Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
Jazz à Beaupré - Festival Roger Mennillo, 5 juillet 2024
Après quelques saisons moins champêtres mais tout aussi réussies dans le jardin Joseph Richaud à Saint-Cannat, 2024 est l’année du
grand retour au Château de Beaupré pour le festival de jazz Roger Mennillo. Dans
ce cadre superbe, entre rusticité et raffinement, tout est prévu pour la
détente et le plaisir du public: la cour réaménagée ouvre sur une belle
cave et propose à la dégustation petits plats et grands crus. Le pré accueille
à la bonne franquette autour de tables de pique-nique. Quant aux concerts, ils
ont retrouvé leur lieu de prédilection, au frais entre la futaie de platanes et
la façade du château.
Baptiste Herbin Trio, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet
La première partie est traditionnellement réservée à un groupe
sinon local, du moins national. Mais ce soir, c’est un trio de pointures qui
présente un hommage très personnel à Django (et sans guitare!): Baptiste Herbin
(as,cl), Pierre Marcus (b) et Benjamin Henocq (dm), certainement le plus rodé aux
circuits jazz européen et américain. Aux dernières lueurs du jour, le trio
attaque un «Night and Day» fermement bebop, Baptiste Herbin dans un registre
aigu et volubile. Suit un «Troublant boléro» tout en langueur et sensualité, où
Pierre Marcus livre un beau solo de contrebasse sur un fond de roulement de
mailloches. Le groupe semble pouvoir faire varier les tempos et les ambiances à
l’infini, et s’approprier la musique de Django sans en trahir l’esprit: «Django», l’hommage de John Lewis, est amorcé au sax sur un tempo très lent, presque
funèbre, puis s’anime; en contraste, suit un «Nuits de Saint-Germain-des-Prés»
très festif et dynamique, démarrage rapide au sax et aux balais. Et si Django
allait au Brésil? «Choro Django» est une petite fête, propulsée par une
clarinette au son virevoltant et gai et une contrebasse qui balance bien. Sur «Anouman»
dédié à Hubert Fol, morceau intimiste et mélodieux, on aime la profondeur de
son de Baptiste Herbin et l’appui tout en nuances de la section rythmique.
Quant à «Djangology», il débute sur un solo de saxophone qui
évoque à s'y méprendre un accordéon musette. «Nuages», «Montagne Sainte-Geneviève»,
rien de l’univers de Django ne semble inaccessible au trio sans complexe qui aborde
le répertoire avec swing, délicatesse, culture et humilité.
Le public a réclamé le rappel à retardement, mais il ne l’a pas
regretté: le final sur «Tears» fut d’anthologie, avec un Baptiste Herbin triturant
le son et embouchant sax et clarinette à la Roland Kirk! On attend avec
impatience la traduction sur disque de ces multiples talents, sortie prévue en
septembre. On regrettera seulement les six passages de la Patrouille de France pas
tout à fait dans le tempo…
El Comité, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet
Après un intermède de dégustation, reprise avec El Comité, un
collectif de six musiciens de l’actuelle scène jazz cubaine: Carlos Sarduy (tp), Irving Acao (ss,ts,cl,fl), Rolando Luna (p,kb),
Gaston Joya (b,eb), Rodney Barreto (dm), Yaroldy
Abreu Robles (perc), pour une musique foisonnante, apte à inverser
la courbe descendante des températures. Ces six compères sont les héritiers
directs des Paquito D’Rivera, Chucho Valdès ou encore du Buena Vista Social
Club, avec qui certains ont fait un bout de chemin. En 2018, on avait déjà
apprécié à Saint-Cannat la venue en trio d’Harold
Lopez-Nussa (participant habituel du Comité, et alter ego de Rolando Luna au
piano) avec déjà Gaston Joya (b), et son jeune frère Adrian Lopez-Nussa (dm,perc). Le format
sextet, avec l’ajout de percussions, semble donner l’avantage à la couleur
cubaine, mais de «Amistad» à «Dance
to Hope» et «Brainstorm Groove» (thème du batteur), El Comité poursuit la
fusion entre jazz et musique cubaine (Cubop) amorcée il y a près de
quatre-vingts ans par Dizzy Gillespie et Chano Pozzo. Ils ont absorbé et inscrit
dans leur patrimoine musical tous les courants qui ont traversé le jazz depuis
le bebop en un enrichissement permanent. Après un démarrage coltranien tout en
douceur, sur fond de bruissement de coquillages et percussions, qui prend de la
vitesse et de l’ampleur, le piano percussif de Rolando Luna entraîne le groupe
qui est bientôt à fond, les soufflants rutilants en souffle continu! L’atmosphère
se fait davisienne sur le morceau suivant, avec de belles interventions à la
clarinette et au bugle d'Irving Acao et Carlos Sarduy. Funk, groove, free,
rien au final n’a échappé à la moulinette cubaine! On assiste à de beaux
unissons de cuivres, lyriques ou cinglants, à des combinaisons variées en
trio piano/basse/percussions, remarquables, ou plus électriques avec Fender Rhodes/basse
électrique/batterie. C’est une musique brillante, débordante d’énergie, toujours
en mouvement, qui ravit autant le public que ses exécutants.
