remis brièvement par une jeune dame puis il repose les mains sur les touches pour une de ses plus jolies compositions, «Wedding», qu’il livre en entier. Après une nouvelle salve d’applaudissements debout, Abdullah Ibrahim chante la main à l’oreille à la Bécaud. Personne ne sait s’il s’agit d’un chant malay (du Cap) en langue xhosa, mais on fait silence et on respecte. A la sortie on resplendit comme revivifié!
Fabrice Alleman (ss, ts, voc, whistlle)/Reggie Washington (b, eb), Jazz Station, 10 février 2023
Ce mois-ci, Kostia Pace a choisi de nous
proposer des concerts solo, duo ou des associations instrumentales
non-conventionnelles. Ainsi, cette semaine, à la veille du concert solo de
Lionel Loueke auquel je ne pus assister, il offrait de venir découvrir, le
vendredi soir le duo entre Fabrice Alleman et Reggie Washington. Surprise:
la salle est pleine malgré l’absence de bières d’Orval depuis plus de deux
semaines!
Après le quart d’heure académique –une tradition dans les pays latins–,
les musiciens ouvrent sur «Nardis» de Bill Evans, contrebasse et sax-soprano.
La suite du concert, comme annoncé, fait la part belle aux compositions de
Wayne Shorter et John Coltrane. Pour «Beauty & the Beast», Reggie Washington
empoigne la basse électrique alors que Fabrice Alleman ajuste une anche sur le
soprano et se lance. Pour le middle-part,
il ponctue chaque séquence de deux notes au saxo par deux notes chantées à
l’aigu, call & answer, entre l’instrument et la voix. Suit
«Lennie’s Lament» de Trane. Reggie Washington garde la basse électrique alors
que Fabrice Alleman saisit le ténor, ajuste l’anche et le bocal, le porte à ses
lèvres, le repose et reprend le soprano. Après un solo de guitare-basse,
Fabrice chante dans la même tessiture que le soprano. Son second solo, il le
donne au ténor et part dans les suraigus. Au long du concert, il hésitera
souvent entre s’exprimer au ténor ou au soprano. Mais c’est incontestablement
au soprano qu’il est le plus à l’aise! Perfectionniste sans doute, il change
l’anche qu’il grignote et suce avant chaque morceau. Concession aux «saucissons» ensuite, les musiciens nous livrent un «Sweet
Georgia Brown» endiablé avec un solo en respiration continue et une coda sur
«Salt Peanuts». Pour clôturer la première partie, les compères jouent «Wayne’s
Thang» de Kenny Garrett avec, de nouveau des reprises soprano-voix et le thème
sifflé par Fabrice qui invite le public à le suivre pareillement… ou à peu de
choses près!
La seconde partie reprend avec «Infant
Eyes» de Wayne Shorter (eb+ss), suivi par l’imparable «My Favorite Things»,
version Coltrane (b+ss, eb+ss) et «26-2» (ts+b) du même John. Après le salut à
la salle, les jazzmen lancent «Sunny». Reggie Washnington est superbe à la guitare-basse.
Le public réclame un deuxième et court rappel et c’est «Four», contrebasse et
sax-ténor. En mémoire de ce très bon concert et nonobstant un petit côté show assumé par Fabrice (sifflet, voix),
je garde dans ma mémoire émerveillée la sonorité de Fabrice Alleman. Je me suis même fait la réflexion: C’est sans doute un des plus beaux sons de soprano que j’aie entendu depuis
Sidney Bechet.

Reggie Washington et Fabrice Alleman, Jazz Station, Bruxelles, 10 février 2023 © Roger Vantilt
Introducing Eliott Knuets: Eliott Knuets (g), Olivier Collette (p), Stéphane
Guillaume (ts, ss, fl), Sam Gerstmans (b), Pierre Hurty (dm), Les Lundis d'Hortense, Jazz Station, 15 février 2023
Des vents favorables avaient soufflé à mes
oreilles: tu dois absolument écouter Eliott
Knuets, un guitariste de 19 ans appelé à un bel avenir. Pour m’en
convaincre, j’avais marqué d’une pierre blanche la date du mercredi 15 février à mon calendrier troglodytique. Bien
installé, le dos à la colonne et face à la scène, j’ai commencé par tester une
bière inconnue puisqu’il n’y a toujours pas d’Orval dans les frigos de la Jazz
Station! Après le quart d’heure habituel, les musiciens montent sur scène à la
suite d’un «gamin-une-guitare-à-la-main». Sam Gerstmans est à la contrebasse,
Olivier Collette au piano, Pierre Hurty aux drums et puis un saxophoniste dont le nom et le visage ne me
sont pas inconnus, Stéphane Guillaume, de Paris, France.
Le premier morceau du premier set est déjà
une composition du jeune guitariste, «Cranes», écrit sans doute un 31 octobre,
jour d’Halloween! Il expose le thème aux doigts avant de prendre le solo au
plectre. La technique est parfaite en allers-retours; on peut déjà être rassuré
quant aux recommandations reçues! Stéphane Guillaume, réjouit, prend la
deuxième partie, d’une belle sonorité pleine. «Into The Storm» est co-écrit par Eliott Knuets et Olivier Collette qui n’est autre que l’oncle de la vedette et
son mentor. La musique s’envole, forte et swingante. On note que le guitariste
ne regarde jamais la position de ses doigts sur le manche. Malgré un fast-tempo, juste un œil au lutrin pour la suite des accords. Il use d’une Gibson
semi-plate et non découpée; les notes sont vibrées à chaque césure. Ça balance
grave et plus encore lorsque Stéphane Guillaume prend un solo éblouissant.
Suivent un nouveau solo d’Elliott, un autre d’Olivier Collette et un premier de
Pierre Hurty. J’avais découvert ce dernier à l’occasion d’un tournoi des jeunes
talents au festival de Dinant, il y a... quelques années, avant le covid. Que de progrès accomplis par
ce batteur, quelle assurance! Encore un original d’Eliott Knuets, «Strange
Feeling», avec un superbe solo de Sam Gerstmans. Je ne vous décrirai pas Sam
Gerstmans: il est parfait sans doute, le
meilleur bassiste belge qu’on ait eu depuis le départ pour la France de
Philippe Aerts! On poursuit avec «Body and Soul» entamé seul par le guitariste
avant la suite des solos, sax ténor, guitare, piano et la reprise du thème. Le dernier morceau du premier set est
une compo récente d’Eliott Knuets qu’il intitule, faute de mieux, «Blues».
Pour la deuxième partie, nous aurons droit
à deux compositions d’Olivier Collette, «Bounce» et «Cascatinha», une rumba exposée en unisson
piano et flûte. Mais aussi et encore trois originaux d’Eliott Knuets, décidément
prolifique: «Happy Tune», «Circles» avec Stéphane Guillaume au soprano et «Little Song» avec de belles relances de
Pierre Hurty. Les bravos n’en finissent pas et le rappel ne manquera pas à l’appel. «How Deep Is the Ocean» nous
vaut de superbes 4/4 joués en trio guitare/basse/batterie.
Minuit! Voici, l’aube sur une découverte
importante, un successeur aux Reinhardt, Thomas et Catherine dans la dynastie
des guitaristes belges qu’on peut retrouver sur le dernier disque d’Olivier
Collette, Heptone Colours. Choix judicieux et majeur pour ce concert des
Lundis d’Hortense!
Jean-Marie Hacquier
Photos: Jean-Marie Hacquier et Roger Vantilt
© Jazz Hot 2023
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Julie Campiche Quartet
Jazz Station, Bruxelles (Belgique), 27 janvier 2023
La jeune direction de la Jazz Station porte
son choix de programmes –en dehors des musiciens Belges– sur des groupes
internationaux sensés nous surprendre par l’originalité ou l’instrumentation.
Ce fut encore le cas ce vendredi-là avec le quartet suisse de la harpiste Julie
Campiche (Leo Fumagalli, ts, Manu Hagmann, b, Clemens Kuratle, dm). Faisant fi
des étiquettes, ces Helvètes surprennent agréablement au déroulé des thèmes de
leur second album, You Matter(autoproduit).

Julie Campiche, Jazz Station, Bruxelles, 27 janvier 2023 © Roger Vantilt
Tous les instruments sont reliés aux
chambres d’échos et loops via des pédaliers. En totale ignorance de la musique
qui sera prodiguée, on pourrait s’attendre à un déluge de décibels. Il n’en est rien. Les effets sont magistralement
utilisés au service d’une musique réverbérée mais en nuances. Les musiciens se
côtoient depuis cinq ans en parfaite symbiose créatrice sur des canevas
originaux du leader, du batteur ou du saxophoniste («Lies», «Fridays of Hope»,
«Aquarius»…). Les références sont multiples: le jazz pour les syncopes, les
breaks, l’articulation, les tensions/détentes, les improvisations, la créativité
(solos de Leo Fumagalli); la pop pour l’aspect songs; le classique pour le lyrisme, l’harmonie, les passages
concertants. L’écriture rigoureuse est riche et se meut dans les tempos et les moods (ballades, références indiennes).
La harpiste murmure, l’Orient danse aussi. L’ossature des morceaux tourne, en
solo, à deux, à trois, ensemble. Chaque musicien est excellent. On est pris
dans le climat frais distillé par la réverb’;
les voix coulent dans la vallée et leurs échos glissent sur le flanc des
montagnes helvètes. Notre attention est soutenue, émerveillée. Ce sont des
symphonies de couleurs. Alors, jazz ou pas jazz?... C’est l’extase? Oui! Trois
fois oui!
Jean-Marie Hacquier
Photo: Roger Vantilt
© Jazz Hot 2023
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JAZZ STAGES © Jazz Hot 2022
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Monte-Carlo, Monaco
Monte-Carlo Jazz Festival, 9 novembre 2022
A Moodswing Reunion: Joshua Redman (ts), Brad Mehldau (p), Christian McBride (b), Brian Blade (dm)
Brad Mehldau (p), Joshua Redman (ts), Christian McBride (b), Brian Blade (dm),
Monte-Carlo Jazz Festival, 9 novembre 2022 © Umberto Germinale-Phocus
All'interno della variegata
programmazione del Monte-Carlo Jazz Festival, la serata che destava maggiore
interesse negli appassionati era quella del 9 novembre 2022 in cui la Salle Garnier
ospitava la reunion del gruppo di all-stars composto da Joshua Redman, Brad
Mehldau, Christian McBride e Brian Blade. Era il lontano 1994 quando
un quartetto di promettenti giovani pubblicava quel MoodSwing, sotto il nome di Redman, che oggi
rappresenta un classico del modern mainstream. Quei musicisti, nel
frattempo assurti a stelle di prima grandezza, hanno continuato a collaborare
ed incontrarsi in vari progetti fino alla reunion culminata nei dischi RoundAgain (2020) e LongGone (2022) ed alla tournée tuttora in corso.
Il concerto monegasco ha
confermato il livello di interplay quasi telepatico sviluppato negli anni dal
quartetto e la continua ricerca di nuove soluzioni all'interno di strutture che
tengono insieme tradizione e modernità. Il concerto, iniziato con
due composizioni di Redman tratte dal nuovo disco LongGone («Long Gone» e «Kite Song»),
ha messo in luce la crescita espressiva di un combo in grado di passare
dall'esuberante postbop delle origini ad una musica in grado di inglobare anche
influenze provenienti dalla musica colta soprattutto grazie allo stile di
Mehldau ma pure nella ricerca timbrica dei sassofoni di Redman. I voli improvvisativi dei
due principali solisti sono stati impeccabilmente stimolati e sostenuti da una
delle ritmiche più swinganti della scena contemporanea in cui McBride, sia
nello stile che in composizioni come la blueseggiante «Floppy diss»,
rappresenta l'anima più dichiaratamente afro-americana. La ballad «Sweet Sorrow»,
che apriva il disco MoodSwing con una atmosfera di rarefatta intensità, ha
rappresentato uno dei momenti di maggiore intensità di un live che, in un'ora e
mezza, non ha mai avuto momenti di cedimento. La vitalità di Redman,
l'introversa sapienza armonica di Mehldau ed il gioco di rimando continuo fra
McBride e Blade hanno scaldato il pubblico «costringendo» il gruppo ad un
doppio bis. Se il primo, tratto dal
disco di Mehldau Highway Rider a cui Redman partecipò, sembrava programmato
gli applausi persistenti hanno portato i quattro a sciogliersi nel trascinante
blues finale a dimostrazione di come pure le strutture armoniche più semplici
sappiano sempre, nelle mani giuste, riservare emozioni e sorprese.
Ed è questo il segreto del jazz che, quando evita di cercare contaminazioni a tutti i costi, resta la migliore sintesi fra la complessità armonica europea ed il trascinante ritmo africano.
Adriano Ghirardo
Foto: Umberto Germinale-Phocus
© Jazz Hot 2022
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Brad Mehldau (p) et Joshua Redman (ts), Monte-Carlo Jazz Festival, 9 novembre 2022 © Umberto Germinale-Phocus
Au sein de la programmation variée du Monte-Carlo Jazz Festival, la soirée qui a suscité le plus d'intérêt chez les passionnés est celle du 9 novembre 2022 où la Salle Garnier a accueilli les retrouvailles du groupe all-stars composé de Joshua Redman, Brad Mehldau, Christian McBride et Brian Blade. Cela fait longtemps en 1994 que le quartet de jeunes artistes prometteurs sortait ce MoodSwing, sous le nom de Redman, qui représente aujourd'hui un classique du courant moderne. Ces musiciens, entre-temps devenus des stars de premier ordre, ont continué à collaborer et à se rencontrer dans divers projets jusqu'aux retrouvailles aboutissant aux albums RoundAgain (2020) et LongGone (2022) et à cette tournée toujours en cours.
Le concert de Monaco a confirmé le niveau d'interaction presque télépathique développée au fil des ans par le quartet et la recherche continue de nouvelles solutions au sein de structures qui maintiennent ensemble tradition et modernité. Le concert, commençant par deux compositions de Joshua Redman tirées du nouvel album («Long Gone» et «Kite Song»), a mis en lumière l’expressivité croissante d'un combo capable de passer du post-bop exubérant des origines, à une musique capable d'incorporer également des influences de la musique savante surtout grâce au style de Mehldau mais aussi à la recherche de timbres des saxophones de Joshua Redman. Les envolées d'improvisation des deux principaux solistes ont été impeccablement stimulées et soutenues par l'une des rythmiques les plus swinguantes de la scène contemporaine dans laquelle Christian McBride, tant par le style que par ses compositions, comme la très blues «Floppy Diss», représente l'âme la plus ouvertement afro-américaine. La ballade «Sweet Sorrow», qui ouvrait l'album MoodSwing, dans une atmosphère d’une profonde intensité, a été l'un des moments forts d'un concert qui, en 1h 1/2, n'a jamais connu de fléchissements. La vitalité de Joshua Redman, la science harmonique introvertie de Brad Mehldau et le jeu continu de références croisées entre Christian McBride et Brian Blade ont chauffé le public jusqu’à «imposer» au groupe un double rappel. Si le premier, tiré de l'album Highway Rider de Brad Mehldau auquel a participé Joshua Redman, semblait programmé, les applaudissements persistants ont conduit les quatre musiciens à se fondre dans le blues final envoûtant démontrant à quel point les structures harmoniques les plus essentielles savent toujours, entre de bonnes mains, générer des émotions et des surprises.
C'est là le secret du jazz qui, lorsqu'il évite la recherche de pollutions à tout prix, reste la meilleure synthèse entre complexité harmonique européenne et rythme africain envoûtant.
Adriano Ghirardo
Traduction-Adaptation: Hélène Sportis
photo: Umberto Germinale-Phocus
© Jazz Hot 2022
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Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme
Jazz en Tête, 18-22 octobre 2022
Clermont-Ferrand est une ville spacieuse, calme, accueillante,
sans pièges à touristes, où il fait bon vivre, dans le souvenir de la lave des
volcans, appelés puys en Auvergne.
Comme toujours, à l’origine d’un festival de jazz, on
trouve quelques passionnés kamikazes. C’est ainsi qu’en 1988, Xavier
Felgeyrolles, qui organisait déjà des concerts, décida de passer à la vitesse
supérieure pour créer, avec son association, un festival, qui en est à sa 35e année! Ce festival fonctionne uniquement avec des bénévoles, une quarantaine au
moment du festival. Seuls quelques techniciens sont rémunérés au coup par coup.
Programmé en dehors de la saison d'été, la programmation est principalement constituée de
musiciens et de groupes qu’on voit rarement, ou pas du tout, dans les autres
festivals. C’est l’originalité et la saveur de Jazz en Tête qui organise deux concerts par soir à partir de 20h.
18 octobre
Grève oblige, trains supprimés, je rate les deux
premiers concerts, et pas des moindres: Jet All Stars 22 avec Steve Nelson
(vib), Kenny Davis (b), Biily Kilson (dm); puis Gonzalo Rubalcaba (p) et
Aymée Nuviola (voc)…
19 octobre
Premier train supprimé. Un deuxième est bon mais
j’arrive en gare à 19h33. Le concert de 20h a du retard. Ouf! M’y voilà assis,
prêt à l’écoute.
Jim Rotondi
Quintet
Au cours du concert, dans un français parfait, Jim
Rotondi nous conte une anecdote touchante. En 2002, à Jazz en Tête, il était
avec un groupe auquel le festival avait adjoint une traductrice. Après le
concert, il invita celle-ci au restaurant, elle accepta, et depuis, dit-il,
j’habite avec elle. Bien sûr, le morceau suivant «Julie» lui sera dédié.
Jim Rotondi (tp, flh) a débuté chez Lionel Hampton
puis joué avec le Big Band de Charles Mingus, George Coleman, etc. C’est un trompettiste
au son déclamatoire dans l'esprit new orleans, d’une grande maîtrise sur toute la tessiture,
une puissance et une vélocité rares dans
le suraigu. Un phrasé qui va de Louis Armstrong jusqu’à Wynton Marsalis en passant par
les boppers. A la contrebasse Darryl Hall, bien connu chez nous, à la pompe
aérienne et joyeuse. Danny Grissett est au piano, dans la descendance Teddy
Wilson, parfait dans ce quintet. Jon Bouteiller est un sax ténor rentre dedans
au gros son texan, qui atteint la suavité de Stan Getz sur les tempos lents. Il
est aussi l’arrangeur ainsi que le compositeur de quelques morceaux. Le clou du
programme c’est Jason Brown à la batterie. Un régal! Je n’avais plus entendu
ces friselis, ces froissements, ces caresses des balais depuis longtemps. Aux
baguettes, c’est l’incendiaire, le réchauffement climatique garanti. Un quintet
roboratif, solide, collectif, in the tradition.
Pas loin des Jazz Messengers. Cela fait du bien de revenir au jazz mainstream,
histoire de remettre le train sur ses rails…

Danny Grissett (p), Jim Rotondi (tp), Jon Bouteiller (ts), Darryl Hall (b, caché),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 19 octobre 2022 © Serge Baudot
Mark
Guiliana Jazz Quartet
J’ai entendu pour la première fois le batteur Mark
Guiliana dans le disque ultime de David Bowie (Black Star) aux côtés de jazzmen, dont Donny McCaslin (s), et
j’avais dressé l’oreille. Depuis il est devenu le phare de la nouvelle
génération. Tel qu’on l’a entendu ce soir, il est ce qu’on appelle un batteur
africain, à la façon Dennis Charles, toutes proportions gardées, c’est-à-dire
qu’il joue des tambours frappés, les roulements sont très rares chez lui. Il réussit à
marquer le temps tout en l’encadrant de figures rythmiques. Dans son long solo,
c’étaient les rugissements des lions dans la forêt. Batteur atypique qui sort
des coloristes à la mode. En soutien il est étincelant, sans fioritures, ça
pulse. Avec le pianiste Jason Lindner on peut croire parfois qu’on entend
Debussy et Fauré jouant du jazz. Grande richesse d’accords dans
l’accompagnement. Jasper Høiby est un contrebassiste à la pompe bebop, d’une
vélocité incroyable, très mélodique dans ses solos. J’ai gardé le meilleur pour
la fin, le saxophoniste Jason Rigby, dans la descendance de Coltrane, grande
puissance, énergie sans faille. Il joue concentré, dans le recueillement. Il
développe de longues mélodies sur des ostinatos du groupe, jusqu’à la transe. Toute
la musique de ce groupe, tout à fait dans le jazz d’aujourd’hui, repose sur ces
longues mélodies qui rendent l’écoute si prenante, avec quelque chose de
religieux.
Jason Lindner (p), Jasper Høiby (b), Jason Rigby (ts), Mark Guiliana (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 19 octobre 2022 © Serge Baudot
20 octobre
Mino Cinelu
Mino Cinelu ou l’art de la scène. Il trône vêtu de
blanc entouré de ses percussions, et de temps en temps, se déplace vers l’avant
scène ou vers ses musiciens, dégageant ainsi une présence heureuse. Il joue de
la batterie debout. Toujours décontracté et souriant en pleine connivence avec
ses deux compères Tony Tixier (p, clav), et Raynald Colom (tp). Deux
Martiniquais et un Américain, pour le meilleur, dans ce trio hors norme formé
spécialement pour Jazz en Tête. Le jeu de trompette de Raynald Colom montre une
ressemblance avec le jeu des trompettistes des Balkans, la puissance en plus.
Il nous gratifiera d’un solo absolu plutôt recherché, mélodie tendance
orientale, captivante, avec des intonations qui font croire à une trompette
à quatre pistons, mais il n’y en a que trois. Le pianiste joue de ses claviers
avec grande aisance. Le groupe joue beaucoup sur les ostinatos des claviers
assurant une légère hypnose qui fait entrer dans la musique. A certains moments,
Mino Cinelu se sert d’une sorte de tambour électronique duquel il sort des sons
incroyables. Il utilise tout son matériel avec maestria. S’emparant de sa
guitare, il nous offre une chanson éclatante, à l’orée du gospel ou du chant
africain. A noter un émouvant hommage à Joe Zawinul qui nous a quittés en 2007.
Et Mino Cinelu a le rythme dans la tête et dans le cœur. Certes il y eut
quelques facilités, quelques flottements, broutilles tant le concert était
dense, fougueux et enthousiasmant.
Tony Tixier (p), Mino Cinelu (perc), Raynald Colom (tp),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 20 octobre 2022 © Serge Baudot
Samara Joy
On m’avait beaucoup parlé de Samara Joy. Et la voilà
qui apparaît, souriante, vêtue d’une courte robe rose, dans l’éclat de sa
jeunesse. Elle s’adresse gentiment, longuement, au public. D’ailleurs elle va
parler, trop, entre chaque chanson; elle raconte des histoires, des anecdotes,
à un public non anglophone… Mais avec une telle candeur, une telle joie, que ce
public est ravi. On sent en elle le besoin de se faire aimer.
Dès les premières notes, on se demande d’où lui
viennent ce talent, ses possibilités vocales, son sens du jazz. On la compare
souvent à Ella Fitzgerald, elle n’en a ni la puissance rythmique, ni ce swing
communicatif. Elle est absolument dans la descendance de Sarah Vaughan, avec
encore plus de possibilités vocale. Elle passe de l’extrême grave contralto au
suraigu soprano, caracolant, cascadant là-haut, avec une aisance, une
souplesse, une douceur qui défient l’imagination, au niveau d’une cantatrice.
Elle atteint la puissance des chanteuses gospel (les vraies!).
Elle est accompagnée par le remarquable pianiste Vincent Bourgeyx qui suit la chanteuse dans toutes ses ruptures et inflexions,
Mathias Allamane toujours solide et
inventif à la contrebasse, un son boulet de canon, et Malte Arndal à la
batterie, très classique, mise en place exemplaire et qui tient le groupe à la
baguette. Très bon trio classique avec de la pêche et la joie de jouer. Soutien
cinq étoiles pour la chanteuse.
Samara Joy est bien meilleure sur les standards que
sur des compositions nouvelles. Plus à l’aise, décontractée. Entre autres un «‘Round
About Midnight» complètement renouvelé, on entend dans la mémoire celui joué
par Miles et Coltrane. Il s’en dégage un charme et une émotion sans pareilles.
Vraiment du grand art. Et surprise des surprises, elle chante divinement «La
Mer», en français, sans accent, alors qu’elle dit ne pas parler français.
D’autres grands moments sur «Memories of You», «I Remember You», «September Song», et
d’autres…Et puis un morceau a cappella, sans failles, d’une pureté absolue,
dans lequel elle fit montre de toutes ses possibilités. Au fond elle pourrait
se passer d’accompagnement! A Jazz Diva is Born.
