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Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
Jazz à Beaupré - Festival Roger Mennillo, 5 juillet 2024

Après quelques saisons moins champêtres mais tout aussi réussies dans le jardin Joseph Richaud à Saint-Cannat, 2024 est l’année du grand retour au Château de Beaupré pour le festival de jazz Roger Mennillo. Dans ce cadre superbe, entre rusticité et raffinement, tout est prévu pour la détente et le plaisir du public: la cour réaménagée ouvre sur une belle cave et propose à la dégustation petits plats et grands crus. Le pré accueille à la bonne franquette autour de tables de pique-nique. Quant aux concerts, ils ont retrouvé leur lieu de prédilection, au frais entre la futaie de platanes et la façade du château.

Baptiste Herbin Trio, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet
Baptiste Herbin Trio, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet

La première partie est traditionnellement réservée à un groupe sinon local, du moins national. Mais ce soir, c’est un trio de pointures qui présente un hommage très personnel à Django (et sans guitare!): Baptiste Herbin (as,cl), Pierre Marcus (b) et Benjamin Henocq (dm), certainement le plus rodé aux circuits jazz européen et américain. Aux dernières lueurs du jour, le trio attaque un «Night and Day» fermement bebop, Baptiste Herbin dans un registre aigu et volubile. Suit un «Troublant boléro» tout en langueur et sensualité, où Pierre Marcus livre un beau solo de contrebasse sur un fond de roulement de mailloches. Le groupe semble pouvoir faire varier les tempos et les ambiances à l’infini, et s’approprier la musique de Django sans en trahir l’esprit: «Django», l’hommage de John Lewis, est amorcé au sax sur un tempo très lent, presque funèbre, puis s’anime; en contraste, suit un «Nuits de Saint-Germain-des-Prés» très festif et dynamique, démarrage rapide au sax et aux balais. Et si Django allait au Brésil? «Choro Django» est une petite fête, propulsée par une clarinette au son virevoltant et gai et une contrebasse qui balance bien. Sur «Anouman» dédié à Hubert Fol, morceau intimiste et mélodieux, on aime la profondeur de son de Baptiste Herbin et l’appui tout en nuances de la section rythmique. Quant à «Djangology», il débute sur un solo de saxophone qui évoque à s'y méprendre un accordéon musette. «Nuages», «Montagne Sainte-Geneviève», rien de l’univers de Django ne semble inaccessible au trio sans complexe qui aborde le répertoire avec swing, délicatesse, culture et humilité. Le public a réclamé le rappel à retardement, mais il ne l’a pas regretté: le final sur «Tears» fut d’anthologie, avec un Baptiste Herbin triturant le son et embouchant sax et clarinette à la Roland Kirk! On attend avec impatience la traduction sur disque de ces multiples talents, sortie prévue en septembre. On regrettera seulement les six passages de la Patrouille de France pas tout à fait dans le tempo…

El Comité, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet
El Comité, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet

Après un intermède de dégustation, reprise avec El Comité, un collectif de six musiciens de l’actuelle scène jazz cubaine: Carlos Sarduy (tp), Irving Acao (ss,ts,cl,fl), Rolando Luna (p,kb), Gaston Joya (b,eb), Rodney Barreto (dm), Yaroldy Abreu Robles (perc), pour une musique foisonnante, apte à inverser la courbe descendante des températures. Ces six compères sont les héritiers directs des Paquito D’Rivera, Chucho Valdès ou encore du Buena Vista Social Club, avec qui certains ont fait un bout de chemin. En 2018, on avait déjà apprécié à Saint-Cannat la venue en trio d’Harold Lopez-Nussa (participant habituel du Comité, et alter ego de Rolando Luna au piano) avec déjà Gaston Joya (b), et son jeune frère Adrian Lopez-Nussa (dm,perc). Le format sextet, avec l’ajout de percussions, semble donner l’avantage à la couleur cubaine, mais de «Amistad» à «Dance to Hope» et «Brainstorm Groove» (thème du batteur), El Comité poursuit la fusion entre jazz et musique cubaine (Cubop) amorcée il y a près de quatre-vingts ans par Dizzy Gillespie et Chano Pozzo. Ils ont absorbé et inscrit dans leur patrimoine musical tous les courants qui ont traversé le jazz depuis le bebop en un enrichissement permanent. Après un démarrage coltranien tout en douceur, sur fond de bruissement de coquillages et percussions, qui prend de la vitesse et de l’ampleur, le piano percussif de Rolando Luna entraîne le groupe qui est bientôt à fond, les soufflants rutilants en souffle continu! L’atmosphère se fait davisienne sur le morceau suivant, avec de belles interventions à la clarinette et au bugle d'Irving Acao et Carlos Sarduy. Funk, groove, free, rien au final n’a échappé à la moulinette cubaine! On assiste à de beaux unissons de cuivres, lyriques ou cinglants, à des combinaisons variées en trio piano/basse/percussions, remarquables, ou plus électriques avec Fender Rhodes/basse électrique/batterie. C’est une musique brillante, débordante d’énergie, toujours en mouvement, qui ravit autant le public que ses exécutants.

Rolando Luna, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen BertetCarlos Sarduy, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen BertetIrving Acao, Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet
Rolando Luna (p), Carlos Sarduy (tp), Irving Acao (ts), Jazz à Beaupré, St-Cannat, 5 juillet 2024 © Ellen Bertet

Le lendemain, une pluie imprévue nous a privés de la deuxième soirée qui annonçait le quartet de Julien Baudry et Champian Fulton en trio, écourtant singulièrement cette 27e édition. Espérons que les soutiens de ce petit festival indispensable lui donneront longue vie et que nous nous retrouverons en 2025 pour du jazz avec «Nuages» mais sans pluie!