Rolando Luna (p), Carlos Sarduy (tp), Irving Acao (ts), Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet
Le lendemain, une pluie imprévue nous a privés de
la deuxième soirée qui annonçait le quartet de Julien Baudry et Champian Fulton
en trio, écourtant singulièrement cette 27e édition. Espérons que
les soutiens de ce petit festival indispensable lui donneront longue vie et que
nous nous retrouverons en 2025 pour du jazz avec «Nuages» mais sans pluie!
Texte et photos
Ellen Bertet
© Jazz Hot 2024
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Saint-Raphaël, Var
Huchette Jazz Marathon, 12 août 2024
Dans le cadre du 80e anniversaire du Débarquement
de Provence –le 15 août 1944–, la ville de Saint-Raphaël avait invité la troupe
du Caveau de La Huchette pour trois soirées, du 11 au 13 août. Le 12 août,
c’est un épatant marathon jazz que Dany Doriz et ses musiciens ont proposé au
public, se succédant sur scène de 18h à 23h30, avec une seule pause d’une heure
due à la tenue d’une conférence à proximité. A la fois chef d’orchestre et
maître de cérémonie, Dany Doriz en grande forme a su recréer l’ambiance
conviviale du Caveau sous les pins de la Côte d’Azur. Un régal de swing,
d’énergie et de bonne humeur.
Tandis que touristes et résidents affluaient
progressivement en ce chaud début de soirée, nos vocalistes anglophones ont
ouvert le concert-marathon par des titres chantés en français: l’Australienne
Wendy Lee Taylor avec «Plus je t’embrasse», le Chicagoan Jeff Hoffman avec
«Douce France» (Charles Trenet/Léo Chauliac, 1943). Le guitariste ne s’est pour autant pas gêné pour sortir son
blues avec le soutien groovy de Philippe Petit (org) et Didier Dorise (dm).
Dany Doriz aux mailloches avec Olivier Defaÿs et David Sauzay ont évidemment propulsé l'assistance «In the Mood» (Wingy Manone, 1930) devenu un des tubes des danseurs de la Libération à partir de 1944 grâce à l'Army Air Force Band du Capitaine Glenn Miller (tb, 1923-1944) disparu au dessus de la Manche le 15 décembre cette année-là, dans un avion qui le transportait de Londres en France; cet orchestre fit swinguer les troupes près de 1000 fois, un booster d’énergie, n’en doutons pas! Et alors que Jean-Philippe O’Neill prenait le relais de Didier
Dorise, Ronald Baker (tp,voc) donnait un tribute à son cher Nat King Cole avec un
«L.O.V.E.» que les estivants étaient en droit de prendre au pied de lettre!
Puis, Sylvia Howard a offert une version très blues de «On the Sunny Side of the Street», bien entourée par Olivier Defaÿs, Dany Doriz, Patrice Galas (kb) et Didier Dorise, une prestation remarquée et saluée par l’auditoire.
Evoquant Sidney Bechet qui avait adopté la Côte d’Azur, David Sauzay («Petite
Fleur») puis Olivier Defaÿs («Dans les rues d’Antibes»), ont fait revivre le jazz qui était la musique populaire partagée et dansée par tous. Dans
la foulée, entouré d’une paire de sax et de batteurs, avec un Patrice Galas
swinguant, Dany Doriz a fait résonner un «Sing, Sing,
Sing» détonant.
Final de cette première partie de soirée, l'indispensable drum battle où Didier Dorise et Jean-Philippe O’Neill ont repris le tandem historique Gene Krupa-Buddy Rich du JATP, et donné une chorégraphie jonglée de baguettes ébouriffante!
Après l'entracte,
la scène est réinvestie par Jeff
Hoffman, Philippe Petit et Didier Dorise, emmenés par un blues profond d'Olivier Defaÿs et David Sauzay à la nuit tombée.
Avec le renfort de Dany Doriz, Wendy Lee Taylor a ramené la danse au centre du jazz, à travers un hommage à Fred Astaire et aux comédies musicales sur «Puttin’ on the Ritz» (Irving Berlin, 1929), assorti
d’un remarquable numéro de claquettes: la dynamique jazzmen-danseurs est bien l'emblème du Caveau de La Huchette!
Figure respectée du vibraphone, héritier de Lionel Hampton, Dany Doriz a joué un
«How High the Moon» superbement aérien avant d'entamer un deux mains-deux doigts facétieux à l'orgue Hammond avec
Philipe Petit. Quelques mesures plus loin, Sylvia Howard nous faisait
repartir dans les astres («Fly Me to the Moon») avec le soutien subtil de
Patrice Galas et Jeff Hoffman.
La chanteuse d’Indianapolis nous a ensuite embarqué sur
«Caravan», au rythme d’un duo très complice avec Ronald Baker.
Au terme de plus de quatre heures de jazz qui ont comblé un public en réclamant encore davantage, les onze musiciens sont montés sur scène pour un salut presque final...
