The Cookers
New Morning, Paris, 3 avril 2022
Voilà longtemps que nous n’avions pas vu un concert aussi exceptionnel. A Jazz Hot, nous les connaissons bien, les Cookers. A l’exception du trompettiste David Weiss, chacun nous a accordé de longs entretiens. Eddie Henderson (tp, n°594, 678), Billy Harper (ts, n°504, 658), Donald Harrison (as, n°644), George Cables (p, n°575, 680), Cecil McBee (b, n°482, 581, 607), Billy Hart (dm, n°624). Cette formation existe depuis une dizaine d’années, mais ces musiciens sont complices depuis la fin des années 1960 pour certains. Ils ont joué des kyrielles de fois ensemble avec des équipes différentes. C’est une famille. Sur la scène du New Morning, le 3 avril, on l’a senti plus que jamais.
George Cables (p), Billy Harper (ts), David Weiss (tp), Eddie Henderson (tp), Cecil McBee (b),
Donald Harrisson (as), Billy Hart (dm), New Morning, 3 avril 2022 © Jérôme Partage
La setlist est
simple: trois thèmes par set, de vingt minutes chacun. Pour chaque
thème, chaque musicien prend un long chorus. Le premier set pioche dans
les premiers disques des Cookers: «The Call of the Wild and Peaceful
Heart», «Peacemaker» et «Croquet Ballet», inoubliable, que Billy
Harper avait enregistré avec Lee Morgan. Le second set puise dans le
disque Look Out! qui vient de sortir (voir notre chronique): «The Mystery of Monifa Brown», «Destiny Is Yours». Et, en rappel,
«The Core». Chaque intervention est remarquable: Billy Hart
stupéfie par son inventivité, Eddie Henderson touche par sa chaleur,
George Cables éblouit par sa virtuosité, sans parler de la solidité de
Donald Harrison, Billy Harper, Cecil McBee, David Weiss. Les Cookers
livrent le jazz le plus profond et le plus contemporain autant qu’ils
jubilent sur scène. On peut juste s'étonner, même si le New Morning était bien rempli, qu'une telle affiche n'ait pas réuni encore plus de monde et notamment plus de musiciens pour venir assister à un événement aussi exceptionnel. John Betsch et Rasul Siddik étaient cependant présents…
Mathieu Perez
Photo: Jérôme Partage
© Jazz Hot 2022
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Philippe Chagne Quartet, Esaie Cid Quartet, Dany Doriz & Michel Pastre
Caveau de La Huchette, Paris, 16 mars, 2 et 13 avril 2022
Deux ans presque jour pour jour après sa longue fermeture, suivie d'une réouverture sous contrainte, nous étions enfin de retour au Caveau de La Huchette, les contrôles ségrégationnistes étant suspendus. On n'avait pourtant pas l'impression d'avoir quitté le Caveau depuis si longtemps tant les retrouvailles parurent naturelles. Si ce n'est qu'un public très jeune et majoritairement féminin occupe désormais les bancs du sous-sol alors que les habitués de la piste de danse se font plus rares.
Pour nous remettre en train, on a pu compter le 16 mars sur Philippe Chagne (ts), à la tête d'un bon quartet. Une assurance tout-swing, car on sait que le ténor a affuté ses anches dans les sections de cuivres des big bands (Gérard Badini, Michel Pastre, François Laudet...) tout en proposant régulièrement des projets variés (un bel hommage à Mingus en 2018), et dernièrement une relecture jazz de musiques de films concoctée avec ses complices Olivier Defaÿs et Philippe Petit, Swingin' Affair fait sa B.O., parue chez Frémeaux. Au piano, Rémi Toulon, notamment connu pour son trio Take 3 avec le même Philippe Chagne et Robert Ménière, a évolué dans des contextes assez différents, tout comme le contrebassiste Marc Bollengier qu'on a pu entendre auprès de Ronald Baker et Chris Cody, comme de Dave Liebman et Nicolas Folmer. Enfin, à la batterie, Pascal Mucci a tenu les baguettes dans les formations du bluesman Nico Duportal. Au programme des réjouissances, de belles compositions du jazz («Fried Bananas» de Dexter Gordon, «In a Mellow Tone» de Duke Ellington...), quelques blues et ballades sur lesquels le leader s'est exprimé avec profondeur («Doxy» de Sonny Rollins, «On a Misty Night» de Tadd Dameron) et même
un réjouissant passage funky sur le «Watermelon Man» d'Herbie Hancock,
donnant lieu à de savoureux échanges entre Rémi Toulon et Pascal Mucci. Free at Last, comme disait Martin Luther King!
Philippe Chagne (ts), Rémi Toulon (p), Marc Bollengier (b), Pascal Mucci (dm),
Caveau de La Huchette, 16 mars 2022 © Jérôme Partage
Le 2 avril, c'est Esaie Cid (as) qui officiait dans un Caveau bondé (la fièvre du samedi soir!) où l'on retrouvait cette fois ce mélange des publics qui caractérise le club: habitués, danseurs, curieux, touristes, amateurs de jazz, de même que différentes générations qui se côtoient comme nulle part ailleurs. On remarque tout de même une présence plus marquée de jeunes gens qui d'ailleurs s'expriment avec bonheur sur la piste de danse et certains même avec talent! Dans cette ambiance surchauffée, le saxophoniste catalan n'a pas eu de peine à encourager la ferveur de l'audience, soutenu par une belle équipe: Patrick Cabon (p), Kevin Gervais (b) et François Laudet (dm). De «Perdido» (Juan Tizol) à «Tickle Toe» (Lester Young), le swing était au rendez-vous avec parfois quelques nuances latines comme sur «Fiesta Mojo» (Dizzy Gillespie) sur lequel l’excellent Patrick Cabon a accentué la couleur afro-cubaine. Enfin, quoi de mieux qu'une soirée avec deux bons batteurs? Ainsi, au deuxième set, François Laudet a cédé son siège pour quelques titres à Germain Cornet tout à son affaire sur «Jump for Joy» (Duke Ellington).
Dany Doriz (vib), Michel Pastre (ts), Didier Dorise (dm), César Pastre (org),
Caveau de La Huchette, 13 avril 2022 © Jérôme Partage
Le 13 avril un quartet aussi réjouissant qu'original était à l'affiche du Caveau, constitué de deux pères et deux fils: d'un côté, Dany Doriz (vib) et Didier Dorise (dm), de l'autre, Michel (ts) et César Pastre (org). Soit les retrouvailles entre deux familles de musiciens qui partagent la scène depuis longtemps. Dany, le maître des lieux, qui a fêté ses 80 printemps en septembre dernier, est toujours d'une extrême finesse. Didier, batteur précis et énergique, offre un soutien rythmique solide, amplifié par le groove de César qui a déjà un sacré métier. Enfin, ténor au son puissant et suave, Michel Pastre s'impose comme l’un des excellents représentants de son instrument de ce côté-ci de l'Atlantique. Une belle soirée qui redonne l'envie de marcher «On the Sunny Side of the Street».
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot 2022
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L'Alpe-du-Grand-Serre, Isère
Jazz' Alp, 4 au 12 mars 2022
Ils sont revenus à
leurs premières amours! Après une année perturbée par un certain virus qui a
imposé une session estivale (voir notre chronique de 2021->ancre) à un festival qui se
joue depuis six ans les pieds dans la neige, la sympathique équipe de Jazz’Alp
a réanimé l’hiver pour une édition qui a fait la part belle aux découvertes, y
compris locales. Large sourire aux
lèvres pour la petite équipe de Jazz’Alp à l’issue de la dernière soirée du
festival. Les concerts de cette sixième édition ont presque tous fait le plein
dans la salle du Chardon Bleu toute de bois vêtue. Adieu masques, ausweis et
autres «solutions» hydroalcooliques. Place à la liberté d’écouter la note bleue
dans de bonnes conditions grâce aux bons soins de bénévoles dévoué(e)s, grâce à
un accueil chaleureux et grâce aussi à un ingénieur du son au-dessus de tout
soupçon.
A
L’Alpe-du-Grand-Serre, au sud du département de l’Isère, on est loin, très
loin, des grosses machines festivalières de l’été. En témoigne l’attention
portée au pays et à ses gens. Nous sommes ici en Matheysine, entre Trièves et
Oisans. A deux pas de la métropole grenobloise, certes, mais quand même déjà
ailleurs. Dans les Alpes; dans l’alpe; dans la montagne en somme. Hier encore,
autour de La Mure, capitale de la région, les gueules noires extrayaient du
sous-sol un anthracite de premier choix. Les exploitations ont fermé il y a
vingt-cinq ans. Ne restent plus que quelques corons et autres chevalements pour
dire le passé industriel et, surtout, une vitalité culturelle qui doit sans
doute beaucoup aux anciennes solidarités ouvrières. A preuve, le dynamisme
de l’enseignement musical. Hier, ces petites écoles rurales formaient le
creuset qui alimentait les fanfares locales. Aujourd’hui, elles font naître
nombre de petites (et de grandes!) formations que l’équipe, réunie autour de
Gérard Duchamp, sémillant président du festival, tient à présenter le plus souvent
possible en ouverture de soirée. Place aux amateurs. Aussi.
L’atelier jazz de
l’école de musique de La Mure s’est ainsi associé à l'ensemble La Lyre de
Bourg-d’Oisans pour assurer la première partie de l’ETC quintet le mercredi 9
mars. Sur le (petit!) plateau (et même parmi le public!), pas moins de
vingt-deux musiciens! Et des bons! Moyenne d’âge? Trop compliquée à calculer!
Mais de très jeunes adolescents côtoient sur scène des papys et des mamies!
Pour le jazz, la relève est bel et bien là. Sous la houlette du saxophoniste
Laurent Nyssen, un très joli travail d’ensemble, avec de somptueux arrangements
autour de quelques ballades et gospels bien choisis.
L'atelier jazz de l'école de musique de La Mure, 9 mars 2022 © Pascal Kober
En témoigne aussi la
soirée de clôture, dont la première partie a été confiée à l’Afro Collectif
Roizonne, une sympathique bande de fous furieux. Fous, surtout, de l’afro
beat du batteur d’origine nigériane Tony Allen et de Fela Kuti. Eux
viennent de la vallée tout à côté. Quelques milliers d’habitants tout au plus,
une poignée d’éleveurs, une petite route qui serpente dans les alpages… Un
caractère qu’a bien su saisir un mien ami, Emmanuel Breteau qui vient de
publier sur ce petit pays un livre de photographies noir & blanc, magnifique! Derrière les montagnes (éditions Bizalion, Arles).
Bref, une «alpinité» quasi-emblématique qui contraste fortement avec cette
musique qui transpire l’Afrique par tous ses pores et qui ne rechigne
d’ailleurs pas aux thèmes engagés («Colonial Mentality», «Water No Get Enemy»)
voire aux discours militants sur la ségrégation, l’exploitation du continent ou
les ravages de la corruption. Percussions à gogo, une belle section de cuivres,
une stratocaster qui sait faire des «cocottes» funky et la voix habitée
d’Alizée Réant, tout était présent pour inciter à la danse si la salle n’était
si… petite!

Murielle Souet, 6 mars 2022 © Pascal Kober
Autre belle surprise
parmi les premières parties, le sextet Soleme dont Murielle Souet, la chanteuse et
saxophoniste, est également… élue d’une petite commune des alentours. Sur
scène, une instrumentation atypique sans aucune batterie. Au répertoire, des
reprises de standards quelque peu transfigurés, comme cette version très lente
du «Footprints» de Wayne Shorter, l’esprit presque latin de ce «Solar» de Miles
Davis, ce touchant chorus de flûte de Marc Souet sur «Agua de Beber» ou encore
un «Night and Day» joliment introduit a capella. La soirée se poursuivra
avec Ultra Light Blazer, une formation qui mêle le rap à des rythmiques
extrêmement complexes interprétées avec une belle précision mais, hélas!, à un
volume sonore bien trop élevé pour le lieu…
Le lendemain, la
trompettiste de Tatanka doit faire face à des problèmes de santé. Son trio est
donc remplacé au pied levé par celui de… l’ingénieur du son du festival, Pascal
Billot, qui outre son oreille attentive aux mixages, est également (très bon)
saxophoniste et guitariste. D’ailleurs, comme son alto traîne toujours à ses
côtés, la tradition à Jazz’Alp veut qu’il soit invité à venir faire le bœuf
presque chaque soir! Ce lundi, c’est donc avec sa propre formation qu’il assure
le concert. Le trio Barock (Pascal Billot et Michel Teyssier, g, Sergio
Zamparo, fl voc) est issu de L’Artisterie, un collectif de musiciens qui avait
magnifiquement accompagné notre confrère Robert Latxague au Jazz Club de
Grenoble pour ses lectures de textes issus de son livre Tourments
d’amour (éditions France Libris). Il propose là des compositions fines
et délicates, subtilement dérangées par la gouaille et l’expressivité du
chanteur, et ira même jusqu’à inviter sur les deux derniers rappels, Joris
Loïodice, le jeune batteur du groupe qui assurait la première partie, Between
Ukulélé, issu de l’école de musique de Vizille.
Relâche le lendemain,
du moins côté musique vivante, avec la projection de Bird, le film
que Clint Eastwood avait consacré en 1988 à la vie de Charlie Parker. Poignant,
bien sûr, mais le confort des sièges ne se prête guère à 2h40 de projection… Le
mercredi, l’ETC quintet, rend, quant à lui, hommage, dans son intitulé-même, à
Charles Mingus, avec cette abréviation de «Eat That Chicken», un thème du grand
contrebassiste. Oh Yeah! C’est d’ailleurs au hard bop que les
musiciens se réfèrent dans leurs (excellentes!) compositions, doublées d’un
travail époustouflant sur les arrangements, les interprétations et la qualité
du son de chacun des instrumentistes. On retiendra notamment «58» écrit par
Camille Virmoux, le contrebassiste, ou encore «Seul B», un blues signé par le
saxophoniste Benoît Charguereau. Des thèmes originaux comme on aimerait en
écouter plus souvent. Seul bémol: l’absence d’un chorus du contrebassiste dont
je subodore qu’il aurait pu être très musical.
Je vous ai déjà dit,
l’an passé, tout le bien que je pensais d’Olivier Chabasse, l’un des rares à
jouer de l’étonnant Grand Stick Chapman. Il revient cette année mais dans une
formation radicalement différente qui réunit autour de lui le batteur Joël
Allouche et le saxophoniste Alain Debiossat, fondateur du groupe Sixun dans les
années 1980. Même lorsqu’il n’y a pas le moindre instrument harmonique comme
sur ce «Dolphin Dance» d’Herbie Hancock, quelle belle musicalité et quelle
qualité d’écoute entre ces trois-là! Avec leur version de «Come Together» des
Beatles, c’est comme si Marcus Miller s’était lui-même invité au concert…

Filip Verneert (g) et Gil Lachenal (b),
11 mars 2022 © Pascal Kober
Je ne saurai clore
cette chronique sans évoquer le jazz de création du très européen Filip
Verneert & Enrique Simón quartet. Le premier est belge et développe un jeu
de guitare lyrique au son aussi moelleux que celui de son compatriote Philip
Catherine. Le second est espagnol et enseigne le piano à Murcia quand il ne
compose pas pour cette formation. Ils sont ici accompagnés par le batteur
espagnol Pedro Vázquez ainsi que par Gil Lachenal, l’un des tous meilleurs
contrebassistes français qui sait «groover» tout en faisant chanter sa
«grand-mère». L’ensemble nous régalera ce soir-là d’arrangements très écrits
(pas facile de faire jouer ensemble deux instruments aussi proches
harmoniquement que la guitare et le piano) qui ne sont pas sans rappeler
parfois l’art du contrepoint en musique classique mais sans jamais oublier la
liberté de l’improvisation. Et quelles improvisations! Bref, une belle réussite
à poursuivre avec l’écoute de leur premier album, Lucentum.
Enfin, il ne faut pas
quitter l’Alpe-du-Grand-Serre sans souligner les nombreux à-côtés de Jazz’Alp,
tout aussi riches que la programmation elle-même. Ainsi une centaine d’élèves
des écoles du pays ont-il été invités à assister en matinée à une petite
causerie musicale autour de l’histoire du jazz (essentielle en ces temps
pétueux!) animée par Olivier Chabasse et le guitariste Jean-Philippe Watremez.
Ainsi Raphaël Serfati a-t-il tenu tout au long du festival, un stand de livres,
d’albums, de CDs autour de la note bleue et de numéros de Jazz Hot.
Un libraire singulier qui a fondé il y a à peine quatre ans une librairie à
Mens, petite commune de moins de 2000 habitants, dans laquelle il propose
plusieurs dizaines d’ouvrages sur le jazz! Ainsi, enfin, de François Drapier,
graveur, peintre et… trompettiste messin, qui a été invité chaque soir à venir
dessiner les musiciens en direct et qui a pu exposer d’étonnants croquis saisis
sur le vif. Belle alliance entre les arts du spectacle et les arts visuels qui
laisse présager de sympathiques prolongements à Jazz’Alp. Longue vie à toute
l’équipe (qui veut s’agrandir: contactez-les!). On se retrouve l’an prochain
autour d’un murçon. Pascal Kober
Texte et photos
© Jazz Hot 2022
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Rhoda Scott & Thomas Derouineau
Varages (Var), 16 juillet 2021
Varages, jolie commune de 1200 âmes, perchée sur un rocher à la lisière du parc naturel du Verdon, organisait une grande soirée de jazz le 16 juillet 2021, pour la première fois de son histoire. Près de 500
spectateurs (un record d’affluence!), venus en voisins mais parfois aussi au
delà des limites du département, se sont pressés pour écouter Rhoda Scott
dont la popularité auprès du grand public ne s’est pas démentie. L’organiste,
arrivée au village dans la matinée, avait été invitée à visiter la faïencerie
et le moulin à huile –les deux mamelles de l’artisanat varageois–, ainsi que
l’orgue de l’église Notre-Dame-de-Nazareth dont la restauration fait l’objet
d’une souscription.
Thomas Derouineau (dm) et Rhoda Scott (org), Varages, 16 juillet 2021 © Jérôme Partage
Et le soir, c’est en duo avec le batteur Thomas Derouineau
que Rhoda Scott a présenté quelques titres de son dernier album (Movin’ Blues, Sunset Records), parmi
lesquels, «Blue Law» et «Caravan» (avec
un bon solo de Thomas Derouineau). La formule en duo permettant à «the Barefoot
Lady» d’enchaîner les morceaux au fil de son inspiration, elle a embarqué sans
peine l’audience pour un voyage aux sources de son apprentissage musical, celui
de l’église afro-américaine, notamment évoquée par une version d’une grande
densité de «Come Sunday» et par le gospel
«I’m Looking for a Miracle». Pour conclure, Rhoda Scott a déployé son
énergie communicative sur un «In the Mood» (l'hymne de la Libération) qui a soulevé l’enthousiasme
général. On se souviendra de cette belle soirée de l’été 2021, une salvatrice
respiration, sans contrôles ni contraintes, entre deux serrages de verrous, sanitaire mais pas que… De ce côté aussi, «we're looking for a miracle» pour la Libération! texte et photo: Jérôme Partage
© Jazz Hot 2021
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L'Alpe-du-Grand-Serre, Isère
Jazz' Alp, 29 juillet au 2 août 2021
Dans les montagnes de la Matheysine, on ne renonce pas.
Cinq ans déjà qu’avec l’association Courant d’Arts, Gérard Duchamp et ses amis,
Daniel, Marie-Noëlle et les autres, ont lancé Jazz’ Alp, le petit festival de la
(non moins petite) station de sports d’hiver de L’Alpe-du-Grand-Serre. Qui,
comme il se doit, se déroulait traditionnellement début mars, à la fin de la
saison de ski.
L’année dernière, la quatrième édition s’était achevée deux
jours avant le premier confinement, avec un concert des Doigts de l’Homme, le
fameux groupe de jazz manouche fondé au début des années 2000 par le guitariste
Olivier Kikteff. Alors, pour 2021, ils y avaient cru, les bénévoles de
Jazz’ Alp, bâtissant une programmation artistique qui aurait dû nous réjouir des
5 au 13 mars derniers. C’était sans compter le énième confinement ou le énième
couvre-feu qui jetteront tous leurs efforts au tapis. Mais c’était aussi sans
compter l’énergie de l’équipe et sa volonté de ne rien lâcher. Résultat: on
prend les mêmes (ou presque) et on r’commence. En été cette fois… «Car
comment passer deux ans sans festival et sans musique vivante dans nos
montagnes?»
Maracuja, L’Alpe-du-Grand-Serre, 29 juillet 2021 © Pascal Kober
Prologue tout en douceur dès la mi-juillet avec les tendres
chansons à danser de Camille Lachenal, seule en scène avec sa voix, son nain de
jardin et ses petites machines. Une belle découverte! Le jeudi 29 juillet, le
quartet Maracuja ouvrait vraiment les festivités, précédé par un autre quartet,
Ipso Facto, en première partie. Les compositions lumineuses de la flûtiste
Amina Mezaache doivent beaucoup aux riches harmonies du Brésil et à une
instrumentation atypique. La contrebasse est ici remplacée par un soubassophone
aux lignes mélodiques onctueuses et la batterie par un set de percussions aux
sons littéralement inouïs, très sensuels et tactiles, tout de bois et de peaux.
Une très jolie couleur d’ensemble et des arrangements chatoyants et
remarquablement écrits complètent un tableau qui fleure bon les tropiques non
sans rappeler parfois la folie (douce) d’un Hermeto Pascoal. Un enchantement!

Olivier Chabasse (b), L’Alpe-du-Grand-Serre,
30 juillet 2021 © Pascal Kober
La pluie fait des claquettes, sous le barnum, à minuit, le 30 juillet. Sale
temps à L’Alpe-du-Grand-Serre. Même en été. Même avec les ritournelles de
Claude Nougaro dans l’oreille. Ce soir, en solo intégral, Olivier Chabasse fait
un sans faute à tous les niveaux, avec un concert enthousiasmant et une
technique totalement maîtrisée. L’homme est d’abord contrebassiste et, pour la
petite histoire, joue d’ailleurs d’un instrument fabriqué à deux pas d’ici, au
pied du Vercors, par le luthier Christian Laborie. C’est toutefois un autre
luthier qui surprendra le public lorsqu’Olivier sortira son Grand Stick, une
espèce de piano-guitare à douze cordes, conçu en 1974 par l’Américain Emmett
Chapman et qui se joue en «tapping» (une pratique popularisée notamment par
Stanley Jordan) avec les deux mains sur le manche, tenu verticalement, l’une
assurant la ligne de basse et l’autre la mélodie, les contrechants voire…
l’harmonie! Ils sont à peine une centaine en France à s’essayer à cet
instrument singulier dont le premier exemplaire avait été acheté par le grand
Joe Zawinul lui-même et qui, en jazz, nécessite un sacré sens du swing pour ne
pas tomber dans le travers de l’exercice technique pour chien savant. Olivier
Chabasse, lui, est toujours dans la musicalité et le sens de la nuance.
D’autant plus impressionnant qu’il chante aussi sur ses propres
accompagnements, ce qui, foi de bassiste, est en soi très impressionnant! Ses
reprises du répertoire de Claude Nougaro sont pures merveilles et je me demande
bien pourquoi aucun producteur n’a encore signé avec lui pour enregistrer un
album qui se vendrait comme des petits pains à l’issue de chaque concert…
Gérard Duchamp, qui assure la direction artistique d’une
bonne partie de Jazz Alp’, joue lui-même de la contrebasse. Un atavisme qui le
pousse à programmer des musiciens de la note grave? Toujours est-il que le
quintet qui suit est celui d’un autre bassiste, électrique cette fois, qui
écume régulièrement les scènes régionales. Ce soir-là, Philippe Soriano compose
la majorité de son répertoire, à l’exception d’une reprise de «Nardis» de Miles
Davis. Surtout, il est extrêmement bien entouré par des musiciens qui savent la
signification (et la mise en pratique!) du mot «groove». Techniquement, ça
virevolte avec aisance, expression et virtuosité, tout autant sur des thèmes
complexes et des mesures à quinze temps que lors de ce duo d’une rare intensité
entre Pascal Billot, au saxophoniste alto, et Philippe Bonnet, tout en finesse
à la batterie. Un concert que les musiciens présents dans la salle auront
apprécié à sa juste mesure.
 Zarhzä, L’Alpe-du-Grand-Serre, 1er août 2021 © Pascal Kober
Les deux jours de clôture du festival se feront sous le
signe de la fête et de la danse sous le chapiteau. Avec Zarhzä tout d’abord,
fine équipe de saltimbanques bien dérangés des tempos, à mi-chemin entre
l’orchestre de bal et le Brass Fantasy de Lester Bowie. En dépit des
températures toujours fraiches, ces énergumènes-là mettront le feu au public
pour finir par chanter a capella parmi les spectateurs. Le lendemain,
précédé en première partie par Soleme, un sextet d’excellente facture sur les
grands standards du jazz (et notamment un très touchant «Blue in Green»), la
petite souris et ses matous affamés feront déferler un blues de derrière les
fagots qui ne laissera personne indifférent: sens du spectacle affirmé et
relation très chaleureuse avec le public, Little Mousse and the Hungry Cats,
jeune formation tout récemment créée, devrait faire un tabac dans les années à
venir si les petits cochons (du showbiz) ne les mangent pas.
Première édition estivale très réussie, donc, pour ce
festival qui sait jouer la carte de la convivialité, de la bonne humeur et des
plaisirs partagés que l’on a trop tendance à oublier aujourd’hui dans d’autres
manifestations. Et tiens, puisqu’on parle de plaisirs, si vous vous rendez à
Jazz’ Alp l’hiver prochain, je vous conseille le sauté de veau et les olives
maisons ainsi que la petite goutte d’alcool de myrte (tout aussi maison) de la
patronne (corse…) de l’hôtel des Gentianes tout proche. Miam!
texte et photos: Pascal Kober
© Jazz Hot 2021
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Lyon, Rhône
Jazz à Cours & à Jardins, 5 et 13 juin 2021
Pour sa dixième édition, ce goûtu festival de la capitale
des Gaules a repris ses aises printanières après avoir été contraint, l’an
passé, à un report automnal. Et c’est tant mieux car Jazz à Cours & à
Jardins, joue ainsi le rôle d’un fort agréable moment apéritif en ouverture des
nombreuses manifestations de l’été.