Texte et photos
Ellen Bertet

© Jazz Hot 2024


Saint-Raphaël, Var
Huchette Jazz Marathon, 12 août 2024

Dans le cadre du 80e anniversaire du Débarquement de Provence –le 15 août 1944–, la ville de Saint-Raphaël avait invité la troupe du Caveau de La Huchette pour trois soirées, du 11 au 13 août. Le 12 août, c’est un épatant marathon jazz que Dany Doriz et ses musiciens ont proposé au public, se succédant sur scène de 18h à 23h30, avec une seule pause d’une heure due à la tenue d’une conférence à proximité. A la fois chef d’orchestre et maître de cérémonie, Dany Doriz en grande forme a su recréer l’ambiance conviviale du Caveau sous les pins de la Côte d’Azur. Un régal de swing, d’énergie et de bonne humeur.



Tandis que touristes et résidents affluaient progressivement en ce chaud début de soirée, nos vocalistes anglophones ont ouvert le concert-marathon par des titres chantés en français: l’Australienne Wendy Lee Taylor avec «Plus je t’embrasse», le Chicagoan Jeff Hoffman avec «Douce France» (Charles Trenet/Léo Chauliac, 1943). Le guitariste ne s’est pour autant pas gêné pour sortir son blues avec le soutien groovy de Philippe Petit (org) et Didier Dorise (dm).


Philippe Petit (kb), Didier Dorise (dm), Jeff Hoffman (g), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage

Dany Doriz aux mailloches avec Olivier Defaÿs et David Sauzay ont évidemment propulsé l'assistance «In the Mood» (Wingy Manone, 1930) devenu un des tubes des danseurs de la Libération à partir de 1944 grâce à l'Army Air Force Band du Capitaine Glenn Miller (tb, 1923-1944) disparu au dessus de la Manche le 15 décembre cette année-là, dans un avion qui le transportait de Londres en France; cet orchestre fit swinguer les troupes près de 1000 fois, un booster d’énergie, n’en doutons pas! Et alors que Jean-Philippe O’Neill prenait le relais de Didier Dorise, Ronald Baker (tp,voc) donnait un tribute à son cher Nat King Cole avec un «L.O.V.E.» que les estivants étaient en droit de prendre au pied de lettre!


Dany Doriz (vib), Jeff Hoffman (g), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage   Ronald Baker (voc), David Sauzay (ts), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage
 

Puis, Sylvia Howard a offert une version très blues de «On the Sunny Side of the Street», bien entourée par Olivier Defaÿs, Dany Doriz, Patrice Galas (kb) et Didier Dorise, une prestation remarquée et saluée par l’auditoire. 


Dany Doriz (vib), Patrice Galas (kb), Didier Dorise (dm), Sylvia Howard (voc), Olivier Defaÿs (ts), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage


Evoquant Sidney Bechet qui avait adopté la Côte d’Azur, David Sauzay («Petite Fleur») puis Olivier Defaÿs («Dans les rues d’Antibes»), ont fait revivre le jazz qui était la musique populaire partagée et dansée par tous. Dans la foulée, entouré d’une paire de sax et de batteurs, avec un Patrice Galas swinguant, Dany Doriz a fait résonner un «Sing, Sing, Sing» détonant.


Dany Doriz (vib), Patrice Galas (kb), Didier Dorise, Jean-Philippe O’Neill (dm), Olivier Defaÿs, David Sauzay (ts), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage


Final de cette première partie de soirée, l'indispensable drum battle où Didier Dorise et Jean-Philippe O’Neill ont repris le tandem historique Gene Krupa-Buddy Rich du JATP, et donné une chorégraphie jonglée de baguettes ébouriffante!


Didier Dorise et Jean-Philippe O’Neill (dm), Olivier Defaÿs, David Sauzay (ts), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage

Didier Dorise et Jean-Philippe O’Neill (dm), Olivier Defaÿs, David Sauzay (ts), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage        Didier Dorise et Jean-Philippe O’Neill (dm), Olivier Defaÿs, David Sauzay (ts), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage


Après l'entracte, la scène est réinvestie par Jeff Hoffman, Philippe Petit et Didier Dorise, emmenés par un blues profond d'Olivier Defaÿs et David Sauzay à la nuit tombée.


Olivier Defaÿs et David Sauzay (ts), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage


Avec le renfort de Dany Doriz, Wendy Lee Taylor a ramené la danse au centre du jazz, à travers un hommage à Fred Astaire et aux comédies musicales sur «Puttin’ on the Ritz» (Irving Berlin, 1929), assorti d’un remarquable numéro de claquettes: la dynamique jazzmen-danseurs est bien l'emblème du Caveau de La Huchette!


Jeff Hoffman (voc), Wendy Lee Taylor (voc), Olivier Defaÿs, David Sauzay (ts), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage


Figure respectée du vibraphone, héritier de Lionel Hampton, Dany Doriz a joué un «How High the Moon» superbement aérien avant d'entamer un deux mains-deux doigts facétieux à l'orgue Hammond avec Philipe Petit. Quelques mesures plus loin, Sylvia Howard nous faisait repartir dans les astres («Fly Me to the Moon») avec le soutien subtil de Patrice Galas et Jeff Hoffman.

