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Au programme des chroniques
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• A • Ambrose Akinmusire • Akpé Motion • Joey Alexander • Jean-Paul Amouroux (Plays Boogie Woogie Improvisations) • Arild Andersen • Sébastien Iep Arruti/Craig Klein • A.Z.III • B • Dmitry Baevsky • Mourad Benhammou • Eric Bibb • Ellen Birath/Paddy Sherlock • Neal Black/Larry Garner • BLM Quartet • Jane Ira Bloom • Stefano Bollani • Jean-François Bonnel • Pierre Boussaguet • Albert Bover • Albert Bover/Marco Mezquida • Christian Brenner: Le Son de l'absence • Christian Brenner: Les Belles heures • Yves Brouqui • Julien Brunetaud • Lance Bryant/Christian Fabian/Jason Marsalis • C • José Caparros • Jean-Marie Carniel • Caveau de La Huchette • Marie-Laure Célisse • Fred Chapellier • Adrien Chicot • Billy Childs • Esaie Cid • Classic Jam Quartet • George Coleman • Javier Colina • The Cookers • Marc Copland • Pierre Christophe • D • Jean-Michel Davis • George DeLancey • Akua Dixon • Laure Donnat • Philippe Duchemin • E • Jérôme Etcheberry/Michel Pastre/Louis Mazetier • Bill Evans • F • Claudio Fasoli (Inner Sounds) • Claudio Fasoli (Haiku Time) • Les Fils Canouche • Jean-Marc Foltz/Stephan Oliva • G • Macy Gray • Jimmy Greene • Zule Guerra • Guitar Heroes • H • Heads of State • Fred Hersch • Vincent Herring • Dave Holland/Chris Potter • Sylvia Howard • J • Ahmad Jamal • JATP • Jazz at Lincoln Center Orchestra • Jazz de Pique • Sean Jones • Nicole Johänntgen • Howard Johnson • Sweet Screamin' Jones/Boney Fields • K • Matt Kane • Olivier Ker Ourio • Lee Konitz • L • Stan Laferrière • François Laudet • Laura L • Jobic Le Masson • Dave Liebman/Richie Beirach • Lisa Lindsley • Ernán López Nussa • Harold Lopez-Nussa • Louis Prima Forever • Joe Lovano • M • Cécile McLorin Salvant • Madness Tenor • MAM • Henry Mancini • Pablo Martín • Roger Mennillo/Ugo Lemarchand • Bill Mobley • Thelonious Monk • N • Gérard Naulet • New Orleans Roots of Soul • Richard Niles • O • Oracasse • P • Lia Pale • Michel Pastre • Madeleine Peyroux • Enrico Pieranunzi/André Ceccarelli/Diego Imbert • Paul Pioli • Michel Portal • Grégory Privat • R • Race Records • Ben Rando • Felice Reggio • Bernd Reiter • François Rilhac • Duke Robillard • Elijah Rock • Mighty Mo Rodgers • Renee Rosnes • S • Nicola Sabato/Jacques di Costanzo • Daahoud Salim • Iñaki Salvador • Perico Sambeat • Christian Sands • Albert Sanz • Julie Saury • Andreas Schaerer • Ken Schaphorst • Bruno Schorp • John Scofield • Paddy Sherlock • Trombone Shorty • Ben Sidran • Vittorio Silvestri • Steve Slagle • Wadada Leo Smith • Jim Snidero • Dave Stryker • T • Claude Tchamitchian • Gonzalo Tejada (To Norman Jeane Baker) • Gonzalo Tejada (Chet Baker Tribute) • Henri Texier (Intuition) • Henri Texier (Label Bleu) • The Dime Notes • The New Orleans Jazz Vipers • Claude Tissendier • Rémi Toulon • Sébastien Troendlé • Steve Turre • V • Ramón Valle/Orlando Maraca Valle • Ben Van Den Dungen • André Villéger/Philippe Milanta/Thomas Bramerie • Vintage Orchestra • Miroslav Vitous • W • Bobby Watson • Ernie Watts • Randy Weston • Diederik Wissels • Warren Wolf • X • XY Quartet |
Des
extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur
Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes
signalées par une info-bulle.
© Jazz Hot 2018
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Howard Johnson and Gravity
Testimony
Testimony, Working Hard for the Joneses, Fly With the
Wind, Natural Woman, High Priest, Little Black Lucille, Evolution, Way Back
Home
Howard Johnson (tubas en si, fa, bar), Velvet Brown (lead
tuba en fa), Dave Bargeron (tuba en mi), Earl McIntyre (tuba en mi), Joseph
Daley (tuba en si), Bob Stewart (tuba en do) Carlton Holmes (p), Melissa Slocum
(b), Buddy Williams (dm) + Nedra Johnson (voc), Joe Exley (tuba en do), CJ
Wright, Butch Watson, Mem Nahadr (choir)
Enregistré en 2016, New York
Durée: 54'
Tuscarrora Records 17-001 (www.hojotuba.com)
A 76 ans, Howard Johnson s’offre le luxe d’une éternelle
jeunesse musicale et réunit une nouvelle fois sa bande de tubistes. Leur
harmonie date de longues années et la joie et la force de se retrouver sonnent
de grands airs. Il est bon de rappeler le parcours d’un des tubistes mais aussi
compositeur majeur qui a donné ses lettres de noblesse à un instrument?
trop souvent cantonné à marquer le tempo. Appelé à New York en 1963 par Eric
Dolphy, le tout jeune Howard (22 ans) débarque dans la capitale du jazz et se
fait remarquer par des compositeurs qui ne cesseront de faire appel à ses
services. Ses lettres de noblesses acquises auprès de Charlie Mingus, il se met
au service de Gil Evans, de Carla Bley et de tant d’autres patrons de grands
orchestres. A noter qu’il ne délaissera jamais le blues et, dès 1971, il est auprès
de Taj Mahal. Une carrière exemplaire qui le fait apparaître dans des dizaines
d’albums et qui le pousse à monter son propre ensemble. Sans cesse précurseur, il
compose et arrange des dizaines de titres et aime puiser dans un répertoire populaire
qu’il adapte à ses formations.
Dans ce nouvel opus, les
tubas, accordés sur différents tons, sont les rois et chacun a droit à sa
partie de bravoure. Il est difficile de comparer entre eux ces mousquetaires du
souffle car tous, par leur nom, leurs qualités, leurs expériences, ont
contribué à l’histoire de leur instrument. Si Bob Stewart est le seul à avoir
vraiment mené aussi une carrière de leader, tous sont des sérieux candidats de
l’olympe des cuivres embouchés, des brass gros volumes comme on les appelle.
Howard Johnson signe deux des compositions «Testimony» et «Little
Black Lucille», rend hommage, à McCoy Tyner, «Fly With The Wind»
et «High Priest», à Carole King «Natural Woman» sans oublier
le pianiste Bon Neloms avec «Evolution». L’album s’écoute sans
temps mort, avec un immense plaisir, du début à la fin, et paraît bien court.
L’atmosphère générale baigne dans le blues et l’ensemble revisite les étapes
qui marquent sa carrière. L’album se conclue sur «Way Back Home» comme
un hymne au retour à la maison de la soul, à l’égal d’un «Sweet Home Chicago».
Un final où se succèdent Bob Stewart, Dave Bergeron et Howard Johnson; on
remonte le Mississippi jusqu’à Chicago dans une tradition revisitée. Un
précieux album qui nous prouve une nouvelle fois que des musiciens, même d’un
âge avancé, peuvent nous faire vibre.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Steve Slagle
Alto Manhattan
Family, Alto
Manhattan, I Know That You Know, Body & Soul, Inception, Guess I’ll Hang My
Tears Out to Dry, A.M, Holiday, Viva la Famalia
Steve Slagle
(as, fl), Laurence Fields (p), Gerald Cannon (b), Bill Stewart (dm) + Joe Lovano
(ts, mezzo ss), Roman Diaz (cga)
Enregistré le
6 aôut 2016, Paramus (New Jersey)
Durée: 52'
Panorama
Records 006 (www.steveslagle.com)
Malgré une longue
carrière de plus de quarante ans, Steve Slagle reste hélas un des altistes contemporains
les plus mal connus et dont néglige de plus les qualités de flûtiste. Arrivé à
New York en 1976, il est sollicité aux pupitres de grands orchestres,de Machito
à Carla Bley, en passant par Woody Herman, Lionel Hampton ou Cab Calloway… et
se singularise auprès de Steve Kuhn, Ray Barreto. Au milieu des années
quatre-vingt, il se produit avec ses propres groupes –dans lesquels figurent Mike
Stern–, il apparaît régulièrement aux côtés de Joe Lovano, et codirige à partir
de 2000 le Stryker/Slagle Band. Il enregistre et tourne avec le
chanteur brésilien Milton Nascimento et le Charlie Mingus Big Band (quatre albums)
où il assure un temps le rôle de chef d’orchestre et d’arrangeur; il travaille même
avec Elvis Costello et Dr John. Il revêt souvent son habit de formateur et intervient
notamment dans les «clinics» du Thelonious
Monk Institute.
Pour son dix-septième album, Steve Slagle a réuni ses
fidèles accompagnateurs et invité son ami Joe Lovano sur trois titres. Alto Manhattan est le nom latino de l’Upper Manhattan,
cette partie de New York que Steve Slagle appelle sa maison. Une évocation de
son quartier à travers des compositions originales, certaines inspirées par la
musique cubaine, et des reprises «Body & Soul» ou «Guess
I’ll Hang My TearsOut to Dry», thème moins connu de J. Styne et S.
Cahn, ainsi qu’un hommage à McCoy Tyner avec «Inception». La
totalité de l’album est d’excellente tenue. On soulignera son style envolé qui
aime accélérer les tempos. Le groupe est très soudé autour de son patron et les
invités, Roman Diaz aux congas et Joe Lovano aux saxophones ténor et mezzo-soprano
contribuent de tout leur savoir-faire à la réussite de cet album. Tous les
titres recèlent leur propre intérêt et on peut apprécier en particulier les
deux derniers où Steve Slagle prouve ses talents de flûtiste. Un excellent
artisan qui mérite que l’on s’attarde sur son travail d’orfèvre.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Madness Tenor
Be Jazz for Jazz
Awo, Plus Plus, Nobody’s Perfect, Sadness, Fox in the Wood,
Hey Open Up, A Bacchus, On the Phone
Lionel Martin (ts, as, ss), George Garzone (ts), Mario
Stanchev (p), Benoît Keller (b), Rampo Lopez (dm)
Enregistré en mars 2015, St Genis L’Argentière (Rhône)
Durée: 47'
Cristal Records V001/5 (Sony Music)
Madness
Tenor, nom en référence à John Coltrane et Sonny Rollins, dont
on retrouve la filiation dans les deux premiers titres époustouflants, «Awo»,
pour Coltrane, et «Plus Plus», pour Rollins. Les deux sax,
parfaitement soutenus par un trio dévastateur, célèbrent cette rencontre entre
l’Europe et l’Amérique, réunion rendu possible par le Jazz Forum Festival de
Stara Zagora en Bulgarie, d’où est originaire Mario Stanchev, le Festival à
Vaulx Jazz et le Théâtre des Pénitents de Montbrison. Si on connaît bien dans
l’hexagone le travail, les groupes et les expériences multiples de Lionel
Martin, Mario Stanchev, Benoit Keller et Ramon Lopez, il est bon de rappeler le
rôle de George Garzone, pédagogue émérite et jazzman absolu. Professeur au
Berklee College of Music et à la New Scool for Jazz and Contemporary Music,
entre autres, il a enseigné à nombre de pointures, tels Joshua Redman, Branford
Marsalis,Mark Turner et a joué avec Joe Lovano, John Patitucci, Gary Peacock,
Dave Holland ou Dave Liebman.
Son curriculum vitae n’a en
rien intimidé la fine équipe qui l’accueille et balaie tout préconcept qui
pouvant opposer les musiciens des deux côtés de l’Atlantique. Cet album est un
hymne à la liberté, l’entente et la complicité des souffleurs est épaulé à tout
moment par la vitalité du groupe qui nous emporte dans un vent violent. Toutes
les compositions sont originales mais nous apparaissent déjà comme des titres
inscrits dans la mouvance de la musique libertaire, celle puisée aux sources du
free jazz. L’album est fort du début à la fin et on ne peut que basculer dans
cet univers de bataille d’où jaillit un son de tonnerre. Pas de temps mort, on
écoute tous les titres dans une fusion jubilatoire et l’on regrette de n’avoir
pu assister en live à un concert face à cette tempête. Nul besoin d’isoler un
titre ou une félicitation à un des musiciens, il faut prendre le groupe en bloc
et accepter le choc.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Jean-François Bonnel
With Thanks to Benny Carter
When Lights
Are Low, Titmouse, Mood Indigo, Lotus Blossom, Blues in My Heart, If Dreams
Come True, Key Largo, Cocktails for Two, ‘Deed I Do, Love You’re Not the One for
Me
Jean-François
Bonnel (as, cl), Chris Dawson (p), François Laudet (dm), Charmin Michelle (voc)
Enregistré en novembre 2015
Durée: 52’
Arbors
Records 19452 (http://arborsrecords.com)
Dans un style
impeccable, Jean-François Bonnel exprime sa passion pour le répertoire et le
musicien qu’était Benny Carter. Jeune étudiant et sans un sou en poche, il monta
à Paris pour écouter ce maître et il put assister à un concert en club. Tout
juste assis en face de l’orchestre, émerveillé, il n’osa aller saluer le
saxophoniste mais resta à jamais marqué par ce souvenir. Ce moment magique le
guidera dans sa carrière pour exprimer au mieux l’authenticité du jazz qu’il
entend défendre. Jean-François Bonnel n’est plus un débutant. A presque 60 ans,
il présente un parcours des plus riches. De ses débuts avec le Hot Antic Jazz
Band (qui se produit aux Etats-Unis avec en invités Benny Waters, ts, et Jabbo
Smith, tp), à la découverte de Cécile McLorin Salvant, qui se forme dans la
classe de jazz qu’il dirige au conservatoire d’Aix-en-Provence, Jean-François,
pédagogue et multi-instrumentiste (as, cl, tp, g) mène discrètement une
carrière complète.
Pour cet enregistrement, spécial à son cœur, il a
invité deux amis d’Outre-Atlantique, Chris Dawson (p) et Charmin Michelle (voc),
et le fidèle et excellent François Laudet qui a été son compagnon lors des
tournées avec Benny Carter (Saxomania). Les musiciens ont décidé de se priver
d’un contrebassiste, laissant ainsi une plus grande place à la rythmique. Le répertoire
a été vite choisi: en l’occurrence, les titres préférés de Benny Carter
et, en particulier, ceux déjà interprétés par la chanteuse rencontrée au sein
du Tuxedo Big Band. Le titre qui sert d’introduction, «When Lights Are
Low», est la composition la plus connue de Benny Carter, qu’il écrivit à l’époque
où il vivait à Londres; on peut en compter plus d’une centaine de versions
enregistrées et celle-ci ne démérite en rien. Charmin Michelle promène avec une
justesse extrême sa belle voix sur les versions de «When Lights Are Low»,
«Mood Indigo», «Lotus Blossom», «Blues in My
Heart», «Key Largo», «Love You’re Not the One for Me»,
apportant son feeling et sa joie qui dynamisent ce beau programme. Les trois
autres musiciens, présents sur la quasi-totalité des titres, gambadent allégrement,
illustrant de leur talent sobre et élégant un disque bien plus qu’agréable. Il
suffit d’écouter «Deed I Do» pour se rendre compte de l’entente qui stimule
cette séance en studio. Un bel hommage qui permet de découvrir des musiciens
dont le rôle demeure essentiel dans l’échange des générations et la
transmission d’une véritable tradition. On ne peut que saluer cette heureuse
initiative du label américain Arbors Records qui aux côtés de Bucky Pizzarelli,
Al Grey, Bob Dorough, publie ici l’enregistrement un artiste français. Un seul
regret, l’intéressant petit livret, signé d’Ed Berger, co-auteur de Benny Carter. A Life in American Music,
est disponible seulement en anglais.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Paul Pioli Trio
Lignes
Rituel’s
Blues, Ne Coupez Pas, En Sortant de l’école, The Jim’s Song, A la bonne heure,
Manoir de mes Rêves, One for Ben, Motif, Chuchotements, Valse pour Auguste
Paul Pioli
(g), Pierre Fenichel (b), Fred Pasqua (dm)
Enregistré en
décembre 2016, Marseille (Bouches-du-Rhônes)
Durée: 52'
Autoproduit 01-2017/AP
(www.paulpioli.com)
Bonne
surprise venant du sud de la France,le nouvel opus du guitariste marseillais
Paul Pioli, Lignes, qui a précédé de
peu l’album de l’aixois Jean-François Bonnel, les deux étant de sérieux
compères depuis des lustres. Guitariste sachant rester discret, Paul Pioli n’en
présente pas moins une carrière de près de quarante ans qui l’a vu s’associer
au guitariste Jean-Paul Florens en duo (son premier LP Caramel), au Trio Rituel ou encore à la regrettée flûtiste
Dominique Bouzon. Grand admirateur de Wes Montgomery, dont il emprunte le
toucher, jouant sur les cordes sans médiator, il a su au fil du temps s’en délivrer
en affirmant un jeu plus personnel. Sa grande collection d’albums historiques a
nourri sa curiosité, en même temps qu’il s’ouvrait aux guitaristes new-yorkais entendus
dans les clubs de la Grosse Pomme ou sur la scène du Cri du Port (le
rendez-vous des amateurs phocéens) avec, entre autres, Kurt Rosenwinkel, John
Abercrombie,Joe Beck, Ben Monder, Gilad Hekselman… Bon pédagogue, il sait
transmettre sa technique et son savoir, et ses cours accueillent de nombreux
jeunes (et moins jeunes) musiciens qui veulent parfaire leur éducation jazzique.
Entre concerts et cours, le temps passe vite et les rencontres multiples ont forgé
un musicien très sollicité, qui tantôt en leader ou en invité, va de scène en
scène, le plus souvent sudistes. On peut rappeler les superbes rencontres avec
les vétérans américains Tony Pagano, Ben Aronov ou George Brown, ou celles avec
la jeune garde en devenir : Thomas Bramerie, Bernard Jean, sans oublier Cécile
McLorin Salvant qu’il a accompagnée à ses débuts.
Sur cet album concept, il est épaulé par son groupe
régulier qui avec la solidité d’une Cadillac, tient la route tant dans
l’accompagnement que dans les moments de soliste. Le répertoire choisi alterne
entre anciennes compositions totalement revisitées et de belles découvertes;
souvent nostalgiques, elles évoquent d’anciens disparus: «The Jim’s
Song», «One for Ben», mais aussi des grands moments de
rencontres «En sortant de l’école» (hommage à Prévert?), «Valse
avec Auguste». A l’exception de l’éternel «Manoir de mes rêves»,
de Django Reinhardt, la totalité des titres est signée et arrangée par le leader.
Porté par le cours d’un fleuve tranquille, la musique nous guide en toute
sérénité dans les méandres de l’univers de Paul Pioli, dont la douceur
apparente cache un formidable travail de précision.
Ellen Bertet
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Diederik Wissels
Pasarela
Timid Statues, Molenbeek,
Inspirit, Wayfare, Releae, Within, Far and Wide, Beyond the Frame, Pasarela,
Dreamcatcher, Hideout, Carpe Noctem
Diederik Wissels (p, synth,
loops), Nicolas Kummert (ts), Thibault Dille (acc, synth, loops) +Victor Foulon
(b), Emily Allison (voc)
Enregistré en octobre 2016,
Bruxelles (Belgique)
Durée: 56' 47''
Igloo Records 283 (Socadisc) On ne présente plus le talentueux pianiste
Diederik Wissels mais, au fil d’une carrière riche en louanges, on redécouvre
le compositeur-arrangeur, son âme, sa poésie, ses aquarelles. Il a récemment donné
deux concerts triomphants et très différents par l’approche; enjoué, bebop et
terriblement swing en quartet, avec son complice de toujours, le chanteur David
Linx; puis, son projet Pasarela qui
fait l’objet de cet album. L’identité du quinqua hollando-bruxellois s’expose
par une musique non étiquetée –si ce n’est par lui-même. Bien sûr, il y a un
background qui a démarré avec Michel Herr et s’est affiné –il y a bien
longtemps– au Berklee College. Sa musique, après avoir incorporé les canons
classiques européens et scandinaves, de Chopin à Edvard Grieg va bien au-delà
des écoles sous-Jarrett. Aujourd’hui, Diederik Wissels est sa musique:
intimiste, impressionniste, introvertie aussi. Pour cette dentelle, nul n’est
besoin d’un batteur –fusse même aux balais; les synthés, les loops et la mastérisation
fine de Dan Lacksman créent l’atmosphère diaphane qui colle à l’écriture.
Utiles et judicieux aussi pour porter l’œuvre: le souffle retenu du ténor de
Nicolas Kummert et la touche world de l’accordéoniste; Thibault
Dille. A la basse, sur quatre thèmes, Victor Foulon apporte un soutien un peu
plus enlevé; Emily Allison, peu présente, jette quelques paillettes angéliques.
Nul besoin d’analyser chaque composition tant l’unité de la création est
évidente de but en blanc. Soulignons seulement la photographie d’un «Molenbeek»
à cent lieues de l’image misérabiliste qu’en donnent les médias. C’est là qu’il
habite et c’est là qu’il est «habité». Puisque vous aimez le jazz, vous aimez
sans doute aussi la Musique, la grande, celle qui vous retourne le cœur et vous
transporte dans ses climats éthérés ou romantiques. Alors, oui, cet album est
«indispensable»!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Claudio Fasoli
Haiku Time
Fit, Dim,
Far, Wet, Low, Bag, She, Try, Bow, Day, Fog
Claudio
Fasoli (ss, ts), Michael Gassman (tp, flh), Michelangelo Decorato (p), Andrea
Lamacchia (b), Marco Zanoli (dm)
Enregistré
entre janvier et mai 2017, Cavalicco (Italie)
Durée:
56' 12''
Abeat Records
JZ 178 (www.abeatrecords.com)
Après s’être inspiré de l’âme des villes, Brooklyn, Londres, Venise,
Claudio Fasoli se laisse emporter par le temps du haïku. C’est un chant de
l’intérieur qui explose littéralement dans ce nouveau quintet, avec quand même
quelques-uns de ses compagnons de route. Claudio Fasoli renouvelle le classique
quintet bop/hard bop, par l’écriture, son voicing si particulier («Dim»)
dans les ensembles qui est sa marque profonde, et un art du contrepoint («Bag»)
qui n’appartient qu’à lui, ainsi que l’utilisation du répons, comme dans
«Low» entre basse, batterie, piano ténor. Avec toujours ce goût de
la belle mélodie, de la beauté des sons, et cette expressivité lyrique contenue
qui lui donne toute sa force, aussi bien au soprano qu’au ténor. Son pianiste
habituel fait merveille, retenue, art de la litote, jeu aéré qui donne de la
musique au silence, écouter «Day», où se goûte toute la sensibilité
du pianiste, ou encore ce duo ««Fog» avec le ténor, auteur de
magnifiques envolées, et un pianiste qui baigne dans la beauté. Michael Gassman
possède un vrai son de trompette, chaud et cuivré, une grande volubilité pour
un phrasé personnel comme en fait foi sa prestation sur
««Far», avec aussi de beaux graves. Le batteur est d’une
discrétion exemplaire, tout en étant très présent, il colore mais pulse
également, parfaitement en osmose avec le contrebassiste, adepte du gros son
perlé, mais capable de traits rapides et légers. Chaque morceau possède sa
propre identité, son atmosphère, mais fait partie du tout, conçu comme une
œuvre globale de part l’écriture de Claudio Fasoli. Celui-ci dès l’ouverture du
disque, nous offre un majestueux solo de soprano, peut-être le plus beau parmi
ceux qu’il a enregistrés. Claudio Fasoli est un musicien, discret, généreux et
chaleureux, et certainement l’un des plus créatifs tout en n’oubliant pas les
bases du jazz. Un phare de la scène italienne.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Gonzalo Tejada Special Trio
5 Urte Muestra BBK Jazz Bilbao. Chet Baker Tribute
Way to Go Out, September Song, My Heart Belongs to Daddy, My Funny Valentine,
Star Eyes, Love for Sale, But not for Me
Gonzalo Tejada, (b), Joaquín Chacón (eg), Chris Kase (tp)
Enregistré le 8 octobre 2011, Bilbao (Espagne)
Durée: 57'
Moskito Rekords 012 (www.jazz-on.org)
Donner
en concert sept pièces enregistrées par Chet Baker, tel est le projet du
contrebassiste Basque Gonzalo Tejada. Comme pour toute la série «Muestra
BBK», il s’agit d’un live. Reprenant le schéma du trio de Chet dans les
années cinquante (David Wheat, g, et Russ
Savakus, b), le disque parcourt des titres enregistrés par le trompettiste à diverses
périodes. L’intérêt est d’avoir donné
une unité à tous ces thèmes, les reliant par un fil conducteur, le style de Cris Kase mais aussi la
remarquable prestation de Chacón qui apporte une touche très moderne. Dans tous
les cas, les deux musiciens bénéficient d’un appui de premier de Gonzalo
Tejada. «Way to Go Out» possède un formidable swing impulsé par
Kase. «September Song»débute avec l’archet de Tejada et la
guitare égrène ses notes derrière la trompette. Magnifique. L’oreille doit
s’attacher à écouter la contrebasse sur «My Heart Belongs to Daddy»
car un effort est à faire tant les deux autres instruments sont très attirants!
Toujours l’archet pour attaquer «My Funny Valentine» et propulser
la trompette (applaudissements fournis). La guitare se fait discrète puis
termine par un beau solo, ce que propose aussi le contrebassiste. Kase brille
encore sur «Star Eyes», tandis que «Love for Sale» est
introduit (longuement comme plusieurs autres thèmes) par l’archet. Toutes ces
introductions permettent d’apprécier pleinement les qualités de Tejada. Au fil
des morceaux on s’aperçoit que Joaquín Chacón est un guitariste sous-estimé.
Sur ce thème son solo déchaîne le public! Le concert s’achève sur «But
not for me». Les Gershwin n’auraient pu qu’apprécier ces sept minutes de
jazz qu’offre le trio, très en osmose et déployant un swing entrainant. Un
disque indispensable pour les amateurs de la scène jazz espagnole, au demeurant
quasiment introuvable dans les bacs des disquaires.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Pablo Martín Quintet
5 Urte Muestra BBK Jazz Bilbao
Intro, El Caminero, El 13 de
la Suerte, Alter Ego, Colina, El Republicanón, Fantasía Erótica
Pablo Martín (b), Perico Sambeat (as), Toni Belenguer (tb), Abe Rábade (p),
Bruno Pedroso (dm)
Enregistré le 15 octobre 2011, Bilbao (Espagne)
Durée: 1h 11’
Moskito Rekords 015 (www.jazz-on.org)
Basque formé en partie à Vienne mais ancré dans sa
terre natale, Pablo Martín est un contrebassiste d’une génération différente de
celle de Gonzalo Tejada. C’est un musicien plein d’idées adorant le live,
collaborant avec des chorégraphes, des danseuses de danse contemporaine ou de
flamenco. Il maîtrise parfaitement la musique dite classique et s’amuse avec
Bach. Il a rassemblé pour cet enregistrement, dans la salle BBK Bilbao, les
deux Valenciens Perico Sambeat et Toni Belenguer (tb), le Galicien Abe Rábade,
formé à la méthode Kódaly dès ses 4 ans, et dont il reste beaucoup de traces
dans son jeu créatif. Le batteur est le voisin Portugais Bruno Pedroso.
Cet album, qui a des parentés avec un autre disque de Martín, El Caminero, est un bon disque de jazz
alliant swing et dynamisme. Martín, auteur de toutes les compositions –signalons-en
la qualité–, offre plusieurs soli, telle
l’introduction de «El 13 de la Suerte», un thème qui prend des
accents flamenco au détour de quelques phrases. Martín entraîne avec vigueur ses
partenaires de la section rythmique, lesquels assurent la permanence d’un bon
swing. Les trois compères se connaissent parfaitement pour avoir très souvent
travaillé ensemble. De cette section rythmique, Rábade sait jaillir pour
exprimer sa propre personnalité dans de bons soli («El 13 de la Suerte») et aussi toute sa fantaisie.Perico –qui parfois s’aventure dans des
chemins variés histoire de ne pas céder à la routine– s’exprime ici dans le
registre qui nous semble le plus proche de ce qui fait sa force, c’est à dire
un jeu straight dans lequel il excelle. Annoncé à l’alto il joue aussi du
soprano et de la flûte selon les thèmes. Ses improvisations sont de qualité,
notamment sur «Colina» (as), sans doute un thème en hommage à
Javier Colina le contrebassiste, également sur «El Caminero» (fl,
ss) mais pourquoi restreindre car c’est du bonheur tout au long du disque. Toni
Belenguer, souvent partenaire de Sambeat, se hisse à son meilleur niveau pour
rivaliser avec le saxophoniste. C’est une réussite. On remarque ses soli sur«El Republicanón»,
«El Caminero» dans un
dialogue avec Perico, «El 13 de la Suerte». La «Fantasía Erótica» ne nous parait pas des plus
érotiques! et c’est sans doute le thème le moins attrayant rythmiquement
bien que Martín s’y mette personnellement en valeur. Le meilleur titre étant «Alter
Ego», sur laquel tous les intervenants s’illustrent en donnant ensemble
le meilleur d’eux-mêmes. La plus belle des compositions offertes par Pablo
Martín.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Javier Colina Quintet
5 Urte Muestra BBK Jazz Bilbao
Eighty One, Belén, You Don’t Know What Love Is, Verdad Amarga, Assmaudi, Cinco
Hermanas
Javier Colina (b), Ariel Brínguez (ss, ts), Albert Sánz (p), Dani García (dm)
Enregistré le 7 octobre 2013, Bilbao (Espagne)
Durée: 1h 06’
Moskito Rekords 016 (www.jazz-on.org) Voici un excellent disque d’un contrebassiste méconnu
en France: on le découvre ici aussi comme compositeur et le moins que
l’on puisse dire c’est qu’il domine son art. Javier Colina, s’il n’est pas Basque
et ne s’est pas entouré de Basques, a réuni quelques-uns des meilleurs jeunes
jazzmen vivant dans la péninsule. Le swing est la caractéristique de cet
enregistrement. Il en déborde à commencer par le premier titre «Eighty One»
mais aussi «You Don’t Know What Love Is». La contrebasse de Colina
sait propulser ses deux partenaires de la section rythmique, le Valencien
Albert Sanz et le remarquable Dani García, très original. Colina offre
également des soli de grande classe danstous
les thèmes et particulièrement dans «You Don’t Know What Love Is», «Belén»
et «Assamaudi» (daux forts accents gwana). La délicatesse est aussi présente dans le magistral«Belén»,
dans «Verdad Amarga» avec
un beau travail de Sanz qui récidive dans «Cinco Hermanas», thème possédant un beau swing.
Albert aime aussi s’amuser avec les citations!
Le saxophoniste Ariel Brínguez est également une pièce clé du disque. Formé à
Cuba, lauréat du concours JoJazz,il s’est installé en Espagne et, contrairement
à nombre de ses collègues expatriés, il n’a rien perdu de ses qualités. Il joue
beaucoup, notamment à Madrid. Capable de retenue comme de démesure (toujours bien contrôlée),
c’est un vrai jazzman qui sait laisser sa cubanité lorsque cela est nécessaire.
Toutes ses interventions dans ce concert enregistré sont de belle facture surtout
lorsqu’il prend son ténor. A travers cet enregistrement, Javier Colina montre
qu’il n’est pas seulement le contrebassiste polyvalent – qui a pu accompagner
Tete Montoliú, Bebo Valdés, Chano Domínguez, Jorge Pardo ou Perico Sambeat –
mais qu’il est bien une pièce maîtresse du jazz en Espagne.
Patrick Dalmace
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Lance Bryant/Christian Fabian/Jason Marsalis
Do for you?
Five Minute Blues, Never Again, Of a Certain Age*, The Cat
Hatter, Do For You?, If You Never Come to Me*, Resolvence of the Old, Weather
Forecast, Moxie Inside, Hey-It's Me You're Talking To
Lance Bryant (ts, voc), Christian Fabian (b), Jason Marsalis
(dm) + Gates Thomas (kb)*
Enregistré en novembre 2016, Paramus (New Jersey)
Durée: 57’ 59”
Consolitated Artists Productions 1057 (www.christianfabian.com)
Un disque de jazz par des musiciens qui font le corps de
cette musique. Pas d’interrogation sur l’origine, il s‘agit d’un jazz
direct «mainstream d’aujourd’hui», c’est-à-dire, ayant intégré dans le discours
les éléments post coltranien et colemanien (Ornette), avec blues, swing et une belle
expression naturelle, joué par des musiciens enracinés «Of a Certain Age».
Jason Marsalis est toujours aussi précis, brillant et plus relâché dans ce contexte,
d’une belle musicalité qui respire. Son jeu de batterie est vraiment un régal.
Le bassiste est dans l’esprit de cette musique, suivant assez souvent le discours
linéaire du sax à l’unisson ou en contre-chant, un discours qui pourrait
s’apparenter parfois à la postérité colemanienne des années soixante, ante Free Jazz, avec moins de systématisation,
de tension, et plus de lyrisme et de qualité mélodique, qui se rapproche aussi
de Sonny Rollins dans ses trios sans piano du tournant des années soixante,
avec un son moins puissant. Lance Bryant, natif des environs de Chicago, a
étudié au Berklee College of Music. Il a fait partie du big band de Lionel
Hampton dans les années 1990, a participé au film de Spike Lee, Malcolm X, et a accompagné Jon Hendricks, Wallace Roney,
Abdulah Ibrahim, James Williams, parmi beaucoup d’autres… Cet
enregistrement est donc original, ancré dans une histoire, sans volonté
d’épater, un bon moment de musique par de bons musiciens de jazz dans l’esprit.
Le saxophoniste chante sur deux thèmes, d’une voix naturelle, et avec le
soutien d’un clavier. Un jazz serein avec des moments plus relevés comme
«Resolvence of the Old», un peu plus tendu et de belle facture.
Yves Sportis
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Roger Mennillo/Ugo Lemarchand
Thinking of Ben
Béatrice, Autumn Leaves, Body and soul, The Says of Wine and
Roses, On the Sunny Side of the Street, Misty, It Could Happen to You, Here's
That Rainy Day, Blue in Green, Cherokee, The Shadow of Your Smile, Blues for
Boubs, It Could Happen to You
Roger Mennillo (p), Ugo Lemarchand (ts)
Enregistré le 8 mai 2015, Pompignan (Gard)
Durée: 1h 07'10''
Autoproduit (www.art-expression.net)
Tous deux professeurs à l'école de jazz «Art Expression», à
Saint- Cannat (Bouches-du-Rhône), le pianiste Roger Mennillo –également fondateur
et programmateur du beau festival Jazz à Beaupré, ceint en ce lieu enchanteur– et
le saxophoniste Ugo Lemarchand publient un hommage à Ben Aronov (1932-2015). Ce
pianiste américain a eu son heure de gloire à partir des années soixante à New
York, accompagnant Frank Sinatra, Lena Horne, Peggy Lee, et jouant avec Tom
Harrel et Lee Konitz ou Zoot Sims, autant dire une «star» en pays aixois où il s'est retiré au début
des années 2000. Ami et partenaire de
Roger Mennillo, les deux pianistes se sont produits en duo à plusieurs
reprises, face à face, chacun attelé à son Steinway, comme lors de l’édition
2007 du festival de Beaupré.
Si le répertoire de cet album est surtout constitué
de standards bien connus, il reprend aussi «Béatrice», magnifique
ballade de Sam Rivers très peu souvent jouée, et «Blues for Boubs»,
une très belle composition d'Ugo Lemarchand.La prise de son très soignée, l'entente complice entre les deux
musiciens, leur grand sens de l'improvisation et leur goût des surprises et des
changements de climat leur permettent d'éviter la monotonie qu'engendrent
parfois les duos piano-saxophone et font de cet enregistrement parfait, un
modèle à faire écouter dans toutes les écoles de jazz.