En vérité, tout a déjà commencé lors de l’International Jazz
Day du vendredi 30 avril par un prélude animé par le patron du festival
lui-même, le multi-instrumentiste François Dumont d’Ayot qui, à cette occasion,
a décidé de maintenir, contre vents et marées, trois concerts de sa propre
formation, un quartet, dans des résidences pour personnes âgées ou «empêchées»
(comme on dit dans la novlangue). Je n’y étais toutefois pas, tout comme j’ai
hélas raté, en ouverture du festival, le vendredi 4 juin, les deux concerts de
Julia Kallman sur les répertoires de Georges Brassens et de Boris Vian.
Le lendemain, c’est dans le jardin de l’Institut Cervantes
qu’il convenait de prendre le frais en début d’après-midi. Faut-il le rappeler?
La particularité de ce festival, c’est de proposer des concerts (à entrée
libre!) dans des lieux habituellement fermés au public. L’intitulé du festival
joue sur cette double lecture: la promesse d’une découverte de sites un
tantinet secrets et une scène insolite où les artistes se répartissent (comme
on dit dans leur jargon) entre cour (à droite pour nous, public, regardant le
plateau) et jardin (à gauche, donc). Cette configuration bucolique est très
séduisante, comme en témoigne ce premier concert de l’Austral Duo, en surplomb
des toitures lyonnaises de la presqu’île. Yves-Marie Bellot et Angelina Pelluet
sont encore étudiants au département des musiques nouvelles du conservatoire de
Lyon mais leurs compositions originales vont littéralement enchanter le public
avec un vrai sens de la mélodie et une jolie voix qui porte des chansons
d’amour sans lien direct avec le jazz mais fort élégamment troussées.
 Sylvain Kassap (cl) et Hélène Labarrière (b), Lyon, 5 juin 2021 © Pascal Kober
Changement de décor en fin d’après-midi avec la très
martiale cour de la résidence du gouverneur militaire de la ville. En plein
cœur de la cité, à deux pas du parc de la Tête d’Or, ces quelques centaines de
mètres carrés de vieilles pierres n’ont pas dû souvent accueillir des harmonies
aussi déjantées que celles du duo entre Sylvain Kassap (aux clarinettes) et
Hélène Labarrière (à la contrebasse). Et quel son(ptueux!), cette contrebasse,
pourtant démontable en deux parties! Alors, déjantées certes (pour des
militaires) les harmonies, mais curieusement, ça chante et ça chante même bien,
y compris pour qui ne serait pas sensible à l’univers du free jazz dans lequel
ont longuement évolué ces deux musiciens au fil de leurs carrières. Un bel hommage
sera d’ailleurs rendu au contrebassiste Jean-Jacques Avenel qui a longtemps
joué avec Steve Lacy. Enorme travail sur le grain du son, complicité évidente
dans les échanges (un regard suffit parfois pour passer d’un registre à un
autre), on perçoit là une belle histoire d’amitié qui se poursuit tout aussi
fortement avec l’intégration de François Dumont d’Ayot et d’Attilio Terlizzi,
son batteur, pour achever magnifiquement le concert.
La clôture du festival, le 13 juin, se déroulait, quant à elle, en deux
lieux fort différents: le jazz club Mademoiselle Simone, dans la cour d’un
hôtel situé non loin de la gare de Perrache et le gigantesque parc de…
l’archevêché! Conclusion (mais on s’en doutait…): les archevêques sont mieux
lotis que les amateurs de jazz! Le quintet de Maxime Thomy impressionne. Des
gamins (à peine dix-huit ans pour certains) avec de forts niveaux de technique
instrumentale (notamment le guitariste, Léo Geller, et le batteur, Julien
Ducruet), mais pas seulement. Elèves du département jazz du conservatoire de
Lyon, ils déroulent un répertoire bâti en grande partie sur des compositions
plutôt bien vues mais aussi sur des standards comme la… septième symphonie de
Beethoven, intelligemment transfigurée en jazz. Le second groupe de cette
première partie de journée est le Sud Ardèche Jazz Workshop, un collectif créé
en 1993 qui se produit avec une instrumentation atypique (deux violoncelles,
guitare, basse, batterie et quatre «soufflants»), en intérieur, dans une
décoration de club de jazz qui fait des clins d’œil au célèbre Preservation
Hall de La Nouvelle Orléans.

Peter A. Schmid (s), Lyon,
13 juin 2021 © Pascal Kober
Dans le parc de l’archevêché, panorama somptueux sur la
ville de Lyon et jusqu’au Mont Blanc pour le concert du Suisse Peter A. Schmid.
L’homme joue notamment du tubax, une sorte de saxophone contrebasse en ut (soit
une octave plus bas que le baryton !), inventé tout récemment (en 1993) et qui
compte pas moins de cinq mètres de tuyaux ! La formation réunionnaise qui suit
(Fangar Zanatany) relève davantage du maloya, musique emblématique de cette île
de l’Océan Indien, mais elle fait danser petits et grands dans cet immense îlot
de verdure où sont réunis pas loin de cinq cents spectateurs.
François Dumont d’Ayot assurera lui-même la fin de son
festival en proposant son propre quartet auquel s’adjoint Peter A. Schmid.
Démarrage en fanfare avec un thème très swinguant interprété à l’orgue Hammond,
suivi des «Cyclamens», une composition de Steve Lacy («car c’est Lacy qui
l’amène»…) et d’une nouvelle reprise du «Chant des canuts», écrit par
Aristide Bruant en 1894 pour célébrer les révoltes ouvrières de 1831 et 1834 et
repris en forme de complainte par Yves Montand.
Charles Trenet, lui, chantait tout autre chose il y a fort
longtemps: «C’est un jardin extraordinaire / Il y a des oiseaux qui tiennent
un buffet / Ils vendent du grain, des petits morceaux de gruyère ». Jazz à
cours & à Jardins n’aura pas fait la révolution, mais un festival où des
bénévoles vendent, pour presque rien, des quiches lorraines au comté et aux
lardons, mitonnées à la maison, ne peut pas déplaire. Y compris à un Messin
d’origine, pourtant sourcilleux sur la présence de fromages du… Jura dans la
quiche! Longue vie et rendez-vous au printemps 2022 pour la onzième édition.
texte et photos: Pascal Kober
© Jazz Hot 2021
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Kenny Barron, 11 juillet 2021, Saint-Cannat
© Félix W. Sportis
Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
Roger Mennillo Jazz Festival, 11 juillet 2021
Dans l’espace champêtre du jardin Joseph Richaud qui, au
centre de la commune de Saint-Cannat, offre à ses quelques cinq mille habitants
un espace ombragé ceint de murs de pierres aux parfums enfantins, s’est, le
dimanche 11 juillet, clos la 23e édition du Roger Mennillo Jazz Festival. Pour cette dernière soirée gratuite
en forme de jam session, s’étaient réunis parents et amis, élèves et musiciens
de tous âges conduits par le contrebassiste Michel Zenino, pour adresser un
hommage sans tristesse, comme un message de vie continuée, au fondateur de la
manifestation disparu au début de l’année. La veille, alors que la nuit n’avait pas encore déposé son
voile sur l’assistance, Jacky Gérard, le maire du village, avait ouvert les
festivités par un message ému et chaleureux à l’endroit de Roger. Après les
quelques mots de bienvenue chargés d’émotion adressés au public par Christiane
Brégoli, l’autre animatrice de la manifestation, il promit aux quelques 350 personnes présentes de pérenniser et de donner plus d’éclat encore à cette manifestation de jazz qui conférait à sa
collectivité, disait-il «un rayonnement bien plus large que la seule région».
En effet, l’ami Kenny Barron était de retour comme le
symbole de cette volonté de maintenir l’identité du festival; à croire que les
dieux s’y étaient associés, l’endroit connu alors la magie des soirées d’été
comme la Provence en a seule le secret. La formation, composée de Kenny Barron (p), Steve Nelson
(vib), Peter Washington (b) et Johnathan Blake (dm), ouvrit le concert par une
lecture élégiaque d’une ancienne (1932) et belle mélodie d’Irving Berlin, «How Deep Is the Ocean»(1). Dans
une introduction tout en retenue au cours de laquelle, par le traitement des
harmonies, il fit progressivement redécouvrir le thème, le pianiste installa le
climat de la pièce pour permettre au vibraphoniste dans un phrasé aérien de
poursuivre sur quatre chorus, suivis de trois autres
tout aussi lyriques du pianiste, puis de deux autres très profonds du
contrebassiste, le tout accompagné par le jeu aux balais très discret du
batteur. La pièce se termina sur la reprise du thème par l’ensemble, après un
très construit 8/8 du batteur. Belle et discrète homélie à l’ami Roger. En rupture avec le thème précédent, la formation enchaîna
sur un autre standard, au contenu guère plus gai (une brouille de
l’infidélité), «Don’t Explain» (Arthur Herzog et Billie Holiday, 1944). La
composition traitée avec beaucoup d’humour sur un rythme caraïbe (rumba) en
tempo moyen, permettait un dialogue piano/vibraphone plein de vivacité
et d’à-propos, recréation appréciée par l’assistance. Avec le troisième thème, Kenny Barron revint à ses amours,
Thelonious Monk: une composition de 1952, «Monk’s Dream», dont la facture
rythmique fit ressortir la cohérence du groupe et la maîtrise instrumentale de chacun: le pianiste
(trois chorus) en vint à l’épure rythmique soutenu
par une partie de batterie très Philly Joe Jones, tandis que le vibraphoniste (trois chorus) explorait la partie mélodique du thème, notamment
sur le pont. Un moment musical fort du concert qui fut apprécié par les
amateurs de jazz et de swing, nombreux dans ce jardin.
Et, en guise de commentaire musicologique à la pièce qu’il
venait d’interpréter, Kenny Barron enchaîna sur «Body and Soul», la composition
de Johnny Green (1930), dont la version de Coleman Hawkins (1939) constitue une
des pièces historiques du jazz. L’introduction du thème, annoncée par un
traitement monkien de la structure harmonique, éclaira toute l’histoire du
jazz; le pianiste donna musicalement les ressorts rythmiques et harmoniques qui
firent que le Bean soit allé chercher Sphère pour l’accompagner dès 1940.
Formidable commentaire de texte musical aboutissant à une exposition tout en
sobriété du thème par le vibraphone sculpté par le silence. L’ensemble était
soutenu par le bassiste et le batteur aux balais en parfait accord avec le ton
musical choisi. Chacun des musiciens prit ses soli dans l’esprit proposé par
Kenny. Plus de six minutes de grande intensité. Moment rare. L’assistance ne
s’y trompa pas qui applaudit longuement.
Sans prendre la peine d’annoncer l’œuvre
suivante, Kenny Barron, après une courte introduction de
huit mesures, remonta le temps jusqu'à 1928 avec la composition de George
Gershwin, «Embraceable You»,
en tempo medium up. Steve Nelson emboîta le pas joyeux de son leader, le tout
accompagné par une remarquable section rythmique sans retenue. Rupture d’ambiance et d’espace: sur deux chrorus, un duo piano/contrebasse vint apporter une note d'intensité et d'intimité. Durant ce
mouvement original, qui souligna la superbe clarté du toucher de Kenny et la
mise en place exceptionnelle de Peter Washington, le public retint son
souffle avant d'exploser en applaudissements: instants magiques que mit en relief l’entrée aussi discrète que
bien amenée de Blake aux balais.
Kenny Barron (p), Peter Washington (b), Steve Nelson (vib),
Johnathan Blake (dm), 11 juillet 2021, Saint-Cannat © Félix W. Sportis
Ensuite, Nelson, Blake et Washington quittèrent l’estrade,
laissant Kenny Barron interpréter en solo sa composition écrite en l’honneur du
pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim, «Song for Abdullah»(2).
Le public eut tout loisir d’en admirer la rigueur et la beauté. La pièce, aux
accents d'hymne sud-africain dont l'inspirateur s'est fait une spécialité,
fut magnifiquement servie par la maîtrise technique du pianiste dont le détaché
du jeu très classique n’ôtait rien à la lecture romantique de l’œuvre. Le
public de Beaupré, qui avait déjà eu l’occasion de
l’entendre, l’applaudit longuement. Le groupe se reconstitua pour donner en final une version
somme toute assez classique d’un thème qui eut les faveurs des hard-boppers des
années 1950-1960: «Softly as in a Morning Sunrise»,
une très ancienne chanson (1928) de Romberg et Hammerstein, une version qui fut l'objet d’une superbe
interprétation des quatre musiciens. Après un rappel, le quartet donna une version
assez courte de la pièce de Thelonious Monk, «Green
Chimneys» (1966), écrite en référence à une institution qui avait accueilli sa fille, Barbara, pièce que Kenny avait déjà interprétée dans une version plus longue, en 2015 à Beaupré, le Kenny Barron Trio comprenant alors Kiyoshi
Kitagawa (b) et Johnathan Blake (dm). C'est un thème familier de Kenny Barron qui servit de titre à un excellent album paru chez Criss Cross Jazz (enregistré en 1983 et 1987).
Dans cette soirée d’exception, il fut permis de retrouver l’esprit
d’une ville, Philadelphie, transcendée par le talent de son leader soutenu
par Johnathan Blake, le benjamin de la formation né lui aussi à Philadelphie en 1976, dans une famille de musiciens. Egalement admirateur d’Elvin Jones, ce batteur
tonique et plein de finesse, au son si particulier, s’avéra être ici, par son drive, un digne successeur de Philly Joe Jones. Né à Los Angeles en 1964, Peter Washington, est un
brillant contrebassiste, formé à l’école de Harold Land, des Jazz Messengers et
de Tommy Flanagan; sa mise en place est irréprochable. Quant à Steve Nelson, un
natif d’une des Capitales du jazz, Pittsburgh (1954), ses acquis auprès des
plus exigeants (Mulgrew Miller, Jackie McLean…) firent merveille. Sa sonorité, combinant le feeling blues à la Milt Jackson et la virtuosité lumineuse de Lionel Hampton, a ravi le public. La musicalité de ses interventions trouva à s’exprimer dans ce répertoire très mélodique.
Il n’est point besoin de présenter Kenny Barron. Comme les
grands crus, il se bonifie, si cela est encore possible car c'est un maître du clavier depuis des années. Notre
région, où il s’est produit à de nombreuses reprises, l’avait justement
récompensé de la Médaille d’Or du Conseil Général des Bouches-du-Rhône en 2002
lors du Festival de Jazz de Salon-de-Provence, pour l’ensemble de son œuvre
déjà considérable. Après un superbe concert en piano solo au Mas de Fauchon en 2019 dont chacun se souvenait en l’absence de Roger Mennillo déjà empêché par la
maladie qui l'a emporté, c’était la 7e fois qu’il se produisait à Saint-Cannat en ce 11 juillet
2021. Toujours aussi profond, brillant musicien et compositeur, Kenny Barron est
tout simplement un grand concertiste comme on le dirait de grands interprètes classiques, Gould, Richter ou
Janis.
A la sortie, le public était rayonnant, chacun s’accordant à reconnaître qu’il avait assisté à une soirée musicale exceptionnelle. Félix W. Sportis
© Jazz Hot 2021
1. Cette chanson écrite en 1932, en pleine Grande Dépression, dans laquelle le songwriter se pose dans des questions
existentielles auxquelles il ne sait répondre que par l’amour, apporta la célébrité à Irving Berlin.
2. Né
Dollar Brand en 1934 au Cap, Afrique du Sud, Abdullah Ibrahim, un pianiste de talent et ami de Kenny Barron, se produisit, en compagnie de la
chanteuse Bea Benjamin, pour la première fois en Europe au
Festival de Jazz d’Antibes en 1963.
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François Dumont-d'Ayot © Pascal Kober
Lyon
Jazz à Cours & à Jardins, 6 septembre et 10 octobre 2020
Je n’ai pu assister qu’à deux journées de l’édition 2020 de Jazz à
Cours & à Jardins mais quel enchantement de retrouver les plaisirs vrais
des concerts en direct après un été sans festival et tant d’ersatz diffusés de
longs mois durant et jusqu’à la nausée sur les réseaux dits sociaux! La
première (le dimanche 6 septembre) se déroulait dans un site charmant: le
cercle des boulistes (lyonnais, évidemment !) du Point-du-Jour. Ce lieu tout à
fait improbable, situé sur les hauteurs de Lyon, forme un cadre idéal pour de
petites formes intimistes qui ont tout de même rassemblé pas loin de trois
cents personnes. Au menu, petites gâteries culinaires mitonnées par les
adhérents du club (nous ne sommes pas par hasard dans la capitale de la
gastronomie!) et trois concerts. La première partie est assurée par Al Maktaba,
un ensemble oud-guitare-violoncelle-voix-percussions-danse, fort agréable à
l’écoute mais dont le lien avec le jazz est pour le moins ténu, d’autant que
les musiciens ne contextualisent guère les thèmes qu’ils interprètent.
Apparemment des classiques du répertoire oriental mais s’agit-il là de poèmes
amoureux, de berceuses pour les enfants, de chants de révolte ou de résistance?
Nous n’en saurons rien. Attilio Terlizzi, batteur attitré de François Dumont-d’Ayot,
saxophoniste et fondateur du festival, prendra le relais au djembe, aux congas
et au chant pour une carte blanche. Envolées aux percussions harmoniques (vibraphone),
citation fugace du «Spain» de Chick Corea, batterie jouée aux mailloches
pour un duo avec Fred Balsarin, son compère sorcier des sons électroniques,
l’ensemble est joué tout à l’énergie. Et quelle énergie! François
Dumont-d’Ayot le rejoindra sur la fin du set comme pour annoncer le concert de
clôture de la journée.
Une clôture en majesté puisque
le saxophoniste invite une rythmique jazz de rêve réunissant le batteur John
Betsch (swing assuré!) et la contrebassiste Leila Soldevilla (groove imparable
et son magnifique!) pour accompagner le flûtiste Michel Edelin. François
Dumont-d’Ayot s’en donne à cœur joie au fil de nombreux chorus dont certains
très déjantés qui ne sont pas sans lien avec l’expressivité d’un Steve Lacy.
Michel Edelin lance un petit clin d’œil à la photographie avec un thème
(«Prévert Is Now») en hommage à Robert Doisneau et à son fameux portrait du
poète posant dans le O de l’enseigne du magasin Mérode.
A gauche: Michel Edelin, à droite: Leila Soldevilla © Pascal Kober
Le samedi 10 octobre, Jazz à Cours & à Jardins clôturait son
édition avec une pensée pour les malvoyants. Le second concert (auquel je n’ai
hélas pas pu assister) proposait même une création musico-ludo-sensorielle
imaginée par François Dumont-d’Ayot. Le premier se déroulait quant à lui au
siège de l’association Valentin-Haüy qui porte le nom du fondateur, dès le
XVIIIe siècle, d’écoles destinées aux aveugles. Le saxophoniste arrive avec pas
moins de huit saxes différents! Il faut dire que François Dumont-d’Ayot est
très attentif à son propre son et que cette boulimie instrumentale relève
presque de l’esprit de collection pour quelqu’un qui s’intéresse aussi aux
multiples déclinaisons de l’invention d’Adolphe Sax: Conn’O’Sax en fa (dix
exemplaires fabriqués!), soprano blanc, baryton rouge, flûte en si
bémol, alto droit, soprano courbé, etc. Attilio, son batteur, s’en amuse: «Plus
François amène de saxes et plus j’enlève des fûts sur ma batterie!» Autre
singularité côté rythmique: Pascal Bonnet, joue de la basse acoustique fretless, un instrument très peu
pratiqué, à mi-chemin entre la contrebasse d’un Charles Mingus et la basse
électrique d’un Jaco Pastorius. Somptueuse sonorité. Le répertoire quant à lui,
était annoncé autour des standards. Il n’en fut rien ou presque. Nombreuses
compositions, souvent sur des mesures asymétriques, de François Dumont-d’Ayot,
dont l’une, «Mini Mona» dédiée à la fois à l’auteur de la Joconde et à…
Leonardo Vinci!, compositeur baroque napolitain aujourd’hui méconnu.
Le saxophoniste saura
toutefois glisser un standard d’un autre genre, interprété ici dans une version
très groovy à six temps : «Le Chant des canuts», écrit par Aristide Bruant en 1894
pour célébrer les luttes des ouvriers tisserands du quartier de la Croix-Rousse
au XIXe siècle. Bel hommage du musicien lyonnais, comme pour rappeler fort
opportunément en ces temps pétueux, que la révolte pourrait bien gronder à
nouveau…
texte et photos: Pascal Kober
© Jazz Hot 2020
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Dany Doriz & Archysax
Festival de Jazz de Lunel In (34), 13 août 2020
Voilà une performance quasi
internationale qui s’est tenue à Lunel dans l’Hérault grâce aux jazz spirits, sorte d’esprit libre,
informel, collectif et indestructible, à travers le temps et l’espace: un
festival live, en vrai donc, avec des
musiciens remontés comme s’ils n’avaient plus joué depuis le 14 mars dernier en
raison d’un confinement moyenâgeux, et leur public démasqués assis ou masqués
en circulation, mais en osmose et en fête dans les arènes; car les aficionados
avaient bien conscience que le plat interdit risquait de ne pas repasser de si
tôt, compte tenu du suicide économique collectif quasi planétaire actuel, à
défaut de soins basiques d’une société développée contre un virus. L’ambiance
était donc au rendez-vous malgré la situation. Les producteurs de ce festival,
le Labory Jazz Club (Production), né en 2005 en hommage à Guy Labory (2 avril
1937 Nîmes-11 octobre 2004, s, voir Jazz Hot S616),
un autre passionné combattif à qui le jazz a tout donné et qui le lui a rendu
toute sa vie sans jamais rien lâcher, ont maintenu (partiellement) leur 17e édition, les
12 et 13 août derniers, en entrée libre et gratuite grâce aussi à la Ville de
Lunel. Rien que cette prouesse patiente d’équilibrisme administratif et
logistique pour arriver à aboutir le projet mérite l’admiration.
De gauche à droite: Didier Dorise (dm), Dany Doriz (vib), Jeff Hoffman (g), Geoffrey Secco,
Philippe Chagne, Pascal Thouvenin, Matthieu Vernhes, Olivier Defaÿs © Chaîne YouTube de Dany Doriz
Dany Doriz a intelligemment
profité de cette exceptionnelle fenêtre de liberté pour présenter sa nouvelle
formation en nonet, avec l’Archysax de Pascal Thouvenin (aussi arrangeur),
composée des quatre autres saxophonistes Geoffrey Secco/Philippe Chagne/Matthieu
Vernhes/Olivier Defaÿs, et de Jeff Hoffman (g,voc), Philippe Petit (org),
Didier Dorise (dm), Dany Doriz (vib, lead). Beau succès pour le patron du Caveau de La Huchette toujours
fermée comme d’autres lieux de musique, danse, spectacles y compris à Broadway
confiné au moins jusqu’en janvier 2021! N’hésitez pas à goûter un peu de
cette soirée très spéciale, presque d’un autre temps, pleine d’élan et de swing
sur deux vidéos: l’une, en présentation successive des morceaux joués
sur la chaîne YouTube de Dany Doriz (https://www.youtube.com/watch?v=WQpQLYFD6Zk&feature=youtu.be), l’autre, pour «In the Mood» de Glenn
Miller, le tube de la Libération (un hasard de choix pour les facétieux), sur la chaîne YouTube du
Labory Jazz Club (https://www.youtube.com/watch?v=H3xCMVh_hyw).
Hélène Sportis
Photo: Chaîne Youtube de Dany Doriz
© Jazz Hot 2020
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Jean-Baptiste Franc (p), Fabricio Nicolas-Garcia (b), Gabrielle Sandman (voc), Esaie Cid (cl), Café Martin, 14 août 2020 © Jérôme Partage
Octave et Anatole
Café Martin, Paris, 14 août 2020
Le Café
Martin, place Martin Nadeau, en bordure du Père-Lachaise, est connu des
habitués du quartier pour sa vaste et agréable terrasse ainsi que pour son
excellente cuisine. Le 14 août, ce sympathique établissement accueillait, pour
la première fois, un concert de jazz. En ces temps funestes pour les clubs et
les musiciens, une nouvelle adresse pour le jazz, à l’air libre, est un peu de
terrain regagné par l’art sur l’hystérie organisée. C’est le collectif «Octave
et Anatole» qui a ainsi animé la terrasse, ce jour-là composé de Gabrielle
Sandman (voc), Esaie Cid (as, cl), Jean-Baptiste Franc (p) et Fabricio
Nicolas-Garcia (b). Dotée d’un joli timbre, Gabrielle Sandman a donné à
entendre une série de grands standards dont elle a livré une interprétation sans
artifice inutile: «Exactly Like You», «Taking a Chance on Love», «Ain’t
Misbehavin’», «Lover, Come Back to Me» ou encore «Blue Moon». Ces titres ont
été évidemment l’occasion de profiter aussi des qualités musicales de ses
partenaires. Altiste d’une grande délicatesse, Esaie Cid (Jazz Hot n°674) a été l’artisan d’un
dialogue tout aussi savoureux à la clarinette («Love Me or Leave Me») -instrument sur lequel on entend de plus en plus fréquemment le Barcelonais qui tend à jouer middle jazz autant que bebop- tandis
que le jeu de Jean-Baptiste Franc (dont a apprécié les solos, notamment sur
«You’re Driving Me Crazy»), très marqué par l'influence des grands maîtres du stride, offrait, en complicité avec
l'habile Fabricio Nicolas-Garcia, un soutien rythmique débordant de swing.
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot 2020
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Esaie Cid Duo & Larry Browne Duo
Péniche Le Marcounet, Paris, 7 et 9 juin 2020
Après trois mois de concerts par écrans interposés, la
réouverture à Paris des terrasses des cafés et des restaurants, depuis le 2
juin, nous a enfin rendu la possibilité de consommer le jazz tel que
le recommandait Jean-Paul Sartre: sur place (comme les bananes)! Lieu fort
apprécié à la belle saison pour sa vaste terrasse en bord de Seine, la péniche
Le Marcounet a donc sonné le rassemblement des musiciens, des danseurs et des
amateurs de la Capitale, les clubs n’ayant pas encore pu reprendre leur
activité. Ainsi les concerts donnés, en début de soirée, par les duos Esaie Cid
(as) / Clément Trimouille (g), le dimanche 7 juin, et Larry Browne (tp, voc) /
Jean-Philippe Bordier (g), le mardi 9 juin, ont été l’occasion de joyeuses
retrouvailles déconfinées (avec masques et sans bises pour les plus craintifs)
et la petite scène a paru bien étroite pour accueillir les nombreux musiciens
avides de renouer avec les sensations charnelles du live.