...et
comme chaque soirée réussie peine toujours à s'achever, la troupe de La
Huchette a offert en rappel «Shut Up», un sketch jazz de Philippe Petit qui a dévoilé ses talents de comédien.
On en aurait bien repris pour deux ou trois heures de plus et les musiciens aussi...
Merci au Capitaine Doriz d'avoir orchestré
ce débarquement de swing!
Texte et photos
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Pertuis, Vaucluse
Festival de Big Bands de Pertuis (du 5 au 10 août), 8, 9 et 10 août 2024
25e édition pour le
Festival de Big Band de Pertuis, devenu une véritable institution puisqu'il est l'un des rares festivals au monde spécialisé dans les grands orchestres de jazz. Une gageure qui doit sa pérennité à l’inextinguible passion de ses dirigeants: le tromboniste Léandre Grau, fondateur, président, programmateur du festival et Marcel Morello (père de Romain Morello, tb) qui veille scrupuleusement sur les délicats équilibres financiers. Une institution pour autant à taille humaine, animée par une équipe de
bénévoles dévoués dont le professionnalisme a permis une mise en œuvre au cordeau! C’est ce qu’on aime à
Pertuis: partager le jazz entre spectateurs, musiciens et organisateurs dans un esprit convivial, avec ce cadre naturel du Luberon non mondain à l'architecture villageoise, un contexte authentique, propice à l’art et à l’esprit populaire du jazz. Comme de coutume, le festival a été inauguré le 5 août par le groupe TartOprunes, suivi du Big Band de Pertuis dirigé depuis 2019 par Christophe Allemand (ts). Se sont ensuite succédés: Jazz Messenger Spirit, le Big Band de Camargue (6 août), la chanteuse Cathy Heiting et le Middle Jazz Orchestra (7 août). Nous étions présents
pour les trois dernières soirées du jeudi 8 au samedi 10 août.
L'Oscarpicus, Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage
Jeudi 8 août, 19h30:
L’Oscarpicus
Pendant plus de dix ans, la Marseillaise Alice Martinez a
été la chanteuse du Big Band de Pertuis. Elle avait été repérée par Léandre
Grau en 2011, au sein du quartet de Norbert Grisot (cf. Jazz Hot n°657-2011). Mais cette année, c’est sous ses propres
couleurs qu’Alice se présentait au public, à la tête du sextet L’Oscarpicus,
avec des chansons jazz en français dont elle a écrit les paroles, les mélodies
étant à la main des membres de la formation. Entre fantaisies swing et ballades
nostalgiques, Alice est avant tout une conteuse d’histoires: «Bernie, l’homme
canon», «Le Petit remplaçant», un peu dans l’esprit des musiques inspirées par
l’univers du cirque chez Nino Rota; des histoires souvent nourries par des souvenirs
personnels: «Papy bougon» –avec un final new orleans à mettre au crédit de Sylvain Avazeri (tp) et
Ezequiel Celada (as)– ou «L’enfant des
coulisses» qui évoque son enfance auprès de son père batteur et homme de théâtre,
Jean-Pierre Martinez. Le soutien rythmique de Gabriel Manzaneque (g) ainsi qu’Olivier Lalauze (b) et Léo Achard (dm) du Way
Out Trio est impeccable. Mais c’est sur le rappel que les musiciens ont
donné le meilleur, avec un titre du répertoire de Lionel Hampton, «Lavander
Coffin» (Shirley Albert): on vous recommande chaudement la lecture
des paroles à se tenir les côtes! Signalons par ailleurs qu’Alice
Martinez tourne également avec The Shoeshiners, un groupe swing dévolu à
l’interprétation des standards.
L’Oscarpicus: Alice
Martinez (voc), Sylvain Avazeri (tp), Ezequiel
Celada (as,cl), Gabriel Manzaneque (g), Olivier Lalauze (b), Léo Achard (dm)
Jean-Loup Longnon Big Band, Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage
21h30: Jean-Loup
Longnon Big Band
C’est la deuxième fois, depuis 2010, que Jean-Loup Longnon (lead,tp,voc)
déploie son rutilant big band à Pertuis. Un big band qui
n’apparaît que par intermittence, au grand dam de son directeur qui, devant les
difficultés économiques croissantes pour faire naviguer un tel paquebot, privilégie
la douceur de la vie crétoise. L'occasion se faisant rare, c'est donc avec enthousiasme que nous retrouvions Môssieur Longnon, une drôle de bête, croisement improbable entre Gargantua et Thad Jones, à la fois Monsieur Loyal
bavard assurant à lui seul une partie du spectacle, chef d’orchestre d’une
précision d’horloger, maître arrangeur, compositeur (classique et jazz) de haut
vol.
