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Todd Barkan © Salvatore Corso, by courtesy


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In This Korner


On dit toujours que les chats ont neuf vies. Dans le cas de Todd Barkan, il les a vécues en même temps, comme musicien, propriétaire et gérant de clubs et comme producteur. Chez lui, les destins se croisent et ramènent toujours au jazz, avec quelques figures tutélaires, comme Rahsaan Roland Kirk, Dexter Gordon, Grover Washington. On dit toujours que les musiciens et les artistes vivent pour leur art et uniquement pour leur art. On oublie souvent ceux qui, tout aussi passionnés, font en sorte que leur art soit partagé par le plus grand nombre. Il est difficile de résumer la carrière de Todd Barkan (né en 1946 à Lincoln, dans le Nebraska) tant chacune de ses incarnations ont joué un rôle critique dans l'histoire de ces dernières décennies. En 1972, Todd Barkan ouvre le Keystone Korner à San Francisco qui, jusqu'en 1983, personnifie un jazz de culture, un jazz comme art vivant et un jazz comme art de vivre. Les très nombreux enregistrements de concerts en témoignent, qu'il s'agisse d’Art Blakey, Red Garland, Dexter Gordon, Mary Lou Williams ou de Jaki Byard, Art Pepper, Chet Baker, Bill Evans, Freddie Hubbard, parmi tant d'autres.

L'autre club qu'il a rendu célèbre est le Dizzy’s Club Coca-Cola de Jazz at Lincoln Center à New York, qu'il anima de 2001 à 2012. Soucieux de présenter jeunes talents et musiciens historiques, il a créé à cet effet le Generation Jazz Festival et présentait Sonny Fortune avec Sharel Cassity ou Johnny Mandel avec le Diva Jazz Orchestra. Il est depuis 2014 en charge de la direction artistique de Arts Garage, en Floride, et s'occupe de la programmation de festivals (Sea of Jazz Festival, Jazz Cruise). Au fil des années, il a aussi développé un goût et une virtuosité pour la production. Actif depuis la fin des années 1970, il a aujourd'hui dépassé le millier de disques produits, aussi bien pour les labels américains que japonais et européens, comme Fantasy/Milestone, Columbia, Sunnyside, Concord, Blue Note Records, Alfa, Venus, Videoarts Music, Meldac, Teichiku, etc. En plus des concerts enregistrés au Keystone Korner, il a produit des disques de Freddy Cole, Kenny Burrell, Grover Washington, Jr., Monty Alexander, Cyrus Chestnut, Randy Weston, Steve Kuhn, Eric Alexander, Nicki Parrott, Tommy Flanagan, Cedar Walton, Sonny Stitt, Roland Hanna, Harold Mabern, Little Jimmy Scott, Jimmy Cobb, Archie Shepp, Tete Montoliu, Sheila Jordan, John Hicks, Barry Harris, Eddie Henderson, Mal Waldron, Bobby Hutcherson, parmi beaucoup d'autres.
«Take care of the music, and the music will take care of you» (Prenez soin de la musique et la musique prendra soin de vous) a toujours été sa devise…

Propos recueillis par Mathieu Perez
Photos Salvatore Corso et Brian McMillen
by courtesy of Todd Barkan



© Jazz Hot n°671, printemps 2015


Horace Silcer au Keystone Korner (1980) © Brian McMillen, by courtesy




Jazz Hot : Dès votre arrivée à Oberlin College, à Oberlin, dans l’Ohio, vous vous êtes beaucoup investi dans le jazz. Que faisiez-vous ?

Todd Barkan : Quand je suis parti pour Oberlin, j’avais 600 vinyles dans le coffre de ma voiture. J’adorais le jazz. Il y avait des disques de Donald Byrd, Charles Mingus, Oscar Peterson, Gene Ammons, Miles Davis Sextet et Quintet, Chet Baker, Nat King Cole, Ornette Coleman, Sun Ra, Jimmy Smith avec Wes Montgomery, Horace Silver, Jackie McLean, Ray Charles, Betty Carter, Grant Green avec Larry Young, Bobby Hutcherson et Elvin Jones, John Coltrane, etc. A Oberlin, j’ai aidé à organiser des concerts, comme ceux du Modern Jazz Quartet avec Milt Jackson, John Lewis, Percy Heath et Connie Kay, du Miles Davis Quintet avec Wayne Shorter, Herbie Hancock, Ron Carter, Tony Williams, du Dizzy Gillespie Quintet avec James Moody, Kenny Barron, Chris White et Rudy Collins. J’ai présenté des émissions de jazz sur la radio du campus WOBC-FM et j’ai un peu écrit sur le jazz. C’était tout aussi important pour moi. Ça m’a donné l’opportunité d’entendre beaucoup de musique en live, comme le John Coltrane Quartet avec McCoy Tyner, Jimmy Garrison et Elvin Jones ou encore Oscar Brown, Jr., Horace Silver Quintet, Art Blakey et les Jazz Messengers, Cannonball Adderley au Leo's Casino, le grand club de Cleveland dans les années 1960.


Beaucoup de groupes passaient dans l’Ohio. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Une des meilleures performances dont je me souvienne est celle du John Coltrane Quartet qui jouait pour un public qui n’avait aucune idée de ce qu’il entendait. C’était à l’Ohio State Fair, un endroit assez rural, vers la fin de l’été 1964. Dans son exploration de « Impressions », John Coltrane nous a embarqués dans un voyage au-delà du son et de l’émotion pendant plus de 30 minutes. Et un jeune saxophoniste du coin qui s’appelait Rahsaan Roland Kirk a joué le bœuf avec lui.

