Né le 4 janvier 1982
à Agen (Lot-et-Garonne), Julien Brunetaud est un pianiste et chanteur,
largement autodidacte, qui s’est formé à l’écoute de Chuck Berry, Otis Spann,
Horace Silver, en passant par le boogie woogie et le jazz new orleans. Abordant
ainsi la musique afro-américaine comme un tout, et de façon instinctive, il a
parachevé son apprentissage par des séjours répétés aux Etats-Unis (New Orleans,
New York) et des collaborations avec des musiciens accomplis (en particulier de
la scène blues), à commencer par Nico Wayne Toussaint (hca, voc) qu’il suit en
tournée dès l’âge de 18 ans. On a pu l’apprécier ces dernières années, pour
son réjouissant duo avec la chanteuse américaine Nicolle Rochelle, Nikki &
Jules. Epousant la tendance qui conduit beaucoup des jazzmen vers
l’autoproduction, il a créé son propre label, Brojar Music, sur lequel il a
sorti son dernier album, le quatrième en leader, Playground (voir notre
chronique dans Jazz Hot n°680). Et
c’est avec ce nouveau projet qu’il parcourt actuellement les scènes de France et d’Europe,
faisant preuve d’un dynamisme certain.
Propos recueillis par Jérôme Partage Photos Patrick Martineau et X by courtesy of Julien Brunetaud
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
Jazz Hot: Comment avez-vous
découvert la musique?
Julien Brunetaud: Mon père avait une collection de vinyles, surtout de la
chanson française, mais aussi du rock & roll, que j’ai découvert plus tard:
Chuck Berry, Jerry Lee Lewis… Un jour, vers mes 12 ans, il m’a emmené chez un
disquaire pour m’offrir mon premier disque. Je ne savais pas quoi choisir, et
je me suis rappelé que j’avais entendu du piano dans ses disques. J’ai donc pris une compilation de rock & roll et de blues avec
Ray Charles notamment. Ça m’a donné envie d’apprendre l’instrument. On avait un
piano à la maison, et j’ai commencé à jouer en autodidacte. Puis, à 14 ans,
j’ai eu un professeur particulier. Mais j’ai surtout appris tout seul. Je
travaillais avec une méthode de piano-jazz pour débutants. Au collège, on
échangeait des disques de jazz et de blues avec des copains. C’est comme ça,
par exemple, que j’ai découvert Michel Petrucciani. Je tentais d’improviser de
façon intuitive. Et un copain m’a conseillé d’essayer la gamme de blues. C’est
à ce moment que je me suis vraiment plongé dans le blues avec Lucky
Peterson, B.B. King et Otis Spann que j’ai découverts vers 15-16 ans. Otis Spann
a été une vraie révélation: son morceau «Otis in the Dark», un
instrumental, représentait tout ce que je recherchais. C’est-à-dire un jeu très
riche, des accords bien réfléchis, bien posés. Je commençais alors à
écouter du jazz: Count Basie, Nat King Cole, Horace Silver. J’aimais le swing.
Mais relever du jazz me paraissait encore insurmontable. Je travaillais plutôt
le boogie woogie. J’étais très percussif à cette époque.
Comment avez-vous
débuté votre carrière?