Daniel Chauvet
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Ken Schaphorst Big Band
How to Say Goodbye
How to Say
Goodbye, Blues for Herb, Mbira, Green City, Amnesia, Take Back the Country,
Float, Mbira 2, Global Sweat, Descent
Ken
Schaphorst (tp, ep), Michael Thomas (as, ss, cl), Jeremy Udden (as), Danny
McCaslin, Chris Cheek (ts), Brian Landrus (bar, bcl), Tony Kadleck, Dave
Ballou, John Carlson, Ralph Alessi (tp, flh), Luc Bonnila, Jason Jackson, Curis
Hasselbring (tb), Jennifer Wharton (btb), Uri Caine (p), Brad Shepik (g) , Jay
Anderson (b), Matt Wilson (dm), Jerry Leake (perc)
Enregistré les
18 et 19 décembre 2014, New York
Durée: 1h 11'
JCA
Recordings 1602 (www.kenschaphorst.com)
Sur sa carte
de visite, Ken Schaphorst se présente comme un compositeur, interprète et surtout
comme un professeur tenant la chaire du Département d’Etudes Jazz du New England
Conservatory de Boston. Il enseigne effectivement la composition, l’arrangement
l’analyse et dirige le NEC Jazz Orchestra. Il nous invite à écouter le septième
album de son big band pour lequel il a signé toutes les compositions.
Renouvellement d’un répertoire pour grand orchestre qui emporte cet ensemble
sur la première ligne du front des gros volumes. Fidèles à ces mentors, il leur
dédie deux titres, «Blues for Herb» pour Herb Pomeroy et «Take
Back the Country» pour Bob Bookmeyer, qui a autant influencé sa musique
que Duke Ellington. Aux côtés
d’anciens élèves, on retrouve des pointures qui illustrent aussi en leader les
pages du jazz actuel. Si l’on distingue les plus connus, tels Chris Cheek,
Ralph Alessi, Uri Caine ou Brad Shepik, ils ne font ici que se mettre au service
de la collectivité qui illumine un magnifique album digne des grands albums des
maîtres du passé. Faire vivre un tel ensemble reste toujours très difficile: si
Gil Evans ou Thad Jones/Mel Lewis arrivaient à rassembler des fidèles pour un
concert hebdomadaire, la vie et surtout la qualité permanente demande un réel
investissement.
L’art du compositeur et du professeur réside ici dans
l’alchimie qui permet, au-delà de l’originalité du répertoire, d’apprécier musicien
chevronnés et plus jeunes. Et il est fort dommage que nos festivals nationaux
refusent constamment de faire la part belle à de tels groupes qui doivent en
concert encore mieux s’exprimer. Si tous les titres sont dignes d’intérêt, on
retient, en particulier, les trois derniers qui semblent des hymnes aux voyages
lointains. «Mbira 2», sonne comme une traversée du Grand Ouest chevauchée par
la guitare de Brad Shepik et le trombone de Jason Jackson. «Global Sweat», le plus long titre (9 minutes), dans un soleil saharien, fait vibrer et scintiller les cuivres. Quant à «Descent», il conclue l’album de façon triomphante
dans un trilogue laissant le champ libre à Uri Caine, Ralph Alessi et Matt
Wilson. Outre ses talents de chef d’orchestre, Ken Schaphorst se révèle, par
ailleurs, un trompettiste de haut niveau.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Jimmy Greene
Flowers. Beautiful Life. Volume 2
Big Guy, Stanky Leg, Flowers, Second Breakfast, Fun
Circuit, Stink Thumb, Someday, December, Amantes, Something About You,
Thirty-Two
Jimmy Greene (ts, as, bar, ss), Kevin Hays (p, ep), Ben Williams (b), Otis
Brown III (dm, perc), Renee Rosnes (p, ep), John Patitucci (b, eb), Jeff
TainWatts (dm), Rogerio Boccato (perc), Sheena Rattai (voc), Ben Williams
(b), Mike Moreno (g), Jean Baylor (voc)
Enregistré en 2017, New York
Durée: 1h 03' 39''
Mack Avenue Records 1118 (www.mackavenue.com)
Flowers est
le deuxième volume et le pendant du magnifique Beautiful Life, hommage à sa fille assassinée le 14 décembre 2012
dans une école de Newtown dans le Connecticut, sorti en 2014. Si de nouveau, on
retrouve sur ce disque un casting all-stars avec, en particulier, la rythmique
d’airain de John Patitucci et Jeff Tain Watts, les titres qui composent ce
nouvel opus ne brillent pas par la même cohérence stylistique, comme s’il
s’agissait d’ébauches de compositions moins homogènes laissées de côté lors des
sessions de Beautiful Life. Les
morceaux interprétés par Ben Williams et Otis Brown III comportent des aspects
plus roots, là où ceux de John Patitucci et Jeff Tain Watts semblent plus
«flashy» et démonstratifs. Bien sûr, le timbre magnifique du leader au
saxophone ténor et soprano domine l’ensemble d’une superbe incontestable, et il
n’est pas question ici de mettre en cause la sincérité d’une musique à ce point
empreinte d’émotion et de résilience (mention spéciale au jeu de claviers de
Renee Rosnes). Même s’il est toujours difficile de donner suite à un album qui
porte l’empreinte de souffrances des plus imposantes jamais éprouvées par un
être humain, la volonté de sérénité affichée ici ajoute une tonalité «Christian
Music» plus affirmée aux phrasés traditionnellement associés au jazz d’Amérique
du Nord, en particulier sur les deux morceaux chantés «Flowers» et «Someday».
L’acmé du disque est sans nul doute atteinte avec la guitare de Mike Moreno sur
«Something about You». Un album des plus déroutants, mais dont certains titres
tracent leur chemin tout doucement jusqu’à nous.
Jean-Pierre Alenda
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Richard Niles Bandzilla
Bandzilla Rises!!!
Bandzilla
Rises!!!, Live as One, You Can’t Get There From Here, L.A Existential, The
World is Mine, Stone Jungle, The 5th Elephant, The Alligator From
West 15th, Love Don’t Mean a Thing, Welcome, to My World, Talkin’ in
Whispers, Tip For a Toreador, Why Is This World so Strange
Richard Niles
(g,voc), John Thirkell (tp), Mark Nightingale (tb), Ed Barker (as, ts,cl), Tini
Thomasen (bcl, bar), Michaël Parlett (bar), Adam Kaplan (fl), Alexander Niles
(p, kb), Steve Hamilton (kb), Ian Palmer (dm), Kurt Hamernick (perc), James
Beauton (marimba, vib), Garret Wolfe (b), Kim Chandler, Randy Brecker, Leo
Sayer, Bakerville Jones, Lamont Dozier Jr, Julia Zuzanna Sokolowska, Daisy
Chute, Paola Vera, (voc)
Enregistré à
Los Angeles, Londres, New York, Ecosse, France, Espagne et Australie, dates non
communiquées
Durée: 1h
09'
Bandzilla Records (www.bandzilla.net)
Attention c’est du lourd. Richard Niles, guitariste,
compositeur, arrangeur et producteur dirige d’une main de fer cet ensemble
tonitruant qui voyage entre jazz et rythm and blues. Dans la pure lignée d’un
Blood Sweat and Tears lorgnant vers Frank Zappa, les titres s’enchainent telle
une déferlante dans un esprit de fête, proche de la danse. La quasi-totalité
des compositions, signées par Richard Niles, sont chantées par une dizaine de
voix où chaque soliste fait preuve d’un professionnalisme tout américain.
Certains titres pourraient figurer dans les charts radiophoniques mais pourquoi
se priver d’une forme très populaire du jazz servi par de bons musiciens.
Chaque intervention des solistes, notamment Ed Barker aux saxophones et Richard
Niles à la guitare apportent un élément original sur un fond de cuivres
parfaitement orchestré. Tout est bien arrangé, on a affaire à des requins de
studio qui connaissent leur métier et rien n’est laissé au hasard.
Richard Niles, 65 ans, est tombé tout petit dans la
marmite, son père, Tony Romano travaillait déjà pour Frank Sinatra, Bing
Crosby, Cole Porter …quant à lui, il est sorti en 1975 du Boston’s Berklee
College of Music avec un diplôme en composition. Il gagne ensuite l’Angleterre
ou il sera le directeur musical de Cat Stevens et servira plusieurs années à la
TV comme arrangeur et chef d’orchestre. On le retrouve comme producteur musical
de nombreuses chanteuses; Kate Bush, Kim Wilde, Gloria Gaynor, Anita Baker,
Grace Jones ou encore Killy Minogue mais aussi des groupes plus rock tels
Depeche Mode. En 1980, il fonde Bandzilla pour interpréter des projets musicaux
moins commerciaux mais continue d’assurer ses revenus en travaillant avec des
vedettes telles; James Brown, Barry Manilow, Ray Charles, Paul McCartney, Joe
Cocker ou Tina Turner mais aussi des boy bands et même Mariah Carey. Côté plus
jazz, il a été partenaire de Pat Metheny, Bob Mintzer, Michel Legrand, John
Patitucci… Il a enregistré deux albums en tant que guitariste «Santa Rita»(Sanctuary) and «Club Deranged» (Nucool) et il continue d’animer des émissions radiophoniques. AvecBandzilla Rises!!!, second CD
du groupe, il signe un véritable album d’un polyvalent de
l’industrie musicale qui a su garder une passion pour des escapades
rafraichissantes.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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XY Quartet
11. Orbite
Titov, Gagarin, Malcolm
Carpenter, Buzz, Valentina Tereshkova, John Glenn, Rakesh, Vladimir Komarov
Nicola Fazzini (as), Saverio
Tasca (vib), Alessandro Fedrigo (bg), Luca Colusssi (dm)
Enregistré en 2017, San
Biagio Di Callalta (Italie)
Durée: 48' 57''
Nusica.org 452 (www.nusica.org)
Après Idea F et 05, voici le troisième
album du XY Quartet publié par Nusica.org, jeune label italien qui en est à sa
onzième production. Ce quartet repose sur deux leaders, Nicola Fazzini et
Alessandro Fedrigo, fondateurs du groupe, qui se partagent également les
compositions, à l’exception de deux morceaux signés par Saverio Tasca. Pour cet
opus, ils se sont inspirés des cosmonautes qui ont marqué leur enfance. Ces
musiciens sont nés dans les années soixante-dix, la grande époque de la
conquête spatiale, et déjà, dans le volume précédent, on trouvait quelque
inspiration venue de ces événements. Chaque morceau porte ainsi le nom d’un ou
d’une cosmonaute.
La musique du XY Quartet a
évolué vers encore plus de dépouillement, mêlant différentes influences
contemporaines, qui se font oublier, tant elles sont en osmose, donnant une
écriture à la fois riche et reposant sur l’art de la litote. Ces quatre-là sont
tout à fait dans le courant qui se dessine chez pas mal de jazzmen italiens,
courant qui semble mené par Claudio Fasoli. Tendance qu’on trouve aussi en
France chez Oilvier Bogé, par exemple. Musique épurée avec un saxophoniste alto
qui joue sans vibrato mais avec un son cuivré, chaud, beaucoup de présence et
une belle inspiration. Le vibraphoniste a bien intégré les jeux de Milt Jackson
et Gary Burton: un son très pur, du cristal, avec un positionnement harmonique
exemplaire. Le batteur est léger, précis, avec de belles attaques franches. Le
bassiste joue de la guitare basse, un son qui ajoute au rendu de la formation.
On goûtera toutes ces qualités sur «Rakesh» avec un solo du soprano sur une tessiture
resserrée, d’autant plus expressive, et un solo de vibraphone inspiré et
chauffant. Le quartet fonctionne souvent sur le dialogue sax-vibraphone, comme
dans «Malcolm Carpenter», dans lequel répons et unissons vont crescendo. On a
une véritable écriture de groupe, avec un son unitaire où pourtant chaque
musicien trouve sa propre expression sans empiéter sur l’autre; citons en
exemple «Valentina T...», un équilibre parfait.Cet XY
Quartet fondé il y a six ans dans le nord de l’Italie, très apprécié par la
presse spécialisée transalpine, a déjà un beau passé de concerts.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Les Fils Canouche
La Fasciculation
Tabadabada, Hernie Fiscale, Croma
Quedam, Maura Fernanda, La Fasciculation, Beyu, Seven Ut,Swing in a Bikini, Pipeline
Theory, Youpinouche
Xavier Margogne (g), Stéphane Cozic (b), Samuel Thézé (cl), Maxime
Perrin (acc) + Olivier Kikteff (g)
Enregistré en 2017, Paris
Durée:
52’
VLAD
Productions (Socadisc)
Les
Fils Canouche se sont formés à deux guitares en 2005, puis sous la forme d’un
quartet qui a pris sa forme actuelle en 2012. Après quelques six-cents concerts,
ils sortent leur quatrième disque. Ils produisent une musique à l’intersection
du jazz Django, des musiques balkaniques et de la musique de Piazzola. Ces
trois influences, revendiquées, font très bon ménage, avec des musiciens qui
possèdent une technique d’aujourd’hui, et s’expriment sans imiter l’ancien.
C’est donc un mélange assez savoureux, pas du tout world music, mais une expression
contemporaine de la tradition Django.
«Tabadabada»
nous vaut une splendide partie de clarinette basse; Samuel Thézé possède un
phrasé fluide et véloce avec de belles inflexions. Dommage qu’il ne joue pas
plus sur cet instrument. Il est tout aussi brillant sur la clarinette soprano
avec un jeu assez marqué Balkans. «Croma Quedan» est une sorte de valse à
cinq temps avec un beau partage des quatre garçons. Une autre valse, plus
manouche, «Maura Fermand» avec une guitare du côté Django, qui doit être celle
de l’invité. Restons dans la valse lente cette fois, mais swing, avec «Beya»
jouée avec une grande sensibilité en duo clarinette-accordéon. «Pipeline Theory»
nous emmène droit chez Piazzola et son style tango. Retour au swing façon
Django avec «Swing in the Bikini», très plaisant. «Youpinouche » clôt de
manière virevoltante ce disque où le clarinettiste fait décidemment merveille.
Une belle
façon de revitaliser cette forme de jazz.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Henri Texier
30 ans à la Maison de la Culture d'Amiens
Colonel
Skopje, Mucho calor, Don’t Buy Ivory Anymore, Barth’s Groove, Y’a des vautours
au Cambodge, Desaparecido, Noises
Henri
Texier (b), Michel Portal (anches, bandonéon), Thomas de Pourquery (as), Manu Codja
(g), Bojan Zulfikarpasic (ep), Edward Perraud (dm)
Enregistré
le 3 mars 2016, Amiens (80)
Durée :
1h 10' 27''
Label
Bleu 06730 (L’Autre Distribution)
Pour
fêter ses 30 ans d’existence, Label Bleu a proposé à Henri Texier, le musicien
qui a enregistré le plus d’albums sous ce label (une vingtaine), une carte blanche.
Le contrebassiste a choisi de mélanger de nouveaux musiciens du label, Thomas
de Pourquery et Edward Perraud, à de vieux compagnons de musique: Michel Portal,
Manu Codja, Bojan Zulfikarpasic. Mélange détonnant et parfaitement réussi pour
ce concert enregistré en public à la Maison de la Culture d’Amiens.
Les
morceaux sont tous de la plume d’Henri Texier, peu ou très connus, comme «Colonel
Skopje», qui démarre sur un bel et long ensemble à l’unisson mettant en valeur
cette splendide mélodie, brisée par quelques conciliabules des anches, une
sorte d’engueulade qui s’achève sur un solo de batterie qui réconcilie tout le
monde. Et «Don’t Buy Ivory Anymore», sorte de valse lente sur laquelle le
pianiste et le contrebassiste s’expriment à merveille et avec délicatesse. Des
atmosphères différentes, mais toujours le même son d’ensemble et le
développement mélodique, atmosphères dans lesquelles le guitariste fait merveille.
Que ce soit aux anches ou à la clarinette basse, Michel Portal est dans un
grand jour, ainsi qu’au bandonéon sur «Y’a des vautours au Cambodge» qui débute
par un long solo de contrebasse avant le chaloupé du bandonéon, à noter l’échange
avec la guitare; et le solo à l’alto de Pourquery dans une veine Garbarek, en
plus chaud, plus suave. «Desaparecido» nous vaut un délire des saxes, un solo
rentre dedans du pianiste. Tous sont au sommet. Le concert se termine par
«Noise » sur un rythme des îles; ça sent le soleil, la joie, le bonheur et
le plaisir de jouer ensemble, c’est léger, lyrique et dansant. Un disque qui
fête en beauté ce Label Bleu et le jazz. Longs et chaleureux applaudissements.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Lisa Lindsley
Long After Midnight
Long After Midnight, Star Eyes, The
House Is Haunted, Heat Wave, Skylark's Song, I Walk a Little
Faster/Manhattan, Diamonds Are a Girls Best Friend, Love You Didn't
Do Right by Me, Mellow Yellow, The Surry With the Fringe on Top, When
You're Smiling/Pennies From Heaven
Lisa Lindsey (voc), Esaie Cid
(as,cl,fl), Laurent Marode (p), Jeff Chambers (b), Mourad Benhammou
(dm)
Enregistré à Paris, date non
communiquée
Durée: 48' 31''
Black & Blue 814.2 (Socadisc)
Originaire d'Oakland (Californie), la chanteuse Lisa
Lindsley a profité d'un long séjour à Paris pour enregistrer
quelques standards de l'American Song Book avec Jeff Chambers,
son contrebassiste californien habituel (qui a fait ses classes avec
le pianiste et vibraphoniste Buddy Montgomery) et l'appui de
musiciens parisiens de grand talent: Mourad Benhammou, Laurent Marode
et le Catalan Esaie Cid. Dénué de toute fanfaronnade, le résultat
ne manque pas de charme. La voix est claire, bien en place, d'une
grande justesse, témoin la version de «When You're Smiling»,
seulement soutenue par Mourad Benhammou. Pour autant, c'est
l'accompagnement, de grande classe, qui fait tout l'intérêt de ce
disque qui aurait été parfait dans une version instrumentale...
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Jim Snidero
MD 66
MD 66, Recursion, Free Beauty, Unified,
Who We've Known, Un4scene, Blue in Green, Purge
Jim Snidero (as), Alex Sipiagin (tp),
Andy LaVerne (p), Ugonna Okegwo (b), Rudy Royston (dm)
Enregistré le 22 avril 2016, New York
Durée: 52' 29''
Savant 2156
(www.jazzdepot.com)
Bien que sa carrière soit encore peu
connue de ce côté-ci de l'Atlantique, voici le vingtième album en
leader de l'altiste Jim Snidero (60 ans). A ses débuts, il a tenu un
pupitre dans l'orchestre de Toshiko Akiyoshi, tout comme le
trompettiste du groupe, le Russe Alex Sipiagin, dans le Mingus Big
Band. Le pianiste, Andy LaVerne, leur aîné, est, lui, connu depuis
ses aventures avec Stan Getz, Sinatra ou Dizzy Gillespie. Quant aux
benjamins de la formation, ils ne manquent pas d'expérience: le
contrebassiste Ugonna Okegwo s'est illustré aux côtés de Jacky
Terrasson et de Tom Harrell, tandis que le batteur Rudy Royston s'est
fait remarquer auprès de Ravi Coltrane et de Branford Marsalis. Et de l'expérience il en faut pour
aborder les compositions de Jim Snidero, celle d'Andy LaVerne ou la
reprise «Blue in Green», toutes destinées à rendre hommage à la
musique de Miles Davis vers 1966, d'où le titre «MD 66» qui donne
son nom à l'album. Son quintet, pas encore électrique comptait
alors dans ses rangs Wayne Shorter (ou George Coleman) au sax, et la
rythmique de rêve Herbie Hancock (p), Ron Carter (b) et Tony
Williams (dm). Si la musique de ce CD n'a pas le caractère novateur
et prophétique de l'original, il semble pourtant (signe des temps
qui passent?), qu'elle gagne en dynamisme et en audace. A vos
platines! Pas besoin d'en dire davantage, c'est tout simplement
superbe.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Jane Ira Bloom
Early Americans
Song Patrom, Dangerous times, Nearly,
Hips & Sticks, Singing the Triangle, Other Eyes, Rhyme or Rhythm,
Mind Gray River, Cornets of Paradise, Say More, Gateway to Progress,
Big Bill, Somewhere
Jane Ira Bloom (ss), Mark Helias (b),
Bobby Previte (dm)
Enregistré les 16 et 17 juillet 2015, New York
Durée: 52' 22''
Outline 142 (www.janeirabloom.com)
Musique «expérimentale»?... Le type
de formation (soprano/contrebasse/batterie) le laisse pressentir
autant que la réputation de la saxophoniste Jane Ira Bloom de
«pionnière des effets électroniques» et de «grande prêtresse»
de l'abstraction pour son illustration musicale de tableaux de
Jackson Pollock. Pourtant, à l'écoute, aucune violence, aucun
excès. On discerne même souvent une construction jazz assez
classique (thème-impros- modulations-reprise du thème) et un vrai
sens des mélodies. Peu connue du grand public mais adulée par ses
pairs (un astéroïde porte même son nom), elle a étudié aux côtés
de George Coleman et notamment joué avec Charlie Haden, Ed Blackwell
et, en duo, avec le pianiste Fred Hersch. Parfaitement soutenue par
deux accompagnateurs «experts», sa musique, bien que très
originale, reste attrayante et limpide.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Jean-Michel Davis
Vibraphone jazz
Yesterday
Vibes: Stardust, My Romance, Too Blue, Prelude to a Kiss, Somday My Prince Will
Come, Stella By Starlight, Invitation, Star Eyes, Carinhoso; Good Vibes Triptych:
Luba, Song For Nora, Dancing in The Sky, Fay Douce; Ethereal Vibes: After
You, Deux Points Magenta, Interlude, Mondeville, Crystal Silence
Jean-Michel
Davis (vib, marimba), Frédéric Loiseau (g), Raphaël Scwab (b), Julien Charlet
(dm) + Juliette Davis (voc), Joachim Polack (g), Guillaume Broquin (cga)
Enregistré les
3 juin et 2 juillet 2016, Montreuil-Sous-Bois Durée: 1h 09' Fremeaux
& Associés 8534 (Socadisc)
En trois volets, Jean-Michel Davis revisite l’histoire
du vibraphone ou marimba dans le jazz. Avec «Yesterday Vibes», première époque,
plus traditionnelle, il rend différents hommages, à Lionel Hampton, avec «Stardust»
où il reprend le solo improvisé du maître lors d’un concert à Amsterdam, avec «Too
Blue» pour saluer Victor Fieldman et Milt Jackson ou avec «Prelude to a Kiss»
pour Red Norvo qui l’avait joué en trio avec Mingus au violoncelle et Tal Farlow
à la guitare. Cette première partie reprend les arrangements qu’il a relevé
pour sa méthode 10 études pour Vibraphone
Jazz (Editions Salabert). Une introduction qui situe parfaitement
l’originalité de cet instrument dans le jazz et qui permet d’apprécier un
groupe de qualité. Second volet avec «Good Vibes Triptych», trois compositions
originales suggérées par l’actualité de sa vie familiale et de son entourage. «Song
For Nora» est dédiée à sa mère et lui a été inspirée lors d’une séance du
pianiste Philippe Saisse en compagnie du batteur Vinnie Colauita. Troisième
partie, «Ethereal Vibes», qui revisite
son répertoire, sa méthode, ses compositions et celles de compositeurs modernes
tels Mike Stern («After You») ou Chick Corea («Crystal Silence»), première
période du Return to Forever ou en
duo avec Gary Burton. Didactique et pédagogique, ce long album s’écoute avec
réel plaisir, et n’oppose pas d’autre enjeu que de conter en bonne compagnie et
avec calme cet instrument, compagnon de sa vie. Le petit livret qui complète ce
disque présente avec clarté la démarche du percussionniste; ceux qui voudraient
mieux le connaître peuvent le retrouver dans différents groupes tels Les
Primitifs du Futur, Novelly Fox, Les Movies Swingers et/ou lire ses deux
méthodes historiques pour vibraphone jazz.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Billy Childs
Rebirth
Backwards
Bop, Rebirth, Stay, Dance of Shiva, Tightrope, The Starry Night, The Windmills
of Your Mind, Peace
Billy Childs
(p), Steve Wilson (as, ss), Hans Glawischnig (b), Eric Harland (dm) + Claudia
Acuna, Alicia Olatuja (voc), Ido Meshulam (tb), Rogerio Boccato (perc)
Enregistré les
2 et 4 décembre 2015, New York Durée: 57' Mack Avenue 1122
(www.mackavenue.com)
Le pianiste
californien, Billy Childs est surtout connu pour ses arrangements et productions.
Malgré ses talents d’instrumentiste, il reste à découvrir. Formé à l’University
of Southern California, il se dit aussi bien influencé par Herbie Hancock, Keith
Emerson, Chick Corea que par Paul Hindeminth, Maurice Ravel et Igor Stravinsky.
Il a forgé ses armes dans les groupes de J.J. Johnson puis de Freddie Hubbard.
A partir des années 80, il travaille pour Diane Reeves et obtient un Grammy
Awards pour sa réalisation de l’album The Calling: Celebrating Sarah
Vaughan. On retrouve souvent dans ses employeurs
des chanteurs tels que Sting, Michael Bubble, Gladys Knight, mais aussi le
violoncelliste Yo-Yo Ma. Il a également signé plusieurs commandes associant
grand orchestre et soliste jazz notamment avec Roy Hargrove, Wynton Marsalis,
Régina Carter…
Il propose avec Rebirth un ensemble plus resserré qui nous permet d’apprécier
ses compositions complétées de titres de Michel Legrand et de Horace Silver.
Son style semble proche de la musique classique, les thèmes sont sophistiqués
mais interprétés sobrement, son toucher expressif et lyrique se double d’une
technique sans faille. Rebirth peut
nous apparaître comme une suite, une progression pour musique de chambre chaudement
interprété. Les voix des chanteuses, Claudia Acuna sur Rebirth ou celle de Alicia Olatuja sur Stay sont poignantes et
sont utilisés comme des bijoux au creux de leur écrin. Steve Wilson apporte un
souffle déroutant dans une atmosphère souvent bien tempéré et toujours maîtrisé,
qui éclate constamment. A noter la très belle interprétation des «Moulins de
mon cœur» de Michel Legrand où Billy Childs, musicien que l’on pourrait taxer
de trop de sagesse, s’affirme comme un excellent soliste. Autre moment magique,
le final en duo avec Steve Wilson sur une superbe version de Peace d’Horace Silver; on n’avait pas
entendu d’aussi belle version depuis celle de Chico Freeman, en 1979 sur
l’album Spirit Sensitive.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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MAM
25 ans
Titres détaillés dans le livret
Viviane Arnoux (acc, voc), François Michaud (vln, avln) + François
Parisi (acc, CD2) et, selon les titres, Alain Grange (cello), Olivier Marc,
Sylvain Pignot, Xavier Desandre-Navarre (dm, perc)
Enregistré entre 1995 et 2017, lieux précisés dans le
livret
Durée: 1h 13' 49'' + 52' 11''
Buda Musique 860315 (Socadisc)
MAM
Jazz in My Musette (DVD)
Titres détaillés dans le livret
Viviane Arnoux (acc, voc), François Michaud (vln, avln), François
Parisi (acc)
Enregistré le 17 juin 2010, Montanaire (Suisse)
Durée: 1h 07' 50''
La Seine TV (www.mammusique.eu)
Complices depuis 1992, l’accordéoniste Viviane Arnoux et le
violoniste François Michaud (également à l'alto) ont fondé MAM, formation à géométrie variable (duo,
trio, quartet, etc.) et dont le spectre musical est pour le moins étendu. A
l’occasion de ses 25 ans d’existence, MAM propose une anthologie en deux CD de
ses enregistrements, agrémentée de quelques inédits, sobrement intitulée 25 ans. Le premier CD, au fil de ses
dix-sept titres, nous permet d’apprécier l’éclectisme du groupe –dont le point
d’ancrage est la folk et la musette– tel qu’il a pu se manifester dans sa
discographie la plus récente: Brassens
passionnément (2009, autoproduit), une relecture délicate des chansons du
guitariste en compagnie de la chanteuse Guénaelle Fériot; Paris Village (2011, Buda Musique), très jolie suite, douce et
mélancolique, composée à quatre mains; Musique
acoustique machines (2010, Buda Musique) et Human Swing Box (2015, Buda Musique) à ranger sous l’étiquette «electro-swing».
Le lien véritable avec le jazz
se manifeste dans le second CD de cette anthologie 25 ans, consacré au projet Jazz
in My Musette qui, depuis l’album éponyme paru en 2005, est développé en
collaboration avec François Parisi (acc). Rencontre originale et onirique entre
valse-musette, chanson, folk et tradition Django Reinhardt, la démarche donne
lieu à quelques jolies pépites dont une pétillante reprise de «Minor Swing». Un
DVD sorti conjointement, Jazz in My Musette,
nous en offre la version filmée. Polymorphe, MAM emprunte, en compagnie de François
Parisi, le chemin d’un jazz aux accents populaires, puisant conjointement aux
sources du Mississippi et de la Seine, et qui trouve à s’épanouir sur des
compositions à la poésie singulière, telle «Folk in My Musette», dont le titre
résume à lui seul l’épopée sonore de ces joyeux troubadours depuis un quart de
siècle.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Lia Pale
The Schumann Song Book
First Green (Erstes Grün), Lotus Blossom (Die Lotusblume), I
Don't Complain (Ich Grolle Nicht), The Maiden (Die Sennin), Dedication
(Widmung), Autumn Song (Herbstlied), When This Song Starts Playing (Hör' Ich
Das Liedchen Klingen), In The Morning (Morgens Steh' Ich Auf Und Frage), In a
Wonderful Sweet Hour (Ich Will Meine Seele Tauchen), My Friend, My Shade, My
Guard (O Freund, Mein Schirm, Mein Schutz), First Pain (Nun Hast Du Mir Den
Ersten Schmerz Getan), I Can't Believe It (Ich Kann's Nicht Fassen, Nicht
Glauben), Deep, Dark, Black (Es Stürmet Am Abendhimmel), In My Dreams I've Been
Crying (Ich Hab' Im Traum Geweinet), Sweet Violets (Märzveilchen), Night of the
Moon (Mondnacht),
Lia Pale (voc, fl, trad), Mathias Rüegg (p, arr), Hans
Strasser (b), Ingrid Oberkanins (dm), avec selon les thèmes Roman Jánoška (vln), Stanislas
Palúch (vln), Mario Rom (flh, tp)
Enregistré le 3 novembre 2016, au Porgy and Bess de Vienne (Autriche)
Durée: 50' 44''
Lotus Records 17048 (www.liapalemusic.com)
Après Schubert (Gone
Too Far, repris et augmenté en 2017 sur Winter’s Journey, Lotus Records 17046), Lia Pale et son réputé complice
Mathias Rüegg vont continuer d’étonner dans la construction d’une œuvre
originale qui consiste à réactiver l’héritage romantique, ici Schumann, musical
mais aussi poétique, viennois en particulier. Elle et il intègrent dans ce
projet hors du commun, savant et ouvert, autant la tradition d’Europe
continentale que des formes musicales contemporaines, le jazz en principal (par
le type de formation, certaines inflexions de l’expression, l’esprit de la
musique avec les contre-chants de trompette ou violon, la place de la section
rythmique); pas seulement jazz, car on perçoit clairement chez Lia Pale et
Mathias Rüegg, comme chez les violonistes, d’autres traditions d’Europe
centrale, classiques et populaires. Poursuivant la synthèse, The
Schumann Song Book fait bien sûr référence à ces grands opus d’Ella
Fitzgerald dont nous vous parlons en cet hiver 2017-2018 consacrés aux
auteurs-compositeurs originaires pour la plupart d’Europe centrale, et affiche
dans l’esprit le rattachement au jazz. Si la thématique est plus pastorale que
populaire (dans le cas américain) et la musique plus savante au plan de l'écriture, ce projet a aussi
pour vocation d’explorer un patrimoine poétique et musical, et qu’il le soit
par des «natifs» (ou d’adoption) de cette culture est un gage d’authenticité.
Ces enregistrements ambitieux font donc appel à
l’imagination et à la curiosité de l’auditeur, peut-être plus qu’à l’ordinaire,
car ils évoquent des références habituellement éloignées entre elles, et Lia Pale (aidée
par Anne Gabriel) universalise l’accès à ce répertoire par une traduction en
anglais (plusieurs textes d’Heinrich Heine parmi d’autres auteurs) pendant que
Mathias Rüegg arrange la musique de Robert Schumann avec son habituel
savoir-faire, le modelant aux besoins du projet, avec légèreté et humour
(«Sweet Violets») ou intensité et précision selon les moments. Lia Pale a des qualités de cantatrice par la justesse de son
expression, très musicale toujours, flûtiste parfois («I Don’t Complain»,
«Dedication», «Autumn Song»); Mathias est le parfait metteur en scène de cet
ensemble, le décorateur de ce théâtre par son jeu de piano («Autumn Song»), et les
musiciens sont comme toujours d’excellents instrumentistes, les habituels
complices de la section rythmique, comme les solistes Mario Rom («First Green»)
et Roman Jánoška
(«I Can’t Believe It»), doués d’un très beau son.