Vous alliez régulièrement à Cleveland pour voir des concerts, surtout en 1964-1965. Lesquels vous ont marqué ?

Oscar Brown, Jr., qui racontait des histoires musicales comme personne. Je me souviens des dons de Cannonball Adderley pour communiquer, de sa chaleur humaine, de l’ampleur et de la profondeur de son jeu, du Count Basie Orchestra qui faisait sauter la baraque avec un swing bouillonnant, que je n’ai jamais ressenti à nouveau, de la propulsion stratosphérique et des idées ininterrompues de l’organiste Don Patterson avec le batteur Billy James et le swing tourbillonnant et teinté de blues du ténor Booker Ervin, du crooner Jimmy Witherspoon et de Ben Webster qui nous jouaient un « Nothing’s Changed » bouleversant, de tout ce que pouvait chanter Sarah Vaughan avec son trio avec Roy Haynes.

Elvin Jones au Keystone Korner (1980) © Brian McMillen, by courtesy



Quel type de clubs de jazz y avait-il à Columbus ? Qu’en était-il des clubs d’orgues ?

Le meilleur endroit dont je me souvienne est le Club 502 dans le North Side. Les clubs The Other Room et le Club Jamaica étaient super aussi. Les clubs d’orgues étaient un des refuges les plus importants du jazz à la fin des années 1950 et dans les années 1960.

Rahsaan Roland Kirk tient une place importante dans votre vie. Quand le rencontrez-vous ?

Quand j’étais enfant, dans le bus en allant au Jets Stadium, dans le West Side, pour voir un match de baseball. Lui allait voir un ami. Il avait sa célèbre canne avec des amulettes, des cloches, des sifflets, etc. Il m’a immédiatement captivé. Rahsaan a été un maître et une des grandes inspirations de ma vie.

Quand partez-vous pour la Californie ?

La première fois que je suis allé à San Francisco, c’était à l’été 1967. C’était le « Summer of love ». Je suis parti d’Oberlin en voiture. J’avais une Cadillac de 1941 et 1 500 vinyles. C’était un rêve qui devenait réalité. Le jour, je travaillais comme courtier en douane, et la nuit je jouais du Fender Rhodes et de l’orgue dans plusieurs groupes, la plupart du temps avec un groupe afro-cubain jazz funk qui s’appelait Kwane and the Kwane-Ditos. Ça ressemblait à la musique de Mongo Santamaria. C’est là que j’ai rencontré le trompettiste Tom Harrell et le saxophoniste John Handy. On a joués dans toute la Bay Area, Oakland, San Jose, dans des bases de l’armée, Palo Alto, Sausalito, North Beach, et partout où c’était possible. Parfois on allait jouer un après-midi à Golden Gate Park pour les hippies. On commençait par une version de « Sombrero Sam » de Charles Lloyd très enjouée. Ce boogaloo intense durait pas moins de 20 minutes. J’ai aussi joué de l’orgue Hammond B-3 avec un super groupe de funk qui s’appelait « Burning Island ». On ne jouait rien d’autre que des titres de James Brown, de Sidewinder et The Rumproller de Lee Morgan.

Le Keystone Korner en 1982 © Brian McMillen, by courtesy



Une des grandes aventures de votre vie est le Keystone Korner (1972-1983). Comment cela a-t-il commencé ?

Je cherchais un gig. J’ai rencontré ce type qui possédait un bar à bière situé 750 Vallejo Street, à côté d’un commissariat de police. Il m’a dit qu’il détestait le jazz et que, si je voulais faire du jazz, je n’avais qu’à acheter son club. Pour lui, le jazz n’était pas vendeur. Il était en train d’ouvrir un club de rock à Berkeley. J’avais économisé 8 000 dollars pour aller en Europe. Heureusement, ça n’est pas arrivé, et j’ai fait quelque chose de plus fructueux avec mon argent que de simplement assouvir mes désirs de voyage. Ce type m’a donné rendez-vous un jeudi. J’y suis allé avec mon chéquier. Un de mes amis était avocat et avait préparé tous les papiers. Si je lui donnais 5 000 dollars tout de suite, il me vendait le club pour 12 500 dollars, à raison de 400 dollars par mois. C’est comme ça que je suis devenu le patron d’un club de jazz à seulement 25 ans !

Combien de temps s’est-il passé avant l’ouverture ?

J’ai ouvert immédiatement. L’ancien patron m’avait prévenu qu’au premier concert, je serais déjà à sec, entre l’administration et les boissons, etc. Il m’a dit qu’il allait me rendre un service et m’aider à lancer le club. Il connaissait Jerry Garcia et Merl Saunders, qui lui devaient une faveur. Ils travailleraient pour moi gratuitement pendant deux soirs. Et une semaine après avoir acheté le club, je programmais Jerry Garcia et Merl Saunders et c’était complet ! Plein ! La semaine suivante, j’avais Michael White Quartet avec Kenneth Nash aux percussions, Michael White au violon, Ed Kelly au piano et Ray Drummond à la basse. C’était mon premier groupe de jazz. Le vendredi et samedi suivants, j’avais Bobby Hutcherson. Je programmais aussi des groupes locaux. Le club était ouvert sept jours sur sept. Il fallait payer le loyer !

Quelle était la capacité du Keystone Korner ?

Quand on a commencé, le Keystone Korner faisait 140 places. Puis j’ai rapproché les sièges et on est passé à 175.