Le 7, le duo formé par Esaie Cid (Jazz Hot n°674) et Clément Trimouille a reçu d’emblée un premier
invité, Pierre Richeux, qui a fait office de contrebassiste titulaire. C’est
donc en trio que s’est déroulé le premier set, les musiciens enchaînant les
titres au feeling («comme nos gouvernants avec le plan d’urgence sanitaire», dixit
l’un des participants): «Angelica», «Two Sleepy People», «Main Steam», «Cat
Meets Chick» ou encore «Get Happy». Au deuxième set, le trio s’est transformé
en quartet avec Martin Cazals à la caisse claire. Puis, Dominique Lemerle (b, voir
notre récente interview) est venu ajouter de la profondeur au swing raffiné d’Esaie Cid
(belles versions de «How High the Moon», «Stryke Up the Band» et «I’ll Be
Seeing You») tandis que Nicolas Rousserie était à la guitare et qu’un second
altiste, Thomas Gomez, donnait la réplique au leader! Enfin, le troisième set a
vu se succéder Lucas Montagnier et François Homps à la guitare, Josselyn Prud'Hom à la
contrebasse, Elisabeth Keledjian et Thomas Racine à la caisse claire, pour se
terminer en sextet avec le renfort remarqué de Noé Codjia (tp).
Noé Codja (tp), Thomas Gomez (as), Elisabeth Keledjian (dm) (g) Esaie Cid (as),
Pierre Richeux (b), Clément Trimouille (g), Le Marcounet, 7 juin 2020 © Jérôme Partage
Le 9, le duo réunissant Larry Browne et Jean-Philippe
Bordier a accordé une large place à la chanson française («Chez moi», «La Belle
vie», «C’est si bon», au premier set), les interprétations pleines d’énergie et
d’humour du trompettiste et chanteur américain étant tempérées par le jeu du
guitariste, imprégné d’une douce langueur brésilienne. Ces légers accents bossa
ont encore joliment habillé «La Vie en rose», au deuxième set, avant que Larry
n’offre une belle évocation de Lee Morgan sur «Blue Gardenia» et une toute
aussi réjouissante d’Horace Silver sur «Strollin’». Le duo a ensuite été rejoint par un guitariste (Slim) et une chanteuse (Christina) sur «You’d
Be so Nice to Come Home to», puis une trompettiste (Brigitte), avant que le concert ne
se transforme en véritable scène ouverte, au troisième set, avec l’intervention d’une
autre vocaliste (Melissa sur «Two Sleepy People» et «Ain’t Misbehavin’») et un
final réunissant deux guitares (Lucas et Sylvain Debrez, habituellement
contrebassiste), un trombone (Clément Garnault), un sax (Armando), un chanteur
(intéressant mais non identifié) et une troisième chanteuse (Donna
Lorraine)!  Lucas, Jean-Philippe Bordier (g), Melissa (voc), Larry Browne (tp, voc), Le Marcounet, 9 juin 2020 © Jérôme Partage
La péniche Le Marcounet, centre de la vie jazzique
parisienne du moment, a ainsi été le cadre de deux revigorantes soirées qui ont de
nouveau propagé le virus du jazz, salvateur pour notre écosystème mental, et
nous ont accordé quelque répit de ce «monde d’après» aseptisé et liberticide concocté par Ubu
et ses tristes sires.
Jérôme Partage
Texte et photos
© Jazz Hot 2020
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David Blenkhorn (g) et Harry Allen (ts), Caveau de La Huchette, 11 mars 2020 © Alexandra Green
David Blankhorn Trio + Harry Allen
Caveau de La Huchette, Paris, 11 mars 2020
Cela se passait le 11 mars, durant les derniers jours de ce
que l’on appelait en France la Démocratie, avant que les autorités ne ferment tous
les bistrots, restaurants, musées, cinémas, théâtres et clubs de jazz et
n’abolissent la liberté de circuler. Bien sûr, c’est pour notre bien.
D’ailleurs, nos gouvernants très prévoyants font toujours tout bien pour nous,
ne serait-ce que donner des moyens aux hôpitaux, prendre soin des vieux, des
malades et des gens fragiles en général. Mais le 11 mars on avait encore le
droit d’aller swinguer à La Huchette et nous étions quelques-uns, pas très
effrayés par les annonces officielles, à profiter pleinement de ce plaisir. Ce
soir-là, le trio de l’Australien David Blenkhorn (g) –comprenant le Suédois Viktor
Nyberg (b) et le Danois Andreas Svendsen (dm)– accueillait un invité «de luxe»,
Mr. Harry Allen. Tenant d’une belle tradition du ténor qui va de Ben Webster à
Al Cohn, en passant par Stan Getz et Paul Gonsalves, Harry Allen, a magnifié, avec
une sorte de volubilité tranquille, quelques très beaux thèmes du répertoire: «On
a Slow Boat to China», «Tangerine», «If I Had You», «In a Mellow Tone», «Comes
Love» ou encore «Embraceable You», en complicité avec l’excellent David
Blenkhorn aux harmonies colorées. Il faut également signaler le soutien sans
faille de la jeune rythmique scandinave qui à l’évidence sait parler le langage
du swing. La soirée s’est joyeusement achevée, au son «Lover, Come Back to Me»,
avec la participation de trois batteurs, deux bassistes, trois sax, un pianiste,
un trompettiste et une chanteuse: soit plus de monde sur scène que dans la
salle!
Peut-être un jour retournerons-nous au Caveau de La
Huchette, peut-être un jour les musiciens rejoueront-ils devant un public
plutôt que de se filmer chez eux, peut-être un jour ferons-nous le compte de
tous ceux qui seront morts du virus de la solitude et de l’abandon et ferons-nous le compte aussi de tout ce que nous aurons
perdu en nous laissant enfermer au nom des implacables appels au civisme de Big Brother.
Jérôme Partage Photo: Alexandra Green
© Jazz Hot 2020
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New Morning, Paris
Laurent Marode Nonet, 29 janvier 2020
Le 29 janvier, au New Morning, l’excellent Laurent Marode (p) assurait
le concert de sortie de son nouvel album, Starting
Soon (Black & Blue), le second avec son nonet, après This Way Please (2016, Black &
Blue). La plupart des musiciens présents sur le premier disque sont toujours de
l’aventure et étaient aussi sur scène (à l’exception de Franck Basile, remplacé
au baryton ce soir par Jean-Philippe Scali): Fabien Mary (tp), Jerry
Edwards (tb), David Sauzay (ts, fl), Pablo Arias (as), Nicholas Thomas (vib),
Fabien Marcoz (b) et Mourad Benhammou
(dm), soit la fine fleur du bop parisien. On connaît les qualités de chef
d’orchestre et d’arrangeur de Laurent Marode qui donne à son nonet l’ampleur étincelante
d’un big band, aidé en cela par des solistes dotés d’une belle énergie, respectueux d’une tradition bien assimilée.
 Le Nonet de Laurent Marode avec Isabelle Seleskovitch, New Morning, 29 janvier 2020 © Jérôme Partage
De quoi donner
de l’éclat aux bonnes compositions du leader qui constituent l’essentiel du
répertoire, du chaloupé «Today Is Nat’s Day» (en hommage à Nat Adderley) au
très dynamique «David’s Rush Hour», en passant par un blues d’Yves Brouqui,
«Brook’s Idea» et quelques standards comme «Little Chris» d’Harold
Land que la flûte de David Sauzay habille d’une belle couleur dans l'esprit de l'époque. Maniant
avec habileté l’art de la synthèse, Laurent Marode nous transporte ainsi dans
un monde musical à la croisée des chemins, quelque part entre Art
Blakey et Charles Mingus, voire Lalo Schifrin. Un joli
intermède a marqué le second set avec l’intervention d’Isabelle Seleskovitch
(voc, voir notre chronique), invitée sur deux morceaux: «Get Out of
Town» (Cole Porter) et une version en français du «Sophisticated
Lady» de Duke Ellington, simplement en duo avec le pianiste. Une belle
soirée.
Jérôme Partage Texte et photo
© Jazz Hot 2020
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Hayati Kafé avec Ahmet Gülbay et Olivier Defaÿs,
Petit Journal St-Michel, 24 janvier 2020 © Jérôme Partage
Petit Journal St-Michel, Paris
Hayati Kafé & Ahmet Gülbay Quartet, 24 janvier 2020
L’été
dernier, nous avions découvert, au festival d’Ystad, le chanteur d’origine
turque, Hayati Kafé, installé en Suède depuis les années 1960 où il a connu le
succès dans les variétés. Il était de passage le 24 janvier au Petit-Journal St-Michel, club-restaurant repris depuis novembre 2018 par un amoureux du lieu et du jazz,
Mehmet Terkivatan, qui partage les mêmes racines, où il était
accompagné par le quartet de son compatriote Ahmet Gülbay (p): Olivier Defaÿs
(ts), Laurent Souques (b), Alain Chaudron (dm). Devant un public restreint
(pour cause de conflit des retraites), mais réuni autour des musiciens
avec une proximité chaleureuse, le crooner d’Istanbul a servi deux sympathiques
sets sous le signe du Great America
Songbook. On retiendra de cette soirée des échanges savoureux voix-sax
(«Triste» de Jobim), un solo de saxophone chanté par Hayati Kafé sur «Teach Me
Tonight» de Gene de Paul, les revigorantes interventions d’Olivier Defaÿs, particulièrement en verve et en swing sur «Too Close for Comfort», de Jerry Bock
et George David Weiss, et les facétieuses improvisations d’Ahmet Gülbay,
citant entre deux mesures Thelonious Monk, Claude Bolling ou Michel Legrand. Un
concert avec la spontanéité d’une jam-session, qui s’est conclu avec l’arrivée
d’Eric Breton (ts) et «La Belle Vie» de Sacha Distel interprétée en français
par Hayati Kafé. La tradition jazz de la Turquie a retrouvé le temps de cette soirée une joie qu’on croyait oubliée.
Jérôme Partage Texte et photo
© Jazz Hot 2020
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Claude Abadie toujours à l'écoute de son orchestre, Ville-d'Avray, 19 janvier 2020 © Jérôme Partage
Joyeux Centenaire Mr Abadie Suite Ville-d'Avray, Hauts-de-Seine
Jazz à Vian, 19 janvier 2020
C’est un triple anniversaire que célébrait cette année le
Festival Jazz à Vian de Ville-d’Avray: les 100 ans de Claude Abadie (né
le 16 janvier 1920, cf. Jazz Hot n°661), les 10 ans de du
festival (dont la programmation est assurée par le pianiste Serge Forté), et
les 100 ans de Boris Vian (né dans cette jolie ville, le 10 mars 1920), la même année peu après Claude.
Revenons donc au plus extraordinaire en ce dimanche après-midi: un musicien,
chef d’orchestre et arrangeur offre à son public, à l’occasion de ses 100 ans,
un concert complet dans la joie de partager ce qu’il a appris du jazz: le sens
du collectif et le souci du détail. Claude Abadie a épaté l’assistance
pendant une heure de concert, largement consacrée au répertoire de Thelonious
Monk, donnant le tempo, fermant les morceaux, dirigeant, souriant, distribuant et prenant des chorus. Avec autant de précision que d’humour, l’ancien
élève de l’Ecole Polytechnique a intelligemment présenté et introduit chaque
morceau, tant pour des explications de structures ou difficultés musicales,
que de choix spécifiques d’arrangements, ou pour des éclairages
historiques et biographiques concernant les compositeurs et les morceaux. On a
ainsi pu entendre, avec des arrangements complexes aux harmonies
fidèlement monkiennes, rappelant parfois aussi Duke Ellington, «Blue
Monk», «'Round Midnight» avec la mise en exergue du second pont écrit par
Cootie Williams, «Epistrophy», «Pannonica», mais aussi un original de Claude
Abadie, inspiré par Gerry Mulligan, «In Coda Venenum», un titre de Paul Vernon, «Viv’ment l’15 novembre!», en référence au beaujolais
nouveau lors de leurs répétitions, ou encore un thème de George Gershwin, «A
Foggy Day», joliment exposé au baryton. Le concert devait se finir sur «Alvin
G» (une composition de Phil Woods dédiée à Al Cohn) mais Claude Abadie nous a
même offert un rappel et pris à cette toute fin, un solo: bluffant! Cet
évènement jazzique restera dans les mémoires comme celui donné par le plus
jeune centenaire de la scène jazz, à l’enthousiasme intact, d’une incroyable
sérénité et gentillesse. Une vraie leçon de vitalité et de jazz avec ce que cette
musique comporte de patrimoine à relayer par l’écoute, l’oral, la
perception, l’échange dans l’instant. Alors, comme on dit dans les bons
concerts de jazz: One More Time!, Happy Birthday Mr. Abadie! et merci…
 Le Claude Abadie Tentet, Ville-d'Avray, 19 janvier 2020 © Alexandra Green
Le Tentet de Claude Abadie est constitué de: Claude
Abadie (cl, dir, arr), Jean-François Higounet (tp, flh), Fernand Polier (tp),
Jean-Marc Farinone (tb), Yves Autret (as), Bernard Bosset (ts), Jean-Philippe
Winter (bar), Luc Triquet (p), Jean-Louis Bisson (b), Albert Glowinski (dm)
Hélène Sportis et Jérôme Partage
Photos: Alexandra Green et Jérôme Partage
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Kahil El'Zabar & Ethnic Heritage Ensemble, La Petite Halle, 8 novembre 2019 © Mathieu Perez
La Petite Halle, Paris
Kahil El'Zabar & Ethnic Heritage Ensemble, 8 novembre 2019
Les
passages du percussionniste et batteur de Chicago Kahil El’Zabar sont rares à
Paris. On se souvient de l’inoubliable concert avec son Ritual Trio et le
vocaliste Dwight Trible, en première partie de Randy Weston en 2014. Il était aussi venu au début de
cette année 2019, toujours dans le cadre de Banlieues Bleues. Le 8
novembre, c’est à la Petite Halle qu’il se produisait, à La Villette, à
l’occasion de la sortie de l’album Be
Known: Ancient/Future/Music for Your Mind, Body and Soul (Spiritmuse
Records, 2019). Le nouvel opus de son Ethnic Heritage Ensemble, un trio composé
de Corey Wilkes (tp, perc) et Alex Harding (bar). Cette
formation se situe dans le prolongement du travail de l’Association for the
Advancement of Creative Musicians (AACM). Avec cette liberté, cette
connaissance approfondie de l’histoire du jazz et de la culture afro-américaine,
cette conscience politique, cette recherche des racines, ce dialogue avec la
musique traditionnelle africaine.
On peut lire les interviews du percussionniste
publiées dans Jazz Hot (n°354 et
n°659) dont la dernière est en ligne (Jazz Hot 2019). Il y retrace notamment l’histoire de cette
formation fondée en 1973 à son retour du Ghana. Il explique aussi l’importance
de placer un percussionniste au milieu de deux soufflants pour explorer tous
les aspects du rythme. En voyant Kahil El’Zabar entre Corey Wilkes et Alex Harding, on comprend. Percussions obsédantes, chants, atmosphère méditative,
cosmique, solistes magnifiques. Et
une interprétation, ce soir-là, du répertoire coltranien («Naima» au kalimba) d’une beauté à couper le souffle. Jouer du
jazz, nous disait Kahil El’Zabar, est l’expérience la plus profonde de sa vie.
En écouter aussi.
Mathieu Perez Texte et photo
© Jazz Hot 2019
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Sanremo, Italie
Uno Jazz & Blues, 31 octobre 2019
Le 31 octobre dernier, le festival Uno Jazz & Blues, situé à Sanremo (Liguerie), célébrait sa 10e édition en accueillant une légende vivante du jazz, Herbie Hancock. Compte-rendu à lire dans la langue de Dante (pour une approche, un traducteur automatique est installé sur votre site).
Non è facile approcciarsi ad una leggenda vivente come Herbie Hancock. Sessant'anni di carriera in cui ha travalicato i generi, passando dal
jazz moderno alla musica elettronica, lo hanno trasformato in un personaggio
che, spesso, oscura e supera il suo lato artistico. Era molta, dunque, l'attesa da parte del pubblico che, giovedì 31
ottobre, ha gremito la sala del teatro Ariston di Sanremo per la chiusura della
rassegna "UnoJazz", quest'anno spalmata in diversi periodi e locations.
 Herbie Hancock, Sanremo, 31 octobre 2019 © Umberto Germinale
In questo tour europeo Hancock si è avvalso della collaborazione dei fidi
Lionel Loueke alla chitarra e James Genus al basso elettrico aggiungendo ad
essi le new entry Elena Pinderhughes al flauto e Justin Tyson alla batteria. Nomi già noti nell'ambiente musicale votato all'electro-jazz ed a
suggestioni etniche da incorporare nell'alveo della musica nera tradizionale. Loueke rappresenta il chitarrista ideale per Hancock grazie alle radici
africane (nato nel Benin e recentemente naturalizzato statunitense), al
fraseggio fortemente ritmico, all'uso dell'effettistica ed agli spazi vocali
che si ritaglia all'interno delle esibizioni live. Tyson, batterista del trio di Robert Glasper e del progetto "Now is now",
ed un James Genus, cui i tecnici del suono hanno applicato un volume
fastidiosamente alto, hanno supportato le evoluzioni solistiche del gruppo
mostrando più i muscoli che il fioretto. La sorpresa più piacevole è stata la personalità dimostrata da Elena
Pinderhughes. La giovane flautista. già apprezzata nei dischi di Christian Scott, ha
sfruttato sapientemente gli spazi solistici riservatele dal leader cesellando
alcuni dei soli più riusciti della serata.
 Herbie Hancock et ses musiciens, Sanremo, 31 octobre 2019 © Umberto GerminaleChe dire di Herbie? Si è diviso tra pianoforte, varie tastiere, vocoder e keytar con la
solita classe senza prevaricare i colleghi e, anzi, lasciando loro parecchio
spazio prendendo esempio, anche in questo, dal suo grande mentore Miles Davis. E, in fondo, i percorsi dei due musicisti sono assimilabili nel loro
passaggio da una musica impegnata a progetti maggiormente fruibili dal grande
pubblico. Dopo avere eseguito alcuni brani nuovi Hancock ha regalato ai fans le
composizioni che attendevano con ansia. Quindi "Chameleon", "Actual proof" e l'immancabile "Cantaloupe island"
hanno riportato in auge gli anni 70 del progetto "Headhunters" col suo
concentrato di suoni elettrici e funk a piene mani. Il genio di Hancock, dal rivoluzionario secondo quintetto di Miles in
avanti, è fuori discussione ma la strada intrapresa negli ultimi decenni parla
un linguaggio diverso da quello che molti appassionati, me compreso,
auspicherebbero.
Però, sulla soglia degli 80 anni, il pianista di Chicago ha energia da
vendere ed un notevole senso dello spettacolo. Oltre alla gratificazione per avere aperto le strade battute oggi dai
succitati Glasper e compagnia il buon Herbie si gode le standing ovations
tributategli dal suo fedele pubblico in giro per il mondo. Per chi cerca le nuove vie del pianismo jazz contemporaneo è giusto
rivolgersi altrove.
Adriano Ghirardo Photos: Umberto Germinale
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OKYS
Sanary-sur-Mer, Var
Jazznary, 9-10 novembre 2019
Sanary-sur-Mer
est l’un des plus jolis et sympathiques ports de la côte varoise, encore peu
encombré de touristes hors les mois d’été. Un magnifique Casino y est apparu il
y a un an et demi. Immense bâtisse à l’architecture d’un modernisme de bon aloi en pleine campagne, il est de plus doté d’une grande salle de spectacle pourvue
d’une large scène. Après la disparition de pas mal de festivals de jazz dans la
région, dont le célèbre et regretté Jazz au Fort Napoléon à La Seyne-sur-Mer,
il est réconfortant de voir que le Casino de Sanary a fait émerger un nouveau
rendez-vous pour les amateurs de la région: «Jazznary». Le
bébé a été confié à Victor Palombo et son association «Infotournée»
avec une programmation originale.
Première soirée avec le quartet «We are 4» qui réunit depuis
plus d’un an Laurent de Wilde (kb), Fifi Chayeb (eb), André Ceccarelli (dm) et
Sly Johnson (voc). Ce dernier est un cas inhabituel. Né Silvère Johnson, à
Montrouge (92), c'est un sacré personnage, extraverti au possible. Il a débuté
sa carrière comme rappeur (sous le nom de «Sly the Mic Buddah») et,
après plusieurs collaborations avec différents groupes, chanteurs et
chanteuses, s’est orienté vers un style soul-jazz, chantant sur une tessiture
qui va de la basse au ténor léger. C’est un acrobate verbal (cela vient
certainement de sa période rap), qui sait swinguer et est capable de reproduire
des sons de percussions (cymbale, peaux…) en ne se servant que de sa bouche et
du micro, cf. le contest en duo
avec le batteur André Ceccarelli, dont il est sorti vainqueur. A l’image de
Didier Lockwood et ses mouettes, il joue son propre concerto, assurant toutes
les parties, tant rythmiques que mélodiques, seulement avec la bouche, le micro
et sa machine. Il fut réellement soul dans un «Georgia»
d’anthologie pris à fond le blues avec une réelle émotion et un grand Laurent
de Wilde au Fender. Un bémol tout de même, la propension de Sly Johnson à faire
le clown, avec des gamineries et des gesticulations qui alourdissent le concert
et n’apportent rien, même si une part du public paraît y être sensible. S’il
décidait de se concentrer davantage sur la musique, il pourrait devenir l’un
des meilleurs chanteurs jazz d’aujourd’hui (d’autant qu’ils sont peu nombreux,
contrairement aux chanteuses), capable de damer le pion à Gregory Porter dont
il est parfois proche.
 We Are 4, Sanary, 9 novembre 2019 © Serge Baudot
Quant à André Ceccarelli, il rayonne derrière sa batterie,
quelques fois se rapprochant de Billy Cobham, très à l’écoute du chanteur, manifestement
heureux dans ce contexte. Fifi Chayeb est un digne descendant de Stanley Clarke,
assurant parfaitement le soubassement terrien du groupe, et auteur d’un solo
slap du pouce de grande volée. Laurent de Wilde est le garant jazz: le
Fender lui va comme un gant; il sait en tirer la substantifique moelle,
avec ses deux mains qui se courent après ou qui swinguent en contrepoints.
Un très bon concert donc donné devant une salle pleine et un
public très réceptif et enthousiaste.
Deuxième soirée avec le chanteur argentin Jairo, de son vrai nom Mario Rubén Marito González
Pierotti. On l’a connu dans les années 1970 et 1980 comme chanteur de variétés,
période à laquelle il rencontra un succès certain (notamment avec le tube
mondial «Les Jardins du ciel»), se produisant à maintes reprises à
L’Olympia. Ce n’est donc pas a priori un chanteur de jazz, mais il s’est trouvé
fort bien entouré par ses deux compatriotes, Minino Garay (dm, à la tête de plus
de 250 albums) et Carlos El Tero Buschini (b) ainsi que par Baptiste Trotignon (b),
lequel aime bien sortir des rails du jazz, en écrivant par exemple un concerto,
Different Spaces, créé en 2012, ou en
se frottant à la chanson comme avec ce groupe. Certes, l’on savait d’avance qu’on
aurait affaire à un concert de chansons plutôt que de jazz mais dans la tradition
de la grande chanson française: Brassens, Brel, Ferré, Bécaud, Aznavour,
Piaf... Bref des gens qui chantaient vraiment. Il en est ainsi de Jairo: une voix puissante
et chaude, bien timbrée, avec parfois un petit côté Aznavour, mais en plus
puissant et avec une plus grande tessiture. Il tient la note jusqu’au bout, avec
un feeling à la Ferré. Une diction parfaite, chose qui s’oublie de plus en plus
chez la plupart des chanteurs du monde entier. Comme on dit au cinéma, il
prend la lumière. Tenue et présentation sobres. Il ne bouge pas; peu de gestes,
juste un peu les mains. Ça repose de tous les agités d’aujourd’hui. De la
musique avant toute chose. Il ainsi interprété de grandes chansons sud-américaines
en espagnol. Dont une d’Atahualpa Yupanqui en hommage à son amie Marie Laforêt,
qui avait appris l’espagnol avec l’accent argentin pour approfondir l’œuvre d’Atahualpa, nous dit-il.
En français, nombre de chansons immortelles: «Le
Métèque», «Et maintenant», «La foule», «Elisa»...
et avec des moments d’émotion partagée comme sur «Avec le temps»
suivie de «Ne me quitte pas», réellement bouleversante, arrangées
avec finesse. Au milieu du concert, Jairo prend sa guitare et nous raconte,
comme un secret, sa venue en France, son amour de notre pays et de sa langue.
Puis, il fait venir son fils, le chanteur Joao Gonzales, et partage une chanson
en français pour le fils, en espagnol pour le père.
 «Jazziro», Sanary, 10 novembre 2019 © Serge Baudot
Et le jazz dans tout ça? Il y en eu tout de même, dans
les arrangements, les longs solos. On peut dire que la majorité des chansons
furent jazzifiées de la meilleure manière. Minino Garay est un sacré
polyrythmicien, swingue à fond, même avec son cajon, et chauffe la machine
sur les rythmes latinos. Le contrebassiste assure parfaitement la pompe et les
lignes de basse, discret et efficace. Baptiste Trotignon se régale visiblement
(et il me l’a avoué!); ses solos sont des plats de rois. Il
interpréta en duo avec le cajon ce qu’on peut appeler un concerto sur un mode
espagnol: fulgurant et brillant à la Chick Corea.
Encore un excellent concert, fortement apprécié par une salle
comble.
Il faut aussi signaler la qualité technique de deux
prestations parfaitement sonorisées. Le jazz y était bien présent, malgré
tout, notamment par la conviction des deux pianistes qui nous ont chacun confié
leur bonheur à jouer cette musique. Bravo donc à Jazznary pour cette première
édition très réussie et à l’année prochaine!