Cette création, parce qu’elle fait appel à des textes et une
musique extra-américaine, pourrait faire penser que nous sommes à des
années-lumière du jazz, mais à bien y réfléchir, ce n’est pas très différent
dans l’esprit de la tradition de la grande chanson française qui emprunta au
jazz tout en développant un fond original très distinct, texte et musique, car
le blues en est bien sûr absent, la respiration rythmique différente comme le
vécu. Ce chemin choisi par Lia Pale et Mathias Rüegg est une
aventure, pas sauvage dans une terre vierge (à l’américaine), mais plutôt poétique
dans un monde oublié redécouvert d’un œil neuf (à l’européenne): une découverte
indispensable pour les amateurs d’œuvres sonores originales, culturellement enracinées,
hors des modes et du temps.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Ben Sidran
Picture Him Happy
Another Old Bull, Big Brother, College, Discount Records I
Might Be Wrong, Picture Him Happy (Sisyphus Goes to Work), Shaboogie, Thank God
For The F Train, Too Much Too Late, Was,
Who Are You
Ben Sidran (p,
voc), John Ellis (st), Will Bernard (g), Will Lee (b, voc), Leo Sidran (dm,
vib, voc), Moses Patrou (perc, voc), Trixie Waterbed (voc)
Enregistré du
12 au 18 septembre 2016, New York
Durée: 45'
28''
Bonsaï Music
170301 (Sony Music)
Le pianiste-chanteur
Ben Sidran a mené une carrière couvrant une large spectre de la musique
populaire américaine: rock’n’roll, boogie-woogie et jazz. On retrouve
ces trois inspirations dans son dernier disque, pour le meilleur. Le groupe
s’exprime dans un style qu’on peut qualifier de mainstream, sans affèteries; ça
joue, en place, avec chaleur, swing et mélodie, dans un plaisir partagé. Ben
Sidran possède une voix bien timbrée, virile, une belle diction; il chante les
mots, restant dans le médium grave de la tessiture. Pas de prouesses, de la
simplicité, il chante, c’est tout. Son jeu de piano est du même type, ce qui
crée une bonne unité d’expression. Il utilise souvent le parlé-chanté, ou bien
le parlé rythmé, qui a préfiguré le rap, comme dans ««Too Much Too
Late», dans lequel il raconte une histoire, ou encore «Thank God
For The Train». Dans «Shaboogie» sur tempo médium, et
beaucoup d’autres morceaux, on retrouve avec plaisir la veine boogie-woogie,
assez délaissée de nos jours. D’autres morceaux sont traités plutôt rythm’n’blues,
tel «Another Old Bull». Pour le sens mélodique écouter «I Might Be Wrong» ou
«Was» sur tempo médium, avec un beau solo de guitare puis de sax.Ce CD qui nous offre un jazz limpide, tout de plaisir, avec des musiciens
qui à l’évidence se régalent, est une bonne surprise, dont il faut profiter.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Vittorio Silvestri
Soulful Days
The Best Things in Life Are Free, Played Twice, How Deep Is
the Ocean?, Opportunities , The Things We Did Last Summer, Subconscious Lee,
These Are Soulful Days, Sippin' at Bells, I Should Care, The End of a Love
Affair
Vittorio Silvestri (g), Philippe Rosengoltz (p), Michel
Altier (b), Michael Santanastasio (dm)
Enregistré en juillet-août 2015, Marguerittes (Gard)
Durée: 59' 39''
Autoproduit VS4tet 01 (www.parisjazzcorner.com)
Une découverte indispensable! Vittorio Silvestri, 46 ans, fait
le bonheur de la scène autour de Montpellier, mais il n’encombre ni les bacs,
ni les scènes du jazz. Passé sous les radars des programmateurs comme de la
production discographique, il n’a à son actif que quelques enregistrements, en
groupe et en sideman, qui laissent entendre sa virtuosité mais peu les qualités
jazziques dont il fait preuve dans cet opus. Pétri dans la pâte dont on fait
les grands guitaristes de la tradition, il possède tout à la fois le jeu en
accord à la Wes Montgomery («Opportunities»), la touche de blues indispensable et la musicalité («The Things We Did Last Summer»), la danse («These Are Soulful Days») héritées
de la tradition italienne de la belle guitare dans le jazz de Joe Pass à Pat
Martino. On peut réécouter ce disque sans limite avec toujours plus d’attention
et de plaisir parce qu’il poosède de multiples richesses. Il appartient déjà à la grande histoire du jazz. Elevé dans la musique et dans le jazz, Vittorio Silvestri s’est
ici approprié une culture qui apporte à son jeu cette touche de blues et de swing
qui manque à tant de guitaristes de jazz actuellement, et pas des moindres en
notoriété. Vittorio fait corps avec son instrument et
laisse sa virtuosité servir une expression enracinée,
celle post bop qui commence dans les années 1950-60 et qui a trouvé chez Blue
Note en particulier, mais pas seulement, ses lettres de noblesse. Cet enregistrement est en effet construit à
l’ancienne, avec un excellent choix de standards du jazz et de la musique
populaire, de Thelonious Monk, Miles Davis, Cal Massey et Lee Konitz à Irving
Berlin et Sammy Cahn, plus un bon original. L’enchaînement des titres est
parfaitement réussi, le livret est sobre, mais il manque un bon texte à
propos d’un musicien et d’un groupe aussi peu connus. Car la deuxième qualité
de cet opus est de réunir quatre musiciens parfaitement en phase sur l’esthétique,
l’esprit et la musique: Vittorio Silvestri, installé dans la région de
Montpellier comme ses compagnons, alterne sa vie musicale entre la France et
l’Italie. Philippe Rosengoltz a étudié le piano à Reims, travaillé comme
pianiste, arrangeur avec Jérôme Savary de 2008 à 2012. Il évoque la grande tradition du piano jazz post Oscar
Peterson en général et McCoy Tyner parfois («Played Twice»), avec une qualité
d’écoute qui contribue à la qualité de ce disque. Michel Altier, qui a
découvert le jazz avec Guy Labory, le fondateur aujourd’hui disparu du festival
Jazz à Nîmes, est un bassiste de référence dans la région, «le plus connu» du groupe. Ils forment avec Michael Santanastasio une belle section
rythmique. Le batteur, italo-américain, venu de New York en 2005, a étudié avec
Jimmy Heath et les regrettés Alan Dawson, Roland Hanna. Il a côtoyé dans sa vie
outre-Atlantique Bobby Watson, Bobby Porcelli, Bill Pierce et, localement, il a
joué avec Daniel Huck. Comme ses compagnons, dans cet enregistrement, il est à
l’écoute, musical avant tout. Tous participent à ce disque de jazz où la
musique ne se cherche pas parce qu’elle est au centre de la culture jazz. Cet
indispensable Soulful Days, qui fait
peut-être référence à l’album réunissant Don Patterson, Pat Martino, Jimmy et
Albert Heath (Muse), porte dans son titre comme dans la musique la grandeur et
la nostalgie d’une autre époque. Pourquoi est-ce seulement le premier disque de
jazz de cette qualité de Vittorio Silvestri? Mystère, il a du jazz plein les
doigts! Pour la suite, pour l’artiste et
pour le jazz, on les croise (les doigts).
Yves Sportis
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Adrien Chicot
Playing in the Dark
Late, Fourth
Floor, Under The Tree, Blue Wall, Key For Two, Playing In the Dark, Bacpack,
Lush Life, Sunset With the Birds
Adrien Chicot
(p), Sylvain Romano (b), Jean-Pierre Arnaud (dm)
Enregistré en
juillet 2016, Pompignan (Gard)
Durée: 41’
Gaya Music
Production 034 (Socadisc)
Malgré le titre de l’album, la musique d’Adrien Chicot
scintille dans la lumière et brille d’un feu endiablé. Après un premier album, All In, très réussi, le jeune pianiste reprend
la même équipe et ranime la flamme qui le porte en première ligne de la jeune
garde française. Son trio, avec Sylvain Romano et Jean-Pierre Arnaud tourne
comme un seul homme et livre tous les combats. On avait déjà remarqué Adrien
Chicot au sein du quartet de Samy Thiebaut (ts) et du quintet de Julien Alour
(tp), qu’il servait parfaitement. Mais en leader son rôle et son talent
s’affirment encore plus. Punch, rythme, souffle tout contribue à la qualité et
l’efficacité de ces neuf titres: pas de temps mort, direct à l’essentiel. A
l’exception de «Lush Life» de Billy Strayhorn, le répertoire entièrement signé
de sa main varie les climats et donne un album complet, très agréable à
écouter. En véritable symbiose, la rythmique transcende le clavier qui n’a de
cesse d’élever le dialogue vers le firmament. Clarté du son des instruments et
qualité de l’enregistrement servent ce second album. Son salut au répertoire de
Duke Ellington se veut en solo et le pianiste n’a pas à rougir de sa version, qui tient
la comparaison avec les maîtres d’outre-Atlantique. Pour calmer les esprits, «Sunset
With the Birds» est introduit et parsemé de chants d’oiseaux qui rapidement
s’envolent vers un horizon lointain déclinant comme le coucher attendu et nous
apaisent.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Ben Rando
True Story
Walk Along,
True Story, One Heart, Clear Midnight, Better Angels, Sail, Moments, Dandy’s
Waltz, Peace
Ben Rando (p),
Sarah Elisabeth Charles (voc), Yacine Boularès (ts), Federico Casagrande (g),
Sam Favreau (b), Cedrick Bec (dm)
Enregistré en
juillet 2016, Saint-Cannat (13)
Durée: 48'
Onde Music 3
(InOuïe)
Bien qu’il s’agisse du premier album sous son nom, le
pianiste et compositeur Benjamin «Ben» Rando avait déjà fourbi ses armes avec
deux productions soignées, celle de la chanteuse Anna Farrow, Days & Moods, et celle du quintet Dress Code, Far Away, qu’il dirigeait. Son
rôle dépasse largement celui du musicien et il intervient dans la prise de son
et le mixage dans le Studio Eole qu’il a créé dans la campagne aixoise. True Story nous invite à écouter ses
dernières compositions. Il est ainsi
l’auteur de la totalité des titres, à l’exception de Peace d’Horace Silver. A ses côtés, on retrouve sa rythmique habituelle,
solide et confortable, et un plateau international avec des compagnons de route
tels le saxophoniste franco-tunisien, Yacine Boularès, le guitariste italien,
Federico Casagrande et la chanteuse haïtienne Sarah Elisabeth Charles. Surprise
ou coïncidence de l’actualité, ses trois invités viennent de faire paraître
leur propre album respectif. On retrouve tout au long de cette «histoire vraie»
un climat au beau fixe, tel le caractère calme et apaisant du leader qui nous
délivre une suite de titres bien enchainés, comme un voyage du solitaire vers
l’apaisement final. Nulle esbroufe ici, les solos sont au moment voulu et ne
s’éternisent pas, un album au temps resserré que l’on écoute d’une seule
traite. Quelques clins d’œil à l’atmosphère de musiques de films, une voix brésilienne
qui fredonne au lointain (Flora Purim?), ballades et balades sur des sentiers
tranquilles, les musiciens sont complices d’un moment volé d’un bel après-midi
méditerranéen. La voix charmante de Sarah Elizabeth Charles accompagne le
pianiste sur la majorité de l’album et que ce soit de l’introduction «Walk
Along» au final «Peace» sa présence accentue
la quiétude et la chaleur de l’album. A noter que la chanteuse est la protégée
de Christian Scott qui a produit son album.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°682, hiver 2017-2018
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Michel Pastre Quintet
Feat. Dany Doriz & Ken Peplowski
Downhome
Jump, Shoe Shiners Drag, Avalon, Singin’ the Blues, Hampton Stomp, Don’t Be
That Way, Jack the Bellboy, Ring Dem Bells, Moonglow, Airmail Special, Six
Appeal, Flying Home
Michel Pastre (ts), Malo Mazurié (tp), David
Blenkhorn (g), Sebastien Girardot (b), Guillaume Nouaux (dm) + Ken
Peplowski (cl), Dany Doriz (vib)
Enregistré les 26 janvier et 27 février 2017, Dreux (28)
Durée: 48'49''
Autoproduit MPQ002 (mpastre@sfr.fr)
Ce disque en hommage à
Lionel Hampton s’inscrit dans la suite du précédent album de Michel Pastre,
l’indispensable Charlie Christian Project (Jazz Hot n°673). Le vibraphoniste et
le guitariste ayant été associés au sein des petites formations de Benny
Goodman (on en conserve la trace dans un enregistrement du Benny Goodman Sextet
d’octobre 1939), c’est donc une évocation de ces trois grands musiciens qui
nous est ici proposée. Membre de l’excellente Section Rythmique (qui
accompagnait déjà Michel Pastre dans l’enregistrement antérieur), David Blenkhorn endosse de nouveau le costume de Charlie
Christian. Alors que la formation est ici enrichie de la présence de Malo
Mazurié (un des grands talents de la nouvelle génération), elle accueille deux
invités de marque: Ken Peplowski, souvent comparé à Benny Goodman et qu’il accompagna
d’ailleurs (au saxophone ténor) ainsi que Dany Doriz, fils spirituel de Lionel
Hampton auquel il ne cesse de payer son tribut de concert en concert; soit deux
solides interprètes à la filiation assumée. On a donc ici affaire à une réunion
de solistes tous du meilleur niveau, à commencer par le leader, Michel Pastre,
dont l’expressivité est à son sommet (il est magnifique sur «Moonglow»); le
ténor nîmois ayant assimilé le jazz au point de le pratiquer avec la même
authenticité que les saxophonistes de culture afro-américaine. Le dialogue avec
Malo Mazurié est particulièrement intéressant d’autant que le jeune homme ne
cesse de nous épater par l’intensité de son jeu. Comme à son habitude, la
rythmique Blenkhorn-Girardot-Nouaux nous réserve un accompagnement au cordeau.
On note les solos inspirés de David Blenkhorn, joliment bluesy sur «Singin’ the
Blues», le soutien impeccable de Sebastien Girardot et les introductions énergiques de Guillaume
Nouaux («Avalon» et «Hampton Stomp»). Enfin, les deux maîtres du swing invités
déroulent une belle démonstration: Ken Peplowski (aérien sur «Downhome Jump») comme
Dany Doriz (tout en nuances sur «Don’t Be That Way») nous régalent de leurs
interventions. Et c’est sans doute le swinguissime «Airmail Special» qui,
nous permettant d’apprécier chacun des intervenants, se révèle le titre le plus
réjouissant de ce disque dont on savoure chaque note. Splendide.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Akpé Motion
Migrations
The Clock,
Désert, Migrations, Bedesakalava, Antsiranana, Aurore, MB de Grande Terre,
Automate, Rue Colbert
Alain
Brunet (tp, bg, voc), Jean Gros (g), Sergio Armanelli ou Chacha Taua (b), Pascal
Bouterin (perc), Hanitra, Julia Caldera (voc)
Enregistré
en juillet 2014, Salon-de-Provence (13)
Durée:
46' 43''
Great
Winds 3153 (Musea)
Président du festival Parfum de
jazz, dans la belle Drôme provençale (voir notre compte-rendu dans ce numéro),
Alain Brunet a eu plusieurs vies: grand commis de l’Etat (sous-préfet,
conseiller puis chef de Cabinet de Jack Lang au ministère de la Culture et de l’Education
nationale, co-créateur de La Cinquième,
future France 5…), il n’a jamais
cessé d’être parallèlement trompettiste de jazz. Aujourd’hui retraité, le jazz
l’occupe à plein temps. Globe-trotter dans l’âme, il rencontre Pascal Bouterin de retour d’un voyage au
Togo et fonde avec lui en 2008 le groupe «Akpé» («merci» en togolais).
Migrations est le deuxième album du groupe (après Loco-Motion en 2014), un album entre musiques du monde et un «jazz
psychédélique» qui oscille entre Miles période électrique (la filiation dans le
jeu d’Alain Brunet est sans équivoque) et... Pink Floyd. Le disque, qui s’ouvre
avec la voix d’Alain Brunet récitant un passage du poème «Exil» de Paul Eluard,
évoque l’errance et ses drames épouvantables qui nourrissent l’actualité. Un
projet à réserver aux amateurs de fusion et d’explorations transfrontalières.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Albert Bover Trio
Live in Bilbao
How
Deep Is the Ocean, Luiza, 45’, Verdad Amarga, Sis per Vuit, Nosferatu,
Raynald’s Doubt, The Wedding
Albert
Bover (p), Masa Kamaguchi (b), Jorge Rossy (dm)
Enregistré
en 2011, Bilbao (Espagne)
Durée: 1h 14'
Moskito Rekords 002 (www.jazz-on.org)
Albert
Bover, tout comme Jorge Rossy, sont deux personnalités qui marquent de leur
empreinte, depuis plus de trente ans, le jazz en Espagne. Bover place ce disque
sous le signe du swing et ne perd pas de temps. Dès les premières mesures de «How
Deep Is the Ocean», cette caractéristique du jazz est présente et tant Rossy
que le contrebassiste Kamaguchi –installé à Barcelone– y apportent leur
contribution. «Luiza» est d’une grande douceur avec des notes égrenées
lentement et un travail discret du batteur. Dans «45’», la première des quatre
compositions d’Albert, on relève le beau solo de Kamaguchi; le swing entre
progressivement et le tempo va en accélérant. Le pianiste offre une version
personnelle, une vision jazz, du boléro «Verdad Amarga» à laquelle évidemment
les meilleurs des artistes latinos Consuelo Velázquez, Pablo Milanés, José
Feliciano… ne nous avaient pas habitués. On apprécie la fluidité du style de
Bover. «Sis per Vuit» peine un peu à démarrer mais le swing émerge jusqu’au
délicieux decrescendo final. Une certaine appréhension naît à la lecture du
titre «Nosferatu». Allons-nous entendre un jazz d’outre-tombe? Ce film muet,
historique, a captivé Albert et c’est à une sorte d’hommage à Murnau, son
auteur, que nous convie le pianiste-compositeur. Le thème, très nostalgique, n’est
pas spécialement jazz mais beau. Toute la science du piano que possède Bover
peut être appréciée. Ses partenaires le servent avec discrétion et à propos. Le
thème a plu et le public manifeste son plaisir. Que le live est valorisant! Retour au jazz avec une très belle
composition d’Albert, «Raynald’s Doubt», une sorte d’hommage à un trompettiste
Catalan Raynald Colom. Rossy et Kamaguchi sont excellents derrière Bover et
portent une responsabilité dans l’excellent swing. Bon solo de Jorge. Albert
Bover offre pour terminer une superbe version de l’œuvre d’Abdullah Ibrahim, «The
Wedding». En l’absence d’orchestre à cordes, présent dans The African Suite, ou de saxophones comme lors d’autres prestations
de Ibrahim live, toute l’attention se
porte sur Bover qui étale sa maîtrise du piano et donne au thème une
sensibilité davantage jazz. L’accompagnement se fait tout en nuances et
douceur.
Tout au long du disque on sent une parfaite osmose entre les membres du trio
qui visiblement on la même perspective sur le jazz.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Albert Bover & Marco Mezquida
Live at Sunset. Duo Nosferatu
O Haupt voll
Bult und Wunden, Dôce de Coco, Nosferatu, Cleaning Blood off the Keyboards, In
Walked Bud, Graceful Ghost Rag, Menguante, Devil May, The Wedding
Albert Bover
(p), Marco Mezquida (p)
Enregistré le
25 avril 2015, Girona (Espagne)
Durée: 1h 02’
Autoproduction (www.albertbover.com)
Changement
d’ambiance pour ce très beau duo entre Albert Bover et Marco Mezquida (Minorque,
1987). Ce dernier, qualifié d’étoile montante du piano en Espagne –ancien élève
du premier–, est aujourd’hui très recherché par ses collègues jazzmen. Si la
France l’ignore encore, Marco a déjà écumé les salles d’Espagne et les plus
grands clubs de New York, de San Francisco, d’Allemagne, de Hollande,
d’Autriche et du Japon. Sa formation classique transparaît dans ce travail live
qu’il offre avec son aîné et qui s’annonce dans le premier thème de… Bach. Les
deux pianistes ne tardent pas à profiter des possibilités offertes par celui-ci
pour s’affranchir de lui, proposer des improvisations, des changements de tempo
qui nous rapprochent un peu du jazz. On sent parfaitement, tout au long des
thèmes, que ce travail n’a pas été construit mais a jailli in situ au Sunset Jazz Club de Girona. Il est bel et bien le fruit
d’une osmose entre deux artistes qui sont en empathie depuis un bout de temps. Ils
s’écoutent et on doit supposer qu’ils s’écoutent au-delà de ce disque. On note
aussi que le style de l’un influence la manière de jouer de l’autre. Du moins,
on le perçoit dans le sens Mezquida-Bover, si on écoute ce disque juste après celui
en trio. On peut supposer que l’inverse doit être vrai mais il faudrait mieux
connaître le travail de Marco.
Les choix d’Albert
Bover quant aux thèmes sortent vraiment des sentiers battus. Le second titre, «Dôce
de Coco», est une composition d’un musicien brésilien très peu connu,
joueur de mandoline, Jacob do Bandolim. C’est un chorro dans lequel Mezquida apporte de la vigueur. La seule
composition de Bover inclue ici, «Nosferatu», garde l’esprit
qu’elle possède dans le disque en trio, un tempo lent, une grosse charge de
mystère, des modulations permanentes. Là comme ailleurs les deux artistes n’ont
aucunement un rôle défini. Marco lance le thème puis la musique va et vient au
gré de leurs désirs. Si jamais leurs interventions dans la conversation se
chevauchent, immédiatement l’un ou l’autre reprend le dialogue. Rôle de la main
droite, de la main gauche, tout ça n’a pas de sens dans leurs échanges. Mais le
fait de pouvoir écouter Albert dans l’oreillette gauche et Marco dans la droite
est un bonus pour bien appréhender le style de chacun, la maturité de Bover et
la fraicheur de Mezquida, de mieux noter les prises de parole successives mais
aussi de percevoir cette influence qu’ils exercent l’un sur l’autre Bover
attribue le thème suivant à un Nosferatu sorti de son imaginaire. A peine
quinze secondes de plaisanteries musicales! Sur le thème de Monk,«In
Walked Bud»,on entre davantage dans le jazz bien que Monk soit
trituré dans une alternance de questions-réponses entre Albert et Marco. L’utilisation
du stride est aussi une référence-hommage à Thelonious. Le thème est prétexte à
de belles improvisations de la part de nos deux pianistes. Ça swingue tout au
long des six minutes et demie. Sous le casque, on perçoit bien qui joue quoi et
quand et c’est un atout pour bien appréhender chacun des pianistes. Un bon
moment de musique que les plus classiques des jazzophiles apprécieront. Bover continue
de chercher l’inspiration chez d’excellents compositeurs moins célèbres. C’est
le cas pour«Graceful Host Rag» de William Bolcom. Les
influences de Milhaud, Messiaen restent perceptibles dans l’interprétation que
donnent Albert et Marco qui s’éloignent du jazz. Le thème de l’autorité de
Mezquida,«Menguante» est une jolie ballade impressionniste. Belle
rupture avec le morceau suivant, un succès de Sinatra, «Devil May».
Le tempo s’accélère, les doigts de Mezquida s’énervent sur les touches.Comme le disque en trio, celui-ci finit en beauté avec
le thème d’Abdulah Ibrahim, «The Wedding». Le duo en donne une
version chargée d’émotion. L’interprétation est magnifique, quasi magique. Les
deux pianistes se sortent les tripes dans leurs improvisations.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Akua Dixon
Akua's Dance
I Dream a Dream, Dizzy’s Smile, If My Heart Could Speak to
You, Orion’s Gat, Akua’s Dance, Throw It Away, Afrika/Afrika, The Sweetest
Taboo, I’m Gonna Tell God all of My Troubles, Don’t Stop
Akua Dixon (cello, vln, bar, voc), Freddie Bryant, Russel
Malone (g), Kenny Davis, Ron Carter (b), Victor Lewis (dm)
Enregistré en 2016, Union City (New Jersey)
Durée: 55' 07''
Akua’s Music 48103 (www.akuadixon.com)
Dès la première écoute de cet album on sait que l’on
tient une pépite, une rareté qui ravit nos oreilles et notre cœur. On note là d’ailleurs
un vrai dysfonctionnement dans l’économie actuelle du jazz: comment expliquer
qu’aucun label n’ait sorti ce disque (le personnel est un all-stars!), obligeant
le leader à le produire lui-même… Car Akua
Dixon, grande prêtresse du violoncelle, joue aussi du violon et du baryton sur
cet enregistrement, et nous enchante avec un répertoire signé de sa main ou de
grandes dames nommées Abbey Lincoln et Sade.Tous les titres sont dignes d’intérêt et leur traitement, souvent assez
calme, délivre une atmosphère de sérénité dans une maîtrise totale de leur
interprétation. La rythmique excelle, que ce soit Kenny Davis ou Ron Carter à
la contrebasse, leur assise est parfaite, complétement claire, à l’écoute et au
service de la soliste. Idem pour les guitaristes, Freddie Bryant ou le célèbre
Russel Malone dont les notes nous enchantent et dont les solos, toujours brefs
cisèlent les compositions. On peut s’arrêter en particulier sur «Afrika/Afrika», où le dialogue cello/contrebasse, avec
Ron Carter, rejoint par Russel Malone, nous emporte vers des chemins sonores
merveilleux. La reprise de «Throw It Away», où Akua Dixon chante aussi et se
lance le défi de passer après Abbey Lincoln, est réussie; l’arrangement empruntée
à la bossa nova serait sans doute reconnue par la grande chanteuse. La légèreté
de «The Sweetest Taboo» s’élève comme
un hymne au ciel, le son du cello qui remplace le chant nous murmure des douces
notes, sensuelles comme la voix de Sade. Tout est à citer, surtout l’introduction
«I Dream a Dream» qui immédiatement
nous prédit qu’il va s’agir d’un album qui deviendra un album de chevet. Puisant
dans son héritage traditionnel de negro
spiritual «I’m Gonna Tell God all of My Troubles» livre un formidable duo avec Freddie Bryant qui avant le final
nous plonge dans la méditation. Si on se pose la question du swing d’Akua Dixon,
il suffit d’écouter le final «Don’t Stop» qui, dans un crescendo délicat,
flirte de nouveau avec la bossa nova. Il ne faut pas oublier le jeu subtil de
Victor Lewis, grand batteur et fignoleur devant l’éternel: mais depuis l’époque
où il accompagnait Stan Getz on le savait déjà.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Duke Robillard
Blues Full Circle
Lay a Little Lovin’ on Me, Rain Keeps Falling, Mourning
Dove, No More Tears, Last Night*, Fool
about my Money, The Mood Room**, I’ve Got a Feelin’ That You’re Foolin’,
Shufflin’ and Scuffin’°, Blues for Eddie Jones,You Used to Be Sugar, Worth Waitin’ On, Come with Me Baby
Duke Robillard (g, voc), Bruce Bears (p, org), Brad
Hallen(b), Mark teixeira (dm) + Sugar Ray Norcia (voc)*, Kelley Hunt (voc,
p)**, Jimmie Vaughan (g)°, Sax Gordon Beadle (ts, bs)*, Doug James (bar)°
Enregistré en avril 2016, West Greenwich, Pawtucket (Rhode
Island) et Lenexa (Kansas)
Durée: 54' 14''
Dixiefrog 8792 (www.bluesweb.com)
Avec huit nouvelles compositions au compteur, Duke Robillard
continue de faire vivre l’idiome qui lui colle à la peau depuis cinquante ans
maintenant. Ce qu’il propose tient forcément la route. Au menu, guitares
plaintives, voix profondément rocailleuse, éclats de piano, profondeur de notes
d’Hammond, rythmique bien en place et, pour pimenter le tout, des invités de
qualité. Honneur à Jimmie Vaughan, le frère de Stevie Ray toujours présent pour
porter haut les couleurs du Texas. Sur «Shufflin’ and Scufflin’», il reste
relativement sage laissant la lumière à l’orgue de Bruce Bears, mais n’en
demeure pas moins redoutable dans ses
interventions. Sur cette compo du Texan, il bénéficie aussi de la présence Doug
James (bar) pour donner encore plus de rondeurs aux propos. La présence de la
blueswoman Kelley Hunt sur «The Mood Room», apporte une touche de fraîcheur et
de légèreté à cette production, qui permet au programme de se dérouler avec des
variations intéressantes. La voix succède aux notes du piano, les sons de l’Hammond se combinent avec les bending sur la guitare. Avec Blues full Circle, le florilège du blues
s’expose sans retenue pour perpétuer la tradition.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Neal Black / Larry Garner
Guilty Saints
God Today, Guilty, A Friend Like You, Saints of New Orleans,
Better Days, Do Not Stand at My Grave and Weep, Back at It Again, Bad Things Good People, You Can’t Do It, Chances, Ride
with Me, Neighbor Neighbor
Larry Garner (g, voc), Neal Black (g, voc),Pascal Bako Mikaelian (hca), Christophe Duvernet (acc), Mike Lattrell (p,
org), Kris Jefferson (b, perc), Jean Michael Tallet (dm), Larry Crockett
(perc), Leadfoot Rivet (voc)
Enregistré à Baudonvilliers (55) et Carpentras (84), date non précisée
Durée: 52' 40''
Dixiefrog 8787 (www.bluesweb.com)
Après un long break, dû à des problèmes de santé, Larry Garner
revient dans la lumière en compagnie de Neal Black. Pour l’occasion, les deux
compères se sont fendus de plusieurs titres écrits à quatre mains et d’autres
composés séparément. Larry Crocket et Leadfoot Rivet sont là pour les
accompagner sur l’album. Guilty Saintsdébute avec une couleur blues marquée et des chants entrecroisés entre les deux
intervenants. Cette relation au blues profond se perpétue sur les morceaux qui
suivent. L’orgue de Mike Latrell colore
de ses notes profondes «Saints of New Orleans», avant que le combo
ne s’encanaille pour swinguer davantage avec la bénédiction de l’harmonica de
Pascal Bako Mikaelian («Better Days»). La mise en musique du poème
de Mary Frye («Do Not Stand at My Grave and Weep») évoque par moments les premiers albums de Santana,
quand le blues le marquait encore profondément. C’est ensuite une compo de
Garner qui lui succède et qui possède ce côté West Coast doucereux, avec ses arpèges de piano électrique
(«Back at It Again») et ses jolis déroulés de guitare. L’album
se termine comme il avait commencé par des pièces très ancrées dans la
tradition rurale («Ride With Me») ou plus soul («Neighbor,
Neighbor»). De belles ballades entre bayou, église et club pour un voyage réussi.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Fred Chapellier
It Never Comes Easy
It Never Comes Easy, You Only Know my Name, Let Me Be Your
Loving Man, Changed Minds*, A Silent Room, Never Be Fooled Again, Funk It, Made
in Memphis, I Thank You, I Have to Go, Something Strange, In The Lap of the
Gods
Fred Chapellier (g, voc, b*), Charlie Faber (g), Abder
Benachour (b), Denis Palatin (dm), Guillaume Destarac (dm), Johan Dalgaard (kb)
Enregistré à Noyant-la-Gravoyère (49), date non précisée
Durée: 48' 20''
Dixiefrog 8789 (www.bluesweb.com)
Avec ce nouvel opus, Fred
Chapellier reste dans l’univers qui a fait sa réputation: le blues. Sa guitare
télé ou strato est toujours aussi étincelante quand ses doigts partent sur le
manche à la rencontre du corps de son instrument. Ses textes restent eux aussi
dans l’esprit, évoquant, l’amour, la folie ou Memphis. Pour l’accompagner, il a
une nouvelle fois fait appel à Abder Benachour (b) et Denis Palatin (dm). S’il
maîtrise bien les fondements du Chicago blues, il n’hésite pas à aborder le
registre plus soft du west coast blues avec le soutien de Johan Dalgaard (kb)
sur «Never Be Fooled Again». L’ambiance funk lui convient aussi avec «Funk It»,
puis, telle une randonnée en montagne, Chapellier nous fait redescendre dans les
méandres du Mississippi («I Have to Go»)
et ce départ nous emmène directement vers des rêves étranges qui remplissent
ses nuits de french bluesman. L’album se clôt avec de jolis mouvements de
guitare comme pour nous faire atterrir de ce voyage organisé en pays bleu.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Louis Prima Forever
Joue Disney
Heigh Ho, Bibbidi-Bibbidi-Boo, Everybody Wants to Be a Cat,
I Wanna Be Like You, Someday My Prince Will Come, Dream Medley, Chim Chim
Cher-ee, My Own Home, Supercalifragilisticexpialidocious, Bella note, Whistle
While You Work, The Bare Necessities, Who’s Afraid of the Big Bad Wolf, When
You Wish Upon a Star
Patrick Bacqueville (lead voc, tb), Pauline Atlan (voc),
Michel Bonnet (tp, voc), Claude Braud (ts, voc), Nicolas Peslier (g), Fabien
Saussaye (p), Enzo Mucci (b), Stéphane Roger (dm)
Entregistré les 30, 31 janvier, 1er et 2 février
2017, Paris
Durée: 45' 23''
Autoproduit (stefroger@wanadoo.fr)
Les musiciens de jazz ayant consacré des albums aux chansons
des films de Walt Disney sont nombreux, à commencer par Louis Armstrong (Disney Songs the Satchmo Way, 1968) car
elles constituent un corpus de standards tout à fait valables. C’est
particulièrement vrai des longs-métrages possédant une bande-son jazz: Les 101 dalmatiens (1963), Le
Livre de la jungle (1967), Les
Aristochats (1970) et, plus récemment, La
Princesse et la grenouille (2009) qui prend place à New Orleans et met en
scène, pour la première fois, une héroïne afro-américaine. En outre, Louis
Prima a été étroitement associé à la conception du Livre de la jungle (dernier long-métrage à avoir été supervisé
directement par Walt Disney, décédé en 1966) et a inspiré et doublé le
personnage de King Louie, l’orang-outan.
D’où l’idée de la joyeuse bande de
Louis Prima Forever de reprendre, pour son deuxième CD, le répertoire Disney à la façon du «King of
the Swingers». Y figure évidemment deux titres tirés du Livre de la Jungle («I Wanna Be Like You», «The Bare Necessities»)
et un des Aristochats («Everybody
Wants to Be a Cat»), mais ce sont surtout les compositions écrites dans un
esprit proche de Broadway (et fort bien réarrangés, à la sauce jazz, par Michel Bonnet) qui sont l’objet de ce disque, à l’instar de «Someday
My Prince Will Come» (Blanche Neige et
les sept nains, 1937), titre à succès, bien au-delà du film, et adopté de
longue date par les jazzmen (Miles Davis, Bill Evans, Hank Jones…). Si le mimétisme vocal de Patrick Bacqueville avec Prima est
saisissant, le groupe ne se contente pas pour autant d’une imitation-hommage
mais propose un vrai disque de jazz, tout à fait réjouissant, parsemé de clins
d’œil humoristiques. Un CD à offrir aussi aux enfants, pour leur initiation au
jazz.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Paddy Sherlock
Too Good to Be True
You’re too Good to Be True, Sugar Sugar in Your Bowl, Kill
Me With Your Kiss, More, The Girl From Union Hall, Emma Tais-toi, Babe our Love
Is Here to Stay, Take Me Take Me, On Raglan Road, The Girl From Pontchartrain,
By’n By, Going Down Dancing
Paddy Sherlock (voc, tb), Manu Faivre (tp), Mathieu Bost
(as, cl), Stan Noubard Pacha (g), Yarol Poupaud (b, bjo), Melissa Cox (vln),
Hervé Koury (kb, acc), Laurent Griffon (b), Philippe Radin (dm), Jean-Philippe
Naeder (perc), Ellen Birath, Ayélé Labitey, Brisa Roché (voc)
Enregistré en 2017, Paris
Durée: 49' 26''
Autoproduit (www.paddysherlock.com)
Ellen Birath / Paddy Sherlock
Ella & Louis. A Tribute
A Foggy Day, Under a Blanket of Blue, Isn’t This a Lovely
Day, Can’t We Be Friends, The Nearness of You, Cheek to Cheek, Tenderly, Don’t
Be That Way
Ellen Birath (voc), Paddy Sherlock (voc, tb), César Pastre
(p)
Enregistré en 2017, Paris
Durée: 38' 44''
Autoproduit (www.paddysherlock.com)
Le zébulonesque tromboniste-chanteur Paddy Sherlock, qui
anime les dimanche soirs parisiens depuis trente ans (voir son interview dans Jazz Hot n°671), est avant tout un
artiste de scène, un «entertainer». Il offre néanmoins, de temps en temps, une
petite galette en autoproduction à ses afficionados, réalisée avec les
musiciens et le répertoire du moment. Fidèle à l’esprit festif des live, la
cuvée 2017, Too Good to Be True,
propose un mélange de styles (jazz, reggae, folk irlandais…) autour de compositions
originales de Paddy (paroles comprises). On y retrouve les complices de longue
date (Jean-Philippe Naeder, Philippe Radin…) et deux duos avec deux chanteuses
de talent que Paddy a généreusement mis dans la lumière, il y a déjà quelques
années: Brisa Roché sur «Take Me, Take Me» et Ellen Birath sur «You’re too Good
to Be True».
Avec la seconde, Paddy Sherlock a enregistré
parallèlement un autre projet, plus centré sur le jazz, issu d’une série de
concerts donnés en trio avec César Pastre, au pub Tennesse-Paris, entre
l’automne 2016 et le printemps 2017 (voir notre compte-rendu dans Jazz Hot n°677). Ce Ella & Louis. A Tribute est un hommage à l’un des sommets de la
discographie jazz: Ella and Louis (Verve, 1956) et Ella and Louis Again (Verve, 1957). Un Everest que les deux vocalistes abordent avec simplicité et
naturel. Dans le rôle d’Ella, Ellen Birath arbore un swing absolument charmant
et l’on ne saurait trop l’encourager à creuser davantage le sillon du jazz,
auquel elle a beaucoup à offrir. Dans le rôle de Louis, Paddy donne la réplique à Ellen avec truculence, laissant libre cours à sa fantaisie, sans chercher l'imitation. Quant
au troisième larron de l’affaire, César, il produit un accompagnement
impeccable, remarquable même sur «The Nearness of You». Un CD délicieux.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Marie-Laure Célisse & The Frenchy's
Dansez sur moi
Douce France, N.O.U.S., Mon homme, C’est merveilleux,
Déhanche toi, Honnête morose et à sec, La Javanaise, Nationale 7*, Caravane,
Avec toi je m’sens jeune, Bohème, Dansez sur moi
Marie-Laure Célisse (voc, fl), César Pastre (p), Brahim
Haiouani (b), Lucio Tomasi (dm) + Drew Davies (ts)*
Enregistré les 18 et 19 février 2017, Fère-en-Tardenois (02)
Durée: 57' 18''
Autoproduit MLC17001 (mlaure.celisse@gmail.com)
Le disque dont il est ici question est né de la complicité
(à la scène comme à la ville) entre une jeune flûtiste classique devenue
chanteuse, Marie-Laure Célisse, et un non moins jeune pianiste tombé dans le
swing dès sa petite enfance, César Pastre (que nous vous présentons dans ce
numéro 681). Au menu de ce premier album, des standards du jazz chantés en
français ou des chansons françaises chantées en jazz (et une composition). Un parti pris intéressant
(l’exercice a connu de nombreux précédents: Mimi Perrin, entre autres) qui
prend ici la forme d’une rencontre entre deux expressions musicales: d’un côté,
la chanson (Marie-Laure) de l’autre, le jazz, avec le trio des «Frenchy’s».