Chloé Cailleton (voc) et Jean-Loup Longnon (tp), Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage
Le big band commence par un thème original, «Rue de la
Liberté», célébrant une voie du XIXe
arrondissement de Paris où sévissait jadis un bar jazz. On y entend deux bons
solos du Russe Kirill Bubyakin (ts) et de Pierre Guicquéro (tb). Suit une version
aérienne de «L’important c’est la rose» (Gilbert Bécaud) qui met en avant
Manuel Marchès (b) et Jean-Philippe Scali (bar). «Encore du bop» (Longnon),
titre d’un précédent album, tient ses promesses, notamment porté par le solo
exubérant de Gilles Repond (tb). Retour à la chanson avec Jean-Loup Longnon qui
donne de la voix sur «On n’est pas là pour se faire engueuler» (Boris Vian)
entre les ponctuations chamarrées des sections de soufflants. Se joignant à
l’orchestre sur «Love Is Here to Stay», Chloé Cailleton (voc) est une
instrumentiste à part entière, ses longues interventions scatées s’intégrant
parfaitement aux arrangements. Avec un démarrage à la
«Sing, Sing, Sing» (explosif Frédéric Delestré, dm), «Istanbounce» (Longnon)
saisit le public tandis que Jean-Loup Longnon prend un solo de trompette
simplement accompagné par le piano puis par le reste de la section rythmique. Ensuite,
le maestro aborde avec originalité «Lush Life» en remettant au jour les
inspirations du chef-d’œuvre de Billy Strayhorn venues de la musique classique
française: Debussy est en embuscade! L’orchestre monte encore un cran dans
l’intensité swing avec le thème basien «Funtime» (Sammy Nestico) tandis que Vincent
Labarre (tp) a pris temporairement la conduite des opérations. Et pour
compléter le tableau, le big band s’aventure du côté du funk (avec un Manuel
Marchès passé à la basse électrique) sur une composition récente, «Monastiráki»
(du nom d’un quartier d’Athènes) et sur le morceau final ouvert par un scat a cappella détonnant de Jean-Loup
Longnon.
Jean-Loup Longnon Big
Band: Jean-Loup Longnon (lead,tp,voc), Vincent Labarre, Vincent Echard, Brice
Moscardini, Matthieu Tarot (tp), Gilles Repond, Cyril Galamini, Pierre Guicquéro,
Yoann Huot (tb), Patrick Bocquel (as,ss,cl), Xavier Quérou (as), Antoine Daures, Kirill
Bubyakin (ts), Jean-Philippe Scali (bar), Ludovic
Allainmat (p), Manuel Marchès (b), Frédéric Delestré (dm), Chloé Cailleton
(voc)
Hard Dixie Six, Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage
Vendredi 9 août,
19h30: Hard Dixie Six
Figure du jazz dit «traditionnel» en France, cofondateur en
1979 du Hot Antic Jazz Band, enseignant depuis 1987 au Conservatoire
d’Aix-en-Provence, le multi-instrumentiste Jean-François Bonnel (cl,s,cnt,g) était
déjà présent à Pertuis en 2023 avec ses Suricats (cf. notre compte-rendu).
Il se produit habituellement en quartet avec Hard Dixie Four, présenté à
Pertuis dans une version étendue avec deux autres soufflants: Prokhor
Burlak (ss,ts), né en 1989 à Vladivostok et installé à Paris depuis 2022 où il
est vite devenu une étoile montante de la scène jazz; Romain Morello (tb), né
en 1987 à Pertuis, un enfant du festival avec lequel il a grandi: formé par
Léandre Grau au Conservatoire de Pertuis, il a joué avec son sextet en 2023 à Pertuis et compte parmi les membres des fameux TartOprunes programmé
chaque année.
A la manière de l’Anachronic Jazz Band –qu’il avait
rejoint à sa reformation en 2013–, Jean-François Bonnel revisite des thèmes bop dans l’esthétique new orleans-mainstream avec une prédilection toute
particulière pour les compositions de Thelonious Monk: «We See», «Ruby My Dear»
–qu’ont croirait sorti du répertoire de Sidney Bechet!–, «Bye-Ya» ou encore la magnifique
ballade «Crepuscule With Nellie». Jean-François Bonnel aime par ailleurs les
assemblages qui démontrent avec pertinence la continuité du jazz sur les
décennies, comme lorsqu’il mêle «Jungle Drums» (Sidney Bechet, Zutty Singleton),
qu’il introduit superbement au soprano, et «Voyage» (Kenny Barron) ou bien «Yes
or No» (Wayne Shorter) accolé à «New Orleans Shout» (King Oliver). Prokhor
Burlak impressionne par la conviction de son jeu, et ses duos de soprano avec le
leader sont un régal («China Boy», Phil Boutelje, Dick Winfree), de même que
les couleurs cuivrées de Romain Morello sont particulièrement mises en valeur
en solo («Prelude to a Kiss», Duke Ellington). Le tout repose sur l’assise
rythmique irréprochable d’Elise Sut (tu), Gabriel Manzaneque (bjo) et Stéphane
Zé Richard (dm).