Serge Baudot
Texte et photos
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OKYS
Ben Sidran et Rick Marguitza, Sunside, 1er novembre 2019 © David Bouzaclou
Sunside, Paris
Ben Sidran Quartet, 1er novembre 2019
C’est une longue histoire d’amitié de plus de deux
décennies entre le Sunside et le pianiste-chanteur Ben Sidran qui revient, fidèlement, chaque mois de novembre. Il y a quelques
années, il avait, à travers son ouvrage de référence Talking Jazz, mis en lumière les conversations avec des musiciens
d’exception qu’il avait eues lors de ses émissions sur NPR, la radio publique
américaine. Un titre qui représente à merveille son approche du jazz entre le
chant et la parole à l’image d’un Mose Allison ou de ses contemporains Georgie Fame
et Van Morrison. Cette balade permanente au cœur d’un New York aux fortes
contradictions, où la politique se mêle à la poésie, reste la base des textes
débordant d’humour du leader. Pour son séjour de trois soirées sur la scène du
Sunside, le nombreux public attendait déjà à l’extérieur du club sous les yeux
d’un Ben Sidran qui est un peu chez lui du côté de la rue des Lombards. Aux
alentours de 22 h, le quartet débute sur un blues instrumental au swing
permanent laissant place à un jeu de piano sans fioriture, issu du bop le plus
orthodoxe. Cet univers singulier le met en position d’observateur privilégié à
la fois du petit monde du jazz mais aussi de la société qu’il décrit avec un
esprit critique débordant de détails savoureux au niveau du texte, comme sur
«Don’t Cry for no Hipster» ou «King of Harlem» en forme
d’hommage à Federico Garcia Lorca lorsque ce dernier écrivait son fameux
recueil de poèmes, Poeta en Nueva York,
alors qu’il résidait en tant qu’étudiant à l’université de Columbia en 1929. Le
leader installe d’ailleurs une sorte de connivence avec le public en évoquant
diverses anecdotes, le tout avec une spontanéité déconcertante. Le quartet
affiche une mise en place impeccable, soutenu par le fidèle Billy Peterson à la
contrebasse et son fils Léo Sidran à la batterie et aux contre-chants, aussi à
l’aise en ternaire que sur un groove funky tout en légèreté évoquant la
maîtrise d’Al Foster dans ces univers hybrides.
L’excellent Rick Margitza au ténor apporte une autre dimension à
la formation. Le saxophoniste originaire de Detroit et parisien depuis le début
des années 2000, s’illustre dans un registre post bop, avec une sonorité lisse
et chaleureuse doublée de quelques fulgurances coltraniennes lors de ses
interventions dans la lignée d’un Bob Berg. Ces trois superbes sets nous auront
démontrés que Ben Sidran reste un véritable trésor new-yorkais et représente ce
qui se fait de mieux dans cette Amérique en crise et repliée sur elle-même.
David Bouzaclou Texte et photo
© Jazz Hot 2019
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OKYS Sunside, Paris
Black Art Jazz Collective, 19 octobre 2019
Le 19 octobre, le Sunside accueillait un magnifique
all-stars in the tradition: le
Black Art Jazz Collective, cofondé par Jeremy Pelt (tp, flh) et Wayne Escoffery
(ts). Une rutilante machine produisant un hard bop sauvage, comptant également
les excellents James Burton III (tb), Xavier Davis (p) ainsi que, appartenant
aux nouveaux talents de la génération suivante, Corcoran Holt (b) et Mark
Whitfield Jr. (dm), lesquels remplacent respectivement deux membres originels
du collectif: Vicente Archer et Jonathan Blake. Ayant pour postulat de
réaffirmer l’ancrage culturel afro-américain du jazz, le Black Art Jazz
Collective, qui revendique une filiation directe avec les Jazz Messengers d’Art
Blakey, présentait le répertoire issu de son second album, Armor of Pride (HighNote).
 de gauche à droite: Xavier Davis, Wayne Escoffery, Jeremy Pelt, James Burton III, Mark Whitfield Jr., Sunside, 19 octobre 2019 © Jérôme Partage
Un répertoire original, constitué des
compositions de chaque soliste, et dont le premier titre offert au public fut
«Miller of Time» (Jonathan Blake) en hommage au grand Mulgrew
Miller. Parmi ces bonnes compositions on retiendra également «Awuraa Amma»
(Jeremy Pelt) un hommage à sa fille de 3 ans, une évocation également de l’ascendance
africaine. Dans un Sunside bondé et surchauffé, la formation, emmenée par le
jeu incandescent de Jeremy Pelt et la puissance coltranienne de Wayne
Escoffery, a produit un jazz pur et dur, créatif et enraciné. Une
démonstration de vitalité artistique portée par des musiciens au discours
solide, en pleine possession de leurs moyens.
Jérôme Partage Texte et photo
© Jazz Hot 2019
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OKYS Raphaëlle Brochet Quartet, Les Deux Magots, 26 septembre 2019 © Jérôme Partage
Les Deux Magots, Paris
Raphaëlle Brochet Quartet, 26 septembre 2019
Institution emblématique de Saint-Germain-des-Prés, les Deux
Magots programment du jazz chaque jeudi soir, en saison, depuis l’automne 2017.
Une réjouissante initiative de Catherine Mathivat, la propriétaire de ce café
historique qu’avait acquis son arrière-grand-père en 1914. Une adresse
prestigieuse qui reste donc une affaire familiale où le jazz se sent chez
lui, en voisin quelque peu turbulent de la vie littéraire bien installée en ces lieux. Le 26 septembre pour débuter la saison 2019-2020, la swinguante
programmation du batteur Lionel Boccara, qui tenait aussi ce soir-là les
baguettes, proposait le quartet de Raphaëlle Brochet (voc) complété de Sandro Zerafa (g) et de Sylvain Dubrez (b). Notons que la chanteuse,
installée à Bruxelles depuis 2015, travaille habituellement en duo avec Philippe
Aerts (b). Dans une ambiance bon enfant, la formation a enchaîné les standards
(«Caravan», Moonlight in Vermont», «Yesterdays»…),
interprétés avec finesse, avec de belles interventions de Sandro Zerafa. Les bonnes
vibrations ont redoublé quand un sax ténor de l’assistance, que nous n'avons pas identifié, s’est invité à faire le bœuf
sur «Smile» et a enchaîné quelques titres pour le plus grand plaisir
des présents. Qui a dit qu’il n’y avait plus d’après à Saint-Germain-des-Prés?
Jérôme Partage Texte et photo
© Jazz Hot 2019
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OKYS Philippe Milanta, Sunside, 21 septembre 2019 © Mathieu Perez
Sunside, Paris
Philippe Milanta, 21 septembre 2019
Voir Philippe Milanta en concert, c’est toujours un
événement; le voir en solo, un vrai plaisir! Il se produisait le 21 septembre
au Sunside en début de soirée. Si les amateurs subjugués n’ont eu droit qu’à
un set de 1h20, ils ont voyagé loin, très loin dans les plus profondes contrées
du jazz que le pianiste explore depuis longtemps. Puisant en partie dans son
album Wash (Camille Productions, voir
notre chronique), il interpréta des compositions personnelles («Source»,
«Kryzoqr», «Twelve for a Change»), d’autres non enregistrées, et des standards
signés Ellington-Strayhorn («Melancholia», «A Single Petal of a Rose»). Vingt
thèmes très courts, pleins de finesse, très construits, à la beauté sans cesse
renouvelée.
Musicien aux moyens hors norme, à la mesure de ses confrères américains sur son instrument, Philippe Milanta est un véritable artiste de culture qui a assimilé avec la même profondeur Ellington et Debussy. Les concerts en solo des grands du piano jazz manquent à
Paris. La scène parisienne propose pourtant une belle tradition de pianistes.
Il serait temps que les clubs et les festivals honorent leurs talents.
Mathieu Perez Texte et photo
© Jazz Hot 2019
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OKYS Pertuis, Vaucluse
Festival de Big Band de Pertuis, 5-10 août 2019
Le Festival de Big Bands de
Pertuis a fêté ses 20 ans avec une programmation exceptionnelle. Après avoir
invité lors de la précédente édition le big band de la BBC, c’est le Count
Basie Orchestra qui officiait en clôture du festival. L’affaire a été rendue
possible par le volontarisme de Léandre Gros, l’âme du festival, avec la
complicité de Jean-Pierre Vignola (toujours impliqué dans la programmation de
Jazz à Vienne). C’est dans cette
ambiance chaleureuse qu’on aime à retrouver, que se tient le
festival, avec un public connaisseur, une organisation impeccable, reposant sur
des bénévoles dévoués, une sonorisation parfaite, assurée principalement par
Bruno Minisimi, grand amateur de jazz et présent depuis une dizaine d’années. Adossées
au Conservatoire de Pertuis, se tiennent des master classes d’improvisation et
d’ensemble jazz, animées cette année par Julien Armani, Christophe Allemand et
Nicolas Sanchez. Ces ateliers ont donné lieu à plusieurs concerts qui se sont
tenus dans différents endroits de la ville.
Pour les 20 ans du festival, les cieux se sont montrés cléments, le public
nombreux et la restauration dans le ton. Si l’on ajoute la gratuité des
concerts du lundi et du mardi et le prix très raisonnable des places pour les
autres soirées, on peut en conclure que cette édition anniversaire a été
parfaitement réussie.
Lundi 5 août, 19h30. Tartôprunes On retrouve Tartôprunes, orchestre-fanfare déjantée qui ouvre traditionnellement les festivités. Ça commence façon fanfare, ça continue façon reggae, ça paraît partir dans tous les sens comme pour faire oublier les arrangements de haut niveau et quelques jolis chorus portés par une bonne rythmique. On remarque Valentin Halain (tp) largement applaudi par le public. Les solos sont pris par le saxophone, le trombone, le trompettiste. Joli chorus croisé batterie/percussion sur «Boogie Stop Shuffle» de Charlie Mingus. Le répertoire emprunte à diverses sources de toutes les époques, dans un melting pot réjouissant.
Tartôprunes: Maeva Morello (tp), Valentin Halain (tp), Romain Morello (tb) Philippe Ruffin, Clément Serre, Alex Chagvardieff (g), Bastien Roblot (g, perc, voc), Caroline Suche (p), Maxime Briard (dm)
Big Band de Pertuis, Pertuis, 5 août 2019 © Christian Palen
Lundi 5 août, 21h30. Big Band de Pertuis On se presse pour le concert du Big Band de Pertuis, dirigé par Léandre Gros: les amis sont là et l’ambiance est au beau fixe. Le premier set commence par une composition de Gilles Arcens, chef d’orchestre pour René Cot. Lionel Aymes (tp) y intervient avec profondeur, suivi par Romain Morello (tb) et Julien Sapies (p). Sur «Kids Are Pretty People» (Thad Jones), c’est un nouveau chorus de Romain Morello qui met en valeur l’œuvre du trompettiste. Après «Doodle Blues» (Frank Foster), Alice Martinez intervient sur «That’s My Style», qui fut chanté par Peggy Lee (arrangements originaux de John Harpin). La fluidité des échanges entre l’orchestre et de la chanteuse fait plaisir à voir et les chorus de sax de Christophe Allemand (ts) et Michael Baez (as) achèvent de faire rugir le public de plaisir. On continue avec «The Windmills of Your Mind» («Les Moulins de mon cœur», Michel Legrand) où se distinguent Lionel Aymes (cnt) et Christophe Allemand. Cette première partie se terminant avec deux thèmes de Cole Porter, «Too Darn Hot» (arr. Buddy Bregman), chanté par Alice Martinez, et «It’s All Right With Me» (arr. Mike Collins). Le deuxième set débute avec «Told You so», de Bill Holman, qui fut l’un des grands succès de Count Basie et où Lonny Martin pousse son trombone dans ses derniers retranchements; il est suivi de l’intervention d’Yvan Combeau qui a troqué son sax pour une flûte. On revient à Thad Jones, avec «Groove Merchant», où Lionel Aymes (tp) et Julien Sanches (p) nous offrent de jolis chorus croisés, tendance acrobatique! Retour à Cole Porter ensuite avec «I Love You» (arr. Miles Ciollins) sur lequel Alice Martinez qui a troqué sa robe pour le t-shirt du festival. «Only You» (arr. Bob Florence) propose un chorus de trompette bouchée par Yves Douste. Thad Jones encore avec «Three and One» où se distinguent Michael Baes (as) et Lionnel Aymes (tp). Puis, «720 in the Books» de Johnny Watson (arr. David Wolpe), avec Alice, suivi de «Sing Sang Sung» de Gordon Goodwing, agrémentés de deux belles interventions de Michael Baez et Valentin Halin (tp). Et sur «You Can Have It» (Frank Foster), en rappel, que se termine la soirée.
Big Band de Pertuis: Léandre Grau (lead, tb), Yves Douste, Lionel Aymes, Roger Arnald, Valentin Halin, Jean Marie Pellenc (tp), Jean-Pierre Ingoglia, Romain Morello, Lonny Martin (tb), Bernard Jaubert (btb, tu), Yves Martin (btb), Yvan Combeau, Michael Baez (as), Christophe Allemand, Clément Baudier (ts), Laurence Allemand (ts), Jérémie Laurès (bar), Gérard Grelet (g), Julien Sanches (p), Bruno Roumestan (eb), Stéphane Richard (dm), Alice Martinez (voc)
Mardi 6 août, 19h30. Serket and the Cicadas Le nom de ce groupe associe «Sektet», divinité égyptienne bienveillante, et la traduction anglaise du mot «cigales». Il est dirigé par Cathy Escoffier (p), professeur au conservatoire de Pertuis, et entend mélanger jazz et tendances musicales «plus récentes». Ainsi, «Speak Low» est longuement introduit par le piano seul, rejoint par la guitare. Ce duo récurrent se développe sur de longs échanges, au confluent du jazz et de la musique contemporaine, avec des éléments de structure répétitifs. Après des prises de parole successives sur «Temps conté», une composition de Cathy Escoffier, «Indifférence» (Tony Murena) est exposé au trombone, tandis que le piano se fait plus jazz. Suivent deux autres originaux de Cathy Escoffier, «Soleil noir» et «L’Appel aux larmes» avant qu’hommage ne soit rendu à Claude Nougaro avec «Le Cinéma». Cathy Escoffier passe après au Fender sur son morceau «Volupté», basé sur un crescendo rythmique assuré par l’ensemble du groupe. Le concert se conclut avec «Afro Blue» (John Coltrane), joué avec conviction. Il est à noter que Serket and the Cicadas a prévu d’entrer en studio en septembre pour enregistrer un CD.
Serket and the Cicadas: Cathy Escoffier (p, lead), Romain Morello (tb), Pierre Renard (b), Andrew Sudibasi (g) Julien Artel (dm)
 Middle Jazz Orchestra, Pertuis, 6 août 2019 © Christian Palen
Mardi 6 août, 21h30. Middle Jazz Orchestra Avec ce concert dédié à la soul music, le Middle Jazz Orchestra, originaire de Sanary, rendait hommage à Ray Charles, Aretha Franklin et aux Blues Brothers en particulier par les interventions d’Edith Darasse et Bertrand Borgognone (voc). Didactique et badin, le chef d’orchestre, Didier Huot, introduit les morceaux en rappelant son ancrage dans l’histoire des Afro-Américains et des luttes pour les Droits civiques. Avec «Blues for Scottie» et «Let the Good Time Roll» (Sam Theard), chantés par Bertrand Borgognone, on assiste à une belle démonstration d’efficacité du Middle jazz Orchestra. C’est ensuite «Busted» (John Deley) avec un chorus de Michael Steiman (tb) et «Oh What a Beautiful Morning» (Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II). Edith Darasse enchaîne avec plusieurs titres d’Aretha Franklin («Chain of Fools», «Respect», «I Can’t Stop Loving You» qui font monter d’un cran la tension avant «Oh Happy Days» repris en chœur par le public, tandis que le premier set se termine sur «Land of 1000 Dances». Le concert reprend avec de nouveau Aretha Franklin («Rock Steady», «Think») ce qui entraîne une partie du public à danser, sous les encouragements de l’orchestre. Suivent un «Say no More» langoureux à souhait, «Fever», repris par Edith et Bertrand, «I Got a Woman» et «Hit the Road Jack» agrémenté d’un faux départ relevé avec humour par Didier Huot. La performance s’achève avec «What I’d Say» et, en rappel, «Sweet Home Chicago» pour respecter la tradition des concerts de blues.
Middle Jazz Orchestra: Didier Huot (lead) Laurent Hitts, Daniel Swalder, Laurent Selda, Philippe Bayle (tp), Henri Gangopis, Vitel Stanel (tb), Michel Robsteter, Olivier Studor, Laurent Moll (s), Gérard Davour (g), Edith Darasse, Bertrand Borgognone (voc)…
Jeudi 8 août, 19h30. La Bande à Bruzzo Pierre Bruzzo (ss) est à la tête d’une formation où se mêlent deux générations. On démarre avec «Ain’t Misbehavin’» (Fats Waller) et un solo élégant de Vincent Lagnaud (b), soutenu par le piano, avant une composition de Pierre Bruzzo, «Ici mieux qu’en face» (en référence à un bar, en face de la prison des Beaumettes, à Marseille, où il avait coutume de se produire) qui lui donne l’occasion de développer son expressivité. Un «Where I Got all the Dreams» collégial précède un hommage à Sidney Bechet, la spécialité de Pierre Bruzzo, avec «Le Marchand de poisson» et «Petite fleur». «Sweet Georgia Brown» (Maceo Pinkard/Ken Casey) est l’occasion d’un chorus de batterie très nuancé d’Alain Mano, cymbales dans un premier temps, puis peaux. L’orchestre termine avec «Oh When the Saints» dans une ambiance New Orleans, avec un public très complice.
La Bande à Bruzzo: Pierre Bruzzo (ss), Philippe Couron (p), Vincent Lagnaud (b), Alain Mano (dm) + Romain Morello (tb)
 Bolden Buddies Little Big Band, Pertuis, 8 août 2019 © Christian Palen
Jeudi 8 août 21h30. Bolden Buddies Little Big Band Ils viennent de Montpellier et se sont spécialisés dans l’interprétation rigoureuse des arrangements originaux des big bands des années 1920-30, avec un répertoire autour de Duke Ellington, Fletcher Henderson, King Oliver… Arnaud Gauchio chante et présente les différents titres avec beaucoup de feeling. Dès «Everything Is Jumping» d’Artie Shaw (solo de contrebasse de Julien Didier très applaudi) l’ambiance est installée: on a affaire à de véritables amoureux de la musique de ces années-là, avec des parties d’ensemble très travaillées, sous la direction de Guillaume Corral (as, cl). Non sans prise de risques sur les chorus. On peut apprécier ces interventions, souvent très belles sur «Blues in My Heart» de Benny Carter (Arnaud Gauchio), «King Porter Stomp» de Jelly Roll Morton (Eric Serra, tb), «Echoes of Harlem» de Duke Ellington (Corentin Lehembre, tp), «When It’s Sleepy Time» de Clarence Muse (Corentin Lehembre, voc), «Crazy About My Baby» de Fats Waller (Auguste Ceres, p), «East St Louis» de Duke Ellington (clarinette, banjo, batterie et sax alto). Le second set débute avec «Begin the Biguine» d’Artie Shaw, puis « Blue Brag » de Joseph Miro (Auguste Ceres), «The Mooche» de Duke Ellington, suivi de «Swinging the Blues» et «Deep Blues» (Corentin Lehembre, tp), «Travelin», «Tickle Toe» de Lester Young (Corentin Lehembre). Le concert s’achève avec «I Left My Baby» et «Carioca» du même Artie Shaw et, après un rappel enthousiaste, un «Double Check Stomp» du Duke assez jouissif!
Bolden Buddies Little Big Band: Guillaume Corral (as, cl,lead), Arne Wernik, Gilles Berthet (tp), Corentin Lehembre (tp, voc), Eric Serra, Samy Khalfon (tb), Maximilien Zechine, Charlie Maur, Pierre Leydre (as, cl), Julien Didier (bs), Joseph Vu Van (bjo, g), Auguste Ceres (p), Thomas Domeme (dm), Arnaud Gauchio (voc)
Vendredi 9 août, 19h30. Swing Bones L’idée originelle de Swing Bones était de rendre hommage au «Four Bones», quartet de trombones créé en 1967 par François Guin (voir notre chronique) avec en soutien une rythmique. Ainsi se succèdent les compositions de François Guin: «Six O’ Clock Jump», «Blues for Ever» (écrit avec Gérard Badini, parrain du festival) –où se distingue Jérôme Laborde (tb)– «Between the Devil», «Elsa». On entend également «Ghost pédalo mania», dont le thème est tenu au trombone bouché avec un joli chorus de piano, «Et maintenant» de Gilbert Bécaud, tandis qu’une ballade, «Affection of Lord» permet enfin à chacun des trombonistes de prendre la parole, avant «Sonny Rivers» où Malo Evrard (dm) sera très applaudi.
Swing Bones: Jérôme Capdepont (tb), Baptiste Techer (tb), Jérôme Laborde (tb), Olivier Lachurie (btb), Thierry Gonzalez (p), Julien Duthu (b), Malo Evrard (dm)
 James Morrison (à droite) avec le Big Band Brass, Pertuis, 9 août 2019 © Christian Palen
Vendredi 9 août, 21h30. Big Band Brass and James Morrison Venu spécialement d’Australie pour ce concert, James Morrison, multi-instrumentiste, virtuose de la trompette, du piano, du trombone, du saxophone, était l’invité soliste du big band de Dominique Rieux (tp). Si le Big Band Brass avait déjà régalé le public de Pertuis en 2013 avec son hommage à Glenn Miller, c’est autour du CD enregistré avec James Morrison, The Amazing Live, que s’organisait le concert de ce soir. Dès les premiers titres, «All of Me» et «I’m Getting Sentimental Over You», on constate l’impressionnante virtuosité de James Morrison, d’abord à la trompette, par ailleurs très en phase avec l’orchestre. Il s’efforce aussi de communiquer avec le public, présentant les morceaux avec humour. Et c’est au saxophone soprano qu’il s’exprime sur «Here That Rainy Day» (Jimmy Van Heusen), de même que Jean-Michel Cabrol. Autre duo sur «Benno’s Blues», un original de James Morrison, ici au trombone avec Rémi Vidal. On remarque la propension à jouer en chorus croisé, très présente dans l’orchestre et qui donne l’occasion de belles rencontres. Le set s’achève sur «Yesterdays» (Jerome Kern), pris mid tempo avec James Morrison au bugle. Au second set, «Lazy River» (Louis Amstrong), arrangé par Morrison, est l’occasion d’un nouveau chorus croisé entre Rémi Vidal (tb) et James Morrison, plein de feeling à la trompette. Suivent un autre original de sa main, «Zog Jog», une belle démonstration collective, «Things Ain’t What They Used to Be » d’Ellington sur lequel James Morrison joue tour à tour, et très rapidement, du trombone et de la trompette. Il récidive sur «Basin Street Blues», cette fois en passant du piano à la trompette. La performance, virtuose, ne s’est pour autant pas limitée à un numéro d’acrobatie mais aussi de belle musique.
Big Band Brass: Dominique Rieux (tp, lead), Tony Amouroux, Jacques Adamao, Eric Duroc (tp), Rémi Vidal (tb), Ferdinand Doumerc, Christophe Mouly (as), Jean-Michel Cabrol, David Pautric (ts), David Cayron (bar), Florent Hortal (g), Thierry Gonzales (p), Michel Chalot (b), André Neufert (dm)
 Scotty Barnhart et le Count Basie Orchestra, Pertuis, 10 août 2019 © Christian Palen
Samedi 10 août 2019, 21h30. Count Basie Orchestra «Une machine mise en place par quelqu’un qui savait rassembler. En Europe c’est un orchestre mythique. C’est un rêve d’inviter le Count Basie Orchestra à Pertuis!» déclare, en ouverture, Léandre Gros. Sous la direction de Scotty Barnhart, la venue du Count Basie Orchestra constituait bien entendu l’évènement du festival et, si l’on en juge par le nombre de musiciens présents dans le public (on jouait à guichet fermé), ce fut un sentiment partagé par les professionnels et les amateurs de jazz. Depuis le décès de Count Basie en 1984, Thad Jones, Frank Foster, Grover Mitchell, Bill Hughes, Dennis Mackrel et, à présent, Scotty Barnhart, ont dirigé le big band qui demeure l’une des meilleures formations de jazz au monde. Son dernier album paru, à l’automne 2018, All About That Basie (Concord Jazz) compte de nombreux invités, de Joey DeFrancesco à… Stevie Wonder! L’orchestre compte encore des membres originaux, qui avaient été recrutés par le maître lui-même: Carmen Bradford (1983, chanteuse invitée), Clarence Banks (1984), ainsi que Mike Williams (1987, anciennement Glenn Miller Orchestra), Doug Miller (1989, anciennement Lionel Hampton Orchestra). Beaucoup d’autres se sont joints au big band durant les quinze à vingt dernières années, tandis que le benjamin est Robert Boone (26 ans, dm). Le premier set débute avec un morceau arrangé par Quincy Jones, et l’on perçoit d’emblée l’extraordinaire capacité de l’orchestre à moduler les parties d’ensemble tout en nuances, entre forte et pianissimo, et à constituer un écrin sur lequel les solistes vont pouvoir s’appuyer. Le thème suivant, «Moten Swing» (Bennie Moten, 1935), donne un aperçu de la situation avec les chorus de Josh Lee (ts), Bob Note (ts), David Galasser (fl), Mark Williams (tb), David Keim (tb) et Clarence Banks (tb). L’orchestre poursuit avec «Shiny Stockings» (arr. Frank Foster) et un chorus à la trompette bouchée d’Endre Rice, puis «Back to the Apple» (arr. Frank Foster) qui voit un superbe travail au piano de Glen Pearson en accord avec deux chorus croisés ts/tp puis tp/tp. La section rythmique est véritablement exceptionnelle de cohésion et de nuance L’accord piano/batterie/propulse le big band. Alors arrive en scène Carmen Bradford sur «I Need to Be With» (Quincy Jones) et elle enchaîne avec «Basie Land» qui est l’occasion encore de solos croisés entre deux ténors, Doug Lawrence et Doug Miller. Après la pause, le concert reprend avec «Blues in Hoss’ Flat» (Frank Foster), un titre qui fut également beaucoup joué par le Duke Ellington Orchestra et qui permet d’apprécier le jeu de David Keim (tb). «Basie Power» voit les deux altos échanger à une vitesse stupéfiante. Après «I Can Give You Anything for Love», nous retrouvons une composition de Thad Jones «From One to Another» où s’illustre Josh Lee (bar), Carmen Bradford et Frank Greene (tp). Le final, «Basie», donne enfin la parole au batteur, Robert Boone, tout en swing et en nuance!