Deux expressions qui se superposent ici fort bien (Trenet, Gainsbourg ou
Nougaro, judicieusement choisis, illustrent cette tradition de la chanson française
imprégnée de jazz); tandis que, lorsque elle intervient à la flûte, Marie-Laure
Célisse embrasse le registre du jazz à l’unisson de ses musiciens, les
protagonistes du disque formant alors un véritable quartet (on apprécie
d’ailleurs, tout particulièrement, la partie instrumentale sur
«Caravane»/«Caravan»). On aurait aimé en entendre davantage sur ce plan-là et
sans doute qu’il y aurait matière à nourrir de futurs projets. A moins que
Marie-Laure Célisse ne fasse usage de sa personnalité pour construire une œuvre
originale, orientée vers une «chanson à texte» au plus près du
jazz, façon Nougaro. On reste curieux de voir comment ses chemins musicaux vont
se dessiner.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Bobby Watson
Made in America
The Aviator «For Wendell Pruitt», The
Guitarist «For Grant Green», The Butterfly «For Butterfly McQueen», The Cyclist
«For Major Taylor», The G.O.A.T. «For Sammy Davis, Jr.», The Entrepreneur «For
Madam C. J. Walker», The Jockey «For Isaac Murphy», A Moment of Silence, The
Real Lone Ranger «For Bass Reeves», The Computer Scientist «For Dr. Mark Dean»,
I've Gotta Be Me
Bobby Watson (as), Curtis Lundy Trio (b),
Stephen Scott (p), Lewis Nash (dm)
Enregistré le 13 décembre 2016, New York
Durée: 1h 03' 30''
Smoke Sessions Records 1703 (www.smokesessionsrecords.com)
«C’est dans les vieilles marmites qu’on fait
les meilleurs confitures». Ce proverbe très français (donc tourné vers la
dimension gustative de notre culture) convient très bien au jazz et
particulièrement à Bobby Watson, aujourd’hui un aîné, qui nous donne un disque
exceptionnel, en brillante compagnie du trio de Curtis Lundy, avec un bon
Stephen Scott et le grand Lewis Nash. Bobby Watson (Jazz Hot n°664 et Spécial 2005, entre autres) appartient à la
longue liste des Messengers d’Art Blakey dont il a été l’un des directeurs
musicaux; plus de 25 ans après la disparition de l’emblématique leader, il
continue de porter la bonne parole du jazz, à New York comme ici, ou dans son
Kansas City et lors de tournées en Europe. Le jazz pour Bobby Watson et nombre de ses
pairs musiciens, artistes, comme pour nous à Jazz Hot, ne s’arrête pas à une expression formellement codifié ou
une étiquette de vente, mais il est l’expression d’une culture populaire, le
fruit d’une longue histoire, artistique mais pas seulement, dans laquelle la
déportation et l’esclavage restent les étapes fondatrices de leur art, et pour
laquelle l’émancipation réelle (l’égalité réelle, pas celle de façade ou des
textes légaux) demeure un objectif à ne jamais perdre de vue. On les comprend
au regard de l’actualité américaine, on le sent dans ce XXIe siècle
où les inégalités s’accroissent de concert avec les communautarismes et les
privilèges.
C’est pourquoi, de nombreuses œuvres
artistiques afro-américaines, pas seulement musicales, y font toujours
référence, et ce disque est l’une d’elles, qui propose une suite de onze
compositions dédiées à des personnalités afro-américaines qui ont contribué à
cette quête, qui reste, comme celle du Graal, une ligne d’horizon, un idéal: ainsi
sont présents dans le choix de Bobby Watson l’aviateur Wendell Oliver
Pruitt (1920-1945),
l’un des célèbres Tuskegee
Airman (la première unité de pilotes afro-américaine qui
s’illustra dans la Seconde Guerre mondiale); l’actrice Butterfly McQueen (1911-1995), le champion
cycliste Marshall Major Taylor (1878-1932), champion du monde en 1899. Madame
C.J. Walker (1867-1919), célèbre femme
d'affaires. Isaac
Burns Murphy (1861-1896),
le plus célèbre des jockeys américains; Bass Reeves (1838-1910), le premier US Marshall à l’ouest du Mississippi; Mark E. Dean (1957, l’un des inventeurs
de l’ordinateur personnel). La musique n’est pas oublié avec Grant Green, le
guitariste dont le sens mélodique est pour beaucoup dans l’esthétique de Blue
Note (époque Alfred Lion-Francis Wolff), et le polyvalent Sammy Davis, Jr. est
gratifié de GOAT (Greatest of All Time) pour ses talents multidimensionnels, y
compris dans le cadre de la lutte pour l’émancipation.
Au-delà
de Martin Luther King, qui fait partie –pour les Afro-Américains et ils ont
raison– des pères fondateurs des Etats-Unis, au même titre que Washington,
Jefferson, Franklin, Lincoln, ce genre d’hommage à des membres célèbres de la
société civile afro-américaine est fréquent dans ce monde américain plus ségrégué
que jamais en 2017, où toutes les communautés, mêmes les natives (les
Amérindiens), ont besoin de se sentir exister à côté de «l’aristocratie» supposée
des Euro-Américains, et entre elles. Même la pauvreté y est redevenue une cause
de ségrégation majeure et être une femme reste, comme toujours et partout, la
cause de ségrégation la plus répandue. Les
titres choisis pour cette galerie de portraits musicale sont évocateurs. La
musique est de haut niveau pour cet album composé en totalité par Bobby Watson,
à l’exception d’un titre de Curtis Lundy, un de Stephen Scott et d’un standard
très particulier que chanta d’ailleurs Sammy Davis, Jr. et dont le premier
couplet dit justement:
«Whether
I'm right or whether I'm wrong
Whether I find a place in this
world or never belong
I gotta be me, I've gotta be
me
What else can I be but what I
am»
Le
message de ce disque, sous la forme d’un bel album d’une excellente musique, est
donc on ne peut plus clair. Il prolonge celui de Louis Armstrong, Duke
Ellington, Ella Fitzgerald (qui chanta aussi ce thème), Billie Holiday, Charlie
Parker, Dizzy Gillespie, Max Roach, Mahalia Jackson, Ray Charles («Georgia»),
Charles Mingus, John Coltrane pour ne parler que des plus célèbres. C’est aussi
à ce point très précis, et pas si fréquent, qu’on discerne avec une
certaine évidence ce qui est de l’art et
du jazz de ce qui n’en est pas. C’est toujours le révélateur, le marqueur
absolu. Les artifices, même techniquement sophistiqués, ne peuvent jamais se
substituer à cette sublimation indispensable de la condition humaine. Bobby
Watson, en bon disciple du grand Art Blakey, nous rappelle le message avec sa
modestie habituelle.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Heads of State
Four in One
Four in One, And He Called Himself a Messenger, Dance
Cadaverous, Moose the Mooche, Aloysius, The Day You Said Goodbye, Milestones,
Keep the Master in Mind, Someone to Watch Over Me, Sippin' at Bells, Freedom
Jazz Dance
Gary Bartz (as), Larry Willis (p), David Williams (b), Al
Foster (dm)
Enregistré le 1er novembre 2016, New York
Durée: 1h 12' 15''
Smoke Sessions Records 1702 (www.smokesessionsrecords.com)
D’une telle formation, on attend le meilleur du jazz. Et la
conception de ce disque n’échappe pas à l’idée d’anthologie, autant par le all-stars
réuni que par le choix des thèmes, très étudié. Ces quatre musiciens sont sans
doute aujourd’hui de second plan en matière de notoriété. Et pourtant, ils sont
de premier ordre en matière de jazz. Ils mériteraient d’être en haut des
affiches de nos scènes festivalières de jazz. Ils sont l’essence du jazz,
chacun sur leur instrument.
Dans ce disque, chacun apporte une composition. Les autres
thèmes sont de la plume de Thelonious Monk, Wayne Shorter, Charlie Parker, John
Lewis, Miles Davis, Eddie Harris et des frères Gershwin. Rien n’est donc laissé
au hasard, et la musique d’une précision presque académique, s’il pouvait
exister une académie libre de sa création et culturellement ancrée. C’est
simplement parfait, sans effet, simplement direct et évident: du jazz et du
meilleur par des artistes. Ces musiciens ont tous fait une carrière exceptionnelle, et
on vous renvoie à vos Jazz Hot pour
en faire le tour; c’est en fait le tour des formations du jazz parmi les
meilleures apparues depuis les années 1960. Ils continuent d’inventer une belle
musique qui ne surprendra pas parce qu’ils sont des classiques: Gary Bartz est
passionnant sur le second thème de sa composition, comme Larry Willis est
magnifique sur la sienne, Al Foster aérien dans son «Aloysius» et David
Williams a apporté une splendide valse jazzée «Keep the Master in Mind» qui
aurait pu servir de titre à cet album construit jusqu’au plus petit détail.
Mais tous les thèmes sont servis avec un égal souci d’excellence, et ça donne
72 minutes de grande musique de jazz.
Dans la production discographique, ces albums restent
des bornes de beauté et de culture jazz, et ce sont des nouveautés de 2017.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Eric Bibb
Migrations Blues
Refugee Moan, Delta Getaway, Diego’s Blues, Praying for
Shore°, Migration Blues, Four Years, No Rain, We Have to Move, Masters of War,
Brotherly Love, La Vie c’est comme un oignon,With a Dolla’ in My Pocket*, This Lnad Is Your Land, Postcard From
Booker, Blacktop, Mornin’ Train°°
Eric Bibb (g, bjo, b, voc), Michael Jerome Browne (g, voc,
bjo, mandolin, triangle), Jean Jacques Milteua (hca), Olle Linder (dm, perc, b*),
Big Daddy Wilson (voc)°, Ulrika Bibb (voc)°°
Enregistré à Sherbrooke (Québec), date non précisée
Durée: 48' 05''
Dixiefrog 8795 (www.bluesweb.com)
Eric Bibb
The Happiest Man in the World
The Happiest Man in the World, Toolin’ Down the Road, I’ll
Farm for You, Tassin’ and Turnin’, Creole Café, Born to Be Your Man, Perison of Time, King Size Bed, On the Porch,
Skiing Disaster, Tell Ol’ Bill, Wish I Could Hold You Now, Blueberry Boy, You
Really Got Me
Eric Bibb (g, bjo, voc), Danny Thompson (b), Olli Haavisto (pedal
steel, g), Petri Hakala (mandolin, fiddle, g), Michael Jerome Browne (g), Janne Haavisto (dm, perc), Ulrika Ponten Bibb
(voc), Mary Murphy (Irish whistle), Pepe Aldqvist (hca)
Enregistré à Norfolk (Royaume-Uni), date non précisée
Durée: 48' 13''
Dixiefrog 8790 (www.bluesweb.com)
Eric Bibb
Guitar Tab Songbook. Vol. 1
Champagne Habits, Come Back Baby, Connected, Don’t Ever Let
Nobody Drag Your Spirit Down, Goin’ Down Slow, In my Father’s House, Needed
Time, On my Way to Bamako, Saucer 'n' Cup
Eric Bibb (g)
Enregistré les 17 et 18 Mai 2014, à Paris
Durée: 1h13'
Dixiefrog 8778 (www.bluesweb.com)
Voici trois jolies galettes d’Eric Bibb à se mettre sous le coin de l’oreille. Le
bluesman continue sa mission de mettre en avant un idiome qui n’en finit plus
de se renouveler. Migration Blues est un album tout en délicatesse qui aborde
une question d’actualité: celle des réfugiés. C’est d’ailleurs «Refugee Moan»,
qui ouvre ce CD et le propos de cette chanson aurait pu être le même il y a un
siècle, quand les grandes migrations jetaient sur les routes des milliers d’Afro-Américains
fuyant la misère. Le bluesman fait en tous cas clairement le lien entre ces
deux tragédies. Sa voix envoutante transmet
de profonds frissons («Brotherly Love»). Quand il ne chante pas, il
cède à la place à ses amis pour lui tenir compagnie. Ainsi, Michael Jerome
Browne se met en lumière avec sa mandoline sur «With a Dolla’ in my
Pocket», tandis que Jean Jacques Milteau, présent aussi pour l’occasion,
fait apprécier la qualité de son phrasé en jouant très en retrait sur «Prayin’ for
Shore». Big Dadddy Wilson fait entendre sa voix soft et profonde sur
«Prayin for Shore» et Ulrika
Bibb en accompagnement de «Mornin’ Train».
Changement de décor avecThe
Happiest Man in the World. Cet opus est construit sur la base de souvenirs partagés avec les frères
Haavisto: Janne (dm) et Olli (guitare Dobro), rencontrés à Helsinki alors
que Bibb y résidait. Ensemble, ils ont mis en commun leur vécu, notamment sur
la route. Un être central est apparu dans leurs dialogues en la personne de
Danny Thompson. Il n’en fallait pas plus pour se fixer un challenge: enregistrer
avec ce légendaire contrebassiste, ce qui fait d’Eric Bibb «l’homme le
plus heureux du monde». La couleur générale de ce disque est proche
de celle de Migration Blues. La voix
du guitariste est toujours aussi douce et feutrée pour exposer des thèmes
souvent langoureux («Creole café»). Les sonorités acoustiques vous
pénètrent, pour vous faire apprécier la beauté de la ruralité («I’ll Farm
for You») ou pour parler d’amour, encore, mais n’est-ce pas la vocation
première du blues («Born to Be Your man»)? «1912 Skiing
Disaster» est dédiée aux fans de la six-cordes, tellement cette pièce est
merveilleuse à savourer. Si on retrouve
une certaine linéarité dans la douceur de cette production, Bibb parvient aussi
à la faire décoller légèrement en usant d’artifices naturels avec le soutien
épais de Danny Thompson (b) et Olli Haavisto (pedal steel) pour
«Blueberry Boy». En bonus, Eric Bibb offre une chanson des Kinks
(«You Really Got Me»), une totale originalité dans ce paysage
paisible et fruité des guitares et autres instruments acoustiques, dont celui
de Pepe Ahlqvist (hca).
Enfin, pour les mordus d’Eric
Bibb, un pack CD-DVD-CD Rom propose de s’entrainer à jouer sa musique. Le CD
comprend neuf morceaux avec à chaque fois un exposé à la guitare puis avec la
voix. On retrouve des classiques de ce troubadour comme «In my Father’s House»,
«Champagne Habits» ou «Connected». Avec cette troisième
production, Eric Bibb ajoute une autre dimension à son travail de valorisation
du blues. Un bel acte de foi.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Bruno Schorp
Into the World
Into the
World, Mister K, Le Lien, A nos parents, Katmandou, A Noite, I Heard About a
Thing in You, Travessia, Louise
Bruno Schorp
(b), Christophe Panzani (ss, bcl) Leonardo Montana (p, fender), Gautier
Garrigue (dm) + Nelson Veras (g), Charlotte Wassy (voc)
Enregistré en
2015, Poitiers (86)
Durée: 42'
Shed Music
006 (Absilone)
La belle quarantaine, Bruno Schorp a choisi sa fidèle
équipe pour nous livrer un troisième album en leader très imprégné de son vécu
et de ses inspirations. A part deux titres d’évocation brésilienne -«Travessia»
de Milton Nascimento, bien revisitée, et «A Noite», signé par le pianiste Leonardo
Montana (qui a grandi au Brésil)-, il est l’auteur de la totalité des compositions. Les morceaux assez sombres peuvent paraître un peu monotones, mais il
faut se laisser envelopper par l'atmosphère du disque pour en apprécier le nectar.
Chaque thème est bien exposé, soutenu par un batteur original où le dialogue
laisse place au jeu de tous les solistes. Christophe Panzani, très présent,
apporte sa solitude contribution, surtout au soprano, quant à Leonardo Montana,
ses courts solos imprègnent de sa légèreté et brillance la tonalité de l’album.
Nelson Veras, sur «Le Lien», exprime tout son savoir-faire avec élégance. D’une
maîtrise parfaite et d’une solidité sans faille, Bruno Schorp sait échapper aux
longs solos plombant pour se mettre entièrement au service de sa musique. Le
final «Louise», sans doute dédiée à un amour passé ou présent, avec une délicatesse
distillée par le Fender Rhodes, nous invite à une méditation de courte durée. Un
album où le temps s’écoule trop vite. Remarqué aux côtés de vétérans tels qu’Aldo
Romano, il joue actuellement dans les groupes de Jean-Pierre Como, d’Eric Séva,
dans le Christophe Panzani Large Ensemble et avec Vincent Peirani.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Jean-Marie Carniel Trio
This I Dig You
This I Dig You, Witch Hunt, The Peacocks, All of You, I Hear
a Rhapsody, Jardin d’hiver, I Remember Boris, Yesterdays
Jean-Marie Carniel (b), Denis Césaro (p), Cédrick Bec
(dm)
Enregistré les 20 et 21 décembre 2016, Fuveau (13)
Durée: 52'
Autoproduit MMCD01/1 (jmcarniel@aol.com)
Le contrebassiste toulonnais, Jean-Marie Carniel, qui depuis
des années soutien de sa rythmique impeccable de nombreux groupes, a décidé de
signer un opus plus personnel. Le titre éponyme de l’album vient d’Hank Mobley
qui introduit un répertoire choisi au sein de standards de Gershwin à Cole
Porter… mais aussi de thèmes plus rarement repris tels «Witch Hunt» de Wayne Shorter
ou «The Peacoks» signé par Jimmy Rowles. Un disque délicat qui met en valeur la
technique subtile de musiciens de haut niveau: le déjà vétéran pianiste Denis
Césaro, hélas trop absent en leader, et l’encore jeune batteur (très sollicité) Cédrick Bec. Revisitant la
chanson contemporaine française il s’empare de «Jardin d’Hiver» de Benjamin
Biolay, qu’Henri Salvador interprété, pour en extraire une belle version
romantique. Les doigts du pianiste caressent un thème qui se révèle
parfaitement adapté à une ballade nostalgique jazz et Jean-Marie Carniel nous
offre une traversée solitaire empli d’émotion. Seul titre original, signé par
le leader, «I Remember Boris», peut-être dédié à Vian, poursuit un répertoire
nostalgique dans son introduction, servie a perfection par le jeu du pianiste,
pour ensuite se lancer dans une belle sarabande maîtrisée. L’album se conclut
sur «Yesterdays» de Jerome Kern qui poursuit un dialogue de vieux
complices de pianiste et contrebassiste démarré il y a déjà bien des années et
qui a fait le bonheur de groupes sudistes. Un album dans une juste durée qui
laisse écouler le temps nécessaire à apprécier un beau répertoire bien
interprété.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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André Villéger / Philippe Milanta / Thomas Bramerie
Strictly Strayhorn
Low Key Lightly, Satin Doll, Lotus Blossom, Cap Strayhorn,
Lush Life, Johnny Come Lately, Exquise, Boo-Dah, My Little Brown Book, Smada,
Multi-colored Blue, Passion Flower, Blood Count
André Villéger (ts, ss, bar, bcl), Philippe Milanta (p),
Thomas Bramerie (b)
Enregistré les 12-13 octobre 2016, Meudon (78)
Durée: 1h 09' 05''
Camille Productions MS012017 (Socadisc)
Même si tout n’est pas indispensable dans ce disque, il y a
d’abord l’idée indispensable de faire vivre un répertoire d’une beauté sans
égale, celui du grand Billy Strayhorn, en respectant l’auteur. Comme il s’agit
d’un pianiste, compositeur, arrangeur, et que dans notre trio se trouve un autre
indispensable de l’instrument, Philippe Milanta, voici au moins deux raisons pertinentes de distinguer ce disque; elles ne sont pas les seules.
Philippe Milanta a cette qualité rare parmi les musiciens
non afro-américains d’être en mesure d’endosser le répertoire du jazz,
ellingtonien en particulier, et donc aussi celui de Billy Strayhorn qui en fut l’une
des plus belles couleurs. Il possède cette musique de l’intérieur, body and soul, et son excellence
pianistique n’explique pas tout dans la magie qui pointe au bout des dix doigts
de ce pianiste hors norme: il maîtrise en fait les codes intimes de cette
musique, le blues, le swing bien entendu, mais aussi cette maturité artistique
qui fait que chez lui la reprise d’un répertoire n’est pas une exécution mais
une appropriation, une véritable réinvention. C’est particulièrement sensible
dans cet enregistrement, non que ses compagnons ne soient pas remarquables, ils
le sont, mais parce que Philippe survole littéralement ce répertoire depuis l'Eden musical auquel n’accèdent
que les plus talentueux du jazz (assez nombreux, notamment en matière
pianistique, car le jazz est une musique très généreuse en artistes
d’exception). Sa composition «Exquise» rejoint l’excellence du grand
compositeur mis à l’honneur dans ce disque. Pour illustrer ces propos, il y a
mille exemples dans ce disque comme l’intro' de «Smada», «Lush Life», «Passion
Flower», mais en fait, il serait plus simple et plus exact de dire que Philippe
est dans l’âge d’or de son expression et toutes ses interventions sont
indispensables: du grand art!
André Villéger continue de (se) régaler dans le jazz, et il
le fait en savant, avec le bon goût de la grande culture qu’il possède, plus
expressif à notre sens au ténor, où son beau son feutré fait merveille («Low Key
Lightly», «Satin Doll», «Smada», «Multi-colored Blue»…) que sur ses
autres instruments plus coloristes qu’expressifs. Il reste aussi plus rivé au
texte, très beau il vrai dans son épure, alors que Philippe le développe,
l’enrichit. Thomas Bramerie se joint avec ses qualités de bassiste
accompli, parfois discret, à cette paire d’artistes de haut vol déjà si
complices depuis de nombreuses années, car, c’est à relever, cet enregistrement
fait partie d’une série commencée en 1999, consacrée à l’univers ellingtonien (Duke Ellington and Billy
Strayhorn’s Sound of Love, 1999, Jazz aux Remparts, cf. Jazz Hot, n°569, et For Duke and Paul, Camille
Productions, 2015, cf. Jazz Hot n°673) que Michel Stochitch a la grande idée de perpétuer sur son excellent
label, Camille Productions, dans ces petites configurations si belles et si
libres quand les artistes savent peupler l’espace comme ici.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Laure Donnat
Afro Blue
Afro Blue, Summertime, September Song, That’s All, Do
Nothing Till You Hear From Me, ‘Round Midnight, You Go to My Head, I’M Old
Fashioned, Dat Dere, Alfonsina y el Mar, Old Devil Moon
Laure Donnat (voc), Sébastien Germain (p), Lilian Bencini
(b), Frédéric Pasqua (dm)
Enregistrée en juin 2016, Pernes les Fontaines (84)
Durée: 1h
Aneto 1604 (www.anetomusic.com)
Si le début de sa notoriété commence avec sa
participation à l’ONJ en 2000, sous la direction de Paolo Damiani, la chanteuse
Laure Donnat mène une riche carrière qui échappe encore à la médiatisation et
la reconnaissance nationale qu’elle mérite. Avec cet album, espérons que les
programmateurs et journalistes ouvriront un peu plus leurs oreilles qui restent
trop bouchées quand il s’agit d’artistes qui ont décidé de vivre loin de Paris.
Son parcours a croisé les hommages à Hendrix et Police menés par le guitariste
Rémi Charmasson, mais aussi des parcours plus improvisés aux côtés de Raymond
Boni ou René Botlang. Au-delà des genres, sa voix s’est affirmée dans des
projets personnels vers la musique africaine avec Tamalalou ou des vibrants hommages au Brésil métissé et énergique
avec Rio-Mandingue et Brasil Project. Mais c’est sans aucun doute dans les
traces du jazz qu’elle exprime au mieux sa passion. Elle dirige ses propres
formations, son quintet, le Trio Mémoires, le JaZzMin Quartet ou encore le magnifique duo Billie’s Blues avec le contrebassiste
Lilian Bencini, (album Billie’s Blues, 2010, autoproduction).
Après Le Temps d’Agir et Straight
Ahead, elle signe avec Afro Blue son troisième album et abandonne son répertoire de compositions personnelles
pour un répertoire de standards revisités. Elle ose reprendre en introduction «Afro
Blue» dont la superbe version d’Abbey
Lincoln marque encore la mémoire; pari réussi mais qui mériterait un peu plus
de folie dans l’improvisation des musiciens,laquelle doit sans doute être bien plus vibrante sur scène. Les titres de
Georges Gershwin, Kurt Weil, Duke Ellington, Jerome Kern, etc., qui ont été
maintes fois repris, sont ici bien illustrés et avec des versions intéressantes.
Les arrangements sont signés de Lilian Bencini qui depuis des années apporte sa
précieuse collaboration à la chanteuse qui mène son équipe avec un grand professionnalisme.
Fred Pasqua, comme d’habitude, assure un soutien parfait et si l’on regrette le
manque de fureur de Sébastien Germain, il tient à merveille sa place. Les trois
derniers titres sont tirés d’un répertoire plus original: «Dat Dere» est
signé par Bobby Timmons et Oscar Brown qui l’a créé, puis repris par Sheila
Jordan entre autres; «Alfonsina y el Mar» a été chanté par Mercedes Sosa,
Maurane ou encore Shakira; «Old Devil Moon», rendu célèbre par Frank
Sinatra ou Chet Baker; ces trois compositions connaissent ainsi un
traitement qui ne démérite pas des versions originales. Un album et un groupe
plus qu’intéressant à découvrir.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Cécile McLorin Salvant
Dreams and Daggers
Part 1: And Yet°, Devil May Care,
Mad About the Boy, Sam Jones' Blues, More°, Never Will I Marry, Somehow I Never
Could Believe, If a Girl Isn't Pretty, Red Instead°, Runnin' Wild, The Best Thing
For You (Would Be Me); Part 2: You're My Thrill°, I Didn't Know What Time It
Was, Tell Me What They're Saying Can't Be True, Nothing Like You, You've Got to
Give Me Some*, The Worm°, My Man's Gone Now, Let's Face the Music and Dance, Si
J'étais Blanche, Fascination°, Wild Women Don't Have the Blues, You're Getting
to Be a Habit With Me
Cécile McLorin Salvant (voc),
Aaron Diehl (p), Paul Sikivie (b), Lawrence Leathers (dm), Sullivan Fortner
(p)*, Catalyst Quartet: Karla Donehew Perez (vln), Suliman Tekkali (vln),
Paul Laraia (avln), Karlos Rodriguez (cello)°
Enregistré les 9, 10, 11
septembre 2016 et le 13 décembre 2016, New York
Durée: 47' 39'' + 1h 04' 21''
Mack Avenue 1120 (www.mackavenue.com)
Remarquable personnalité et
splendide enregistrement –en partie live au Village Vanguard, l’autre partie en
studio au DiMenna Center for Classical Music, avec un quartet à cordes– voilà les
remarques qui peuvent résumer l’impression profonde laissé par ce double album
qui ponctue de la plus belle des manières le début de carrière de Cécile
McLorin Salvant, car la chanteuse est maintenant dans le gotha des artistes de
jazz. Cécile a sidéré la scène du jazz en élevant sans concession et sans
complexe l’art vocal à un niveau artistique atteint seulement par quelques
chanteuses de l’âge d’or du jazz; d’un autre temps donc. Cécile McLorin Salvant est de son
temps, et ne fait pas dans la recette, la mode, le fac simile ou la reprise.
Cultivée, curieuse, intelligente, miraculeusement enracinée dans le jazz en
dépit d’une culture franco-américano-caribéenne qui aurait pu provoquer une
recherche sans fin d’une identité artistique, elle est parvenue en très peu de
temps à une synthèse artistique et à une expression d’une maturité qui lui
ressemble: joyeuse, contestatrice, directe et originale, douée d’humour et de
finesse, et qui rassemble tous les fils d’une histoire personnelle étonnante dans
le cadre de l’histoire du jazz. Sa culture en matière de musique
classique, comme ses capacités virtuoses en matière vocale, n’ont pas non plus
déterminé les habituelles rigidités de l’enseignement académique. Comme pour les
grands artistes du jazz, la forte personnalité naturelle et la culture ont
distillé l’apprentissage pour le mettre avec naturel au service d’un projet
expressif enraciné dans le grand récit collectif du jazz.
La culture et la curiosité de
Cécile McLorin Salvant lui font choisir un répertoire toujours très original,
personnel dans sa thématique: standards (Gershwin, Berlin…) ou jazz (Bob
Dorought, les beaux «Nothing Like You», «Devil May Care»), traditionnels et
originaux (d’elle-même, de Paul Sikivie), chanson française ou poèmes de
Langston Hugues mis en musique par Kurt Weil ou par elle-même… Culture et curiosité qui lui font
aussi embrasser l’ensemble stylistique du jazz sans a priori d’époque ou de
mode, mettant toujours le blues, le swing et l’expression au cœur de sa musique.
Elle s’approprie sans préjugé le répertoire très blues des premières vocalistes
(«You've Got to Give Me Some», Bessie Smith, 1928, avec l’excellent Sullivan
Fortner, «Wild Women Don't Have the Blues», Ida Cox, 1924) aussi bien que celui
de Gershwin, Billie Holiday («You’re My Thrill»), Dinah Washington («Mad About
the Boy»), Joséphine Baker («Si j’étais blanche») et parfois Damia (pas ici
mais à Marciac, cet été 2017), n’hésitant jamais à le prolonger par ses propres
compositions ou celles des musiciens de son groupe. Elle possède la familiarité
naturelle avec le monde classique pour faire de la partie avec le quartet à
cordes de magnifiques moments de musique («More»), de poésie baroque par les
arrangements («Fascination») et de jazz («You're My Thrill», splendide!). Exercice
de maturité, la rencontre des cordes et du jazz n’est jamais évidente. Cécile
en joue avec naturel avec de bons arrangements sans perdre une once
d’authenticité. Son égale et parfaite maîtrise du
français et de l’anglais enfin donne à ses interprétations dans les deux
langues cette aisance dans l’expression qui vient du naturel de la culture
native.
Elle a trouvé avec l’assurance de
la grande artiste, musicienne et instrumentiste, une formation qui correspond
parfaitement à son projet: Aaron Diehl, leader d’un excellent trio, est un
pianiste dont l’étendue du talent («Let’s Face the Music and Dance») et l’art
de l’accompagnement («Si j’étais blanche», «Wild Women Don't Have the Blues»)
est un idéal pour Cécile McLorin Salvant; Paul Sikivie, bon contrebassiste, est
l’auteur de nombre d’arrangements et de certaines compositions, sa complicité
avec Cécile fait merveille («You're Getting to Be a Habit With Me»); Lawrence
Leathers est très musical, parfaitement à l’écoute, subtil. L’accueil du public, perceptible
sur cet enregistrement en live, dit
assez la fascination qu’elle exerce sur son auditoire, et les réactions qu’elle
provoque de tous les publics. Cet enregistrement prend en live une dimension particulière, car sa voix est le plus bel
instrument à ce degré de vérité expressive, un vrai miracle du jazz!
Enfin, ce disque est une étape importante, sans doute
le premier de Cécile McLorin Salvant à rassembler autant d’éléments
caractéristiques de sa personnalité aussi affirmée que complexe, le premier à synthétiser
aussi clairement ses choix artistiques: ils sont en tous points parfaits.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Jazz at Lincoln Center Orchestra
The Music of John Lewis
2 Degrees East, 3 Degrees West**, Animal Dance**, Django,
Delaunay's Dilemma, La Cantatrice*, Piazza Navona*, Pulcinella*, Spanish Steps*,
Two Bass Hit
Wynton Marsalis (tp), Jon Batiste (p), Chris Crenshaw (tb, dir),
Sherman Irby, Ted Nash (as), Victor Goines (ts, cl), Walter Blanding (ts), Paul
Nedzela (bar), Ryan Kisor, Kenny Rampton, Tim Hagans (tp), Vincent Gardner,
Elliot Mason (tb), Carlos Henriquez (b), Ali Jackson (dm) + Howard Johnson
(tu)*, Doug Wamble (g)**
Enregistré le 19 janvier 2013, New York
Durée: 51' 31''
Blue Engine Records 0008 (www.jazz.org/blueengine)
En se dotant de son propre label, Blue Engine Records, Jazz at Lincoln
Center a ajouté une nouvelle dimension à son activité. Certes, les concerts du
Lincoln Center Jazz Orchestra de Wynton Marsalis ont déjà laissé des traces
discographiques (chez Columbia, EmArcy), mais on peut parier que ce nouveau
label, entièrement dédié au JLCO, à ses solistes, voire à quelques familiers de
JALC, va permettre une large mise à disposition des enregistrements live de ce
fabuleux orchestre (il en a des dizaines en réserve), lequel, plusieurs fois
par an, présente des programmes thématiques, souvent autour d’un musicien appartenant
à la grande Histoire du jazz. Le présent enregistrement, sorti au printemps de
cette année, a été réalisé en 2013 dans le Frederick P. Rose Hall du Lincoln
Center. Il est consacré à John Lewis, artisan d’un bebop sophistiqué qui, tout
en jetant un pont avec la musique classique européenne, est resté fermement
enraciné dans le jazz, ne cessant jamais d’être autre chose qu’un immense
jazzman. Pour rendre hommage au pianiste du Modern Jazz Quartet, le big band de
Wynton Marsalis avait invité le jeune prodige louisianais, Jon Batiste, qui, à
30 ans à peine (26 ans à l’époque du concert), a derrière lui une carrière déjà
longue et bien remplie.
Neuf compositions de John Lewis sont l’objet de ce disque. Six sont
tirés de deux albums du Modern Jazz Quartet (Django, Prestige, 1953-55, et The
Comedy, Atlantic, 1960-62), «Two Bass Hit» fut d’abord enregistrée par le
big band de Dizzy Gillespie, tandis que les deux titres restant appartiennent à
la discographie en leader de John Lewis. Ce sont d’ailleurs ces deux morceaux
qui ouvrent le disque. En premier lieu, «2 Degrees East, 3 Degrees West» (Grand Encounter, Pacific Jazz, 1956) est
introduit par un solo de Victor Goines (cl), soutenu par la guitare bluesy de
Doug Wamble et les baguettes d’Ali Jackson. Quel swing! Avec peu de moyens (le
grand orchestre n’est pas encore entré dans la danse), nous voilà déjà pris par
la fièvre. Jon Batiste prend le relais simplement en trio et porte d’emblée
l’art du jazz au plus haut. Changement d’ambiance avec «Animal Dance» (Animal Dance, Atlantic, 1962) dominés
par les cuivres rugissant du big band. La pièce suivante, «Django»,
chef-d’œuvre de John Lewis (et certainement l’une des ballades les plus belles
du jazz) est interprétée en solo par Jon Batiste qui, étirant la mélodie en des
circonvolutions surprenantes (la «surprise» étant l’essence du jazz pour John
Lewis, voir Jazz Hot n° Spécial
2001), dessine son propre chemin, rappelant la virtuosité créatrice d’un Marcus
Roberts. Le résultat est tout simplement somptueux. Suit logiquement «Delaunay's
Dilemma». Le choix de ce morceau dans la set-list ne doit sans doute rien au
hasard (cf. l’intervention de Wynton à Jazz in Marciac en août dernier). On
retrouve le ton badin de l’original, la trompette du directeur de JALC ayant remplacée
le vibraphone de Milt Jackson. C’est l’occasion d’un solo brillant, précédant les
interventions non moins réjouissantes de Ted Nash (as) et de Chris Crenshaw
(tb). Les quatre titres suivants proviennent tous de The Comedy, album particulièrement représentatif de la «third steam» incarnée par le MJQ. Le big
band confère évidemment à ces pièces une dimension orchestrale et met en
exergue l’influence ellingtonienne du compositeur John Lewis (en particulier
sur «Piazza Navona»). Parmi les détails
savoureux à retenir de cette adaptation, le clin d’œil à New Orleans sur
«Pulcinella»: en quelques mesures, Jon Batiste nous transporte de la commedia dell’arte au Preservation Hall!