Le Keystone Korner © Brian McMillen, by courtesy

Durant les premières années, vous avez organisé deux galas de bienfaisance pour le club. Pour quelles raisons ?

Il y a eu deux grandes collectes de fond. La première était en février 1975. J’avais Rahsaan Roland Kirk, Freddie Hubbard, McCoy Tyner, Ron Carter et Elvin Jones. On a amassé 85 000 dollars et on a acheté une grande licence d’alcool. L’année suivante, on en a organisé une autre avec Grover Washington et George Benson pour installer une cuisine et abattre des cloisons. Le club est passé à 205 places.

Quel était le tarif des places ?

J’étais très généreux. Au départ, c’était 3 dollars en semaine et 3,50 dollars le weekend. Puis, pour des concerts comme Weather Report, c’était 4 dollars, Miles Davis, 5 dollars. Dans les quatre, cinq dernières années, c’était 7,50 dollars. Parfois, c’était 5 dollars le lundi, parfois 3. C’était toujours plus que raisonnable. Je n’ai jamais été un bon homme d’affaires. Ce n’est pas mon point fort. Mais pour moi, c’était une réussite de garder le club ouvert. Ça a demandé énormément de travail et de dévouement. Quand le club était plein pour trois soirs, Dexter Gordon venait dans mon bureau et disait : « Eh bien Toddsy, on dirait qu’on a payé la facture de téléphone ! Et les impôts aussi ! »

Est-ce que le métier a changé durant ces onze années ?

Je pense que ce qui a changé, c’est que San Francisco a perdu de son attractivité auprès des touristes japonais. Quand j’ai ouvert le club, les six, sept premières années, San Francisco était une grande destination touristique pour les Japonais. Avec le temps, New York est devenue plus attirante, parce qu’on pouvait aller à cinq ou six clubs. Il y a avait plus de diversité à New York. C’est la Mecque du divertissement. C’est une ville inépuisable. Mais San Francisco est à la source de ma relation avec le marché japonais, qui a été formidablement productive et essentielle dans ma vie. J’ai produit des centaines de disques pour les labels de jazz japonais. Et il y a eu un Keystone Korner Tokyo de 1990 à 1993 et un Keystone Korner Yoshi’s à Oakland en 1992.

Dexter Gordon et Bobby Hutcherson au Keystone Korner (1981) © Brian McMillen, by courtesy


Une des grandes figures du Keystone Korner, et une des nombreuses raisons de son succès, est Dexter Gordon. Quand l’avez-vous
rencontré ?

Je l’ai rencontré à Copenhague. J’y suis allé avec Rahsaan Roland Kirk pour une tournée. C’était dans les années 1960. Dexter avait une façon d’utiliser les mots et le langage très profonde, et qui me touchait beaucoup. C’était inspirant. J’ai eu la chance de travailler avec ce groupe incroyable avec George Cables, Rufus Reid, Eddie Gladden et Dexter. Ça fait partie de la meilleure musique que j’ai entendue.

Quand avez-vous commencé à enregistrer les concerts au Keystone Korner ?

J’ai enregistré tout ce que j’ai pu. J’ai donné beaucoup de copies aux musiciens. Je ne pensais pas les sortir un jour, à vrai dire. Je voulais seulement documenter tout ça. Je n’aimais pas l’idée que toute cette musique disparaisse sitôt le concert fini. Un peu de ça a survécu. La dernière semaine de Bill Evans, c’est 16 CDs ! Il a fait ce concert au Keystone Korner peu de temps avant sa mort. Consecration et The Last Waltz sont des enregistrements importants. Les enregistrements d’Art Blakey sont importants aussi. Les enregistrements du Dexter Gordon Quartet sont très importants. C’est un crime qu’ils ne soient toujours pas rééditées !

Quand commence votre activité de producteur ?

Le premier disque que j’ai produit était le Timeless All-Stars avec Bobby Hutcherson, Cedar Walton, Billy Higgins, Buster Williams, Harold Land, Curtis Fuller et Oscar Brashear. C’est là que j’ai commencé ma relation avec Wim Wigt. Il connaissait Makoto Kimata. Makoto Kimata m’a contacté en 1975. Il voulait un Timeless All-Stars et Bobby était mon vibraphoniste maison. C’était sorti sur Bay State et Timeless Records. J’ai appris ce métier sur le tas. A la même époque, j’ai produit Tete Montoliu – Live at the Keystone Korner avec Billy Higgins et Herbie Lewis pour Timeless Records. C’est le premier artiste que j’ai enregistré au Keystone Korner. A partir de là, j’ai produit des disques pour le Japon et l’Europe. J’ai travaillé avec Fantasy bien après la fermeture du Keystone Korner. J’ai produit du Latin jazz, Jerry Gonzalez & the Fort Apache Band, Chico O’Farrill, Freddy Cole pour Fantasy après le départ d’Orrin Keepnews. Je n’ai jamais travaillé avec un label français.

Max Roach au Keystone Korner (1979) © Brian McMillen, by courtesy



Quels musiciens avez-vous le plus produit ?

Freddy Cole et moi avons fait plus de vingt albums ensemble. J’ai produit Grover Washington dans des situations différentes. J’ai fait cinq ou six albums avec Dr Lonnie Smith.

Parmi les concerts du Keystone Korner, lesquels tiennent une place importante pour vous ?