Vincent Bourgeyx (p), Samara Joy (voc), Mathias Allamane (b), Malte Arndal (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 20 octobre 2022 © Serge Baudot
21 octobre
Biréli
Lagrène, Solo Suites
Un concert solo guitare. Diable! Beaucoup passerait
leur chemin. Biréli Lagrène, vêtu de blanc, entre en scène sa guitare à la
main. Il s’assoit derrière le micro, enserre sa guitare. Seul en scène, pas
d’appareils, pas de pédales. Une guitare acoustique, c’est tout, mais pour lui
c’est un tout qui signifie beaucoup, qui signifie qu’on peut jouer une musique
sublime sans de multiples accessoires, qu’on peut justement pratiquer une
musique au zénith.
Un lyrisme à la Django, une technique époustouflante,
une virtuosité hallucinante, au service de sa musique. Incroyables la rapidité
des doigts, la rapidité des enchaînements d’accords: sa guitare est un orchestre
à elle toute seule. Exemple: il joue l’introduction de «Birdland», accords pleins,
on entend Weather Report. A l’autre extrême, on a quelques notes d’une partita
de Bach, et même carrément un morceau d’une œuvre de Bach, swinguée. On aura une longue et merveilleuse suite partant de
«‘Round About Midnight», à la fois étincelante et lyrique, qui glisse vers «Les
Feuilles mortes» et d’autres chansons connues. Réjouissant! Ce diable de guitariste nous a tenus en haleine
pendant plus d’une heure, et on en redemandait…
Biréli Lagrène, Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 21 octobre 2022 © Serge Baudot
Eduardo
Farias Brazilian Trio
Le Brésil et le jazz ont toujours fait bon ménage. La
nouvelle génération ne dément pas cette perception. Eduardo Farias vient des favellas.
Il a appris le piano à l’église et jouait chez lui sur une planche où il avait
dessiné les touches blanches et noires. Depuis, il a fait un long chemin,
jouant de plusieurs instruments, composant, enseignant. Un musicien complet. Il
a étudié et joué avec tout le gratin de la musique brésilienne et son écoute
des grands pianistes de jazz: Bill Evans, Gonzalo Rubalcaba, Brad Mehldau, etc.
Il s’est donné une technique prodigieuse avec une vélocité de formule 1: le
Biréli Lagrène du clavier! Ce qui se démontra sur «April Child». Grand
improvisateur, il n’oublie jamais la mélodie dans ses envolées. C’est un
pianiste de la joie, de la chauffe et de l’enchantement. Un hommage émouvant à
Carlos Jobim.
A la batterie, Antonio Carlos Harlando joue dans la
cour des très grands batteurs. Des frappes sèches qui bloquent un roulement par
exemple, chose rare aujourd’hui une utilisation quasi continue des cymbales,
une mise en place et un swing à faire danser Satan. Il écoute les autres et les
propulsent, avec la pompe sanglante et le contrepoint de la contrebasse
d’Hermeto Coridor. Certes la bossa et la samba sont souvent présentes, mais
depuis Stan Getz on sait que ça jazze parfaitement.
Un invité surprise, le saxophoniste Baptiste Herbin,
qu’Edouardo présente comme son grand frère. Dès les premières notes, on sent la
connivence entre les deux. C’est un saxophoniste mélodique et incantatoire, visant
à la transe lui aussi, par de longues phrases sur un son puissant. Pas de
déballage, seulement de la musique.
Premier rappel, «Vera Cruz», avec un solo de batterie
embrasé. La salle en liesse. Deuxième rappel, une samba piano-sax à vous
envoyer vivre au Brésil. Troisième et long rappel, «The Girl of Ipanema», le
pianiste seul donne toute sa ferveur, son émotion, sa sensibilité, prouvant que
la musique n’est pas qu’un orage de notes, même si c’est bien aussi. Un concert
des plus généreux qui galvanisa le public.
Darryl Hall (b), Eduardo Farias (p), Baptiste Herbin (as), Antonio Carlos Harlando (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 21 octobre 2022 © Serge Baudot
22 octobre
Grabriel
Fernandez Mundo Trio
Le saxophoniste Gabriel Fernandez est né à Montevideo
(Uruguay) mais a fait ses études musicales à Clermont-Ferrand. Il fait partie
des musiciens de jazz d’Auvergne, c’est donc, comme on dit, le régional de l’étape.
Un jeu sobre, mélodique, plutôt mainstream, de la conviction et de
l’engagement. Malheureusement, il est accompagné par un guitariste laborieux, à
côté de ses pompes, rarement en place, ne jouant que des plans. Une
insuffisance compensée par Jean-Luc Difraya qui tient la batterie et les
percussions. Il est également un chanteur haute-contre, et lorsque son chant
éclate comme les grandes orgues de la cathédrale, le groupe s’envole, hélas
pour peu de temps. C’est un batteur dans la tradition qui a joué avec tout le
gratin du jazz français. Mais pourquoi diable s’est-il entêté à accompagner de
longs morceaux basés sur le tango, mais détournés, au cajon, instrument anti
jazz au possible, alors qu’il avait tous les tambours du monde. Il y eut quand
même de belles réussites comme la ballade sur un tango de 1932 de Carlos
Gardel.
Jean-Marie Frédéric (g), Gabriel Fernandez (ts), Jean-Luc Difraya (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 22 octobre 2022 © Serge Baudot
The
Mountain Four All Stars
Quatre grands du jazz réunis pour la circonstance.
Ils ont tous joué à Jazz en Tête à un moment ou un autre, mais jamais ensemble.
Le guitariste et chanteur Lionel Loueke, au jeu parcimonieux mais profond,
chaque note a son poids; il joue parfois staccato, peut monter au brasier. Il
chante d’une voix bien timbrée tout en jouant des rythmes avec les lèvres, épaulés
par le batteur Antonio Carlos Harlando qu’on avait entendu avec Eduardo Farias,
et qui remplaçait Eric Garland; il était en feu balayant tambours et cymbales,
propulsant le groupe, rallumant le Puy de Dôme. Joe Sanders est remplacé par un
contrebassiste indien, Harish Raghavan, de la grande école de la basse jazz,
une pompe démoniaque, des solos inattendus, des notes boulets de canon et quel
swing! Une découverte qui rend heureux. Au sax ténor, Walter Smith III. Il joue
constamment avec Ambrose Akinmusire ou Eric Harland. Il a progressé en écoutant
tous les grands saxophonistes de Charlie Parker à Coltrane et Wayne Shorter, il
est un condensé de ces deux maîtres, et pas seulement. Sûrement l’un des
saxophonistes les plus intéressants de la jeune génération, le plus inventif.
Tout de noir vêtu, debout au centre du groupe, yeux fermés, statue du
commandeur. C’est parti pour une longue introduction rubato qui va monter en
pleine exaltation, dans un jeu collectif, le quartet en osmose totale. Les
morceaux seront bâtis sur ce modèle, à l'exception des interventions en solo. On
aura, entre les incendies, des morceaux très lents, rêveurs, qui vous titillent
tous les nerfs. Le jazz est merveilleux, il suffit que des musiciens se
rencontrent et jouent ensemble, et ça fonctionne du feu de dieu.

Lionel Loueke (g), Harish Raghavan (b), Walter Smith III (ts), Antonio Carlos Harlando (dm),
Jazz en Tête, Clermont-Ferrand, 22 octobre 2022 © Serge Baudot
En plus des concerts, tous les soirs, dans le bar de
l’Océania, se tenait une jam-session très fréquentée jusqu’à l’aurore. Ça
jazzait dur autour d’un verre. Et dans les couloirs et les ascenseurs de
l’hôtel toujours du jazz pour vous accompagner. L’originalité de Jazz en Tête, en dehors de la programmation est d’organiser des concerts Hors les
Murs dans le Puy de Dôme, plus d’autres concerts et actions diverses.
Dans le Hall de la Maison de la Culture on pouvait
flâner devant quelques œuvres photographiques. Des photos noir et blanc de
musiciens de jazz, immortalisés par Michel Vasset. D’autres noir et blanc
également de «Women in Jazz» très impressionnantes de Patrick Del Corpo. Et des
dessins jazz de Cabu, qui rendent joyeux. Il écrivait: «Le jazz, ça me rend dingue. J’esquisse quelques pas de swing et je
danse dans ma tête.»
Tout est dit. Après ce festival pas comme les autres,
le jazz nous danse dans le corps et dans la tête.
Serge Baudot
Texte et photos
© Jazz Hot 2022
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Pascale Elia, Eben-Emael, 19 août 2022
© Jean Schoubs
Eben-Emael, Belgique
Jazz au Broukay, 19-20 août 2022
Avant toute chose, il est important de
situer sur une carte la commune d’Eben-Emael! Je vais vous aider… C’est une
petite enclave wallonne en province de Limbourg, au Sud de Maastricht (Pays-Bas),
entre les autoroutes E25 et E313. On y arrive au départ de Liège en
franchissant successivement la Meuse et le canal Albert. Arrivé dans cette
petite commune, vous vous rendez compte que vous êtes allé trop loin puisque
votre GPS sur lequel vous avez tapoté «Moulin du Broukay» vous indique
de faire demi-tour et d’emprunter une petite rue puis un petit chemin qui vous
amène au départ d’une promenade à vélo le long de la rivière (le Geer). Stupeur!
Deux camionnettes grises vous empêchent de poursuivre. Un «officiel» vous
enjoint de garer votre véhicule, de continuer à pied ou de vous asseoir dans
l’un des transports offerts aux festivaliers. Après être monté à bord et avoir cahoté entre bocages et pâturages
pendant deux ou trois kilomètres, vous êtes arrivé. Les tentes du festival se
dressent en bord de piste, entre rivière et colline, à côté d’un ancien moulin
à eau aménagé en centre culturel. Invisibles mais proches: les dragons ailés de
la tour d’Eben-Ezer vous épient à travers les feuillages. Vous vous promettez
de revenir bientôt visiter cette tour construite à l’aide de silex par un
passionné d’ésotérisme. Fin de la visite touristique, début des festivités!
Nous sommes le vendredi 19 août, il est 18h30.
Jean-Pol Schroeder a concocté pour l’ouverture
un cocktail vidéo intitulé Peace and Jazzqui, de manière anachronique, de Louis Armstrong à Don Cherry, nous plonge dans ce creuset commun à notre
musique: «liberté, égalité, solidarité» mais aussi contestation et révolution. Bam Trio (Maxime Moyaerts, org, Bastien
Jeuniaux, g, Arnaud Cabay, dm) occupe la scène à partir de 20h. Le jeune
Cabay (fils du vibraphoniste Guy Cabay) n’est, semble-t-il, pas encore arrivé à
maturité. Bastien Jeuniaux (g) séduit par un toucher souple, juste, mélodieux;
Maxime Moyaerts (org) ne nous surprend plus, mais c’est toujours avec grand
plaisir qu’on apprécie son groove puissant
à la manière d’un Jimmy McGriff ou d’un Lou Bennett (faut pas l’oublier celui-là)!
La clôture de la première journée était
placée sous le charme, la grâce, la puissance et le timbre chaleureux de
Pascale Elia (voc) et son Homin’In Quartet: Pascal Mohy (kb), Werner Lauscher
(b) et Adrien Verderamé (dm). On n’a pas oublié la jolie chanteuse liégeoise.
Partie sur la West Coast en 2005, elle nous est revenue en 2019 après cinq ou
six albums, après des tournées internationales dont le Japon. Avec un répertoire
de standards, quelques compositions et un amour particulier pour la bossa nova
(«Desafinado»), elle enchante par un timbre profond, justement nuancé et une
présence (puissance) qui ne cède en rien aux grands noms de l’histoire
américaine («Con Alma», «I’ll Never Be Another Me, Another You», «The Man I
Love», «What Is This Thing Called Love»…). Werner Lauscher (b), 59 ans, natif
d’Aix-la-Chapelle, est sérieusement implanté en Belgique (Pepinster); il joue
et accompagne la plupart des solistes belges et les étrangers de passage (Bob
Mintzer, Charlie Mariano, Joachim Kuhn…); son jeu est solide, parfaitement juste
et volubile quand il le faut; sa modestie va de pair avec le timide mais
talentueux pianiste liégeois Pascal Mohy (ici au Fender Rhodes). Adrien
Verderamé (dm) –le frère de Mimi– est moins présent sur la scène jazz bien
qu’ayant déjà accompagné Pascale Elia en 1995. Rien n’est à jeter dans ce
quartet soudé qui swingue et séduit.
Pour débuter l’après-midi du samedi,
quatre cents personnes se pressaient autour des tentes, de la musique, de la
bière et des saucisses. Volle backcomme on dit à Bruxelles et à Bilzen, carton
plein pour les francophones du Sud! Dès 18h, dans la première tente,
un big band baptisé «Slim Bigband Vitzkids» réunissait sous la direction
d’un prof' de sax alto un ensemble de jeunes issus des académies hollandaises
de Heerlen et Maastricht, mais aussi
d’Aix-la-Chapelle. Une belle illustration de ce qu’on nomme ici
«l’Euregio». Etonnante cette formation
jouant des chansons jazzy émaillées de solos par de très jeunes musiciens, comme
ce tromboniste de 6 ans et ces deux batteurs qui alternent et qui doivent avoir
entre 8 et 10 ans («Moanin’»).
Comme d’habitude, la journée du samedi est dédiée
au jazz manouche. Et, comme de bien
entendu, il fallait un descendant de la dynastie Reinhardt. Ce soir, ce sera
Dylan (g), auteur de «For Austin» et d’une jolie ballade dédiée à son fils. Le
trio intitulé «Sweet Caravan» est conduit par l’excellent Jean Borlée (b). La
guitare rythmique est dans les mains de Jérôme Nahan, facteur d’instrument, ami
de Dylan. Au répertoire: «Bluesette», «Les Valseuses» de Stéphane
Grappelli, «All the Things You Are» et, en rappel, rien moins que «Yardbird
Suite» de Charlie Parker. Le jeune Reinhardt livre un jeu clair, séduisant mais
sans grandiloquence alors que Nahon, surprend, et pas toujours agréablement, par ses choix lorsqu’il
s’affiche en soliste.
Joachim Iannello, Eben-Emael, 20 août 2022 © Jean Schoubs
Clou du festival: Joachim Ianello (vln)
Trio avec les solides Nicolas La Placa (g) et Nicolas Puma (b). En invité,
Rocky Gresset (g), le soliste véloce de Thomas Dutronc. La musique suscite
l’hystérie d’un public connaisseur et/ou imbibé de bières. «Stompin’ at the
Savoy», «Pent up House», «Si tu savais», «For Sefora» (le tube de
Stochelo Rosenberg), «Webster» et «Troublant Bolero» de Django, «Cherokee» et,
en rappel: «I can’t Give you Anything but Love». Comme il se doit, les tempos
sont soutenus, rapides et, en prime, une corde en moins à l’archet. Joachim
Iannello, qu’on avait déjà entendu là-bas avec Johan Dupont (p) est un musicien
de très grande classe, inspiré et créatif à souhait. Rocky Gresset (g) ne s’en
laisse pas compter sur le compte de l’intensité et de la vitesse; la rythmique est inébranlable; snaps de Nicolas Puma
(b), accompagnement rythmique sûr de Nicolas La Placa qui prend même de très
beaux solos à la guitare sèche. Fin de cette deuxième journée idyllique! Tiens,
il y a eu un violent et court orage sur le dernier thème? J’ai failli ne pas
m’en apercevoir!
Heureux, comblé, je n’ai pas fait le chemin qui
aurait dû aboutir au troisième après-midi. Et pourtant, le Gumbo Jazzband et
son lindy-hop méritaient sans doute le détour. Il y a pas mal d’activités,
touristiques, sportives, culturelles ou culinaires qui émaillent la vie du
Broukay; il faudra y revenir un peu plus souvent!
Jean-Marie Hacquier
photos: Jean Schoubs
avec nos remerciements
© Jazz Hot 2022
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The Drew Davis Sextet (ts): César Pastre, Xavier Nikqi, Kevin L’Hermite, Thomas Mestres, Jean-Marc Labbé
© Yves Sportis
Pléneuf-Val-André, Côtes-d'Armor
Jazz à l'Amirauté, 16 août 2022
Comme si de rien n’était, le festival Jazz à L’Amirauté,
créé en 1995, de cette petite ville –tricéphale– des Côtes-d’Armor que baigne la
baie de St-Brieuc, a repris ses activités après deux années de mise entre
parenthèses pour cause de covid. «Tricéphale», parce que la commune regroupe la
jolie ville terrienne de Pléneuf, le charmant port de Dahouët au Sud, départ il y
a un siècle encore des derniers baleiniers qui se rendaient jusqu’à Terre-Neuve,
et de la station balnéaire, chic, de Val-André à l’architecture du début du XXesiècle, principale attraction touristique estivale.
Quand on arrive dans le parc de l’Amiral avec sa bâtisse et
ses grands pins centenaires, sa scène et ses tennis, en dehors de la sécheresse
qui a frappé ici comme ailleurs, on pourrait penser que la vie ne s’est pas
arrêtée. Et pourtant, la précédente édition, c’était il y a trois ans déjà et,
bien entendu, il s’en est passé des choses. D’abord, un nouveau maire, étonnamment
jeune (moins de 35 ans), Pierre-Alexis Blévin, a été élu. La tête pleine de
projets, dont celui du réaménagement-agrandissement, à vocation culturelle, du
parc de l’Amirauté et des locaux, il prolonge avec enthousiasme le soutien
municipal qui dépasse maintenant le quart de siècle.
La direction du festival s’est renouvelée et étoffée. Si
Elie Guilmoto est toujours le directeur artistique, il a passé le relais de la
présidence, pour la dimension organisation à un duo, deux fidèles membres
de l’association, Marie-Pascale Flouriot et Daniel Baudouart. Le changement dans
la continuité, vrai pour cette fois, élargit ainsi le cercle des décideurs et
des responsabilités, sans changer l’esprit, la convivialité, le bénévolat de
tous, et la personnalité de la programmation, qualités qui restent le modus operandi de cette trentaine
d’ami(e)s au service du jazz et de leurs concitoyens, dans la bonne humeur et avec simplicité (pas de service d’ordre apparent), réalité largement appréciée par le
public toujours aussi fidèle et nombreux.
Comme vous le savez par les précédents comptes-rendus (2019), c’est un festival hebdomadaire –tous les mardis des mois de juillet et août, du 5 juillet au 23 août en 2022. La beauté de la mer n’est plus la seule raison d’aller à Pléneuf-Val André, et en dehors des vacanciers, les spectacles attirent dans un rayon qui s’élargit à St-Brieuc, Rennes, voire Brest et Paris. Il y a aussi toujours nos amis anglais qui considèrent encore que, grande ou moins grande, les deux rives du Channel, c’est toujours la Bretagne.
Le parc et la scène de l'Amirauté et les nouveaux co-présidents Daniel Baudouart et Marie-Pascale Flouriot © Yves Sportis
Cette année, c’est la dynamique Champion Fulton qui a ouvert
le festival (5/7), suivie de la bonne formation de Pauline Atlan et Louis
Mazetier avec Nicolas Montier (12/7). Les célèbres Haricots Rouges ont fêté
leurs 60 ans ici (29/7), et le 26 juillet, c’est le parrain du festival
en personne, Philippe Duchemin (avec Patricia Lebeugle et Jean-Pierre Derouard)
qui ont captivé l’assistance d’après les échos que nous en avons eu. Le mois
d’août a débuté avec la légendaire Rhoda Scott (2/8) qui ne déçoit jamais, The
One-Eyed Cats & Mirek Mokar & His Boogie Messengers, dont la longueur
du nom n’a pas lassé les auditeurs.
Avant le clap de fin de l’édition 2022 avec le Gaalad
Moutoz Swing (23/8), nous avions choisi le 16 août pour rendre visite à cette
scène, à cette équipe swing & hot, et à la formation totalement dans
l’esprit de Drew Davis qui fait le bonheur des amateurs de la musique de danse,
indissociable de l’histoire du jazz, en particulier depuis un certain Louis
Jordan (1908-1975), aussi illustre que connu. Louis Jordan est l’un de ceux qui
fixa des codes d’expression ancrés sur le boogie woogie et l’expression
corporelle, la danse, où excellaient les Afro-Américains déjà au début du XXe, codes largement
repris par le rock and roll, le rhythm and blues. Louis Jordan en fut l’artisan
originel, lui et d’autres mais lui plus que tout autre en raison de son talent,
d’un répertoire très drôle et de sa célébrité. Il côtoya avec ses Tympany Five
les grands artistes du jazz, dont Ella Fitzgerald, il repris parfois leur répertoire,
le plus souvent avec un humour qui faisait sa particularité, les paroles de ses
chansons aux messages souvent doubles, triples, ambigus, ancré sur les réalités
les plus terriennes (le quotidien) provoquant le rire.
Drew Davies (voc, ts), Thomas Mestres (tp), Jean-Marc Labbé (bar), Pléneuf-Val-André, 16 août 2022 © Yves Sportis
Depuis qu’il fait le bonheur des danseurs, une vingtaine
d’années, dont ceux du Caveau de La Huchette, temple du be-bop (la danse) à Paris, Drew Davis, avec ses musiciens, honore le répertoire de Louis
Jordan et de ses suiveurs, des thèmes, des arrangements et d'une manière qu’ils ont creusés, travaillés à un de degré de
perfection rare. Drew Davies (voc,
ts), le leader et Thomas Mestres (tp), Jean-Marc Labbé (bar), César Pastre (p),
Xavier Nikqi (b), Kevin L’Hermite (dm) ont ainsi déroulé ce
16 août avec fougue et énergie «Jack You’re Dead», «Is You Is or Is You
Ain't My Baby?», «Caldonia Boogie», «Early in the Morning», «Let the Good Times
Roll», «I Want a Roof Over My Head», «Five Guys Named Moe» pour le plaisir de
spectateurs qui ont mis du temps à se chauffer malgré la belle ardeur des
musiciens, sans doute parce que la dimension «danse» manquait à cette
assistance, par timidité ou manque de préparation, en dehors de quelques
enfants dont le naturel a supprimé les barrières. Drew Davis a usé des effets
de voix, de saxophone dans l’esprit des sax hurleurs, comme Thomas Mestres avec
ses effets wah-wah à la trompette ou ses aigus brillants. Arrangements avec contre-chant du sax baryton de Jean-Marc Labbé; chorus de César
Pastre dans le registre spectaculaire du boogie woogie, toujours bien soutenu par la ryhmique du contrebassiste, le shuffle du batteur; riffs de la section de cuivres; accents vocaux et diction parfaite de Drew Davis: tout a contribué
à ces presque deux heures de blues & boogie à haute énergie. Le rappel
chaleureux sur «Let the Good Time Roll» montre que le public s’était enfin
chauffé sur cette musique à haute tension. Les musiciens se sont livrés sans
calcul et ont bien mérité cette ovation finale. Les disques du groupe se sont
arrachés dans l’après concert, signe que le public avait été ravi de sa soirée.
César Pastre (p), Xavier Nikqi (b), Kevin L’Hermite (dm), Pléneuf-Val-André, 16 août 2022 © Yves Sportis
Il restait encore une soirée, le mardi suivant, mais
nul doute que, sauf nouvelle privation de libertés, cette édition est déjà une
base solide et renouvelée pour prolonger une de ces histoires originales de
jazz, de swing, de boogie et de blues arrivées jusqu'à cette côte nord de la Bretagne par le miracle de
l’histoire et de la culture. L’interrompre de manière aussi brutale et
intempestive que cela a été fait depuis deux années comporte des risques
vitaux. Car la particularité des miracles est de ne pas se renouveler.
Yves Sportis
texte et photos
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Marciac, Gers
Jazz in Marciac, 6 août 2022
La clôture de la 44e édition du Festival Jazz in Marciac était aux couleurs de New
Orleans. Le public était venu nombreux pour cette thématique autour du jazz de
culture, une évocation de la créolisation au sens large, qui dépassait
quelquefois le cadre du jazz
.
C’est ce que propose l’excellent
banjoïste Don Vappie, véritable mémoire vivante de cette culture et qui
prolonge la riche personnalité de Danny Barker tant sur le plan de la
transmission que de l’aspect rythmique de l’instrument en y ajoutant de
superbes talents de soliste et mélodiste. Le leader présente un répertoire
principalement issu de son album The Blue Book of Storyville (Lejazzetal Records) en
débutant le concert dans la formule du quartet de son fameux Créole Jazz Serenaders qui se
produit régulièrement au jazz brunch du restaurant R’evolution à New Orleans
avec ce soir David Horniblow (cl), David Kelbie (g) et Sébastien Girardot (b).