Le final gillespien, «Two Bass It» est intense, concluant cet hommage dans l’excellence
propre au JALC. Un disque très élaboré (avec un livret proposant des
informations détaillées ainsi qu’un texte sur John Lewis signé de Jon Batiste)
dont on découvre les richesses et les subtilités à chaque nouvelle écoute.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Sébastien Iep Arruti / Craig Klein
Got Bone?
This
Could Be the Start of Something Big*, If I Could Hug You, New Orleans, I've
Never Been in Love Before, Drop Me Off in Harlem, Avalon, Zergatik Ez Esan,
Slide By Slide, Come Sunday*, Cheek to Cheek, Naima
Craig
Klein, Sébastien Iep Arruti (tb), Jean-Marc Montaut (p), Sebastien Girardot
(b), Guillaume Nouaux (dm) + Fidel Fourneyron*, Gaëtan Martin (tb)*
Enregistré
les 1er et 2 septembre 2008, lieu non précisé
Durée
: 42' 35''
AutoproduitIEP 2 (endaiako@gmail.com)
Nous avons là un disque
réjouissant, indispensable aux amoureux du swing et/ou du trombone. D'autant
plus que Craig Klein n'a pas, malgré son talent, une discographie pléthorique.
Le programme est très bien conçu, alternant les climats. Les deux quatuors de
trombones sont parfaits: «This Could Be the Start» (pas besoin d'être long
pour être bon) et «Come Sunday» (bel arrangement ; pas de solo). Craig Klein
est le compositeur de «If I Could Hug You», un thème simple donc
efficace. Sur un drumming de parade (évidemment impeccable avec Guillaume
Nouaux), il est exposé par Craig (avec contre-chants de Sébastien Arruti), puis
il chante plaisamment. Sebastien Girardot y prend un superbe solo en slap.
Roulements très New Orleans de Guillaume Nouaux dans «New Orleans»
(court). Même parfum New Orleans dans «Avalon» (solo solide avec
growl de Craig Klein). Guillaume Nouaux prend un solo dans «Slide by
Slide» (tempo vif, avec solo virtuose d'Arruti, suivi de Klein
admirablement soutenu par Girardot) et dans «Naima» (belle
introduction de piano, caractère vocal du solo d'Arruti avec plunger). Montaut
prend un bon solo low down dans «Cheek to Cheek» sur les lignes de
basse de classe de Girardot (Craig Klein expose le thème avec les contre-chants
de Sébastien Arruti). Craig Klein a la solidité qui va au caractère funky de «I've
Never Been in Love Before». Indiscutablement, un CD plus intéressant que
l'avalanche des "trucs" médiatisés.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Gérard Naulet
Viaje a la amistad
Guajirando, Danzón para dos
corazones, Arriba mi montuno, Alena, Astorias, Tu mi delirio, Descarga para
dos, Obsesión, Decídete (Dejala que siga andando), Rive gauche, Ronda, Talking
to Simone
Gérard Naulet
(p), Orlando Maraca Valle (fl, dir, arr), Orlando Poleo (perc), Simon
Ville-Renon (perc/timbales), Felipe Cabrera/Felix Toca/Jean-Michel Charbonel
(b), Philippe Slominski/Tony Russo (tp), Irving Acao (ts)
Enregistré du 6 au 10 octobre 2015,
Forges-les-Eaux (76)
Durée: 1h 09' 07''
Adlib GN 20151 (Outhere)
Au fil des douze morceaux dont quatre
standards cubains et huit compositions originales des trois mousquetaires, la
rigueur de la structure rythmique solide soutient l’élégance des phrasés et
permet toutes les libertés de la convivialité et de la connivence entre ces amigos. Pour fêter leurs vingt ans de
voyage (cf interview de Gérard Naulet dans ce Jazz Hot n°681), Gérard Naulet et
«ses deux Orlando» nous offrent la fluidité et l’évidence de leur conversation.
La souplesse et le moelleux des thèmes nous invitent dans leur confortable
complicité; les clins d’œil et surprises percussifs nous ressourcent et
stimulent la curiosité; la générosité de leur latin jazz est le fruit de leur perceptible et authentique amistad: Gérard, entre jazz et Cuba,
Maraca, entre Paris et Cuba, et Orlando Poleo, le Mage Yoruba partout chez lui, devaient
se rencontrer; par-delà les océans et leurs parcours.
Embarquons:
«Guajirando» de José Fajardo, introduit avec le tumbao (rythme) piano/percussions, force voix et la flûte enchantée
de Maraca, le feeling tone (perception directe) de Cuba, irréversible, inconditionnel, c’est fini, nous
sommes déjà pris par l’hypnose vaudoue. Avec «Danzón para dos corazones», nous
sommes dans les rues de La Havane, puis sur le Malecón, la mythique promenade
du bord de mer, avec tout le lyrisme dû à sa beauté, jazz dans les couleurs et
cadence des vagues sans fin. «Arriba mi montuno» est une composition d’Orlando
Poleo qui sait tout des Caraïbes et de l’Amérique centrale, entre percussions,
cuivres et voix; un condensé d’authenticité sur la civilisation melting pot du Golfe du Mexique qui
harponne tout amateur de rythme envoûtant et d’atmosphère dense. «Alena»,
d’Orlando Maraca Valle, est dédiée à sa fille. C’est une douce ballade
chaloupée introduite à la contrebasse par Felipe Cabrera, puis balayée par la
brise qui vient de la flûte du Papa et du saxophone d’Irving Acao.
L’arrangement est soigné, c’est celui d’un grand orchestre très intégré, une
belle horloge. Avec «Astorias» (Gérard Naulet), nous voilà repartis faire la
fête, le tour des lieux de musique de la capitale mondiale du cigare et du
rhum, jusqu’à la fin de la nuit, entre phrasé jazz des chorus et danses latines
dans la respiration du tempo. «Tu mi delirio» de Cesar Portillo de la Luz,
c’est la mélancolie du crépuscule avec le vibrato de Maraca et le contre-chant
de Gérard Naulet très syncopé, une vraie déclaration d’amour poétique et
lumineuse, une séance de charme à deux. «Descarga para dos» (Gérard Naulet)
fait penser à la frénésie des grandes villes, chacun affairé sur ses riffs et
pourtant tous synchronisés grâce au rythme inflexible des percussions.
«Obsesión» de Pedro Flores nous offre dans l’introduction une halte alanguie et
réflexive après l’agitation, puis le tumbao revient, plus métronomique que
jamais, inflexible, sur lequel Philippe Slominski développe un beau chant triste
à la trompette. Mais déjà «Decídete» (Dejala que siga andando) de José Antonio
Méndez-Reinaldo Bolagnos, nous ramène à la gaîté de la boite à rythme
ensoleillée, entre perçu, piano, flûte, voix, saxo et trompette, une effervescence
vivfiante. «Rive gauche» (Gérard Naulet) évoque le charme de la Place
Furstenberg et de ses illustres fantômes du jazz, en duo avec la contrebasse de
Jean-Michel Charbonel. «Ronda» (Gérard Naulet) nous renvoie dans le tourbillon
implacable du quotidien avec une belle maestria des deux percussionnistes. Dans
«Talking to Simone», Gérard Naulet nous parle de ses papotages avec Simone
Ginibre, Madame Grande Parade du Jazz de
Nice, de leurs années de complicité, de rires, de potins, de vitalité, de
confidences, entre jazz, latin, jazz latin et latin jazz.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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José Caparros
A Walk in Love
A Walk in Love, Isa, Brooklyn Bridge, Mymou, Nancy (With
the Laughing Face), Barbara, Song for R.C., Tomy
José Caparros (tp), Michael Cheret (as, ts,), Wilhelm
Coppey (p), Brice Berrerd (b), Thierry Larosa (dm)
Enregistré les 16, 17 et 18 octobre 2015, Fuveau (13)
Durée: 45’
Autoproduit JCCD 001 (josecaparros@wanadoo.fr)
Sans prétention mais avec sureté, José Caparros,
trompettiste très actif dans le sud-est de la France, et dont la notoriété a
gagné l’international, propose un nouveau quintet qui tourne à fond. Pour cet
album autoproduit, il signe six compositions originales, inspirées ou dédiées à
ses amis, ses voyages et «Song for R.C.» en hommage à son père,
Roger. Les deux autres titres, reprennent des superbes thèmes de James Van
Heusen, «Nancy (With the Laughing Face)» et «Barbara», orthographiée à la française,
d’Horace Silver. D’entrée on pourrait penser à un groupe de McCoy Tyner à cause
du son du piano et du style mais on s’oriente vite dans un univers proche
d’Horace Silver, d’Art Blakey et tout simplement le sien. Sur «Isa», le pianiste Wilhem Copley marie à souhait l’ébène de ses touches à la sensibilité
de la trompette bouchée pour une ballade plus que poignante. Cette formule du
hard bop revisité, expose parfaitement les nuances et chacun peux s’y exprimer
à souhait, tels les échanges du saxophoniste, Michael Cheret répliquant à José
Caparros sur une rythmique précise et swingante. Les titres en général, assez
cours, autour de cinq minutes donnent les intentions de cet album où alternent
mélodies plutôt lentes et tempos accélérés. Pour l’avoir écouté maintes fois en
concert, je connaissais les qualités de José Caparros mais cet album où il est
parfaitement entouré est vraiment une belle surprise. Certes il ne propose pas
une révolution mais assure dans la tradition du jazz un bon moment dont les
concerts doivent être encore être meilleurs à déguster en live.
Cet album
permet aussi de découvrir des accompagnateurs de haut niveau. Le saxophoniste,
Michael Cherret, a forgé ses armes au CNSM de Paris sous la direction de
François Jeanneau et a joué notamment dans les big bands de Frank Lacy ou d’Antoine
Hervé; il dirige aujourd'hui son propre groupe et a signé en leader un troisième album, Manavérem. Brice Berrerd, et Wilhelm Copley (médaille d’or du Conservatoire
National de Lyon, dirigé par Mario Stantchev) évoluent dans la région Rhône-Alpes
et jouent avec de nombreux groupes lyonnais. Quant à Thierry Larosa, compagnon
de route de José Caparros depuis de longues années, il complète avec son savoir-faire
et une assise parfaite ce brillant attelage. Un seul regret: aucun livret
ne vient détailler ce bel enregistrement dont l’intégralité a été réalisée avec
finesse et sérieux par le pianiste mais aussi ingénieur du son, Lionel Dandine,
dans son «Studio B» à Fuveau.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Jobic Le Masson Trio + Steve Potts
Song
Cervione,
Round Table for Four, Song, Tangle, C, Waldron Well, Brook, Double Dutch Treat,
Idania, Backache, You must think I’m Crazy
Jobic
Le Masson (p), Peter Giron (b), John Betsch (dm) + Steve Potts (as,ss)
Enregistré les 1er et 2 septembre 2015,
Paris
Durée: 1h 08' 31''
Enja 9644-2 (L’Autre Distribution)
Cet album de Jobic Le Masson (qui était à l’honneur
dans notre précédent numéro) est une perle du jazz contemporain, une de ces pépites
pour aficionados autrefois échangées sous le manteau pour ce qu’elles recélaient
de promesses artistiques réservées à un public de connaisseurs. Depuis que
Steve Potts a rejoint le groupe il y a quelques années déjà, le trio devenu
quartet ne cesse d’évoluer et de séduire, aux termes d’une démarche artistique empreinte
d’intégrité et de sincérité, une passion pour la connaissance finalement très conforme
aux valeurs originelles du jazz et du blues. Bien sûr, John Betsch et Steve
Potts ont joué des années durant avec Steve Lacy, ce qui confère une couleur
free jazz à la musique proposée ici,
mais l’hymne à la liberté fondamentalement formulé sur Song va bien au-delà de l’appartenance à un courant formel défini, ou
de l’obligation de maintenir des codes d’appartenance plus ou moins pertinents.
Car c’est à un véritable jeu de pistes que cet album longuement muri nous
convie, chaque pièce évoquant une mosaïque ou un puzzle que l’auditeur aurait
hâte de compléter, à l’instar d’une bonne saga musicale dont le spectateur
attendrait impatiemment le fin mot. Une citation de Steve Lacy accompagne les
notes du livret, mettant l’accent sur l’importance du jeu en groupe au sein
d’une formation durable et non fluctuante. Ce paramètre, encore très courant
pendant l’âge d’or des clubs, où il n’était pas rare de pouvoir écouter chaque
soir le même combo durant une semaine ou plus, est souvent réduit à la portion
congrue aujourd’hui, avec des musiciens fréquemment contraints au rôle de
session man pour survivre au quotidien dans une économie problématique. Rien de
tel, cependant, avec Jobic Le Masson et ses compagnons, qui assurent à leur
musique un ancrage très social, quitte à devoir renoncer à une audience plus large
sacrifiée au profit d’une démarche collective et solidaire qui fait honneur au
jazz en même temps qu’elle sert admirablement leur propos. Des lieux comme Les
Sept Lézards, le Bab’Ilo, ou Les Ateliers du Chaudron, chers au cœur du
pianiste, permettent de par les idéaux communautaires qu’ils promeuvent, le
développement d’affinités électives entre des musiciens dont la cohésion est comme
renforcée par l’amitié, raison pour laquelle l’énorme travail préalable nécessité
par la conception de Song a pu être
concentré sur deux jours lors de l’enregistrement au studio Davout. Autre particularité, chacun des
musiciens sert audiblement la section rythmique, ainsi qu’en témoigne «Cervione»,
avec le groove impitoyable de Peter Giron et sur lequel plane l’ombre de Cecil
Taylor. Sur «Tangle», on réalise pleinement ce qu’apporte Steve
Potts au niveau de la structure interne des titres, tant la composition évolue
sur un fil sans jamais trébucher, ni donner dans l’assonance gratuite.
«Waldron Well» exprime mieux qu’un long discours la dette envers
les grandes figures du jazz, permettant au leader de prendre un chorus très
enraciné, jamais oublieux des qualités rythmiques parfois laissées de côté par
des solistes à succès, et «Double Dutch Treat» génère, par son
caractère incantatoire, une danse de Saint-Guy aux effets fondamentalement très
viraux. Le CD se termine sur une note intime et humoristique avec «You Must Think I’m Crazy». Un disque formidable. Définitivement l’un des "must have" parus ces dernières années.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Yves Brouqui Trio
How Little We Know
How
Little We Know, These Are Soulful Days, Between You and Me, Love Letters, Close
Your Eyes, Lament, Street of Dreams, Blues for PM, Lazy Bird, Something like
Bags, This Is New
Yves
Brouqui (g), Kenji Rabson (b), Joe Strasser (dm)
Enregistré
le 23 mars 2015, Paris
Durée:
1h 08' 39''
Gaya Music
Production 036 (Socadisc)
Yves
Brouqui est un guitariste dont le style montre par l’exemple qu’un classicisme achevé
peut se conjuguer avec une grande modernité, aux termes d’un parcours et d’une
démarche artistique des plus accomplis. Comme le professait René Char, il fait
cortège à ses sources en nourrissant son art des plus grandes références, sans
jamais se les approprier de manière servile, à la manière de certains copistes
obséquieux. Son phrasé très délié charrie tous les matériaux glanés au fil des
nombreuses sessions effectuées en tant que leader ou que sideman, ce qui lui
permet d’appréhender les standards du jazz de façon fluide et naturelle, en y
apposant une patte personnelle devenue synonyme d’évidence. Sa maturité,
désormais éclatante, lui permet d’alterner classiques du genre et compositions
personnelles en les enchainant sans rupture audible. On reconnaît tout au long
du disque cette faconde qui lui est propre sur des hommages rendus aux plus grandes
figures du jazz, et sa maitrise achevée lui permet d’explorer des contrées
musicales loin de se limiter à l’univers de la guitare. Cet œcuménisme était
déjà celui du CD The Music of Horace
Silver qui avait fourni l’alpha et l’oméga d’une versatilité sans cesse
plus prolixe et plus aboutie, et qui, par son dépouillement apparent, portait
déjà la marque d’un sens de l’orchestration spécifique. On peut d’ailleurs aisément
avoir le sentiment que son travail avec des musiciens comme Alain Jean-Marie ou Jacques Pelzer n’est pas étranger au fait
d’avoir pu développer un vocabulaire digne de maîtres tels René Thomas et Django
Reinhardt. Mais Yves Brouqui ne s’est pas contenté de faire ses gammes dans
l’ombre des grands anciens. Collaborant avec des musiciens épris de liberté
comme Steve Potts ou Christian Vander, il
développe sur la scène un art des possibles harmoniques toujours en connexion
avec l’héritage des légendes du jazz. Son séjour à New York,et les sessions du Smalls Jazz Club lui offrent succès
artistique et critique, ainsi qu’en atteste le Live at Smalls, une expérience irremplaçable qui se prolonge dans
la chaleur blanche et l’émulation générées par le club Smoke. A son retour en France, il travaille et enregistre avec Fabien Mary, Laurent Courthaliac, David
Sauzay ou Mourad Benhammou et devient guitariste du «Duc Des Lombards Jazz Affair»,
sous la houlette de Xavier Richardeau,
accompagnant également le saxophoniste Dmitry
Baevsky lors de ses séjours dans la capitale.
Sur How Little We Know, Yves Brouqui met pour
la première fois de sa carrière la formule du trio en lumière, au cœur d’un projet offrant liberté d’expression et interactions
entre les musiciens étendues, qui bousculent le champ du possible en matière d’improvisation. La batterie de Joe Strasser fait ici montre
d’une très grande souplesse, tandis
que la contrebasse de Kenji
Rabson sert le caractère protéiforme du trio en conférant des propriétés
presque félines au tempo, assorti de parties de guitare qui ne dépareraient pas
sur un enregistrement de Grant Green. L’hommage à Wes Montgomery
«Something Like Bags» est de ce point de vue tout à fait
emblématique des possibilités entrevues en détaillant le background du
guitariste, avec ses qualités de précision, de fougue et de brio instrumental
parfaitement dosés. Le travail de six cordes allie sensibilité des bends et un vibrato
tout de tact et de parcimonie, des propriétés heureuses qu’on retrouve également
dans l’univers musical de Jim Hall, avec, peut-être, des tonalités moins
oniriques et plus rondes, quoi que tout aussi subtiles en ce qui concerne les nuances
et le toucher. Le swing est présent tout au long des onze plages du disque, et
les mélodies envahissent l’espace pour ne plus vous quitter («Between You
and Me»). Mention spéciale à «These Are Soulful Days» dont la
mélodie évoque la maestria de Pat Martino, «Lament» dont la beauté originelle
est servie par un sens de la sobriété que n’aurait pas renié Kenny Burrell, et
«Lazy Bird» qui témoigne d’une liberté de traitement très
coltranienne, tout en étant ancré dans une tradition qu’on pourrait qualifier
de bien française, au meilleur sens du mot. Une œuvre phare de la part d’un
musicien désormais au sommet de son art.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°681, automne 2017
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Andrea Motis
Emotional Dance
He's Funny That Way, I
Didn't Tell Them Why, Matilda, Chega de Saudade, If You Give Them More Than You
Can, Never Will I Marry, Emotional Dance, You'd Be so Nice, La Gavina, Baby
Girl, Save the Orangutan, I Remember You, Senor Blues, Louisiana O Els Camps De
Coto
Andrea Motis (voc, tp),
Ignasi Terraza (p), Josep Traver (g), Joan Chamorro (b, ts, fl), Esteve Pi (dm)
+ Joel Frahm (ts), Warren Wolf (vib, marimba), Scott Robinson (bs), Joel Frahm
(ts), Perico Sambeat (ss, as), Cafe da Silva (perc), Gil Goldstein (acc)
Enregistré du 25 au 30
mars 2016, lieu non précisé
Durée: 1h 02' 26''
Impulse! 0602557317947 (Universal)
Andrea Motis
He's Funny That Way
He's Funny That Way, If You
Give Them More Than You Can, I Remember You
Andrea Motis (voc, tp),
Ignasi Terraza (p), Josep Traver (g), Joan Chamorro (b), Esteve Pi (dm) + Joel
Frahm (ts), Warren Wolf (vib), Scott Robinson (bs)
Enregistré du 25 au 30
mars 2016, lieu non précisé
Durée: 13' 27''
Impulse! 0602547485106 (Universal)
Andrea Motis, née en 1995 à Barcelone, a commencé à 7 ans la trompette
puis elle fut révélée dans le très swing Sant Andreu Jazz Band de Joan
Chamorro, au sax alto et surtout à la trompette, ce qui lui a donné très tôt
l'occasion de se frotter à des jazzmen d'expérience comme Pepe Robles, Wycliffe
Gordon, Bobby Gordon, Dick Oatts. C'est toute la différence de l'enseignement
de Chamorro –par rapport aux institutions dites de jazz d'Europe–, il y forme
des swingmen/women sur un partage avec les aînés. D'où la déception relative à
l'écoute de ce premier album d'Andrea Motis, chez Impulse!, dans lequel le
swing n'est pas toujours convié. De plus la chanteuse a, ici, pris le pas sur
la trompettiste, et nous avons déjà plus que beaucoup de jeunes chanteuses à la
voix charmante! On pourra donc se contenter du EP He's Funny That Way,
extrait de l'album Emotional Dance. Ce qui ne signifie pas que ce soit
mauvais. La voix d'Andrea Motis est bien sûr plaisante, mais il est exagéré de
la comparer à celle de Billie Holiday car il n'y a pas la charge émotionnelle
de Lady Day. Par contre, Andrea évoque bien Eddie Jefferson par sa façon de
phraser dans «Baby Girl» (en re-recording elle tient la trompette dans le
background). Notons que l'introduction au sax ténor de Joan Chamorro est un
délice d'expressivité et l'accompagnement d'orgue bien venu. C'est la meilleure
ballade de l'album. A l'inverse, «If You Give Them More Than You Can» composé
par Andrea Motis est soporifique et Perico Sambeat au soprano est d'un «modernisme»
convenu épouvantable (pire encore dans «Matilda»). Andrea Motis sauve le titre
avec son solo de trompette. Elle a aussi signé «Save The Orangutan», du pur
hard bop où tous les solos sont bons (Ignasi Terraza comme toujours, Motis,
Frahm). Trois titres sont chantés en catalan dont «La Gavina» avec le
coltranien Joel Frahm. Parmi les meilleurs titres: «He's Funny That Way»
(excellents solos de Terraza, Traver, Robinson, Motis), «Never Will I Marry»
(solos de Motis, Terraza superbe! Notons que Sambeat est plus supportable à
l'alto), «You'd Be so Nice» (belles prestations de Motis, Robinson qui font
aussi une alternative avec Esteve Pi) et «I Remember You» (bons solos de Wolf
et Motis). Ignasi Terraza qui est le meilleur soliste, est aussi le compositeur
d'«Emotional Dance», une jolie ballade. Andrea Motis, invitée en mai 2017 à la
Conférence de l'International Trumpet Guild, a une bonne sonorité charnue,
parfois au timbre un peu sombre comme un bugle, un phrasé jazz, un jeu sans
surcharges en notes et sans effets dans l'aigu. Si elle veut bien se concentrer
sur le jeu de trompette, nous tenons un beau talent.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz Ladies
1924-1962
Lil
Hardin Armstrong, Mary Lou Williams, Hazel Scott, Dorothy Donegan, Yvonne
Blanc, Barbara Carroll, Marian McPartland, Jutta Hipp, Lorraine Geller, Terry
Pollard, Patti Brown, Pat Moran, Toshiko Akiyoshi, Joyce Collins, Lovie Austin,
Dolly Jones, Blanche Calloway, Mills Cavalcade Orchestra, Valaida Snow, Melba
Liston, Mary Osborne, Clora Bryant, Kathy Stobart, Shirley Scott, Dorothy
Ashby, Vi Redd, Ina Ray Hutton, International Sweethearts of Rhythm, Hip
Chicks, Ivy Benton, Vivien Garry, Beryl Booker.
Enregistré
entre novembre 1924 et le 22 mai 1962, Chicago, New York, Londres, Hackensack,
Paris, Livingston, Los Angeles, Frankfurt, Boston, Camden, Stockholm, Hollywood
Durée:
3h 47' 37''
Frémeaux
& Associés 5663 (Socadisc)
Le livret nous affirme
qu'«à la ségrégation noir/blanc vient
s'ajouter celle homme/femme». C'est vrai, mais la seconde fut en art, la
plus marquée. La misogynie avait court d'égale manière dans les deux
communautés. Le texte peut laisser à penser que les difficultés des femmes
musiciennes ne se sont manifestées que dans les milieux jazz. Faux. On lira la
page 19 de ma préface au DVD-Rom Le Monde de la Trompette et des Cuivres,
où je soulève aussi, contrairement au texte du livret, la vraie question pour les
instrumentistes: existe-t-il une particularité expressive féminine? Cette bonne
compilation écarte les chanteuses qui n'eurent pas à souffrir de cette mise à
l'écart, sans doute parce que les timbres de voix et maniérismes amènent la
touche féminine qui n'existe pas chez l'instrumentiste. Nous nous félicitons de
trouver Dolly Jones, Valaida Snow, Clora Bryant (tp) et Melba Liston (tb).
Engagée par Dizzy Gillespie, cette dernière raconte dans To Be or Not to Bop la condition féminine (p. 402): «une fois
à New York, j'ai entendu des commentaires du genre; 'Bon Dieu, mais pourquoi
a-t-il fait venir de Californie un trombone femelle?'». Après que
l'orchestre ait déchiffré un arrangement de Melba: «Ils ont tous dit: 'C'est bien ce qu'a fait la petite mère, là'.
J'étais devenu la petite mère au lieu de la femelle». Voici les perles de
cette compilation. D'abord une entorse à la règle car Lil Hardin Armstrong
apparait comme chanteuse (Teddy Cole, p) dans «Doin' The Suzie-Q» où brillent
Joe Thomas (tp) et Chu Berry (ts). Sinon le CD1 est
évidemment consacré aux pianistes. Mary Lou Williams est sous l'influence de
Willie Le Lion Smith dans «Swingin' for Joy». Hazel Scott démontre que femme et
swing vont bien ensemble dans «Embraceable You». Notons le solo de Charles
Mingus et l'alternative entre Hazel et Max Roach dans «The Jeep Is Jumpin'».
Dorothy Donegan donne un bon «Over the Rainbow» (1957) et Terry Pollard une
plaisante version de «Laura» (1955). Une des têtes de turc de Boris Vian était
Yvonne Blanc qui prouve avec ce «Limehouse Blues» qu'il avait tort (bons solos
de René Duchossoir, g et Arthur Motta, dm). Marian McPartland donne une belle
alternative avec Joe Morello dans «Four Brothers» tout comme Lorraine Geller avec
Bruz Freeman dans «Clash by Night». Le «Poinciana» de Lorraine Geller en solo
est bien. Entourée d'Ed Thigpen (dm) et Peter Ind (b), Jutta Hipp est excellente
dans «Horacio». Le travail de Roy Haynes (dm) et Oscar Pettiford (b) sert à
merveille Toshiko Akiyoshi dans «Pee, Bee and Lee». Le grand Frank Butler (dm)
est derrière Joyce Collins dans «Just in Time». Le CD2 est consacré
aux instrumentistes divers, néanmoins il y a une chanteuse, Blanche Calloway (influence
d'Ethel Waters dans «Mosery») à la tête d'un bon big band (deux titres réédités
en Classics 783). On commence par les combos de Lovie Austin (titres réédités
en Classics 756), «Steppin' on the Blues» (Tommy Ladnier, cnt) et «Frog Tongue
Stomp» (j'avais déjà signalé que c'est Al Wynn et non Kid Ory, tb, et
probablement Jimmy Cobb, cnt). On n'est pas sûr que ce soit Dolly Jones
l'excellente cornettiste dans «That Creole Band» (et ce n'est pas Barney
Bigard, ss-ts). Elvira Rohl (tp) participe aux faces du Mills Cavalcade Orchestra
(solo un peu fragile dans «Rhythm Lullaby») avec un groupe vocal féminin. Deux
trompettistes-chanteuses connues sont là, Valaida Snow et Clora Bryant. Valaida
est bien entourée dans «High Hat, Trumpet and Rhythm» (Freddy Gardner, ts,
réédité en Classics 1158) et elle prend un solo de trompette fragile mais bien
senti dans «My Heart Belongs to Daddy» (réédité en Classics 1122). Des deux
titres de Clora Bryant, «This Can't Be Love» est le meilleur. Elle y prend un
solo solide qui ne la distingue en rien d'un collègue masculin. Dans «Mischevious
Lady» du quintet Dexter Gordon, excellent (réédité en Masters of Jazz 156),
Melba Liston est encore débutante et les progrès sont nets dans «My Reverie»
avec le big band Dizzy Gillespie (cf. supra) où elle vaut largement le niveau
d'un Slide Hampton. «The Throlley Song» par son ensemble de trombones (Bennie
Green, Al Grey, Benny Powell) est de premier ordre. Les deux titres de Mary
Osborne (g) en quintet sans souffleur (Tommy Flanagan, Danny Barker, Tommy
Potter, Jo Jones) sont d'un haut niveau. Kathy Stobart (ts) a un son pulpeux
dans «Gee Baby» (avec Humphrey Littelton) comme Lockjaw Davis dans un décapant «Land
of Dreams» avec l'organiste Shirley Scott, également remarquable en trio dans «All
of You». Comme le piano, la harpe est considérée comme un instrument pour les
femmes [sic]. Dorothy Ashby, harpiste pas très swing, est illustrée dans deux
titres, «Aeolian Groove» (Frank Wess, fl, Eddie Jones!, b, Ed Thigpen!, dm) et «With
Strings Attached» (Terry Pollard, vib). Nous avons connu Vi Redd (as, voc) en
vedette de Count Basie. Elle a un style bien venu, proche de celui d'Eddie
Vinson («If I Should Lose You», «I'd Rather Have a Memory Than a Dream» avec
Herb Ellis, g). Le CD3 est dévolu aux ensembles féminins. Ina Ray Hutton et les
International Sweethearts of Rhythm laissent des films (disponibles sur YouTube). Le personnel de ces Melodears
de Hutton est imprécis (sax baryton, vibraphone). La même trompettiste
intervient avec classe en solo dans «Wild Party», «24 Hours in Georgia», «Witch
Doctor» de Hutton (Elvira Roth?). Cinq titres pour les Sweethearts c'est
justice. Même punch que tous les swing bands masculins de cette période
1944-45. En solo, l'extravertie et solide Tiny Davis (tp, née en 1909) et
surtout l'expressive Vi Burnside (ts, née en 1915: «Vi Vigor»!). «Striptease»
permet d'apprécier Marjorie et L'Ana Hyams (vib, ts) et surtout Jean Starr (tp,
ex-Sweethearts). Elle est une remarquable boppeuse, remarquée par Dizzy
Gillespie, comme le prouve «7 Riffs with the Right Women» (Vicki Zimmer!, p).
Rose Gottesman (dm) assure derrière Marjorie Hyams, Mary Osborne et Mary Lou
Williams dans «Conversation» (1946). Les trios de Mary Lou Williams et de Beryl
Booker ne méritent pas l'oubli. Gracie Cole, disciple d'Harry James s'illustre
dans l'orchestre de variétés d'Ivy Benson (as). Deux des meilleurs combos
féminins ont été retenus, celui de Vivien Garry (b) qui vaut pour Edna Williams
(tp) et Ginger Smock (vln) (3 titres) et celui de Terry Pollard avec la
boppeuse méconnue Norma Carson (3 titres)! Le livret donne de brèves
biographies de certaines de ces dames qui nous font passer là un bon moment!
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Laura Dubin
Live at the Xerox Rochester International Jazz Festival
Titres communiqués dans
le livret
Laura Dubin (p), Kieran
Hanlon (b), Antonio H. Guerrero (dm)
Enregistré: le 2 juillet
2016, Rochester (New York)
Durée: 1h 55' 46''
Autoproduction (www.lauradubin.com)
Charl Du Plessis Trio
Baroque Swing Vol. 2
Titres communiqués dans
le livret
Charl du Plessis (p),
Werner Spies (b), Hugo Radyn (dm)
Enregistré le 26 juillet
2015, Ernen (Suisse)
Durée: 1h 03' 45''
Claves Recors 50-1609 (www.claves.ch)
Née à Rochester (New
York), Laura Dubin, épouse du batteur Antonio H. Guerrero, n'est pas sans
évoquer Oscar Peterson dans le meilleur des cas («This Could Be the Start of
Something Big», «Something's Cooking», «Ode to O.P.» et «Green Arrow» de sa
composition) et un peu Bill Evans («Waltz for Bill»). Mais elle n'a pas
vraiment de style car elle peut aussi jouer «stride» (en solo: «Handful of Keys»)
et plonger dans le genre modal à la McCoy Tyner («Thunderstorm»). Elle signe pas
mal de thèmes «Invention for Nina» évidemment inspiré par...Bach, le bluesy «Doc
Z»). Laura Dubin s'est fait la spécialité de coupler des standards américains
avec un auteur classique: Le Tombeau de Couperin / «My Favorite Things»
(pauvres Ravel/Rodgers & Hammerstein), «Prelude to a Kiss» / Valse n°1
opus 64 (Ellington/Chopin), en solo et pas mal Reflets dans l'eau /
«Our Love Is Here to Stay» (Debussy/Gershwin). Un gadget «easy listening». Ce
peut être enfin le fait de «jazzer» une pièce classique (Sonate Pathétique
n°8 de Beethoven). Elle a une bonne technique, c'est propre. Le trio est
bien rodé, les musiciens sont soudés. Rien de désagréable, rien
d'enthousiasmant non plus comme la plupart des produits labellisés «jazz»,
aujourd'hui. Deux CD c'est bien long, un seul aurait suffit. Inutile de dire que jouer
les compositeurs baroques en jazz (ou supposé tel) n'est pas nouveau! Ce fut
même une mode autour de 1965. Puis notre Claude Bolling fut un pionnier de ce
qu'on étiquette «cross over», genre qui est revendiqué par le trio sud-africain
Charl du Plessis. La formation a déjà donné
un premier volume en 2013. Cette fois, elle s'en prend à Gershwin (sic), Gluck,
Vivaldi, Haendel et inévitablement à Bach, un compositeur d'exception car même
mal joué il reste plaisant! Ce sont d'ailleurs les œuvres de Bach qui se prêtent
le mieux à cet exercice: la Toccata & Fugue en ré mineur retient
l'attention et les musiciens y démontrent leur compétence. Les Inventions (ici
n°8, 4, 13) ont toujours été travaillées par des jazzmen, notamment la n°4 qui
figure dans un recueil de Bud Brisbois pour la trompette; ça swingue mieux
quand on évite d'improviser dessus. Belle démonstration du batteur dans la n°4,
mais c'est trop long. C'est intéressant quand on connait bien l'œuvre, pour l'avoir
joué soi-même, descellant ainsi les contributions qui paraissent prétentieuses
en comparaison de l'immensité de J.S. Bach. Le trio aborde aussi le Prélude
et Fugue n°3 en do dièse majeur et propose une «New Jazz-Suite» en six
mouvements conçue à partir de diverses compositions de Bach (extraits de Suites,
des Variations Goldberg, de Cantates). L'extrait de la Suite
en ré mineur de Haendel est choix qui fonctionne. La Mélodie d'Orphée
& Eurydice de Gluck est superbe en elle-même et l'improvisation qui en
découle est sans utilité. Dans le «Ballet des Ombres heureuses» tiré de la même œuvre,
le trio swingue bien et le bassiste comme le batteur (aux balais) ont un talent
réel. Ce domaine du «cross over» est très «easy listening». En d'autres termes plus
français c'est de la bonne musique de variétés. On écoute sans déplaisir et on
constate que ces pianistes improvisateurs en cherchant le respect et la
musicalité, sonnent tous de la même façon dépassés qu'ils sont par la qualité
thématique de ces compositeurs d'exception.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sébastien Troendlé
Boogies on the Ball
A
la la, Winter Boogie, Boogaudébut Ragalafin, Woodywood Pecker Boogie, Tendinite
Blues, Boogie On The Ball, Chapel Street Boogie, Grosse Gauche, Charlie's
Boogie, Sorti du Four, Let the Left Hand Roll, African Dream, C'est Si Bémol,
Quelques Flocons
Sébastien
Troendlé (p)
Enregistré
en décembre 2016 et janvier 2017, lieu non précisé
Durée:
1h 00' 42''
Frémeaux
& Associés 8537 (Socadisc)
Nous sommes devant une
avalanche de CDs de boogie woogie! Voici que Sébastien Troendlé (né en 1977)
vient gonfler l'offre. Y-a-t-il une telle demande? Ceux qui achètent ces disques,
souvent au détours d'un concert, consacrent-ils autant d'intérêt à Pinetop
Smith, Cow Cow Davenport, Jimmy Yancey, Pete Johnson, Albert Ammons, Sammy
Price, voir même Fats Domino? Non. Nous sommes dans une niche commerciale.