 

 Dany Doriz et Philippe Petit (kb), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage  Patrice Galas (kb), Jeff Hoffman (g), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage


La chanteuse d’Indianapolis nous a ensuite embarqué sur «Caravan», au rythme d’un duo très complice avec Ronald Baker. 


Jean-Philippe O’Neill (dm), Sylvia Howard (voc), Ronald Baker (tp), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage


Au terme de plus de quatre heures de jazz qui ont comblé un public en réclamant encore davantage, les onze musiciens sont montés sur scène pour un salut presque final...


la troupe du Caveau de La Huchette, St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage

Dany Doriz, Wendy Lee Taylor, Philippe Petit (kb,voc), St-Raphaël, 12 août 2024 © Jérôme Partage




...et comme chaque soirée réussie peine toujours à s'achever, 

la troupe de La Huchette a offert en rappel «Shut Up»,

un sketch jazz de Philippe Petit 

qui a dévoilé ses talents de comédien.



On en aurait bien repris pour deux ou trois heures 

de plus et les musiciens aussi...

Merci au Capitaine Doriz d'avoir orchestré

ce débarquement de swing!


Texte et photos
Jérôme Partage

© Jazz Hot 2024

Pertuis, Vaucluse
Festival de Big Bands de Pertuis (du 5 au 10 août), 8, 9 et 10 août 2024

25e édition pour le Festival de Big Band de Pertuis, devenu une véritable institution puisqu'il est l'un des rares festivals au monde spécialisé dans les grands orchestres de jazz. Une gageure qui doit sa pérennité à l’inextinguible passion de ses dirigeants: le tromboniste Léandre Grau, fondateur, président, programmateur du festival et Marcel Morello (père de Romain Morello, tb) qui veille scrupuleusement sur les délicats équilibres financiers. Une institution pour autant à taille humaine, animée par une équipe de bénévoles dévoués dont le professionnalisme a permis une mise en œuvre au cordeau! C’est ce qu’on aime à Pertuis: partager le jazz entre spectateurs, musiciens et organisateurs dans un esprit convivial, avec ce cadre naturel du Luberon non mondain à l'architecture villageoise, un contexte authentique, propice à l’art et à l’esprit populaire du jazz.
Comme de coutume, le festival a été inauguré le 5 août par le groupe TartOprunes, suivi du Big Band de Pertuis dirigé depuis 2019 par Christophe Allemand (ts). Se sont ensuite succédés: Jazz Messenger Spirit, le Big Band de Camargue (6 août), la chanteuse Cathy Heiting et le Middle Jazz Orchestra (7 août). Nous étions présents pour les trois dernières soirées du jeudi 8 au samedi 10 août.


 

 L'Oscarpicus, Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage
 L'Oscarpicus, Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage



Jeudi 8 août, 19h30: L’Oscarpicus

Pendant plus de dix ans, la Marseillaise Alice Martinez a été la chanteuse du Big Band de Pertuis. Elle avait été repérée par Léandre Grau en 2011, au sein du quartet de Norbert Grisot (cf. Jazz Hot n°657-2011). Mais cette année, c’est sous ses propres couleurs qu’Alice se présentait au public, à la tête du sextet L’Oscarpicus, avec des chansons jazz en français dont elle a écrit les paroles, les mélodies étant à la main des membres de la formation. Entre fantaisies swing et ballades nostalgiques, Alice est avant tout une conteuse d’histoires: «Bernie, l’homme canon», «Le Petit remplaçant», un peu dans l’esprit des musiques inspirées par l’univers du cirque chez Nino Rota; des histoires souvent nourries par des souvenirs personnels: «Papy bougon» –avec un final new orleans à mettre au crédit de Sylvain Avazeri (tp) et Ezequiel Celada (as)– ou «L’enfant des coulisses» qui évoque son enfance auprès de son père batteur et homme de théâtre, Jean-Pierre Martinez. Le soutien rythmique de Gabriel Manzaneque (g) ainsi qu’Olivier Lalauze (b) et Léo Achard (dm) du Way Out Trio est impeccable. Mais c’est sur le rappel que les musiciens ont donné le meilleur, avec un titre du répertoire de Lionel Hampton, «Lavander Coffin» (Shirley Albert): on vous recommande chaudement la lecture des paroles à se tenir les côtes! Signalons par ailleurs qu’Alice Martinez tourne également avec The Shoeshiners, un groupe swing dévolu à l’interprétation des standards. 

 

L’Oscarpicus: Alice Martinez (voc), Sylvain Avazeri (tp), Ezequiel Celada (as,cl), Gabriel Manzaneque (g), Olivier Lalauze (b), Léo Achard (dm)



Jean-Loup Longnon Big Band, Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage

Jean-Loup Longnon Big Band, Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage



21h30: Jean-Loup Longnon Big Band

C’est la deuxième fois, depuis 2010, que Jean-Loup Longnon (lead,tp,voc) déploie son rutilant big band à Pertuis. Un big band qui n’apparaît que par intermittence, au grand dam de son directeur qui, devant les difficultés économiques croissantes pour faire naviguer un tel paquebot, privilégie la douceur de la vie crétoise. L'occasion se faisant rare, c'est donc avec enthousiasme que nous retrouvions Môssieur Longnon, une drôle de bête, croisement improbable entre Gargantua et Thad Jones, à la fois Monsieur Loyal bavard assurant à lui seul une partie du spectacle, chef d’orchestre d’une précision d’horloger, maître arrangeur, compositeur (classique et jazz) de haut vol.