The Count Basie Orchestra: Scotty Barnhart (tp, lead), Frank Greene, Shawn Edmonds, Endre Rice, Brandon Lee (tp), David Keim, Clarence Banks, Mark Williams, Alvin Walker (tb), David Glasser, Markus Howell (as), Doug Lawrence, Doug Miller (ts), Josh Lee (bar), Will Matthews (g), Glen Pearson (p), Trevor Ware (b), Robert Boone (dm), Carmen Bradford (voc)
Encore bravo et excellent anniversaire au festival de Big Band de Pertuis qui depuis 20 ans porte le jazz en grande formation avec passion, enthousiasme et un professionnalisme exceptionnel quand on sait ce que signifie accueillir un big band. Ce festival a de plus formé l'oreille des milliers de spectateurs –c'est aujourd'hui l'un des publics les plus avertis du monde en matière de jazz et de big band– qui viennent et reviennent chaque été dans cet environnement convivial, très abordable économiquement et donc ouvert à tous: la vraie vocation d'un festival de jazz! On souhaite à toute l'équipe une longue vie pour ce festival aussi généreux que passionnant, une belle aventure humaine!
Christian Palen Texte et photos
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Rachel Therrien, Juan-les-Pins, 13 juillet 2019
© Jacques Lerognon, by courtesy
Antibes-Juan-les-Pins,
Alpes-Maritimes
Jazz à Juan, 12-21 juillet 2019
Le
festival d’Antibes Juan-les-Pins se prépare déjà à célébrer comme il se
doit son 60e anniversaire l’été prochain. En attendant, son édition
2019, bien que laissant la part belle aux musiques «voisines», a tout de même permis aux amateurs, sur dix jours de concerts, de
trouver leur compte et de faire quelques découvertes sur les scènes
gratuites.
Le
12 juillet, en fin d’après-midi et en début de soirée, le traditionnel
«Jazz en fête» présentait pas moins de neuf groupes (soit une
soixantaine de musiciens) sur les places –et dans les rues d’Antibes–,
évoquant les parades de New Orleans et le souvenir de Sidney Bechet.
George Benson, Juan-les-Pins, 13 juillet 2019 © Jacques Lerognon, by courtesy
Le
13, à 19h, à la Petite pinède, se produisait la trompettiste québécoise
Rachel Therrien qui s’était faite remarquée pour son dynamisme
rappelant celui de Freddie Hubbard, au cours des journées
professionnelles de Jammin’ Juan d’octobre 2018 (cf. notre compte rendu, Jazz Hot n°685)
, une manifestation reconduite prochainement le 23 octobre 2019, qui
sont l'occasion de découvrir de jeunes talents qui peuvent ainsi se
retrouver ultérieurement programmés pendant le festival.
Plus
tard, à la Pinède Gould, se succédaient deux habitués: Steve Gadd (dm)
et George Benson (eg, voc). Le premier a participé ici à tellement
d’expériences différentes qu’on ne sait jamais quelle musique il va
produire. Cette fois, il revisitait son parcours jazz rock «chic», façon
Steely Dan/Steps Ahead/Frank Zappa, aidé en cela par le guitariste
David Spinozza et le trompettiste Walt Fowler qui l’accompagnaient à
l’époque dans ces aventures et avec l’appui des prestigieux musiciens
Jimmy Johnson (b) et Kevin Hays (kb). Impeccable!
Que pouvait-on
attendre ensuite de George Benson, présent sur cette scène pour la 9e
fois? Une grande maîtrise! Fils spirituel de Wes Montgomery pour son jeu
de guitare et de Nat King Cole pour son chant, George Benson (76 ans)
n’a perdu aucune des qualités qui ont fait de lui une icône. S’il laisse
parfois le soin à son guitariste Michael O’Neill d’assurer, à sa propre
manière, les solos de guitare, il mène un show en tout point
remarquable, gorgé d’énergie où il interprète plusieurs perles de son
vaste répertoire.
James Andrews, Juan-les-Pins, 21 juillet 2019 © Jacques Lerognon, by courtesy
Après
d’autres bons moments, selon les échos que nous en avons eus car nous
n’étions pas présents, en particulier les concerts du saxophoniste Eli
Degibri et le duo détonnant formé par Diana Krall et Joe Lovano, le
festival s’est conclu, le dimanche 21 juillet, à la Petite pinède, avec
le trompettiste et chanteur James Andrews, surnommé à La
Nouvelle-Orléans, sa cité natale: «The Satchmo of the Ghetto». Il a fait
partie des orchestres de son quartier (le Treme Brass Band, le New
Birth Brass Band, etc.), Treme, devenu mondialement célèbre par la série
télévisée Treme, où il joue
son propre rôle. Frère aîné de Troy Andrews, alias Trombone Shorty, déjà
connu sur nos scènes européennes, qu’il a formé quand il était encore à
peine aussi grand que son instrument, d’où son surnom, James Andrews
chante et joue à la façon d’Armstrong les succès de Fats Domino, Dr.
John, ses concitoyens et amis, ou de Ray Charles, ainsi que plus
largement les standards de Crescent City. Il tient, en bon
néo-orléanais, à incorporer dans sa musique des influences rappelant ses
origines africaines et amérindiennes, plus une dose de funk
contemporain, qui est devenu une couleur locale, comme on a pu s'en
rendre compte dans les passages musicaux de la série télévisée. Présent
dans plusieurs épisodes de Treme, son charisme fait merveille et
capte l’attention de manière magique! Il n'est pas impossible qu'on le
revoit à Juan-les-Pins, sur la grande scène tant sa prestation fut
convaincante.
La
programmation de cette édition de Jazz à Juan ne laissera cependant pas
un souvenir exceptionnel, car l'événement on l'attend pour le grand
anniversaire de l'an prochain, les 60 ans d'un festival international de
jazz d'Antibes/Juan-les-Pins, Jazz à Juan aujourd'hui, sans équivalant
dans le monde par sa continuité et par le contenu artistique de son
histoire, à quelques rares exceptions près (Newport, Monterey, San
Sebastián…), dont nous vous avons conté les prémices en ce début d'été
2019 (cf. notre rubrique chronique/Jazz Stage). A l'an prochain donc!
Daniel Chauvet
Photos: Jacques Lerognon, by courtesy
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OKYS
Jazzobal Band: Jean-Yves Dubanton, Jean-Yves Lacombe, Claude Tissendier, Bruno Desmouillières, Caveau de La Huchette, 18 août 2019 © Jérôme Partage
Caveau de La Huchette, Paris
18 et 22 août 2019
Le 18 août, une toute jeune formation se rodait sur la scène
du Caveau: Jazzobal Band. Non pas que ce quartet soit composé de
débutants: si on ne présente plus Claude Tissendier (as, ancien de chez
Claude Bolling et titulaire d’une vingtaine de disques environ sous son nom) ni
Jean-Yves Dubanton (g, voc, dont on retient les collaborations avec Patrick
Saussois et les associations avec l’accordéoniste Jean-Claude Laudat),
rappelons que Jean-Yves Lacombe (b, voc) s’est fait connaître avec Le Quatuor
(1980-2015) dont la spécialité était d’interpréter le répertoire classique,
jazz et variétés sur un mode humoristique; quant à Bruno Desmouillières
(dm, voc) il appartient au groupe Les Bons Becs (créée en 1992) qui se situe
également dans un registre parodique. On saisit dès lors
l’esprit qui anime Jazzobal Band: jouer un jazz festif et agrémenté de
paroles originales en français (sur des standards ou des compositions). Les
tenues bigarrées de l’orchestre annoncent également la couleur! Pour
autant, les intentions farceuses n’amenuisent en rien ses qualités et son swing, notamment un «Topsy» percutant introduit par Bruno Desmouillières.
Les parties chantées se sont surtout réparties entre Jean-Yves Lacombe –avec
des textes d’une poétique loufoquerie–et Jean-Yves Dubanton en crooner cabotin
(«C’est si bon», «Route 66»).

Esaie Cid, Pablo Campos, Nicola Sabato, Germain Cornet, Caveau de La Huchette, 22 août 2019 © Jérôme Partage
Le 22 août, Esaie Cid (as, Jazz Hot n°674) a réjoui le public et particulièrement les danseurs
de La Huchette, entouré d’une rythmique au swing incandescent: Pablo
Campos (p), Nicola Sabato (b) et Germain Cornet (dm). Un régal de la première à
la dernière note que l’on a pu apprécier tant collectivement que dans l’écoute
individuelle de chacun des solistes. Tout en sobriété et en intensité, l’altiste
donne chair aux mélodies et les habille d’un son velouté et de quelques
acrobaties parfois dans les aigus («Johnny Come Lately»). Pianiste
très rythmique, dont le tempérament musical révèle les racines latines, Pablo
Campos se distingue tant par la densité de ses solos («Four Brothers»)
que par son soutien dynamique en étroit partenariat avec l’excellent Germain
Cornet; les deux musiciens (respectivement de 30 et 28 ans), toujours complices, incarnant une enthousiasmante jeune garde parisienne.
On a pu profiter du drumming coloré du second tout particulièrement sur un
«Strike up the Band» pris sur tempo rapide. Quant à Nicola Sabato, son
jeu d’une grande profondeur et d’une belle musicalité, renforcés par l’expérience,
en font la clé de voûte de la section rythmique. Un chaleureux plateau, sous le signe du meilleur jazz et de l’amitié,
auquel s’est joint, au deuxième set, «notre» Gérard Naulet (p) pour
un «Out of Nowhere» aux accents, nécessairement, afro-cubains puis au troisième set, Thomas Ibanez (ts) et Corinne Sahraoui (voc), venu(e)s faire le bœuf.
Jérôme Partage Texte et photos
© Jazz Hot 2019
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OKYS René Urtreger, Sunside, 16 août 2019 © Jérôme Partage Sunside, Paris
René Urterger Trio. 16 août 2019
«J’ai toujours le désir de jouer. Ce qui est triste
quand on est vieux, c’est de ne plus avoir de désir, pour rien. Moi, j’ai
toujours ce désir-là, et d’autres également.» Voilà ce que nous confiait,
l’œil pétillant, René Urtreger (85 ans) avant de monter sur la scène du Sunside
avec ses deux habituels complices, Yves Torchinsky (b) et Eric Dervieu (dm).
Un désir de jazz effectivement intact qui se traduit dans un jeu limpide,
sobre, fait de respirations et de franches attaques, et des notes qui swinguent
de la première à la dernière. Désir aussi d’honorer les géants qu’il a
côtoyés: Bud Powell, Charlie Parker, Dizzy Gillespie (magnifique version
de «Con Alma» avec le soutien tout en finesse d’Yves Torchinsky à
l’archet). Tandis que les morceaux à tempos rapides permettent d’apprécier les
ressources rythmiques d’Eric Dervieu («Easy Does It»). Le désir était aussi dans le public –de tous âges– venu en nombre
en ce pont du 15 août, jouissant de son privilège:
entendre un maître, une mémoire du jazz!
Jérôme Partage Texte et photo
© Jazz Hot 2019
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OKYS
Othella Dallas, Ascona, 22 juin 2019 © Michel Laplace
Ascona, Suisse
JazzAscona, 20-29 juin 2019
35 ans! Il y a toujours de 11h30 à minuit des
activités musicales dans les hôtels restaurants, ainsi que le soir sur quatre
podiums le long du Lac. Il y a cohabitation de deux types de programmes mais
toujours jazz/blues: international et from New Orleans.
Commençons par la facette
internationale. Othella Dallas(-Strozier), 94 ans, née à Memphis a reçu le 13e
Swiss Jazz Award 2019 le 23 juin, jour où on a diffusé au cinéma Otello, le
film d'Andres Bruetsch, What Is Luck?,
qui lui est consacrée. Le 22 juin, elle a attiré du monde pour sa prestation en
quartet dans du blues mais pas seulement («Route 66», «September
Song»,...). Le 23 juin, à Piazza, suite de standards délivrée avec
finesse de style par Fabrizio Cattaneo (tp), Alfredo Ferrario (cl) et Marco
Raggi (ts) bien soutenu (g, b, dm). Pas moins swing, George Washingmachine (voc,
vln) et David Blenkhorn (g) étaient soutenus par David Torkanowsky (p, inspiration débordante),
Victor Nyberg (b) et Andreas Svendson (dm) à l'hôtel Castello-Seeschloss.
Dernière prestation du groupe australien, the Syncopators, à Piazzetta, le 24,
avec des remplaçants dont l'Allemand Herbert Christ (tp), dans un répertoire
jazz classique. Et plaisir de réentendre «Absolutely Positively» de
Jabbo Smith!
Répertoire très fouillé
dans la veine rhythm’n’blues/rock’n’roll (Chuck Willis, Lonnie Johnson, etc.)
par le groupe de Cat Lee King (p, voc), le 24 juin. Le combo est excellent avec
un sax ténor hurleur, Mathias Luszpinski et une rythmique qui pulse: Stéphane
Barral (b) et Simon Boyer (dm). Le 25, c'est en trio que les Fats Boys ont joué
à Piazza: Adriano Bassanini (tp, voc), Thomas Winteler (cl, ss), Brenno
Boccadoro (p). A l'hôtel Ascovilla, le 26, le seul groupe dans la pure
tradition des anciens de la Nouvelle Orléans, l'International Jazz Band de Geoff
Bull (tp, voc): Philippe de Smet (tb), John Defferary (cl), John Richardson
(p), Luc van Hoeteghem (bjo, g), Bob Culverson (b), Thomas Young (dm, disciple
de Sammy Penn): des thèmes qu'on ne joue plus ailleurs («When You and I
Were Young, Maggie», «Dream» exposé au trombone, etc). Peu
après, Ellen Birath (voc) offre un rhythm’n’blues sympathique (Solomon Burke, etc). Thomas L'Etienne (ts, cl) a introduit la
chanteuse de Philadelphie, Monique Thomas. L'accompagnement était bon et on a
remarqué la classe de Jan Luley (p) qui, en hommage à Dr. John, a chanté «Iko
Iko», version Dixie Cups. Le clou de ce domaine de la programmation a été le concert du 27 devant une foule subjuguée, du Monty Alexander Trio: Hassan J.J. Shakur (b) et Jason Brown (dm). Un début de programme typiquement Monty Alexander (swing, volubilité de jeu et changements de tempo) avec, notamment un long «The Story of the Hurricane». Puis, Monty Alexander a rendu hommage à Nat King Cole. Le 28, Al Copley (p, voc) s'est produit pour
quelques initiés non indisposés par la chaleur. Le Dutch Swing College Jazz
Band ne compte plus les membres d'origine, mais c'est toujours un répertoire
dixieland joué on ne peut plus dixieland.
Leroy Jones, Ascona, 25 juin 2019 © Michel LaplaceAbordons la particularité
fondatrice du festival que sont les artistes de New Orleans, conviés à Ascona.
Leroy Jones, Jr. y est venu à partir de 1995. Pour l'accompagner, la formation
d'Uli Wunner (cl, as) est excellente: Tom Kincaid (p), Karel Algoed (b),
Frederick Van den Bergh (dm). Ce que Leroy a développé et qu'aujourd'hui une majorité
néglige, c'est l'«individual code»: quatre notes suffisent pour l'identifier.
C'est un Leroy Jones en grande forme qui s'est produit le 25 juin sur la scèneN«ew
Orleans» («When You're Smiling», «Hindustan»,...).
Puis c'est la remise à Leroy, par Nicolas Gilliet du «Ascona Jazz Award
2019», saluée par une courte fanfare jouée par Ashlin Parker à la tête de
la Trumpet Mafia (Manolo, Michel, Annia, etc). Le 27, la famille Masakowski,
Steve (g) et ses enfants Sasha (voc) et Martin (b) ont proposé une musique délicate
sur des thèmes connus («Basin Street Blues», «Exactly Like
You», etc.). Quatre ans après son triomphe de 2015, le New Orleans Jazz
Orchestra (NOJO) fut la colonne portante de cette édition. Le NOJO, cette fois sous la
direction d'Adonis Rose, s'est aussi décliné en combos et en brass band. Dès le
22 juin, on put apprécier Leon «Kid Chocolate» Brown (tp, voc) au
sein du NOJO, complété par Ricardo Pascal (ts), Viktor Atkins (p), Jason
Steward (b) et Adonis Rose (dm) avec, pour certains titres, Steve Glenn (sousaph)
et Nayo Jones (dm). C'est sous la direction de Leon Brown, trompettiste au son
brillant (il joue une trompette King de 1934) que nous avons entendu un groupe
funky à souhait: Michael Watson (tb, voc), David Torkanowsky (p), Amina Scott
(b) et Gerald Watkins (dm). Hommages à Harold Battiste et à Dr. John («The
Monkey Speaks His Mind»). Nous retrouvons Michael Watson en quartet le
25, entouré d'Atkins, Amina Scott et Gerald Watkins. Chanteur agréable, Watson
est un tromboniste qui a la même consistance de son qu'un Trummy Young. Retour
d'Adonis Rose, le 26, avec les mêmes que 4 jours plus tôt et Michael Watson en
plus. Ce dernier a chanté un «Body and Soul» qui compte dans les
meilleurs moments. Devant une foule respectable, le big band complet s'est
produit...sans Davell Crawford (annoncé), le 28 (Viktor Atkins, p). L'orchestre
a un drive indiscutable: Barney Floyd (tp1, screamer), Leon Brown, Ashlin
Parker qui a invité Laurent Dessaints et Francesca Zuriati (tp), Michael Watson
(tb, voc), Terrence Taplin, Chris Butcher (tb), Jerome Ansari (as), Ricardo
Pascal, Ed Peterson (ts), Travari Broone (bs), Amina Scott (b), Gerald Watkins
en alternance avec le chef, Adonis Rose (dm), Alexey Marti (perc) et Steve
Glenn dans la finale (tu). Le programme nous a fait voyager de Jelly Roll
Morton à Michael Jackson. C'est l'autre clou du festival avec Monty Alexander!
L'innovation cette année
fut la résidence du 23 au 29 juin, du trompette Ashlin Parker à l’Aula
Magna du Collegio Papio. Ashlin qui a fêté ses 37 ans pendant le festival, le
21 juin, a amené avec lui sa «philosophie» Trumpet Mafia lancée en
2013: c'est le plaisir de se rencontrer, de
partager et d’apprendre. En fait c'est comme une master class: mise en
forme physique (pour une meilleur capacité respiratoire), les émissions de son
soufflées (non attaquées) et le bend, travail rythmique, les riffs en
progression d'accords (le blues), l'appel/réponse et l'appel/répétition, la «liminalité»,
la théorie musicale (la progression par quarte) et enseignement de thèmes («Li'l
Liza Jane», «And Ain't My Fault») que Trumpet Mafia a joué en
parade le 28, avec le TINOLA Brass Band local (+ Francesca Zuriati, tp). La
plus grosse parade donnée par Trumpet Mafia fut le 26 sous un soleil de plomb («Joe
Avery's Tune»). Allant de 10 à 79 ans, les membres de cette Trumpet Mafia
comptaient (avec un noyau stable et un turn over) Leon Brown, Manolo Maestrini,
Aya Takazawa, Michel Laplace, Oscar Morandi, Tiziano Codoro, Adriano Bassanini,
Jacques Rohner, Stany Andenmatten, Carlo Longo, Manuel Faivre, Laurent Dessants
(également tp), les sousaphones Andrea Menghetti et Steve Glenn
On peut ainsi comprendre
que JazzAscona poursuit son concept, le développe même, et ceci avec succès. Ce
qui prouve qu'il n'est nul besoin de faire appel aux vedettes de la pop music pour
faire (sur)vivre un festival jazz. Ici, le jazz et le blues restent rois. Et le
succès en fréquentation (malgré la canicule) fut là! Signalons donc que
l'édition 2020 aura lieu du 25 juin au 4 juillet!
Michel Laplace Texte et photos
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OKYS Marciac, Gers
Jazz in Marciac, 25 juillet - 15 août 2019
Couvrir un tel festival relève du tour de force.
Il y a la durée (22 jours) et le polymorphisme de l'offre (lieux et genres).
L'amateur de jazz est un pêcheur de perles dans l'océan. Mais des perles jazz il
y en a au Bis (place et lac, gratuit) et sous chapiteau; il faut fréquenter les
deux. Nous ne mettrons pas de frontière entre eux, ce qui rendra ici justice
aux artisans du Bis, lesquels, cette année, ont œuvré dans un quasi anonymat:
les lines up ne figurent pas dans le n°1 du magazine In Marciac... (futur nom du festival?). Plus
anonymes encore: les musiciens se produisant au Festival Off (Dixie Village,
chemin de ronde) pour ne rien dire de la scène MoJam (cour de l'Astrada) et du
Off du Off (restaurants, rues). L'Astrada (27 juillet au 13 août) dirigée par
Fanny Pagès, a une programmation indépendante en dehors de quelques
coproductions avec Jazz in Marciac (exemples: Molly Johnson, le 29/7 et David
Enhco le 9/8).
C'est un groupe très
swing qui a lancé cette mouture 2019, le Pat Giraud Reunion Quartet, à 13h45
sur la place, le 25 juillet. De la musique hot en pleine fournaise (41°
à l'ombre): «Blues de la chauffe» (!) de Pat Giraud, «Exactly Like
You», «Gee Baby», «The Cat» de Jimmy Smith,
«When I'm Beginning to See the Light», «Sunny Side of the
Street» (!), «Caravan» par Pat Giraud (org) disciple avoué de
Jimmy Smith, Nicolas Peslier (g) parfois dans l'esprit de Wes Montgomery
(«Canadian Sunset»), Eric Jaccard (dm) et le grand retour à Marciac
après douze ans d'absence de Michel Pastre (ts) toujours dans la lignée
d'Illinois Jacquet (quel son!). Puis Olivier Temime (ts, ss) a joué les
compositions ou les arrangements de John Coltrane («Summertime»,
«My Favorite Things») dans le style du quartet John Coltrane, en
compagnie de Laurent Fickelson (p), Sylvain Romano (b), Philippe Soirat (dm).
Enfin Jérôme Etcheberry (tp), devenu excellent chanteur –il ne copie
personne–, a pris le relais en compagnie de David Blenkhorn (g), Raphaël Dever (b),
Mourad Benhammou (dm). Du jazz de qualité («Sometimes I'm Happy»,
«Pennies From Heaven», «If I Could Be With You»,
«Linger Awhile», «September in the Rain»,...).
Wynton Marsalis, Veronica Swift, Walter Blanding, Marciac, 26 juillet 2019 © Michel LaplaceLe premier concert non
pop, sous le chapiteau, s'est tenu le 26 juillet. Après une prestation du
chanteur soul, Gregory Porter flanqué d'un sax tonique, Tivon Penniquott, un
moment d'exception nous a été proposé par Wynton Marsalis en quartet augmenté
de Veronica Swift (voc), une révélation. Le projet était la musique de Dizzy
Gillespie et Charlie Parker. Promesse tenue. Parker est très assimilable, ce
qui n'est pas le cas de Gillespie dont le propos n'était jamais prévisible et
que peu sont parvenus à approcher dans sa complexité et originalité (c'est par
le biais du courant Fats Navarro-Clifford Brown que la trompette bop a fait des
petits). Wynton Marsalis a «marsalisé» Gillespie, sans trahison et
loin de toute tentative de copie. Beau programme lancé par «Be Bop»,
thème typiquement gillespien et pas simple. Wynton Marsalis y a pris un solo
très véloce et technique, et Veronica Swift a immédiatement séduit par un scat
vivant, pas scolaire. Elle intervint dans le thème comme un instrument. C'est
«Anthropology» qui suivit, introduit par Carlos Henriquez (b) et
Veronica qui expose ensuite le thème en évoquant Sarah Vaughan. Beau solo de
trompette avec sourdine bol, Veronica chante «How High the Moon»
avec les contre-chants de Walter Blanding (ts), belle alternative entre Wynton Marsalis
et Dan Nimmer (p) et retour au thème en scat. Veronica Swift (née en 1994)
laisse ces messieurs interpréter «My Little Suede Shoes» exposé par
Nimmer (le pont par Blanding). Admirable solo de Nimmer avec des lignes de
basse d'Henriquez parfaites. Wynton Marsalis prend un solo avec la sourdine
straight, pas bop, plus mélodique qu'harmonique avec quelques effets en growl.
Après le bon solo de Blanding, il reprendra un court solo, suivi de celui du
batteur Francesco Ciniglio. L'ensemble reprend le thème en coda (le pont par
Henriquez). Blanding s'efface devant Veronica pour «Au Private» qui
donnera lieu à un grand dialogue entre elle et Wynton Marsalis (avec la
sourdine plunger). Retour à Gillespie avec «Dizzy Atmosphere» sans
voix et exposé à l'unisson par trompette et sax ténor. Dialogue entre Marsalis
et Blanding, bon solo grogné d'Henriquez. Veronica Swift donne une belle
version d'«Embraceable You» (très proche de Sarah Vaughan
dans le maniérisme vocal). Wynton Marsalis intervient en solo, superbe de
musicalité. C'est un thème du pianiste Hod O'Brien (père de Veronica), «The
Diffusion of Beauty» qui est exposé en scat. On y remarque les block
chords de Dan Nimmer dans son solo. Sans chanteuse, le quartet se lance dans
«Hot House» de Tadd Dameron exposé à l'unisson par les souffleurs.
Son généreux de Walter Blanding au ténor dans son solo. Belle alternative
contrebasse-batterie. Dans «Cherokee» lancé avec vivacité par la
trompette, Veronica chante les paroles dans le style de Sarah Vaughan puis
improvise en scat avec swing et inspiration. Wynton Marsalis prend un solo
curieux comme il sait aussi faire et termine de façon abrupte. Un seul bis:
«All the Things You Are»: Veronica Swift chante les paroles (beau
soutien aux balais), Wynton Marsalis prend un solo très «vocal»
avec le plunger, Blanding utilise pour la seule fois de la soirée le soprano, et
Nimmer sollicite quelques block chords. C'est fini, et on reste sidéré par
autant de talent! Gillespie et Parker ne pouvaient mieux espérer. L'un des
meilleurs concerts du festival, si ce n'est le meilleur.
 Isaiah Thompson, Sam Chess, Wynton Marsalis, Julian Lee, Alexa Tarantino, Camille Thurman, Marciac, 30 juillet 2019 © Michel Laplace Le deuxième concert de
Wynton Marsalis s'est tenu le 30 juillet et fut d'une autre nature
(compositions originales). L'instrumentation de ses Young Stars of Jazz s'y
prêtant, on a retrouvé le son de ses septets des années 1990 («No Surrender»):
outre Wynton Marsalis (tp), il y avait Sam Chess (tb), Alexa Tarantino (as,
fl), Camille Thurman (ts, ss), Isaiah Thompson (p), Carlos Henriquez (b), T.J.