Sébastien Troendlé sait en tirer profit. Après un Rag'n Boogie (Frémeaux
& Associés 8507), la sortie de sa méthode de Boogie-Woogie (2016, éditions
Henry Lemoine), cet ex-élève de l'Académie de Bâle et ex-enseignant à l'école
de musique de Haguenau, nous propose quatorze de ses compositions boogie. Il
déploie beaucoup d'énergie sans éviter la lourdeur («A la la», «Winter
Boogie», etc). On en vient à regretter la pratique plus nuancée d'un
Jean-Paul Amouroux. De toute façon le "grand public" n'est, aujourd'hui, pas
apte à distinguer un dandy d'un bûcheron. Non pas que ce CD soit totalement
dépourvu d'intérêt d'ailleurs: il y a de bons passages dans «Boogaudébut
Ragalafin» (pour la fin justement qui tire vers le stride), le début
low-down de «Tendinite Blues», la courte introduction perlée à «African
Dream» et «C'est Si Bémol» dans le genre Pr Longhair / James
Booker. Mais trop de boogie tue, sinon le boogie, la santé des chroniqueurs
(tout au moins celle du signataire).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jean-Paul Amouroux
Plays Boogie Woogie Improvisations
Boogie
Woogie Piano Solo, Boogie Woogie Train, Walkin' the Basses, Express Special,
Warming Up The Steinway, Lazy Boogie Woogie, Boogie for Piano &
Harpsichord, Shakin' and Stompin', September 23 Boogie, 88 Special, Barrel
House Shuffle, Riffin' the Boogie, Boogie for Piano & Organ, Bluesin' the
Boogie, Perpetual Boogie Woogie, JP Blues for Véronique, Rollin' the Basses,
Boogie for Piano & Celesta, Boogie All Day Long, Shufflin' and Swingin',
Marcal Boogie Woogie
Jean-Paul
Amouroux (p, org, kb, celesta)
Enregistré
le 23 septembre 1994, Paris
Durée:
1 h03' 46''
Black
& Blue 851 2 (Socadisc)
Le hasard des éditions
Black & Blue? C'est le second CD de Jean-Paul Amouroux en peu de temps. Le
précédent a été chroniqué dans Jazz Hot n°678 de l'hiver 2016-2017
(enregistré en 2015)! Celui-ci a tardé à resortir (1994). A quoi bon une
discographie aussi pléthorique? Quel que soit le talent de Jean-Paul Amouroux,
ne vaut-il pas mieux écouter en priorité les fondateurs du genre tels Albert
Ammons, Pete Johnson, Jimmy Yancey, Big Maceo, Memphis Slim, etc? Nous le
pensons. La réédition de ces maîtres s'impose plus que celle-ci qu'Alain
Balalas estime, dans le texte du livret, être «le meilleur de tous ceux de Jean-Paul Amouroux». Il est en effet
bon parmi les milliers de disques d'un genre aussi réjouissant que monotone,
même lorsque l'interprète sait, comme ici, y diffuser l'indispensable swing.
Une qualité d'Amouroux est la stabilité de son tempo. Il fait au mieux pour
varier les climats d'un titre à l'autre, et dans trois titres il sollicite le
clavecin, le celesta ou l'orgue (pas mal) pour diversifier. Mais le genre est
ce qu'il est. Nous aimons lorsqu'il y a un peu de tripes comme dans «Barrel House
Shuffle», «Bluesin' the Boogie» (nuances) et surtout le beau «JP Blues
for Véronique». Un disque pour les inconditionnels de Jean-Paul Amouroux
et/ou du boogie woogie.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Rémi Toulon
Adagiorinho
Adagiorinho,
Musset, Sambamaya, Elisa, Calle De Las Fiestas, Bagoola, Fuen, Tes Mots,
Jogral, You Don't Know What Love Is
Rémi
Toulon (p, ep), Sébastien Charlier (hca), Jean-Luc Arramy (b), Vincent Frade (dm),
Zé Luis Nascimento (perc)
Enregistré:
les 1er, 2 et 3 novembre 2016, Meudon (78)
Durée:
53' 52''
Alien
Beats Records 17AB (Inouïe Distribution)
Un CD bien dans l'air du
temps. Si Rémi Toulon (né en 1980) a été repéré et lancé par Jean-Pierre
Bertrand et Fabrice Eulry c'est à son professeur, Bernard Maury, qu'il doit son
orientation stylistique evansienne bien servie par sa formation classique («Tes
Mots»). Les percussions sont là pour donner l'inévitable touche latine («Adagiorinho»).
Il joue volontiers piano et Rhodes à la fois («Bagoola»). C'est
plutôt agréable («Calle De Las Fiestas»). Jean-Luc Arramy a une
belle qualité de son. Mais pour nous, qui nous ennuyons sans souffleur,
l'attrait du disque est la présence de Sébastien Charlier (né en 1971),
virtuose de l'harmonica diatonique Hohner dans six titres dont «Sambamaya»,
le dansant «Fuen» et le standard «You Don't Know What Love Is».
Il expose fort bien le thème (un peu long à venir) d'«Elisa» de Serge
Gainsbourg, l'un des trois titres qui ne soient pas de Rémi Toulon.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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The Dime Notes
The Dime Notes
Original
Jelly Roll Blues, Alabamy Bound, Aunt Hagar's Children's Blues, Black Stick
Blues, The Pearls, T'Ain't Clean, Otis Stomp, Si tu vois ma mère, The Camel
Walk, The Crave, I Believe in Miracles, Ole Miss, Turtle Twist, What A Dream
David
Horniblow (cl), Andrew Oliver (p), Dave Kelbie (g), Tom Wheatley (b)
Enregistré:
le 6 juin 2016, Londres
Durée:
55' 48''
Lejazzetal
Records 16 (www.lejazzetal.com)
Voici un disque bien
enregistré et luxueusement présenté. Ces «disciples-exécutants»
(selon l'expression de Dizzy Gillespie) sont bons, mais il est indispensable de
ne se procurer un tel disque qu'après l'écoute intensive de «Black Stick»
par Sidney Bechet avec les Noble Sissle's Swingsters du 10 février 1938 (Jazz
Classics 632), des Red Hot Peppers de Jelly Roll Morton dans «Original
Jelly Roll Blues» (avec Omer Simeon, cl, 16 décembre 1926) et «The
Pearls» (avec Johnny Dodds, cl, 10 juin 1927) et de l'historique trio de
Jelly Roll Morton avec Barney Bigard (cl) et Zutty Singleton (dm) («Turtle
Twist», 17 décembre 1929, Classics 642). Si en effet, David Horniblow
(beau nom pour un souffleur!) se réfère à Sidney Bechet, notamment dans «Si
tu vois ma mère» (le discrètement efficace David Kelbie y est audible),
nous ne trouvons rien de Barney Bigard, Johnny Dodds et surtout Jimmie Noone
dans son jeu contrairement à l'opinion d'Evan Christopher, auteur du texte du
livret. Il y a un peu de Simeon et d'Edmund Hall (growl dans «The Crave»,
autre composition de Morton). Nous n'aimons pas ses notes tenues avec trop de
vibrato («T'Ain't Clean»), criardes («Turtle Twist») ou
chevrotantes («I Believe in Miracles»). Et pourtant Horniblow,
ex-élève en clarinette à la Guildhall School, a confronté sa belle technique à
la fréquentation des vétérans Kenny Ball, Acker Bilk et Chris Barber. Ce
quartet sympathique n'évite pas la caricature («Ole Miss»
sautillant), mais c'est globalement un groupe qui devrait plaire aux animations
off des festivals d'aujourd'hui. Parmi les points forts, il y a le bassiste
londonien Tom Wheatley (qui slappe dans «Alabamy Bound»), le
pianiste américain fixé à Londres, Andrew Oliver (il a étudié à New Orleans
avant l'ouragan Katrina) partout excellent (notamment dans sa composition, «Otis
Stomp») et l'intérêt porté à Jelly Roll Morton scandaleusement négligé de
nos jours.).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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L'Anthologie du Caveau de La Huchette
1965-2017
Titres et personnels
détaillés dans le livret
Enregistré entre le 29
mars 1951 et le 8 mars 2017, Paris
Durée: 3h 48' 48''
Frémeaux &
Associés 5676 (Socadisc)
Cet établissement
historique à plus d'un titre mérite d'être salué! C'est à partir de l'automne
1948 que le lieu est converti par Maurice Goregues au jazz qui se danse. Dany
Doriz en prit la direction en janvier 1970. Tout ceci est rappelé dans le texte
du livret signé Jean-Michel Proust agrémenté de photos symboliques. La présente
illustration sonore est plus que sympathique, tout ne relevant pas de prises
sur le vif dans les lieux comme le magistral «Fireworks» par Roy Eldridge
en duo avec Claude Bolling. Pour des raisons d'accès sans doute, il y a des
absents tels que Al Grey, Cat Anderson, Harry Edison, Art Blakey, Rhoda Scott,
Raymond Fonsèque, Géo Daly ou les New Old Sharks de Fred Gérard (1986) avec
Roger Guérin (j'étais assis à ses pieds,
importuné par les jupons de danseuses déterminées). L’équipe de Jazz Hot y a célébré à plusieurs reprise l’anniversaire de la revue, animations
musicales à la clé (Brisa Roché, Sarah Morrow, Sylvia Howard, etc). Il suffit
de lire la liste des intervenants pour se douter de l'hétérogénéité des genres
bien que tous dansables. A côté d'un jazz on ne peut plus orthodoxe, il y a la
proximité du yéyé (Mac Kac: «cette sacré télé», 1965, qui est le sax ténor?),
de la chanson française («La Belle vie», «Un scotch, un bourbon, une
bière», «La Mer» - instrumental, pas de vocal de Marc Fosset!), de
la valse musette (Marcel Azzola, «Double Scotch») et du rock'n’roll (Mighty
Flea Conners, «Shake Rattle & Roll», 1990, Claude Braud, ts; King Pleasure;
Al Copley) qui, nous l'avons souvent écrit, est du jazz aussi. Les
renseignements discographiques posent de mineurs problèmes. Par exemple, «Caldonia»
du CD1 est par Alton Purnell (et non Turnell) également chanteur (bon solo de
Boss Quéraud, tp), page 18 bugle ne prend qu'un «g», qui est trompette dans le
titre de Jean-Paul Amouroux-Sam Wooyard (1976, François Biensan?), nous sommes
privés du nom des membres du big band Lionel Hampton qui, certes, est la seule
vedette (vib, voc) de ce «In The Mood» comme de celui de Jeff Hoffman, de
l'identité du chanteur dans «Moanin'» (Duffy Jackson bien sûr – à noter les
grands Georges Arvanitas, p, Eddie Jones, b), du guitariste avec Sweet System («Fever»),
le trompette dans «On the Alamo» (Jérôme Etcheberry me semble-t-il). Il n'en
est pas moins vrai qu'il y a beaucoup à glaner. Ainsi dans le CD1, Wani Hinder
(ts) avec Milt Buckner (org) dans le «Boogie Woogie au Caveau de la Huchette»
(1975), Michel Denis (dm) excellent avec Memphis Slim («Shake Rattle and Roll»,
1977), Stéphane Guérault (ts) avec Wild Bill Davis-Kenny Clarke («Indiana»,
1977), Bill Coleman («On Green Dolphin' Street», 1979), Alain Bouchet (tp) et
Patrick Bacqueville (tb) avec Maxim Saury («La Huchette», 1981), Carl Schlosser
(ts) dans l'Octet Dany Doriz (1990) et Yannick Singery (p) avec Jacky
Milliet-Claude Luter (1991). Dans le CD2: Carl Schlosser tonique avec Wild Bill
Davis-Dany Doriz-Sacha Distel, Claude Gousset (tb) avec Zanini, Patrice Galas
(p) avec l'excellente Gilda Solve, le goodmanien Bob Wilber (Doriz, Arvanitas,
Butch Miles, dm, Eddie Jones, b!), Patricia Lebeugle («Fanfreluche»), Finn
Ziegler (vln), un boogie par Claude Bolling (2003), Philippe Duchemin («Good
Vibes», 2004). Le CD3 est strictement XXIe siècle (2012-17) pour se
convaincre de la survivance du genre à l'écart des incongruités festivalières,
avec au gré des plages aux côtés de déjà vétérans (Scott Hamilton, Claude
Tissendier, Boney Fields,...), de précieux irréductibles (Malo Mazurié,
Sébastien Gillot, Ronald Baker, Jérôme Etcheberry, tp/cnt, Drew Davies, Michel
Pastre, ts, César Pastre, Franck Jaccard, p, Philippe Petit, org/p, Sébastien
Girardot, b, Guillaume Nouaux, François Laudet, Didier Dorise, dm, etc). Bien
sûr Dany Doriz est omniprésent, c'est bien naturel et un plaisir au swing
constant. Un coffret qui est bon pour la santé mentale des jazz fans... pour ne
rien dire des pieds des danseurs.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Stan Laferrière Big One
A Big Band Jazz Saga
Dirty
Rag (Ragtime, 1915), L'Oreille est hardie (Ballroom, 1923), To Bix (Collective
Chicago, 1926), Slap That Band (Washingtonians, 1930), Jumpin' Count (Riff,
1935), Swing Swang Swung (Swing Clarinet, 1937), Glenn's Train (Train bounce,
1938), Clarinet Serenade (Moonlight, 1939), Harlem Jungle Jive (Jungle, 1940),
Dizzysphere (Be-bop, 1945), Crazy Moon (Tenor Ballad, 1948), Cuban Scent (Bop
latin, 1949), Deb's Darling (Big band ballad, 1954), Duke's Places (Groovy
shuffle, 1956), Sorry For Lovin' You So (Crooner, 1958), Lalo's Waltz (TV
Movie, 1960), Back to Roots (Soul, 1962), Funny Sixties (Bossa-twist, 1964),
Climber Man (Modern ballad, 1970), Patouchamontoche (Funky, 1980)
Stan
Laferrière (p, g, bj, dir), Benjamin Belloir, Mathieu Haage, Julien Rousseau
(tp, flh), Anthony Caillet (tp, sousa), Nicolas Grymonprez, Cyril Dubilé,
Bertrand Luzignant (tb), Jean Crozat (btb), Pierre Desassis, David Fettmann,
Christophe Allemand, Olivier Bernard, Cyril Dumeaux, Frédéric Couderc (ss, as,
ts, bar, bs, cl, fl), Sébastien Maire (b), Xavier Sauze (dm), Orlando
Poleo (perc), James Copley (voc)
Enregistré
en janvier 2017, lieu non précisé
Durée:
1h10’ 51’’
Frémeaux
& Associés 8545 (Socadisc)
Une part de ces musiciens
a joué dans le Big Band de la Musique de l'Air déjà dirigé par Stan Laferrière.
L'éditeur ne prend même plus soin de donner le prénom des musiciens. Par
ailleurs, nous avons indiqué dans la notice de cette chronique les sous-titres qui
précisent un peu l'objectif du morceau, car il ne s'agit que de compositions
originales de Stan Laferrière. Celui-ci nous livre aussi "son" histoire des big
bands, dans le texte du livret. Heureusement, il est meilleur musicien
qu'historien... On aurait aimé l'identification des solistes pour chaque titre,
nous permettant ainsi de mieux connaître des artistes encore jeunes qui n'ont
pas, pour l'instant, la notoriété des Louis Armstrong, Bix, Jack Teagarden,
Benny Goodman, Dizzy Gillespie, etc. Le «Dirty Rag» est délicieux (presque trop
swinguant pour évoquer 1915) avec un superbe solo de trombone (Nicolas
Grymonprez?). Il est plaisant que l'on pense à Fletcher Henderson, en effet
père du big band jazz avant qu'Ellington ne "se" trouve. On lui dédie un «L'Oreille
est hardie» (belle astuce) qui "danse" bien. Belle qualité de son du trombone
solo, solo de cornet...bixien (Mathieu Haage?) et un remarquable solo de ténor
(Anthony Caillet, solide au sousaphone dans la rythmique). Le «To Bix» est une
évocation parfaite du Gang (petite formation!) de Beiderbecke, avec saxo-basse.
Le solo de cornet bixien est fin. La rythmique opte pour la contrebasse dès «Slap
That Band» qui offre d'excellents solos de ténor, trombone et une belle
écriture pour section de saxes. La rythmique devient basienne pour «Jumpin'
Count» sur un tempo médium parfait pour le swing. On passe ensuite à une
évocation de «Sing Sing Sing» et de Benny Goodman. Excellents solos de
trompette avec plunger, ténor velu, trombone avec plunger dans «Glenn's
Serenade» très Miller (comme l'évocation suivante genre «Moonlight Serenade»).
Les tutti de trompettes avec sourdine sont très fins.
Le Big One démontre dans
ce disque, outre une connaissance des styles, un haut niveau professionnel
(richesse des nuances). Même si le style jungle est très antérieur à 1940, ce «Harlem
Jungle Jive» l'évoque bien (bon solo de trombone!). On se doute à qui «Dizzysphere»
s'adresse. A noter que le solo d'alto est plus dans la lignée Lee Konitz que
Charlie Parker et le solo de trompette sonne comme du bugle (pas employé par
les boppers de 1945). Beau travail du lead trompette en coda. Orlando Poleo
participe évidemment à «Cuban Scent» très Machito et James Copley à «Sorry for
Lovin' You So». «Crazy Moon» est un solo de ténor avec une qualité de son
devenue rare chez les jeunes instrumentistes. Si Stan Laferrière revisite Count
Basie («Deb's Darling») et Duke Ellington («Duke's Places» presque... marsalien
en coda), il choisit aussi l'hommage à Lalo Schifrin («Lalo's Waltz»), Quincy
Jones («Back to Roots», «Funny Sixties») et... Bob Mintzer («Patouchamontoche»).
Peu importe si nous sommes très réservés sur la vision historique, la musique
proposée est de qualité; c'est ce qu'on attend d'un musicien (historien et
musicologue sont aussi des métiers). Un travail presque pédagogique qui devrait
figurer dans les festivals pour nous aider à les supporter. Bravo à Stan
Laferrière et au Big One.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Claude Tissendier
Swingin' Bolling
Jazzomania,
Blue Kiss From Brazil, La Belle et le Blues, Borsalino, Here Comes the Blues,
When the Band Begins to Play Their Music, Dors Bonhomme, Just for Fun,
Louisiana Waltz, Duke on My Mind, Take a Break
Claude
Tissendier (as, cl, arr), Patrick Artero (tp, flh), Philippe Milanta (p),
Pierre Maingourd (b), Vincent Cordelette (dm), Faby Médina (voc)
Enregistré
les 12 et 13 avril 2016, Chérisy (28)
Durée:
51' 56''
Black
& Blue 818.2 (Socadisc)
Ce sont toutes des
compositions de Claude Bolling arrangées pour quintet par Claude Tissendier.
L'idée vint à l'issue du dernier concert de Claude Bolling donné en trio
(Maingourd, Cordelette) le 24 juin 2014 au Petit Journal Saint-Michel à Paris.
Claude Tissendier et Patrick Artero étaient alors venus étoffer le trio et
donner une suite à cette expérience s'imposait. Faby Médina, chanteuse de
l'orchestre Claude Bolling depuis 2001, intervient dans «When the Band Begins
to Play Their Music» (alias «Lazy Girl», paroles de Virginia Vee), «Louisiana
Waltz» (tirée du film Louisiane) et «La Belle et le Blues» composé pour
Brigitte Bardot avec des paroles de Serge Gainsbourg (belle prestation avec le
plunger de Patrick Artero). Claude Tissendier est remarquable à l'alto avec ici
quelques tournures à la Benny Carter («Jazzomania») et là, une sonorité dans la
lignée de Johnny Hodges («Duke on My Mind» qui met en valeur Pierre Maingourd).
Claude Tissendier ne sollicite la clarinette que dans «Borsalino» où Philippe
Milanta surprend par un solo qui du boogie passe au stride puis à Erroll
Garner. Nous n'avions pas remarqué jusqu'ici combien Patrick Artero se
rapproche aujourd'hui de Bill Coleman par le son, le phrasé, les attaques, à la
trompette parfois («Here Comes The Blues»; le basien «Take a Break» où le jeu
de balais de Vincent Cordelette est la vedette) et surtout au bugle dans «Blue
Kiss From Brazil» (bon solo de Maingourd), «Borsalino», «Just For Fun»
(excellent solo de Milanta et belle alternative de Cordelette avec trompette, sax
et piano). En revanche, dans «Dors Bonhomme», à la trompette avec sourdine
harmon, Patrick Artero évoque le Miles Davis de L'Ascenseur pour l'échafaud (dialogue avec Tissendier) et du «Nature Boy» de Blue Moods. Une
réussite collective et un hommage mérité à Claude Bolling.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sean Jones
Live From Jazz at the Bistro
Art's
Variable, Lost then Found, Piscean Dichotomy, Doc's Holiday, The Ungentrified
Blues, Prof, BJ's Tune
Sean
Jones (tp, flh), Brian Hogans (as, ss), Orrin Evans (p), Luques Curtis (b),
Obed Calvaire, Mark Whitfield, Jr. (dm)
Enregistré
les 3-5 décembre 2015, St. Louis (Missouri)
Durée:
1h 04' 04''
Mark
Avenue 1111 (www.mackavenue.com)
Sean Jones, diplômé de la
Rutgers University, n'est plus un inconnu depuis son passage dans le Jazz at
Lincoln Center Orchestra (six ans) et dans le groupe de Marcus Miller (Jazz in
Marciac, etc.). Il dirige un quartet comprenant Orrin Evans, Luques Curtis et
Obed Calvaire depuis onze ans. C'est avec eux, et deux autres qu'il se présente ici en quartet
ou quintet. «Art's Variable» est censé saluer Art Blakey, sans doute de façon
abstraite car Mark Whitfield, Jr. n'instaure pas un tempo; il commente en percussionniste.
Le solo de Sean Jones à la trompette révèle une filiation de sonorité avec
Freddie Hubbard. Il utilise le piston mi-course pour des effets et gère bien
une tension crescendo vers l'aigu. La contrebasse ouvre «Lost, Then Found» en
quintet avec Brian Hogans (ss). Cette fois le titulaire Obed Calvaire tient la
batterie, mais le style est le même. Dans ce contexte modal sur tempo médium,
l'improvisation est très libre. Sean Jones a une belle qualité de son au bugle.
Le «Piscean Dichotomy» ne manque pas de dynamisme. Brian Hogans y joue de
l'alto. Sean Jones et le groupe retrouvent là le style du Quintet Miles Davis
de la deuxième moitié des années 1960. Une continuité rythmique sur tempo
médium marque «Doc's Holiday» dans lequel Sean Jones improvise de façon libre
avec des résurgences de Don Cherry et Booker Little. Le solo de piano qui suit,
plus structuré, n'en paraît que plus «traditionnel» tout comme, ensuite,
l'excellent solo de Luques Curtis. Brian Hogans n'intervient que dans le thème
volontairement anfractueux (signé Orrin Evans), ce qui semble étonnant (la
prise de concert serait-elle tronquée?). Bien sûr, «The Ungentrified Blues»,
sur tempo médium, est, pour nous, le meilleur moment du disque. Sean Jones y
fait enfin une musique de tripes, enracinée, avec des effets bienvenus
(growl, note tenue, inflexions, notes répétées pour générer la tension, montées
dans l'aigu bien senties). On notera que sa sonorité n'en paraît que plus belle
notamment dans son deuxième solo plus détendu menant à une coda sobre
(influence de Wynton Marsalis). Orrin Evans a compris que dans le blues, il ne
faut pas compliquer le propos. Quant à Luques Curtis et Mark Whitfield, Jr., ils
assurent la continuité rythmique fermement. «Prof» qui porte l'influence
d'Ornette Coleman période Atlantic, est une composition de Sean Jones qu'il a
dédié à son professeur William Fielder. C'est un thème de quinze mesures (!)
utilisant les quartes. Après un solo de Brian Hogans (as), Sean Jones déploie
une virtuosité avec plus de pertinence. Mais l'arrivée d'une paisible ballade
en quartet, «BJ's Tune», au thème simple et répétitif, jouée avec élégance au
bugle, fait du bien (la coda est «Amazing Grace» ad libitum). Bilan? Comme à
peu près toute la production actuelle, ce disque ne laissera pas de trace. Rien
d'essentiel comme peuvent l'être encore, «West End Blues» par Louis Armstrong
(1928), «Groovin' High» de Dizzy Gillespie (1945), «Stardust» par Clifford
Brown (1955), «Booker's Waltz» de Booker Little (1961) ou «The Majesty of the
Blues» de Wynton Marsalis (1988). La survie et la mort à la fois, viennent de
l'académisme installé depuis que le jazz est enseigné. Sean Jones est
d'ailleurs impliqué dans l'enseignement à la Duquesne University, l'Oberlin
Conservatory of Music et, actuellement, au département des cuivres du Berklee
College of Music. Il montre donc à ses élèves comment fonctionnent ses
recettes. Mais Sean Jones, comme la majorité de ses confrères, n'a pas fait
l'effort personnel d'un Wynton Marsalis ou d'un Nicholas Payton d'aller en
profondeur dans l'héritage expressif des plus anciens. Tout récemment encore
c'est Nicholas Payton qui a conseillé à Greg Tardy d'écouter Ben Webster;
est-ce bien sérieux? Attend-t-on d'un artiste d'aujourd'hui et d'un enseignant
qu'il débute la musique par Miles Davis? On écoutera ce disque pour «The
Ungentrified Blues» et «BJ's Tune».
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Iñaki Salvador Trio
Lilurarik Ez
Ihesa, Dembora Es da Luzea, Kontatu Didate, Ezer Gabe,
Diálogos con Miguel, Izarren Inguruan, Improvisación sobre Txoria, Txori,
Variaciones sobre Baga, Biga, Higa
Iñaki Salvador (p), Javier Mayor de la Iglesia (b), Hasier Oleaga (dm)
Enregistré en avril 2010, San Sebastián (Espagne)
Durée: 1h 01’
Vaivén Producciones (www.vaivenproducciones.com)
Un petit rappel pour situer ce disque: Mikel Laboa
(1934), médecin, psychiatre, musicien, figure incontournable de la chanson et
de la culture basques, disparaît en 2008 laissant un immense vide. Le pianiste
Iñaki Salvador, artiste trop peu visible, hors du cercle des jazzmen ou des
amateurs de culture basque, qui a travaillé avec Laboa de nombreuses années,
est invité en 2009 à lui rendre hommage par un concert. Iñaki s’attache à
réaliser des versions des chansons que Laboa avait enregistrées dans les années
60 avec des textes de Brecht. Ce disque Lilurarik
Ez est issu de ce projet et met en évidence les qualités pianistiques de
Salvador. Le traitement des chansons, certaines selon une esthétique
jazzistique, est particulièrement remarquable. Dans cette optique on appréciera
tout particulièrement «Ihesa, Dembora Es Da Luzea» qui débute sur
un tempo lent, berçant l’oreille, avant de pénétrer dans un jazz plein de swing
dont l’intensité va crescendo, parsemée de retours au calme. Iñaki bénéficie ici,
comme dans la plupart des autres thèmes, d’un excellent soutien de ses deux
partenaires, inconnus de l’auteur de ces lignes mais offrant eux aussi de
belles qualités. «Izaren Inguruan» est lancé de la même façon, très
calmement au piano, sans les partenaires, puis les balais et quelques accords
de contrebasse viennent en soutien. Le swing émerge. Le jazzman qu’est Iñaki
Salvador s’illustre encore et magnifiquement dans les deux derniers thèmes, «Improvisación»
et «Variaciones». Les deux thèmes comme les autres demandent de la
patience à l’auditeur pour entrer dans le swing. Cette patience permet à chaque
fois de se délecter de la technique du pianiste.
Les autres plages offrent un esprit différent. «Kontatu Didate»
veut rester au plus près de la manière de travailler de Laboa. Drum et
contrebasse recherchent cette fidélité et le thème ainsi joué s’éloigne du
jazz. On relève dans «Ezer Gabe» la délicatesse du jeu de Salvador.
«Diálogos con Miguel» fait appel à la voix du chanteur basque qui est
insérée dans la prestation du trio. De larges espaces laissent la possibilité à
Iñaki d’improviser. Un disque qui offre une nouvelle opportunité à ceux qui ne
le connaissent toujours pas de découvrir Iñaki Salvador.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ramón Valle / Orlando Maraca Valle
The Art of Two
Johana, Love for Marah, El Guanajo relleno, Alena,
Monologo, Latin for Two, Tú mi Delirio, Mi Guajira con Tumbao, Puentes, Amigos
Ramón Valle (p), Orlando Maraca Valle (fl)
Enregistré le 17 octobre 2015, Amsterdam (Pays-Bas)
Durée: 46'
In + Out Record 77131 (http://ramonvallemusic.com)
Ce disque des deux cousins cubains est un petit joyau
musical. Ramón, pianiste installé aux Pays Bas, nous avait proposé par le passé
d’excellents enregistrements comme Levitandoet brille sur les scènes européennes à la tête de son trio. Orlando «Maraca»
vit à La Havane mais est quasiment parisien et il est peu de recoins de
l’hexagone auxquels il n’a pas rendu visite. Depuis longtemps l’idée de
travailler ensemble était dans l’air et, après une lente préparation, c’est
dans un studio hollandais que la magie est née. Ramón et Maraca créent de la
beauté, c’est tout. Le pianiste, dans l’ensemble moins percussif que d’autres
confrères Cubains, égrène calmement les notes, distille sa maîtrise technique,
sa classe. Aucune note superflue, aucune débauche sonore. Quant à Orlando, son travail
avec le Latin Jazz All Stars ou encore ses récents disques, plutôt festifs,
sont bien connus. Cette apparition en duo lui permet, sinon de rompre avec ces
précédents travaux, à tout le moins de mettre clairement en évidence pour ceux
qui écoutent plutôt la globalité des prestations de ses formations, l’étendue
de ses aptitudes, la maîtrise qu’il a de la flûte, la fluidité de son jeu, ses
détachés superbes. Orlando s’appuie sur le travail de Ramón sans qu’aucun autre
instrument ne vienne distraire l’écoute. Tous deux sont en parfaite osmose.
Le disque comprend quatre compositions de Ramón, trois
de Maraca et est complété par trois thèmes issus des standards cubains. «Johana»
est de l’autorité de Ramón et allie le lyrisme à cette fluidité mentionnée
précédemment. Il n’y a pas de rupture avec le thème suivant «Love for Marah» d’Orlando
pris sur un tempo très lent. Ramón pose un minimum de notes. L’hommage à deux femmes
est une évidence. Le flutiste offre «Alena». L’esprit reste le même. Les deux partenaires
sont extrêmement à l’écoute l’un de l’autre: The Art of Two est bien nommé! Si «Monologo» est écrit par le
pianiste, ce thème est offert largement au flûtiste. On pénètre un peu plus dans
le jazz avec «Latin for Two». Le tempo est plus rapide, le jeu est vif, tant de
la part de Ramón que d’Orlando. Des trois classiquesde la musique cubaine
proposés ici «El Guanajo relleno» est arrangé par Ramón mais perd largement ses
caractéristiques soneras pour
s’inscrire complètement dans l’esprit du disque. «Mi Guajira con Tumbao»,
toujours arrangé par le pianiste est épuré mais conserve un superbe tumbao, ce swing cubain assuré par
le piano sur lequel s’exprime le flutiste. Appréciez-le davantage encore à 3'30''!
Le maestro César Portillo de la Luz, figure emblématique du feeling cubain,
fournit le troisième thème, «Tú mi Delirio». Le piano est discret, la flûte qui
n’a jamais été très utilisée dans le feeling devient le protagoniste principal.
Il faut relever les beaux vibratos. Le disque s’achève sur deux compositions de
Rámon. Il y exprime pleinement son style personnel, plus percussif cette fois,
dans un passage sans flûte de «Puentes», thème chargé de mélancolie. «Amigos»,
très sobre, conclut parfaitement le disque montrant, comme le dit Leonardo
Padura dans le livret, que si l’Art est bon; deux artistes suffisent.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Marc Copland
Better by Far
Day
and Night, Better by Far, Mr Dj, Gone Now, Twister, Room Enough
for Stars, Evidence, Dark Passage, Who Said Swing?
Marc Copland (p), Ralph Alessi (tp), Drew Gress (b), Joey
Baron (dm)
Enregistré
en janvier 2017, New York
Durée:
1h 02' 28''
InnerVoice Jazz Records 103 (www.innervoicejazz.com)
On retrouve l’élégance
naturelle de Marc Copland qui signe seul ou avec ses musiciens (à part
«Evidence» de Thelonious Monk), l’intégralité des titres de cet album. Il
s’agit ici d’affaires courantes tant l’équipe est habitué à jouer ensemble:
la rythmique, Marc Copland compris, accompagne depuis des années John Abercrombie
sur disque et en tournée. Le jeu du pianiste est limpide et le son de chaque instrument
est parfaitement restitué: on apprécie la clarté des cordes de la
contrebasse et le scintillement discret mais omniprésent des cymbales de Joey
Baron. Il s’agit bien sûr d’un pianiste leader mais ici en compagnie d’amis, c’est
un vrai quartet régulier et non pas des invités juste pour la captation de
quelques thèmes vite répétés. L’équilibre des compositions est mis en valeur
par la justesse du propos et bien que le répertoire soit de nature calme, la
haute qualité de chacun des solistes en fait un rubis à offrir. L’univers de
Marc Copland n’est pas vraiment celui du swing mais plus celui de la caresse de
l’ivoire et de l’ébène qui sertissent la note vers le bleu ou le blues du cœur.
Le titre éponyme de l’album, célèbre la tendre noce entre le clavier et la
trompette dans une cérémonie sincère et respectueuse de l’un envers l’autre.
Bien plus triste, mais superbe, «Gone Now» doit évoquer la rupture amoureuse
comme un regret du passé, le jeu au ballet de Joey Baron souligne le trait de
la trompette bouchée sur piano nostalgique, une ballade dans une forêt
automnale ou la contrebasse bruisse sur les feuilles envolées : 9’40’’ à
savourer. Autre thème rempli de «saudade» comme l’on dirait au Brésil, «Room
Enough for Stars» qui toujours sur le fil du funambule semble chavirer vers la
chute du regret mais résiste au souffle du vent, Drew Gress en soliste de haut
vol, suit la droite ligne suspendu dans le ciel. Comme son nom semble
l’indiquer «Dark passage» emprunte une voie tourmentée mais à découvrir comme
un long cheminement vers «Who Said Swing?». L’album présente une grande unité
qui restitue sans aucun doute l’univers musical de Marc Copland, rappelant ainsi
le rôle particulier qu’il joue sur l’échiquier actuel du jazz, qui, comme le
dit l’album, nous emmène «mieux que loin».