A la fin de l’année, j’organisais un festival de jazz avec trois groupes tous les soirs pendant dix jours, du lendemain de Noël aux premiers jours de la nouvelle année. Une année, il y a eu le Max Roach Quartet, le Dexter Gordon Quintet avec Woody Shaw et le Bobby Hutcherson Quintet avec George Cables. Il y avait six sets chaque soir, mais les groupes rechignaient à jouer les uns avec les autres. Jusqu’au dernier soir. J’ai réussi à réunir tout le monde pour un titre ! Et c’est un des titres les plus profonds que j’ai entendus. C’était « Rhythm-A-Ning » de Thelonious Monk joué par Dexter Gordon, Bobby Hutcherson, George Cables, Max Roach, Reggie Workman et Eddie Henderson. Ça a duré 34 minutes ! Je n’ai jamais produit du jazz de cette qualité. On était tous en lévitation. Freddie Hubbard, McCoy Tyner, Art Blakey et Elvin Jones étaient tout aussi capables de faire léviter un club. Il y avait une autre semaine très spéciale. C’était avec une double affiche, Elvin Jones et Max Roach. Ce devait être en 1980. Et j’ai réussi à ce qu’ils jouent en duo tous les soirs. C’était vraiment incroyable et il n’y avait aucune concurrence entre eux ! C’est Max Roach qui l’a rendu possible car Mme Elvin Jones n’était pas très coopérante. Max a un peu défié Elvin de venir jouer avec lui.

Todd Barkan avec Art Blakey au Keystone Korner (1979) © Brian McMillen, by courtesy


Les musiciens venaient-ils passer du temps au club ?

Tout le temps, y compris Jerry Garcia et Merl Saunders. Carlos Santana ne ratait jamais McCoy Tyner, Pharoah Sanders, Elvin Jones, et d’autres. Mais Carlos Santana est un fou de Coltrane. Et il a toujours tenu à payer sa place parce qu’il soutient la musique. Il y avait tout le temps des musiciens, et qui venaient s’encourager mutuellement. Certains arrivaient quelques jours en avance. Johnny Griffin ou Cannonball Adderley arrivaient le dimanche pour passer du temps avec Art Blakey. On voyait régulièrement Jonathan Winters, Redd Fox, Angela Davis et Richard Pryor traîner dans les coulisses ou au sous-sol avec Max Roach, Herbie Lewis, Tony Williams, Randy Weston, Jerry Garcia et McCoy Tyner. Bill Cosby passait le lundi soir quand il avait fini de travailler chez Harrah's à Reno.



Art Blakey and The Jazz Messengers (avec Cedar Walton, Eddie Henderson, Curtis Fuller, David Schnitter, Billy Harper, Dennis Irwin, Valery Ponomarev, Todd Barkan, Jackie McLean et Airto Moreira) au Keystone Korner (1980) © Brian McMillen, by courtesy    Les caisses de batteire d'Art Blakey dans le sous-sol du Keystone Korner (1982) © Brian McMillen, by courtesy 


Vous programmiez aussi des duos de musiciens avec des poètes de la Beat Generation.

Dès mon arrivée à San Francisco, je me suis lié avec des poètes de la Beat Generation : Gregory Corso, Lawrence Ferlinghetti, Allen Ginsburg, Gary Snyder, Jack Hirschmann et mes deux poètes Beat préférés, Bob Kaufman et Diane Di Prima. Au Keystone Korner, ce n’était pas rare d’organiser des rencontres jazz-poésie. Il y avait par exemple Lawrence Ferlinghetti et Stan Getz ou Bob Kaufman, Jack Hirschman et Gregory Corso qui distribuaient des poèmes à ceux qui arrivaient après un set d’Art Pepper avec le George Cables Trio.

Le Dexter Gordon Quartet (avec Rufus Reid, Walter Gator Campbell, le barman du Keystone, George Cables et Eddie Gladden) dans les coulisses du Keystone Korner (1979) © Brian McMillen, by courtesy


Qu’est-ce qui faisait la magie du Keystone Korner ?

C’est une combinaison de plusieurs éléments. Nous avons senti dès le début que ce club était très spécial. C’était un refuge pour les musiciens de toutes les tendances musicales. On jouait de tout, de l’avant garde, du straight-ahead, etc. A cette époque, New York traversait aussi une période difficile avec les problèmes de cartes de cabaret, les crimes, etc. Donc, ces onze années de Keystone Korner ont joué un rôle critique dans l’histoire du jazz. L’histoire de ce club fait partie de l’histoire américaine du jazz.

Pourquoi le club a-t-il fermé ?

A cette époque, les prix s’envolaient dans la Bay Area, avec la Silicon Valley. Le loyer a augmenté et je n’ai pas pu renouveler le bail. On me demandait dix fois le prix. Peu de temps après la fermeture du club, je me suis installé à New York. Je restais chez Michael Cuscuna. Un matin, au déjeuner, dans un dinner, je prends un exemplaire de USA Today. Je l’ouvre à la section Divertissement et je vois ma photo en grand en couverture à côté de deux autres patrons de club. C’était un article sur les trois meilleurs clubs de jazz du pays. Le Keystone Korner a fermé le 11 juillet 1983. On devait être le 15 ou 16 juillet. Voilà de la publicité gratuite dans USA Today et j’avais fermé ! C’était dur. Mais mon rêve est d’ouvrir un jour un autre Keystone Korner.

Qu’avez-vous fait une fois installé à New York en 1983 ?

J’ai produit de plus en plus de disques, essentiellement pour le Japon. Je travaillais aussi avec des agences d’artistes. Je m’occupais de musiciens comme McCoy Tyner ou Phil Woods. En 1984, je suis allé aux Pays-Bas travailler avec Wim Wigt.