Hard Dixie Six:
Jean-François Bonnel (ss,cl), Romain Morello (tb), Prokhor Burlak (ss,ts),
Elise Sut (tu), Gabriel Manzaneque (bjo), Stéphane Zé Richard (dm)
Chicago Stompers avec Prokhor Burlak et Jean-François Bonnel (ss, à droite), Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage
21h30: Chicago
Stompers
Venus de Milan, les Chicago Stompers ont activé leur machine
à remonter le temps pour nous plonger dans les Années folles et l’aube de la
décennie 1930, avec un souci minutieux de la reconstitution historique passant
bien sûr par le répertoire et les arrangements, mais aussi les tenues,
accessoires, voire instruments rares comme le violon à pavillon (ou violon
Stroh) utilisé par les orchestres de jazz au début du XXe siècle. Le tout assorti de clowneries irrésistibles et d’une
bonne humeur communicative. A la tête de cette joyeuse équipe, le pianiste,
chanteur et multi-instrumentiste Mauro L. Porro (cl,ss,cnt…), passionné de jazz
hot, collectionneur de partitions, de
78 tours, de phonographes (entre autres!), arrangeur prisé (pour Vince Giordano
and The Nighthawks Orchestra de New York, entre autres) et également animateur
de la Boutiquephonie à Milan, à la fois salle de concert et agence artistique.
Pasquale Gravela (tp), Mauro L. Porro (p), Giorgio Gallina (tb), Martino Pellegrini (stroh vln), Andrea Peschiera (voc), Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage
L’excellence des musiciens se remarque d’emblée (très
swinguant «Polka Dot Rag» de Sidney Bechet en ouverture) de même que les
qualités d’expression de la chanteuse de l’orchestre, Andrea Peschiera («You've
Got to Be Modernistic», James P. Johnson), en particulier en italien: «Fiorin
fiorello» (Carlo Buti), «Dinah» (Harry Akst) phrasé dans la langue
Dante. Si le concert est agrémenté d'effets sonores vocaux et instrumentaux gaguesques, de mises en scène rappelant les Marx Brothers –«I'll Fly to Hawaii» (Ira & Joe Shouster, Lou Davis), «I Miss My Swiss» (L.
Wolfe Gilbert, Abel Baer), «Horses» (Richard
A. Whiting, Gay Byron)– les Chicago
Stompers n’en sont pas moins de sérieux solistes, comme Giorgio Gallina (tb),
Sophia Tomelleri (as,cl) ou le grappellien Martino Pellegrini (vln), tandis que
Mauro L. Porro passe allègrement du piano au saxophone
soprano («Petite Fleur» de Sidney Bechet) ou au cornet («Dinah»). Décidément
bon esprit, l’orchestre a invité Jean-François Bonnel et Prokhor Burlak à se
joindre à lui sur quelques titres («Do Something» de Sam H. Stept et Bud Green,
«Oh, Lady Be Good!» de George & Ira Gershwin) pour le plus grand plaisir du
public qui n’a pas ménagé son enthousiasme. Un concert épatant qui s’est
terminé en parade au milieu des spectateurs ravis d'être associés à la fête.
Chicago Stompers: Mauro
L. Porro (lead,p,cl,ss,cnt,voc), Pasquale Gravela (tp,cnt,voc), Giorgio Gallina
(tb,voc), Sophia Tomelleri, Davide Vincenzi (as,cl), Arturo Garra (ts,cl,voc),
Paolo A. Vanzulli
(tu), Marco G. Rottoli (bjo), Giacomo Russo (dm), Martino Pellegrini (vln,
stroh vln), Andrea Peschiera (voc)
Julien Brunetaud Quintet, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage
Samedi 10 août,
19h30: Julien Brunetaud Quintet
Les lecteurs de Jazz
Hot connaissent bien Julien Brunetaud (p,kb,voc) de même
que nous leur avions déjà présenté Sam Favreau (b) et Cédric Bec (dm) avec la
chronique de l’album Feels Like Home (2020). Aujourd’hui en quintet, le pianiste désormais Marseillais
s’était adjoint l’incontournable Romain Morello et le ténor Vincent Strazzieri
(1981). Ce dernier, formé au Conservatoire d’Aix-en-Provence, a fait ses débuts
sur la scène jazz marseillaise dont il est aujourd’hui l’un des animateurs
après un intermède parisien de plusieurs années. Il se produit régulièrement
avec Olivier Chaussade (ts), Sylvain Romano (b) et Jean-Pierre Arnaud (dm).
On est heureux de retrouver un Julien Brunetaud les pieds bien ancrés dans le blues de Crescent City. Le répertoire, que ce
soient les reprises ou les originaux, évoque d’ailleurs les bayous de Louisiane
(comme la chaleur caniculaire du Luberon!): «Go to the Mardi Gras» (Pr.
Longhair), «Nola» (Brunetaud) ouvert par un solo de Cédric Bec, «Solitude»
(Duke Ellington) donné dans une version blues ou encore «Don't Get Around Much
Anymore» (Duke again) joué à la façon
de Dr. John avec toujours un bon dialogue entre le pianiste-chanteur et ses
deux soufflants: Vincent Strazzieri à la verve swing, Romain Morello à l’aise
avec l’accent néo-orléanais. Sur le «Boogie Woogie» d’Almos Milburn, Julien Brunetaud entraîne sa formation, faisant monter encore de quelques degrés
la température à Pertuis, avant de quitter le public en douceur sur une ballade de Stevie Wonder, pour le rappel.