Chloé Cailleton (voc) et Jean-Loup Longnon (tp), Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage




Chloé Cailleton (voc) et Jean-Loup Longnon (tp), 

Festival de Big Bands de Pertuis, 8 août 2024 © Jérôme Partage



Le big band commence par un thème original, «Rue de la Liberté», célébrant une voie du XIXe arrondissement de Paris où sévissait jadis un bar jazz. On y entend deux bons solos du Russe Kirill Bubyakin (ts) et de Pierre Guicquéro (tb). Suit une version aérienne de «L’important c’est la rose» (Gilbert Bécaud) qui met en avant Manuel Marchès (b) et Jean-Philippe Scali (bar). «Encore du bop» (Longnon), titre d’un précédent album, tient ses promesses, notamment porté par le solo exubérant de Gilles Repond (tb). Retour à la chanson avec Jean-Loup Longnon qui donne de la voix sur «On n’est pas là pour se faire engueuler» (Boris Vian) entre les ponctuations chamarrées des sections de soufflants. Se joignant à l’orchestre sur «Love Is Here to Stay», Chloé Cailleton (voc) est une instrumentiste à part entière, ses longues interventions scatées s’intégrant parfaitement aux arrangements. Avec un démarrage à la «Sing, Sing, Sing» (explosif Frédéric Delestré, dm), «Istanbounce» (Longnon) saisit le public tandis que Jean-Loup Longnon prend un solo de trompette simplement accompagné par le piano puis par le reste de la section rythmique. Ensuite, le maestro aborde avec originalité «Lush Life» en remettant au jour les inspirations du chef-d’œuvre de Billy Strayhorn venues de la musique classique française: Debussy est en embuscade! L’orchestre monte encore un cran dans l’intensité swing avec le thème basien «Funtime» (Sammy Nestico) tandis que Vincent Labarre (tp) a pris temporairement la conduite des opérations. Et pour compléter le tableau, le big band s’aventure du côté du funk (avec un Manuel Marchès passé à la basse électrique) sur une composition récente, «Monastiráki» (du nom d’un quartier d’Athènes) et sur le morceau final ouvert par un scat a cappella détonnant de Jean-Loup Longnon.


Jean-Loup Longnon Big Band: Jean-Loup Longnon (lead,tp,voc), Vincent Labarre, Vincent Echard, Brice Moscardini, Matthieu Tarot (tp), Gilles Repond, Cyril Galamini, Pierre Guicquéro, Yoann Huot (tb), Patrick Bocquel (as,ss,cl), Xavier Quérou (as), Antoine Daures, Kirill Bubyakin (ts), Jean-Philippe Scali (bar), Ludovic Allainmat (p), Manuel Marchès (b), Frédéric Delestré (dm), Chloé Cailleton (voc)



Hard Dixie Six, Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage

Hard Dixie Six, Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage

 

 

Vendredi 9 août, 19h30: Hard Dixie Six

Figure du jazz dit «traditionnel» en France, cofondateur en 1979 du Hot Antic Jazz Band, enseignant depuis 1987 au Conservatoire d’Aix-en-Provence, le multi-instrumentiste Jean-François Bonnel (cl,s,cnt,g) était déjà présent à Pertuis en 2023 avec ses Suricats (cf. notre compte-rendu). Il se produit habituellement en quartet avec Hard Dixie Four, présenté à Pertuis dans une version étendue avec deux autres soufflants: Prokhor Burlak (ss,ts), né en 1989 à Vladivostok et installé à Paris depuis 2022 où il est vite devenu une étoile montante de la scène jazz; Romain Morello (tb), né en 1987 à Pertuis, un enfant du festival avec lequel il a grandi: formé par Léandre Grau au Conservatoire de Pertuis, il a joué avec son sextet en 2023 à Pertuis et compte parmi les membres des fameux TartOprunes programmé chaque année.

A la manière de l’Anachronic Jazz Band –qu’il avait rejoint à sa reformation en 2013–, Jean-François Bonnel revisite des thèmes bop dans l’esthétique new orleans-mainstream avec une prédilection toute particulière pour les compositions de Thelonious Monk: «We See», «Ruby My Dear» –qu’ont croirait sorti du répertoire de Sidney Bechet!, «Bye-Ya» ou encore la magnifique ballade «Crepuscule With Nellie». Jean-François Bonnel aime par ailleurs les assemblages qui démontrent avec pertinence la continuité du jazz sur les décennies, comme lorsqu’il mêle «Jungle Drums» (Sidney Bechet, Zutty Singleton), qu’il introduit superbement au soprano, et «Voyage» (Kenny Barron) ou bien «Yes or No» (Wayne Shorter) accolé à «New Orleans Shout» (King Oliver). Prokhor Burlak impressionne par la conviction de son jeu, et ses duos de soprano avec le leader sont un régal («China Boy», Phil Boutelje, Dick Winfree), de même que les couleurs cuivrées de Romain Morello sont particulièrement mises en valeur en solo («Prelude to a Kiss», Duke Ellington). Le tout repose sur l’assise rythmique irréprochable d’Elise Sut (tu), Gabriel Manzaneque (bjo) et Stéphane Zé Richard (dm).