On retiendra quelques grands moments comme sa version de «Panama» ou du «Bobby Bolden Blues» de Jelly Roll Morton avec la longue
introduction à la fois rythmique et mélodique autour du blues de Don Vappie,
mettant également en valeur le clarinettiste britannique Dave Horniblow au jeu
fluide et expressif et à la sonorité boisée évoquant l’école créole de
Jimmie Noone. Don Vappie se révèle être un excellent chanteur tant en anglais
qu’en créole et son goût pour les belles mélodies en marge du jazz se vérifient
sur «Abandon». Au milieu
de son concert, il présente son premier invité, l’impeccable batteur Guillaume
Nouaux sur le rythme chaloupé de «Port
Bayou St. John». Puis, c’est le tour d’Olivier Franc au soprano pour une
évocation convaincante de Sidney Bechet, tant au niveau du jeu que du vibrato,
sur «Madame Bécassine».L’arrivée de Victor Goines apporte une autre dimension à la formation, tant à la clarinette qu’au soprano: on peut retenir le
superbe solo sur le classique «Do You
Known What It Means to Miss New Orleans» joué avec plein de lyrisme et
d’expressivité. On notera l’arrangement à deux clarinettes sur le thème «Candy Lips» immortalisé en 1927 par
Clarence Williams et ses Jazz Kings avec déjà le même type d’arrangement et une
belle interaction entre les souffleurs. On retrouve l’ensemble du groupe avec
les invités au complet sur un blues typique de New Orleans, que l’on
doit au pianiste James Booker (1939-1983), avant une version de «On the Sunny Side of the Street»pleine d’autorité avec le soprano d’Olivier Franc. La rythmique amenée par
Sébastien Girardot et la pompe de Dave Kelbie assurent une solide fondation au
Jazz Creole de Don Vappie quel que soit le tempo.
Don Vappie (bjo), David Kelbie (g) et Sébastien Girardot (b), Victor Goines (cl), Guillaume Nouaux (dm),
Marciac, 6 août 2022 © David Bouzaclou
La deuxième partie de soirée
mettait à l’honneur le septet de Wynton Marsalis dans une nouvelle
mouture où l’on retrouve les fidèles Carlos Henriquez (b), Victor Goines
(ts,ss,cl), ainsi que Chris Crenshaw (tb), Sean Mason (p), Jason Marsalis (dm)
et Don Vappie qui fait le lien entre les deux parties. Wynton Marsalis a
proposé un répertoire issu en majorité de la grande tradition jazz new orleans
auquel s’ajoutent quelques titres plus modernes. Il y a chez Wynton Marsalis
un respect de la tradition qui va au-delà de la simple relecture d’un
répertoire et qui rend intemporel un artiste tel que Louis Armstrong. C’est
d’ailleurs avec «Hotter Than That» qu’il
débute le concert dans lequel Chris Crenchaw se fait remarquer au scat dans un
final très bluesy, où Wynton marque d’emblée sa personnalité avec son jeu de synthèse entre diverses formes d’approches de l’instrument, dont une
superbe articulation et un sens du swing naturel. «Timelessness» est une composition de Wynton Marsalis issue de la bande originale du film,
un intéressant biopic sur Buddy Bolden, selon moi, bien qu'il soit diversement apprécié, l’un des musiciens précurseurs du jazz dont
la légende perdure encore aujourd’hui. Belle introduction du jeune pianiste
Sean Mason sur le classique «Basin
Street Blues», avec des notes perlées et quelques fulgurances
évoquant Earl Fatha Hines, introduisant le leader au cœur de l'esprit du blues et de New orleans, utilisant la trompette et le plunger tout comme Chris Crenchaw au trombone dans l'esprit de son prédécesseur Wycliffe Gordon. La surprise est venue de l’arrivée sur
le même thème d’Olivier Franc au soprano dans son style reconnaissable au vibrato dense, plein de fougue et de lyrisme.
Changement d’atmosphère et
d’idiome avec la composition d’Ellis Marsalis «Twelve’s It», un classique
pour Wynton qui l’avait joué à Marciac en 2015 en septet ou sur disque avec
The Marsalis Family. Cette composition enregistrée à l’origine en trio par
Ellis Marsalis avec également son fils Jason aux baguettes est un thème dans un
style purement hard bop. Dans ce contexte, Wynton développe un jeu brillant
dans ses interventions proches d’un Woody Shaw répondant au ténor de Victor
Goines au style évoquant le Coltrane des années 1950. Don Vappie délaisse son
banjo pour la guitare en alternant passages en accords et chorus typiquement
bop. La rythmique impeccable apporte un équilibre à l’ensemble variant à
merveille les climats par des interventions de Jason Marsalis aux cymbales et
dans son jeu de caisse claire d’une grande clarté notamment sur l’introduction de
«St Louis Blues».
Wynton Marsalis (tp) et Victor Goines (as), Marciac, 6 août 2022 © Francis Vernhet, by courtesy of Jazz in Marciac
«After», superbe ballade d’Ellis Marsalis que l’on peut entendre d§s 1986 sur l’excellent album J Mood de Wynton Marsalis, met
en valeur le trompettiste avec un beau travail autour de la mélodie à la
trompette bouchée. «St Louis Blues»,
sur un arrangement de Wycliffe Gordon, met en valeur de beaux passages
d’improvisations collectives entre les trois soufflants: mention pour le
volubile Victor Goines à la clarinette. Puis, retour à Louis Armstrong, à son
Hot Five et Hot Seven, avec, comme l’indique Wynton Marsalis, une pièce
maîtresse de 1926, «Skid Dat De Dat».Le scat plein d’à-propos de Chris Crenshaw agrémenté de superbes
interventions du septet est un régal. Autre thème d’Ellis Marsalis, «Swingin at the Haven», arrangé
par Victor Goines, toujours dans une veine hard bop que n’auraient pas reniée
les Jazz Messengers, enregistré en 1986 sur le très bon album de Branford
Marsalis Royal Garden Blues, avec un beau solo de Chris Crenshaw, de
longues phrases et une mise en place impeccable dans la lignée de JJ Johnson.
Le duo Sean Mason et Victor Goines sur «Petite
Fleur» évoque le lyrisme et la personnalité singulière de Sidney Bechet plus dans l’esprit que dans la forme, avec un superbe passage stride de
Sean Mason et un long solo mélodique de Jason Marsalis répondant au slapping swing de
Carlos Henriquez: l’un des moments forts du concert. Le
premier rappel sur «Happy Birthday»,pour les 61 ans de Victor Goines, enchaîne avec le standard «New Orleans» chanté avec
authenticité par Don Vappie. Le deuxième rappel est un thème de Wynton Marsalis
plus moderne –faisant référence à son travail en septet– avec une
couleur monkienne de Victor Goines au ténor et un nouveau chorus de Sean Mason,
la révélation du septet. Ce dernier confirme la vitalité et le talent d’une nouvelle génération de musiciens attachés à l'esprit du jazz transmis par la
famille Marsalis, Ellis, Wynton, Jason & Co, n'oublions pas Delfeayo et Branford…
David Bouzaclou
Photos: David Bouzaclou
et Francis Vernhet by courtesy of Jazz in Marciac
Avec nos remerciements
© Jazz Hot 2022
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Pertuis, Vaucluse
Festival de Big Band de Pertuis, 5-6 août 2022
Depuis 1999, une semaine par an, l’association du Festival
de Big Band invite le jazz à l’Enclos de la Charité et y reçoit des big bands
de tous horizons et de toutes tendances, en cela fidèle aux objectifs de
départ, à savoir diffuser auprès du plus grand nombre une musique universelle et
belle. Dans cet esprit, des tarifs abordables sont pratiqués, ainsi que la
gratuité pour les deux premières soirées, et pour les enfants de moins de 12
ans, ce qui permet d’intéresser un public local qui vient se régaler en
famille. Le tout dans une ambiance chaleureuse, avec le côté guinguette pour
trinquer et se restaurer.
Une logistique énorme pour une ville d’environ 21 000
habitants, dont la pérennité est rendue possible par l’aide généreuse des
partenaires publics et privés, une participation massive de bénévoles
passionnés, et une direction artistique qui sait renifler les bons coups et les
talents en devenir. Et puis les big bands, c’est aussi un plaisir des
yeux!
En 2022, le programme proposait, comme toujours un choix artistique aussi varié que
l’est le jazz, faisant toujours une place aux artistes locaux sans se priver de
la découverte d’artistes de tous les horizons et de projets originaux comme ces
hommages à Brassens et Ray Charles. En ouverture, le 1er août les TartOprunes,
incontournables et toujours en évolution; le Big Band de Pertuis, at home, sous la direction de Léandre
Grau, le directeur artistique du festival et le pédagogue, inépuisable dans
toutes ses fonctions. Le 2 août: What Elle’s, sextet féminin au swing affirmé; le
Kinship Orchestra, sur une idée originale: des thèmes inspirés des écrits de
Jorge Luis Borges. Le 3 août: The Yellbows, quartet déjanté tendance
New-Orleans; Le Hérault Big Band dans un hommage à Georges Brassens. Le 4 août: Holy Bounce Orchestra, pour un retour
vers les années 30 et les clubs de Harlem; Le Barcelona Big Band Blues &
Uros Perry, dans un hommage à Ray Charles qui a mis le feu à l’Enclos de la
Charité d’après les échos que nous en avons eus! Les absents ont toujours tort…
Nous étions là, le 5 août et, en première partie, nous avons apprécié le Hot Sugar Band & Nicolle Rochelle de
retour d’une tournée américaine. Le groupe présente un programme très
swing des années trente, en hommage à Eleanora (Fagan), la Billie Holiday des
débuts. Nicolle Rochelle, qui a déjà à son actif une réincarnation de Josephine
Baker, s’est coulée dans une très belle robe années folles à franges et paillettes;
et le ramage s’accorde au plumage dans un registre légèrement plus aigu
que Billie, mais elle en a intégré le blues, l’expressivité, le phrasé et cette
façon «lazy» de traîner sur certaines fins de phrases. Le groupe: Bastien Brison
(p), Julien Didier (b), Yves Le Carboulec (tp, arr), Corentin Giniaux (cl, ts,
arr), Jonathan Gomis (dm, arr), Clément Trimouille (as, cl, arr), Bastien Weeger (g), est un ensemble bien rodé (il existe depuis 2011), dont l’orientation
première était le lindy-hop, jusqu’à la rencontre avec Nicolle et Billie. Ils
nous offrent de beaux échanges sur «With Thee I Swing», «What a Little
Moonlight Can Do» où clarinette, sax, trompette et voix se répondent sur un tempo
sauvage, le grave et emblématique «Don’t Explain», «What a Night, What a Moon,
What a Girl»… Le répertoire s’élargit à un «April in
Paris» chanté en français, sur lequel le groupe sonne à la Basie, d’un «Love
You Madly» évoquant Ella
Fitzgerald, «Darn That Dream» en duo voix-piano, plus nostalgique,
et un final avec le classique «Swing, Brother, Swing» où la chanteuse fait
montre d’un certain talent d’entertainer.
Assurément un groupe à suivre!
Nicolle Rochelle (voc) et le Hot Sugar Band, Pertuis, 5 août 2022 © Ellen Bertet
Sur la grande scène, Nola Spirit Big
Band, c’est le spectacle du Big Band Brass de Dominique Rieux (tp), David
Cayrou (bs) et leurs quinze musiciens, dont le dernier projet r évoque la
musique de New Orleans. On y compte Dominique Rieux (tp, dir.
musicale), Tony Amouroux (tp), Cyril Latour (tp), Rémi Vidal (tb), Michel Chalot
(tb), Baptiste Techer (tb), David Cayrou (bs, co-dir.), Bastien Maury (sax), Jean-Michel Cabrol (sax), Pascal Pezot (sax), André Neufert (dm),
Thierry Ollé (clav), Julien Duthu (b), Florent Hortal (g). Pour que la fête
soit complète, ils se sont adjoints les services du crooner anglais Gead
Mulheran, veste et bottines léopard, et de la danseuse Angie Larquet,
paillettes et plumes, qui vont intervenir tout au long de la soirée pour
décoincer les arthroseux et les timides. «Louisiana 1927» (Randy Newman), est
un blues joué à la guitare par Florent Hortal et la section de cuivres. Il
rappelle la terrible crue du Mississippi de la même année, qui fit 250 morts,
et la résilience incroyable de la ville. Mais on passe vite à des ambiances
plus festives, avec des thèmes plus funk ou rhythm & blues qui commencent à
chauffer la salle. Les deux entertainersn’hésitent pas à descendre de scène, et c’est parti! L’avant-scène se
transforme vite en piste de danse pour une soirée de musique à fond la caisse, entrainée
par un orchestre à l’énergie contagieuse, qui enchaîne les échanges et les
chorus (Tony Amouroux/Cyril Latour). La soirée ne pouvait se terminer qu’avec
un «When the Saints Go Marchin’ In» qui
fait l’unanimité!
Nola Spirit Big Band, Pertuis, 5 août 2022 © Ellen Bertet
Le 6 août, place au Belmondo Quintet: Stéphane
Belmondo (tp, bugle), Lionel Belmondo (fl, ts), Laurent Fickelson (p), Sylvain
Romano (b), Mathieu Chazarenc (dm). Chez les Belmondo, le jazz est depuis
toujours une affaire de mémoire, comme ce petit intermède drôle entre Lionel
Belmondo et Léandre Grau qui se remémorent leur rencontre, en 1982, lorsque
Lionel a monté son premier big band dans sa compagnie pendant le service
militaire. Les deux frères ont perdu leur père, Yvan, sax baryton, en 2019, et
lui rendent hommage avec un morceau lent et nostalgique de leur plume («Song
for Dad»), tiré de leur dernier enregistrement, Brotherhood, sorti en 2021. Il contient une autre révérence à Yusef
Lateef («Yusef’s Tree») en souvenir de
leur collaboration en tournée et sur disque au début des années 2000. Le
quintet est resté centré sur une musique très proche des racines, influencée
par Coltrane, Yusef Lateef, Sonny Rollins et Wayne Shorter («Wayne’s
Words», écrit par Lionel). Cette mémoire est le fondement d’une culture
jazzique très profonde et d’une expression qui n’a jamais eu besoin de se distancier
du jazz, vécu comme un rêve, comme c’est le cas des grands créateurs de cette
musique. Les Frères Belmondo respirent le jazz depuis toujours, et c’est ce qui
fait la beauté de leurs interprétations, sensibles et directes. Bien soutenus
par une solide section rythmique avec les excellents Laurent Fickelson, Sylvain
Romano et Mathieu Chazarenc qui appartiennent aussi à cette tradition post bop
ancrée dans le jazz de culture, Stéphane et Lionel ont confirmé leur statut de
premier plan parmi les aînés aujourd’hui, en restant toujours accessibles.
Laurent Fickelson (p), Sylvain Romano (b), Stéphane Belmondo (tp),
Lionel Belmondo (ts), Mathieu Chazarenc (dm), Pertuis, 6 août 2022 © Ellen Bertet
En seconde partie d’une soirée intitulée
«Remember Jaco», le Multiquarium Big Band rendait hommage à Jaco Pastorius sous
la direction d’André Charlier et Benoît Sourisse. Biréli Lagrène, la guest star
très attendue de l’événement –et pour cause car il croisa la route du
légendaire Jaco– joua l’Arlésienne, bloqué sur un tarmac quelque part en
Europe… Petit moment de stress pour le directeur artistique lorsqu’il fallut
annoncer à une cour comble l’absence de Biréli et son remplacement. Mais il y
avait certainement une bonne étoile au-dessus de Pertuis, surtout un public compréhensif
et un réseau efficace qui ramena de Nîmes Léo Chazallet et sa basse Fender, pasfretless comme celle du maestro, mais
peu importe car Léo Chazallet est aussi un surdoué de son instrument –sa vie en
musique a commencé à 3 ans. Il a fréquenté le Conservatoire de Montpellier sous
la férule de Serge Lazarevitch, et il y a côtoyé Dominique Di Piazza entres
autres maîtres. Il a même étudié la contrebasse avec Louis Petrucciani et
Pierre Boussaguet. Léo Chazallet n’est pas un inconnu, et
le public est aussi venu pour le Multiquarium et ses dix-sept musiciens de haut
niveau déjà reconnus pour la plupart. Theshow can go on! Les projets d’André
Charlier (dm) et Benoît Sourisse (p, kb) sont motivés par la nécessité de
transmettre les musiques et les œuvres des musiciens qui ont enthousiasmé leur
jeunesse, sous forme d’hommage, comme cela se fait dans la tradition du jazz.
Ce soir, c’est le parcours de Jaco Pastorius en big band qui est évoqué, sur
des arrangements de Stéphane Guillaume, Benoît Sourisse et Pierre Drevet, avec
les thèmes du répertoire ou de la plume du maître: «(Used to Be a) Cha Cha»,
«Continuum», où s’illustre Léo Chazallet, «The Chicken» de Pee Wee Ellis,
«Barbery Coast», «Palladium» de Wayne Shorter (avec Pierre Drevet)…
Multiquarium Big Band, Pertuis, 6 août 2022 © Ellen Bertet
Par la qualité des arrangements, le
choix du répertoire, le ton est bien là, les solos s’enchaînent sur un fond où
dominent les ensembles de cuivres mêlant jazz, rock et funk, avec une pêche
incroyable! C’est techniquement abouti en même temps que porteur d’une émotion,
d’un drive certain et d’une joie palpable des musiciens à
faire revivre cette musique de leur jeunesse. La formation compte de
beaux instrumentistes; on retient par exemple les interventions percussives des
Charlier père et fils, d'Eric Poirier (tp), Benoît Sourisse (p), et il faudrait énumérer tout l’orchestre pour
chacun des chorus car le Multiquarium Big Band est un véritable all stars de la
scène du jazz en France avec les Claude Egea, Pierre Drevet, Julien Ecrepont, Eric Poirier (tp), Fred Borey et Pierre-Marie Lapprand (ts), Lucas St-Criq (as), Stéphane Chausse (as), Fred Couderc (bar), Gil Farinone, Damien Verherve, Didier Havet, Philippe
Georges (tb), Léo Chazallet (eb), Pierre Perchaud (g), André Charlier
(dm), Nicolas Charlier (perc), Benoît Sourisse (p, Hammond B3). Le public ne
s’y trompe pas.
La soirée s’est naturellement terminée
sur un blues, la musique fondatrice sans laquelle cet orchestre, ce festival
et notre passion ne seraient pas là ce soir! Un bel orchestre de musiciens de talent,
une musique spectaculaire, à l’énergie, il n’y a rien de tel pour conclure ce
beau panorama de big bands, un monde en soi de l’univers du jazz, fait de
travail (la mise en place), d’homogénéité, de solidarité, d’écriture, d’arrangements
mais aussi d’improvisation car nous sommes dans le jazz.
L'ovation finale de Léandre Grau et des bénévoles du festival, 6 août 2022 © Ellen Bertet
Comme à chaque édition, le public est
venu nombreux, a participé dans la bonne humeur car l’accueil est simple et
jazz, et si Léandre Grau est à Pertuis le chef d’orchestre d’un big band, il
l’est aussi d’un formidable événement, Le Festival de Jazz de Big Band, dont la
dimension organisationnelle est à l’aune de la «spécialisation» big band: le
treizième travail d’Hercule. Bravo à l’ensemble de l’équipe, et à l’an prochain!
Ellen Bertet
texte et photos
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Ystad, Suède
Ystad Sweden Jazz Festival, 4-6 août 2022
Nous revoici à Ystad après deux années d’enfermement et
d’entrave à la libre circulation à travers l’Europe. Le festival suédois est d’ailleurs
parvenu à maintenir son activité durant la crise sanitaire: en 2020, en
proposant dix concerts, devant un public restreint, diffusés en streaming;
en 2021, en limitant les jauges mais sans port du masque obligatoire et encore
moins de QR code discriminant. 2022 était donc l’année du retour à la «normale», et nous avons retrouvé intact l’esprit particulièrement chaleureux qui
caractérise le festival et son équipe, du président Thomas Lantz et du directeur
artistique Jan Lundgren aux nombreux bénévoles qui font vivre cette petite
semaine de jazz, notamment Itta Johnson, Ingrid H. Fredriksson et Bryan Ralph
pour la communication, les relations presse et autres questions logistiques. La
programmation reste également de bon niveau, variée, tout en étant centrée,
pour l'essentiel, sur la sphère jazz; elle s’est toutefois quelque peu resserrée,
passant d’une quarantaine de concerts en 2019 à moins de trente, répartis sur
quatre jours (du 3 au 6 août) au lieu de cinq. Nous évoquons ici les plus
marquants d’entre eux.
Le 4 août à 13h, dans la salle de bal de l’hôtel Ystad
Saltsjöbad, nous découvrions l’excellent Gotland Big Band, formation de dix-sept
musiciens dirigée par Marcus Grufstedt (dm). Basé sur l’île de Gotland, au
sud-est de la Suède, le big band a été fondé en 1971 par les pouvoirs publics
qui le financent entièrement. Il est encore aujourd’hui constitué de musiciens
employés par l’Etat suédois et depuis 1988 géré par la Gotlands Musikstiftelse,
institution ayant pour mission d’animer la vie musicale de l’île. Le big band,
qui se nommait le Visby Storband jusqu’en 2019, fut dirigé par le saxophoniste
Bernt Eklund jusqu’en 2005. Son histoire est aussi marquée par la personnalité
du trompettiste de Chicago Ernie Englund (1928-2001), installé en Suède à
partir de 1944, qui en fut la principale figure de la fin des années 1970 à la
fin des années 1980, y faisant venir des invités de marque comme Max Roach. De
nos jours, le big band ne se produit plus que cinq à six fois par an et c’est surtout
en trio que Marcus Grufstedt –qui est originaire d’Ystad– parcourt l’île de
Gotland. L’orchestre n’ayant pas de leader fixe, c’est donc à Marcus Grufstedt
(qui l’a rejoint en 1999), auteur du programme joué ce jour, que revenait la
direction musicale. Swing et énergie étaient au rendez-vous de ce concert, dans
l’esprit du Thad Jones-Mel lewis Orchestra, porté par de bons soufflants et une
section rythmique apportant du relief à l’ensemble: le swinguant Daniel Tilling
(p), le solide Josef Karnebäck (b) appuyés par un Marcus Grufstedt d’une grande
finesse, tandis que le percussionniste cubain Eliel Lazo (Chucho Valdés, Herbie
Hancock, Bob Mintzer…), basé à Copenhague, apportait ses propres couleurs
rythmiques. Le concert s’est achevé sur un long solo d’Eliel Lazo tandis que
l’utilisation des flûtes à la place des saxophones donnait à ce final un parfum
très 70’s. Il est à noter que l’ensemble des titres présentés ont été enregistrés
sur le récent l’album Chopsless (sous le nom de Mac
Groover Big Band).

Le Gotland Big Band, Ystad, 4 août 2022 © Jérôme Partage
A 16h, Cyrille Aimée (voc, g) était sur la
scène de l’Ystads Teater. A l’évidence, la Française a gagné en maturité et ses
interprétations en épaisseur, que ce soit dans sa langue natale («Petite
fleur») ou en anglais. Elle était de plus fort bien entourée par le superbe
pianiste de New Orleans David Torkanowsky (Cyrille vit aujourd’hui à Crescent
City) et l’excellent contrebassiste italien (mais ayant étudiéà Paris)
Matteo Bortone. De «How Deep Is the Ocean», avec un Bortone très mélodique et un
Torkanowsky imprimant de magnifiques touches blues, à «It’s Almost Like Being
in Love», introduit par un duo voix-contrebasse fort réussi, Cyrille Aimée a
convaincu notamment par sa maîtrise du scat. En revanche, ses propres
compositions, hors jazz, ou sa démonstration en solo sur son looper (machine
permettant d’enregistrer des séquences musicales, de les répéter en boucle et
de rajouter des couches sonores successives), bien que techniquement bluffante,
présentait un moindre intérêt sur le plan de l'expression jazzique. On préfère retenir son joli solo guitare-voix
sur «La Javanaise» ou sa version new orleans de «La Vie en rose» donnée en
rappel.
Toots Thielemans avait une relation particulière avec la
Suède (où il a vécu au début de sa carrière et dont il avait appris la langue).
