Nous procédons par étape, et l’une
d’elle est aujourd’hui sous vos yeux. C'est une première
approche de ce futur que nous préparons, surtout destinée à rendre
disponible cette mémoire et à sentir vos réactions. Nous
commencerons ainsi à nous familiariser avec l’outil, à écouter
aussi vos commentaires, et ainsi, nous continuerons à avancer dans
l’histoire de Jazz Hot avec nos traditionnels numéros
trimestriels, et d’autre part en enrichissant ce nouvel outil,
autant pour vous que pour nous. Voici donc une nouvelle étape
pour Jazz Hot, nous remercions déjà les lecteurs et
internautes, amateurs et professionnels qui nous suivent dans cette
première étape, nous accompagnent de leur soutien, de leurs
commentaires, de l'écho qu'ils apportent à notre effort.
Le Caveau de La Huchette avait un
nouveau rendez-vous avec l’histoire du jazz et de la presse ce 23
mars 2010 puisque Jazz Hot y recevait ses invités à
l’occasion des 75 ans d’une revue (exclusivement) de jazz, la
plus ancienne de France et du monde encore en activité, n’en
déplaise à nos aimables confrères de Down Beat et Orkester
Journalen. Pour cette occasion rare pour un média, a fortiori
spécialisé, et malgré une journée de grève nationale, le Caveau
de la Huchette retrouva ses allures des soirs de grande affluence,
bondé des oubliettes jusqu’au bar pour une longue soirée de
paroles et de musiques comme les prisent les amateurs de jazz. Côté
« blabla », l’équipe de Jazz Hot était venue
des quatre coins de l’Europe à la rencontre d’un public toujours
friand d’anecdotes, de souvenirs, du mystère que constitue une
revue indépendante, de discuter de jazz et d’actualités, avec ce
qu’il faut de polémiques pour ne pas perdre la main. Le jazz est
en effet cette musique spéciale dont on aime parler à l’infini,
pratique qu’on retrouve dans peu de secteurs artistiques, et qui
relève de la passion particulière, très populaire, qui porte cette
musique. Il n’y a guère que les amateurs de foot pour en faire
autant. Côté public, il y avait les multiples plaisirs d’une
soirée particulière en relation avec des personnes dont on ne
connaît que les textes, d’une jam session prévisible, d’une
nuit ad libitum et d’une atmosphère aussi chaleureuse que ce Jazz
Hot le laisse supposer. Côté musicien, il y avait une
particularité dans cette soirée en deux parties, l’ouverture
étant faite par le duo Brisa Roché (voc)-Laurent Epstein (p) sur
une thématique de standards plutôt rares. La première rencontre
sur scène des deux musiciens avait un charme intime bienvenu pour
entamer cette longue soirée, restituant une atmosphère du jazz peu
habituelle dans ce club dévolu à la danse. Le public en profita
pour s’asseoir sur la piste de danse et écouter l’intensité du
propos de la belle chanteuse, au phrasé évocateur de l’art de
Billie Holiday, élégamment mis en valeur par l’inventif pianiste.
Classique mais jamais vu et émouvant. Du reste, le remplissage du
Caveau empêchait à ce moment toute idée de danse.
Première partie
Deuxième partie
Après une pause mise à l’honneur
pour reprendre des conversations jamais terminées, c’était le
moment ludique de la soirée, avec la belle formation réunie par la
maîtresse de cérémonie, la dynamique Sarah Morrow (tb) : son
quartet réunissait une fine équipe, Laurent Epstein à nouveau dans
un autre registre, le profond Peter Giron (b) et un Mourad Benhammou
(dm) au drive toujours aussi dévastateur, avec en invités spéciaux
le grand Marc Fosset (g) véritable encyclopédie du jazz, de Django
et Grappelli à John Coltrane, et l’excellent Dany Doriz, l’hôte
de cet anniversaire, puisqu’il cumule la fonction de vibraphoniste
et celle de patron du Caveau de La Huchette avec un brio tout aussi
légendaire. Pour l’occasion, la jolie Sarah Morrow avait
préparé un programme « spécial Jazz Hot »,
évoquant l’histoire depuis 1935, en introduisant un récitatif à
caractère historique fort documenté en introduction de chacun de
ses thèmes, tous liés pour une raison ou une autre à un moment de
cette aventure : Duke, Louis, Django, John Lewis, bien entendu
et comme la soirée débordait largement sur le 24, il y eut de
nombreuses évocations dans cette seconde partie où les danseurs ont
tenté de reprendre le dessus, imposant à leurs pas et leurs passes
une économie de gestes pour éviter d’éborgner les voisins, les
passants, les auditeurs.
La fin de la seconde partie permit de
reprendre la conversation interrompue, avant que le troisième set,
celui évidemment de la jam, s’annonce. Vous verrez certainement
quelques vidéos sur internet, quelques photos aussi, et comme les
musiciens ont été nombreux à y participer, nous en oublions sans
doute (mille excuses à tous), d’autant qu’il fallait parfois
s’absenter de cette atmosphère très hot au sens thermique du
terme pour reprendre sa respiration à l’étage. Certains invités
n’en ont pas moins joué avec énergie pendant nos remontées à la
surface. On a reconnu bien entendu parmi les habitués du Caveau la
sémillante Gilda Solve (voc) avec son pianiste préféré Patrice
Galas, dans un passage toujours aussi énergique, l’indéracinable
Michel Denis (dm), les excellents Dominique Lemerle (b) et Nicola
Sabato (b), Michael Rörby (tb) venu jammer avec sa consœur Sarah,
un Ronald Baker (tp) toujours aussi tonique et souriant, une
étonnante Eileina Dennis dont la voix tout droit venue des champs de
coton et de l’église qui s’en nourrit, une tonitruante Sylvia
Howard (voc), véritable boule de feu jazzique, et encore sur le tard
un récitatif coltranien sur la grille d’« Impressions »
en compagnie de Marc Fosset et Laurent Epstein. Invité surprise et
non moins attachant, Pee Wee Ellis débarqua pour un moment fort de
la jam où sa tranquille assurance donna tout à la fois de la
profondeur et de l’épaisseur à tous les thèmes pour le plaisir
de Sarah, Esaie Cid (as), Ronald et les autres, sans oublier un
public aux anges.
Les amateurs de ces moments spéciaux
étaient encore là, un peu abasourdis comme souvent par une telle
avalanche de musique quand vint Joe Lee Wilson pour une chanson très
émouvante, avec ce filet de voix que lui a laissé sa récente
maladie, mais avec ce swing, cette qualité et cette profondeur
d’expression qui font toute la beauté de son art. Une ovation très
spéciale a été faite à ce gentleman du jazz.
L’anniversaire éteignait ses micros
sur le coup des 3h du matin, mais il ne faut pas croire que tout
s’arrêta brusquement, car sur le coup des 4h 30 on pouvait encore
apercevoir quelques acharnés devant un verre racontant quelque
histoire dont le prétexte était bien sûr le jazz ; mais était-ce
vraiment un prétexte ?
Ellen Bertet (Texte et photos) Georges
Herpe (Vidéos)