Julien Brunetaud
Quintet: Julien Brunetaud (p,kb,voc), Romain Morello (tb), Vincent Strazzieri
(ts), Sam Favreau (b), Cédric Bec (dm)
Caja Negra Big Band & Bob Mintzer, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage
21h30: Caja Negra Big
Band & Bob Mintzer
Pierre Bertrand aime
les big bands. Formé aux conservatoires de Nice et de Paris, il monte le Paris
Jazz Big Band avec Nicolas Folmer (1998-2008) et dirige depuis 2009 le Nice
Jazz Orchestra, non loin de Cagnes-sur-Mer, sa ville de naissance. Parallèlement, il sort un premier disque sous son nom en 2010, Caja Negra (Cristal Records) –en sextet,
avec déjà Alfio Origlio (p), Jérôme Regard (b) et Minino Garay (perc)– qui sera
la matrice d’un projet au long court mêlant jazz, musiques latines et notamment
le flamenco. La Caja Negra devenue un big band, s’appuyant tout
particulièrement sur les rythmiciens Minino Garay et André Ceccarelli (dm), effectue
en 2022 une tournée avec un premier invité de marque, Randy Brecker. En 2024 à
Pertuis, c’est Bob Mintzer (ts) qui est le special
guest de Pierre Bertrand. Ancien des big bands de Buddy Rich, Thad Jones-Mel
Lewis et Sam Jones, membre des Yellowjackets, directeur du WDR Big Band depuis 2016, compositeur,
arrangeur, le ténor américain est un professionnel accompli, spécialiste des
grandes formations, auxquelles il apporte immanquablement son savoir-faire.
Bob Mintzer, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage
Pierre Bertrand lui a d’ailleurs déroulé un tapis rouge tressé
d’arrangements de belle facture servant d’écrin à un répertoire bien rôdé de
compositions personnelles, de pièces de Duke Ellington (dont Pierre Bertrand
avait enregistré la Far East Suite en 2018) et de thèmes signés par l’invité. Le
lyrique «Hymn/Aqua» (Bertrand) est introduit par Stéphane Chausse (cl) et le
subtil «Tour Eiffel» (Bertrand) par le leader, à la flûte. Bob Mintzer déploie
sa sonorité de velours sur son titre «Aha!» et nous gratifie d’un superbe solo
imprégné de blues sur «Blue Pepper» (Far
East Suite, Duke Ellington). Pour autant, malgré tout ce que Pierre
Bertrand a mis dans le panier de la mariée –une écriture très fine, des
solistes aguerris, l’énergie zébulonesque de Minino Garay à quoi s’ajoute un
invité de stature internationale– l’orchestre reste sur un patchwork pas toujours convainquant avec les longues interventions flamenca,
vocales et dansées, de Paloma Pradalet et Sabrina Romero, sans lien avec
l’expression jazz. La Caja Negra nous laisse cependant sur une meilleure
impression avec un rappel plus dynamique, de nouveau aux couleurs d’Ellington
(«Agra/Amad», Far East Suite) soulignées
par une bonne intervention de Frédéric Couderc (bar).
Caja Negra Big Band
& Bob Mintzer: Pierre Bertrand (lead,ts,fl), Joel Chausse (lead tp), Sylvain
Gontard, Roman Didier (tp), Denis Leloup, Philippe Georges (tb), Stéphane
Chausse (lead as, cl), Frédéric Couderc (bar), Alfio Origlio (p), Jérôme Regard
(b), André Ceccarelli (dm), Minino Garay (perc), Paloma Pradal, Sabrina Romero
(voc) + Bob Mintzer (ts)
Nous quittons le festival de Pertuis plus que jamais
reconnaissant qu’il permette à ces grandes formations, nécessitant une
logistique coûteuse et complexe, de s’exprimer devant le public du jazz. Alors,
encore bravo et merci à Léandre Grau et son équipe!
Texte et photos
Jérôme Partage
© Jazz Hot 2024
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Dinant, Belgique
Dinant Jazz (du 26 au 28 juillet), 27-28 juillet 2024
Au lendemain de la première soirée du vendredi durant
laquelle se tenait le tournoi des jeunes talents, nous avons suivi avec
délectation cette 22e édition du Dinant Jazz Festival sous le signe du
saxophone et le patronage de Chris Potter (ts).
Le samedi 27
juillet à 18h, la scène ouvre sur le quartet du guitariste Maxime Blésin: Igor
Gehenot (kb,p), Cédric Raymond (eb,b), Franck Agulhon (dm). Les compositions
sont du leader avec des moods variés,
cool ou néo-bop. Les solos sont équitablement répartis entre tous les musiciens:
«So Cool», «What I Do»... Le plus souvent l’un des quatre s’illustre tout seul
pour l’intro. Pour «Organic Maters», le featuring est dévolu au batteur français qui, parfait lecteur, se fond
sans problème dans les œuvres de Maxime Blésin. Suit une jolie ballade, «From Dust
to Down», puis «In the Mood for Mars» avec un solo magistral d’Igor Gehenot au
piano. Les artistes terminent leur prestation après l’envolée de Cédric Raymond
par un two-beats qui n’est pas sans
évoquer Herbie Hancock.