Il avait d’ailleurs joué à Ystad en 2010 et 2011, pour les deux premières
éditions du festival. En cette année de son centenaire, les jazzmen suédois s’en
souviennent. Ainsi, à 18h30, dans le restaurant Saluhallen (ancien marché
couvert réaménagé), Filip Jers (hca) rendait-il hommage au «Baron» en compagnie
de Carl Bagge (p) et avec le soutien de Martin Höper (b) et Chris Montgomery (dm).
On commence à bien connaître Filip Jers (voir les compte-rendus des années 2016, 2017et 2019)
et sa belle sonorité dans la filiation directe du maître. Nous avions découvert
Carl Bagge à Ystad, en 2013, auprès de la talentueuse Isabella Lundgren (voc). Il
est le fils du pianiste et arrangeur Lars Bagge (1935-2000), leader d’un groupe
vocal à succès, Gals and Pals (dans le style Double-Six), dans les années 1960.
Pianiste maîtrisant bien l’idiome jazz, il codirige le Ekdahl-Bagge Big Band et
vient de sortir un premier disque avec son trio, Visitor. Pour rentre hommage à Toots, les deux comparses ont donné
plusieurs titres de son répertoire: «Someday My Prince Will Come», «Days of
Wine and Roses», marqué par le blues, ou encore «Sophisticated Lady» (superbe duo
piano-harmonica en intro) que Toots avait conseillé à Filip Jers de jouer à
chacun de ses concerts, comme il l’a raconté avec humour. Le quartet a
également repris quelques titres issus du songbooksuédois que Toots affectionnait, Filip Jers en profitant pour dévoiler
l’étendue de son registre, d’une grande sensibilité, allant jusqu’à faire
sonner son harmonica à la manière d’un violoncelle. Un formidable tribute qui s’est bien sûr achevé avec
le standard de Toots, «Bluesette».
Carl Bagge (p), Martin Höper (b), Chris Montgomery (dm), Filip Jers (hca), Ystad, 4 août 2022 © Jérôme Partage
Un autre hommage était proposé à 21h, à l’Ystads Teater,
celui-là à Oscar Peterson et Duke Ellington. Il fut mené par deux personnalités
de la scène jazz suédoise: Jan Lundgren (p) et Ulf Wakenius (g), accompagnés
par Hans Backenroth (b) et le Danois Kristian Leth (dm), tous deux impeccables
dans leur soutien rythmique. En préambule, Jan Lundgren a rappelé qu’il avait
découvert le jazz avec Oscar Peterson (voir son interview dans Jazz Hot n°666),
tandis qu’Ulf Wakenius a été le dernier guitariste du grand pianiste canadien.
Les compositions de ce dernier étaient donc au programme de la soirée, associées
à celles de Duke Ellington. Après deux titres en trio
piano-contrebasse-batterie, dont un magnifique «Night Train» –qui a révélé le
beau toucher blues que Jan Lundgren sait déployer sur le jazz de culture–, Ulf
Wakenius a rejoint la scène et donné un solo également imprégné de blues sur
«In a Sentimental Mood». «Just Squeeze Me» a été l’occasion d’un savoureux
duo entre le pianiste et le guitariste, tandis que le titre d’Oscar Peterson,
«You Look Good to Me» a été introduit par un bel échange entre Jan Lundgren et
Hans Backenroth à l’archet. Le directeur du festival a aussi donné à entendre
une composition personnelle fort réussie, «Blues for Oscar». Un concert de
qualité qui s’est achevé avec deux titres d’Oscar: «Cakewalk» et, en rappel,
«When Summer Comes».
Ulf Wakenius, Ystad, 4 août 2022
© Jérôme Partage
Le 5 août à 13h, le contrebassiste Mattias Svensson
(longtemps associé au trio de Jan Lundgren) avait réuni à l’Ystad Saltsjöbad un
quintet constitué de sa compatriote et partenaire régulière Viktoria Tolstoy
(voc), du Californien Bill Mays (p), du Luxembourgeois Pascal Schumacher (vib)
et du Danois Morten Lund (dm). L’enthousiasme communicatif de Mattias Svensson
a été l’un des atouts de ce concert sympathique où chacun a apporté sa pierre:
soutien très swing de Bill Mays, belles couleurs harmoniques de Pascal
Schumacher, énergie de Morten Lund et professionnalisme incontestable de
Viktoria Tolstoy, tant sur les reprises que sur les originaux du bassiste
(jolie ballade: «My Toot Toots»). Ce début d’après-midi jazz s’est achevé sur «Hallelujah I Love Her So» qui nous a valu un scat très blues
de Mattias Svensson.
Le concert du 6 août à 13h, à l’Ystads Teater, a été une découverte.
Il s’agissait d’un quartet associant deux musiciens scandinaves –le Suédois
Karl-Martin Almqvist (ts) et le Norvégien Magne Thormodsæter (b)– et deux
musiciens sud-africains –Nduduzo Makhathini (p) et Ayanda Sikade (dm)–, pour
près d’une heure et demie d’un jazz nerveux, dans une esthétique post-bop, construit
autour de morceaux originaux dont tous ne revêtaient pour autant pas la même
intensité: on regrettera ainsi la platitude des ballades. Né dans le sud-ouest
de la Suède en 1968, Karl-Martin Almqvist, ténor à la sonorité charnue, a
étudié au Conservatoire de Malmö puis à New York, notamment auprès de George
Garzone. Il vit à Stockholm. Magne Thormodsæter (1973) est originaire de
Bergen, diplômé du conservatoire, et a notamment accompagné Paquito D'Rivera,
Diana Krall, Andy Sheppard et a appartenu au Vienna Art Orchestra de Mathias
Rüegg. Il dirige le Bergen Big Band. Nduduzo Makhathini (1982) est un disciple
de Bheki Mseleku (1955-2008) qui l’a initié à la musique du quartet de John
Coltrane qui reste pour lui une puissante source d’inspiration. Il est, depuis
plus de vingt ans, ami et partenaire d’Ayanda Sikade, d’un an son aîné,
rencontré à l’université. Clé de voûte rythmique du groupe, Ayanda Sikade
déploie un jeu tout en dynamique et en swing. C’est à lui et à Nduduzo Makhathini
que l’on doit l’encrage véritablement jazz de la musique. Il est à noter que
ces quatre musiciens ont enregistré ensemble, il y a quelques années –sous le
nom de Nduduzo Makhathini–, l’album Listening
to the Ground.
Jan Lundgren écoutant Ronnie Gardiner, honoré par le festival
pour ses 90 ans, Ystad, 6 août 2022 © Jérôme Partage
A 16h, à l’Ystads Teater, le festival a connu un moment
particulièrement émouvant, peut-être le plus fort de son histoire: Ronnie
Gardiner fêtait ses 90 ans (qu’il venait d’avoir le 25 juillet) et a été
nommé à cette occasion ambassadeur honoraire du Ystad Sweden Jazz Festival
(tout comme Quincy Jones, Bengt-Arne Wallin ou Svend Asmussen). Ce messenger ayant prêché pendant soixante
ans en terre scandinave méritait assurément une véritable reconnaissance (et
au-delà des frontières de la Suède!), si ce n’est sa grande humilité, laquelle lui a
fait décliner l’offre de Duke Ellington d’enregistrer avec lui (il ne se
trouvait pas –à tord– assez bon!). Autour du batteur étaient réunis Jan Lundgren,
Hannah Svensson (voc), Klas Lindquist (as) et Martin Sjöstedt (b). Nous
connaissons moins bien les deux derniers –pourtant excellents!–, alors que Klas
Lindquist apparaît dans plusieurs de nos chroniques (Artistry Jazz Group, Snorre Kirk). Né en 1975 à
Göteborg, il a été formé à Stockholm et à New York. On le retrouve au sein du
Hot Club de Suède, du Stockholm Swing All Stars ou à la tête de son propre
nonet. Martin Sjöstedt (1978) est originaire d’Uppsala et a commencé à
accompagner des jazzmen professionnels dès 16 ans. Il est également pianiste.
Il a une trentaine de disques à son actif et se produit régulièrement avec le Stockholm
Jazz Orchestra. Le concert s’est ouvert par une belle improvisation de Jan
Lundgren sur un «Take the A Train» aux accents stride. Puis, «Unconditionnal
Love», chanté par Hannah Svensson a été le terrain d’échanges d’une grande
finesse entre Jan Lundgren et Ronnie Gardiner, en grande forme! Klas Lindquist,
à l’expressivité intense et Martin Sjöstedt, d’une grande musicalité, n’étaient
pas en reste. Le pianiste a ensuite proposé un original, «Unexpected Return» en
référence à Bengt Hallberg (p, 1932-2013) qui s’éloigna le la scène pendant dix
pour s’occuper de sa femme malade avant d’y effectuer un «retour inattendu». Le
final fut marqué par un solo époustouflant de Ronnie Gardiner sur «Caravan»,
débutant à mains nues sur la caisse claire, enchaînant avec les maillets, les
baguettes avec une virtuosité stupéfiante qui suscita une clameur dans le
public bondissant pour une standing
ovation. Très touché par l’accueil de la salle, Ronnie Gardiner prit la
parole avec sa modestie habituelle pour remercier les organisateurs du
festival. En rappel, «I'm Just a Lucky so and so» fut la conclusion swinguante
de ce très beau moment. Bravo et bon anniversaire Mr. Gardiner!
A 18h30, à Saluhallen, nous découvrions en live un superbe pianiste de 25 ans, Zier Romme Larsen, que nous
connaissons pour être l’un des membres du trio d’Alvin Queen. Il a publié
en 2019 un premier album sous son nom, Stories (Storyville). Il était ici leader d’un bon quintet regroupant Søren Høst (ts),
Jacob Artved (g), Matthias Petri (b) et Cornelia Nilsson (dm), seule Suédoise
de ce groupe danois. Sans dénier leurs qualités aux accompagnateurs, c’est le
jeu de Zier Romme Larsen qui nous a captivés, d’un magnifique «Someday My
Prince Will Come» d’abord en solo puis en trio, en passant par «In a Mellow
Tone», «Over the Rainbow», «Just You, Just Me» jusqu’à «Jubilation» de Junior
Mance, avec une belle introduction gospelisante. Car chez Zier Romme Larsen on
entend tout le jazz: le swing, le blues, le gospel. C’est d’ailleurs avec un
gospel, en solo, que le pianiste a conclut le concert. Alvin Queen ne s’y est
pas trompé!
Enfin, à 21h, à l’Ystads Teater, avait lieu le concert de
clôture, avec les invités d’honneur de cette édition 2022: les Yellowjackets de
Bob Mintzer (ts), Russell Ferrante (p,kb),
Dane Alderson (eb) et William Kennedy (dm). Le quartet –dont Russell
Ferrante est le seul membre fondateur– fête cette année ses 45 ans. Une
longévité exceptionnelle pour une formation jazz, comme l’a souligné Bob
Mintzer dans un sourire, et dont nous avons récemment chroniqué deux albums.
La musique jouée était de haut niveau et malgré ses fondements fusion, elle
reste enracinée dans la tradition du jazz. L’expressivité de Bob Mintzer est
particulièrement profonde, même si elle s’épanouit davantage au ténor acoustique
qu’au saxophone électronique EWI. Installé derrière un set de batterie
démesuré, William Kennedy est tout en groove. La sax et
le batteur constituant les deux locomotives à swing du groupe, tandis que
Russell Ferrante –une main sur le piano, une main sur le synthé– et Dane
Alderson arborent un jeu plus technique, moins expressif, même si tout dans ce concert était
d’excellente facture. Les Yellowjackets ont ainsi donné un aperçu prometteur de
leur prochain disque avec les titres «Facing North», «Red Sea», «Early»,
«Challenging Times» ou encore «Tenacity» après lequel Bob Mintzer a salué
Ronnie Gardiner, qui suivait le concert depuis une des loges du théâtre, déclarant
malicieusement:«Je voudrais être
comme lui quand je serai grand!». Effectivement, en jazz tout est affaire
de ténacité!
The Yellowjackets, Ystad, 6 août 2022 © Jérôme Partage
Dans la journée, les 5 et 6 août, Nicole Johänntgen (as) a
assuré une déambulation en solo à travers les rues d'Ystad, allant à la
rencontre des passants au son de «Take Five», «St Thomas», «Isn’t She Lovely»
ou encore «Take the A Train», marquant le rythme avec son saxophone et
démontrant encore sa capacité à jouer le jazz de culture avec conviction –et
toujours un soubassement blues–, même si elle a pour habitude d’emprunter des
chemins musicaux très variés.
Nicole Johänntgen, Ystad, 6 août 2022
© Jérôme Partage
Enfin, les soirées des 4, 5 et 6 août se sont
prolongées avec les traditionnelles jam-sessions –dirigées cette année par
Zoltan Csörsz (dm), le batteur habituel de Jan Lundgren– qui se sont tenues un
peu plus tôt que d’habitude, dans l’un des salons de l’hôtel Ystad Saltsjöbad,
pour les deux premiers soirs, et dans le foyer du théâtre pour la soirée de
clôture. S’y sont retrouvés notamment: Matteo Bortone, Mattias Svensson (b),
Filip Jers et Grégoire Maret pour une «harmonica battle», Carl Bagge, Bill Mays
(p), Viktoria Tolstoy (voc) ou encore Nicole Johänntgen qui a su capter
l’attention de l’audience le 5 août. Tout ceci avec la participation de
l’orchestrateur en chef du festival, Jan Lundgren, qui prend toujours un grand
plaisir à ces after hours. La jam de
fin de festival s’est tenue en plus petit comité: elle était avant tout
destinée aux bénévoles. Elle n’en a pas été moins festive avec notamment une
savoureuse rencontre entre Nduduzo Makhathini (p), Ayanda Sikade (dm), Klas
Lindquist (as) et Martin Sjöstedt (b) qui s’est également mis au piano en
compagnie de Cornelia Nilsson (dm). Une jam dont Ronnie Gardiner, sur un nuage,
n’a pas perdu une miette!
Notre seul regret pour cette édition 2022 est de ne pas
avoir pu assister au concert de Gunhild Carling (tp, misc. instr.) qui avait
lieu le 3 août à une quarantaine de kilomètres d’Ystad. On guettera donc son
prochain passage au Caveau de La Huchette. Vi ses nästa år Ystad!
Jérôme Partage
texte et photos
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Dinant, Belgique
Dinant Jazz, 20e édition, 28-31 juillet 2022
Les prémices du
festival se sont tenues en soirée, le jeudi 28 juillet, dans la collégiale
cinassiennes (Ciney) avec le quartet de Philip Catherine (g), Nicola Andrioli
(p), Federico Pecora (b) et Angelo Mustapha (dm). Puis, en clôture, le Michel
Herr «Positive Tentet» avec Nathalie Loriers (p), Bert Joris (tp), Paul Heller
(s), Peter Hertmans (g), Sam Gerstmans (b), Dré Pallemaerts (dm) et un quartet à
cordes. Je n’ai pu assister à ces deux concerts condruziens ni au nouveau projet du Michel Herr Tentet. Aux dires des nombreux participants la musique a souffert de la mauvaise acoustique de
l’édifice religieux.
Pas de tournoi des
jeunes cette année. Il fallait toutefois honorer les promesses faites aux
lauréats des éditions pré-virus. Ainsi, le groupe «Voids» de Noémie Decroix
(voc), le vendredi et le trio de Wajdi Riahi (p), le samedi. Assurément, la
poétesse Noémie a un joli timbre forte qui
doit encore être travaillé pour la justesse et pour la position du micro.Wajdi Riahi (p) et
son trio furent, l’année dernière, les gagnants du concours des jeunes talents
lors d’une pause covid. Waji Rialhi, musicien
d’origine tunisienne résidant à Bruxelles, a bien assimilé les leçons de ses
maîtres belges. Le jeu est léger, riche en harmonies et en changements rythmiques. J’ai beaucoup
apprécié son contrebassiste: Basile Rahola, déjà très sollicité par la Jazz
Station. Pierre Hurty (dm) est sans doute le recordman des participations aux
tournois des jeunes du Dinant Jazz, mais il a encore du travail sur la planche… Bonne route à eux!
Les choses se
mirent plus sérieusement à swinguer dès 20h, le vendredi soir, dans le parc
Saint-Norbert d’une abbaye où coulent à profusion Leffe blonde et Leffe rosée.
David Linx avait réuni autour de sa belle voix Paolo Fresu (tp, flh), Hamilton de Holanda (mand) et une rythmique composée de Diederik Wissels (p, arr), Christophe
Wallemme (b, eb) et Arnaud Dolmen (dm). La mise en place est parfaite, et les
solistes rivalisent sur les ballades et tempos enlevés. La fusion est
intéressante: trompettiste et mandoliniste contre-chantent, reprennent, relancent
et dialoguent avec un David Linx qui ne cesse de surprendre par un métier
abouti (utilisation du micro notamment). Le public est conquis et en redemande; standing
ovation justifiée.
Chouchou de
Jean-Claude Laloux (initiateur et directeur du festival), Marcus Miller (eb) était
le parrain de cette édition. Il vint clôturer la première soirée abbatiale avec
un «nouveau» quartet qui n’apporte rien de nouveau dans un rock-fusion que le
sonorisateur ne manque pas de trop amplifier à la satisfaction drogués de décibels. Leffe n’est pas Tomorrowland et je ne goûte pas de ces
pains-là! Il remettra le couvert le lendemain («Night in Tunisia» et la reprise
de deux thèmes joués la veille) avec son «New Band»: Bobby Sparks (kb), Donald
Hayes (as), Russell Gun (tp), David Chriverton (dm) et Reggie Washington (eb) enguest pour deux morceaux («So What»).
Réapparition aussi
d’Hamilton de Holanda en début de soirée pour, cette fois, un hommage appuyé à
Antonio Carlos Jobim. Puis, en clôture de cette journée du samedi, un
surprenant «Trumpet Summit»: Stéphane Belmondo (tp, flh) conduit des échanges
au plus haut niveau entre Paolo Fresu (tp bouchée, flh), Flavio Boltro (tp) et
notre Jean-Pol Estiévenart (tp). Les quatre trompettistes bénéficient du
soutien d’Igor Gehenot (p), au sommet de son talent, du sautillant Sal La Rocca
(b) et du séduisant Noami Israëli (dm). «Wayne», «Prétexte», «Pino», «Rainy
Day», «Song for Dad», «Grossman» et «Rhythm’ning» en rappel.
Jean-Pol Estiévenart et Paolo Fresu, Dinant, 30 juillet 2022 © Jean Schoubs
Tôt dimanche –11h30– le Père Augustin et six de ses frères vinrent au podium célébrer une grand’messe
à la gloire de Dieu et du jazz. Un juste retour des choses pour remercier les
moines de prêter l’herbe sèche de leur verger. L’illustration des Evangiles
était assurée par un chœur gospel de six chanteur-ses, un claviériste et, à
l’Est de l’autel: le trio de Maxime Moyaerts (org). David Linx, surpris par l’invitation
de dernière minute, assurera deux inclusions bibliques.
Après une hostie
et un déjeuner frugal, les concerts reprennent dès 16h: Eric Legnini (p),
Sylvain Romano (b) et Dré Pallemaerts (dm) occupent la scène pour accompagner
une autre fratrie: celle des Belmondo. Premier thème et hommage appuyé à Yusel
Lateef, joué au coquillage par Stéphane et au bansuri par Lionel («Yusef Trees»).
Les frères sont en verve. On est particulièrement heureux de réécouter Lionel
(ts) qui ne se contente pas d’écrire et arranger, il livre ici des envolées
coltraniennes. Les leads tournent,
les tempos changent, les solos fusent à la trompette, au bugle, à la flute
traversière; les musiciens s’appellent et dialoguent. De longs intermèdes
mettent en valeur les accompagnateurs
(Romano puis Legnini). On aborde la musique de film de la plume de Flavio Boltro et une démarcation d’Ascenseur pour l’Echafaud qu'on doit semble-t-il à Stéphane Belmondo, mais si
ce n’est lui, c’est donc son frère!
La mise en place
et la balance du Dinant Jazz Big Band prend beaucoup de temps, et on se prend à
imaginer une clôture à 23h au lieu de 21h, ce qui ne va pas tarder à se
concrétiser! Enfin, après cette longue attente, Maxime Blésin (g, voc) lance sa
rythmique: Pascal Mohy (p), Victor Foulon (b) et Mimi Verderamé (dm). Aux
pupitres, Thimoté Lemaire (tb), Pauline Leblond (tp), Stéphane Mercier (as, fl),
Nicolas Kummert (ts) et Grégoire Tirtiaux (bs). Le répertoire fait
principalement référence aux deux albums brésiliens de Toots (centenaire oblige).
Le premier thème est écrit et arrangé par Grégoire Tirtiaux. Suit: «Sou Eu»,
écrit et chanté en brésilien par Maxime Blésin. Grégoire Maret (hca) rejoint leband puis c’est au tour de Stéphane
Belmondo, décidément dans tous les coups! Maxime Blésin chante «Voltando do
Samba»; Stéphane Belmondo multiplie les citations; Stéphane Mercier dirige
une de ses compositions («Juan Chito») puis Hamilton de Holanda vient pour des
questions/réponses avec le batteur puis l’harmoniciste. Ça swingue à tout va!
Nicolas Kummert s’illustre pour le septième titre, et David Linx nous gratifie
d’une composition chantée en français. C’est sur deux compositions de Hermeto
Pascoal («No Um Talvez» et «Bebê») arrangées par Michel Herr que tout ce beau
monde termine pour une longue ovation. Assistance au garde-à-vous!

Pascal Mohy (p), Maxime Blésin (b), Hamilton de Holanda (mand), Victor Foulon (b), Grégoire Maret (hca)
et le Dinant Jazz Big Band, Dinant, 31 juillet 2022 © Hugo Lefèvre
La fête est
réussie, et on aurait pu en rester là si Viktor Lazlo (voc) n’avait eu à nous
séduire encore. Elle s’était entourée de bons musiciens: Khalil Chahine (g),
Christophe Cravero (p, vln), Felipe Cabrera (b), Arnaud Dolmen (dm) et Stéphane
Chausse (s). Elle laisse une place large à ses accompagnateurs sur des
titres de son dernier album: «Suds», «Ouvre» «Mon Ile», «Devenir le garçon»,
«An Sel Soley», «Après toi», «La Verticale», «Charabia» avec un chorus au
violon de Viktor Lazlo herself, doublé par Christophe Cravero. Les chansons
chaloupent en nos cœurs puis, en final, la chanteuse appelle sur scène son «petit frère par le cœur mais grand par le
talent»: David Linx. Cent-cinq minutes plus tard et après un «Bukowski», de
et avec David, le festival se clôture par un rappel en duo sur un tube, «Cry Me a River».
J’avoue être arrivé à
Dinant avec une appréhension: c’est
toujours à peu de chose près les mêmes musiciens que Jean-Claude Laloux invite.Et bien, je l’avoue, contrit –pardonnez-moi, mon Père!–, il a eu vachement raison!
Les artistes des quatre coins du monde applaudissent leurs confrères belges et
une joyeuse camaraderie s’installe, transfigure et transporte musiciens et spectateurs. La lumière de
l’Esprit Saint? Dieu soit loué!
Père Jean-Marie Hacquier
Photos: Hugo Lefèvre, Jean Schoubs
avec nos remerciements
© Jazz Hot 2022
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La scène de Jazz à Juan
© Umberto Germinale-Phocus
Antibes-Juan-les-Pins, Alpes Maritimes
Jazz à Juan, 12 et 18 juillet 2022
La 61e édition de Jazz à
Juan marquait un retour à la normale après deux années de covid (l'an passé avait proposé une édition «encadrée») comme pour tous les
festivals, sans jauge, sans masques, sans pass et autres mesures liberticides et
discriminatoires (particulièrement problématiques s'agissant de jazz!). C’était également la première édition programmée par le nouveau
trio Jean-Noël Ginibre (Loop Productions), Reno Di Matteo (Anteprima) et Pascal
Pilorget (GiantSteps) après la disparition en 2021 de Jean-René Palacio qui fut
le directeur artistique du festival pendant 10 ans.
Nous avons retrouvé la Pinède Gould et sa spectaculaire vue sur la
mer qui constituent l’un des plus mythiques décors des scènes jazz du monde. Nous
étions présents pour deux soirées prometteuses, celles des 12 et 18 juillet.