Que retenez-vous de votre travail avec le Boys Choir of Harlem (1985-1990) ?

Je me suis occupé du Boys Choir of Harlem environ cinq ans. C’était un travail très gratifiant. A cette époque à Harlem, 75 % des jeunes Noirs ne terminaient pas le lycée. Dans notre programme, 90-95 % des jeunes allaient à l’université ! On avait un chœur, et j’avais engagé un groupe de jazz pour l’accompagner. On a même fait une tournée en France ; on a enregistré un disque à Munster, aux Pays-Bas, avec Wim Wigt pour Timeless.

McCoy Tyner au Keystone Korner (1981) © Brian McMillen, by courtesy



Quelle place tiennent les labels de jazz japonais dans votre vie ?

Les Japonais sont très importants dans ma vie. La moitié des disques que j’ai produits ont été faits au Japon. Comme Art Blakey ou Miles Davis, je n’aurais jamais survécu sans les Japonais. Ils soutiennent le jazz sans relâche. Et le Japon est toujours le deuxième plus grand marché au monde après les Etats-Unis.

Quelle est la spécificité des labels japonais ?

Les Japonais sont plus exigeants que les Américains sur le contenu. Ils demandent certains titres. Aux Etats-Unis, « Autumn Leaves » ou « Summertime », ça n’intéresse personne alors qu’au Japon, il y a des amateurs qui collectionnent toutes les versions de cette chanson. Sur Prelude and Sonata, ils voulaient que McCoy Tyner enregistre « I Will Always Love You » de Dolly Parton. Je n’allais quand même pas demander ça à McCoy ! J’ai eu plusieurs demandes de ce type. Dans la culture japonaise, Chopin est plus populaire que Dolly Parton. Alors j’ai proposé que McCoy joue « Prélude en mi mineur » de Chopin. Et ils ont trouvé l’idée géniale ! Ce travail est délicat. Le musicien doit croire qu’on ne lui impose rien, et il faut faire des suggestions au label qu’ils aimeront et qui aideront à vendre le disque. C’est une question de confiance.

Quand êtes-vous allé au Japon pour la première fois ?

Je n’ai pas dû aller au Japon avant la fin des années 1980, peut-être 1988. Je produisais de plus en plus. Et puis, en dix ans, je suis allé au Japon 30 fois, dont 25 pour m’occuper du Keystone Korner Tokyo.

Comment l’idée d’un Keystone Korner à Tokyo est-elle née ?

C’est le fruit de ma relation avec Makoto Kimata et Tetsuo Hara. Ce sont eux qui ont vraiment initié le club. Ils avaient fait un partenariat avec Yanase, le plus grand concessionnaire de voitures de luxe. La raison pour laquelle le club a fermé n’a rien à voir avec la gestion du club. Ça a fermé à cause de l’éclatement de la bulle spéculative. Yanase a dû vendre certains biens, et après Alfa Records a fait faillite.

Phil Woods au Keystone Korner (1980) © Brian McMillen, by courtesy


Quelle était la taille du club ?

C’était comme le Village Vanguard. C’était magnifique ! Le club est toujours là et programme du jazz. Seul le nom a changé.

Qui avez-vous programmé au Keystone Korner Tokyo ?

Tout le monde ! Eddie Harris avec Marlena Shaw, Cedar Walton, Jerry Gonzalez & the Fort Apache Band… Nous avons fait un beau disque ensemble qui s’appelait Moliendo Café.

Vous engagiez les groupes pendant combien de temps ?

Une semaine. Comme il le faudrait partout ailleurs ! Un excellent groupe de jazz devrait être engagé pour trois mois. Un concert d’un soir ou deux, c’est des conneries. Quand on entend dire que le jazz n’a pas de public, c’est encore des conneries. Il faut croire dans cette musique. Vous pensez que le type qui a engagé Monk dans un club à New York savait si ça allait attirer du monde ? Il n’en avait aucune idée. Monk jouait avec Roy Haynes, Coltrane, Ernie Henry. Et ce groupe n’a pas été engagé tel quel. Monk avait juste son quartet. Puis il s’est vraiment passé quelque chose musicalement. Mais c’est parce que quelqu’un y a d’abord cru. C’était la même chose qu’au Village Vanguard. La formule six soirs par semaine est le minimum. Tout le reste est contre-productif.




De quels albums êtes-vous le plus fier en tant que producteur ?

Voici une histoire drôle. J’ai produit un disque avec Tetsuo Hara en 1994, juste après la fermeture du club. Il avait quitté Alfa et créé son propre label, Venus Records. On a fait une session d’enregistrement avec Barney Wilen. J’avais choisi les musiciens. Il y avait Kenny Barron, Lewis Nash et Ira Colman. Barney connaissait déjà Ira mais il n’avait jamais joué avec Kenny et Lewis. L’album s’appelait New York Romance. On l’a enregistré au studio de Rudy Van Gelder. Barney était surexcité. Avant d’enregistrer, je lui ai dit qu’il ne pouvait pas apporter d’appareil photo parce que Rudy détestait ça. Quand j’ai connu Barney en France, il prenait toujours des photos. Pour la session, Barney avait loué une limousine, et il est arrivé avec sa petite amie, jeune et sexy. Elle est sur la pochette du disque. Ce jour-là, ils arrivent dans le studio avec une heure de retard et des caméras ! Ils faisaient une sorte de petit documentaire. Et ils débarquent dans la salle de contrôle… Rudy a pété les plombs. Il leur arraché les caméras, a enlevé les bobines et les a martelés jusqu’à ce qu’elles soient complètement détruites. Comme ils étaient en retard, je faisais répéter le groupe. Le compteur tournait, et ça coûtait cher au point qu’on a failli faire un disque du Kenny Barron trio, sans Barney. Et puis Barney s’est mis à pleurer. (Rires) Quelle journée ! (Rires) Finalement, tout est rentré dans l’ordre et New York Romance est l’un de mes albums préférés avec celui de McCoy Tyner.