A 20h, Stefano Di Battista
(as,ss) a choisi avec talent et fougue de réécrire les plus belles pages de la chanson
italienne: «La Vita è Bella», «Volare », les répertoires d’Ennio
Morricone, Lucio Dalla, Paolo Conte… Matteo Cutello (tp), Andrea Rea (p),
Daniele Sorrentino (b) et André Ceccarelli (dm) complètent le quintet. La musica è grande! Stefano Di Battista
déboule à 100 à l’heure, à l’alto puis au soprano, créatif et terriblement
swing. On ne peut s’empêcher de penser à Charlie Parker et, plus encore à Cannonball
Adderley. Sous le chapiteau ou dans la prairie la soirée est torride, dans nos
pieds et dans nos cœurs, au propre comme au figuré.
A 22h, nous voilà chauffés
à blanc pour attendre l’invité d’honneur de cette édition: le Chicagoan Chris
Potter. Une belle intervention de Lionel Loueke (g) sur «Aria for
Anna», un long et joli solo de John Patitucci (b) pour lancer le dernier thème,
«A Rising Dance». Johnathan Blake (dm) se charge des points-virgules, des breaks et des relances. Le ténor de
l’Illinois phrase et improvise avec une aisance naturelle,
inspirée sur des titres comme «Cloud Message».
Chris Potter, Dinant, 27 juillet 2024 © Jean Schoubs
Dimanche 28 juillet,
après avoir animé une messe gospel avec Grégoire Maret (hca), Rhoda Scott (org)
a ouvert à 15h la troisième journée du festival avec son batteur Thomas
Derouineau. Dinant s’éveille et, comme la veille, nous allons plonger dans les
rythmes diaboliques. Rhoda n’a pas, malgré ses 86 étés, altéré son plaisir et
le nôtre itou. Parmi les titres joués, «Watch What Happens» de Michel
Legrand. Les festivaliers, séduits, l’ovationnent debout. Il en sera de même
pour toutes les formations qui vont se succéder au podium.
A 16h30, tradition
dinantaise, le Dinant Jazz Orchestra est placé sous la direction de Maxime
Blésin. Le guitariste joue délicat avec un son velours mais, plus que tout,
c’est un excellent arrangeur. La rythmique est tenue par Pascal Mohy (p), Victor
Foulon (b) et Mimi Verderame (dm); les soufflants sont Pauline Leblond (tp), Stéphane
Mercier (as), Nicolas Kummert, Mathieu Najean (ts) et en guest Sophie Alour (ts) au son gras, profond, envoûtant, «getzien»
par moments («Te souviens-tu de notre amour»). «Caravan», arrosé de «Tequila»,
précède «Summertime», «Night Train», «Movin’Blues», «Too Hot», «Feo Manitikoko»
(solos de Kummert et Leblond), «Bœuf in the Basement», puis un blues qui permet
d’apprécier, enfin, Pascal Mohy. Suivent des chases entre tous les saxophonistes. Le solo de Maxime Blésin est
colorié par tous les souffleurs, en délicieuse harmonie. Pour «Galactic Blues»
se succèdent les ténors Sophie Alour, Mathieu Najean et Nicolas Kummert. L’approche
varie à l’aune du feeling de chacun. Pauline Leblond soloïse au plugger avant
l’envolée de Stéphane Mercier dont on remarque la maturité acquise par des
années de pratique.
A 18h30, le duo Vincent
Peirani (acc)/Grégoire Maret démontre qu’avec ces instruments à lamelles on
peut s’accorder et swinguer («Strange Meeting» de Bill Frisell). «J’entends
siffler le train», le «saucisson» de Richard Anthony, vient même faire la
preuve qu’on peut jouer jazz au départ de n’importe quelle mélodie.
Viennent ensuite «All Blues», «Father Christmas» (ouf!) avant qu’Elena Pinderhughes (flûte en ut) s’ajoute pour une
valse, une gavotte, des songs traditionnels
et folks. J’avoue n’avoir pas été convaincu par la flûtiste alors que je fus
étonné et bien accroché par Vincent Peirani et Grégoire Maret.
Vincent Peirani (acc) et Grégoire Maret (hca), Dinant, 28 juillet 2024 © Jean Schoubs
Le festival touche
à sa fin, avec, à 20h30, un Sax Summit du tonnerre de Dieu regroupant deux
altos, Stéphane Mercier et Stefano Di Battista (bon solo sur «Blues for
Michel»), trois ténors, Lionel Belmondo (auteur de la plupart des arrangements),
Sophie Alour et Chris Potter. La rythmique n’est pas de moindre qualité,
puisqu’on y trouve les Belges de Paris Eric Legnini (p) et Dré Pallemaerts
(dm), ainsi que le Gascon Thomas Bramerie (b). «Wayne’s Words» avec Lionel
Belmondo au soprano est superbe. L’octet est la meilleure conclusion de cette 22e
édition sur la terre natale d’Adolphe Sax préparée avec un soin gourmet par le
programmateur Jean-Claude Laloux.