Redick (dm). Julian Lee (ts) s'est ajouté à partir du quatrième morceau. Carlos
Henriquez n'est pas un nouveau, sauf comme compositeur et il a là beaucoup
contribué, notamment avec «Time to Wake Up» (introduction de
contrebasse, bon solo d'alto, appel-réponse entre Chess et Marsalis avec le
plunger), «Lost Rhythms of Our Soul» (belle alternative entre Wynton
Marsalis et Alexa Tarantino à l'alto reprenant souvent les phrases du chef) et
surtout «Moses on the Cross» qui sollicite la flûte et des passages
chantés par les membres de l'orchestre (Wynton Marsalis y a pris un solo
spectaculaire de drive). Wynton Marsalis a écrit «The Struggle to Become
Aware» où T.J. Redick a pris un solo, mais surtout aussi Sam Chess (belle
sonorité, discours bien construit, intensité allant crescendo) sur des lignes
de basse parfaite. Le meilleur fut «Something About Belief» sur
tempo lent, introduit par la rythmique (Redick aux balais). Le thème collectif
(Lee, présent, ne joue pas) sonne ellingtonien. Isaiah Thompson a pris un solo
sobre et swing, le passage d'alto et ténor (Tarantino et Thurman) est chantant,
auquel s'ajoute un Sam Chess dans le style de Lawrence Brown. Suivent une
alternative entre Tarantino (entre Johnny Hodges et Wes Anderson) et Wynton
Marsalis (avec le plunger), un solo de Carlos Henriquez (son massif genre
Mingus) et une vocalise de Camille Thurman. Superbe. Un seul bis, «Talk
About You», où Chick Corea s'est joint au groupe (Isaiah Thompson, puis
Chick Corea, puis quatre mains).
Nous avons maintenant une
relève qui commence à se distancier de l'influence initiale de Wynton Marsalis
(58 ans!). Le jeune Noé Codjia, 25 ans, a su séduire sur la place, le 2 août,
par la qualité de sa sonorité et son sens des nuances au service de solos bien
construits, équilibrés. Son phrasé est souvent véloce à la Leroy Jones: «Second
Line/Bourbon Street Parade», «When I Grow Too Old to Dream».
C'est à la Nouvelle Orléans, il y a trois ans, qu'il s'est fait des amis
(buddies) qui constituent autour de lui ce Buddy Jazz Club 5tet: Nicolas Laroza
(tb, voc), Camille Holzer (g), Nicolas Oustiakine (b, voc), Ophélie Luminati
(dm). Le soir même, 2 août, c'est sous le chapiteau que Nicolas Gardel allait
rejoindre les étoiles de la trompette. Il a œuvré à Marciac de nombreuses
années (au Bis, à L'Astrada, et comme sideman sous le chapiteau). Pour cette
prestation, il a choisi l'exigeant challenge du duo trompette et piano. Comme en
1928 entre Louis Armstrong et Earl Hines, on a trouvé la même virtuosité,
souplesse et complicité artistique entre Nicolas Gardel et Rémi Panossian. Il a
donné des morceaux originaux où il est puissant et lyrique («Dive With
Me», «The Mirror»). L'atmosphère peut être sombre comme dans
«EMY (Endless Memory of You)» (discrète influence classique). La
recherche sur le son, sans excès, c'est par exemple le début ad lib
d'«Amaterasu» où il place le pavillon au-dessus de la table d'harmonie du
piano. Mais Nicolas Gardel, c'est surtout un son de trompette (charnu, chantant),
un drive foudroyant, des facilités dans l'aigu et, par ailleurs, beaucoup
d'inspiration dans l'improvisation, le tout convenant au jazz qu'il a délivré
dans «I Fall in Love too Easily» (quelques growls, mais surtout
virtuosité et swing), «I Got Rhythm» (Panossian a le même niveau et
swingue), «Lean on Me» –intégrant «Things Ain't What They Used
to Be»– (inflexions, drive et en coda, shakes vers l'aigu),
«Caravan» et en bis «Autumn Leaves» (avec sourdine
harmon). Le public copieux et réceptif leur a fait un triomphe.
 Mozes, Nonnie et Stochelo Rosenberg, Marciac, 27 juillet 2019 © Michel Laplace
Sous le chapiteau, la
guitare fut à l'honneur. Les trois premiers morceaux du spectacle de George
Benson sont toujours les plus intéressants car ils rappellent le bon guitariste
qu'il a été, sa sonorité personnelle est intacte (27/7). Avec la famille
Rosenberg, on n'est jamais déçu. Au trio réduit à deux (Stochelo, g, Nonnie, b)
fut ajouté en diverses combinaisons, du duo au quintet: Mozes Rosenberg (g,
plus jeune frère de Stochelo), Johnny Rosenberg (g, voc) et Sani van Mullem
(b). Le répertoire choisi est vaste allant de Django Reinhardt (2e bis:
«Minor Swing») à Stochelo Rosenberg («For Sephora» en
bossa) et Mozes Rosenberg («Mozology») en passant par Stevie
Wonder. Les standards comme «Stomping at the Savoy» et «I Got
Rhythm» sont «reinhardtisés». Stochelo (toujours en premier)
et Mozes se relayent en solo. Johnny est strictement rythmique, mais il est
aussi un bon crooner («The Old Fashion Way» de Charles Aznavour,
«My One and Only Love», «I Got Rhythm» où il vocalise à
l'unisson avec la guitare de Stochelo). Une soirée virtuose et swing (31
juillet). Le relais fut passé au RP Quartet qui avec un savoir-faire
sympathique font (sur)vivre «la musique de Django» dans un
répertoire qui va de Django («Nuages», «Blues en
mineur», «Minor Swing») à John Coltrane (son arrangement de
«Body and Soul», 1960; «Giant Steps»): Bastien Ribot
(vln, disciple de Didier Lockwood), Edouard Pennes (g solo), Rémi Oswald (g),
Damien Varaillon-Laborie (b) (1er août).

Cécile McLorin Salvant, Marciac, 10 août 2019 © Michel Laplace
Pour le piano, Pierre Chrisophe (2 août) en
compagnie de Sébastien Girardot (b) et Laurent Bataille (dm, cga) a été un
parfait guide de l'œuvre méconnue d'Erroll Garner qu'il interprète
parfaitement. Son travail est pédagogique car il fait revivre
«Dreamy», «Way Back Blues» (main gauche low down), et pas seulement «Misty»
et «Play Piano Play». Il illustre musicalement la filiation entre
Garner et, vedette locale, Ahmad Jamal (du temps de sa splendeur
artistique-années 1950) dans «Afinidad» et «Mood
Island». Le 8 août c'est en vedette que Pablo Campos s'est présenté en
quartet (David Blenkhorn, g, Viktor Nyberg, b, Philip Maniez, dm) dans la
tradition du pianiste-chanteur à la Nat King Cole. En fait sa voix évoque celle
d'Harry Connck, Jr. («At Long Last Love» de Cole Porter, très bon
solo de basse). Un seul instrumental bien venu. Le soir même, un géant a œuvré:
Kenny Barron en trio (Kiyoshi Kitagawa, b, Jonathan Blake, dm). Finesse
d'interprétation et swing, on retiendra «How Deep Is the Ocean?»
(bon jeu de balais de Jonathan Blake), «Bud Like» de Kenny Barron dans le style de
Bud Powell (et bon solo de batterie) et «Cook's Bay» en bis. En
piano solo Kenny Barron a joué un Medley Ellington-Strayhorn qui lui va
parfaitement («Lotus Blossom»/«A Flower Is a Lovesome
Thing» /«Melancholia»/«Star-Crossed Lover»).
Le concert hommage à Michel Petrucciani fut mené tambour battant (15 titres et
un bis en dehors des souvenirs émouvants d'Aldo Romano). Onze musiciens avec
une combinaison différente pour chaque morceau. Pour le swing, nous retiendrons
Laurent Coulondre en piano solo («Take the A Train»), le même à
l'orgue Hammond avec Flavio Boltro (tp), Philippe Petrucciani (g) et Lenny
White (dm) («Play Me» de Michel Petruciani), un Jacky Terrasson
monkien (!) en compagnie d'Airelle Besson (tp), Géraldine Laurent (as) et un
tandem qui fonctionne, Géraud Portal (b) et Lenny White (dm) («Hommage à
Enelram Atsenig» de Michel Petruccini). Enfin pour l'épaisseur de son de
Joe Lovano (ts) son duo avec Terrasson sur «Body and Soul». C'est
Franck Avitabile qui a débuté, seul, le concert dans un style proche de Michel
Petrucciani («J'aurai tellement voulu» de Frédéric Botton). Même
s'il est co-vedette, nous signalons ici la classe considérable du pianiste
Sullivan Fortner, passé le 10 août sous le chapiteau avec Cécile McLorin-Salvant. Non pas que la chanteuse n'a pas été superbe de talent. Elle a
beaucoup gagné en présence scénique, et ses qualités d'interprétation
l'installent dans les indispensables du moment. Cécile McLorin-Salvant a un incroyable
contrôle de sa voix et des nuances (influence classique). Son registre grave,
le phrasé et quelques maniérismes rappellent Sarah Vaughan. Sa diction est impeccable.
Mais son récital n'aurait pas atteint ce niveau expressif sans l'incroyable
virtuosité et l'inspiration de Sullivan Fortner. Comme elle, il a une palette
globale qui va, pour lui, de l'impressionnisme classique («à clef»
de McLorin) au stride (ballade écossaise «The Raggle Taggle Gypsies-O»)
et feeling blues («Nothing Like You» de Bob Dorough), avec
puissance («Ghost Song» de McLorin) et un son massif («Wild Is
Love» de Nat Cole). Ils passent de la chanson réaliste au jazz avec
naturel, comme s'il s'agit d'un même genre. D'où un répertoire œcuménique qui
est en phase avec le temps présent et qui va de Kurt Weill à Sting en passant
par Big Bill Broonzy (1er bis: «Black, Brown & White»)
et Jacques Brel. Restons dans la voix, pour indiquer que la réussite de cette
soirée vient aussi d'une première partie confiée à Eric Bibb. En dehors de deux
chants à tendance folk («On My Way to Bamako» et en bis, «Needed
Time») et d'une séquence sénégalaise avec Lamine Cissokho (kora, voix)
l'espace de quatre morceaux (dont un de Leadbelly, «Bring a Little Water,
Sylvie»), Eric Bibb nous a donné du blues low down comme, hélas!, on en entend peu aujourd'hui: seul au début
dans «Goin' Down Slow», puis «Turner Station» (swing!),
«Come Back, Baby», «In My Father's Home», avec Carl Orr
(g), Neville Malcolm (b), Paul Robinson (dm).
Au nombre des bonnes surprises,
il y eut le Meeting quintet, passé en effectif complet le 30 juillet matin:
Malo Mazurié (tp), Giacomo Smith (as, cl), Bastien Brison (p), Edouard Pennes
(b), David Grebil (dm). Programme orienté swing avec deux souffleurs virtuoses:
«You Do Something to Me», «When I Grow Too Old to Dream»,
«Can We Be Friends?», «Muskrat Ramble», «Kiss Me
to Build a Dream On» (sans Mazurié), «I May Be Wrong But I Think
You're Wonderful», «Liza», «New Orleans», etc. Le
6 août, nous retrouvons Mazurié, Pennes et Grebil (directeur artistique) dans le
Gumbo quintet avec Pablo Campos (p) pour accompagner l'agréable Cecil L.
Recchia dans des arrangements parfois inattendus de thèmes de la Nouvelle
Orléans d'aujourd'hui («St. James Infirmary» sur tempo vif avec
scat; «Bourbon Street Parade» à la Jamal).
En bref, Baptiste Herbin
(as) s'est inspiré du disque Cannonball Adderley Quintet in Chicago
(6/8, intéressante suite «Dis Here»/«Stars Fell on Alabama»/«Limehouse Blues», avec introduction à la Bobby Timmons de Simon
Chivallon), Géraud Portal a restitué le son massif de contrebasse et les
couleurs orchestrales de Charlie Mingus en quintet sans piano (6/8: Quentin
Ghomari, tp -clarté à la Clarence Shaw, César Poirier, as lyrique et plus sage
que Dolphy, Boris Blanchet, ts, Lucio Tomasi, dm: «Haitian Fight Song»,
la belle ballade «Self-Portrait in Three Colors»), Philippe Léogé a
proposé en quintet l'ambiance Blue Note et d'Horace Silver avec Adrien Dumont (flh,
lignée Art Farmer) (12/8: «Gregory Is Here» de Silver, «Driftin»
d'Hancock, etc.) et c'est dans des compositions originales comme «Blueland»
(de Gérard Poncin) et «La Route bleue» (Poncin-Cabrol) que
Jean-Michel Cabrol (ts) a dévoilé un genre charnu à la Fats Theus (12/8).
Du
côté world/pop/rock qui a un public, Orlando Poleo a présenté Laurent Maur
(hca, disciple de Toots Thielemans) et Renaud Palisseaux (p, bon «Round
Midnight», 5/8), Christian Scott (tp) dont l'ambition est de «redefine
what this music means» a mis en vedette l'excellent Lawrence Fields
(p) et l'impressionnant Max Mucha (b) dans «West of the West»
(7/8), l'Australien Alex Stuart (g) a su mettre en valeur l'excellente sonorité
d'Arno de Casanove (tp) aux côtés d'Irving Acao (ts, p) (12/8, «An
Afternoon With Kiefer»)
Comme chaque année, c'est
le Festival Bis qui clôt l'événement (14-15/8) et cette fois par du blues.
Alexis Evans (g, voc), de Bordeaux, interprète ses compositions («Keep
the Good Time in Your Mind», slow soul type sixties: «Come Home
With Me»). Il chauffait l'assistance pour la prestation de Gladys Amoros
(voc) excellemment entourée (Michel Foizon, g, Nico Wayne Toussaint, hca,
Jean-Luc Fabre, b, Romain Gratalon, dm). Le moment de grâce fut lorsque Gladys
Amoros a rendu hommage avec conviction à son idole Carrie Smith qu'elle a
entendu dans la salle des fêtes de Marciac le 20 décembre 1997 («Smoke
Like You»). La dernière prestation a donné lieu à un bœuf des deux
groupes (Robin Magord, org, du groupe Alexis Evans, a des qualités) et les
dernières notes sont «What a Wonderful World» (on peut rêver).
Les conditions
climatiques n'ont pas été idéales et expliquent en partie une fréquentation
variable. Mais, les concerts ci-dessus décrits resteront des temps forts dans
l'histoire de ce festival.
Michel Laplace Texte et photos
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OKYS
Toulon, Var
Jazz à Toulon, 30e Edition, du 19 au 28 juillet 2019
Yes,
we can!!! La formule, quoique bien usée, pourrait être la devise de l’équipe du
COFS qui faisait le pari, une certaine année ’89, de mettre sur pieds un festival
de jazz entièrement gratuit, à deux pas des grandes machines de la Côte-d’Azur.
Débuts discrets, mais la presse a vite fait de s’attacher à ce «Jazz is Toulon» devenu «Jazz à Toulon»
qui se démarque par sa volonté d’ouverture au public le plus large sans céder aux
effets de mode.
Et
trente ans après, par l’addition de volonté et de bonnes volontés,
d’engagement, de programmation de qualité, juillet respire encore le jazz, un
jazz rassembleur et convivial qui remue l’amateur comme le passant curieux. La
ville se prête au jeu, avec ses places qui trouent le lacis des ruelles du port;
pas de problème pour les décors: une longue histoire a parsemé la vieille ville
de façades idéales qui jouent avec la lumière, tandis que la grande scène du
Mourillon s’offre l’horizon de la mer…
L’édition
2019 s’inscrit dans la continuité des 29 autres: donner à découvrir ce qui
émerge de la scène jazz locale, nationale ou internationale, que ce soit à la
marge ou in the tradition, faire
voyager, enrichir, surprendre… Cette année, 17 groupes se partageaient la
tâche, des animations ambulantes aux concerts de l’après-midi et du soir. Les
tendances: du côté de la tradition revisitée, le public pouvait suivre
dès le matin dans les travioles du port le quartet Swing Pocket Manouche pour
une balade sur la piste de Django, ou s’offrir un petit détour par New Orleans
en croisant l’Angel City Players de Michael Steinman sur un répertoire teinté
de funk. En point d’orgue de cette édition très spéciale, la soirée dédiée de l’hommage à Michel Petrucciani qui illumina de la plus belle des manières la première édition, il y a 30 ans…
30e Jazz à Toulon, hommage à Michel Petrucciani: Stéphane Bernard, Louis et Philippe Petrucciani, Sylvain Ghio, Jazz à Toulon, 28 juillet 2019 © Ellen Bertet
Mais avant d’en venir à ce concert plein de nostalgie, petit rappel du programme de cette 30e édition: parmi les «apéro-concerts», le jazz
manouche a été représenté avec talent par Caravancello (Florian Antier, cello; Bruno de Vuono, bcello, Olivier Ingargiola, perc), trio de deux violoncelles et un
batteur-percussionniste pour une relecture très originale et virtuose de
chansons populaires, et le quartet de Sonia Winterstein sur un répertoire très
swing de standards et de traditionnels manouches (Sonia Winterstein, voc; Lorenzo Perez, g; Antoine Borgniet, b; Iillias Baseilhac, dm)
Roots encore, avec le trio Po’ Boys, groupe
festif et local de trois compères fous de blues, qui nous en content l’histoire
avec énergie par les voix de Claude Philip dit «Poupa Claudio»
(voc, g), Didier Francisci dit «King Didou» (voc, hca), Philippe Thevenin dit
«Daddy Yoggy» (perc).
Nostalgies. Le quartet Ananda Revival (Romain Thivolle, g; Geoffrey Nicolas, kbd; Jean-Christophe Gautier, b; Rudy Piccinelli, dm) est une
fusion de générations réunies autour d’un projet, faire revivre le jazz
électrique des années 1970, avec deux vieux routiers des circuits jazz et deux
jeunes musiciens passionnés, tandis que Spirale trio tourne avec bonheur son
regard vers un jazz acoustique inspirés des années 1980 avec Laurent Rossi (p),
Philippe Brassoud (b), Jérôme Achat (dm).
Précédant l’hommage à Michel
Petrucciani, le trio acoustique d’Alexis Tcholakian (Alexis Tcholakian, p; Lilian Bencini, b; Cedrick Bec, dm) délivre une musique fluide
et apaisée, où se mêlent standards, thèmes de Michel Petrucciani et ses
compositions personnelles, que l’on retouvera sur le volume 2 d’Inner Voice, un enregistrement qui sort en septembre prochain.
Les concerts du soir ont, comme à l’habitude, fait quelques détours par l’Afrique, la terre ancestrale, mais aussi par l’Amérique latine, l’Europe et les Etats-Unis, avec la mauvaise surprise (à Toulon, la pluie est rare) d’avoir eu à annuler le concert de Kenny Garrett le 27 juillet… Petit rappel de ce tour du monde:
Le 19 juillet, pas de jazz sans l’Afrique! le
retour aux sources est assuré par Manu Dibango qui, à 85 ans, guide toujours
l’afro-jazz à la tête de son Soul Makossa Gang, avec en special guest Manou
Gallo, ex bassiste de Zap Mama. Energie et partage restent les leitmotiv de
Papa Groove, qui poursuit son chemin de passeur infatigable entre l’Afrique,
l’Europe et les USA.
Le 20 juillet, sur un autre versant de la mixité
musicale, l’Afro Blue Project du chanteur et compositeur britannique Randolph
Matthews est à la fois héritier de la soul, du jazz new orleans et du blues
contemporain électrique. Avec une forte personnalité scénique, Randolph
Matthews joue de sa voix et de son corps avec une gestuelle, un scat et des
vocalises qui évoquent fortement Bobby McFerrin.
Le 22 juillet, le tour du monde se poursuit et on
aborde le continent du jazz latin, avec le pianiste franco-péruvien et enfant
de Toulon Manu Guerrero. Longtemps sideman de vedettes de la variété française,
il se tourne avec bonheur vers le jazz avec son dernier album Nuevo
Mundo.
Le 23 juillet, à un peu moins de 30 ans, la chanteuse
franco-brésilienne Agathe Iracema a déjà une longue expérience de la scène,
elle écrit ses thèmes et dirige son groupe depuis 2011. Ses atouts sont
nombreux et indéniables: une voix naturelle et tonique, un vrai feeling et une
facilité d’expression aussi bien dans le jazz que sur les bossas, ses deux
cultures.
Le 24 juillet, Django toujours, qui fut un familier des places toulonnaises, sous les doigts du
surprenant trio de Théo Ceccaldi (vln),
Valentin Ceccaldi (cello) et Guillaume Aknine (g). Victoire de la musique 2017, Théo Ceccaldi
réunit des influences très diverses, classique, jazz, musique improvisée et
jusqu’au rock, pour une musique très travaillée, baroque et exubérante. Une création
aux divagations réjouissantes.
Le 25 juillet, cross over jazz-classique avec la
belle rencontre entre le quintet de Riccardo del Fra et l’Orchestre Symphonique
de l’Opéra de Toulon. Rencontre improvisée, mais pas un territoire étranger
pour Riccardo qui, issu du conservatoire, a gardé des liens avec le monde du
classique tout au long de sa carrière dans le jazz.
Le 26 juillet, Tony Allen, pionnier et prophète de
l’afro-beat, illustre un troisième volet de cette capacité à s’imprégner de
cultures pour en extraire un élixir personnel. Après un parcours dans le funk,
Tony Allen revient à un jazz cuivré avec son dernier disque, The Source,
en hommage à Lester Bowie et Charlie Mingus.

Louis et Philippe Petrucciani, Jazz à Toulon, 2019 © Ellen Bertet
Nous nous sommes concentrés sur l’événement de la 30e saison de Jazz à
Toulon qui se clôt sur le concert «coup de cœur», l’hommage à Michel
Petrucciani, porté par ses deux frères Philippe (g) et Louis (b), et le quintet
composé de Stéphane
Bernard (p), Sylvain Rifflet (s), Olivier Miconi (tp), Mathias Allamane (b) et
Sylvain Ghio (dm), dont certains anciens élèves des workshops des années 1990. Cette rencontre unique, préparée pour
le festival, était un double anniversaire: celui de la venue de Michel
Petrucciani à Toulon lors de la création en 1989, et un autre, plus triste,
celui des 20 ans de la disparition du pianiste en 1999.
Pour évoquer la carrière musicale de leur
frère, Philippe et Louis Petrucciani se présentent en scène, seuls, Louis
d’abord pour un solo de contrebasse, puis Philippe à la guitare pour un «Brazilian
Like» tout en nuances, porteur de souvenirs. Le quintet les rejoint et
les suit sur quelques thèmes, puis occupe seul la scène faire revivre le
répertoire de Michel Petrucciani. Les «jeunes» ont avancé dans la
vie et dans l’expression, mais ont en commun une solide culture jazz: Olivier Miconi (tp) a été aperçu dans le Mojo Workin’ Band, une fanfare jazz aux
accents caribbéens, et dans l’Attica Blues Big Band d’Archie Shepp. Sylvain
Rifflet, titulaire d’un Django d’Or, ne compte plus les expériences et les
incursions dans la musique expérimentale, sinon minimaliste. Mathias Allamane
est un multi-instrumentiste et sideman recherché pour son adaptabilité,
bassiste préféré d’Eric Legnini. Sylvain Ghio, batteur et percussionniste virtuose,
d’une musicalité assez étonnante, complète la rythmique. Le rôle principal a été confié à Stéphane
Bernard, dont le jeu, resté dans la ligne d’un jazz classique, précis et
volubile, se prête idéalement à l’évocation du pianiste disparu.
Ce fut un hommage, parfois grave mais
sans tristesse, sans contrainte non plus, chacun prenant sa part de liberté
autour des thèmes de ou immortalisé par Michel Petrucciani : «Training»,
«Estate» ou «100 Hearts»… Tout le monde se rassemble
autour de Philippe et Louis Petrucciani sur «A Little Piece in C for
You» pour un final généreux, joyeux et très applaudi.
Olivier Miconi, Stéphane Bernard, Sylvain Rifflet, Mathias Allamane, Philippe Petrucciani, Jazz à Toulon 2019 © Ellen Bertet
Une conclusion très émouvante pour cette édition-anniversaire de Jazz à Toulon: en ces temps où la culture et la mémoire ne
pèsent plus très lourd dans la vision de technocrates mercantiles, et où
«gratuit» sonne comme un blasphème ou un label de médiocrité, Jazz à Toulon renverse les préjugés, et reste une respiration essentielle, une exception culturelle à la française qui démontre que Yes, we can!!!
Ellen Bertet Texte et photos
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OKYS
Chucho Valdés, Marseille Jazz des Cinq Continents 2019, © Michel Antonelli
Marseille, Bouches-du-Rhône
Marseille Jazz des Cinq Continents, 17-27 juillet 2019
Il est
agréable de constater que pour fêter en fanfare sa 20e année, le festival
de Marseille a mis les moyens et multiplié les performances. Désormais il
intègre dans sa mission une série de partenariats avec des concerts et
événements qui se déroulent dans tout le département des Bouches-du-Rhône et
dans des parcs marseillais. Dès le 8 juin, Carry-le-Rouet ouvrait le ban avec
un concert de Kellylee Evans, tandis que la diva Melody Gardot clôturait cette édition dans les Jardins du Palais Longchamp. Au programme, plus de 40
formations allant du soliste à l’énorme plateau des 12 formations de John Zorn (soit plus de 30 musiciens). La qualité des prestations fut servie tant par des
jeunes formations issues de la région (Nicolas Koedinberg Quintet) que par l’immense
star internationale, Chucho Valdés. Expositions, films et conférences ont complété
les événements dont un bon nombre en accès gratuit.
Le
festival fut lancé par un concert gratuit, le
17 juillet, qui rassembla un vaste public. Le lieu symbolique du Parvis des
Archives et Bibliothèque Gaston-Defferre s’est transformé en un espace festif
parfait pour accueillir un plateau aux multiples langages allant du groupe Delgrès,
du duo de Mino Cinelu (perc)/Nils Petter Molvaer (tp) pour se terminer en
beauté avec la rencontre du groupe Papanosh qui accueillait Roy Nathanson (s,
voc) et Napoleon Maddox (voc).
Se
voulant ancré dans un courant moderne, ouvert aux influences des musiques
actuelles et du monde, l’esprit du festival était symbolisé par la carte blanche offerte à
l’accordéoniste Vincent Peirani, le 18
juillet, qui combinait un riche mariage entre le jazz et des thèmes de
différents pays servis par un plateau international avec le pianiste cubain, Harold Lopez Nussa, le batteur italien, Michele Rabia, le saxophoniste syrien, Basel
Rajoub, le guitariste norvégien Elvin
Aarset, soutenus par Vincent Segal (cello, b), Ballaké Sissoko (kora) et
Stéphane Huchard (dm). Avec simplicité et talent, l’accordéoniste, a rempli son contrat en nous faisant voyager de l’Italie au Mali, en passant
par le Brésil, la Serbie ou encore les terres celtiques. Sur la Corniche, dans le cadre à l'antique du Théâtre Sylvain, cette création trouva le lieu idéal pour recevoir une
véritable ovation.