Hard Dixie Six: Jean-François Bonnel (ss,cl), Romain Morello (tb), Prokhor Burlak (ss,ts), Elise Sut (tu), Gabriel Manzaneque (bjo), Stéphane Zé Richard (dm)

 


Chicago Stompers  avec Prokhor Burlak et Jean-François Bonnel (ss, à droite), Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage

Chicago Stompers  avec Prokhor Burlak et Jean-François Bonnel (ss, à droite), 

Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage

 


21h30: Chicago Stompers

Venus de Milan, les Chicago Stompers ont activé leur machine à remonter le temps pour nous plonger dans les Années folles et l’aube de la décennie 1930, avec un souci minutieux de la reconstitution historique passant bien sûr par le répertoire et les arrangements, mais aussi les tenues, accessoires, voire instruments rares comme le violon à pavillon (ou violon Stroh) utilisé par les orchestres de jazz au début du XXe siècle. Le tout assorti de clowneries irrésistibles et d’une bonne humeur communicative. A la tête de cette joyeuse équipe, le pianiste, chanteur et multi-instrumentiste Mauro L. Porro (cl,ss,cnt…), passionné de jazz hot, collectionneur de partitions, de 78 tours, de phonographes (entre autres!), arrangeur prisé (pour Vince Giordano and The Nighthawks Orchestra de New York, entre autres) et également animateur de la Boutiquephonie à Milan, à la fois salle de concert et agence artistique.


Pasquale Gravela (tp), Mauro L. Porro (p), Giorgio Gallina (tb), Martino Pellegrini (stroh vln), Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme PartageMartino Pellegrini (stroh vln), Andrea Peschiera (voc), Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage

Pasquale Gravela (tp), Mauro L. Porro (p), Giorgio Gallina (tb), Martino Pellegrini (stroh vln), 

Andrea Peschiera (voc), Festival de Big Bands de Pertuis, 9 août 2024 © Jérôme Partage


L’excellence des musiciens se remarque d’emblée (très swinguant «Polka Dot Rag» de Sidney Bechet en ouverture) de même que les qualités d’expression de la chanteuse de l’orchestre, Andrea Peschiera («You've Got to Be Modernistic», James P. Johnson), en particulier en italien: «Fiorin fiorello» (Carlo Buti), «Dinah» (Harry Akst) phrasé dans la langue Dante. Si le concert est agrémenté d'effets sonores vocaux et instrumentaux gaguesques, de mises en scène rappelant les Marx Brothers «I'll Fly to Hawaii» (Ira & Joe Shouster, Lou Davis), «I Miss My Swiss» (L. Wolfe Gilbert, Abel Baer), «Horses» (Richard A. Whiting, Gay Byron)– les Chicago Stompers n’en sont pas moins de sérieux solistes, comme Giorgio Gallina (tb), Sophia Tomelleri (as,cl) ou le grappellien Martino Pellegrini (vln), tandis que Mauro L. Porro passe allègrement du piano au saxophone soprano («Petite Fleur» de Sidney Bechet) ou au cornet («Dinah»). Décidément bon esprit, l’orchestre a invité Jean-François Bonnel et Prokhor Burlak à se joindre à lui sur quelques titres («Do Something» de Sam H. Stept et Bud Green, «Oh, Lady Be Good!» de George & Ira Gershwin) pour le plus grand plaisir du public qui n’a pas ménagé son enthousiasme. Un concert épatant qui s’est terminé en parade au milieu des spectateurs ravis d'être associés à la fête.


Chicago Stompers: Mauro L. Porro (lead,p,cl,ss,cnt,voc), Pasquale Gravela (tp,cnt,voc), Giorgio Gallina (tb,voc), Sophia Tomelleri, Davide Vincenzi (as,cl), Arturo Garra (ts,cl,voc),

Paolo A. Vanzulli (tu), Marco G. Rottoli (bjo), Giacomo Russo (dm), Martino Pellegrini (vln, stroh vln), Andrea Peschiera (voc)

 


Julien Brunetaud Quintet, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage

Julien Brunetaud Quintet, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage


 

Samedi 10 août, 19h30: Julien Brunetaud Quintet

Les lecteurs de Jazz Hot connaissent bien Julien Brunetaud (p,kb,voc) de même que nous leur avions déjà présenté Sam Favreau (b) et Cédric Bec (dm) avec la chronique de l’album Feels Like Home (2020). Aujourd’hui en quintet, le pianiste désormais Marseillais s’était adjoint l’incontournable Romain Morello et le ténor Vincent Strazzieri (1981). Ce dernier, formé au Conservatoire d’Aix-en-Provence, a fait ses débuts sur la scène jazz marseillaise dont il est aujourd’hui l’un des animateurs après un intermède parisien de plusieurs années. Il se produit régulièrement avec Olivier Chaussade (ts), Sylvain Romano (b) et Jean-Pierre Arnaud (dm).

On est heureux de retrouver un Julien Brunetaud les pieds bien ancrés dans le blues de Crescent City. Le répertoire, que ce soient les reprises ou les originaux, évoque d’ailleurs les bayous de Louisiane (comme la chaleur caniculaire du Luberon!): «Go to the Mardi Gras» (Pr. Longhair), «Nola» (Brunetaud) ouvert par un solo de Cédric Bec, «Solitude» (Duke Ellington) donné dans une version blues ou encore «Don't Get Around Much Anymore» (Duke again) joué à la façon de Dr. John avec toujours un bon dialogue entre le pianiste-chanteur et ses deux soufflants: Vincent Strazzieri à la verve swing, Romain Morello à l’aise avec l’accent néo-orléanais. Sur le «Boogie Woogie» d’Almos Milburn, Julien Brunetaud entraîne sa formation, faisant monter encore de quelques degrés la température à Pertuis, avant de quitter le public en douceur sur une ballade de Stevie Wonder, pour le rappel. 