Dans ces mêmes années, vous avez aussi ouvert un Keystone Korner Yoshi’s en 1992-1993.

Le Keystone Korner Yoshi’s était à Oakland. Ça a duré un an. Ils allaient mettre la clé sous la porte. Je les ai aidés à redresser leurs affaires. Puis ils ont eu une subvention de 4 millions de dollars de la ville d’Oakland.

Ahmad Jamal au Keystone Korner (1980) © Brian McMillen, by courtesy


Que faisiez-vous entre 1995 et 2000 ?

Je produisais essentiellement. Cette activité s’accélérait. En 1999, je suis devenu le président de 32 Records. Ça a duré un an. Je produisais des rééditions car on possédait le catalogue Muse.

Quels étaient vos liens avec les autres grands producteurs de jazz ?

Je les connaissais tous et je m’entendais bien avec eux : Tommy LiPuma, Michael Cuscuna, Orrin Keepnews, Richard Seidel, etc. Ils savaient que j’étais un fou de jazz et que je n’étais une menace pour personne.

Avez-vous encore beaucoup d’enregistrements réalisés au Keystone Korner et inédits ?

J’en ai des centaines ! Mais c’est beaucoup de travail ! Des disques comme le Red Garland ou le Tommy Flanagan/Jaki Byard demandent énormément de travail, bien plus que pour un nouvel album ! D’abord, vous devez écouter 20 heures de musique, puis l’évaluer. Parfois, il y a trois ou quatre prises du même titre. Il faut choisir la meilleure, puis mettre un ordre, monter, séquencer, écrire les liner notes, décider du packaging, etc. C’est beaucoup de travail et ça ne paie rien. Les gens ne se rendent pas compte. Vous ne faites pas un disque de Tommy Flanagan/Jaki Byard pour l’argent.

Quand Wynton Marsalis vous a-t-il contacté pour que vous vous occupiez du Dizzy’s au Jazz at Lincoln Center (2001-2013) ?

Je produisais le disque Mood Indigo de Jimmy Scott aux studios Fantasy. J’étais toujours à 32 Records. Wynton m’a appelé après le départ de Rob Gibson, un autre de mes héros, du Jazz at Lincoln Center. C’était la fin 2000. En janvier 2001, je travaillais à Jazz at Lincoln Center à temps plein. Je suis resté à 32 Records encore quelques mois, le temps de former mon remplaçant.

Todd Barkan et Lou Donaldson, un Jazz Hot à la main (Blue Note Tokyo, mai 2014) © Mathieu Perez



Quels concerts êtes-vous le plus fier d’avoir organisés ?

Joe Locke avec Kenny Washington ; George Mraz, Geoff Keezer et Clarence Penn. Cette rythmique était incroyable! Trio Da Paz, avec Joe Locke. Sonny Fortune et Sharel Cassity dans le cadre du Generation Jazz Festival que j’ai créé. Gerald Wilson et le Juilliard Jazz Orchestra, mais en plus, il y avait son fils, le guitariste Anthony Wilson et son petit-fils Eric Otis. Trois générations de Wilson ! On a programmé toute la suite qu’ils ont co-écrite. Ça prenait la moitié du set. C’était extraordinaire ! Ernestine Anderson et Houston Person. Pour mesurer l’importance de ce concert, il faut connaître son histoire. Il y a des années, Houston travaillait avec Etta Jones. Quand elle est morte, il a juré de ne plus jamais retravailler avec une chanteuse. Mais Ernestine commençait à avancer en âge et j’avais besoin de Houston. J’ai organisé ça un peu en douce. J’étais le seul au monde à pouvoir faire ça. Au début, Ernestine ne raffolait pas de l’idée de jouer avec Houston. Et Houston détestait mon projet ! Ça m’a pris six mois pour les convaincre. Et c’est arrivé ! On a sorti un disque. C’était un an de travail ! Il a fallu réécouter tous les concerts qu’ils avaient faits. Ça, c’est un des meilleurs concerts que j’ai produits. Celui de Johnny Mandel avec le Diva Jazz Orchestra était formidable aussi, il a aussi été enregistré. J’en suis fier parce que c’est le seul disque qui est sorti sous son nom. Le concert avec Cyrus Chestnut et Eric Reed en duo. C’est un peu la suite pour mes années au Dizzy’s du Flanagan/Byard. Le concert de Bucky Pizzarelli et Ken Peplowski avec Chuck Redd, David Fink, Derek Smith qui jouent les grands standards. Charles McPherson et Tom Harrell avec Willie Jones III, Ray Drummond et Jeb Patton. Ray Drummond a joué le tout premier soir au Keystone Korner. Ça m’a ramené à ce que j’ai fait au Keystone Korner. D’ailleurs, un des meilleurs lineup au Keystone Korner était Charles McPherson, Barry Harris, Al McKibbon et Tony Williams. Je l’avais appelé le « Bebop Summit ». J’ai aussi programmé les trois derniers concerts de Marian McPartland au Dizzy’s. C’était sensationnel ! C’étaient des concerts d’un soir. On les tous a enregistrés. Elle ne jouait plus du tout. Elle l’a fait juste pour moi. En 2002, j’ai organisé à l’Alice Tully Hall du Jazz at Lincoln Center, un sommet de l’orgue. Personne ne l’avait fait et personne ne l’a fait depuis. Il y avait Joey DeFrancesco, Dr. Lonnie Smith et Rhoda Scott, avec Pat Martino, John Abercrombie, Randy Johnston, Houston Person et Idris Muhammad. Ça a aussi aidé à raviver la scène orgue à New York.