Jean-Marie Hacquier Photos: Jean Schoubs
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Antibes-Juan-les-Pins, Alpes Maritimes
Jazz à Juan (du 8 au 18 juillet), 13 juillet 2024
Pour cette 63e
édition, Jazz à Juan a encore su préserver quelques rendez-vous jazz de qualité
(El Comité le 11 juillet, Joshua Redman le 17...) bien qu’il se définisse aujourd’hui comme un «festival de jazz et musiques
contemporaines». Le festival se porte bien et a fait au global le plein de
spectateurs. On espère que cette programmation éclectique –qu’on retrouve
d’ailleurs dans tous les grands festivals– permette au jazz de conserver un
minimum de visibilité auprès du grand public d’autant que la Pinède Gould reste
une scène privilégiée pour entendre les grands noms du jazz de culture, comme
la venue de Chris Potter, le 13 juillet, nous l’a encore rappelée.
Eric Legnini (kb), Stéphane Belmondo (tp), Dré Pallemaerts (dm), Thomas Bramerie (b), Laurent Fickelson (org),
Jazz à Juan, 13 juillet 2024 © Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan
Pour tenter d’atteindre un public devenu volatile et aussi
parce que la musique rock fait aussi partie intégrante (avec le jazz et la musique classique) de leurs
références, Lionel (ts) et Stéphane (tp) Belmondo ont décidé de rendre hommage
au groupe de rock californien, Grateful Dead (1965-1995). Pour
autant, le lien avec le jazz, s’il est ténu, n’est pas inexistant: sans doute
Lionel le coltranien a t-il été sensible aux longues improvisations que le
groupe pratiquait en concert, paraît-il inspiré par John Coltrane. La musique tirée de
l’album Dead Jazz (Jazz &
People), sorti à l’automne dernier, s’inscrit dans une esthétique fusion
marquée par une frappe de batterie binaire (Dré Pallemaerts), l’utilisation
conjointe de l’orgue électronique (Laurent Fickelson) et du Fender Rhodes (Eric
Legnini), mais aussi de la contrebasse (Thomas Bramerie) qui donne un peu de
profondeur et de respiration à la sonorité du groupe, limitant la saturation
liée aux effets électroniques. Le psychédélique «China Cat Sunflower» est
ponctué par de longs solos pour lesquels les Belmondo n’ont pas lésiné sur la reverb… Plus swinguant, «The Other One»
(titre des Grateful Dead) bénéficie du groove
insufflé par Eric Legnini, tandis que sur le nappage électronique dressé par Laurent
Fickelson, pointent la sonorité rugueuse de Stéphane et l’énergie brute de
Lionel. La ballade «Stella Blue» est délicatement introduite par Eric Legnini
suivi d’un solo tout en sensibilité de Stéphane au bugle. En fin de concert, un
invité surprise a rejoint le sextet: un troisième clavier, Brad Mehldau, pianiste
du quartet de Chris Potter programmé en seconde partie de soirée, lui-même
coutumier des clins d’œil pop-rock et connaisseur des Grateful Dead. Les Frères
Belmondo nous aurons livré une prestation ludique et dynamique qui n’aura pas
manqué de ravir les amateurs de sonorités seventies.
Brad Mehldau (p), Chris Potter (ts), John Patitucci (b), Johnathan Blake (dm),
Jazz à Juan, 13 juillet 2024 © Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan
Chris Potter (ts) était là également pour présenter son dernier
album, Eagle’s Point (2023, Edition
Records), enregistré dans sa configuration favorite, le quartet, avec Brad
Mehldau (p), John Patitucci (b) et Brian Blade (dm), remplacé pour cette
tournée d’été par Johnathan Blake. Le ténor est l’auteur de l’intégralité des
compositions et lance le concert avec le premier titre du disque, «Dream of
Home», où s’exprime d’emblée sa belle sonorité limpide et veloutée et un
discours d’une remarquable intensité qui a mûri au fil des années, notamment durant
celles passées auprès de Dave Holland. Sans surprise, le phénoménal Johnathan
Blake apporte encore davantage de densité au quartet: son drumming nerveux sur
«Cloud Message» crée une sorte d’ivresse rythmique tandis que l’excellent John
Patitucci imprime ses superbes lignes de basse. Sous l’influence de ce
collectif ancré dans le swing et du projet musical parfaitement cohérent de
Chris Potter, le versatile Brad Mehldau arbore un jeu plus jazz que de coutume,
preuve que ce brillant technicien sait s’adapter à toutes les situations… Mais
ce sont les interventions de ses partenaires qui restent les plus marquantes:
Chris Potter, aérien sur «Eagle’s Point», ouvre avec suavité «Aria for Anna»,
ballade dédiée à sa fille, John Patitucci, aux prises de parole à la fois fortes
et subtiles, démontre qu’il sait aussi parler le langage du blues; d’une
inépuisable énergie, Johnathan Blake donne en fin de concert un solo
époustouflant, aussi mélodique que spectaculaire. Le quartet de Chris Potter nous aura tenu en haleine!
Texte: Jérôme Partage
Photos: Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan
© Jazz Hot 2024
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