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dmitry Baevsky
The Day After
Would You?,
Rollin', Chant, Minor Delay, Hotel Baudin Thes Wise Ones, The Day After, Four
Seven Nine One, Delilah, I’ve Told Evry Little Star
Dmitry Baevsky (as), Jeb Patton (p), David Wong (b), Joe Strasser (dm)
Enregistré
les 23 juillet et 16 août 2016, New York
Durée: 1h 08'
Jazz Family 017 (Socadisc)
On retrouve aux côtés de
Dmitry Baevsky, pour son sixième album en leader, son équipe new-yorkaise habituelle.
Toujours aussi talentueux, le jeune prodige russe mène désormais une carrière
entre le vieux continent et les Etats-Unis. Originaire de Saint-Pétersbourg, il
découvre l’Amérique auprès de Cedar Walton et Jimmy Cobb, présents sur son
premier disque, et depuis mène son bout de chemin. Toujours de bonne facture, ce
nouvel album s’inscrit comme une nouvelle étape au service de la tradition hard
bop revisitée avec grand cœur. Outre cinq de ses compositions, on retrouve une
relecture du thème, très peu repris, «Chant», du pianiste Duke Pearson, immortalisé
par Donald Byrd sur l’album A New Perspective,
paru chez Blue Note ou encore une superbe version de «Delilah», signé par
Victor Young et souvent interprétée par le quartet de Clifford Brown et Max
Roach. Côté hommage aux anciens, il met à l’honneur le tromboniste Tom McIntosh
(90 ans) avec la composition «The Day After», qui donne son nom à l’album, et
conclut avec «I’ve Told Evry Little Star» de Jerome Kern. N’oubliant pas ses
compagnons de scène et de studio, il emprunte la plume de pianiste Jeb Patton
pour enluminer «The Wises Ones». La totalité des titres s’enchaîne avec brio et
élégance. Technique parfaite, maîtrise de l’instrument, cohésion de l’ensemble;
juste un regret: le manque de folie qui en ferait un album plus enflammé.
Toujours parfait en concert, sa musique mérite le détour.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Nicola Sabato & Jacques di Costanzo Quartet
The Music of Ray Brown & Milt Jackson. Live in Capbreton
Now Hear My Meaning, Small Fry, One
Loved, Back to Bologna, The Nearness of You, Think Positive, Sad Blues, Be-Bop,
It Don’t Mean a Thing (If It Ain’t Got That Swing), Captain Bill
Nicola Sabato (b), Jacques di Costanzo (vib), Pablo Campos
(p), Germain Cornet (dm)
Enregistré le 3 février 2017,
Capbreton (40)
Durée: 1h 05'
Autoproduit (Socadisc)
Bien qu’il s’agisse d’un hommage à
deux piliers de l’histoire du jazz, les titres choisis ne reprennent que deux
thèmes signés par Ray Brown («Captain Bill») et Milt Jackson («Think
Positive»); c’est donc le répertoire interprété par ces prestigieux
musiciens qui constitue le matériau de ce
«live» enregistré à Capbreton. Le quartet de Nicola Sabato et Jacques di
Costanzo se plonge complétement dans l’univers de leurs maîtres et modèles, et
comme ils le précisent dans le livret, «ils
sont des fans» et, en tant que tels, restent fidèles à leur idoles. Plus
qu’une restitution, il s’agit pour le quartet de saisir l’esprit musical de
cette époque et d’en donner leur approche mais qui reste dans la tradition. Les
dialogues et solos du vibraphoniste et du pianiste ne détonnent jamais et il
remarquable pour des musiciens (encore jeunes) de vouloir conserver et faire
vibrer ces grands thèmes. Nicola Sabato, en tant que coleader reste discret
bien que ses solos arrivent à point nommé. Durant l’ensemble du disque, une
grande unité et un grand équilibre permettent au groupe de sauter tous les
obstacles que peut présager un tel parcours. Que ce soit des ballades («The
Nearness of You») ou sur des tempos rapides («It Don’t Mean a Thing») le public est conquis
et le fait savoir à l’applaudimètre. Sur le thème
final «Captain Bill» l’introduction à la contrebasse surlignée par les ballets
de Germain Cornet donne une conclusion parfaite à ce concert.
Un jazz au classicisme de
bon aloi que l’on prend plaisir à écouter.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Nicole Johänntgen
Henry
Henry, Oh Yes My Friend, Nola, Slowly,
The Kids From New Orleans, They Missed Love, Take the Stream Train
Nicole Johänntgen (as), Jon Ramm (tb),
Steven Glenn (sousaph), Paul Thibodeaux (dm)
Enregistré le 25 mai 2016, New Orleans
(Louisiane)
Durée: 37' 27''
Autoproduit (www.nicolejohaenntgen.com)
La saxophoniste allemande Nicole
Johänntgen a passé plusieurs mois à New York en 2016 (voir son
interview dans Jazz Hot n°675) afin d’y composer tout en
s’imprégnant de la scène jazz locale. Curieusement, le premier
souvenir de voyage qu’elle a rapporté est un disque enregistré à…
New Orleans (alors qu’elle était sur le sol américain depuis deux
mois). Autre surprise, bien que son univers
habituel se situe entre fusion et musique improvisée, voilà que la
Louisiane a ramené Nicole Johänntgen vers le jazz. Un
jazz marqué par la culture néo-orléanaise (puisqu’elle s’est
entourée de trois musiciens de Crescent City) mais où s’exprime
néanmoins la personnalité de l’altiste qui signe toutes les
compositions de cet album. Il s’avère qu’elle avait depuis
longtemps en tête de rendre hommage au jazz de New Orleans, que son
père (tromboniste) jouait dans son orchestre amateur. On imagine que
son arrivée aux Etats-Unis a été l’élément déclencheur du
projet (malheureusement, le disque ne comporte pas de notes de
pochettes nous éclairant sur les intentions du leader…). Toujours
est-il que Nicole Johänntgen nous livre ici un disque rythmé,
irrigué par le swing néo-orléanais au sein duquel son alto aux
accents free (on entend l’influence de son mentor Dave Liebman) dialogue très
naturellement avec le trombone et le soubassophone (le morceau qui
ouvre le disque et lui donne son nom, «Henry», est particulièrement
réussi). Sur «Oh Yes My Friend» (blues lent dans l’esprit de
«Basin Street Blues»), les interventions de Nicole ont même des
faux-airs de Sidney Bechet! Les jazzmen européens en quête
permanente de multiplier les métissages vont chercher l’inspiration
dans des contrées étrangères au jazz qu’ils considèrent comme
une musique du monde. L’expérience menée par Nicole Johänntgen
(qui ne sera peut-être qu’une parenthèse dans sa carrière)
prouve qu’en puisant aux sources du jazz un musicien peut tout
aussi bien se renouveler et produire un discours original.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Philippe Duchemin
Passerelle
Qu’est-ce qu’on
attend pour être heureux, Luisa, Concerto Brandebourgeois, Hymn,
Cassie, Blame It on My Youth, Brazilian Like, When Johnny Comes
Marching Home, Prelude Op 18, Valse Discrète, Symphonie n°7
Philippe Duchemin (p, arr), Christophe Le Van (b), Philippe Le
Van (dm), Julien Kadirimdjian (vln), Estelle Imbert (vln), Marin
Trouvé (avln, Annie Le Prev (cello)
Enregistré les 1er-2
février et le 4 mai 2016, Draveil (91)
Durée: 51' 08''
Black
& Blue 815-2 (Socadisc)
Philippe Duchemin est l’un des
dignes représentants français du legs d’Oscar Peterson au
patrimoine du jazz. Depuis toujours, il refuse le clivage entre
l’héritage de la musique classique et celui
des musiciens de jazz, réfutant l’esprit de chapelle qui voue les
uns aux conservatoires, les autres aux clubs dédiés. Cette
conviction, le pianiste la met en exergue dans ses concerts, avec une
fascination particulière pour la période baroque et l’art du
contrepoint de Jean-Sébastien Bach («Take Bach»). Pour la première
fois, sur ce disque judicieusement nommé Passerelle, il
fait intervenir un authentique orchestre à cordes,le
quatuor du Maine, pour qui il a écrit spécifiquement. A l’instar
de Jacques Loussier et de John Lewis, sa vocation de directeur musical naît sur les brisées
d’une formation classique, qui irrigue depuis lors sa musique de
riches alluvions. Là où ses enregistrements antérieurs proposaient
quelques explorations classiques épiçant une musique d’ores et
déjà fleurie, il met ici sur un même premier plan ses deux
courants d’influence majeurs, en refusant de les opposer ou de les
aborder tour à tour. Par souci de cohérence, il donne tout de même
un traitement jazz aux thèmes classiques égrenés, ce qui soustrait
les cordes à leur rôle d’accompagnement usuel pour leur donner
une fonction prééminente qui n’a guère d’antécédents en
jazz, en dehors des outrances sucrées de quelques crooners. Au
passage, le choix du «Second Mouvement de la Symphonie n°7» de
Beethoven ajoute une couleur plus romantique à la palette de
Philippe Duchemin, option qui se verra confirmée par une magnifique
relecture du «Prélude op 18» de César Franck, ouvrant le champ
d’expériences jusqu’aux abords de l’époque moderne. S’il
n’est pas aisé d’entrer dans le détail des orchestrations
proposées sur le disque, il est néanmoins clair que le propos
développé n’est nullement censé trancher le débat sur et autour
de la musique classique, telle qu’elle est susceptible ou non de
s’intégrer harmonieusement au vocabulaire musical du jazz
américain. Il n’en demeure pas moins qu’un souci de cohérence,
et donc de crédibilité, anime cette mosaïque de tons et
d’influences, preuve que la sincérité des artistes prime toujours
sur les discours théoriques lorsqu’il s’agit d’émouvoir le
mélomane. C’est peut-être d’ailleurs sur les thèmes de «Luisa»
et de «Valse Discrète», titres de couleur jazz inspirés de
l’écriture de compositeurs classiques, que le parti pris de
Philippe Duchemin trouve ses accents les plus convaincants, l’aspect
ludique propre aux différentes réexpositions des mélodies
s’inscrivant parfaitement dans l’univers de l’artiste. Des
standards jazz comme «Brazilian Like» ou «Blame It on My Youth»
se voient agrémentés de courtes séquences empruntées à la
musique populaire, comme pour désamorcer un esprit de sérieux
susceptible d’empeser le discours, et semant parfois le trouble
chez l’auditeur qui ne s’attend pas à ce qu’un mélisme aussi
prononcé émaille des classiques passés à la postérité. De ce
point de vue, et ce n’est pas là le moindre des paradoxes dont Passerelle est porteur, «When Johnny Comes Marching Home», avec ses harmonies
irlandaises et son parfum traditionaliste assumé, est sans doute une
des plus belles réussites de l’album, de même que le morceau
d’ouverture «Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux» dont
le classicisme enjoué est de nature à rallier tous les suffrages à
sa cause. Au-delà du caractère irréprochable de la prestation du
quatuor du Maine, la cohésion rythmique des frères Le Van à la
basse et à la batterie force l’admiration (voir notre compte-rendu
du concert au Jazz-Club Etoile du 30 mars dernier, Jazz
Hot n°679),
qui soutient l’ensemble des compositions d’une fougue et d’une
verve du meilleur aloi. Un disque conçu comme un magnum opus, avec
un son et une production des plus remarquables.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Macy Gray
Stripped
Annabelle, Sweet Baby, I Try, Slowly,
She Ain’t Right for You, First Time, Nothing Else Matters,
Redemption Song, The Heart, Lucy Macy Gray (voc), Russel Malone (g),
Wallace Roney (tp), Daryl Johns (b), Ari Hoenig (dm)
Enregistré les 7 et 8 avril 2016, New
York
Durée: 52’
Chesky Records JD
389 (Harmonia Mundi)
Les frères Chesky, fondateurs et
producteur du label Chesky Records, aiment utiliser des lieux à
l’acoustique particulière et ont choisi pour cet album celui du
Hirsch Center à Brooklyn qui sonne une peu comme une église.
L’album a été enregistré en deux jours autour, paraît-il, d’un
seul micro. Retour vers la simplicité pour Macy Gray, véritable
icône du rythm’n'blues, qui a connu une carrière en dent de scie.
Ici elle retourne aux racines du blues servies par un excellent
groupe de jazz. Cet album de la diva marque un réel tournant dans sa
carrière car elle échappe aux paillettes pour se draper de la
pureté d’une Billie Holiday à qui on l’avait comparé au début
de sa carrière. Dès l’introduction à la guitare de Russel
Malone, le ton est donné, il s’agit d’un album de blues, même
Russel sonne comme un bluesman électrique du delta. Le jeune Daryl
Johns fignole un tempo, véritable métronome en quatre temps et Ari
Hoenig, hyper épuré joue essentiellement des balais sur la caisse
claire. Climat installé, «Annabelle»
débute un album digne des grands labels de blues de Chess Records à
Alligator Record. La voix éraillée de Macy Gray s’envole sur fond
de solo de Russel Malone. «Sweet
Baby», tempo marqué par
les balais sur la caisse claire envoie la locomotive sur les rails,
Wallace Roney déboule avec sa trompette bouchée, contre voix et
solo, on ne s’est pas trompé on est tombé dans le blues. Macy
Gray reprend son plus grand succès qui l’a lancée, «I
Try», presque susurrée,
elle confesse ses turpitudes sur les lignes claires de Russel Malone
qui la pousse doucement à élever la voix. Comment ne pas succomber
à «Slowly»
(prononcer «slololy»),
qui, comme le dit son titre, pourrait devenir une danse langoureuse
de séduction de l’autre (bref mais superbe solo de Wallace Roney)?
Séduit, on le reste avec la totalité de l’album où elle reprend
«Nothing Else Matters»,
signé du groupe Metallica et une version très torturée et sublime
de «Redemption Song»
de Bob Marley. Justement un album de rédemption comme pour se laver
du show-biz, et montrait que son talent vient aussi de sa pureté
puisée dans le blues originel. Pureté aussi du son cristallin pour
un «First Time»
à écouter comme un hymne à l’amour. Enfin, «Heart»
nous touche droit au cœur, tandis qu «Lucy»
recherche un homme (comme dans tout bon blues ou souvent c’est
l’homme qui cherche une femme) avec encore de brèves insertions de
Wallace Roney, des cris dans le bayou. On ne peut que rappeler
l’excellence du groupe et cet expérience pourrait donner lieu à
une tournée qui serait exemplaire.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Thelonious Monk
Les Liaisons Dangereuses 1960
CD1: Rhythm-a-Ning*, Crepuscule With
Nellie*, Six in One (solo blues improvisation), Well, You Needn't,
Pannonica (solo), Pannonica (solo), Pannonica (quartet), Ba-Lue
Bolivar Ba-Lues-Are*, Light Blue, By and By (We'll Understand It
Better By and By) CD2: Rhythm-a-Ning*, Crepuscule With
Nellie*, Pannonica, Light Blue, Well, You Needn’t, Light Blue
(making of)
Thelonious Monk (p), Charlie Rouse
(ts), Barney Wilen (ts)*, Sam Jones (b), Art Taylor (dm)
Enregistré le 27 juillet 1959, New
York
Durée: 43' 35'' + 40' 04''
Sam/Saga 5 051083 118477 (Universal)
Le silence des artistes. On sait
Monk un Maître du silence, un de ceux dont le silence est le plus
bruyant, osons le paradoxe car il est utilisé avec virtuosité pour
découper le temps et donner à son discours musical des angles, un
relief, des formes et des hauteurs ou des profondeurs inattendues
autant que sombres et brillantes. Chez les grands musiciens de la
tradition afro-américaine, depuis avant même le jazz, c’est la
gestion du temps, de la respiration humaine qui donne au jazz ce
qu’il est par essence. Louis Armstrong l’a en quelque sorte
codifié, mais l’expression dans le blues et la musique religieuse
afro-américaine possède depuis sa naissance cette faculté spéciale
d’humaniser le temps et le rythme, au point que la respiration de
chaque musicien a permis que chacune de ses notes soit la sienne et
pas celle du voisin. Chez Monk, quel que soit le contexte et quelle
que soit la matière, chaque note est la sienne, en solo ou en
formation, sur ses compositions ou sur les standards, ce qui rend sa
musique identifiable même pour un néophyte.
Cet enregistrement,
réalisé à l’été 1959 au Nola Penthouse Studios, qui devint une
partie de la musique du film Les Liaisons dangereuses de Roger
Vadim (1960), l’autre étant due à Art Blakey et Duke Jordan
(Vadim s’est-il rendu compte de sa chance?), est inédit sur
disque, contrairement à celui de Blakey. Il est ressorti
«miraculeusement», selon le texte du livret (en anglais
uniquement), des archives de Marcel Romano, un activiste de longue
date du jazz (disparu en 2007), un autre ancien de l’équipe de Jazz Hot avec Alain Tercinet qui vient de s’éteindre,
l’auteur d’une partie des notes de livret (p. 6 à 12). A côté
de ces deux acteurs de cette production, on trouve également côté
américain, le bon Brian Priestley (un biographe de Charles Mingus)
et un certain Robin D. G. Kelley, universitaire et auteur de Thelonious Monk: The Life and Times of an American Original (Free Press, 2009), la biographie la plus intime écrite sur
Thelonious Monk, fondée sur les archives familiales en particulier.
La synthèse discographique est due à Daniel Richard et aurait
mérité de détailler les musiciens présents sur chaque thème,
même si ça s’entend. Cela dit, la musique est, comme
toujours avec Thelonious Monk, indispensable, d’autant que les
musiciens sont au sommet de leur expression. Le répertoire, détaillé
par Brian Priestley sur le livret, est dû à Monk, en dehors de «By
and By». On retient le rare «Six in One», un blues en solo de
Monk, un bonheur absolu; le reste de l’enregistrement est
magnifique et, comme il en a coutume, c’est sur un répertoire
complètement possédé, répété et rejoué sans cesse, que Monk
ajoute, enregistrement après enregistrement, une variante, par ci,
par là, sans jamais renoncer à la perfection d’une construction
qui relève autant de la composition que de l’exécution, et du
langage à proprement parler du pianiste qui ne fait qu’enrichir un
monde somme toute très bien défini.
Le silence du milieu. Reste le
côté déplaisant de la production, la loi du silence, de l’omerta
serait plus précis et adapté, celle du milieu du jazz en France,
qui malgré l’impossibilité de ne pas citer, de manière très
incomplète et partiale, Jazz Hot qui reste le fondement de
son information et de sa mémoire, et qui en dehors de se priver de
communiquer pour cette production avec les lecteurs de Jazz Hot,
bien que la mémoire en soit pour bonne partie dans Jazz Hot (toute l’année 1959 du n°142 au n°148, n°147 en particulier de Jazz Hot, pages 11 à 13), ne pense même pas à remercier Jazz Hot dans une liste pourtant sans fin, parfois surréaliste
quand on pense à Monk et à ceux qui sont remerciés. Il y avait
pourtant un ancien de Jazz Hot à l’origine de ces bandes,
un autre à l’écriture: aucune note d’Alain Tercinet (p.12) ne
fait référence à Jazz Hot, alors que son récit trouve
toute sa substance dans Jazz Hot, un comble de manque
d’élégance. Charles Delaunay, le producteur pour Swing du premier
disque de jazz en Europe de Thelonious Monk, en 1954 en solo, à
l’origine du Salon du jazz qui invita Monk pour la première fois
en France, il n’est même pas cité. Les quelques "amis" de Jazz
Hot, présents dans cette production, n’ont pas rompu l’omerta.
Triste…
Il est des silences qui disent que,
malgré un passé d’une incroyable richesse, la mémoire du jazz en
France n’a pas d’avenir car instrumentalisée sous des couches
d’intérêts de milieu, personnels. Elle est déjà cassée,
triturée, manipulée, réécrite pour les servir mais pas pour
servir le jazz et sa mémoire.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Christian Sands
Reach
Armando's Song, Song of the Rainbow
People, Pointing West*, Freefall*, ¡Óyeme!, Bud's Tune, Reaching
for the Sun, Use Me**, Gangstalude**°, Somewhere out There***
Christian Sands (p), Marcus Strickland
(ts, bcl)*, Gilad Heklselman (g)**, Yasushi Nakamura (b), Marcus
Baylor (dm), Christian Rivera (perc) + Christian McBride (b)°
Enregistré à New York, date non
précisée
Durée: 1h 05' 39''
Mack Avenue 1117 (www.mackavenue.com)
Christian Sands est un jeune pianiste
de haut niveau, il n’y a aucun doute. Il possède également toutes
les qualités pour être un excellent pianiste de jazz: blues, swing
et expression font partie de son bagage, c’est perceptible dès les
premières notes. Dans ce disque, qui laisse quelque peu sur sa faim
quand on perçoit autant de potentialités, il manque les qualités
de jugement artistique, la conscience de l’appartenance culturelle
au monde du jazz, pour le répertoire, le choix des musiciens et
l’état d’esprit général du disque, du moins si on veut faire
un disque de jazz. Il y a donc le meilleur et le moins bon, et son
producteur, Christian McBride, a sans doute une responsabilité dans
ces choix. On peut penser que c’est sans importance et que le
prochain disque sera meilleur. On peut aussi craindre que le schéma
se reproduise. Cela dit, le pianiste est exceptionnel et donne dans
ce disque d’excellents moments de jazz, souvent noyé dans une
rythmique rock, dans des atmosphères pop avec les échappées du
guitariste qui appartient à un autre univers. Dans l’ancien temps,
on parlait de «salade russe» pour ces mélanges inappropriés qui
dénote de la faute de goût. Les Russes n’ont donc pas
l’exclusivité.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ben Van Den Dungen Quartet
2 Sessions
Mating Call, Hackensack, I'm a Bit
Disapointed in Your Attitude So Far, The Legend Returns, Stay on It,
Two Sessions 1, Situation on Easy Street, Prisoner of Love 2, The Sun
God of the Masai, Prisoner of Love 1
Ben Van Den Dungen (ts, ss), Miguel
Rodriguez (p), Marius Beets (b), Gijs Dijkhuizen (dm)
Enregistré en décembre 2016 et
janvier 2017, Zeist (Pays-Bas)
Durée: 47’ 49”
JWA Records 022017 (www.jwajazz.nl)
Voici un bon disque de jazz par une
formation néerlandaise peu connue en France mais qui ne manque pas
de qualités. C’est du jazz à n’en pas douter, avec un
répertoire d’originaux principalement, même s’il y a trois
compositions dues à Tadd Dameron, Thelonious Monk et Horace Silver.
Le leader a étudié sérieusement la musique dans les années 1980
au Conservatoire de La Haye et a aussi eu un long parcours dans la
musique latine où il a participé à plus d’une dizaine
d’enregistrements. Il a notamment côtoyé dans ce registre Paquito
Rivera et Michel Camilo, parmi beaucoup d’autres. Dans le jazz, il
a accompagné Cindy Blackman, Mal Waldron, Art Taylor, Woody Shaw,
Jimmy Knepper, Kirk Lightsey, Lester Bowie, Brian Lynch, Ralph
Peterson, Jim McNeely, et même si c’est à l’occasion de
tournées en Hollande, ce sont de bonnes références. Cet
enregistrement donne à entendre au ténor et au soprano un bon
saxophoniste, volubile (belle version en duo au ténor avec le
contrebassiste de «Prisoner of Love»), capable de développer de
belles atmosphères, au soprano en particulier, et bien entouré
d’excellents musiciens, l’élégant pianiste Miguel Rodriguez,
très brillant, et une bonne rythmique qui propulse la formation.
C’est un registre post bop, dans l’esprit des derniers Jazz
Messengers, très agréable à écouter, avec une énergie, un drive
qui méritent le détour: une musique qui swingue et, qui sans rien
réinventer du jazz, est tout à fait originale dans ses créations,
et dans l’esprit du jazz, sachant non seulement élaborer un beau
répertoire mais aussi lui donner vie.
Ce quartet en est
à son troisième album après Ciao
City et A
Night in the Club pour ce même
label JWA Records et, associé à Jarmo
Hoogendijk, en quintet, Ben
Van Den Dungen a déjà enregistré, Heart of the Matter, Speak Up et Run for Your Wife pour Timeless et Double Dutch pour EMI. Une excellente formation à découvrir, et pourquoi pas sur
nos scènes.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ahmad Jamal
Marseille
Marseille (Instrumental), Sometimes I Feel Like a Motherless
Child, Pots en verre, Marseille*, Autumn Leaves, I Came to See You-You Were Not
There, Baalbeck, Marseille**
Ahmad Jamal (p), James Cammack (b), Herlin Riley (dm), Abd
Al Malik (voc)*, Mina Agossi (voc)**
Enregistré en juillet 2016, Malakoff (92)
Durée: 59’ 33”
Jazz Village 570136 (Pias)
Un disque qu’on peut éviter dans la discographie de qualité
d’Ahmad Jamal. On le regrettera, car le pianiste n’a pas perdu son talent, même
si, ici, il se réduit essentiellement à la sixième plage. On le regrette pour
Marseille, dont la riche histoire avec le jazz (depuis les années 1930) et
l’Afro-Amérique (Claude McKay) méritait mieux. C’est un disque «tendance», une production
d’opportunité liée à des événements mondains extra-artistiques, qui n’apporte
rien de plus à l’aura de ce grand acteur de l’histoire du jazz, avec un titre
dont les trois versions dans ce seul disque se disputent la palme de la
pauvreté. Herlin Riley et James Cammack font le boulot, avec professionnalisme
et discrétion. Les deux intervenants vocaux font ce qu’ils peuvent. Ahmad Jamal
fait la star. S’il aime ce registre, c’est quand même l’artiste et le pianiste
qui sont les meilleurs chez lui. On remarque la belle photo intérieure de
Jean-Marc Lubrano, un ancien de Jazz Hot,
qui aurait pu avantageusement remplacer la couverture calamiteuse du livret. Une
déception!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Elijah Rock
Gershwin for My Soul
S'Wonderful, Fascinating Rhythm, I
Can't Get Started, How Long Has This Been Going On?, Long Ago and Far
Away, Our Love Is Here to Stay, Shall We Dance, Gershwin for My Soul,
Tchaikovsky (and Other Russians), Love Walked In, I Got Plenty O'
Nuttin', Isn't It a Pity? Elijah Rock (voc), Kevin Toney (p,
arr), Jack Lesure (g), John B. Williams (b), Greg Paul (dm)
Enregistré à Los Angeles (Californie), date non
précisée
Durée: 50' 20''
Autoproduction (www.elijahrock.com)
Qualifié d’enregistrement «pop»
dans le répertoire informatique du disque par le producteur qui
n’est autre que l’auteur, on ne démentira pas. C’est une
preuve de lucidité. C’est une relecture propre, avec le support
d’une formation jazz par l’instrumentation, du répertoire
archiconnu des frères Gershwin. Il n’y a pas manière à
s’extasier, ni sur les versions, ni sur la voix, pas plus que
matière à dénigrer un travail professionnel bien fait mais sans
âme. C’est donc une sorte de disque de présentation comme il s’en
fait beaucoup, utile pour connaître, mais qui a peu à voir avec le
jazz, même si la forme et le répertoire peuvent faire illusion à
première lecture du livret.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Matt Kane & The Kansas City Generations Sextet
Acknowledgement
In Case You Missed It, Timeline, The
Burning Sand, ASR', And the Beauty of It All, Wheel Within a Wheel,
Midwestern Nights Dream, Jewel, Question and Answer Mate Kane (dm), Michael Schults (as),
Steve Lambert (ts), Hermon Mehari (tp), Andrew Oulette (p), Ben
Leifer (b)
Enregistré en août 2014, Kansas City
(Missouri)
Durée: 1h 04' 16''
Bounce-Step Records
(www.mattkanemusic.com)
Quand la nouvelle garde de Kansas City
rend hommage à ses mentors en reprenant quelques-unes de leurs
compositions, cela donne un disque tout à fait épatant. Sont ici à
l'honneur le saxophoniste ténor Ahmad Aladeen (disparu en 2010 et
qui fut compagnon de route de Billie Holiday, Ella Fitzgerald et Duke
Ellington), le guitariste Pat Metheny (adepte d'Ornette Coleman) et
le saxophoniste alto Bobby Watson (cheville ouvrière des Jazz
Messengers d'Art Blakey à la fin des années 70). Les arrangements (non crédités) sont
d'une grande qualité, respectant les thèmes originaux tout en leur
donnant un petit coup de neuf. Dans leurs interventions en solo, ces
tout jeunes musiciens (trentenaires, au plus) font preuve d'une
remarquable maîtrise de leur instrument et d'un sens de
l'improvisation et de l'échange dignes de vieux briscards. Musique
nourrie de la culture des traditions (mais sans nostalgie).
Résolument optimiste, brillante et ouverte vers l'avenir. Une
réussite.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Trombone Shorty
Parking Lot Symphony
Laveau
Dirge n°1, It Ain't no Use*, Parking Lot Symphony, Dirty Water, Here Come the
Girls, Tripped Out Slim, Familiar, No Good Time, Where It at?, Fanfare, Like a
Dog, Laveau Dirge Finale
Troy
Trombone Shorty Andrews (voc, tp, tb, tu), Dan Oestreicher, B.K. Jackson (ts,
bs), Pete Murano (g), Leo Nocentelli (g*), Tony Hall, Mike Bass-Bailey (b),
Joey Peebles (dm)
Date et lieu d’enregistrement non communiqués
Durée:
42' 47''
Blue
Note 0602557431148 (Universal)
Troy
Andrews alias Trombone Shorty (né en 1986) a déjà fait sous son nom, pour
Verve, les albums Backatown (2010), For True (2011), Say That to Say This
(2013). Il a attendu avril 2017 pour la sortie de ce nouvel opus, cette
fois chez Blue Note. La légende (publicitaire) dit que Troy Andrews a conçu cet
album seul chez lui (tp, tb, tu, key, org, Fender Rhodes, g, b, dm), puis
mit le projet de côté pendant un an. Nous avons là le résultat. Plusieurs
choses ne vont pas. Tout d'abord nous recevons un pré-disque à «usage
promotionnel» (or Jazz Hot ne s’occupe pas de promotion mais de publier des
chroniques qui respectent ses lecteurs!) sans aucune information: personnel,
date et lieu d'enregistrement ne sont pas indiqués. Depuis le travail de
pionnier de Charles Delaunay, la tradition (un gros mot aujourd'hui) est de
lister ces renseignements. J'ai donc cherché sur internet ce qui nous était dû,
par respect de notre travail (c'en est un). Bien sûr, «le monde a changé»!
Belle excuse pour justifier des troubles comportementaux qui sont la règle dans
le milieu de la pop et du business en général. Et bien évidemment ce produit à
but lucratif ne relève pas du monde du jazz, mais bien de la soul rythmiquement
binaire («Dirty Water»: bon solo de trompette) avec parfois des effets de
cordes («Parking Lot Symphony»). L'accent est mis sur le bon chanteur «soul»
que sait aussi être Trombone Shorty: «It Ain't No Use» des Meters (chœur
grandiloquent derrière l'excellent solo de trombone!), «Here Come The Girls»
d'Allen Toussaint (solo de trombone musclé). Va-t-on comprendre que ce n'est
pas parce que c'est rythmé que ça swingue (sinon les marches napoléoniennes et
les mazurkas sont du jazz)! Que ce soit jubilatoire, festif et que ça donne
envie de bouger, pas de doute, comme l'instrumental bien venu, «Tripped Out
Slim» où je pense que Troy Andrews joue en re-recording le tuba, trombone (bon
solo) et la trompette et crée une ambiance Dirty Dozen Brass Band. Le malheur,
c'est que la plage suivante, «Familiar», est de la "soupe" avec du chant "rappeux" et parfaitement anti-jazz. Drumming martelé, bien lourd dans «No Good
Time» qu'on nous annonce bluesy mais qui n'en a aucun élément expressif. Je
pense que les amateurs de Prince peuvent s'enthousiasmer, mais les jazzfans
devraient soutenir le travail trop négligé en comparaison, des Wendell
Brunious, Leroy Jones, Nicholas Payton, Leon Brown, Kevin Louis. Bien sûr, tous
les solos de Troy sont bons, surtout à la trompette qu'il sollicite hélas moins
que le trombone sur lequel il est pertinent mais sans finesse. Le motif
répétitif de «Where It At?» a tout pour agiter les jeunes filles dans des
salles surbondées. Les riffs de Troy sont bons, bien mis en place et sa musique
propose essentiellement ça («Fanfare», trop long et lassant). Le meilleur et le
plus dans la tradition néo-orléanaise est «Laveau Dirge n°1» dans lequel Troy
Andrews prêche bien à la trompette (s'inscrivant dans le meilleur créneau de
Wynton Marsalis). C'est du gâchis de talent par l'argent. Nous avons connu
Trombone Shorty portant bien son nom en 1994 lors d'une parade à New Orleans.
Puis, bien plus tard à Ascona en tant que remarquable trompettiste jazz (2007).
Et entre temps, en 2000 et en vidéo, il y a ce "contest" sur «Mahogany Hall
Stomp» entre lui (14 ans), Brandon Lee et Dominick Farinacci (tous deux 17 ans)
avec le Lincoln Center Jazz Orchestra, et il est scandaleux que l'on néglige
dans les milieux jazz les deux autres au profit de la pop star qu'est devenu
Trombone Shorty (cf. la chronique du Short Stories de Dominick Farinacci, Jazz
Hot n°677).
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz at the Philharmonic
Live in Paris. 1958-1960
Titres
détaillés dans le livret Roy
Eldridge, Joe Gordon, Dizzy Gillespie (tp), J.J. Johnson (tb), Sonny Stitt (as,
ts), Benny Carter (as), Leo Wright (as, fl), Don Byas, Coleman Hawkins, Richie
Kamuca, Stan Getz (ts), Lou Levy, Lalo Schifrin, Russ Freeman, Jan Johansson,
Vic Feldman (p), Herb Ellis (g), Max Bennett, Art Davis, Monty Budwig, Daniel
Jordan, Ray Brown, Sam Jones (b), Gus Johnson, Jo Jones, Shelly Manne, William
Schlöpffe, Louis Hayes, Chuck Lampkin (dm) Enregistré entre 30 avril 1958 et le 25 novembre 1960,
Paris Durée: 3h 40'
Frémeaux & Associés 5632 (Socadisc)
Ne revenons pas sur le concept JATP de Norman Granz qui
met en "compétition" des vedettes, souvent en mélangeant les tenants
du jazz mainstream et du bop. Pour l'anecdote, le 25 novembre 1960, Charles
Delaunay et Hugues Panassié étaient tous deux dans la salle. Tous ces titres
viennent de prestations données à l'Olympia. Parfois ces tournées proposaient
aussi des groupes réguliers comme, ici, ceux de Shelly Manne, de Stan Getz et
de Dizzy Gillespie en 1960. Le CD1 débute par «Idaho» dans la vraie tradition JATP
avec des vétérans en forme, Coleman Hawkins et un Roy Eldridge toujours prêt
aux exhibitions (1958). Suit la «Ballad Medley», principe cher au JATP où
chaque soliste y va de sa démonstration expressive. Elle est gigantesque avec
Coleman Hawkins dans «Indian Summer»! (les lignes de basse de Max Bennett sont
bien, la sobriété de Lou Levy et de Gus Johnson aux balais sont à louer). Sonny Stitt aborde «Autumn in New
York» en copiant trop Charlie Parker. Roy Eldridge suit pour un «The Man I
Love» gorgé d'émotion. Cette mouture aborde ensuite «The Walker», co-signé
Eldridge-Hawkins. C'est Hawkins qui ouvre le feu. Roy Eldridge qui suit,
est fatigué, mais il assure avec brio. Sonny Stitt est cette fois au ténor et
il ne manque pas d'inspiration. On enchaîne par la collection de vedettes du 25
novembre 1960 qui se lance dans «Take the A Train». Jo Jones y surclasse son
prédécesseur, Gus Johnson. Eldridge est le premier soliste. Du punch et des
aigus, c'est ce qu'on attend de lui. Suivent Hawkins (le patron), Benny Carter
(aérien), Don Byas, Jo Jones (Lalo Schifrin se contente d'un accompagnement
sobre). Deuxième «Ballad Medley» (sans Hawkins?). D'abord l'alto très chantant
de Benny Carter dans «The Nearness of You». La classe! Eldridge donne, avec la
sourdine harmon sans tube, une version sombre de «My Funny Valentine» qui ne
doit rien à Miles Davis et Chet Baker. Don Byas reprend le «I Remember
Clifford» de Golson qu'il jouait souvent à cette époque, avec cette sonorité
ample et chaude qui a tant influencé Guy Lafitte. Benny Carter revient pour
«Laura» et Roy Eldridge avec «Easy Living». Toute la troupe termine le plus
indispensable des trois CD par un long «Indiana» (17' 30'') qui offre un solo
anthologique de Jo Jones! Le CD2 propose deux groupes réguliers, celui de Shelly
Manne le 23 février 1960 (cinq titres) puis celui de Stan Getz le 21 novembre
1960 (six titres). Parmi les bonnes choses: les solos de Joe Gordon (tp avec
sourdine), Richie Kamuca (ts proche de Zoot Sims) avec l'excellent Shelly Manne
dans «Yesterdays», «Step Lightly» de Benny Golson. On comparera utilement cette
belle version d'«I Remember Clifford» par Stan Getz avec celle de Don Byas,
notamment pour le choix du tempo et l'emploi du vibrato. Le CD3 nous ramène pour trois morceaux au concert de
1958, mais cette fois avec Dizzy Gillespie et Stan Getz comme souffleurs (même
rythmique, cf. Supra). «Just You, Just Me» est exposé par Dizzy presqu'à la
façon Roy Eldridge, après l'intervention de Getz, il monte d'un cran le swingue
sur une rythmique qui carbure (son ample de Ray Brown). Alternative entre Gus
Johnson et Dizzy puis Getz à l'avantage du trompettiste plus dynamique.