Tete et Carmina Montoliu au Keystone Korner (1979) © Brian McMillen, by courtesy


Avec quels musiciens avez-vous eu les amitiés les plus fortes ?

Rahsaan Roland Kirk était un ami très cher. Son audition était si fine qu’il me reconnaissait au bruit de mes pas. Ça me donnait des frissons. On pouvait dîner ensemble, et on parlait de tout et n’importe quoi. J’ai passé des centaines d’heures avec lui chez le disquaire à lui lire des liner notes. Il voulait tout savoir des musiciens, de la date d’enregistrement, des liner notes, etc. A cette époque, les liner notes contenaient beaucoup d’informations. J’ai beaucoup appris comme ça. Quand Rahsaan venait à San Francisco, il restait dans un petit hôtel près de Market Street. Comme il restait là deux semaines, je lui apportais un tourne-disque portable, des supers enceintes et une cinquantaine de disques. Si ça, c’est pas de l’amitié ! Personne d’autre n’aurait fait ça. Et on allait tous les jours chez le disquaire. Rahsaan ne vivait que pour la musique. J’ai aussi été très proche de Grover Washington. On s’est vraiment lié d’amitié au Keystone Korner. En 1973, on était très amis. C’était même mon témoin de mariage. On le voit sur une photo qui porte une kippa (rires). Et Grover et Rahsaan s’adoraient. Tete Montoliu a beaucoup joué au Keystone Korner. Tete a joué au mariage de mon frère à Barcelone. Il avait même composé un titre pour lui. Mon frère lui avait préparé une enveloppe avec 2 000 dollars qu’il a refusée : « Je ne fais pas ça pour l’argent »… Tete et Kirk s’aimaient beaucoup. Quand Rahsaan est mort, Dexter jouait au Keystone Korner. C’était en décembre 1977, un jeudi ou un vendredi soir. Dexter et moi étions très amis. On est restés debout jusqu’à 4 ou 5h du matin. On ne s’est pas dit grand-chose. On a écouté des disques. Dexter m’a raccompagné chez moi et je me suis endormi sur le canapé. Quand je me suis réveillé quelques heures plus tard dans la matinée, Dexter me préparait le petit-déjeuner. On n’oublie pas des choses comme ça. J’ai mis des mois à me remettre de la mort de Rahsaan. J’étais jeune et il était la raison pour laquelle j’avais commencé dans le métier.


Johnny Griffin au Keystone Korner (1980) © Brian McMillen, by courtesy


Vos amitiés avec les musiciens sont indissociables de l’écoute de la musique.

J’ai un souvenir formidable avec Miles Davis, Dexter Gordon et Art Blakey dans l’Upper West Side, à Manhattan, et un autre sur la Côte Ouest dans la suite de Sarah Vaughan, au Fairmont Hotel, avec Sarah Vaughan donc, Billy Eckstine, Art Blakey et Johnny Griffin. C’est drôle qu’Art Blakey soit dans les deux. C’était quelqu’un avec qui on se marrait bien. Une chose que j’ai remarqué quand je traînais avec des musiciens, c’est qu’on passait la plupart du temps à écouter de la musique. Miles Davis adorait écouter Fats Navarro. Il pouvait réécouter plusieurs titres de suite. Ça, c’est de l’écoute intense. Je trouve qu’aujourd’hui, ça n’existe plus vraiment. Je ne vois plus beaucoup de personnes se réunir pour écouter de la musique ensemble. Ça manque gravement aujourd’hui. Quand on traînait avec Miles Davis, Art Blakey et Dexter Gordon, on pouvait passer « Opus X » cinq fois de suite. Et puis on parlait de la partition, des solos, etc. Art Blakey se souvenait de chaque note. Et lire, ce n’était pas son truc, mais c’était gravé dans sa mémoire. On prenait la musique vraiment au sérieux. J’ai passé du temps avec Mary Lou Williams. On écoutait Brahms et Charlie Parker. La musique est une bénédiction ! Il faut travailler dur pour la partager. Elle a un impact social positif. C’est ce qui la rend merveilleuse. La musique en elle-même est une force vitale. Il est essentiel de transmettre et d’apprécier ce que le swing signifie vraiment.