Julien Brunetaud Quintet: Julien Brunetaud (p,kb,voc), Romain Morello (tb), Vincent Strazzieri (ts), Sam Favreau (b), Cédric Bec (dm)

 

 

Caja Negra Big Band & Bob Mintzer, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage

Caja Negra Big Band & Bob Mintzer, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage



21h30: Caja Negra Big Band & Bob Mintzer

Pierre Bertrand aime les big bands. Formé aux conservatoires de Nice et de Paris, il monte le Paris Jazz Big Band avec Nicolas Folmer (1998-2008) et dirige depuis 2009 le Nice Jazz Orchestra, non loin de Cagnes-sur-Mer, sa ville de naissance. Parallèlement, il sort un premier disque sous son nom en 2010, Caja Negra (Cristal Records) –en sextet, avec déjà Alfio Origlio (p), Jérôme Regard (b) et Minino Garay (perc)– qui sera la matrice d’un projet au long court mêlant jazz, musiques latines et notamment le flamenco. La Caja Negra devenue un big band, s’appuyant tout particulièrement sur les rythmiciens Minino Garay et André Ceccarelli (dm), effectue en 2022 une tournée avec un premier invité de marque, Randy Brecker. En 2024 à Pertuis, c’est Bob Mintzer (ts) qui est le special guest de Pierre Bertrand. Ancien des big bands de Buddy Rich, Thad Jones-Mel Lewis et Sam Jones, membre des Yellowjackets, directeur du WDR Big Band depuis 2016, compositeur, arrangeur, le ténor américain est un professionnel accompli, spécialiste des grandes formations, auxquelles il apporte immanquablement son savoir-faire.


Bob Mintzer, Festival de Big Bands de Pertuis, 10 août 2024 © Jérôme Partage



Bob Mintzer, Festival de Big Bands de Pertuis, 

10 août 2024 © Jérôme Partage



Pierre Bertrand lui a d’ailleurs déroulé un tapis rouge tressé d’arrangements de belle facture servant d’écrin à un répertoire bien rôdé de compositions personnelles, de pièces de Duke Ellington (dont Pierre Bertrand avait enregistré la Far East Suite en 2018) et de thèmes signés par l’invité. Le lyrique «Hymn/Aqua» (Bertrand) est introduit par Stéphane Chausse (cl) et le subtil «Tour Eiffel» (Bertrand) par le leader, à la flûte. Bob Mintzer déploie sa sonorité de velours sur son titre «Aha!» et nous gratifie d’un superbe solo imprégné de blues sur «Blue Pepper» (Far East Suite, Duke Ellington). Pour autant, malgré tout ce que Pierre Bertrand a mis dans le panier de la mariée –une écriture très fine, des solistes aguerris, l’énergie zébulonesque de Minino Garay à quoi s’ajoute un invité de stature internationale– l’orchestre reste sur un patchwork pas toujours convainquant avec les longues interventions flamenca, vocales et dansées, de Paloma Pradalet et Sabrina Romero, sans lien avec l’expression jazz. La Caja Negra nous laisse cependant sur une meilleure impression avec un rappel plus dynamique, de nouveau aux couleurs d’Ellington («Agra/Amad», Far East Suite) soulignées par une bonne intervention de Frédéric Couderc (bar).

 

Caja Negra Big Band & Bob Mintzer: Pierre Bertrand (lead,ts,fl), Joel Chausse (lead tp), Sylvain Gontard, Roman Didier (tp), Denis Leloup, Philippe Georges (tb), Stéphane Chausse (lead as, cl), Frédéric Couderc (bar), Alfio Origlio (p), Jérôme Regard (b), André Ceccarelli (dm), Minino Garay (perc), Paloma Pradal, Sabrina Romero (voc) + Bob Mintzer (ts)

 

 

Nous quittons le festival de Pertuis plus que jamais reconnaissant qu’il permette à ces grandes formations, nécessitant une logistique coûteuse et complexe, de s’exprimer devant le public du jazz. Alors, encore bravo et merci à Léandre Grau et son équipe!


Texte et photos
Jérôme Partage

© Jazz Hot 2024


Dinant, Belgique
Dinant Jazz (du 26 au 28 juillet), 27-28 juillet 2024

Au lendemain de la première soirée du vendredi durant laquelle se tenait le tournoi des jeunes talents, nous avons suivi avec délectation cette 22e édition du Dinant Jazz Festival sous le signe du saxophone et le patronage de Chris Potter (ts).

 

Le samedi 27 juillet à 18h, la scène ouvre sur le quartet du guitariste Maxime Blésin: Igor Gehenot (kb,p), Cédric Raymond (eb,b), Franck Agulhon (dm). Les compositions sont du leader avec des moods variés, cool ou néo-bop. Les solos sont équitablement répartis entre tous les musiciens: «So Cool», «What I Do»... Le plus souvent l’un des quatre s’illustre tout seul pour l’intro. Pour «Organic Maters», le featuring est dévolu au batteur français qui, parfait lecteur, se fond sans problème dans les œuvres de Maxime Blésin. Suit une jolie ballade, «From Dust to Down», puis «In the Mood for Mars» avec un solo magistral d’Igor Gehenot au piano. Les artistes terminent leur prestation après l’envolée de Cédric Raymond par un two-beats qui n’est pas sans évoquer Herbie Hancock.