Le festival, qui a accueilli une vingtaine de têtes d’affiche (dont Cécile
McLorin-Salvant, George Benson, Rhoda Scott, Roberto Fonseca, Van Morrison,
Stacey Kent, Gilberto Gil, Joey Alexander ou encore Diana Krall…), a aussi été
l’occasion de nombreuses animations musicales à l’heure de l’apéritif: des
concerts à la petite pinède et au kiosque à musique, ainsi que des marching
bands déambulant dans les rues d’Antibes et de Juan-les-Pins. L’Hôtel Marriott-Ambassadeur accueillait
également un after hours ouvert aux musiciens
amateurs.
Le 12, Charles Lloyd (ts, fl) était présent pour la cinquième
fois à Juan-les-Pins, toujours habité par le souvenir de sa première venue, pour
l’édition de 1966 (il avait alors 28 ans) dont il avait constitué la révélation
comme le rappelle la couverture du Jazz Hot n°223 de septembre 1966. Le
saxophoniste a évoqué la présence cette année-là de l’orchestre de Duke
Ellington, précédant de quelques mois la disparition de Billy Strayhorn auquel
il a rendu hommage. Et c’est en quartet, accompagné de Bill Frisell (g), Reuben
Rogers (b) –avec lesquels il a publié, ces dernières années, trois albums chez Blue Note, sous le nom Charles Lloyd & The Marvels– ainsi que Kendrick Scott (dm), que le saxophoniste a proposé au public, pour
ouvrir la soirée, une heure de très beau jazz post-bop, Bill
Frisell apportant un beau contrepoint; un concert dominé par les
ballades sur lesquelles Charles Lloyd se fait méditatif et souvent
lyrique, allant quelque fois aussi vers plus de légèreté, tandis que le drumming nerveux de Kendrick Scott, par contraste, met la musique sous tension.
Bill Frisell (g) et Charles Lloyd (ts), Juan-les-Pins, 12 juillet 2022 © Umberto Germinale-Phocus
En seconde partie, changement d’ambiance avec le Reunion
Sextet de Chucho Valdés (p) et Paquito D’Rivera (as, cl) qui nous ont offert un
concert comme une fête éclairée par le soleil de La Havane. Le pianiste et le
saxophoniste (80 et 74 ans), en grande forme, ont célébré à la fois les 60 ans
de leur rencontre et leurs retrouvailles qui sont également l’objet d’un album: I Missed You Too!. Paquito, en Monsieur Loyal malicieux a raconté cette relation musicale
et amicale avec Chucho, qui l’écoutait amusé, et a présenté des
compositions très réussies: «Lorena's Tango» (Chucho), aux belles accentuations
blues données par le pianiste, a été l’occasion d’un très swinguant solo de
l’excellent de Diego Urcola (tp, vtb). «I Missed You Too!», titre éponyme de
l’album, a été introduit par le contrebassiste Jose A. Gola. Le titre «Mozart»
fut un moment particulièrement savoureux, Chucho et Paquito passant avec
dextérité du classique (avec la reprise de la «Petite musique de nuit») au jazz
et à la musique cubaine. Facétieux, Paquito fait chanter l’air au public et enchaîne
avec «Sous le ciel de Paris»! Chucho s’amuse également avec des citations de
«Take Five» et de «Watermelon Man»… Un autre titre de Chuco, «Claudia», une
ballade, a permis d’apprécier le magnifique toucher du pianiste et le son tout
en rondeur de Paquito. Une prestation débordant d’énergie, qui a aussi
bénéficié du soutien de Dafnis Pietro (dm) et Roberto Junior Vizcaino (perc),et s’est achevée par un rappel en feu d’artifice devant un parterre transformé
en piste de danse.
Chucho Valdés (p), Paquito D'Rivera (as), Jose A. Gola (b),
Juan-les-Pins, 12 juillet 2022 © Umberto Germinale-Phocus
Le 18, deux générations de pianistes se suivaient. En
ouverture, Tigran Hamasyan était en trio avec Matt Brewer (b) et Justin Brown
(dm) avec lesquels il a enregistré StandArt (Nonesuch Records) où ils reprennent plusieurs grandes compositions du jazz.
Débutant en solo avec «Laura», Tigran s’éloigne rapidement du thème pour
emprunter des chemins «jarrettiens» vers d’autres territoires musicaux. Malgré
sa belle technique, en cherchant à renouveler l’approche du répertoire, il passe
à côté de la mélodie, comme on a pu le regretter sur «All the Things You Are»,
opposant une certaine dureté dans son jeu. Heureusement, quelques bons échanges
avec la section rythmique ont agrémenté ce récital quelque peu «hors sol».
Herbie Hancock, Juan-les-Pins, 18 juillet 2022 © RivieraKris, by courtesy of Jazz à Juan
Herbie Hancock (dont c’était le treizième passage à Juan
depuis 1963!) a pris la suite avec l’intention de donner un véritable show. Le
pianiste –qui devait fêter ses 80 ans à Juan en 2020, année où l’édition a été
annulée– avait comme une revanche à prendre. S’adressant longuement au public,
souriant et affable, Herbie, alternant piano acoustique et électrique, était
venu pour un retour nostalgique sur sa propre carrière, entouré de Terence
Blanchard (tp), Lionel Loueke (g, voc), James Genus (b) et Justin Tyson (dm).
Après un medley de ses compositions, «Ouverture» totalement planant, il a évoqué son amitié avec
Wayne Shorter à travers son célèbre titre «Footprints» mis en valeur par
Terence Blanchard. L’évocation de son groupe Head Hunters et des années 1970 a
fait se croiser jazz, jazz-rock et funk, ce qui n’a pas été sans quelques
magnifiques notes de piano sur «Actual Proof». Mais cherchant avant tout à être
spectaculaire, Herbie Hancock, loin de se contenter d’être un
superbe pianiste, a déployé ses joujoux électroniques (guitare-synthé,
vocoder…) pour une version particulièrement planante de «Come Running to Me»
agrémentée par les effets vocaux de Lionel Loueke, loin de tout expressivité
jazz. Et la star de parachever sa démonstration de force avec un «Watermelon
Man» qui a remporté l’adhésion totale du public. Une célébration de la
personnalité musicale d’Herbie Hancock, avec ses chemins de traverse.
Jérôme Partage
Photos: Umberto Germinale-Phocus,
RivieraKris by courtesy of Jazz à Juan
© Jazz Hot 2022
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Luke Sellick, Monty Alexander, Jason Brown © Ellen Bertet
St-Cannat, Bouches-du-Rhône
Jazz Festival Roger Mennillo, 8-9 juillet 2022
En ce début juillet, Art Expression présentait,
suivant la formule initiée et portée par le regretté Roger Mennillo et par la
très active Chris Brégoli sur près d’un quart de siècle, ses deux soirées
consacrées au piano. Le jardin Joseph Richaud, encore vert en ce début juillet,
accueille agréablement un public d’habitués dont la fidélité ne se dément pas
au fil des éditions. Fidèles aussi, les soutiens institutionnels et privés qui
accompagnent le festival, notamment la mairie de St-Cannat, pour qui le
festival et l’activité de Jazz Expression reste un enjeu culturel.

Thibaud Mennillo-Leportois
© Ellen Bertet
Le vendredi 8 juillet, à 20h30, nous partons en voyage:
Thibaud Mennillo-Leportois, petit-fils de Roger, par ailleurs ingénieur et gérant
de société, a posé les doigts sur un clavier il y a 2 ans pour ne plus le
lâcher. Disons quand même que le jazz a fait partie de son univers dès le
premier biberon, distillé par ses deux amateurs de parents à la collection de disques
impressionnante. Et tout est là, dans ce programme bien nommé «Spiritualité», dans
cette première suite solo de 40 minutes où s’exprime une culture jazz
protéiforme et très personnelle. Il livre un monde habité de multiples
influences, où dominent Thelonious Monk et McCoy Tyner, mais aussi Bill Evans. Son
programme se poursuit avec cette fois une pièce courte à l’ambiance africaine:
jeu sur les cordes, double flûte qui imite les chants d’oiseaux. Le pianiste termine
son set avec «One Day My Prince Will Come», porté par une grande expressivité. Intériorité,
gravité, ressenti profond: on se doute que le grand-père Roger a été un guide déterminant
dans le parcours musical du petit-fils, qui se définit lui même comme «pianiste
de jazz moderne», et qui se projette déjà avec passion dans cette voie.
Kirk Lightsey (p), Piero Odorici (ts), Darryl Hall (b), Jerome Jennings (dm) © Ellen Bertet
George Cables, qu’on attendait en deuxième partie, a
malheureusement été hospitalisé la veille du concert (à Paris, il a depuis pu rentrer dans son pays). C’est à une autre
légende du clavier, Kirk Lightsey, que la providence trouvait libre ce soir-là,
que revint la direction du quartet, aux côtés de Piero Odorici (ts), Daryl Hall
(b) et Jerome Jennings (dm). Kirk Lightsey, qui porte ses 85 ans avec une
vivacité et un brio plus que réjouissants, est paradoxalement plus connu comme
accompagnateur, alors qu’il déploie en scène une aura et une présence «royale»
qui en font un leader incontestable. Il possède une liberté d’expression sans
limites, un sens du récit, et son sourire permanent témoigne d’une réelle joie
de jouer, de partager. Piero Orodici, avec un son chaud et profond au sax
ténor, se situe dans la lignée mélodique des Coltrane et Pharoah Sanders. Il a
débuté le sax à 10 ans, et la liste de ses collaborations, de ses débuts professionnels
avec Sal Nistico et Steve Grossman à Cedar Walton, Dee Dee
Bridgewater, Cyrus Chestnut, Alvin Queen, Enrico Pieranunzi et Roberto Gatto… est
aussi longue qu’éloquente! Il nous a gratifiés de belles impros, en parfait
équilibre avec ses partenaires, dont Darryl Hall, qu’il côtoie depuis 2017.Darryl Hall, from
Philadelphia, a choisi de se fixer en France, mais il reste très actif sur
les circuits internationaux. Musicalement très proche des racines américaines,
il possède un swing subtil mais affirmé, un jeu tout en nuances et très
mélodique. Jerome Jennings, quoique rare en
France, n’est pas un parfait inconnu: à 42 ans, chef résident de l’orchestre de
la Juilliard School, compositeur, il a à son actif des collaborations avec, entre
autres, Sonny Rollins, Wynton Marsalis, Christian McBride, The Mingus Big Band,
Benny Golson… C’est un musicien engagé socialement dans la communauté
afro-américaine, en cohérence avec un parcours musical très centré sur la
tradition. Il a une présence sonore remarquable, d’une finesse et d’une variété
de motifs impressionnants. C’est un quartet de «leaders» qui a ravi ce soir-là les
spectateurs.

Laure Donnat, Cédrick Bec, Ugo Lemarchand © Ellen Bertet
Le samedi 9 juillet, le Quartet de Laure Donnat (voc), avec Ugo
Lemarchand (p, ts), Lilian Bencini (b), Cédrick Bec (dm) ouvrait la soirée. Après
sa relecture en 2010 de Billie Holiday, Laure Donnat continue d’explorer avec
respect et bonheur le répertoire des grandes chanteuses américaines. Ce soir,
elle évoque, avec une voix qui a gagné en puissance ou dont elle utilise plus
la puissance au service de l’expression, Abbey Lincoln, une de ses influences majeures
(«Throw It Away»), Nina Simone (le très jouissif et déclamatoire «Four Women»,
appuyé par les mailloches de Cédric Beck), ou Janis Joplin, avec son «Ode au
Capitalisme»! Bref des vocalistes de choc, fortes femmes, shouters aux profondes racines blues. Sur les traces de Roger, Ugo Lemarchand
est également très impliqué dans l’association Jazz Expression, animant une
grande partie des ateliers jazz. Il délaisse parfois le sax, son instrument de
prédilection, pour évoquer au piano le jeu de Roger Mennillo («Séquence») avec maîtrise
et sensibilité. Lilian Bencini (b), autodidacte, s’est fait rapidement un nom
dans le monde du jazz. Il accompagne la chanteuse dans la vie, sur scène et sur
disques, sur des projets en duo (Billie
Holiday) et plus récemment sur le projet Voix Divines. Cédrick Bec (dm) a acquis très vite une notoriété
nationale, et n’a cessé de multiplier les rencontres –de Ben Aronov, Archie
Shepp à Wynton Marsalis– et les tournées
qui l’on conduit jusqu’en Chine. Capable de se couler dans tous les styles et
les formats, c’est un batteur léger, élégant et très efficace. Le quartet a
conclu sur «My Foolish Heart», énergique à souhait.
Jason Brown, Luke Sellick, Monty Alexander © Ellen Bertet
Pour la conclusion du Festival, le Monty Alexander Trio,
avec Jason Brown (dm) et Luke Sellick (b) était de retour. Encore, me
direz-vous! Mais oui. Si on ne compte plus les passages de Monty Alexander à
St-Cannat –le dernier en 2017 au château de Beaupré–, le public ne boude jamais
et revient toujours plus nombreux, sûr de passer une très bonne soirée, car le
pianiste est là pour le plaisir du public et le bouche-à-oreille fonctionne
toujours. Crinière et barbe blanches, toujours très classe en costard noir, il a
naturellement dédié son concert à l’ami Roger Mennillo, disparu depuis son
dernier passage, pour une prestation moins «éclectique» que lors de son dernier
passage, plus recentrée sur la double culture jazz et jamaïcaine, dont il a une
conscience aigüe et qu’il pratique avec un enthousiasme égal et un profond ressenti.
Les deux courants ne luttent pas, ils se complètent pour donner naissance à un
groove omniprésent, forgé par trois-quarts de siècle (son âge –pardon Monty!) passés devant un clavier!
Pour témoins, ses disques Rasta Monket Harlem-Kingston Express, ponts
culturels jetés de l’Atlantique Nord au golfe du Mexique! Le leader laisse
volontiers la parole à ses partenaires, et c’est avec bonhommie qu’il quitte son
siège et, inquisiteur ou amateur, les regarde jouer: Jason Brown a été l’élève
de Billy Hart, tandis que Luke Sellick suivait l’enseignement de Ron Carter à
la Juilliard; autant dire que la base est solide et dynamique! Et le leader
peut donc à loisir développer ses improvisations, se laisser aller à sa
fantaisie, du Steinway au mélodica, avec une énergie naturellement «renouvelable»
avec «Skamento», «Love Notes» ou «No Woman, No Cry» qui chavire le public.
Voici le scoop: au prochain concert à St-Cannat, Monty chantera! Son
dernier album, Love Notes, un recueil
de chansons romantiques accompagnées au piano, est sorti le 19 août!
Ellen Bertet
texte et photos
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Lyon, Rhône
Jazz à Cours & à Jardins, 11 juin 2022
Tenu par une poignée de bénévoles extrêmement impliqués, ce
festival de la Cité des Gaules dévoile de plus en plus de lieux tenus un peu
secrets pour distiller un jazz sans concession et ouvert sur le monde. Et pour
faire exister, comme le rappellent les organisateurs, «un rêve culturel,
jardinier et pourtant tellement urbain».
Les adhérents du club de boules sont déjà à la manœuvre en
cette fin de printemps caniculaire pour tenir le bar dont les boissons fraîches
seront les bienvenues… La onzième édition du festival Jazz à cours & à
jardins, ouverte le 30 avril avec trois concerts du quartet du saxophoniste
François Dumont d’Ayot programmés dans le cadre de l’International Jazz Day, se
poursuivait du 10 au 21 juin, avec, ce samedi 11 juin, une soirée Jazz’n the Courtyard qui démarre donc
en début d’après-midi au cercle bouliste du Point du jour sur les hauteurs de
Lyon. Ambiance bucolique et bon enfant pour ce concert qui met justement en
avant quelques enfants du jazz grâce à un partenariat avec le conservatoire à
rayonnement régional qui célèbre cette année ses 150 ans.
Les musiciens du Quartet Victoria Alex (Victoria Alexanyan, voc, Vincent Forestier, p, Amin Al Aiedy, b, oud, Mathéo Ciesla, dm) sont tous issus des classes dudit
conservatoire et proposent un jazz de création basé sur leurs propres
compositions dont certaines s’inspirent de mélodies de l’Arménie, pays où la
chanteuse a ses racines. La voix est proche de cette tradition musicale, alors
même que la rythmique s’ancre, quant à elle, dans un jazz plus orthodoxe sur le
plan de la forme. Avec notamment un excellent contrebassiste qui sait rester
très en soutien de l’harmonie. Un mariage tout en finesse, plutôt réussi, qui
n’est pas sans rappeler l’exotisme des douces mélopées de l’Albanaise Elina
Duni. Les deux pays sont certes séparés de quelques milliers de kilomètres mais
le lien esthétique et musical se fait aussi grâce au caractère montagnard de
leurs géographies respectives et à leurs cultures rurales notamment basées sur
le pastoralisme. Deux petits bémols toutefois à cette programmation: côté
musiciens, je suis toujours étonné que de jeunes pousses ne réussissent pas à
faire venir leur propres amis, leurs copains ou leurs familles lorsqu’ils se
produisent eux-mêmes en concert. Dans les rangs du public, cet après-midi-là,
uniquement des tempes grises! Alors que la moyenne d’âge des musiciens ne
devait pas dépasser la trentaine et que tous les concerts du festival sont
gratuits! Où était donc passé le jeune public du jazz ce jour-là? Côté
organisation, enfin, si les spectateurs veulent assister au concert suivant qui
se déroule à dix minutes de là, il leur faut partir avant la fin! Un petit
temps de battement serait le bienvenu…
Vincent Forestier (p), Victoria Alexanyan (voc), Amin Al Aiedy (b), Mathéo Ciesla (dm),
Lyon, 11 juin 2022 © Pascal Kober
Un peu plus loin, donc, changement de décor pour la suite de
la soirée. «Soirée» est d’ailleurs un bien grand mot puisqu’en dépit de cette
appellation, la plupart des concerts démarrent entre 17h et 17h30 pour
s’achever peu après le coucher du soleil. C’est d’ailleurs l’une des
particularités de Jazz à cours & à jardins: tout se déroule en plein air, à
la lumière du jour et dans des sites généralement peu connus des habitants eux-mêmes.
Un vrai plaisir de découverte!
Tel est le cas pour les quatre prestations suivantes qui se
tiennent à Sainte-Foy-lès-Lyon, dans un magnifique domaine arboré de cinq
hectares qui fut autrefois un séminaire construit dans les années 1920 (son
imposant voisin, le séminaire Saint-Irénée a même accueilli le pape Jean-Paul
II lors de sa visite à Lyon en 1986). Transformé en hôtel-restaurant et en
salles de réunions en 2008, le domaine Lyon Saint-Joseph s’ouvre au jazz dans
un paysage qui embrasse un joli panorama sur les monts du Lyonnais, à l’ouest
de la ville. Cadre enchanteur qui sied bien à la fanfare Dixieland de la… Musique de l’Artillerie! Soit une caisse claire, un saxophone soprano, un
soubassophone, un trombone et deux trompettes en grand uniforme. En somme, dans
un tel domaine, le parfait mariage du sabre et du goupillon (réécoutez Jean
Ferrat!). Ces six militaires-là nous transportent d’un seul coup d’un seul
depuis cette verte prairie jusqu’à La Nouvelle-Orléans, allant même jusqu’à
déambuler dans le parc parmi les enfants, ravis de ce voyage immobile au fil de
mélodies si connues que chacun peut les fredonner.
Fanfare de la Musique de l’Artillerie, Sainte-Foy-lès-Lyon, 11 juin 2022 © Pascal Kober
Le directeur artistique du festival, François Dumont d’Ayot,
multi-saxophoniste et même collectionneur d’instruments forts étranges, enchaînera
en duo avec son batteur Attilio Terlizzi en sautant allègrement les décennies
pour nous proposer un jazz radicalement différent, plus proche du free que de
la musique des marching bands. Le trio du clarinettiste Sylvain Kassap
poursuivra dans la même veine en adjoignant au duo soufflant-rythmicien un
accordéoniste (diatonique), Yannick Martin, très déjanté, venu des musiques
traditionnelles. Ce qui n’empêchera nullement les métriques atypiques à onze
temps, les références aux mélodies perses voire les hommages rendus au
trompettiste Don Cherry. Le percussionniste, quant à lui, joue tout autant de
ses instruments à peau que de ses effets électroniques et a d’ailleurs un peu
tendance à se perdre dans les réglages desdits effets plutôt que d’assurer le
soutien rythmique. Une critique que l’on peut hélas de plus en plus formuler en
direction de nombre de musiciens qui confondent expression et électronique.
S’en suivra, bien évidemment, la réunion entre le trio de
Sylvain Kassap et le duo de François Dumont d’Ayot, agrémenté de Pascal Bonnet,
le bassiste de ce dernier. Démarrage avec un très beau duo en
questions-réponses entre la clarinette basse et le saxophone baryton pour un
concert qui, tout du long, marquera indubitablement le temps fort de cette soirée
par la qualité des échanges dans cette rencontre entre des musiciens qui se
connaissent bien et surtout, connaissent bien leurs univers et langages
respectifs. Signes d’une véritable complicité qui est un peu la marque de
fabrique de ce festival totalement atypique à qui l’on ne peut que souhaiter
«bon vent» pour la douzième édition à l’heure où la plupart des grands
événements ne raisonnent plus qu’en terme de jauge et de notoriété sur les
réseaux (que l’on dit) sociaux.
PS: On nous a dit le plus grand bien du trio Un sacré
imaginaire (Julie Campiche, Cédric Chatelain et Eric Longsworth) mais nous
n’avons hélas pas pu nous rendre aux concerts de clôture du festival.
Pascal Kober
texte et photos
© Jazz Hot 2022
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Hommage à Tina May / Montier Jazz Circus
Petit Journal Saint-Michel, Paris, 28 mai et 4 juin 2022
Le 28 mai, le pianiste Patrick Villanueva organisait au Petit Journal Saint-Michel un hommage à Tina May (voir nos Tears) dont il a été un proche. Son idée était très simple: évoquer chacune des facettes de cette chanteuse magnifique et prolifique: il a donc d’abord pioché dans leur répertoire commun, choisi des thèmes du jazz et de la chanson française qu’elle aimait chanter, réarrangé des compositions pour lesquelles elle avait écrit des paroles. Puis, il a réuni tous ceux qui ont connu Tina, et qu’on ne voit pas toujours ensemble sur une même scène.
Pascal Gaubert (ts), Pauline Atlan (voc), Thierry Peala (voc), Pierre Maingourd (b),
de dos Patrick Villanueva (p), Petit Journal St-Michel, 28 mai 2022 © Mathieu Perez
Le quartet de Patrick, composé de Pascal Gaubert (ts), Pierre Maingourd (b) et Germain Cornet (dm), a lancé la soirée avec «Cheesecake» de Dexter Gordon avant d’être rejoint par Pauline Atlan (voc) pour «Them There Eyes», le premier morceau qu’elle a chanté en duo avec Tina, puis, un magnifique «September in the Rain», interprété en français et en anglais. De beaux moments, il y en a eu plusieurs au cours des deux sets. Lorsque Florence Pelly et Jacques Verzier ont chanté «My Ship», extrait de la comédie musicale Lady in the Dark, puis «Dansez sur moi», avec Laurence Saltiel et Gilles Vajou; lorsque Patrick a joué sa composition très jazz avec «Love Me»; lorsque Pauline Atlan a chanté un formidable «You Go to My Head» à la sauce samba, que Patrick avait arrangé pour Tina. Nous avons vu aussi Thierry Peala reprendre «Gentle Piece» de Kenny Wheeler avec des paroles de Tina, et aussi la jeune Pauline Corbaz assurer la partie chanson française («Premier Bal» de Bechet, et «La Fête continue» de Michel Emer). C’est toute la richesse du parcours de Tina que nous avons retrouvée. Dommage que ce concert n’ait pas été enregistré! MP
Le 4 juin, le Montier Jazz Circus plantait son chapiteau dans un Petit Journal bondé. Le public ne s’était en effet pas trompé sur la qualité de l’affiche proposée: la toute nouvelle formation emmenée par Nicolas Montier (ts, ss), dans la lignée de son précédent orchestre, Les Rois du Fox-Trot, avec lesquels il s’est produit pendant plus de vingt ans. De fait, une bonne partie des musiciens ont prolongé l’aventure avec le saxophoniste: Patrick Bacqueville (tb, voc), Shona Taylor (tp, voc), Marc Bresdin (as, cl), Jacques Schneck (p) de même que Michel Bonnet (tp) et Michel Bescont (ts), remplacés ce soir-là respectivement par Louis Relisieux et Thomas Savy. Du côté des entrants, on trouve Pierre Maingourt (b), Christophe Davot (g) et Vincent Frade (dm), ces deux derniers, indisponibles, étaient remplacés pour l’occasion par Ziggy Mandacé et Germain Cornet.