Thomas Dutronc (g) et ses Esprits Manouches, le 19 juillet, et Chilly Gonzales (p,
voc), le 20 juillet –concerts
complets– firent aussi vibrer les gradins où un public de tous âges et très
enthousiaste partagea son plaisir.
Les
toits du Mucem et du Fort St-Jean ont accueilli, le 21 juillet, en front de mer, les prochaines escales offertes par
Samy Thiebault (ts) avec son nouveau projet Caribbean
Stories, le trio d’Omri Mor (p), le duo d’Elia Duni (voc) et Rob Luft (g) et
un final flamboyant du Donny McCaslin (ts) Quintet qui revisitait son nouvel
album, Blow.
Le 22 juillet, pour le
retour sur la grande scène des Jardins du Palais Longchamp, le festival fit le
pari de remonter sa production Marius et
Fanny, un opéra jazz à partir de l’œuvre de Marcel Pagnol, dont la musique a été composée par Vladimir Cosma, où brilla un tonique big
band autour des voix de d’Hugh Coltman, Irina Baïant, André Minvielle, The
Voice Messengers et du conteur Tom Novembre.
Le 23 juillet, en lever de rideau du splendide Marcus Miller, le
jeune chanteur José James rendit hommage à Bill Withers dans un rhythm’n’blues
lorgnant vers le rap; à signaler, le guitariste Marcus Machado évoquant
l’âme de Jimi Hendrix. Marcus Miller (eb), comme à son habitude, fut brillant
et proposa l’intégrale de son Laid Black
Tour 2019 évoquant aussi l’esprit de Miles Davis avec la reprise de «Bitches
Brew». Un grand groupe de funk/rhythm’n’blues au service d’un son moderne
où chacun des musiciens eut son moment de gloire.
La
soirée du 24 juillet célébrait les
20 ans de la Cie Nine Spirit, dirigée par Raphaël Imbert (s) et
présenta la continuité de leur travail aux racines du blues avec comme invité
spécial le guitariste-chanteur Eric Bibb. Le gâteau d’anniversaire fut à la
hauteur de ses espérances. Autre tradition, plus proche du rock, The Good, the
Bad and the Queen, animé entre autres par Damon Albarn (chanteur de Gorillaz)
emprunta des formes inédites pour célébrer leur dernier album Merrie Land et offrir une version riche
et bigarrée notamment avec l’apport du batteur Tony Allen.
Le voyage continua, le 25 juillet, avec le septet du
guitariste Juan Carmona qui chauffa l’atmosphère dans l’attente du magnifique Chucho
Valdés.
Le pianiste cubain, habitué du festival proposait son projet Jazz Bata véritable machine rythmique
des traditions cubaines ou chacun des percussionnistes nous enivra de sa folie.
En grand maître de cérémonie et avec un talent inégalé, Chucho Valdés invita Yilan
Cañizares (vln) et Kenny Garrett (ss, ts) qui chacun excellèrent sur des tempos dansant
et festifs. Autre invitée de marque pour deux titres, la légendaire chanteuse
Omara Portuondo dont le charme opère toujours et qui, avec son «Besame Mucho»,
fit lever le public. Chucho Valdés évoqua aussi la musique
de son ami Michel Legrand, avec lequel il avait partagé en duo cette même scène
et «tous les moulins de nos cœurs» firent des grandes envolées. Chucho Valdés a
sans doute donné ce soir-là l’un de ses
meilleurs concerts depuis son époque d’Irakere.
Le
26 juillet, changement d’atmosphère
avec un plateau entièrement composé par John Zorn (as) qui présenta 33
musiciens répartis en une douzaine de formations et/ou solistes qui gravitent
autour de sa planète musicale. Le projet baptisé Bagatelles Marathon (petite forme musicale dans la musique
classique) est devenu motif à démontrer que les musiques, même dites ardues,
peuvent se jouer devant un large public. Les différentes formules, dont
certaines purent paraître difficiles, remportèrent l’adhésion du public qui
pour ce marathon musical eut l’occasion d’être assis.
Et
c’est une soirée féminine qui clôtura cette 20e édition, le 27 juillet. Sous un ciel menaçant, Fiona
Monbet, jeune virtuose du violon, subjugua le public dans un répertoire issu de
son nouvel album Contrebande. De
tradition plus classique, elle rejoint l’esprit de ses maîtres, notamment
Didier Lockwood. Son jeune quartet est à suivre.
Melody Gardot,
toujours classe, nous offrit une version plus acoustique de son Live in Europe. A ses côtés, outre le
violoncelle Artyom Manukyan renforcé d’un trio de violonistes arméniens qui
donnèrent une couleur particulière au répertoire, le guitariste Longue Mitchell
apporta une grande liberté. La soirée était parfaite
jusqu’au moment où hélas le concert, sous la pluie, dut s‘interrompre.
Marseille
Jazz des Cinq Continents, par son amplitude, fait désormais parti des grands festivals. Son
ouverture vers le public, par des manifestations gratuites, mais aussi des
participations à différents concerts hors les murs et une programmation variée comme
avec John Zorn, s’inscrit désormais dans les moments forts de l’été sudiste. Remarquons l’implication grandissante de son rôle de production sur certains des
projets qui vont sans aucun doute tourner en dehors du Sud dans les temps à venir.
Michel Antonelli Texte et photo
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La carrière couverte de Jazz in Langourla © Yves Sportis
Langourla, Côtes-d’Armor
Jazz in Langourla, 2-4 août 2019
Langourla est un charmant petit village, de 500 habitants aujourd’hui, niché au cœur de la Bretagne et du Mené dont l’existence remonte sous ce nom à l’an 1000. Il existe depuis peu un regroupement de plusieurs villages, la commune nouvelle du Mené. Non loin de la forêt légendaire de Brocéliande (au sud-est), sa principale activité reste l’agriculture, et sa population vit d’abord de l’agriculture et de l’industrie agro-alimentaire. Autour de la Mairie, de l’Eglise St-Pierre, de l’ancienne Tour St-Eutrope (XIIIe siècle) et du Café Le Narguilé, à l’origine du festival, se démène depuis plus de 20 ans, une équipe de bénévoles animée avec constance et conviction par Marie-Hélène Buron et Gildas Le Floch. Elle a donné vie à l’un des principaux événements jazzique de Bretagne, Jazz in Langourla qui en est à sa 24e édition cette année. Le jazz déborde aujourd’hui le cadre du seul festival de Langourla, car la solidarité des communes, des édiles des différents échelons administratifs et des habitants du Mené a permis de créer un engouement pour le jazz au pays du Mené, du 26 juillet au 9 août 2019, dont Jazz in Langourla est le temps fort. Il existe plusieurs associations, au-delà de l’équipe de Jazz in Langourla pour assumer tous les besoins de l’ensemble des activités culturelles de ce petit coin de paradis, en particulier une pour la logistique économique et matérielle (Office de développement culturel du Mené), une pour la restauration, etc. Tout ce beau monde, bénévole pour la quasi-totalité, s’agite pour donner à la vie locale un supplément d’âme, de convivialité, dans une atmosphère apaisée. Là, réside la performance car beaucoup d’entités interviennent en harmonie. On comprend mieux alors la réussite de cet événement et la création du spectaculaire cadre champêtre du festival, à 300m de la Mairie, une ancienne carrière en amphithéâtre à côté d’un petit lac, aujourd’hui couverte qui permet le bon déroulement quels que soient les caprices d’un climat, clément au demeurant le plus souvent dans cette plaisante contrée. Enfin, la dernière particularité de ce cœur de Bretagne, est la présence non négligeable d’une population d’adoption, anglaise principalement, et pas seulement de retraités. Il n’est pas rare d’entendre l’accent d’outre-manche se mêler aux conversations ordinaires des festivaliers au Narguilé, le bar-épicerie qui anime le village, le point chaud des after hours qui se prolongent chaque soir jusqu’à 3h du matin et plus si affinités, avec comme maître de cérémonie, Patrick, l’hôte idéal de ces fins de nuit parce qu’il garde l’esprit et son calme dans un lieu qui ressemble à la cabine des Marx Brothers dans Une Nuit à l’Opera. Cette année, les Belmondo boys comme l’orchestre de Raul De Souza et la formation de Claire Michael s’en sont donnés jusqu’à plus soif dans la jam animée avec talent par le trio de Dexter Goldberg. Nous n’avons pas assisté à la dernière soirée avec la formation Les Doigts de l’homme, et dont le point d’orgue était le concert avec Alain Jean-Marie et Sara Lazarus (Gilles Naturel, b; Philippe Soirat, dm); nul doute que la fête s’est prolongée tard dans la nuit en conclusion de cette édition.
Le Narguilé est aussi le lieu où les deux premiers jours se déroule le tremplin du jazz, une confrontation entre quatre groupes dont l’heureux élu inaugurera en 2020 la prochaine édition, comme ce fut le cas cette année pour l’excellent groupe Ultra Renard (Lucas Robin, vln; Morgan Bonnot, g; Priscilla Popiolek, g; Benjamin Clément,b) au milieu du village du Festival, en ouverture de cette 24e édition: au menu, le répertoire de Django Reinhardt intelligemment modernisé de «Nuages» à «Place de Brouckère» parmi d’autres classiques, des standards du jazz comme «Honeysuckle Rose», et, très réussi, un «Fable of Faubus» de Charles Mingus. Une découverte!
Pour le premier soir, c’est Sébastien Giniaux (g), l’animateur de la master class, et Cherif Soumano (kora) qui ont inauguré la grande scène d’une carrière bien remplie (la capacité est d’environ 500 à 1000 personnes selon les besoins) dans un duo intitulé «African Variations». Si ces deux musiciens, en particulier Cherif Soumano, sont des virtuoses de leur instrument, ce fut très long à notre goût en raison d’une volonté de démonstration technique, au détriment de la musicalité, qui n’a pas sa place dans un festival de jazz.
Belmondo Quintet: Eric Legnini, Sylvain Romano, Stéphane et Lionel Belmondo, Tony Rabeson, Langourla, 2 août 2019 © Yves Sportis La démonstration a ravi cependant le public qui en a redemandé, décalant sur le tard l’intervention du groupe phare de la soirée, le Belmondo Quintet (Stéphane, tp, flh; Lionel Belmondo, ts, ss; Eric Legnini, p; Sylvain Romano, b; Tony Rabeson, dm). Ce all stars a répondu à l’attente, malgré le refroidissement de l’atmosphère, très sensible pour les musiciens et le public. Si le concert en a quelque peu pâti, les musiciens ont délivré une belle musique, souvent intense, avec un premier thème attaqué à la conque par Stéphane, dédié à Yusef Lateef, en fait très coltranien dans l’esprit (en particulier par le son de Lionel, le jeu de Tony Rabeson). Le second thème, de Yusef Lateef himself, «Soul Backery», plus enlevé, puis avec un autre thème, en up-tempo dédié à Elvin Jones, et dont la forme restait coltranienne sur le fond. Stéphane Belmondo fit ensuite admirer sa sonorité au bugle, exceptionnelle, sur un beau standard, sans Lionel, avant de terminer sur un thème de Lionel où il a fait apprécier sa sonorité de saxophoniste, durablement marquée par l’univers coltranien. La section rythmique du quintet a été à l’unisson de ce bon concert, avec un excellent Tony Rabeson, parfait dans ce registre musical, d’intéressants Eric Legnini et Sylvain Romano. Quelques chorus leur ont permis de démontrer des qualités de sons et d’inspiration de haut-niveau. La fraîcheur de cette nuit n’incita pas au rappel, et c’est avec empressement que tout le monde, public, musiciens et organisation se retrouvèrent au Narguilé pour une nuit de musique, hot sur tous les plans.
Le lendemain, c’est le trio vocal, La Vie en rose (Virginie Coutin, perc; Marie Mercier, p; Sophie Druais, b) qui ouvrit le bal en fin d’après-midi au centre du village du festival, dans un registre chanson jazzy. Le public apprécia une prestation pleine d’énergie et d’humour.
Claire Michael ouvrit la soirée sur la grande scène, avec une musique très écrite avec son compagnon de longue date, Jean-Michel Vallet, p. La matière se présente comme inspirée, encore une fois par John Coltrane, brillamment soutenue par un bassiste électrique de talent, Patrick Chartol, et un splendide batteur, Isaias Zaza Desiderio. En fait, malgré une sonorité de saxophones (Claire joue de tous les saxophones, de la flûte et chante ou vocalise) qui évoque le John Coltrane de l’album Crescent, les compositions et l’esprit font plutôt penser à un autre descendant de «saint John», Pharoah Sanders, bien plus qu’à Wayne Shorter revendiqué dans le programme. Claire Michael présentait à Langourla son nouveau projet, un ensemble de pièces courtes, modales, qui misent sur l’intensité du son, l’écriture soignée, les atmosphères. La puissance de la première inspiration fait place à une légèreté aérienne de ton à peu près générale («Vers la lumière», «Ce que c’est que l’amour», un complexe «Harpégic», «So Beautiful, So Lovely», «Mystical Way»), avec , changement de climat, un intense «Dream», où l’introduction et la conclusion laissent entendre la voix et le discours de Martin Luther King dans son fameux discours, et où Zaza Desiderio a offert un chorus exceptionnel soutenu par Patrick Chartol sur l’ostinato de «A Love Supreme» de Coltrane. Il parvient à faire chanter sa basse électrique. «La Mésange» fut la conclusion triste en référence au 13 novembre 2015… A noter un «Giant Steps», curieusement mis en place, pour rappeler au milieu de ce projet l’inspiration essentielle d’une bonne saxophoniste, originale et intègre dans son art. Sans doute en raison de la nouveauté et du caractère écrit, certaines parties ont paru parfois rigides sur le plan de l’expression; nul doute qu’avec le temps, la musique va mûrir et se libérer.
Raul De Souza, Mauro Martins, Langourla, 3 août 2019 © Yves Sportis La seconde partie fut, pour nous, le moment le plus musical de cette édition, le plus naturel aussi et d’une certaine manière le plus hot au plan de l’expression, avec la légende brésilienne, le tromboniste Raul De Souza, qui a côtoyé le gotha de la musique brésilienne, mais aussi nombre de musiciens de jazz dont Sonny Rollins (Nucleus, Milestone). Aujourd’hui à plus de 85 ans (1934), il possède si intimement son art qu’il n’a besoin ni de pupitres, ni de partitions –un plaisir pour les photographes et une liberté pour la musique– pour se lancer corps et âme dans son expression, entouré par d’excellents musiciens, tout aussi naturels: Glauco Sölter (elecb), qui danse de la première à la dernière seconde, joue le maître de cérémonie, présente en français avec un sourire éclatant. Il y a encore un batteur puissant et pourtant délicat, possédant un bon drive, Mauro Martins (il vit en Allemagne aux côtés de sa compagne, chanteuse lyrique). Il y a enfin un brillant Leo Montana (p), qui apporte son inventivité et sa virtuosité. Tous démontrent par leur cohésion autour de Raul et par de passionnants chorus, que cette musique et ces musiciens sont portés par une âme, un inconscient collectif.
Leo Montana, Mauro Martins, Raul De Souza, Glauco Sölter, Langourla, 3 août 2019 © Yves Sportis
Raul De Souza est un excellent tromboniste (trombone basse), doué d’une sonorité veloutée et puissante, d’une dynamique exceptionnelle sur ce gros instrument, d’une musicalité très brésilienne –il fait chanter et danser ses notes. Il a choisi de faire la synthèse entre la musique brésilienne de ses racines et une manière très jazz, voire de faire danser la musique de Thelonious Monk («Well You Needn’t»). A l’occasion au saxophone ténor, il intensifie son message sur «Equinox» de John Coltrane, avant de revenir au trombone, moment que choisirent Claire Michael et Zaza Desiderio pour le rejoindre sur scène pour une conclusion très chaude et joyeuse de cette belle soirée. Raul De Souza nous a gratifiés de près de deux heures de musique avec une énergie que ne laissait pas soupçonner son grand âge: commencé par «Vila Mariana», le thème dansant qui inaugure Blue Voyage, le récent enregistrement de Raul (Selo Sesc 0119/18), le concert a non seulement évoqué le disque mais aussi débordé ce répertoire avec «Rio Loco», «Violão Quebrado», «Saudade do Frank», un bel hommage à Frank Rosolino, le virtuose du trombone disparu, ami de longue date de Raul, avec encore «Bossa Eterna», un thème de João Donato, tous enregistrés sur le précédent opus Brazilian Samba Jazz (2016). Il y a eu également un «Céu E Mar» de Johnny Alf et un grand chorus de trombone de Raul sur ce thème, puis « A Vontade Mesmo», avec une manière très jazz d’aborder le répertoire brésilien, même si musique et musiciens ne cessent de danser. Autour de Raul, le talent, la prévenance, les sourires et la complicité des musiciens de son orchestre ont apporté à l’ensemble de la soirée un bon état d’esprit, le public faisant une standing ovation pour la générosité de Raul, de l’ensemble des musiciens et pour une musique qui a fait danser les étoiles.
Jam in Langourla, Le Narguilé: 1/ Claire Michael, s; Zaza Desiderio, dm; Mauro Martins, b; Dexter Goldberg, p - 2/ Mauro Martins, dm; Glauco Sölter, b; Leo Montana, p, Langourla, 3 août 2019 © Yves SportisL’after hours, sans Raul qui récupérait de son concert, n’a pas manqué de piquant, et c’est encore à 3h du matin que musiciens et amateurs ont posé instruments et verres au Narguilé, après que Mauro (qui alterna la batterie et la basse), Glauco, Zaza, Claire, Leo, Dexter, Jean-Michel, Patrick, et beaucoup d’autres, venu(e)s faire la jam, aient gentiment enflammé une longue nuit de convivialité jazzique au pays des druides.
La suite, le dimanche, se passa sans nous, mais nul doute que Jazz in Langourla a poursuivi la fête pour le plus grand plaisir de tous. L’an prochain, c’est le quart de siècle, un important anniversaire en perspective, et on attend déjà ce que vont concocter Marie-Hélène, Gildas et leurs complices pour cette édition spéciale…
Yves Sportis texte et photos
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OKYS
Isabella Lundgren (voc) à Solhällan, Löderup, 3 août 2019 © Jérôme Partage
Ystad, Suède
Ystad Sweden Jazz Festival, 31 juillet - 4 août 2019
La 10e
édition de l’Ystad Sweden Jazz Festival paraît être celle de la
maturité avec des fondamentaux bien
ancrés: convivialité, diversité des esthétiques jazz proposées, mais avec
toujours une prédominance pour un certain jazz européen (et scandinave) notamment
mis en avant cette année par la célébration des 50 ans du label ECM. Sur le
plan organisationnel, la quarantaine de concerts proposée se répartit, comme à
l’habitude, en une dizaine de lieux, dont trois situés en dehors d’Ystad, comme
«Solhällan», joli dancing en
rotonde des années 1900. On se réjouit d’ailleurs que le festival ait cette
année davantage investi son théâtre à l’italienne et délaissé le complexe
sportif de l’«Arena», peu propice au jazz. Une fois encore,
l’abondante offre du festival a permis de vivre d’excellents moments de jazz,
notamment par l’intervention de plusieurs big bands de qualité.
Le 31 juillet à 18h, nous avons ainsi abordé le festival dans la cour du Hos
Morten Café avec le quartet de Paul Strandberg (cl, voc), constitué de sa
compagne, la Française Kiki Desplat (cnt, voc), de Frans Sjöström (bs) et Tony
Balldwin (p). La cornettiste, qui a débuté sa carrière au début des années 1980
comme washboardiste et chanteuse, a élu résidence en Suède en 1995. Néanmoins,
elle se produit toujours ponctuellement en France avec le groupe féminin
qu’elle a fondé en 1983: Certains l’aiment chaud. Outre ses qualités
d’instrumentiste, elle a fait valoir son expressivité blues au chant,
notamment sur «Am I Blue», «Don’t Tell Me Nothing About My
Man» et «C’est si bon» (en français, of course). Au total, un sympathique orchestre de jazz dit
«traditionnel».
Paul Strandber Quartet (à gauche), Hayati Kafe & Roger Berg Big Band (à droite) © Jérôme Partage
Le 1er août, le concert de 11h se déroulait à
l’Ystads Teater pour cause de pluie. Un repli qui fut bienvenu car l’acoustique
du théâtre a permis de mieux apprécier le big band de Roger Berg (dm). Emule de
Gene Krupa et de Jo Jones, il a été formé à l’académie de musique de
Malmö et a appartenu, durant vingt ans, à l’orchestre du fameux parc
d’attraction Tivoli, à Copenhague. C’est en 2007 qu’il a monté son propre big
band de vingt musiciens tous originaires de la région du détroit d’Öresund (qui
sépare le Danemark de la Suède). Invité du Roger Berg Big Band, Hayati Kafe (né
à Istanbul en 1941) est un chanteur dont la popularité en Suède, depuis son
installation en 1962, ne s’est jamais démentie. Issu du monde de la variété, il
s’est aussi régulièrement produit avec de grands orchestres et son style
crooner convient bien au jazz. C’est donc avec un plaisir certain que l’on a
entendu «All of Me», «Somewhere Over the Rainbow»,
«Blue Skies», «Waltz for Debby» de même qu’une swingante version
instrumentale de «I Can’t Stop Loving You».
 Jan Lundgren (p), Bjarke Falgran (vln), Sinne Eeg (voc), Jacob Fisher (g), Mads Mathias (voc), Filip Jers (hca), Ystad, 1er août 2019 © Jérôme Partage
A 20h, toujours au théâtre, le festival proposait un hommage à Svend Asmussen (1916-2017), immense figure du jazz scandinave. On se
souvient d’ailleurs qu’Ystad l’avait déjà célébré en 2016, alors que le
légendaire violoniste danois venait de fêter ses 100 ans (cf. notre compte-rendu) et avait fait la surprise d’y assister. Comme en 2016, c’est l’un de ses compatriotes et anciens compagnons de
route, l’excellent Jacob Fisher (g) qui
a mené ce tribute, à
configuration changeante, avec la finesse et l’humour qu’on lui connaît. Ellen,
la dernière épouse de Svend Asmussen, a dit quelques mots en introduction avant
de laisser place à un premier trio, bien dans l'esprit de la musique évoqué, constitué de Jacob Fisher, Filip
Jers (hca) et Bjarke Falgran (vln), soutenu par Hans Backenroth (b) et Kristian
Leth (dm). Nous avions déjà remarqué dans de précédentes éditions du festival
Filip Jers (1986), mais ce concert a pu nous donner la mesure de son talent.
S’inscrivant dans l’esprit de Toots Thielemans, il s’est trouvé à l’aise sur sa célèbre composition, «For My Lady»,
affichant une remarquable sensibilité. Jacob Fisher a ensuite été rejoint par
Mads Mathias, chanteur (et saxophoniste, mais pas ce soir-là) sans grand
relief, sur «Tea for Two», ainsi que –de façon impromptue– par Jan
Lundgren (p), que les doigts démangeaient, sur «The Nearness of
You». Le directeur artistique du festival d'Ystad démontrant toujours de remarquables
ressources sur les standards. Dernier protagoniste de cet hommage, Sinne
Eeg (voc), très convaincante dans ce registre, est dotée d’un beau grain de voix,
avec du caractère. Elle a
donné à entendre un réjouissant «Makin’ Whoopee» tout en complicité
avec Jacob Fisher et Filip Jers. Cette évocation réussie de Svend Asmussen
s’est achevée, en rappel, sur un tonique «It Don’t Mean a Thing»
collégial. On a, plus tard dans la
soirée, retrouvé avec plaisir certains des participants pendant la
jam-session.
 Joey DeFrancesco (ts), Troy Roberts (b), Ystad, 1er août 2019 © Jérôme Partage
A 23h, Joey DeFrancesco (org, tp, ts) est venu présenter la
musique de son dernier album, In the Key
of the Universe (cf. notre chronique), en trio, accompagné par Troy
Roberts (ts, b) et Khary Shaheed (dm), alors que le programme annonçait Billy
Hart, batteur en titre sur le disque. Le fait est que Khary Shaheed ne possède
pas la subtilité de son aîné et on regrettera tout au long du concert un jeu
«viril» manquant de nuance. A l’inverse, Troy Roberts s’est montré épatant
tant au ténor (superbe solo sur «In the Key of the Universe») qu’à
la contrebasse qu’il a surtout tenue lorsque le leader délaissait l’orgue
Hammond pour la trompette et –nouveauté!– le saxophone ténor, instrument
adopté depuis sa récente collaboration avec Pharoah Sanders sur ce même album: un concert d’une grande intensité de Joey DeFrancesco pour cette deuxième soirée.
Mathias Algotsson (p), Claes Brodda (ts), Karl Olandersson (tp), Anders Norell (tb), Ronnie Gardiner (dm), Claes Askelöf (eg), Ystad, 2 août 2019 © Jérôme Partage
Le 2 août, le concert de 11h retrouvait ses quartiers
habituels dans la jolie cour fleurie de Per Helsas Gård. Le batteur américain
Ronnie Gardiner, établi en Suède de longue date, s’y produisait avec son
septet: Karl Olandersson (tp), Anders Norell (tb), Claes Brodda (ts), Claes
Askelöf (eg), Mathias Algotsson (p) et Han Larsson (b, voc). Nous avions déjà eu
l’occasion d’entendre à Ystad Ronnie Gardiner et ses musiciens, en particulier
les deux benjamins du groupe, dotés d'un sens du swing aigü: Mathias Algotsson
et Karl Olandersson (vu l’année dernière avec le bon trio de l’organiste Andreas
Hellkvist). Des qualités que le leader a souhaité mettre en avant, en milieu de
concert, en interprétant en leur seule compagnie «In a Mellow
Tone». On a sinon profité de versions dynamiques de «Blues on
Down», «St. Louis Blues» (avec une intervention au
chant, bluesy, du contrebassiste), «The More I See You» ou encore d’un
«Caravan» sur tempo rapide où se faisait sentir la pulsation de
Ronnie Gardiner, lequel a également donné un chorus foisonnant sur ce titre. A 17h, au théâtre, le Norrbotten Big Band jouait une
adaptation jazz de Pierre et le Loup (Prokofiev), à destination du jeune public. Ce grand ensemble suédois existe
depuis 1986 et eut pour premier directeur le vibraphoniste et compositeur Örjan
Fahlström (jusqu’en 1996); il est aujourd’hui conduit par Joakim Milder (s, comp, arr). L'orchestre a mené des collaborations avec divers artistes de jazz: Carla Bley,
Randy Brecker, Kurt Elling, Toots Thielemans ou encore Nils Landgren. Il
comporte quelques solides solistes, dont Håkan Broström (as, ss) dont
on avait pu également apprécier la présence à la jam, la veille. La version
proposée du conte musical (lu par la comédienne Beatrice Järås) est restée
relativement proche de l’original, le jazz ne surgissant vraiment qu’avec les
improvisations individuelles ou collectives des solistes.