 

A 20h, Stefano Di Battista (as,ss) a choisi avec talent et fougue de réécrire les plus belles pages de la chanson italienne: «La Vita è Bella», «Volare », les répertoires d’Ennio Morricone, Lucio Dalla, Paolo Conte… Matteo Cutello (tp), Andrea Rea (p), Daniele Sorrentino (b) et André Ceccarelli (dm) complètent le quintet. La musica è grande! Stefano Di Battista déboule à 100 à l’heure, à l’alto puis au soprano, créatif et terriblement swing. On ne peut s’empêcher de penser à Charlie Parker et, plus encore à Cannonball Adderley. Sous le chapiteau ou dans la prairie la soirée est torride, dans nos pieds et dans nos cœurs, au propre comme au figuré.

 

A 22h, nous voilà chauffés à blanc pour attendre l’invité d’honneur de cette édition: le Chicagoan Chris Potter. Une belle intervention de Lionel Loueke (g) sur «Aria for Anna», un long et joli solo de John Patitucci (b) pour lancer le dernier thème, «A Rising Dance». Johnathan Blake (dm) se charge des points-virgules, des breaks et des relances. Le ténor de l’Illinois phrase et improvise avec une aisance naturelle, inspirée sur des titres comme «Cloud Message».

 

Chris Potter, Dinant, 27 juillet 2024 © Jean Schoubs
Chris Potter, Dinant, 27 juillet 2024 © Jean Schoubs


Dimanche 28 juillet, après avoir animé une messe gospel avec Grégoire Maret (hca), Rhoda Scott (org) a ouvert à 15h la troisième journée du festival avec son batteur Thomas Derouineau. Dinant s’éveille et, comme la veille, nous allons plonger dans les rythmes diaboliques. Rhoda n’a pas, malgré ses 86 étés, altéré son plaisir et le nôtre itou. Parmi les titres joués, «Watch What Happens» de Michel Legrand. Les festivaliers, séduits, l’ovationnent debout. Il en sera de même pour toutes les formations qui vont se succéder au podium.

 

A 16h30, tradition dinantaise, le Dinant Jazz Orchestra est placé sous la direction de Maxime Blésin. Le guitariste joue délicat avec un son velours mais, plus que tout, c’est un excellent arrangeur. La rythmique est tenue par Pascal Mohy (p), Victor Foulon (b) et Mimi Verderame (dm); les soufflants sont Pauline Leblond (tp), Stéphane Mercier (as), Nicolas Kummert, Mathieu Najean (ts) et en guest Sophie Alour (ts) au son gras, profond, envoûtant, «getzien» par moments («Te souviens-tu de notre amour»). «Caravan», arrosé de «Tequila», précède «Summertime», «Night Train», «Movin’Blues», «Too Hot», «Feo Manitikoko» (solos de Kummert et Leblond), «Bœuf in the Basement», puis un blues qui permet d’apprécier, enfin, Pascal Mohy. Suivent des chases entre tous les saxophonistes. Le solo de Maxime Blésin est colorié par tous les souffleurs, en délicieuse harmonie. Pour «Galactic Blues» se succèdent les ténors Sophie Alour, Mathieu Najean et Nicolas Kummert. L’approche varie à l’aune du feeling de chacun. Pauline Leblond soloïse au plugger avant l’envolée de Stéphane Mercier dont on remarque la maturité acquise par des années de pratique.

 

A 18h30, le duo Vincent Peirani (acc)/Grégoire Maret démontre qu’avec ces instruments à lamelles on peut s’accorder et swinguer («Strange Meeting» de Bill Frisell). «J’entends siffler le train», le «saucisson» de Richard Anthony, vient même faire la preuve qu’on peut jouer jazz au départ de n’importe quelle mélodie. Viennent ensuite «All Blues», «Father Christmas» (ouf!) avant qu’Elena Pinderhughes (flûte en ut) s’ajoute pour une valse, une gavotte, des songs traditionnels et folks. J’avoue n’avoir pas été convaincu par la flûtiste alors que je fus étonné et bien accroché par Vincent Peirani et Grégoire Maret.

 

Vincent Peirani, Dinant, 28 juillet 2024 © Jean Schoubs  Grégoire Maret, Dinant, 28 juillet 2024 © Jean Schoubs
Vincent Peirani (acc) et Grégoire Maret (hca), Dinant, 28 juillet 2024 © Jean Schoubs


Le festival touche à sa fin, avec, à 20h30, un Sax Summit du tonnerre de Dieu regroupant deux altos, Stéphane Mercier et Stefano Di Battista (bon solo sur «Blues for Michel»), trois ténors, Lionel Belmondo (auteur de la plupart des arrangements), Sophie Alour et Chris Potter. La rythmique n’est pas de moindre qualité, puisqu’on y trouve les Belges de Paris Eric Legnini (p) et Dré Pallemaerts (dm), ainsi que le Gascon Thomas Bramerie (b). «Wayne’s Words» avec Lionel Belmondo au soprano est superbe. L’octet est la meilleure conclusion de cette 22e édition sur la terre natale d’Adolphe Sax préparée avec un soin gourmet par le programmateur Jean-Claude Laloux.