A l'avant: Patrick Bacqueville (tb), Shona Taylor (tp), Louis Relisieux (tp), Nicolas Montier (ts), Marc Bresdin (as),
Thomas Savy (ts), à l'arrière: Jacques Schneck (p), Pierre Maingourd (b), Ziggy Mandacé (g), Germain Cornet (dm),
Petit Journal St-Michel, 4 juin 2022 © Jérôme Partage
Avec une bonne humeur communicative, le Montier Jazz Circus a proposé un premier set consacré aux compositions de l’orchestre, toutes de très bonne facture, à commencer par le premier titre, «Peace of Chance» (Bacqueville). On a retenu sinon une savoureuse «Panama Waltz» (Bonnet), suivie du très dynamique «She Winked at You» (Montier) qui a été l’occasion d’une homérique tenor battle entre Nicolas Montier et Thomas Savy. «Claude et Nathalie» (Montier) a bénéficié du groove vrombissant de Germain Cornet, tandis que le titre «Huuuu» (Montier) –dont les harmonies sont empruntées à «Fascinating Rhythm»– a donné lieu à un solo de Patrick Bacqueville qui, au passage, a cité quelques mesures de l’original de Gershwin. Seul standard de ce premier set, «J’ai deux amours» a été mis en valeur, avec poésie, par Ziggy Mandacé. Le set suivant était dédié à la musique de Duke Ellington. Shona Taylor a donné de la voix sur «It Don't Mean a Thing», «Coco» a permis de belles interventions de Pierre Maingourd et Jacques Schneck, enfin, sur «Jungle Jamboree», on a pu entendre Patrick Bacqueville faire usage du plunger. On souhaite longue vie à cet excellent orchestre dont on espère qu’il ne tarde pas à nous offrir un prolongement sur microsillons. JP
Jérôme Partage et Mathieu Perez
textes et photos
© Jazz Hot 2022
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The Cookers
New Morning, Paris, 3 avril 2022
Voilà longtemps que nous n’avions pas vu un concert aussi exceptionnel. A Jazz Hot, nous les connaissons bien, les Cookers. A l’exception du trompettiste David Weiss, chacun nous a accordé de longs entretiens. Eddie Henderson (tp, n°594, 678), Billy Harper (ts, n°504, 658), Donald Harrison (as, n°644), George Cables (p, n°575, 680), Cecil McBee (b, n°482, 581, 607), Billy Hart (dm, n°624). Cette formation existe depuis une dizaine d’années, mais ces musiciens sont complices depuis la fin des années 1960 pour certains. Ils ont joué des kyrielles de fois ensemble avec des équipes différentes. C’est une famille. Sur la scène du New Morning, le 3 avril, on l’a senti plus que jamais.
George Cables (p), Billy Harper (ts), David Weiss (tp), Eddie Henderson (tp), Cecil McBee (b),
Donald Harrisson (as), Billy Hart (dm), New Morning, 3 avril 2022 © Jérôme Partage
La setlist est
simple: trois thèmes par set, de vingt minutes chacun. Pour chaque
thème, chaque musicien prend un long chorus. Le premier set pioche dans
les premiers disques des Cookers: «The Call of the Wild and Peaceful
Heart», «Peacemaker» et «Croquet Ballet», inoubliable, que Billy
Harper avait enregistré avec Lee Morgan. Le second set puise dans le
disque Look Out! qui vient de sortir (voir notre chronique): «The Mystery of Monifa Brown», «Destiny Is Yours». Et, en rappel,
«The Core». Chaque intervention est remarquable: Billy Hart
stupéfie par son inventivité, Eddie Henderson touche par sa chaleur,
George Cables éblouit par sa virtuosité, sans parler de la solidité de
Donald Harrison, Billy Harper, Cecil McBee, David Weiss. Les Cookers
livrent le jazz le plus profond et le plus contemporain autant qu’ils
jubilent sur scène. On peut juste s'étonner, même si le New Morning était bien rempli, qu'une telle affiche n'ait pas réuni encore plus de monde et notamment plus de musiciens pour venir assister à un événement aussi exceptionnel. John Betsch et Rasul Siddik étaient cependant présents…
Mathieu Perez
Photo: Jérôme Partage
© Jazz Hot 2022
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L'Alpe-du-Grand-Serre, Isère
Jazz' Alp, 4 au 12 mars 2022
Ils sont revenus à
leurs premières amours! Après une année perturbée par un certain virus qui a
imposé une session estivale (voir notre chronique) à un festival qui se
joue depuis six ans les pieds dans la neige, la sympathique équipe de Jazz’Alp
a réanimé l’hiver pour une édition qui a fait la part belle aux découvertes, y
compris locales. Large sourire aux
lèvres pour la petite équipe de Jazz’Alp à l’issue de la dernière soirée du
festival. Les concerts de cette sixième édition ont presque tous fait le plein
dans la salle du Chardon Bleu toute de bois vêtue. Adieu masques, ausweis et
autres «solutions» hydroalcooliques. Place à la liberté d’écouter la note bleue
dans de bonnes conditions grâce aux bons soins de bénévoles dévoué(e)s, grâce à
un accueil chaleureux et grâce aussi à un ingénieur du son au-dessus de tout
soupçon.
A
L’Alpe-du-Grand-Serre, au sud du département de l’Isère, on est loin, très
loin, des grosses machines festivalières de l’été. En témoigne l’attention
portée au pays et à ses gens. Nous sommes ici en Matheysine, entre Trièves et
Oisans. A deux pas de la métropole grenobloise, certes, mais quand même déjà
ailleurs. Dans les Alpes; dans l’alpe; dans la montagne en somme. Hier encore,
autour de La Mure, capitale de la région, les gueules noires extrayaient du
sous-sol un anthracite de premier choix. Les exploitations ont fermé il y a
vingt-cinq ans. Ne restent plus que quelques corons et autres chevalements pour
dire le passé industriel et, surtout, une vitalité culturelle qui doit sans
doute beaucoup aux anciennes solidarités ouvrières. A preuve, le dynamisme
de l’enseignement musical. Hier, ces petites écoles rurales formaient le
creuset qui alimentait les fanfares locales. Aujourd’hui, elles font naître
nombre de petites (et de grandes!) formations que l’équipe, réunie autour de
Gérard Duchamp, sémillant président du festival, tient à présenter le plus souvent
possible en ouverture de soirée. Place aux amateurs. Aussi.
L’atelier jazz de
l’école de musique de La Mure s’est ainsi associé à l'ensemble La Lyre de
Bourg-d’Oisans pour assurer la première partie de l’ETC quintet le mercredi 9
mars. Sur le (petit!) plateau (et même parmi le public!), pas moins de
vingt-deux musiciens! Et des bons! Moyenne d’âge? Trop compliquée à calculer!
Mais de très jeunes adolescents côtoient sur scène des papys et des mamies!
Pour le jazz, la relève est bel et bien là. Sous la houlette du saxophoniste
Laurent Nyssen, un très joli travail d’ensemble, avec de somptueux arrangements
autour de quelques ballades et gospels bien choisis.
L'atelier jazz de l'école de musique de La Mure, 9 mars 2022 © Pascal Kober
En témoigne aussi la
soirée de clôture, dont la première partie a été confiée à l’Afro Collectif
Roizonne, une sympathique bande de fous furieux. Fous, surtout, de l’afro
beat du batteur d’origine nigériane Tony Allen et de Fela Kuti. Eux
viennent de la vallée tout à côté. Quelques milliers d’habitants tout au plus,
une poignée d’éleveurs, une petite route qui serpente dans les alpages… Un
caractère qu’a bien su saisir un mien ami, Emmanuel Breteau qui vient de
publier sur ce petit pays un livre de photographies noir & blanc, magnifique! Derrière les montagnes (éditions Bizalion, Arles).
Bref, une «alpinité» quasi-emblématique qui contraste fortement avec cette
musique qui transpire l’Afrique par tous ses pores et qui ne rechigne
d’ailleurs pas aux thèmes engagés («Colonial Mentality», «Water No Get Enemy»)
voire aux discours militants sur la ségrégation, l’exploitation du continent ou
les ravages de la corruption. Percussions à gogo, une belle section de cuivres,
une stratocaster qui sait faire des «cocottes» funky et la voix habitée
d’Alizée Réant, tout était présent pour inciter à la danse si la salle n’était
si… petite!

Murielle Souet, 6 mars 2022 © Pascal Kober
Autre belle surprise
parmi les premières parties, le sextet Soleme dont Murielle Souet, la chanteuse et
saxophoniste, est également… élue d’une petite commune des alentours. Sur
scène, une instrumentation atypique sans aucune batterie. Au répertoire, des
reprises de standards quelque peu transfigurés, comme cette version très lente
du «Footprints» de Wayne Shorter, l’esprit presque latin de ce «Solar» de Miles
Davis, ce touchant chorus de flûte de Marc Souet sur «Agua de Beber» ou encore
un «Night and Day» joliment introduit a capella. La soirée se poursuivra
avec Ultra Light Blazer, une formation qui mêle le rap à des rythmiques
extrêmement complexes interprétées avec une belle précision mais, hélas!, à un
volume sonore bien trop élevé pour le lieu…
Le lendemain, la
trompettiste de Tatanka doit faire face à des problèmes de santé. Son trio est
donc remplacé au pied levé par celui de… l’ingénieur du son du festival, Pascal
Billot, qui outre son oreille attentive aux mixages, est également (très bon)
saxophoniste et guitariste. D’ailleurs, comme son alto traîne toujours à ses
côtés, la tradition à Jazz’Alp veut qu’il soit invité à venir faire le bœuf
presque chaque soir! Ce lundi, c’est donc avec sa propre formation qu’il assure
le concert. Le trio Barock (Pascal Billot et Michel Teyssier, g, Sergio
Zamparo, fl voc) est issu de L’Artisterie, un collectif de musiciens qui avait
magnifiquement accompagné notre confrère Robert Latxague au Jazz Club de
Grenoble pour ses lectures de textes issus de son livre Tourments
d’amour (éditions France Libris). Il propose là des compositions fines
et délicates, subtilement dérangées par la gouaille et l’expressivité du
chanteur, et ira même jusqu’à inviter sur les deux derniers rappels, Joris
Loïodice, le jeune batteur du groupe qui assurait la première partie, Between
Ukulélé, issu de l’école de musique de Vizille.
Relâche le lendemain,
du moins côté musique vivante, avec la projection de Bird, le film
que Clint Eastwood avait consacré en 1988 à la vie de Charlie Parker. Poignant,
bien sûr, mais le confort des sièges ne se prête guère à 2h40 de projection… Le
mercredi, l’ETC quintet, rend, quant à lui, hommage, dans son intitulé-même, à
Charles Mingus, avec cette abréviation de «Eat That Chicken», un thème du grand
contrebassiste. Oh Yeah! C’est d’ailleurs au hard bop que les
musiciens se réfèrent dans leurs (excellentes!) compositions, doublées d’un
travail époustouflant sur les arrangements, les interprétations et la qualité
du son de chacun des instrumentistes. On retiendra notamment «58» écrit par
Camille Virmoux, le contrebassiste, ou encore «Seul B», un blues signé par le
saxophoniste Benoît Charguereau. Des thèmes originaux comme on aimerait en
écouter plus souvent. Seul bémol: l’absence d’un chorus du contrebassiste dont
je subodore qu’il aurait pu être très musical.
Je vous ai déjà dit,
l’an passé, tout le bien que je pensais d’Olivier Chabasse, l’un des rares à
jouer de l’étonnant Grand Stick Chapman. Il revient cette année mais dans une
formation radicalement différente qui réunit autour de lui le batteur Joël
Allouche et le saxophoniste Alain Debiossat, fondateur du groupe Sixun dans les
années 1980. Même lorsqu’il n’y a pas le moindre instrument harmonique comme
sur ce «Dolphin Dance» d’Herbie Hancock, quelle belle musicalité et quelle
qualité d’écoute entre ces trois-là! Avec leur version de «Come Together» des
Beatles, c’est comme si Marcus Miller s’était lui-même invité au concert…
Filip Verneert (g) et Gil Lachenal (b),
11 mars 2022 © Pascal Kober
Je ne saurai clore
cette chronique sans évoquer le jazz de création du très européen Filip
Verneert & Enrique Simón quartet. Le premier est belge et développe un jeu
de guitare lyrique au son aussi moelleux que celui de son compatriote Philip
Catherine. Le second est espagnol et enseigne le piano à Murcia quand il ne
compose pas pour cette formation. Ils sont ici accompagnés par le batteur
espagnol Pedro Vázquez ainsi que par Gil Lachenal, l’un des tous meilleurs
contrebassistes français qui sait «groover» tout en faisant chanter sa
«grand-mère». L’ensemble nous régalera ce soir-là d’arrangements très écrits
(pas facile de faire jouer ensemble deux instruments aussi proches
harmoniquement que la guitare et le piano) qui ne sont pas sans rappeler
parfois l’art du contrepoint en musique classique mais sans jamais oublier la
liberté de l’improvisation. Et quelles improvisations! Bref, une belle réussite
à poursuivre avec l’écoute de leur premier album, Lucentum.
Enfin, il ne faut pas
quitter l’Alpe-du-Grand-Serre sans souligner les nombreux à-côtés de Jazz’Alp,
tout aussi riches que la programmation elle-même. Ainsi une centaine d’élèves
des écoles du pays ont-il été invités à assister en matinée à une petite
causerie musicale autour de l’histoire du jazz (essentielle en ces temps
pétueux!) animée par Olivier Chabasse et le guitariste Jean-Philippe Watremez.
Ainsi Raphaël Serfati a-t-il tenu tout au long du festival, un stand de livres,
d’albums, de CDs autour de la note bleue et de numéros de Jazz Hot.
Un libraire singulier qui a fondé il y a à peine quatre ans une librairie à
Mens, petite commune de moins de 2000 habitants, dans laquelle il propose
plusieurs dizaines d’ouvrages sur le jazz! Ainsi, enfin, de François Drapier,
graveur, peintre et… trompettiste messin, qui a été invité chaque soir à venir
dessiner les musiciens en direct et qui a pu exposer d’étonnants croquis saisis
sur le vif. Belle alliance entre les arts du spectacle et les arts visuels qui
laisse présager de sympathiques prolongements à Jazz’Alp. Longue vie à toute
l’équipe (qui veut s’agrandir: contactez-les!). On se retrouve l’an prochain
autour d’un murçon.
Pascal Kober
Texte et photos
© Jazz Hot 2022
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Philippe Chagne Quartet, Esaie Cid Quartet, Dany Doriz & Michel Pastre
Caveau de La Huchette, Paris, 16 mars, 2 et 13 avril 2022
Deux ans presque jour pour jour après sa longue fermeture, suivie d'une réouverture sous contrainte, nous étions enfin de retour au Caveau de La Huchette, les contrôles ségrégationnistes étant suspendus. On n'avait pourtant pas l'impression d'avoir quitté le Caveau depuis si longtemps tant les retrouvailles parurent naturelles. Si ce n'est qu'un public très jeune et majoritairement féminin occupe désormais les bancs du sous-sol alors que les habitués de la piste de danse se font plus rares.
Pour nous remettre en train, on a pu compter le 16 mars sur Philippe Chagne (ts), à la tête d'un bon quartet. Une assurance tout-swing, car on sait que le ténor a affuté ses anches dans les sections de cuivres des big bands (Gérard Badini, Michel Pastre, François Laudet...) tout en proposant régulièrement des projets variés (un bel hommage à Mingus en 2018), et dernièrement une relecture jazz de musiques de films concoctée avec ses complices Olivier Defaÿs et Philippe Petit, Swingin' Affair fait sa B.O., parue chez Frémeaux. Au piano, Rémi Toulon, notamment connu pour son trio Take 3 avec le même Philippe Chagne et Robert Ménière, a évolué dans des contextes assez différents, tout comme le contrebassiste Marc Bollengier qu'on a pu entendre auprès de Ronald Baker et Chris Cody, comme de Dave Liebman et Nicolas Folmer. Enfin, à la batterie, Pascal Mucci a tenu les baguettes dans les formations du bluesman Nico Duportal. Au programme des réjouissances, de belles compositions du jazz («Fried Bananas» de Dexter Gordon, «In a Mellow Tone» de Duke Ellington...), quelques blues et ballades sur lesquels le leader s'est exprimé avec profondeur («Doxy» de Sonny Rollins, «On a Misty Night» de Tadd Dameron) et même
un réjouissant passage funky sur le «Watermelon Man» d'Herbie Hancock,
donnant lieu à de savoureux échanges entre Rémi Toulon et Pascal Mucci. Free at Last, comme disait Martin Luther King!
Philippe Chagne (ts), Rémi Toulon (p), Marc Bollengier (b), Pascal Mucci (dm),
Caveau de La Huchette, 16 mars 2022 © Jérôme Partage
Le 2 avril, c'est Esaie Cid (as) qui officiait dans un Caveau bondé (la fièvre du samedi soir!) où l'on retrouvait cette fois ce mélange des publics qui caractérise le club: habitués, danseurs, curieux, touristes, amateurs de jazz, de même que différentes générations qui se côtoient comme nulle part ailleurs. On remarque tout de même une présence plus marquée de jeunes gens qui d'ailleurs s'expriment avec bonheur sur la piste de danse et certains même avec talent! Dans cette ambiance surchauffée, le saxophoniste catalan n'a pas eu de peine à encourager la ferveur de l'audience, soutenu par une belle équipe: Patrick Cabon (p), Kevin Gervais (b) et François Laudet (dm). De «Perdido» (Juan Tizol) à «Tickle Toe» (Lester Young), le swing était au rendez-vous avec parfois quelques nuances latines comme sur «Fiesta Mojo» (Dizzy Gillespie) sur lequel l’excellent Patrick Cabon a accentué la couleur afro-cubaine. Enfin, quoi de mieux qu'une soirée avec deux bons batteurs? Ainsi, au deuxième set, François Laudet a cédé son siège pour quelques titres à Germain Cornet tout à son affaire sur «Jump for Joy» (Duke Ellington).
Dany Doriz (vib), Michel Pastre (ts), Didier Dorise (dm), César Pastre (org),
Caveau de La Huchette, 13 avril 2022 © Jérôme Partage
Le 13 avril un quartet aussi réjouissant qu'original était à l'affiche du Caveau, constitué de deux pères et deux fils: d'un côté, Dany Doriz (vib) et Didier Dorise (dm), de l'autre, Michel (ts) et César Pastre (org). Soit les retrouvailles entre deux familles de musiciens qui partagent la scène depuis longtemps. Dany, le maître des lieux, qui a fêté ses 80 printemps en septembre dernier, est toujours d'une extrême finesse. Didier, batteur précis et énergique, offre un soutien rythmique solide, amplifié par le groove de César qui a déjà un sacré métier. Enfin, ténor au son puissant et suave, Michel Pastre s'impose comme l’un des excellents représentants de son instrument de ce côté-ci de l'Atlantique. Une belle soirée qui redonne l'envie de marcher «On the Sunny Side of the Street».
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot 2022
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JAZZ STAGES © Jazz Hot 2021
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L'Alpe-du-Grand-Serre, Isère
Jazz' Alp, 29 juillet au 2 août 2021
Dans les montagnes de la Matheysine, on ne renonce pas.
Cinq ans déjà qu’avec l’association Courant d’Arts, Gérard Duchamp et ses amis,
Daniel, Marie-Noëlle et les autres, ont lancé Jazz’ Alp, le petit festival de la
(non moins petite) station de sports d’hiver de L’Alpe-du-Grand-Serre. Qui,
comme il se doit, se déroulait traditionnellement début mars, à la fin de la
saison de ski.
L’année dernière, la quatrième édition s’était achevée deux
jours avant le premier confinement, avec un concert des Doigts de l’Homme, le
fameux groupe de jazz manouche fondé au début des années 2000 par le guitariste
Olivier Kikteff. Alors, pour 2021, ils y avaient cru, les bénévoles de
Jazz’ Alp, bâtissant une programmation artistique qui aurait dû nous réjouir des
5 au 13 mars derniers. C’était sans compter le énième confinement ou le énième
couvre-feu qui jetteront tous leurs efforts au tapis. Mais c’était aussi sans
compter l’énergie de l’équipe et sa volonté de ne rien lâcher. Résultat: on
prend les mêmes (ou presque) et on r’commence. En été cette fois… «Car
comment passer deux ans sans festival et sans musique vivante dans nos
montagnes?»
Maracuja, L’Alpe-du-Grand-Serre, 29 juillet 2021 © Pascal Kober
Prologue tout en douceur dès la mi-juillet avec les tendres
chansons à danser de Camille Lachenal, seule en scène avec sa voix, son nain de
jardin et ses petites machines. Une belle découverte! Le jeudi 29 juillet, le
quartet Maracuja ouvrait vraiment les festivités, précédé par un autre quartet,
Ipso Facto, en première partie. Les compositions lumineuses de la flûtiste
Amina Mezaache doivent beaucoup aux riches harmonies du Brésil et à une
instrumentation atypique. La contrebasse est ici remplacée par un soubassophone
aux lignes mélodiques onctueuses et la batterie par un set de percussions aux
sons littéralement inouïs, très sensuels et tactiles, tout de bois et de peaux.
Une très jolie couleur d’ensemble et des arrangements chatoyants et
remarquablement écrits complètent un tableau qui fleure bon les tropiques non
sans rappeler parfois la folie (douce) d’un Hermeto Pascoal. Un enchantement!

Olivier Chabasse (b), L’Alpe-du-Grand-Serre,
30 juillet 2021 © Pascal Kober
La pluie fait des claquettes, sous le barnum, à minuit, le 30 juillet. Sale
temps à L’Alpe-du-Grand-Serre. Même en été. Même avec les ritournelles de
Claude Nougaro dans l’oreille. Ce soir, en solo intégral, Olivier Chabasse fait
un sans faute à tous les niveaux, avec un concert enthousiasmant et une
technique totalement maîtrisée. L’homme est d’abord contrebassiste et, pour la
petite histoire, joue d’ailleurs d’un instrument fabriqué à deux pas d’ici, au
pied du Vercors, par le luthier Christian Laborie. C’est toutefois un autre
luthier qui surprendra le public lorsqu’Olivier sortira son Grand Stick, une
espèce de piano-guitare à douze cordes, conçu en 1974 par l’Américain Emmett
Chapman et qui se joue en «tapping» (une pratique popularisée notamment par
Stanley Jordan) avec les deux mains sur le manche, tenu verticalement, l’une
assurant la ligne de basse et l’autre la mélodie, les contrechants voire…
l’harmonie! Ils sont à peine une centaine en France à s’essayer à cet
instrument singulier dont le premier exemplaire avait été acheté par le grand
Joe Zawinul lui-même et qui, en jazz, nécessite un sacré sens du swing pour ne
pas tomber dans le travers de l’exercice technique pour chien savant. Olivier
Chabasse, lui, est toujours dans la musicalité et le sens de la nuance.
D’autant plus impressionnant qu’il chante aussi sur ses propres
accompagnements, ce qui, foi de bassiste, est en soi très impressionnant! Ses
reprises du répertoire de Claude Nougaro sont pures merveilles et je me demande
bien pourquoi aucun producteur n’a encore signé avec lui pour enregistrer un
album qui se vendrait comme des petits pains à l’issue de chaque concert…
Gérard Duchamp, qui assure la direction artistique d’une
bonne partie de Jazz Alp’, joue lui-même de la contrebasse. Un atavisme qui le
pousse à programmer des musiciens de la note grave? Toujours est-il que le
quintet qui suit est celui d’un autre bassiste, électrique cette fois, qui
écume régulièrement les scènes régionales. Ce soir-là, Philippe Soriano compose
la majorité de son répertoire, à l’exception d’une reprise de «Nardis» de Miles
Davis. Surtout, il est extrêmement bien entouré par des musiciens qui savent la
signification (et la mise en pratique!) du mot «groove». Techniquement, ça
virevolte avec aisance, expression et virtuosité, tout autant sur des thèmes
complexes et des mesures à quinze temps que lors de ce duo d’une rare intensité
entre Pascal Billot, au saxophoniste alto, et Philippe Bonnet, tout en finesse
à la batterie. Un concert que les musiciens présents dans la salle auront
apprécié à sa juste mesure.