Richard Galliano (acc) et Paolo Fresu (tp), Ystad, 2 août 2019 © Jérôme Partage A 20h, Jan Lundgren (p) conviait deux habitués du festival,
Richard Galliano (acc, melodica) et Paolo Fresu (tp, flh) pour le troisième
chapitre de leur Mare Nostrum (dont
l’enregistrement est sorti chez ACT). Le Sarde est apparu en tenue
particulièrement décontractée, due à la perte de ses bagages par la compagnie
aérienne (c’est la troisième fois que cette mésaventure lui arrive, en cinq
participations au festival d’Ystad: record à battre!). Après ce
sourire, le trio, bien rôdé (en douze ans d’existence), a
déroulé d’élégantes compositions –la plupart dues au pianiste– dont le
pétillant «Chapitre» distillant des ambiances de fête foraine et de
cirque. Seul standard joué, «Les Moulins de mon cœur» a mis en
avant la grande musicalité de Richard Galliano, lequel s’est amusé à citer la
célèbre chanson «Titine» de Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes. Un joli voyage musical, hors des terres du
jazz, mais porté par trois interprètes aux personnalités marquées.
Le 3 août, à 11h, à Per Helsas Gård, la chanteuse Hannah
Svensson présentait la musique issue de son dernier album, Places and Dreams, soit pour
l’essentiel des compositions relevant de la variété jazzy et dont le titre le
plus intéressant fut «Friday Afternoon». Elle était en cela
accompagnée de son père, Ewan Svensson (g), Matz Nilsson (b), Zoltan Czörsz Jr.
(dm) et Jan Lundgren (p) en special guest.
A 18h30, nous nous sommes rendus à Löderup, à 20 km d’Ystad,
dans le dancing historique de Solhällan pour écouter Isabella Lundgren (voc), la révélation de l’édition 2013 et qui avait, deux ans plus
tard, participé, non sans y être remarquée, à la fête des 80 ans de Jazz Hot, à l’occasion d’un
voyage à Paris. Le répertoire abordé était plus pop que
jazz. Hormis le premier
morceau «Blowin’ in the Wind» de Bob Dylan, pris joliment a capella, on a été déçu de ne pas retrouver la talentueuse chanteuse de jazz Isabella Lundgren.
 Joakim Milder (lead), Benny Golson (ts), Håkan Broström (as, à droite) et le Norrbotten Big Band, Ystad, 3 août 2019 © Jérôme Partage
|  Benny Golson (ts), Ystad, 3 août 2019 © Jérôme Partage |
A 20h, à l’Ystads Teater, nous retrouvions le Norrbotten Big
Band, avec un invité exceptionnel: Benny Golson. A 90 ans, le ténor
affiche un esprit et un humour toujours vifs. Comme c’est désormais le
cas, il passe du temps en scène à se raconter à travers de savoureuses
anecdotes, mais il conserve un son net et suave qui a fait sa gloire. C’était au
big band qu’incombait la tâche de mettre en relief les célèbres standards créés par
Benny Golson: «I Remember Clifford», «Whisper
Not» (flamboyant), «Killer Joe» ou encore «Blues
March» qui ont électrisé le public pour un grand moment de bonheur, servi par un big band de jazz à la hauteur de l'événement.
 Anke Helfrich (ep), Lisa Wulff (b), Dorota Piotrowska (dm), Caecilie Norby (voc), Hildegunn Øiseth (tp), Nicole Johänntgen (ts), Ystad, 3 août 2019 © Jérôme Partage
A 23h, la Danoise Caecilie Norby (voc) donnait à entendre
son dernier projet, Sisters in Jazz
(CD paru chez ACT), entourée d’un groupe entièrement féminin: la
Norvégienne Hildegunn Øiseth (tp, cor norvégien), les Allemandes Nicole
Johänntgen (ts), Anke Helfrich (p, ep), Lisa Wulff (b) et la Polonaise Dorota
Piotrowska (dm). Si la carrière de la chanteuse, souvent associée à celle de
son compagnon Lars Danielsson (b) –également présent cette année à Ystad pour
deux concerts hors jazz– est des plus éclectiques, le jazz a bien été au centre de ce concert –fait d’originaux et de reprises–, servi par
une rythmique qui connaît le swing, la jeune
Lisa Wulff en particulier, et par deux soufflantes toutes à leur affaire (une mention spéciale
à Nicole Johänntgen au jeu d’une belle intensité et teinté de blues). Quant à Caecilie
Norby, elle a livré une prestation de haut niveau; ses
interactions avec le groupe, ses qualités d’expression et sa façon originale de
scatter (à la façon d’une percussionniste, comme sur «Girl Talk») en font une artiste complète. Elle ne s’en est pas moins
quelque peu éloignée du jazz en fin de concert, en maniant des percussions
orientales, en s’adonnant au chant lyrique (sa mère était
cantatrice) et en donnant, en rappel, une version alanguie du tube de Leonard
Cohen, «Hallelujah».
La dernière journée du festival, le 4 août, a démarré tôt, à
9h, dans l'abbaye d’Ystad, construite au XIIIe siècle. Nicole Johänntgen
(ts, Jazz Hot n°675) nous y avait en
effet donné rendez-vous pour une performance en solo à laquelle l’ambiance introspective des lieux se prêtait fort bien. Ce fut un concert donné d’un trait, soit une
improvisation continue (avec un thème récurrent) d’une trentaine de minutes. Une
méditation à la frontière entre le jazz et la musique répétitive de Philip
Glass, compositeur contemporain américain.
Jill Johnson (voc) et le Monday Night Big Band, Södve, 4 août 2019 © Jérôme Partage A 14h, le Monday Night Big Band d’Anders Berlung –un
orchestre créé en 1998 et qui tourne essentiellement dans le sud de la Suède– se
produisait avec Jill Johnson (voc) dans le vaste amphithéâtre de verdure de
Södve, à 25 km au nord d’Ystad. En dépit d’ondées passagères (mais le public
suédois est résistant aux intempéries), les travées et le parterre étaient
combles. Appartenant à l’univers du rock et de la country, Jill Johnson possède
un joli timbre bluesy, au caractère affirmé, qui en fait une chanteuse de jazz
plus que correcte. Le répertoire était constitué de standards particulièrement
populaires («Everybody Loves Somebody», «I Will Wait for
You», «Moon River», «Et
maintenant»…) qui ont ravi l’assistance –très
familiale; certains engageant quelques pas de danse. Un concert bon
enfant dont même le duo vocal entre Jill Johnson et Anders Berlung (pourtant
médiocre chanteur), sur «Cheeck to Cheeck», s’est avéré
sympathique. A 16h, dans la salle de réception de l’hôtel de Saltsjöbad,
sur la plage d’Ystad, la soul sirupeuse du Brésilien Ed Motta était à
l’honneur. Cette prestation était à réserver aux amateurs du genre, lesquels
eurent cependant à supporter une sonorisation beaucoup trop forte.
 Omar Sosa (p), Geir Lysne (lead, de dos) et le NDR Bigband, Ystad, 4 août 2019 © Jérôme Partage
|  Luigi Grasso (bcl), Ystad, 4 août 2019 © Jérôme Partage |
Mais le 10e festival d’Ystad nous avait réservé un final très réussi, au théâtre. A
18h, Omar Sosa (p, ep), accompagné de sa rythmique cubaine, interprétait ses
propres compositions provenant de ses différents albums. Il recevait pour cela
le renfort du NDR Bigband, une véritable institution issue de la radio publique
NDR basée à Hambourg. Depuis 2016, l’orchestre est dirigé par le Norvégien Geir
Lysne (s, fl, comp, arr). Nous avons par ailleurs eu la (bonne) surprise de reconnaître au sein de
la section des saxophones le talentueux Luigi Grasso (bar, bcl, Jazz Hot n°675) qui a récemment quitté
Paris pour s’installer à Hambourg, après avoir intégré le big band. De fait, le
NDR Bigband est un ensemble de haut niveau et se situe un cran au-dessus des
autres big bands entendus durant la semaine, tant par la qualité de ses
solistes que par son intensité orchestrale. L’alliage avec Omar Sosa a ainsi
fort bien fonctionné, le big band fournissant puissance et ampleur à la musique
du Cubain, lequel y amenait sa pulsation singulière.

Charles Lloyd (ts), Ystad, 4 août 2019 © Jérôme Partage
Enfin, à 22h, c’est Charles Lloyd (ts, fl) qui a conclu en beauté
ces cinq jours de festival, avec un groupe à deux guitares (Julian Lage, Marvin
Sewell, eg, Reuben Rogers, eb, Eric Harland, dm) en lieu et place du piano
longtemps occupé par Jason Moran, tandis que Reuben Rogers et Eric Harland (absolument
épatant) restent indispensables quels que soient les projets enchaînés depuis
dix ans. La résultante de cette formation originale est une dominante blues, superbement
incarnée par Marvin Sewell, comme un retour aux sources pour le saxophoniste de
Memphis. La complémentarité avec Julian Lage –subtil et musical– est au
cœur de la dynamique de ce quintet dont le leader, allant de l’un à l’autre de
ses partenaires, à l’écoute de leurs interventions, est non seulement la
clé de voûte mais aussi le premier auditeur. Impérial au ténor, Charles
Lloyd, tout en légèreté à la flûte, demeure à 81 ans un maître en constant
renouvellement.
Jérôme Partage Texte et photos
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OKYS Cotton Club, Hambourg, 30 juillet 2019 © Jérôme Partage
Cotton Club
Hambourg, Allemagne. 30 juillet 2019
Deuxième plus grande ville d’Allemagne et deuxième port
d’Europe, Hambourg alterne grandes artères à l’architecture massive et
quartiers conviviaux où il fait bon flâner et prendre une bière en terrasse. La
ville compte plusieurs clubs de jazz: le Birdland, le Jazzclub-Bergedorf,
le Jazz Federation Hamburg et le Cotton Club que nous avons découvert à
l’occasion d’un bref séjour. Créé en 1959, il s’est d’abord appelé le Vati's
Tube Jazzclub, avant d’être renommé Cotton Club en 1963. Il a par ailleurs été
l’objet de déménagements successifs avant de s’établir à son adresse actuelle
en 1971. Installée en sous-sol, la salle
de concert se trouve au bout d’un couloir, après que l’on ait passé le bar. Ses
murs sont ornés de photos souvenirs des groupes qui en on fait l’histoire, tous
issus du jazz dit «traditionnel»(new orleans, swing,
tradition Django): quelques «légendes» américaines comme
Benny Waters (s, cl), Alton Purnell (p), Louis Nelson (tb) et beaucoup de formations
allemandes, mais également polonaises, scandinaves, britanniques (Sammy
Rimington) ou françaises (René Franc). La scène, placée au centre de la salle permet
à chacun d’apprécier le spectacle et renforce le caractère chaleureux du club.
 Le Traditionnal New Orleans Ensemble, Cotton Club, Hambourg, 30 juillet 2019 © Jérôme Partage
Nous étions présents le 30 juillet pour entendre le Traditionnal
New Orleans Ensemble, constitué d’Uli Falk (tb, voc, lead), Karsten Ettling
(cl, ts), Holger Bundel (p) et Kurt Tomm (b), tous musiciens
semi-professionnels. Fondé en 1979 (c’était alors un septet), cet ensemble a
connu un second démarrage il y a dix ans, sous l’impulsion Uli Falk, seul
membre originel avec Kurt Tomm; Karsten Ettling et Holger Bundel les
ayant rejoints il y a seulement deux ans. Le Traditionnal New Orleans Ensemble se
produit essentiellement dans le nord de l’Allemagne, autour de Hambourg et de
Kiel. Si son activité, de l’aveu de son leader, est aujourd’hui modeste, une
profonde conviction anime ces musiciens. Portés par le jeu très percussif du
contrebassiste, le duo clarinette/trombone fonctionne bien. On a ainsi entendu
des interprétations dynamiques de «Pennies From Heaven» (Johnny
Burke/Arthur Johnston, 1928) ou de «Tin Roof Blues» (New Orleans
Rhythm Kings, 1932). On relèvera également les bonnes interventions vocales du
leader, lesquelles ne manquent pas de caractère.
Texte et photos: Jérôme Partage
© Jazz Hot 2019
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OKYS Pléneuf-Val-André, Côtes-d'Armor
Jazz à l’Amirauté 2019, les mardis de juillet et d’août
On ne présente plus la charmante station balnéaire des Côtes-d’Armor (cf. nos précédents comptes rendus) à l'extrémité ouest de cette très belle côte d’Emeraude, où se déroule depuis plus de vingt ans (24e édition), un festival de jazz sans concession commerciale, dans un parc très début de XXe siècle, avec des essences rares et un club de tennis, encore en terre battue, au centre duquel se trouve le château de l’Amiral qui fut le donateur de l’ensemble à la collectivité et qui a donné son nom à ce festival. Sous les très grands pins (essences rares) qui l’entourent, la scène se donne des allures de pinède (suivez mon regard!) et le jazz qui est proposé à une assistance fort nombreuse (au delà de 1000 spectateurs chaque soir) rappelle qu’il est toujours possible de réunir un large public non spécialiste et populaire en programmant du jazz, du vrai, qui tire ses racines de la longue histoire d’amour que la France entretient avec cette musique venue du fond de l’Amérique. L’originalité de ce festival, outre sa gratuité, est de réunir, tous les mardis des mois de juillet et d’août dans un cadre parfait, autant par son confort que pour l’écoute, amateurs de jazz, autochtones, public en vacances et musiciens de jazz, avec autant de plaisir pour les uns que pour les autres. Les conditions techniques sont aussi réunies (accueil, éclairage et son) pour parfaire cet événement. On doit cette réussite qui dure maintenant depuis près d’un quart de siècle à une association, Jazz à l'Amirauté, d’une trentaine de bénévoles, tout aussi sympathiques, accueillants et efficaces les uns que les autres, une équipe que le responsable Elie Guilmoto anime avec doigté et avec le sourire. Ici, la convivialité est le maître-mot: donc pas de gros bras, de file d’attente, de tensions et de VIP. Tout concourt à faire de la soirée un pur moment de jazz et de plaisir partagé; les enfants (4 à 8 ans) ayant le privilège d’assister au concert au premier rang, et apprenant ainsi, année après année, l’attention, l’écoute de la musique en toute simplicité. Ça fonctionne sans problème. Cette année, les commerçants se sont davantage impliqués dans le festival, et le résultat en est une meilleure visibilité dans la cité, le personnel de plusieurs établissements partenaires arborant le tee-shirt aux couleurs du festival.
Festival Jazz à l'Amirauté 2019, le trio Philippe Duchemin invite Carl Schlosser © Yves Sportis
Ce mardi 30 juillet 2019, nous avons assisté à la soirée dévolue au président d’honneur du festival depuis de nombreuses années, le pianiste Philippe Duchemin, qui a toujours le souci de renouveler ses formules, ses formations, et qui propose ainsi, chaque année, d’excellents concerts avec des invités de marque, une année une chanteuse, une autre année un quatuor à cordes ou des instrumentistes réputés, toujours autour de son trio, la formule de base qu'il affectionne, dont les membres varient selon les projets.
En 2019, entouré d’une rythmique exceptionnellement soudée à la ville comme à la scène, car il s’agit des frères Christophe (b) et Philippe (dm) Le Van, jumeaux comme le révèle le pianiste avec humour, mais comme on le devine au premier coup d’œil. Philippe Duchemin a invité un saxophoniste-flûtiste, Carl Schlosser, dont la carrière longue et riche a connu quelques méandres et quelques rêves au-delà du jazz, mais qui n’a jamais perdu cet enracinement dans l’univers de sa jeunesse et la sonorité qui le lie à cette musique.
Au programme, du jazz trempé dans l’encre blues comme il se doit, avec, dans l’expression, le swing, la chaleur et la poésie qui ont permis deux heures de bonheur en ce mardi où les cieux ont été cléments.
Le répertoire et les compositeurs avaient été choisis avec le souci des belles mélodies et de l’énergie, et l’alchimie a fonctionné à merveille avec une variation des atmosphères, des tempos, des émotions, des moods. Au programme et dans le désordre, «Caravan» (Duke Ellington et Juan Tizol), «In a Sentimental Mood» (Ellington) à la flûte pour Carl, «Whisper Not» (Benny Golson) où Carl, cette fois au ténor, honore le son du compositeur, un émouvant «I Remember Clifford» pris sur tempo très lent, Philippe Duchemin rapsodiant et Carl Schlosser tirant des larmes de son pavillon. Il y a eu aussi le «Moanin’» très intense et puissant de Bobby Timmons pour confirmer l’ombre tutélaire d’Art Blakey, aussi présente que celle de Golson et d'Ellington, sur tout ce répertoire avec les press rolls de Philippe Le Van, les interventions blues très sonores de Philippe Duchemin, variant ses effets (classique et blues) et le beau son à la Benny Golson à nouveau de Carl Schlosser. Le public garde encore la mémoire de ces thèmes, de ce son (pour les plus avertis et anciens) et soutient volontiers la tension en tapant des mains, comme à l’église baptiste et en toute laïcité, instinctivement…
Le blues et le swing sont partout présents dans ce concert, avec le «Cold Duck Time» du grand et trop oublié Eddie Harris que Carl Schlosser rappelle à notre souvenir, Christophe Le Van optant pour la basse électrique sur le rythme funky, avec également le «Bag’s Groove» de Milt Jackson, introduit à la contrebasse par l’excellent Christophe Le Van, tranquille mais très au point d’autant que son complice de frère soutient de belle manière aux balais ses interventions de solistes, et ne se prive pas de belles interventions en chorus ou en 4/4 (ces échanges entre musiciens sur quelques mesures). Il y eut d’autres thèmes encore («Full Hause», «Old Man River», «Look Out», «Come Fly With Me»…), parfois sans l’invité, où le trio délivra son entente et son swing à la Peterson et/ou à la Duchemin, et c’est naturellement sur un blues que se termina le beau concert par un rappel pour ce quartet de jazz, une manière de rappeler que pour un public de 2019, le blues est encore et toujours une musique qui parle au cœur et à l’âme sans détour et qu’il reste l’indispensable marmite pour faire bouillir son jazz…
Christophe Le Van, Carl Schlosser, Philippe Le Van © Yves Sportis
On sait l’admiration pour Oscar Peterson de Philippe Duchemin, et dans sa manière, on retrouve cette dimension virtuose et une manière de jouer du trio, avec des envolées et une belle sonorité d’ensemble, souple et puissante, accompagnés de quelques touches de musique classique, une signature propre à Philippe Duchemin qui lui permet par ailleurs ses nombreux concerts avec quatuors classiques. Ici, c’est plus jazz et blues, et la présence de Carl Schlosser l’explique, en même temps qu'elle enrichit le mood de la formation. Carl Schlosser est cet excellent saxophoniste, flûtiste de première formation, qui a illuminé –et il continue– de nombreux big bands et orchestres (Gérard Badini, Claude Bolling, aujourd’hui le Duke Ellington Orchestra de Laurent Mignard), mais qui a aussi accompagné Dee Dee Bridgewater, Michel Petrucciani (sur son CV), mais la liste est bien plus longue et internationale…). Aujourd’hui partagé entre la scène et un studio d’enregistrement qu’il dirige avec talent, il vient de réaliser, comme ingénieur du son et musicien, l’enregistrement de Philippe Chagne, My Mingus Soul. Sa carrière d’ingénieur est riche de bon nombre d’excellents disques, comme le récent disque de Philippe Duchemin (Quiétis, cf. notre rubrique disques), d’un autre avec les Goldberg, père et fils (Michel et Dexter), et beaucoup d’autres, de belle qualité… Carl Schosser a encore d’autres cordes à son arc, y compris d’organisateur, on en garde pour un prochain article.
Au ténor, Carl Schlosser possède un son issu de la tradition du saxophone, travaillant maintenant (avec l'âge) sur le grain du son même s'il ne dédaigne pas jouer les gros sons, et à la flûte il développe autant de qualités de sonorité, jouant sur les sonorités doubles (un peu dans l'esprit de Roland Kirk mais plus calmement), variant les atmosphères sans jamais perdre ce qui fait son charme, un grain de poésie très jazz: l’homme est comme sa musique, rien d'étonnant donc.
Les frères Le Van sont ceux dont on ne parle pas assez en général car avec eux tout est huilé, parfait, une section rythmique d’une complicité rare, et qui convient parfaitement à un trio aussi dynamique que celui de Philippe Duchemin. Le trio était donc un très beau «véhicule» swing, à l’image de l’inspirateur Oscar Peterson, dans lequel s’est embarqué pour un soir Carl Schlosser. Le public et l’organisation ont adoré, on ne va pas les contredire… d'autant que les musiciens étaient très à l’aise sur scène.
Ce bon festival, vraiment de jazz, où on peut encore parler naturellement avec les musiciens avant ou après le concert, se poursuit jusqu’à la fin août; avis aux amateurs de belles soirées sous les étoiles! (www.jazzalamiraute.fr)
Yves Sportis
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OKYS
Kenny Barron, Festival de
Jazz Roger Menillo, St-Cannat, 2019 © Eric Ribot by courtesy
Saint-Cannat, Bouches-du-Rhône
Festival de Jazz Roger Mennillo, Mas de Fauchon, 11 juillet 2019
En cette année 2019, Art-Expression, association animée par Chris Brégoli et Roger
Mennillo à Saint-Cannat, avait installé le plateau de son festival annuel en pleine
campagne saint-cannadenne: au Mas
de Fauchon, un endroit aussi intime qu’élégant, au sortir de la Nationale 7
entre Aix-en-Provence et Salon-de-Provence. C’était la 23e édition
de la manifestation, soutenue depuis de longues années par la municipalité.
Après une brève introduction de la fille de Roger, la soirée fut officiellement
ouverte par le maire Jacky Gérard qui, à cette occasion, annonça que ledit
festival, à l’avenir, porterait le nom de son fondateur, absent cette année pour
raison de santé. Ensuite, Jean Pelle, toujours fidèle au poste, officia au
micro pour présenter le programme du soir.
Le Prima
Lutz Trio, composé de la harpiste Christine Lutz, de son époux
vibraphoniste Thierry Lutz et du contrebassiste Pierre Fénichel ouvrit les festivités.
Pendant 45 minutes, il offrit des compositions originales, aux influences
exotiques, agréables à entendre.
Après un long entracte, qui permit au public,
affamé de jazz mais aussi soucieux de se sustenter de nourritures moins spirituelles,
et le temps de placer le piano au centre de la terrasse, le maître de cérémonie présenta
celui que les spectateurs attendaient avec impatience, le pianiste Kenny
Barron.
C’est donc dans cet écrin de
campagne provençale, par une chaude soirée d’été où la fraîcheur ose à peine
poser son voile, qu’à son piano en solo Kenny Barron installa, avec la
sensualité raffinée dont il a la magie, sa musique dans l’intimité de chacun. Il commença le concert avec un standard ancien,
«Beautiful Love» de Victor Young, Egbert
Van Alstyne et Wayne King (1931) sur le tempo de la tendresse, juste enlevé.
Après les applaudissements, le silence s’installa dans l’assistance; même les cigales cessèrent leur aubade. Tous écoutaient sans perdre
un silence. Il poursuivit avec un medley
ellingtonien où se répondaient en une sorte de nocturne recomposé les pièces de
Duke et Swee’ Pea [«Lotus Blossom» (Billy Srayhorn, 1947),
«Single Petal of Rose» (Duke Ellington, 1958), «Star Crossed
Lovers» (DE et BS, 1944), «Passion Flower» (BS, 1944)]:
moment de poésie qui contint le souffle des spectateurs avant qu’ils
n’applaudissent. Ensuite, il joua avec la même densité «For
Abdullah» une composition nostalgiquement fraternelle, écrite en 1990 en
l’honneur du pianiste sud-africain, Abdullah Ibrahim (de son premier nom de baptême Adolph Johannes Brand qui joua
pour la première fois en Europe sur les planches de la Pinède Gould au Festival
de Jazz d’Antibes Juan-les-Pins en 1963 sous le nom de Dollar Brand). Ce
fut ensuite «Melancholia» (DE, 1954) et «Isfahan» (BS et DE, 1963, extrait de la Far East Suite), en
forme d’élégies du soir. Enfin vint le moment Thelonious Monk: une pièce
de 1955, «Shuffle Boil»
que Kenny déconstruisit avec intelligence et intelligibilité jusqu’à en redessiner,
à la grande joie des spectateurs, la structure élémentaire stride héritée de James P. Johnson. On revint après à
un œuvre de Duke Ellington et Billy Strayhorn, «Day Dream» (1941)
où perçait la mélancolie inquiète de cette période. Il enchaîna ensuite avec
une autre composition personnelle enlevée et joyeusement descriptive,
«Calypso», écrite, raconta-t-il, en 1961 lorsqu’il découvrit «Little Jamaica» à New York;
au cours de ce morceau, il s’amusa à déconstruire la pièce jusqu’à sa structure
élémentaire en forme de matrice de«Tea for Two». Le public
bruissa de complicité. Il insista ensuite sur l’univers des ballades poétiques
de Monk en donnant une superbe version de «Monk’s Mood» (1946). En
bis, il donna une interprétation épurée très modernisée d’une des plus
anciennes compositions d’Eubie Blake, «Memories of You» (1930).
Il quitta le clavier sous les applaudissements
nourris et chaleureux d’un public conquis par cette musique puissante et riche.
Les personnes qui sortaient disaient leur bonheur d’avoir entendu une heure et
demie de concert sans bruit. Et pour ne rien gâcher, en un endroit qui seyait
au programme de la musique interprétée. Poliment, les cigales reprirent alors leur
chanson.
Texte: Félix W. Sportis Photo: Eric Ribot, by courtesy of FJRM (Remerciements à Chris Brégoli)
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