Jean-Marie Hacquier
Photos: Jean Schoubs

© Jazz Hot 2024



Antibes-Juan-les-Pins, Alpes Maritimes
Jazz à Juan (du 8 au 18 juillet), 13 juillet 2024

Pour cette 63e édition, Jazz à Juan a encore su préserver quelques rendez-vous jazz de qualité (El Comité le 11 juillet, Joshua Redman le 17...) bien qu’il se définisse aujourd’hui comme un «festival de jazz et musiques contemporaines». Le festival se porte bien et a fait au global le plein de spectateurs. On espère que cette programmation éclectique –qu’on retrouve d’ailleurs dans tous les grands festivals– permette au jazz de conserver un minimum de visibilité auprès du grand public d’autant que la Pinède Gould reste une scène privilégiée pour entendre les grands noms du jazz de culture, comme la venue de Chris Potter, le 13 juillet, nous l’a encore rappelée.

 

 

Eric Legnini (kb), Stéphane Belmondo (tp), Dré Pallemaerts (dm), Thomas Bramerie (b), Laurent Fickelson (org), Jazz à Juan, 13 juillet 2024 © Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan
Eric Legnini (kb), Stéphane Belmondo (tp), Dré Pallemaerts (dm), Thomas Bramerie (b), Laurent Fickelson (org),
Jazz à Juan, 13 juillet 2024 © Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan



Pour tenter d’atteindre un public devenu volatile et aussi parce que la musique rock fait aussi partie intégrante (avec le jazz et la musique classique) de leurs références, Lionel (ts) et Stéphane (tp) Belmondo ont décidé de rendre hommage au groupe de rock californien, Grateful Dead (1965-1995). Pour autant, le lien avec le jazz, s’il est ténu, n’est pas inexistant: sans doute Lionel le coltranien a t-il été sensible aux longues improvisations que le groupe pratiquait en concert, paraît-il inspiré par John Coltrane. La musique tirée de l’album Dead Jazz (Jazz & People), sorti à l’automne dernier, s’inscrit dans une esthétique fusion marquée par une frappe de batterie binaire (Dré Pallemaerts), l’utilisation conjointe de l’orgue électronique (Laurent Fickelson) et du Fender Rhodes (Eric Legnini), mais aussi de la contrebasse (Thomas Bramerie) qui donne un peu de profondeur et de respiration à la sonorité du groupe, limitant la saturation liée aux effets électroniques. Le psychédélique «China Cat Sunflower» est ponctué par de longs solos pour lesquels les Belmondo n’ont pas lésiné sur la reverb… Plus swinguant, «The Other One» (titre des Grateful Dead) bénéficie du groove insufflé par Eric Legnini, tandis que sur le nappage électronique dressé par Laurent Fickelson, pointent la sonorité rugueuse de Stéphane et l’énergie brute de Lionel. La ballade «Stella Blue» est délicatement introduite par Eric Legnini suivi d’un solo tout en sensibilité de Stéphane au bugle. En fin de concert, un invité surprise a rejoint le sextet: un troisième clavier, Brad Mehldau, pianiste du quartet de Chris Potter programmé en seconde partie de soirée, lui-même coutumier des clins d’œil pop-rock et connaisseur des Grateful Dead. Les Frères Belmondo nous aurons livré une prestation ludique et dynamique qui n’aura pas manqué de ravir les amateurs de sonorités seventies.   

 


Brad Mehldau (p), Chris Potter (ts), John Patitucci (b), Johnathan Blake (dm), Jazz à Juan, 13 juillet 2024 © Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan
Brad Mehldau (p), Chris Potter (ts), John Patitucci (b), Johnathan Blake (dm),
Jazz à Juan, 13 juillet 2024 © Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan



Chris Potter (ts) était là également pour présenter son dernier album, Eagle’s Point (2023, Edition Records), enregistré dans sa configuration favorite, le quartet, avec Brad Mehldau (p), John Patitucci (b) et Brian Blade (dm), remplacé pour cette tournée d’été par Johnathan Blake. Le ténor est l’auteur de l’intégralité des compositions et lance le concert avec le premier titre du disque, «Dream of Home», où s’exprime d’emblée sa belle sonorité limpide et veloutée et un discours d’une remarquable intensité qui a mûri au fil des années, notamment durant celles passées auprès de Dave Holland. Sans surprise, le phénoménal Johnathan Blake apporte encore davantage de densité au quartet: son drumming nerveux sur «Cloud Message» crée une sorte d’ivresse rythmique tandis que l’excellent John Patitucci imprime ses superbes lignes de basse. Sous l’influence de ce collectif ancré dans le swing et du projet musical parfaitement cohérent de Chris Potter, le versatile Brad Mehldau arbore un jeu plus jazz que de coutume, preuve que ce brillant technicien sait s’adapter à toutes les situations… Mais ce sont les interventions de ses partenaires qui restent les plus marquantes: Chris Potter, aérien sur «Eagle’s Point», ouvre avec suavité «Aria for Anna», ballade dédiée à sa fille, John Patitucci, aux prises de parole à la fois fortes et subtiles, démontre qu’il sait aussi parler le langage du blues; d’une inépuisable énergie, Johnathan Blake donne en fin de concert un solo époustouflant, aussi mélodique que spectaculaire. Le quartet de Chris Potter nous aura tenu en haleine!


Texte: Jérôme Partage
Photos: Lhermitte, by courtesy of Jazz à Juan

© Jazz Hot 2024