 Zarhzä, L’Alpe-du-Grand-Serre, 1er août 2021 © Pascal Kober
Les deux jours de clôture du festival se feront sous le
signe de la fête et de la danse sous le chapiteau. Avec Zarhzä tout d’abord,
fine équipe de saltimbanques bien dérangés des tempos, à mi-chemin entre
l’orchestre de bal et le Brass Fantasy de Lester Bowie. En dépit des
températures toujours fraiches, ces énergumènes-là mettront le feu au public
pour finir par chanter a capella parmi les spectateurs. Le lendemain,
précédé en première partie par Soleme, un sextet d’excellente facture sur les
grands standards du jazz (et notamment un très touchant «Blue in Green»), la
petite souris et ses matous affamés feront déferler un blues de derrière les
fagots qui ne laissera personne indifférent: sens du spectacle affirmé et
relation très chaleureuse avec le public, Little Mouse and the Hungry Cats,
jeune formation tout récemment créée, devrait faire un tabac dans les années à
venir si les petits cochons (du showbiz) ne les mangent pas.
Première édition estivale très réussie, donc, pour ce
festival qui sait jouer la carte de la convivialité, de la bonne humeur et des
plaisirs partagés que l’on a trop tendance à oublier aujourd’hui dans d’autres
manifestations. Et tiens, puisqu’on parle de plaisirs, si vous vous rendez à
Jazz’ Alp l’hiver prochain, je vous conseille le sauté de veau et les olives
maisons ainsi que la petite goutte d’alcool de myrte (tout aussi maison) de la
patronne (corse…) de l’hôtel des Gentianes tout proche. Miam!
texte et photos: Pascal Kober
© Jazz Hot 2021
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Kenny Barron, 11 juillet 2021, Saint-Cannat
© Félix W. Sportis
Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
Roger Mennillo Jazz Festival, 11 juillet 2021
Dans l’espace champêtre du jardin Joseph Richaud qui, au
centre de la commune de Saint-Cannat, offre à ses quelques cinq mille habitants
un espace ombragé ceint de murs de pierres aux parfums enfantins, s’est, le
dimanche 11 juillet, clos la 23e édition du Roger Mennillo Jazz Festival. Pour cette dernière soirée gratuite
en forme de jam session, s’étaient réunis parents et amis, élèves et musiciens
de tous âges conduits par le contrebassiste Michel Zenino, pour adresser un
hommage sans tristesse, comme un message de vie continuée, au fondateur de la
manifestation disparu au début de l’année.
La veille, alors que la nuit n’avait pas encore déposé son
voile sur l’assistance, Jacky Gérard, le maire du village, avait ouvert
les
festivités par un message ému et chaleureux à l’endroit de Roger. Après
les
quelques mots de bienvenue chargés d’émotion adressés au public par
Christiane
Brégoli, l’autre animatrice de la manifestation, il promit aux quelques
350 personnes présentes de pérenniser et de donner plus d’éclat encore à
cette manifestation de jazz qui conférait à sa
collectivité, disait-il «un rayonnement bien plus large que la seule
région».
En effet, l’ami Kenny Barron était de retour comme le
symbole de cette volonté de maintenir l’identité du festival; à croire que les
dieux s’y étaient associés, l’endroit connu alors la magie des soirées d’été
comme la Provence en a seule le secret. La formation, composée de Kenny Barron (p), Steve Nelson
(vib), Peter Washington (b) et Johnathan Blake (dm), ouvrit le concert par une
lecture élégiaque d’une ancienne (1932) et belle mélodie d’Irving Berlin, «How Deep Is the Ocean»(1). Dans
une introduction tout en retenue au cours de laquelle, par le traitement des
harmonies, il fit progressivement redécouvrir le thème, le pianiste installa le
climat de la pièce pour permettre au vibraphoniste dans un phrasé aérien de
poursuivre sur quatre chorus, suivis de trois autres
tout aussi lyriques du pianiste, puis de deux autres très profonds du
contrebassiste, le tout accompagné par le jeu aux balais très discret du
batteur. La pièce se termina sur la reprise du thème par l’ensemble, après un
très construit 8/8 du batteur. Belle et discrète homélie à l’ami Roger. En rupture avec le thème précédent, la formation enchaîna
sur un autre standard, au contenu guère plus gai (une brouille de
l’infidélité), «Don’t Explain» (Arthur Herzog et Billie Holiday, 1944). La
composition traitée avec beaucoup d’humour sur un rythme caraïbe (rumba) en
tempo moyen, permettait un dialogue piano/vibraphone plein de vivacité
et d’à-propos, recréation appréciée par l’assistance. Avec le troisième thème, Kenny Barron revint à ses amours,
Thelonious Monk: une composition de 1952, «Monk’s Dream», dont la facture
rythmique fit ressortir la cohérence du groupe et la maîtrise instrumentale de chacun: le pianiste
(trois chorus) en vint à l’épure rythmique soutenu
par une partie de batterie très Philly Joe Jones, tandis que le vibraphoniste (trois chorus) explorait la partie mélodique du thème, notamment
sur le pont. Un moment musical fort du concert qui fut apprécié par les
amateurs de jazz et de swing, nombreux dans ce jardin.
Et, en guise de commentaire musicologique à la pièce qu’il
venait d’interpréter, Kenny Barron enchaîna sur «Body and Soul», la composition
de Johnny Green (1930), dont la version de Coleman Hawkins (1939) constitue une
des pièces historiques du jazz. L’introduction du thème, annoncée par un
traitement monkien de la structure harmonique, éclaira toute l’histoire du
jazz; le pianiste donna musicalement les ressorts rythmiques et harmoniques qui
firent que le Bean soit allé chercher Sphère pour l’accompagner dès 1940.
Formidable commentaire de texte musical aboutissant à une exposition tout en
sobriété du thème par le vibraphone sculpté par le silence. L’ensemble était
soutenu par le bassiste et le batteur aux balais en parfait accord avec le ton
musical choisi. Chacun des musiciens prit ses soli dans l’esprit proposé par
Kenny. Plus de six minutes de grande intensité. Moment rare. L’assistance ne
s’y trompa pas qui applaudit longuement.
Sans prendre la peine d’annoncer l’œuvre
suivante, Kenny Barron, après une courte introduction de
huit mesures, remonta le temps jusqu'à 1928 avec la composition de George
Gershwin, «Embraceable You»,
en tempo medium up. Steve Nelson emboîta le pas joyeux de son leader, le tout
accompagné par une remarquable section rythmique sans retenue. Rupture d’ambiance et d’espace: sur deux chrorus, un duo piano/contrebasse vint apporter une note d'intensité et d'intimité. Durant ce
mouvement original, qui souligna la superbe clarté du toucher de Kenny et la
mise en place exceptionnelle de Peter Washington, le public retint son
souffle avant d'exploser en applaudissements: instants magiques que mit en relief l’entrée aussi discrète que
bien amenée de Blake aux balais.
Kenny Barron (p), Peter Washington (b), Steve Nelson (vib),
Johnathan Blake (dm), 11 juillet 2021, Saint-Cannat © Félix W. Sportis
Ensuite, Nelson, Blake et Washington quittèrent l’estrade,
laissant Kenny Barron interpréter en solo sa composition écrite en l’honneur du
pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim, «Song for Abdullah»(2).
Le public eut tout loisir d’en admirer la rigueur et la beauté. La pièce, aux
accents d'hymne sud-africain dont l'inspirateur s'est fait une spécialité,
fut magnifiquement servie par la maîtrise technique du pianiste dont le détaché
du jeu très classique n’ôtait rien à la lecture romantique de l’œuvre. Le
public de Beaupré, qui avait déjà eu l’occasion de
l’entendre, l’applaudit longuement. Le groupe se reconstitua pour donner en final une version
somme toute assez classique d’un thème qui eut les faveurs des hard-boppers des
années 1950-1960: «Softly as in a Morning Sunrise»,
une très ancienne chanson (1928) de Romberg et Hammerstein, une version qui fut l'objet d’une superbe
interprétation des quatre musiciens. Après un rappel, le quartet donna une version
assez courte de la pièce de Thelonious Monk, «Green
Chimneys» (1966), écrite en référence à une institution qui avait
accueilli sa fille, Barbara, pièce que Kenny avait déjà interprétée dans
une version plus longue, en 2015 à Beaupré, le Kenny Barron Trio comprenant alors Kiyoshi
Kitagawa
(b) et Johnathan Blake (dm). C'est un thème familier de Kenny Barron
qui servit de titre à un excellent album paru chez Criss Cross Jazz
(enregistré en 1983 et 1987).
Dans cette soirée d’exception, il fut permis de retrouver l’esprit
d’une ville, Philadelphie, transcendée par le talent de son leader soutenu
par Johnathan Blake, le
benjamin de la formation né lui aussi à Philadelphie en 1976, dans une
famille de musiciens. Egalement admirateur d’Elvin Jones, ce batteur
tonique et plein de finesse, au son si particulier, s’avéra être ici,
par son drive, un digne successeur de Philly Joe Jones. Né à Los Angeles
en 1964, Peter
Washington, est un
brillant contrebassiste, formé à l’école de Harold Land, des Jazz
Messengers et
de Tommy Flanagan; sa mise en place est irréprochable. Quant à Steve
Nelson, un
natif d’une des Capitales du jazz, Pittsburgh (1954), ses acquis auprès
des
plus exigeants (Mulgrew Miller, Jackie McLean…) firent merveille. Sa
sonorité, combinant le feeling blues à la Milt Jackson et la virtuosité
lumineuse de Lionel Hampton, a ravi le public. La musicalité de ses
interventions trouva à s’exprimer dans ce répertoire très mélodique.
Il n’est point besoin de présenter Kenny Barron. Comme les
grands crus, il se bonifie, si cela est encore possible car c'est un maître du clavier depuis des années. Notre
région, où il s’est produit à de nombreuses reprises, l’avait justement
récompensé de la Médaille d’Or du Conseil Général des Bouches-du-Rhône en 2002
lors du Festival de Jazz de Salon-de-Provence, pour l’ensemble de son œuvre
déjà considérable. Après un superbe concert en piano solo au Mas de Fauchon en 2019 dont chacun se souvenait en l’absence de Roger Mennillo déjà empêché par la
maladie qui l'a emporté, c’était la 7e fois qu’il se produisait à Saint-Cannat en ce 11 juillet
2021. Toujours aussi profond, brillant musicien et compositeur, Kenny Barron est
tout simplement un grand concertiste comme on le dirait de grands interprètes classiques, Gould, Richter ou
Janis.
A la sortie, le public était rayonnant,
chacun s’accordant à reconnaître qu’il avait assisté à une soirée
musicale exceptionnelle. texte et photos: Félix W. Sportis
© Jazz Hot 2021
1. Cette chanson écrite en 1932, en pleine Grande Dépression, dans laquelle le songwriter se pose dans des questions
existentielles auxquelles il ne sait répondre que par l’amour, apporta la célébrité à Irving Berlin.
2.
Né
Dollar Brand en 1934 au Cap, Afrique du Sud, Abdullah Ibrahim, un
pianiste de talent et ami de Kenny Barron, se produisit, en compagnie de
la
chanteuse Bea Benjamin, pour la première fois en Europe au
Festival de Jazz d’Antibes en 1963.
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Rhoda Scott & Thomas Derouineau
Varages (Var), 16 juillet 2021
Varages, jolie commune de 1200 âmes, perchée sur un rocher à la lisière du parc naturel du Verdon, organisait, en partenariat avec Jazz Hot, une grande soirée de jazz le 16 juillet 2021, pour la première fois de son histoire. Près de 500
spectateurs (un record d’affluence!), venus en voisins mais parfois aussi au
delà des limites du département, se sont pressés pour écouter Rhoda Scott
dont la popularité auprès du grand public ne s’est pas démentie. L’organiste,
arrivée au village dans la matinée, avait été invitée à visiter la faïencerie
et le moulin à huile –les deux mamelles de l’artisanat varageois–, ainsi que
l’orgue de l’église Notre-Dame-de-Nazareth dont la restauration fait l’objet
d’une souscription.
Thomas Derouineau (dm) et Rhoda Scott (org), Varages, 16 juillet 2021 © Jérôme Partage
Et le soir, c’est en duo avec le batteur Thomas Derouineau
que Rhoda Scott a présenté quelques titres de son dernier album (Movin’ Blues, Sunset Records), parmi
lesquels, «Blue Law» et «Caravan» (avec
un bon solo de Thomas Derouineau). La formule en duo permettant à «the Barefoot
Lady» d’enchaîner les morceaux au fil de son inspiration, elle a embarqué sans
peine l’audience pour un voyage aux sources de son apprentissage musical, celui
de l’église afro-américaine, notamment évoquée par une version d’une grande
densité de «Come
Sunday» et par le gospel
«I’m Looking for a Miracle». Pour conclure, Rhoda Scott a déployé son
énergie communicative sur un «In the Mood» (l'hymne de la Libération)
qui a soulevé l’enthousiasme
général. On se souviendra de cette belle soirée de l’été 2021, une
salvatrice
respiration, sans contrôles ni contraintes, entre deux serrages de
verrous, sanitaire mais pas que… De ce côté aussi, «we're looking for a
miracle» pour la Libération!
texte et photo: Jérôme Partage
© Jazz Hot 2021
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Lyon, Rhône
Jazz à Cours & à Jardins, 5 et 13 juin 2021
Pour sa dixième édition, ce goûtu festival de la capitale
des Gaules a repris ses aises printanières après avoir été contraint, l’an
passé, à un report automnal. Et c’est tant mieux car Jazz à Cours & à
Jardins, joue ainsi le rôle d’un fort agréable moment apéritif en ouverture des
nombreuses manifestations de l’été.
En vérité, tout a déjà commencé lors de l’International Jazz
Day du vendredi 30 avril par un prélude animé par le patron du festival
lui-même, le multi-instrumentiste François Dumont d’Ayot qui, à cette occasion,
a décidé de maintenir, contre vents et marées, trois concerts de sa propre
formation, un quartet, dans des résidences pour personnes âgées ou «empêchées»
(comme on dit dans la novlangue). Je n’y étais toutefois pas, tout comme j’ai
hélas raté, en ouverture du festival, le vendredi 4 juin, les deux concerts de
Julia Kallman sur les répertoires de Georges Brassens et de Boris Vian.
Le lendemain, c’est dans le jardin de l’Institut Cervantes
qu’il convenait de prendre le frais en début d’après-midi. Faut-il le rappeler?
La particularité de ce festival, c’est de proposer des concerts (à entrée
libre!) dans des lieux habituellement fermés au public. L’intitulé du festival
joue sur cette double lecture: la promesse d’une découverte de sites un
tantinet secrets et une scène insolite où les artistes se répartissent (comme
on dit dans leur jargon) entre cour (à droite pour nous, public, regardant le
plateau) et jardin (à gauche, donc). Cette configuration bucolique est très
séduisante, comme en témoigne ce premier concert de l’Austral Duo, en surplomb
des toitures lyonnaises de la presqu’île. Yves-Marie Bellot et Angelina Pelluet
sont encore étudiants au département des musiques nouvelles du conservatoire de
Lyon mais leurs compositions originales vont littéralement enchanter le public
avec un vrai sens de la mélodie et une jolie voix qui porte des chansons
d’amour sans lien direct avec le jazz mais fort élégamment troussées.
 Sylvain Kassap (cl) et Hélène Labarrière (b), Lyon, 5 juin 2021 © Pascal Kober
Changement de décor en fin d’après-midi avec la très
martiale cour de la résidence du gouverneur militaire de la ville. En plein
cœur de la cité, à deux pas du parc de la Tête d’Or, ces quelques centaines de
mètres carrés de vieilles pierres n’ont pas dû souvent accueillir des harmonies
aussi déjantées que celles du duo entre Sylvain Kassap (aux clarinettes) et
Hélène Labarrière (à la contrebasse). Et quel son(ptueux!), cette contrebasse,
pourtant démontable en deux parties! Alors, déjantées certes (pour des
militaires) les harmonies, mais curieusement, ça chante et ça chante même bien,
y compris pour qui ne serait pas sensible à l’univers du free jazz dans lequel
ont longuement évolué ces deux musiciens au fil de leurs carrières. Un bel hommage
sera d’ailleurs rendu au contrebassiste Jean-Jacques Avenel qui a longtemps
joué avec Steve Lacy. Enorme travail sur le grain du son, complicité évidente
dans les échanges (un regard suffit parfois pour passer d’un registre à un
autre), on perçoit là une belle histoire d’amitié qui se poursuit tout aussi
fortement avec l’intégration de François Dumont d’Ayot et d’Attilio Terlizzi,
son batteur, pour achever magnifiquement le concert.
La clôture du festival, le 13 juin, se déroulait, quant à elle, en deux
lieux fort différents: le jazz club Mademoiselle Simone, dans la cour d’un
hôtel situé non loin de la gare de Perrache et le gigantesque parc de…
l’archevêché! Conclusion (mais on s’en doutait…): les archevêques sont mieux
lotis que les amateurs de jazz! Le quintet de Maxime Thomy impressionne. Des
gamins (à peine dix-huit ans pour certains) avec de forts niveaux de technique
instrumentale (notamment le guitariste, Léo Geller, et le batteur, Julien
Ducruet), mais pas seulement. Elèves du département jazz du conservatoire de
Lyon, ils déroulent un répertoire bâti en grande partie sur des compositions
plutôt bien vues mais aussi sur des standards comme la… septième symphonie de
Beethoven, intelligemment transfigurée en jazz. Le second groupe de cette
première partie de journée est le Sud Ardèche Jazz Workshop, un collectif créé
en 1993 qui se produit avec une instrumentation atypique (deux violoncelles,
guitare, basse, batterie et quatre «soufflants»), en intérieur, dans une
décoration de club de jazz qui fait des clins d’œil au célèbre Preservation
Hall de La Nouvelle Orléans.

Peter A. Schmid (s), Lyon,
13 juin 2021 © Pascal Kober
Dans le parc de l’archevêché, panorama somptueux sur la
ville de Lyon et jusqu’au Mont Blanc pour le concert du Suisse Peter A. Schmid.
L’homme joue notamment du tubax, une sorte de saxophone contrebasse en ut (soit
une octave plus bas que le baryton !), inventé tout récemment (en 1993) et qui
compte pas moins de cinq mètres de tuyaux ! La formation réunionnaise qui suit
(Fangar Zanatany) relève davantage du maloya, musique emblématique de cette île
de l’Océan Indien, mais elle fait danser petits et grands dans cet immense îlot
de verdure où sont réunis pas loin de cinq cents spectateurs.
François Dumont d’Ayot assurera lui-même la fin de son
festival en proposant son propre quartet auquel s’adjoint Peter A. Schmid.
Démarrage en fanfare avec un thème très swinguant interprété à l’orgue Hammond,
suivi du titre « Les Cyclamens», l'une de ses compositions en hommage à Steve Lacy («car c’est Lacy qui
l’amène»…) et d’une nouvelle reprise du «Chant des canuts», écrit par
Aristide Bruant en 1894 (sur une antienne populaire anonyme dont la mélodie est probablement antérieure à la Révolution) pour célébrer les révoltes ouvrières de 1831 et 1834 et
repris en forme de complainte par Yves Montand.
Charles Trenet, lui, chantait tout autre chose il y a fort
longtemps: «C’est un jardin extraordinaire / Il y a des oiseaux qui tiennent
un buffet / Ils vendent du grain, des petits morceaux de gruyère ». Jazz à
cours & à Jardins n’aura pas fait la révolution, mais un festival où des
bénévoles vendent, pour presque rien, des quiches lorraines au comté et aux
lardons, mitonnées à la maison, ne peut pas déplaire. Y compris à un Messin
d’origine, pourtant sourcilleux sur la présence de fromages du… Jura dans la
quiche! Longue vie et rendez-vous au printemps 2022 pour la onzième édition.
texte et photos: Pascal Kober
© Jazz Hot 2021
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JAZZ STAGES © Jazz Hot 2020
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François Dumont-d'Ayot © Pascal Kober
Lyon, Rhône
Jazz à Cours & à Jardins, 6 septembre et 10 octobre 2020
Je n’ai pu assister qu’à deux journées de l’édition 2020 de Jazz à
Cours & à Jardins mais quel enchantement de retrouver les plaisirs vrais
des concerts en direct après un été sans festival et tant d’ersatz diffusés de
longs mois durant et jusqu’à la nausée sur les réseaux dits sociaux! La
première (le dimanche 6 septembre) se déroulait dans un site charmant: le
cercle des boulistes (lyonnais, évidemment !) du Point-du-Jour. Ce lieu tout à
fait improbable, situé sur les hauteurs de Lyon, forme un cadre idéal pour de
petites formes intimistes qui ont tout de même rassemblé pas loin de trois
cents personnes. Au menu, petites gâteries culinaires mitonnées par les
adhérents du club (nous ne sommes pas par hasard dans la capitale de la
gastronomie!) et trois concerts. La première partie est assurée par Al Maktaba,
un ensemble oud-guitare-violoncelle-voix-percussions-danse, fort agréable à
l’écoute mais dont le lien avec le jazz est pour le moins ténu, d’autant que
les musiciens ne contextualisent guère les thèmes qu’ils interprètent.
Apparemment des classiques du répertoire oriental mais s’agit-il là de poèmes
amoureux, de berceuses pour les enfants, de chants de révolte ou de résistance?
Nous n’en saurons rien. Attilio Terlizzi, batteur attitré de François Dumont-d’Ayot,
saxophoniste et fondateur du festival, prendra le relais au djembe, aux congas
et au chant pour une carte blanche. Envolées aux percussions harmoniques (vibraphone),
citation fugace du «Spain» de Chick Corea, batterie jouée aux mailloches
pour un duo avec Fred Balsarin, son compère sorcier des sons électroniques,
l’ensemble est joué tout à l’énergie. Et quelle énergie! François
Dumont-d’Ayot le rejoindra sur la fin du set comme pour annoncer le concert de
clôture de la journée.
Une clôture en majesté puisque
le saxophoniste invite une rythmique jazz de rêve réunissant le batteur John
Betsch (swing assuré!) et la contrebassiste Leila Soldevilla (groove imparable
et son magnifique!) pour accompagner le flûtiste Michel Edelin. François
Dumont-d’Ayot s’en donne à cœur joie au fil de nombreux chorus dont certains
très déjantés qui ne sont pas sans lien avec l’expressivité d’un Steve Lacy.
Michel Edelin lance un petit clin d’œil à la photographie avec un thème
(«Prévert Is Now») en hommage à Robert Doisneau et à son fameux portrait du
poète posant dans le O de l’enseigne du magasin Mérode.
A gauche: Michel Edelin, à droite: Leila Soldevilla © Pascal Kober
Le samedi 10 octobre, Jazz à Cours & à Jardins clôturait son
édition avec une pensée pour les malvoyants. Le second concert (auquel je n’ai
hélas pas pu assister) proposait même une création musico-ludo-sensorielle
imaginée par François Dumont-d’Ayot. Le premier se déroulait quant à lui au
siège de l’association Valentin-Haüy qui porte le nom du fondateur, dès le
XVIIIe siècle, d’écoles destinées aux aveugles. Le saxophoniste arrive avec pas
moins de huit saxes différents! Il faut dire que François Dumont-d’Ayot est
très attentif à son propre son et que cette boulimie instrumentale relève
presque de l’esprit de collection pour quelqu’un qui s’intéresse aussi aux
multiples déclinaisons de l’invention d’Adolphe Sax: Conn’O’Sax en fa (dix
exemplaires fabriqués!), soprano blanc, baryton rouge, flûte en si
bémol, alto droit, soprano courbé, etc. Attilio, son batteur, s’en amuse: «Plus
François amène de saxes et plus j’enlève des fûts sur ma batterie!» Autre
singularité côté rythmique: Pascal Bonnet, joue de la basse acoustique fretless, un instrument très peu
pratiqué, à mi-chemin entre la contrebasse d’un Charles Mingus et la basse
électrique d’un Jaco Pastorius. Somptueuse sonorité. Le répertoire quant à lui,
était annoncé autour des standards. Il n’en fut rien ou presque. Nombreuses
compositions, souvent sur des mesures asymétriques, de François Dumont-d’Ayot,
dont l’une, «Mini Mona» dédiée à la fois à l’auteur de la Joconde et à…
Leonardo Vinci!, compositeur baroque napolitain aujourd’hui méconnu.