Dès le collège, j’ai commencé à donner des concerts pour
lesquels j’étais un peu payé. Puis au lycée, je manquais des cours pour honorer
des engagements. A la fin du lycée, Nico Wayne Toussaint m’a pris dans son
groupe. Compte-tenu du nombre de concerts qu’il me proposait, je pouvais
devenir intermittent du spectacle. Les choses avançaient concrètement, et j’ai sauté le pas. Par la suite, j’ai été engagé par Joe Turner, l’ancien
bassiste de B.B. King, qui habitait en France. Je parlais mal l’anglais
et lui avait un accent du Sud particulièrement prononcé. Nous n’arrivions pas à nous
comprendre. Finalement, sa femme m’a rappelé, et j’ai enfin compris! J’ai fait quelques
tournées avec lui, ce qui m’a permis de rencontrer d’autres musiciens. J’ai tourné en Inde avec la chanteuse anglaise Dana Gillespie à qui je
convenais; elle adore le boogie et Otis Spann. Elle m’a ensuite
invité dans son festival aux Caraïbes. En 2005, je suis arrivé à Paris, et j’ai
commencé à jouer avec Guillaume Nouaux (dm) et Sébastien Girardot (b). L’année
suivante, je suis parti à New Orleans avec un groupe français de jazz
traditionnel, ce qui était une première pour moi: les New Bumpers de Fred Dupin
(avec Fred Couderc, Sébastien Girardot, Guillaume Nouaux, Paul Chéron, etc.).
Là bas, on a enregistré un album, et j’ai pu également en réaliser un autre sous
mon nom, Orleans Street Boogie (avec Sébastien
Girardot, Guillaume Nouaux et Paul Chéron) qui mêlait standards, boogies et
compositions. J’en ai enregistré un second à New Orleans, en 2007: Driftin Blues.
Qu’avez-vous retiré
de ces voyages à New Orleans?
La première fois, c’était vraiment un voyage initiatique.
Avec un ami batteur de blues, Fabrice Bessouat, on a remonté la route du blues
dans le Mississippi, rencontré des gens qui nous ont raconté des tas
d’histoires. Le fait d’avoir joué sur place a permis de provoquer d’autres rencontres. Un jour à New Orleans, nous sommes
entrés dans un bar. Il y avait un piano, et j’ai demandé si je pouvais jouer. Le patron
était tellement heureux de m’entendre jouer le blues qu’il nous a offert à
boire et à manger. D’autres gars sont arrivés pour faire le bœuf. Ils ont sorti
une batterie pour mon ami. C’est vraiment un autre monde, avec une culture
musicale très chaleureuse. Les gens ont un rapport direct à la musique. Les
bars ne sont pas guindés, il n’y a pas de droit d’entrée. On sent qu’il y
a une relation saine entre le patron et les musiciens. Au Mapple Leaf, on voit
jouer les mêmes gars depuis des années.
En 2007, vous avez
enregistré avec l’un des représentants actuels du jazz de New Orleans, Evan
Christopher…
Oui. Après Katrina, Evan, qui est très ami avec Sébastien
Girardot, est arrivé en France. Il était hébergé dans une résidence d’artistes,
rue du Faubourg Saint-Martin, Les Récollets. J’habitais juste en face. Sébastien
me l’avait présenté, et il venait régulièrement chez moi travailler sa
clarinette. Il me faisait notamment m’exercer au piano car c’est également un
excellent pianiste. Et on a enregistré ensemble. A la même époque, j’ai par
ailleurs pu enregistrer avec LeRoy Jones sur un disque de Guillaume Nouaux.
Etant autodidacte,
avez-vous pris quelques cours de perfectionnement?
En 2008, je devais retourner à New Orleans pour étudier. Je
m’étais inscrit à la faculté; j’avais un hébergement et une bourse d’études. Tout était calé, mais l’université m’a demandé le
baccalauréat que
je n’avais pas eu. Une grosse déception. Je suis parti
plusieurs mois à New York. J’allais voir des concerts (Frank Morgan, Larry
Goldings…) et je travaillais le piano dans ma chambre. J’ai fait quelques bœufs
mais il y avait une dimension compétition qui ne me convenait pas, d’autant que
je ne suis pas un pianiste de jazz très technique. J’aurais aimé avoir l’occasion de jouer
davantage… En revanche, j’ai pris des cours intéressants avec Aaron Goldberg. J’ai aussi suivi quelques leçons avec George Cables, chez lui.
J’ai toujours les notes de nos entretiens, ainsi que les
enregistrements. J’ai eu la chance de rencontrer Junior Mance que
j’allais voir souvent en trio.