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Bibliographie

Kathy Sloane, Keystone Korner: Portrait of a Jazz Club, Indiana University Press, Pap/Com edition, 2011


Contact
toddbarkan@gmail.com


     

Discographie des enregistrements effectués au Keystone Korner (1972-1983) par Mathieu Perez
Source : Stuart Kremsky

LP  1973. Rahsaan Roland Kirk, Bright Moments, Atlantic SD2-907 (CD Rhino R2-72409)

CD 19
73. Rahsaan Roland Kirk, The Man Who Cried Fire, Night 2-91592
CD 1974. Red Garland Trio, Groovin' Live, Alfa Jazz 97/98

CD
1974. Red Garland Trio, Groovin' Live II, Alfa Jazz102/103
CD
1975. Yusef Lateef, 10 Years Hence, Atlantic SD2-1001
CD 1975. McCoy T
yner, Atlantis, Milestone 55002
CD
1976. Dave Liebman/Richie Beirach, Mosaic Select 12
CD
1976. Charles Mingus Quintet, Keystone Korner, Jazz Door 1219
CD 1976 Sonny Stitt, Work Done, High Note 7138
LP  1976  Stan Getz & Joao Gilberto, Getz/Gilberto '76, Resonance (10') Vinyl HLT8021
CD
1977. Red Garland, Swingin' on the Korner: Live at Keystone Korner, Elemental Music 5990426
CD 1977. Red Garland Tri
o, Keystones!, Xanadu 5009
CD
1977. Art Pepper, San Francisco Samba, Contemporary 14086
CD
1977. Woody Shaw, Live Volume One, HighNote 7051
CD
1977. Woody Shaw, Live Volume Two, HighNote 7089
CD
1977. Woody Shaw, Live Volume Three, HighNote 7102
CD
1977. Mary Lou Williams, Live at the Keystone Korner, HighNote 7097
CD
1977. Red Garland Trio, Keystones!, Xanadu 5009
CD
1977. Art Pepper, San Francisco Samba, Contemporary 4086
CD
1977. Woody Shaw, Live Volume One, HighNote 7051
CD
1977. Woody Shaw, Live Volume Two, HighNote 7089
CD
1977. Woody Shaw, Live Volume Three, HighNote 7102
CD
1977. Mary Lou Williams, Live at the Keystone Korner, HighNote 7097
CD 1978. Art Blakey and the Jazz Messengers, In
This Korner, Concord Jazz 4068
LP  1978. Red Garland Trio, I Left My Heart…, Muse
5311 (CD 32 Jazz 32107)
CD
1978. Chet Baker, Sings, Plays, Live at the Keystone Korner, HighNote 7112
CD
1978. Eddie Harris, Tale of Two Cities, Night 91589
CD
1978. Jaki Byard, Sunshine of My Soul: Live at the Keystone Korner, HighNote 7169
CD 1978. Cedar Walton/Freddie Hubbard, Reliving the Moment, High Note 7265
LP  19
78-79. Dexter Gordon Quartet, Nights at the Keystone 1-3, Blue Note 7-94848/50 (CD Mosaic Select 14.)
CD 1979. Eddie "Cleanhead" Vinson, Redux: Live at the Keystone Korner, Savant 2052
CD 1979 Jaki Byard, An Evening with Jaki Byard, High Note 7264
LP  1980. Tom Hoffmann, Live at Keystone Korner, Redwood Records ES-29

LP  1980. Lee Katzman Quartet, Naptown
Reunion, 25th Century Ensemble
CD 198
0. Bill Evans Trio, Consecration, Alfa Jazz R2-61-68 (CD Milestone 4430)
CD
1980. Bill Evans Trio, The Last Waltz, Milestone 4436
CD
1980. George Cables, Morning Song, HighNote 7182
CD 1980. Freddie Hubbard, Pinnacle: Live at Keystone Korner, Resonance 2007
CD 1981. Tete Montoliu, Live at the Key
stone Korner, Timeless 138
CD 1981. Stan Getz Quarte
t, The Dolphin, Concord Jazz 4158
CD 1981. Stan Getz Quartet, Spring Is Here, Concord Jazz
4500
CD 1981. Art Blakey and the Jazz Messengers,
Straight Ahead, Concord Jazz 4168
CD
1981. Sonny Stitt, Just in Case You Forgot How He Really Was, 32 Jazz 32051
CD
1981. Woody Shaw, Live Volume Four, HighNote 7139
CD
1981. Jimmy Smith & Eddie Harris, All the Way Live, Milestone 9251
LP  1981. Freddie Hubbard, Classics, Fantasy
9635
LP  198
1. Freddie Hubbard, A Little Night Music, Fantasy 9626 (CD Keystone Bop: Sunday Night, Prestige 24146, Keystone Bop, Vol. 2: Friday/Saturday, Prestige 24163)
CD 1982. Art Blakey and the Jazz Messengers, Keystone 3, Concord Jazz 4196

LP 1982. Timeless All-Stars, It's Timeless, Timeless SJP178
(CD SJP 178)
CD
1982. Tommy Flanagan/Jaki Byard, The Magic of 2: Live at Keystone Korner, Resonance 2013
CD 1982. Freddie Hubbar
d, Keystone Bop, Fantasy 9615
CD
1982. Freddie Hubbard, Above & Beyond, Metropolitan 1113
LP  
1982. Nat Adderley, Blue Autumn, Theresa 122
LP  1982. Bobby Hutcherson, Farewell Keystone, Theresa 124, (CD Evidence 22018)

CD 198
2. Cedar Walton, Among Friends, Theresa 129 (CD Evidence 22023)
LP  198
2. Steve Cohn, Sufi Dancers, White Cow 1201
CD 1983. Nat Adderl
ey, On the Move, Theresa 117
CD 1983. Zoot Sims, On
the Korner, Pablo 2310-953
LP  1983. Paquito D'Rivera, Liv
e at Keystone Korner, CBS 25657
LP  1983. Pharoah Sanders, Hea
rt Is a Melody, Theresa 118

CD 1983. Denny Zeitlin / Charlie Haden, Time Re
members One Time Once, ECM 1239

     

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