Le saxophoniste saura
toutefois glisser un standard d’un autre genre, interprété ici dans une version
très groovy à six temps : «Le Chant des canuts», écrit par Aristide Bruant en 1894
pour célébrer les luttes des ouvriers tisserands du quartier de la Croix-Rousse
au XIXe siècle. Bel hommage du musicien lyonnais, comme pour rappeler fort
opportunément en ces temps pétueux, que la révolte pourrait bien gronder à
nouveau…
texte et photos: Pascal Kober
© Jazz Hot 2020
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Dany Doriz & Archysax
Festival de Jazz de Lunel In (Hérault), 13 août 2020
Voilà une performance internationale qui s’est tenue à Lunel dans l’Hérault grâce aux jazz spirits, sorte d’esprit libre,
informel, collectif et indestructible, à travers le temps et l’espace: un
festival live, en vrai donc, avec des
musiciens remontés comme s’ils n’avaient plus joué depuis le 14 mars dernier en
raison d’un confinement moyenâgeux, et leur public démasqués assis ou masqués
en circulation, mais en osmose et en fête dans les arènes; car les aficionados
avaient bien conscience que le plat interdit risquait de ne pas repasser de si
tôt, compte tenu du suicide économique collectif quasi planétaire actuel, à
défaut de soins basiques d’une société développée contre un virus. L’ambiance
était donc au rendez-vous malgré la situation. Les producteurs de ce festival,
le Labory Jazz Club (Production), né en 2005 en hommage à Guy Labory (2 avril
1937 Nîmes-11 octobre 2004, voir Jazz Hot Supplément 616),
un autre passionné combattif à qui le jazz a tout donné et qui le lui a rendu
toute sa vie sans jamais rien lâcher, ont maintenu (partiellement) leur 17e édition, les
12 et 13 août derniers, en entrée libre et gratuite grâce aussi à la Ville de
Lunel. Rien que cette prouesse patiente d’équilibrisme administratif et
logistique pour arriver à aboutir le projet mérite l’admiration.
De gauche à droite: Didier Dorise (dm), Dany Doriz (vib), Jeff Hoffman (g), Geoffrey Secco,
Philippe Chagne, Pascal Thouvenin, Matthieu Vernhes, Olivier Defaÿs © Chaîne YouTube de Dany Doriz
Dany Doriz a intelligemment
profité de cette exceptionnelle fenêtre de liberté pour présenter sa nouvelle
formation en nonet, avec l’Archysax de Pascal Thouvenin (aussi arrangeur),
composée des quatre autres saxophonistes Geoffrey Secco/Philippe Chagne/Matthieu
Vernhes/Olivier Defaÿs, et de Jeff Hoffman (g,voc), Philippe Petit (org),
Didier Dorise (dm), Dany Doriz (vib, lead). Beau succès pour le patron du Caveau de La Huchette toujours
fermé comme d’autres lieux de musique, danse, spectacles y compris à Broadway
confiné au moins jusqu’en janvier 2021! N’hésitez pas à goûter un peu de
cette soirée très spéciale, presque d’un autre temps, pleine d’élan et de swing
sur deux vidéos: l’une, en présentation successive des morceaux joués
sur la chaîne YouTube de Dany Doriz (https://www.youtube.com/watch?v=WQpQLYFD6Zk&feature=youtu.be), l’autre, pour «In the Mood» de Glenn
Miller, le tube de la Libération (un hasard de choix pour les facétieux), sur la chaîne YouTube du
Labory Jazz Club (https://www.youtube.com/watch?v=H3xCMVh_hyw).
Hélène Sportis
Photo: Chaîne Youtube de Dany Doriz
© Jazz Hot 2020
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Jean-Baptiste Franc (p), Fabricio Nicolas-Garcia (b), Gabrielle Sandman (voc), Esaie Cid (cl), Café Martin, 14 août 2020 © Jérôme Partage
Octave et Anatole
Café Martin, Paris, 14 août 2020
Le Café
Martin, place Martin Nadeau, en bordure du Père-Lachaise, est connu des
habitués du quartier pour sa vaste et agréable terrasse ainsi que pour son
excellente cuisine. Le 14 août, ce sympathique établissement accueillait, pour
la première fois, un concert de jazz. En ces temps funestes pour les clubs et
les musiciens, une nouvelle adresse pour le jazz, à l’air libre, est un peu de
terrain regagné par l’art sur l’hystérie organisée. C’est le collectif «Octave
et Anatole» qui a ainsi animé la terrasse, ce jour-là composé de Gabrielle
Sandman (voc), Esaie Cid (as, cl), Jean-Baptiste Franc (p) et Fabricio
Nicolas-Garcia (b). Dotée d’un joli timbre, Gabrielle Sandman a donné à
entendre une série de grands standards dont elle a livré une interprétation sans
artifice inutile: «Exactly Like You», «Taking a Chance on Love», «Ain’t
Misbehavin’», «Lover, Come Back to Me» ou encore «Blue Moon». Ces titres ont
été évidemment l’occasion de profiter aussi des qualités musicales de ses
partenaires. Altiste d’une grande délicatesse, Esaie Cid (Jazz Hot n°674)
a été l’artisan d’un
dialogue tout aussi savoureux à la clarinette («Love Me or Leave Me»)
-instrument sur lequel on entend de plus en plus fréquemment le
Barcelonais qui tend à jouer middle jazz autant que bebop- tandis
que le jeu de Jean-Baptiste Franc (dont a apprécié les solos, notamment
sur
«You’re Driving Me Crazy»), très marqué par l'influence des grands
maîtres du stride, offrait, en complicité avec
l'habile Fabricio Nicolas-Garcia, un soutien rythmique débordant de
swing.
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot 2020
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Esaie Cid Duo & Larry Browne Duo
Péniche Le Marcounet, Paris, 7 et 9 juin 2020
Après
trois mois d'enfermement administratif sans clubs ni concerts ni
festivals, si ce n'est quelques ersatz par écrans interposés
(l'intelligence artificielle promise pour demain), la
réouverture à Paris des terrasses, depuis le 2
juin, a provisoirement rendu la possibilité de consommer le jazz tel que
le recommandait Jean-Paul Sartre: sur place (on préfère les bananes)!
Lieu fort
apprécié à la belle saison pour sa vaste terrasse en bord de Seine, la
péniche
Le Marcounet a donc sonné le rassemblement des musiciens, des danseurs
et des
amateurs de la Capitale, les clubs n’ayant pas encore pu reprendre leur
activité et les festivals ayant déjà renoncé pour l'année 2020. Ainsi,
les concerts donnés, en début de soirée, par les duos Esaie Cid
(as)/Clément Trimouille (g), le dimanche 7 juin, et Larry Browne (tp,
voc)/Jean-Philippe Bordier (g), le mardi 9 juin, ont été l’occasion de
joyeuses
retrouvailles et la petite scène a paru bien étroite pour accueillir les
nombreux musiciens
avides de renouer avec les sensations charnelles du live.
Le 7, le duo formé par Esaie Cid (Jazz Hot n°674) et Clément Trimouille a reçu d’emblée un premier
invité, Pierre Richeux, qui a fait office de contrebassiste titulaire. C’est
donc en trio que s’est déroulé le premier set, les musiciens enchaînant les
titres au feeling: «Angelica»,
«Two Sleepy People», «Main Steam», «Cat
Meets Chick» ou encore «Get Happy», enrobés dans des échanges subtils où
la tradition s'exprime avec dynamisme. Au deuxième set, le trio s’est
transformé
en quartet avec Martin Cazals à la caisse claire. Puis, Dominique
Lemerle (b, voir
notre récente interview) est venu ajouter de la profondeur au swing raffiné d’Esaie Cid
(belles versions de «How High the Moon», «Stryke Up the Band» et «I’ll Be
Seeing You») tandis que Nicolas Rousserie était à la guitare et qu’un second
altiste, Thomas Gomez, donnait la réplique au leader! Enfin, le troisième set a
vu se succéder Lucas Montagnier et François Homps à la guitare, Josselyn Prud'Hom à la
contrebasse, Elisabeth Keledjian et Thomas Racine à la caisse claire, pour se
terminer en sextet avec le renfort remarqué de Noé Codjia (tp).
Noé Codja (tp), Thomas Gomez (as), Elisabeth Keledjian (dm) (g) Esaie Cid (as),
Pierre Richeux (b), Clément Trimouille (g), Le Marcounet, 7 juin 2020 © Jérôme Partage
Le
9, le duo réunissant Larry Browne et Jean-Philippe
Bordier a accordé une large place à la chanson française («Chez moi»,
«La Belle
vie», «C’est si bon», au premier set), les interprétations pleines
d’énergie et
d’humour du trompettiste et chanteur américain étant tempérées par le
jeu du
guitariste, imprégné d’une douce langueur brésilienne. Ces légers
accents bossa
ont encore joliment habillé «La Vie en rose», au deuxième set, avant que
Larry
n’offre une belle évocation de Lee Morgan sur «Blue Gardenia» et une
toute
aussi réjouissante d’Horace Silver sur «Strollin’». Le duo a ensuite été
rejoint par un guitariste (Slim) et une chanteuse (Kristina Ray) sur
«You’d
Be so Nice to Come Home to», puis une trompettiste (Brigitte), avant que
le concert ne
se transforme en véritable scène ouverte, au troisième set, avec
l’intervention d’une
autre vocaliste (Mélissa sur «Two Sleepy People» et «Ain’t Misbehavin’»)
et un
final réunissant deux guitares (Lucas Micheneaud et Sylvain Debrez, habituellement
contrebassiste), un trombone (Clément Garnault), un sax (Armando), un
chanteur
(intéressant mais non identifié) et une troisième chanteuse (Donna
Lorraine)!  Lucas Michenaud, Jean-Philippe Bordier (g), Mélissa (voc), Larry Browne (tp, voc), Le Marcounet, 9 juin 2020 © Jérôme Partage
Le Marcounet, ressusciteur d’une vie jazzique
parisienne en déconfiture plus qu'en déconfinement, dans ce monde d'après, qui l'eût dit? Bravo pour son énergie à toute l'équipe de la péniche, devenue la guinguette de sympathiques fins
d'après-midi et soirées, véritables respirations à l'air libre,
favorisées par un bel accueil, dans la triste mascarade concoctée par
Ubu
et ses sbires. Aux amateurs de jazz de se presser dans ce qu'il reste de
lieux indépendants et vivants tels que celui-ci, de lieux de survie
collective devrait-on dire…
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot 2020
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David Blenkhorn (g) et Harry Allen (ts), Caveau de La Huchette, 11 mars 2020 © Alexandra Green
David Blenkhorn Trio + Harry Allen
Caveau de La Huchette, Paris, 11 mars 2020
Aujourd’hui, les portes sont fermées et Paris désert… Nous dédions ce compte-rendu du 11 mars à la démocratie –vitale pour l’esprit, le corps et l’âme–, la seule vraie patrie du jazz du fait même de ses racines. Ce soir-là, nous sommes encore allés swinguer à La Huchette avec le trio de l’Australien David Blenkhorn (g, voc) –comprenant le Suédois Viktor Nyberg (b) et le Danois Andreas Svendsen (dm)– qui accueillait un invité «de luxe», Mr. Harry Allen, originaire de Washington DC. Tous faisant fi de savoir comment et quand ils rentreraient chez eux à l’approche des mauvaises nouvelles d'un prochain confinement étouffant, devant un public d’irréductibles peu nombreux mais privilégiant encore le virus du jazz à tout autre, le set démarre et, pour nous déplomber de l’atmosphère extérieure, commence à nous insuffler de l’énergie, de la chaleur humaine, bientôt un souvenir lointain. Tenant d’une belle tradition du ténor qui va de Ben Webster à Al Cohn, en passant par Stan Getz et Paul Gonsalves, Harry Allen enchaîne les introductions, les chorus, magnifiant, avec une apparente volubilité tranquille mais dans un groove envoutant, quelques très beaux thèmes du répertoire: «On a Slow Boat to China», «Tangerine», «If I Had You», «In a Mellow Tone», «Comes Love», «Embraceable You» ou «Corcovado», en totale complicité avec l’excellent David Blenkhorn aux harmonies colorées, aux notes en diphtongues entre blues et Django, attentif à tous les riffs, à ourler de contre-chants les solos de son invité et de ses autres partenaires de scène. Il faut également signaler le soutien sans faille de la jeune rythmique scandinave également à l’aise dans ses chorus. La soirée s’est joyeusement achevée par un bœuf au goût spécial de dernière liberté, avec en tout trois batteurs, deux bassistes (Alex Gilson), trois sax (Jeanne Michard, Esaie Cid...), un pianiste (Jean-Baptiste Franc), un trompettiste (Björn Ingelstam) et une chanteuse (Megg Farrell), tous venus «partager» l’ambiance hot: soit plus de monde sur scène que dans la salle! Le dernier thème «Lover, Come Back to Me» a permis aux derniers cats de savourer et prolonger l’instant. Oui, «le jazz c’est comme les bananes, ça se consomme sur place», disait Jean-Paul Sartre en 1947, et à cette époque, la liberté de l'instant, le goût des bananes ou l’énergie libre du jazz, c’était revivre. «En attendant Godot», le Caveau de La Huchette a dû éteindre la lumière et le son depuis le samedi 14 mars au soir, sans doute pour sa plus longue période d’interruption depuis 1946. Les musiciens aujourd’hui «confinent» et se filment chez eux, à un, à deux mais séparés au moins d’un mètre règlementaire, avec la solution hydro-alcoolique sur le piano: «le charme discret de la sécurité médicale». Peut-être un jour ferons-nous le compte de tous ceux qui seront morts du virus de la solitude, de la maladie de l’abandon, du manque de soins pour les autres maladies, du manque de feu sacré ou d’énergie vitale, et aussi le décompte de tout ce que nous aurons englouti de nous-mêmes, en nous laissant enfermer, plutôt que de combattre en collectif les virus «de tous poils», avec un réel travail préalable d’anticipation et de soutien des soignants, des anciens et des plus fragiles, avec les remèdes qui guérissent plutôt qu'avec les discours qui culpabilisent ceux qui n’ont qu’une responsabilité limitée (la délégation de pouvoir électorale) dans la régression sociale des services publics et sanitaires organisée par les politiques et le monde économique depuis tant d'années. Pour cela, il faudra plutôt «des chefs d’orchestre qui ont la partition dans la tête, que la tête dans la partition» (Arturo Toscanini, 1867 Parme-1957 New York NY).
Hélène Sportis et Jérôme Partage Photo: Alexandra Green
© Jazz Hot 2020
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10 mars 2020  Le Centenaire de Boris Vian
Hier soir, aux Deux Magots, un des lieux piliers du Saint-Germain jazzo-existentiel d’après-guerre,
étaient fêtés les 100 ans de la naissance de Boris (10 mars 1920), un
des fidèles de Jazz Hot, avant même son adhésion officielle au Hot Club
en 1937, car le Lycée Condorcet de sa rentrée en 1936, est à 600 mètres
du 83 rue d’Amsterdam où le Hot Club, créé en 1932, organise les
concerts de jazz «Hot » dès 1935 (mars 1935, parution de Jazz Hot),
l’année où Boris est malade, surtout d’enfermement maternel, et trompe
l’ennui en lisant et en rêvant de trompette d’occasion à Ville d’Avray,
son très jeune violoniste «à domicile», Yehudi Menuhin, vient de
repartir. Par la suite, ce sera un compagnonnage de grande proximité,
Boris ne s’éloignant jamais à plus d’un kilomètre des adresses de Jazz
Hot, qui symbolise sa conquête d’une certaine liberté, et la dernière
adresse de Boris, Cité Véron, n’est plus qu’à 500 mètres de la Rue
Chaptal. Une histoire d’amour avec le jazz et Jazz Hot où l’espace se réduit avec la maladie, comme dans son prémonitoire et complet Ecume des jours écrit en 1946. Jusqu’à
son décès le 23 juin 1959, Boris ne cessera de combattre les
faux-semblants de convenances, allant jusqu’à pester d’abord contre la
pièce au théâtre, puis jusqu’à son dernier souffle, contre le film (de
Michel Gast sorti le 26 juin 1959!) tiré de sonpolar anti-ségrégation J’irai cracher sur vos tombes écrit
dans une sorte de fulgurance claire et paru dans la foulée, toujours en
1946: là aussi, tout y est, la tension, l'inéluctable. Une exposition
est en cours Aux Deux Magots jusqu’au 23 mars reprenant les différentes
facettes de l’expression de Boris Vian, entre profondeur des tourments
humains et amusements pour tromper la mort, et comme disait son voisin
de terrasse nichée derrière les ailes du Moulin Rouge, l’illustre poète
Jacques Prévert, «Soyons heureux, ne serait-ce que pour donner
l’exemple », un courage forcené pour dépasser les horreurs de
l'histoire. Hier soir, l’assistance était nombreuse et joyeuse,
peut-être un peu loin du jazz et donc de ce besoin de libération
vitalement ancré chez Boris, mais s’amuser non loin de Boris, c'est déjà
une façon de mûrir, et qui sait, aussi vers un jazz libérateur qui à
Paris, en France, n’a trouvé de sens réel dans la population que dans
des temps suffisamment troublés, comme à la suite des deux guerres
mondiales. Pour connaître toutes les activités autour de ce Centenaire: https://centenaireborisvian.com et le site officiel: https://www.borisvian.org/qui-est-il.html
Hélène Sportis
© Jazz Hot 2020
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Laurent Marode Nonet
New Morning, Paris, 29 janvier 2020
Le 29 janvier, au New Morning, l’excellent Laurent Marode (p) assurait
le concert de sortie de son nouvel album, Starting
Soon (Black & Blue), le second avec son nonet, après This Way Please (2016, Black &
Blue). La plupart des musiciens présents sur le premier disque sont toujours de
l’aventure et étaient aussi sur scène (à l’exception de Franck Basile, remplacé
au baryton ce soir par Jean-Philippe Scali): Fabien Mary (tp), Jerry
Edwards (tb), David Sauzay (ts, fl), Pablo Arias (as), Nicholas Thomas (vib),
Fabien Marcoz (b) et Mourad Benhammou
(dm), soit la fine fleur du bop parisien. On connaît les qualités de chef
d’orchestre et d’arrangeur de Laurent Marode qui donne à son nonet l’ampleur étincelante
d’un big band, aidé en cela par des solistes dotés d’une belle énergie, respectueux d’une tradition bien assimilée.

Le Nonet de Laurent Marode avec Isabelle Seleskovitch, New Morning, 29 janvier 2020 © Jérôme Partage
De quoi donner
de l’éclat aux bonnes compositions du leader qui constituent l’essentiel du
répertoire, du chaloupé «Today Is Nat’s Day» (en hommage à Nat Adderley) au
très dynamique «David’s Rush Hour», en passant par un blues d’Yves Brouqui,
«Brook’s Idea» et quelques standards comme «Little Chris» d’Harold
Land que la flûte de David Sauzay habille d’une belle couleur dans l'esprit de l'époque. Maniant
avec habileté l’art de la synthèse, Laurent Marode nous transporte ainsi dans
un monde musical à la croisée des chemins, quelque part entre Art
Blakey et Charles Mingus, voire Lalo Schifrin. Un joli
intermède a marqué le second set avec l’intervention d’Isabelle Seleskovitch
(voc, voir notre chronique), invitée sur deux morceaux: «Get Out of
Town» (Cole Porter) et une version en français du «Sophisticated
Lady» de Duke Ellington, simplement en duo avec le pianiste. Une belle
soirée.
Jérôme Partage
Texte et photo
© Jazz Hot 2020
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Hayati Kafé avec Ahmet Gülbay et Olivier Defaÿs,
Petit Journal St-Michel, 24 janvier 2020 © Jérôme Partage
Hayati Kafé & Ahmet Gülbay Quartet
Petit Journal St-Michel, Paris, 24 janvier 2020
L’été
dernier, nous avions découvert, au festival d’Ystad, le chanteur d’origine
turque, Hayati Kafé, installé en Suède depuis les années 1960 où il a connu le
succès dans les variétés. Il était de passage le 24 janvier au Petit-Journal St-Michel, club-restaurant repris depuis novembre 2018 par un amoureux du lieu et du jazz,
Mehmet Terkivatan, qui partage les mêmes racines, où il était
accompagné par le quartet de son compatriote Ahmet Gülbay (p): Olivier Defaÿs
(ts), Laurent Souques (b), Alain Chaudron (dm). Devant un public restreint
(pour cause de conflit des retraites), mais réuni autour des musiciens
avec une proximité chaleureuse, le crooner d’Istanbul a servi deux sympathiques
sets sous le signe du Great America
Songbook. On retiendra de cette soirée des échanges savoureux
voix-sax
(«Triste» de Jobim), un solo de saxophone chanté par Hayati Kafé sur
«Teach Me
Tonight» de Gene de Paul, les revigorantes interventions d’Olivier
Defaÿs, particulièrement en verve et en swing sur «Too Close for
Comfort», de Jerry Bock
et George David Weiss, et les facétieuses improvisations d’Ahmet Gülbay,
citant entre deux mesures Thelonious Monk, Claude Bolling ou Michel
Legrand. Un
concert avec la spontanéité d’une jam-session, qui s’est conclu avec
l’arrivée
d’Eric Breton (ts) et «La Belle Vie» de Sacha Distel interprétée en
français
par Hayati Kafé. La tradition jazz de la Turquie a retrouvé le temps de
cette soirée une joie qu’on croyait oubliée.
Jérôme Partage
Texte et photo
© Jazz Hot 2020
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Claude Abadie toujours à l'écoute de son orchestre,
Ville-d'Avray, 19 janvier 2020 © Jérôme Partage
Joyeux Centenaire Mr Abadie Suite
Ville-d'Avray, Hauts-de-Seine
Jazz à Vian, 19 janvier 2020
C’est un triple anniversaire que célébrait cette année le
Festival Jazz à Vian de Ville-d’Avray: les 100 ans de Claude Abadie (né
le 16 janvier 1920, cf. Jazz Hot n°661), les 10 ans de du
festival (dont la programmation est assurée par le pianiste Serge Forté), et
les 100 ans de Boris Vian (né dans cette jolie ville, le 10 mars 1920),
la même année peu après Claude.
Revenons donc au plus extraordinaire en ce dimanche après-midi: un
musicien,
chef d’orchestre et arrangeur offre à son public, à l’occasion de ses
100 ans,
un concert complet dans la joie de partager ce qu’il a appris du jazz:
le sens
du collectif et le souci du détail. Claude Abadie a épaté l’assistance
pendant une heure de concert, largement consacrée au répertoire de
Thelonious
Monk, donnant le tempo, fermant les morceaux, dirigeant, souriant,
distribuant et prenant des chorus. Avec autant de précision que
d’humour, l’ancien
élève de l’Ecole Polytechnique a intelligemment présenté et introduit
chaque
morceau, tant pour des explications de structures ou difficultés
musicales,
que de choix spécifiques d’arrangements, ou pour des éclairages
historiques et biographiques concernant les compositeurs et les
morceaux. On a
ainsi pu entendre, avec des arrangements complexes aux harmonies
fidèlement monkiennes, rappelant parfois aussi Duke Ellington, «Blue
Monk», «'Round Midnight» avec la mise en exergue du second pont écrit
par
Cootie Williams, «Epistrophy», «Pannonica», mais aussi un original de
Claude
Abadie, inspiré par Gerry Mulligan, «In Coda Venenum», un titre de Paul
Vernon (ts, longtemps membre du tentet),
«Viv’ment l’15 novembre!», en référence au
beaujolais
nouveau lors de leurs répétitions, ou encore un thème de George
Gershwin, «A
Foggy Day», joliment exposé au baryton. Le concert devait se finir sur
«Alvin
G» (une composition de Phil Woods dédiée à Al Cohn) mais Claude Abadie
nous a
même offert un rappel et pris à cette toute fin, un solo: bluffant! Cet
évènement jazzique restera dans les mémoires comme celui donné par le plus
jeune centenaire de la scène jazz, à l’enthousiasme intact, d’une incroyable
sérénité et gentillesse.
Une vraie leçon de vitalité et de jazz avec ce que cette
musique comporte de patrimoine à relayer par l’écoute, l’oral, la
perception, l’échange dans l’instant. Alors, comme on dit dans les bons
concerts de jazz: One More Time!, Happy Birthday Mr. Abadie! et merci…

Le Claude Abadie Tentet, Ville-d'Avray, 19 janvier 2020 © Alexandra Green
Le Tentet de Claude Abadie est constitué de: Claude
Abadie (cl, dir, arr), Jean-François Higounet (tp, flh), Fernand Polier (tp),
Jean-Marc Farinone (tb), Yves Autret (as), Bernard Bosset (ts), Jean-Philippe
Winter (bar), Luc Triquet (p), Jean-Louis Bisson (b), Albert Glowinski (dm)
Hélène Sportis et Jérôme Partage
Photos: Alexandra Green et Jérôme Partage
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