Cela vous a-t-il
amené à faire évoluer votre jeu?
Je me suis davantage tourné vers la composition, et je me
suis éloigné du boogie woogie. J’ai d’ailleurs enregistré en 2009 un disque en
trio avec Cédric Caillaud (b) et Matthieu Chazarenc (dm), Look Like Twins, dans lequel
il n’y avait aucun boogie. J’ai beaucoup tourné avec cette nouvelle rythmique
qui m’a permis de sortir du jazz traditionnel. Après quoi, j’ai monté mon
propre studio d’enregistrement.
Comment a démarré le
duo «Nikki & Jules» avec Nicolle Rochelle?
J’étais en concert
solo à Beuvron-en-Auge (Calvados) quand j’ai rencontré Nicolle. C’était en
2012. L’organisateur de la soirée me l’avait présentée pour que nous fassions
le bœuf. Et l’on s’est tout de suite très bien entendus. Elle a énormément
d’énergie, elle adore improviser. On s’est ensuite retrouvés à Paris. Je lui ai
parlé de mes compositions, de mon désir de faire davantage de production. Elle
avait les mêmes envies. On a donc très naturellement monté ce duo, avec un
répertoire assez large, allant de Joséphine Baker au boogie et au blues que
Nicole découvrait. Et on a enregistré en 2013, avec Nicolas Dary (ts),
Jean-Baptiste Gaudry (g), Bruno Rousselet (b) et Julie Saury (dm). Ce projet a
très bien fonctionné, et on a beaucoup tourné avec ce groupe jusqu’en 2015. C’est
un peu plus calme aujourd’hui.
Vous avez fait une incursion dans le monde de
la pop…
Je me suis davantage
ouvert à cette musique depuis quelques années. Par un concours de
circonstances, on m’a proposé de passer une audition pour accompagner La Grande
Sophie. Je ne connaissais pas ses chansons mais l’idée m’a amusé. A ma grande
surprise, j’ai été pris, et je l’ai donc suivie pendant un an et demi. Ça m’a
permis de travailler avec d’excellents musiciens et d’appréhender différemment
la scène, sans aucune improvisation; ça m’a manqué, et j’ai eu envie
d’enregistrer un nouveau disque en leader. J’avais dans
l’idée de revenir au blues, en trio. Quelque chose d’assez simple. Et puis le
projet s’est enrichi de façon empirique. Je suis entré en studio avec le
bassiste de La Grande Sophie, Oliver Smith, qui m’a conseillé un batteur,
Romain Joutard. Les répétitions se sont très bien passées. C’était une
rythmique très précise, ce qui est très agréable. Puis, j’ai rajouté des choristes
et des cuivres.
Playground
sonne davantage pop, moins enraciné…
Cela correspond à
cette envie de composer en allant davantage vers la pop. Jusqu’à présent je
n’osais pas sortir ces compositions. A présent, elles émergent petit à petit…
Mais cela se mélange avec ce que j’ai déjà fait par le passé: le blues, la
soul, la musique new orleans. Il faut que ce projet continue à vivre; il y a
encore beaucoup de dates de concerts prévues, notamment en Suisse et en Allemagne
début 2018. Ce projet a trouvé à s’épanouir sur scène, avec de superbes
musiciens, et on a donné de très beaux concerts, notamment lors du festival «Un
Piano dans la Pinède», sur l’Ile d’Oléron, en août dernier. La formule de Playground est flexible. Sur l’album,
nous sommes sept, avec des choristes et des cuivres. Il arrive que nous nous
retrouvions tous sur scène mais beaucoup de concerts ont lieu simplement en
trio avec Bruno Rousselet et Alex Viudes (dm).
Avez-vous des projets?
Pour l’instant,
parallèlement aux concerts, je travaille sur mes compositions pour mon prochain
album…
*
Tournée Playground
Paris (Le Bœuf sur le Toit), le 14/12; Pélussin (Loire), le
17/01; Dijon (Côte d’Or), le 18/01; Kirchheim (Allemagne), le 19/01; Lucerne
(Suisse), le 20/01; Ascona (Suisse), le 21/01; Eaubonne Jazz (Val d’Oise), le
27/03; Jazzaudehore (Yvelines), le 6/04; Spikeroog (Allemagne), le 13-14/04
CONTACT: www.julienbrunetaud.com
DISCOGRAPHIE
Leader/Coleader CD 2006. Orleans Street Boogie, Southland Records 36 CD 2007. Driftin Blues, Southland Records 40 CD 2009. Look Like Twins, Frémeaux & Associés 521 CD 2011. French Blues All Stars, Live in Paris, Ahead 825.2 CD 2013. Nikki and Jules, Brojar Music (avec Nicolle
Rochelle) CD 2016. Playground, Brojar Music
Sideman CD 2000. Nico Wayne Toussaint, Blasting the Blues, DixieFrog
8502 CD 2002. Nico Wayne Toussaint, Transgender, DixieFrog 8539 CD 2004-05. Jérôme Etcheberry, Jazz River, JE-1967 CD 2005. Kevin Doublé Blues in the Morning, Autoproduit CD 2005. Joe Turner, My French Connexion, Mystic Records 190 CD 2006. Nina Van Horn, From Huntsville to Jordan, Cristal
Records 119 CD 2006. Evan Christopher, Clarinet Road Volume III. In
Sidney’s Footsteps, Digital Records 1020 CD 2006. Fred Dupin and the New Bumpers, Orleans Street,
Jazzology Records 362 CD 2006. Rosebud Blue Sauce, About Love, Autoproduit Q-04 CD 2006-07. Chris James/Patrick Rynn, Stop and Think About
It, Earwig Music 4957 CD 2007. Anthony Stelmaszack, Night of the Living Dead
Bluesmen, Autoproduit AS01 CD 2007. Guillaume Nouaux, Guillaume's Invitation,
Autoproduit GN07CD5 CD 2009. Charles Pasi, Uncaged, Believe 5099909612020 CD 2010. Dana Gillespie, I Rest My Case, Ace Records 1279
VIDEOS
2010. Julien Brunetaud, Duc des Lombards (Paris, 3 mai 2010) Julien Brunetaud (p, org, voc), Cédric Caillaud (b),
Matthieu Chazarenc (dm) https://www.youtube.com/watch?v=mokOSad2s4A
2014. Nikki & Jules, concert au Festival Jazz &
Blues Léognan (Gironde, 6 juin 2014)
Nicolle Rochelle (voc), Julien Brunetaud (p, voc) https://www.youtube.com/watch?v=vzDe9wubaxI
2015. AWEK invite Nico Duportal et Julien Brunetaud,
Festival Toulouse l’Eté (30 juillet 2015) Bernard Sellam (g, voc), Stéphane Bertolino (hca), Joël
Ferron (b), Olivier Trebel (dm) + Nico Duportal (g, voc), Julien Brunetaud (p,
org, voc) https://www.youtube.com/watch?v=c2zhrZ3F-gQ
2015. Nikki & Jules, Saint-Pierre d’Oléron
(Charente-Maritime, 31 octobre 2015) Nicolle Rochelle (voc), Julien Brunetaud (p, org, voc),
Jean-Baptiste Gaudray (g), Bruno Rousselet (b), Julie Saury (dm) + Didier
Desbois (as) https://www.youtube.com/watch?v=4QAvFVntY94
2016. Julien Brunetaud, sortie de l’album Playgroud, Sunset (Paris, 6 décembre
2016) Julien Brunetaud (p, org, voc), Jérôme Etcheberry (tp), Sylvain
Fétis (ts), Oliver Smith (b), Romain Joutard (dm), Faby Médina, Céline
Languedoc (voc) + Greg Zlap (hca), Zoé Dadson (voc) https://www.youtube.com/watch?v=5EWY-T4XhBw
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