L'équipe donne un «Bernie's Tune» tonique. Puis, on retourne au 25 novembre
1960 pour un «Blue'n Boogie» bien sûr ultra-vif de 11' 44'', tremplin pour J.J.
Johnson, Getz, Sam Jones et Gillespie, avant de terminer par la suite
Gillespiana par le quintet Dizzy Gillespie déjà réédité (LaserLight 36132) et
que nous avions chroniqué. Un
document estimable.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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New Orleans Roots of Soul
1941-1962
Titres
communiqués dans le livret
Champion
Jack Dupree, Rev. Utah Smith, Pr Longhair, Lonnie Johnson, Roy Brown, Dave
Bartholomew, Lloyd Price, Shirley & Lee, Frankie Lee Sims, Little Sonny
Jones, Sugar Boy, Paul Gayten, Guitar Slim, Lil' Millett, Louis Armstrong,
Mahalia Jackson, Fats Domino, Slim Harpo, Smiley Lewis, Clarence Frogman Henry,
Clifton Chenier, Larry Williams, Art Neville, Oscar Wills, Allen Toussaint,
Eddie Bo, Snooks Eaglin, Dr John, Earl King, Irma Thomas, Lee Dorsey, Chris
Kenner, Junco Partner, Reggie Hall, Benny Spellman, Alvin Robinson, Danny
White, Willie Tee, Johnny Adams
Enregistré
entre le 28 janvier 1941 et fin 1962, Chicago, New Orleans, Cincinnati, Los
Angeles, Dallas, Crowley
Durée:
3h 08' 24''
Frémeaux
& Associés 5633 (Socadisc)
Ne revenons pas sur Bruno Blum auteur du texte de
livret, nous avons déjà dit en d'autres occasions ce que nous pensions. Son
travail présente des inexactitudes. Ceux qui ne connaissent pas le rhythm'n blues
louisianais se renseigneront au mieux avec des ouvrages comme: Rhythm'n
Blues in New Orleans de John Broven (1988, Pelican Publishing Co), I
Hear You Knockin'. The Sound of New Orleans Rhythm'n Blues de Jeff Hannusch
(1985, Swallow Publicatons Inc), Up From The Cradle of Jazz. New Orleans
Music Since World War II de Jason Berry, Jonathan Foose et Tad Jones (1986,
University of Georgia Press). Ce coffret leur permettra d'illustrer des noms
restés chez nous peu connus comme Roy Brown, Guitar Slim, Frogman Henry, Earl
King, Snooks Eaglin, etc., aux côtés d'incontournables comme Louis Armstrong
(1955, «Mack the Knife»; 1961, «I'm Just a Lucky So and So»), Mahalia Jackson
(1956, «Just a Little While to Stay Here»), Lonnie Johnson (1949, «Blues Stay
Away From Me»; 1951, «Me and My Crazy Self»), Champion Jack Dupree (1941,
«Junker's Blues»), Clifton Chenier (1956, «Baby Please»; 1957, «My Soul»), Fats
Domino (1955, «Blue Monday») et Pr Longhair (1949, «Hey Little Girl»; 1950,
«Her Mind is Gone») sur lesquels il ne devrait pas être nécessaire de revenir.
De la fin des années 1940 au début des années 1960, c'était l'époque de
multiples petits labels (Specialty, Ace, Imperial, etc) et, derrière les
chanteurs, pour ceux enregistrés à New Orleans, une esthétique commune venant
du drumming spécifique des lieux (Earl Palmer, Leo Morris alias Idris Muhammad,
Charles Hungry Williams, Ed Blackwell, Cornelius Coleman, Bob French, Smokey
Johnson) et d'immuables requins de studio (Dave Bartholomew, Teddy Riley, Melvin
Lastie, tp, Joe Harris, as, Herb Hardesty, Clarence Hall, Lee Allen, David
Lastie, Plas Johnson, James Rivers, Robert Palmer, Nat Perilliat, Fred Kemp,
ts, Red Tyler, Clarence Ford, bs, Salvador Doucette, Lawrence Cotton, James
Booker, Allen Toussaint, Huey Smith, p, Harold Battiste, p-ts, Ernest McLean,
Justin Adams, Ervin Charles, Rene Hall, Roy Montrell, Edgar Blanchard, g, Frank
Fields, Lloyd Lambert, Chuck Badie, Richard Payne, b). Nous les retrouvons tous
ici, et ils méritent d'être nommés car plus que les chanteurs (au talent
inégal) ils font l'intérêt de ce coffret. Autre caractéristique: un phrasé
«lazy» (paresseux) sur des tempos jamais trop lents ou trop rapides. Néanmoins,
il suffit d'écouter pour se rendre compte qu'on passe du blues/swing à la chansonnette
des années 1960 (la «soul» et le «yéyé», c'est la même chose: CD3). L'un des
meilleurs chanteurs-guitaristes est ici Snooks Eaglin (1960, «That Certain
Door», «Nobody Knows», «C.C. Rider»). Parmi les bons moments néo-orléanais: la
guitare d'Earl King (1960, «Come On») et de Roy Montrell (1961, Eddie Bo, «Baby
I'm Wise»), les solos de Lee Allen (ts) (1954, Paul Gayten, «Down Boy»; 1957,
Art Neville, «The Dummy»; 1960, Mac Rebennack, «Sahara»-instrumental), de David
Lastie (ts) (1954, Sugar Boy Crawford, «What's Wrong»; 1961/2, Johnny Adams,
contre-chants, «A Losing Battle»), Dave Bartholomew (tp: 1954, Little Sonny
Jones, «Tend to Your Business Blues»), Herbert Hardesty (ts: 1952, Lloyd
Price, «Lawdy Miss Clawdy»), Melvin Lastie (cnt) et Red Tyler (bs) (1959, Allen
Toussaint: «Chico», instrumental), Plas Johnson (ts: 1957, «Slow Down»). Pour
les non louisianais, signalons les contre-chants de Wilbur Harden (tp: 1950
Roy Brown, «Hard Luck Blues») et Red Prysock (ts: 1951, Lonnie Johnson, «Me
and My Crazy Self»). Un bon résumé de musiques pas aussi homogènes qu'on
l'affirme, plaisantes et représentatives d'une époque.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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The New Orleans Jazz Vipers
Going! Going! Gone
One
O'Clock Jump, Going! Going! Gone, Please Don't Talk About Me, I Hope You're
Comin' Back to New Orleans*, Sugar, All That Meat & no Potatoes, I Can't
Believe You're in Love With Me, Keeping Out Mischief Now, Sugar Blues, Hummin'
to Myself, Someday Sweetheart, Darktown Strutters' Ball, Way Down Yonder in New
Orleans
Kevin
Louis (tp, cnt, voc), Craig Klein (tb, voc), Joe Braun (as, voc), Oliver Bonie
(bs), Molly Reeves (g, voc), Joshua Gouzy (b), Irma Thomas (voc)*
Enregistré à New Orleans, date non précisée
Durée: 54' 44''
Autoproduit (www.neworleansjazzvipers.com)
C'est le groupe qui a fait sensation au JazzAscona de
2016 (Earl Bonie, ts-cl, ex-Dukes of Dixieland remplaçait Joe Braun). En fait,
il s'agit d'un orchestre régulier (d'où la cohésion) fondé par Joe Braun dans
les rues du French Quarter. Depuis 2001, les Jazz Vipers se produisent au
Spotted Cat Music Club (avec l'interruption due à Katrina, le groupe étant à
San Francisco et Austin). Beaucoup de bons musiciens sont passés dans ce groupe
: Jack Fine, Charlie Fardella, Wendell Brunious, Steve Yokum, Matt Perrine. Le
style de l'orchestre n'est pas le jazz traditionnel genre George Lewis. C'est
un combo «jump» qui touche au répertoire de Count Basie, Fats Waller, etc. Le
swing est généré par une incroyable rythmique, très impressionnante en direct. Si
depuis ce disque récent, le son du groupe a changé, c'est dû à la présence de
Joe Braun qui a un style typé, genre Earl Bostic (et d'une moindre façon Capt
John Handy: «Someday Sweetheart» où sont bien mis en valeur Craig Klein avec
plunger et Oliver Bonie). Craig Klein, valeur sûre des Jazz Vipers, est en
vedette dans «Sugar» et «Sugar Blues» (bons solos aussi d'Oliver Bonie et
surtout de Kevin Louis). Egalement bon chanteur, Kevin Louis est en valeur dans
«Please Don't Talk» et «Darktown Strutters' Ball» (bon solo de Joshua Gouzy).
Molly Reeves, efficace guitariste rythmique digne de Danny Barker, est aussi
une chanteuse délicieuse dans «All The Meat & No Potatoes» et «Keeping Out
of Mischief Now». La fameuse
Irma Thomas apporte son concours à «I Hope You're Comin' Back to New Orleans». Bref,
ce disque, belle exception aux dérives de notre époque, est indispensable aux
amateurs de musique qui swingue...et aux danseurs!
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ambrose Akinmusire
A Rift in Decorum. Live at the Village Vanguard
CD1: Maurice & Michael (Sorry I
Didn't Say Hello), Response, Moment in Between the Rest (To Curve An
Ache), Brooklyn (ODB), A Song to Exhale (Diver Song), Purple
(Intermezzo), Trumpet Sketch (Milky Pete) CD2: Taymoor's World, First Page
(Shabnam's Poem), H.A.M.S. (In the Spirit of Honesty), Ambrose
Akinmusire, Piano Sketch (Sam Intro), Piano Sketch (Beyond
Enclosure), Condor (Harish Intro), Condor, Withered, Umteyo
Ambrose Akinmusire (tp), Sam Harris
(p), Harish Raghavan (b), Justin Brown (dm)
Enregistré en janvier 2017, New York
Durée: 1h 40' 40''
Blue Note 0602557649703 (Universal)
Pour son quatrième album à la tête
de son quartet, quasi identique depuis plusieurs années, (le dixième
en leader et coleader), Ambrose Akinmusire, emprunte la voie des
géants. A la suite de John Coltrane ou de Sonny Rollins qui l’ont
précédé au Village Vanguard pour graver un album live, il marquera
avec A Rift in Decorum: Live at the Village Vanguard la vaste
discographie enregistrée dans ce temple du jazz au Greenwich Village
de New York. Il signe la totalité des compositions qui excellent
dans cet écrin. Tel un équilibriste, il nous délivre un message
sur le fil du rasoir. Nulle esbroufe, mais une authenticité qui dès
le premier titre «Maurice & Michael (Sorry I Didn't Say Hello)»,
nous plonge dans son univers introspectif. Le public attentif suit
cette soirée ou chaque musicien est parfaitement à sa place. Depuis
sa victoire, en 2007 à la Thelonious Monk International Jazz
Competition, il s’est affirmé comme l’un des jeunes
trompettistes à suivre et prouve depuis son originalité. Sa musique
est suffisamment riche pour nourrir ce long enregistrement sans faire
appel aux standards; de même, tout en restant fidèle à l'héritage
du swing et du bebop, elle exprime son originalité, avec un grand
lyrisme. Ambrose décortique à souhait des thèmes maintes fois
travaillés pour en extraire l’essence même et utilise au mieux
une rythmique complètement dévouée à sa grâce. Nul besoin de
décrire chaque titre, il suffit de s’y plonger pour mieux les
savourer. A noter «Trumpet Sketch (Milky Pete)» voyage de 14
minutes dont la longue introduction en solo, dans la lignée d’un
Don Cherry, transgresse les rives de la musique improvisée suivi par
un Sam Harris (p) plus qu’inspiré, piano enluminé par un Justin
Brown (dm) toujours aussi inventif, qui s’engouffre dans un
dialogue trompette/batterie décapant. Un album comme une longue
narration qui ne cesse de chevaucher une mer déchaînée qui ne
connaît dans sa première partie que peu d’accalmies apaisantes.
Le second CD, plus serein, s’ouvre sur «Taymoor's World», comme
un éclairci après la bataille qui bien vite nous amène à partager
une table du fameux club, où l’on regrette de n’avoir pu être
dans le public pour participer à la claque. Dans une transe
incantatoire le groupe nous amène aux portes d’un véritable jazz
où le respect des aînés est évoqué, revu et transposé dans une
Amérique actuelle. Agé de 35 ans, Ambrose Akinmusire, sera un des
trompettistes incontournables de ce début de siècle, si l'industrie
du showbiz ne lui met pas le grappin dessus. Il est, pour le moment,
d'une irréprochable intégrité.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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John Scofield
Country for Old Men
Mr Fool,
I’m So Lonesome I Could Cry, Bartender Blues, Wildwood Flower, Wayfaring
Stranger, Mama Tried, Jolene, Faded Love, Just a Girl I Use to Know, Red River
Valley, You’re Still the One, I’m an Old Cowhand.
John
Scofield (g), Larry Goldings (p, org, key), Steve Swallow (b), Bill Stewart (dm)
Date et lieu d'enregistrement non communiqués
Durée: 1h 05' 37''
Impulse! 0602557088106
(Universal)
Avec plus de trente albums à son actif, John Scofield se doit d’avoir de nouvelles
idées pour propager le son feutré de sa guitare Ibanez à ses admirateurs. En
optant pour le style country, le guitariste de Dayton (Ohio) choisit un parti pris subtil. Lui qui sait si
bien mêler les sons planants aux sonorités groovy et funky aurait peut-être dû choisir un autre
répertoire. Mais «Sco» possède sa griffe, reconnaissable et dès qu’il touche
son instrument («Wildwoof Flower»). Pour asseoir son propos, il est accompagné
de partenaires fidèles: Steve Swallow,
Larry Goldings et Bill Stewart. Si les chants traditionnels sont au menu («Wayfaring Stranger»), John
Scofield intègre des reprises d’artistes
comme James Taylor («Bartender’s Blues») ou Dolly Parton («Jolene») pour donner
un aspect plus moderne à des thèmes issus de la tradition. La guitare de Mister
Sco se fait toujours aussi virevoltante et lorsque Larry Goldings passe au
piano cela donne un ensemble d’une qualité supérieure. Les échanges entre les
artistes renvoient très bien à l’idiome jazz et on se délecte à écouter les
dialogues entre guitare, orgue et basse («Faded Love»). La sonorité particulière
de la six-cordes se laisse encore
apprécier sur «Red River Valley», un traditionnel, transfigurait par les trois
artistes qui conserve sa saveur d’antan. «You’re Still the One» permet au
guitariste de poursuivre sa quête de sonorités secrètes sur des thèmes
classiques. L’album se termine avec «I’m a Old Cowhand» de Johnny Mercer, un
joli clin d’œil qui renvoie au titre de cet album, où l’ancien n’est pas forcément d’actualité.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dave Stryker
Messin' With Mister T
La Place Streeet, Pieces of
Dreams, Don’t Mess With Mister T, In a Sentimental Mood, Impressions,
Gibraltar, Salt Song, Sugar, Side Steppin’, Let It Go
Dave Stryker (g), Jared Gold (org), McClenty Hunter (dm),
Mayra Casales (perc) + Houston Person, Mike Lee, Don Braden, Jimmy Heath, Chris
Potter, Bob Mintzer, Eric Alexander, Javon Jackson, Steve Slagle, Tivon
Pennicott (s)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée: 1h 10' 27''
Strikezone 8812 (www.davestryker.com)
Dave Stryker
Eight Track II
Harvest for the World, What’s Going On, Trouble Man,
Midnight Cowboy, When Doves Cry, Send One Your Love, I Can’t Get Next to You,
Time of the Season, Signed-Sealed-I’m Delivered I’m Yours, One Hundred Ways,
Sunshine of Your Love
Dave Stryker (g), Steve Nelson (vib), Jared Gold (org),
McClenty Hunter (dm)
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Durée: 1h 05' 50''
Strikezone 8814 (www.davestryker.com)
The Stryker/Slagle Band Expanded
Routes
City of Angels, Nothin’
Wrong with It, Self-Portrait in Three Colors, Routes, Ft. Greene Scene, Great
Plains, Extensity, Gardena, Lickety Split Lounge
Dave Stryker (g), Steve Slagle (as), John Clark (frh), Billy
Drewes (ts, bcl), Clark Gayton (tb, tu), Bill O’Connell (p, ep), Gerald Cannon
(b), McClenty Hunter (dm)
Enregistré les 14 et 15 décembre 2015, Paramus (New
Jersey)
Durée: 59' 17''
Strikezone 8813 (www.davestryker.com)
Voici livrées les dernières
productions de Dave Stryker, le guitariste d’Omaha (Nebraska). Trois nouvelles
galettes et trois thématiques bien distinctes pour mettre en avant son phrasé
feutré. Messin’ With Mister T célèbre, comme le sous-titre le
laisse entendre, les années du guitariste aux côtés de Stanley Turrentine. Le
matériau choisi pour mettre en avant les pièces et compositions favorites de
son ex-leader renvoie au temps béni où le jazz avait encore facilement droit de
citer dans les médias. Plus fort encore, il bénéficie pour l’occasion de la
présence de quelques-uns des meilleurs saxophonistes de la galaxie jazz:
Houston Person, Jimmy Heath, Eric Alexander, Bob Mintzer, Chris Potter et Steve
Slagle, le fidèle partenaire du guitariste. L’album s’ouvre avec «La Place Street»
de Stanley Turrentine avec Houston personne au saxophone. Le tempo est bien chaud avec les
interventions de Jared Gold (org) et les
coups de boutoir de McClenty Hunter sur les peaux. «Let It Go» avec Tivon
Pennicott (s) met en lumière les jolis
déboulés de la guitare de Stryker et la voix mélodieuse de l’instrument du
partenaire de Kenny Burrell en 2008. L’éternel «Sugar» se fait plus mielleux
avec Javon Jackson dans le rôle de Mister T. le tout bien emmené par un jeu
soyeux de l’organiste. Après le sucré, Eric Alexander fait entendre sa sonorité
si spécifique sur une pièce plus salée («Salt Song»), tandis que le guitariste
fait apprécier sa technique pour délivrer des notes d’une pure beauté. En fin connaisseur de Turrentine, le leader
présente «Impressions», de John
Coltrane. Un morceau gravé pour la première fois par son mentor sur Sugar avec Chris Potter aux anches. Bien
sûr, «Don’t Mess with Mister T.» de Marvin Gaye est présent sur l’une des
plages du CD pour retrouver les bienfaits de ce que délivrait le saxophoniste de Pittsburgh en son temps.
Pour Eight Track II Stryker puise dans un répertoire plus ouvert pour
mettre en lumière les artistes vedettes de la Motown comme Marvin Gaye, Stevie
Wonder ou les Temptations, mais aussi des rockers comme le Cream d’Eric Clapton
ou les Isley Brothers. La présence du vibraphone de Steve Nelson aux côtés de
Jared Gold (org) et McClenty Hunter (dm) constitue le fil conducteur de cet album. Cette expression
du guitariste renvoie aux sessions et autres concerts aux côtés de Brother Jack Mc Duff. Certains moments de Eight Tracks nous plongent dans l’’atmosphère si particulière de la
fin des années soixante avec les oeuvres de Grant Green et tout
particulièrement «Trouble Man». Une résurrection qui fait plaisir à attendre,
preuve que Stryker connaît bien ce langage et sait adapter, comme ses
prédécesseurs, Wes, George, Kenny et Pat, les morceaux pop dans un langage jazz
gorgé de blues. Petit clin d’œil au british blues avec une adaptation
hautement énergique du «Sunshine of Your
Love» de Cream et le savoureux «Time of the Season» du groupe The Zombies. Enfin, le Prince de Minneapolis fait aussi
partie de la revue avec l’emballante adaptation de «When Dove Cries» où l’orgue
de Jared convole en juste noces avec les notes feutrées de Stryker.
Avec Routes, le guitariste partage le leadership avec Steve Slagle dans
un format plus évolué pour certaines compositions. Au duo, augmenté de McClenty Hunter, le batteur habituel de
Stryker, et Gerald Cannon (b) s’agrègent Jackson Clark (frh), Billy Drewes (ts,
bcl) Clark Gayton (tb) et Bill O’Connell (p). Ainsi sur «Nothin’ Wrong with It»
c’est un septet qui s’exprime pour exposer la facette de compositeur du
guitariste et son compère saxophoniste. Dans une ambiance plus pesante, la
formation développe les idées du duo avec de beaux entrelacs entre la guitare
et les soufflants. Des instants de
suspension sont offerts par la guitare du leader qui met en lumière le
background de la flûte de son partenaire, et les interventions de Clark Gayton
au tuba («Great Plains») pour une pièce de grande qualité. «Self-Portrait in
Three Colors», de Charlie Mingus situe
totalement l’état d’esprit haut de gamme dans lequel évolue ce Routes.Entre swing et conception plus contemporaine, la formation assume sa
tâche de transmettre la tradition avec succès («Extensity»). Sur «Lickety Split Lounge», le guitariste
reprend la main pour asséner ses notes acérées. Ces trois albums permettent
pour ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir un guitariste référent
de la scène jazz actuelle, qui a fait ses classes auprès des plus grands, et
transmet son expérience en apportant sa touche personnelle pour que l’idiome
poursuive son développement dans l’univers de la musique.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°680, été 2017
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BLM Quartet
Me'n You
Me'n
You, A Kiss to Build a Dream On, Between the Devil and the Deep Blue Sea, East
of the Sun, There Will Never Be Another You, Rockville, Blockrock, Tenderly,
Wrap Your Troubles in Dreams, New Concerto for Cootie, 9:20 Special,
Ooh-Ah-Dee-Dee, Stolen Swing
Dominique Burucoa (tp, flh, voc), Atnaud Labastie (org),
Emmanuel de Montalembert (g), Antoine Gastinel (dm)
Enregistré les 25 et 26 février 2016, Ustaritz (64)
Durée: 58' 26''
Jazz aux Remparts 64025 (www.jazzauxremparts.com)
Dominique Burucoa est bien connu, notamment comme
directeur du festival, Jazz aux Remparts, dont la disparition fit le désespoir
des jazzfans avertis. Il est tout à fait qualifié pour affirmer dans le texte
d'accompagnement: «le swing comme vertu cardinale du jazz »! Et c'est le choix
esthétique de ce quartet ainsi que le démontre d'emblée, «Me'n You» du
tromboniste Eli Robinson qui ouvre le programme (solos bien menés d'orgue,
trompette avec plunger et guitare). Bel hommage au maître Louis Armstrong (sans
caricature!) dans une version simple et efficace de «A Kiss to Build a Dream On
» bien chanté et joué avec autorité par Dominique Burucoa. Antoine Gastinel amène un swinguant «Between
the Devil and the Deep Blue Sea». C'est le premier disque d'Arnaud
Labastie à l'orgue et il en joue avec une maîtrise et swing enthousiasmants.
Dans «Stolen Swing», il évoque Milt Buckner auquel il rend un hommage explicite
dans «Ooh-Ah-Dee-Dee». Les improvisations d'Emmanuel de Montalembert ont la
sobriété d'un Billy Butler, c'est si rare aujourd'hui («Rockville», thème-riff
de Johnny Hodges). Il amène bien «East of the Sun» exposé avec feeling par
Dominique Burucoa au bugle. Guitare et orgue sont parfaits derrière la
trompette avec sourdine dans «There Will Never Be Another You». Les tempos sont
parfaits pour le swing («Blockrock» de Cootie Williams, «Wrap Your Troubles in
Dreams», «9:20 Special»). Bref, un moment plaisant dans un contexte
désespérant.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jazz de Pique
Le Retour
Father
Steps In, Moten Swing, Chocolate, Rhapsody in Courbevoie, Sweet Georgia Brown,
Flying Home, Blue Spleen, Feet in the Fuel, One O'Clock Jump, Stompin' at the
Savoy, 9:20 Special, Undecided, Boot It!, Blop-Blop, J'irai cracher sur vos
trompes
Jacques Hannequand, Daniel Thorel, Laurent Verdeaux,
Christian Camous, Jean-Louis Hannequand, Gilles Millerot (tp), Georges Batut
(tb, vib), François Février, Guy Figlionlos, Alain Cuttat, Didier Baniel (tb),
Gilbert Rousselin, Roger Petit (as), Michel Méresse (as, ts), François Jouvin
(ts, cl), Michel Bourgeois, André Villéger (ts), Jean Picard (bs, cl), Jean
Rotman (p), Gérard Rakowski (g), Jean-Pierre Simondin (b), Claude-Alain du
Parquet (dm), invité : Benny Waters (ts, as, cl)
Enregistré entre fin décembre 1972 et le 4 mai 1985,
Courbevoie (92), Paris
Durée:
1h 03' 49''
Fenesoa
06 (jean.rotman@wanadoo.fr)
A une époque où rares sont les jazz fans qui se
préoccupent encore de Bennie Moten, Erskine Hawkins, Jimmie Lunceford ou même
de Fletcher Henderson, voici un disque du Jazz de Pique, un big band amateur
dirigé par le pianiste et futur médecin homéopathe Jean Rotman, également
responsable de la majorité des arrangements. Ce disque vaut surtout pour les
titres 10 à 14 dont la vedette est Benny Waters, surtout au ténor (excellent
dans «Stompin' at the Savoy»), mais aussi à l'alto (« 9:20 Special»,
arrangement d'Earle Warren, avec de bonnes parties d'ensembles bien jouées) et
à la clarinette («Undecided», Waters y est en grande forme; bon solo de
Rotman). Le dernier titre, montre qu'après dix ans ces musiciens ont plus de
métier: il y a des nuances, la section de trombones mise en vedette sonne bien,
bon solo de trombone (la trompette wa-wa est de Laurent Verdeaux). En effet les
9 premiers titres qui sont la réédition du Moten Swing, Pragmaphone LP 8,
trahissent un niveau de débutants, surtout dans les ensembles et sur tempos
vifs (certains de ces musiciens joueront ensuite dans le big band Roger Guérin,
comme Jean Picard). Le livret nous indique que «certains savaient improviser,
d'autres pas», ce qui est la règle en big band et ne gêne pas, mais aussi que«Certains jouaient d'oreille, d'autres étaient d'excellents lecteurs», ce qui
ne garantit pas le meilleur résultat en grande formation. Deux morceaux, en tempo
lent, sortent du lot d'un point de vue collectif: «Rhapsody in Courbevoie» et
«Blue Spleen» (beau thème, bon solo de trombone). Ici et là, il y a de bons
solos de trompette, de vibraphone et deux solos d'un jeune André Villéger déjà
plus que prometteur («Flyin' Home», «Feet in the Fuel»). Un disque sympathique
qui illustre l'attachement à la tradition swing d'une partie des musiciens
français en cette première moitié des années 1970.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Oracasse
La Barque du rêve
Whoopin'
Blues, Tremé Song, La Grève barré moin, Indiana...Lee, La Rue Zabyme, Old
Rugged Cross, Close Your Eyes, Do What Ory Say, Linger Awhile, Parfum des îles,
La Barque du rêve, It Ain't My Fault
Guy
Bodet (tp, cnt, flh), Emmanuel Pelletier (ss, ts, fl, voc), Thierry Bouyer
(bjo, g, tp, voc), Xavier Aubret (tu, b, voc), Gabor Turi (dm, perc, voc)
Enregistré les 6 et 7 septembre 2016, Chabournay (86)
Durée: 59' 15''
Autoproduction (aubret@oleo-production.com)
Voici un groupe dit de «jazz traditionnel» qui ne peut
que donner de la joie dans les animations notamment festivalières. Le meilleur
soliste est Guy Bodet, dit Mimile, trompettiste titulaire dans l'orchestre
Claude Bolling. Un bon exemple de sa maîtrise instrumental se trouve dans
«Indiana» avec sa déclinaison bop dans la coda. Dans «Whoopin' Blues» Guy Bodet
mène avec décontraction et offre un solo bien mené. Il est également à son
avantage dans «Do What Ory Say» et surtout «Linger Awhile». «Tremé Song» de
John Boutté et «It Ain't My Fault» sentent bon le New Orleans d'aujourd'hui
(nous préférons Emmanuel Pelletier au ténor, comme dans «Close Your Eyes»). Il
y a d'autres thèmes connus de la Cité du Croissant mélangés à des morceaux
exotiques moins enthousiasmants pour les jazzfans (mais «Parfum des îles» avec
bugle et flûte est bien plaisant: écoutez le solo de Guy Bodet!). Un spiritual
rendu célèbre par le clarinettiste George Lewis est ici joué en trio (ss, bj,
b) de façon sensible. Une "galette" qu'on s'arrachera au détours d'une prestation!
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Wadada Leo Smith
America's National Parks
CD1:
America’s National Parks USA 1718, Eileen Jackson Southern 1920-2002: A
Literary Park, Yellowstone: The First National Park and the Spirit of
America–The Mountains, Super-Volcano Caldera and Its Ecosystem 1872
CD2:
The Mississippi Rivers Dark and Deep Dreams Flow the River–A National Memorial
Park c. 5000 BC, Sequoia/Kings Canyon National Parks: The Giant Forest, Great
Canyon, Cliffs Peaks, Waterfalls ans Cave Systems 1890, Yosemites: The
Glaciers, the Falls, the Wells and the Valley of Goodwill 1890
Wadada
Leo Smith (tp), Anthony Davis (p), Ashley Walters (cello), John Lindbergh (b),
Pheeroan Ak Laff (dm)
Enregistré le 5 mai 2016, New Haven (Connecticut)
Durée:
1h 38’ 05’’
Cuneiform
Records 430/431 (www.cuneiformrecords.com)
Wadada Leo Smith et son Golden Quintet nous invitent à
une traversée des grands parcs américains dans une célébration de la nature
encore conservée et à protéger. Les six longs mouvements parfaitement exécutés
nécessitent une attention particulière car Wadada inscrit sa musique dans la
lignée de la musique afro-américaine libertaire. Un mariage précis entre
écriture et improvisation. Wadada a terminé de composer ce répertoire et l’a
enregistré avant de célébrer ses 75 ans (décembre 2016). Les vingt-huit pages
du répertoire de America’s National Parks ont été conçu pour son ensemble le
Golden Quintet, une fraiche extension du quartet qu’il a dirigé durant 16 ans.
L’idée lui est venue pour deux raisons, de par son propre intérêt pour la
nature depuis des années, en particulier pour le Park de Yellowstone et de la
série documentaire, The National Parks: America ‘s Best Idea, d’une durée de
douze heures signée par le réalisateur Ken Burn. Les dialogues particuliers
trompette et violoncelle donnent une coloration surprenantes et déconcertantes.
Anthony Davis, John Lindbergh et Pheeroan Ak Laff apportent leur
complémentarité à ce vaste projet ambitieux qui s’inscrit dans une riche mais
difficile écoute. L’auditeur doit se plonger dans ce nouveau monde où l’homme
n’a pas encore tout détruit. La disparition des scènes européennes (à part
quelques exceptions) de vétérans comme Wadada Leo Smith nous a presque fait
oublier la richesse et la diversité de ce type de musique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Mourad Benhammou Jazzworkers Quintet
Vol. 3. March of the Siamese Children
Nommo1,
March of the Siamese Children, Indian Song, Till all Ends, Zielona Herbata
"Green Tea", Home Is Africa, No Land’s Man, 7th Ave Bill,
Zanzibar, Autum Melodie, Ballad Medley (Haupe, Nirvana, Malice Toward None),
Cellar Groove, Nommo 2, Dave’s Chant*
Mourad
Benhammou (dm), David Sauzay (ts, fl) Fabien Mary (tp), Pierre Christophe (p),
Fabien Marcoz (b), Tom McClung (p)*, Matyas Szandal (b)*
Enregistré
le 1er octobre et le 15 novembre 2015, Le Pré-Saint-Gervais (93)
Durée:
1h 01’
Black
& Blue 813.2 (Socadisc)
Mourad Benhammou dirige ses Jazz Workers depuis une
douzaine d’année et la cohésion du groupe s’entend immédiatement. Le livret
nous rappelle le parcours du batteur «En vrai passionné de l’histoire du jazz
et de la batterie musicien, érudit et collectionneur il réside à New-York en
2004 où il mène une série d’entretien avec des batteurs légendaires de la scène
bop. Il y rencontre Louis Hayes, Grassella Oliphant et surtout Walter Perkins,
qui deviendra son mentor». C'est à son retour en France, qu'il décide de former
son propre groupe dont voici le troisième opus. Dès l’introduction, le ton est
donné par le premier titre «Nommo1» qui, en quarante-huit secondes, annonce la
couleur, entre respect de la tradition et arrangements modernisés. En fin
connaisseur, il choisit le répertoire (à part «Zielona Herbata "Green
Tea"» et «Zanzibar» signés de sa main et «Autum Melodie» de Fabien Mary)
dans des compositions assez rarement interprétées aujourd’hui en public et peu
enregistrées. Le titre éponyme de l’album est tiré de la comédie musicale Le
Roi est moi, grand succès de Broadway adapté à l’écran avec Yul Brunner en roi
du Siam et Deborah Kerr en maîtresse d’école. Son traitement plus qu’original
décape les oreilles et David Sauzay, ici à la flûte, se révèle un maître tel le
génie de la lampe. Toutes les arrangements et les interventions des solistes
sont soignés et à propos et font de cet album un plaisir continue. Certains
titres évoquent des contrées lointaines entre l’Afrique et l’Orient, Mourad
Benhammou en tant que compositeur nous invite dans son voyage sur les terres
découvertes par Art Blakey mais en proposant sa propre piste. Il ne pouvait
oublier son maître et sa version de «No Land’s Man» de Walter Perkins nous
conduit tout naturellement dans la nuit new-yorkaise. L’intro au piano du
«Medley» sur «Haupe» de Duke Ellington, extrait de la bande du film Anatomie
d’un Meutre, atteste du talent de Pierre Christophe comme de celui des autres
musiciens. On s'étonne dès lors du mépris des programmateurs pour ce type de
jazz... «Dave’s Chant», enregistré lors d’une autre séance avec le regretté Tom
McClung et Matyas Szandal, prouve de nouveau que le drive de Mourad Benhammou
sait se mettre à merveille au service d’autres musiciens.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Bill Mobley
Hittin' Home
The Very
Thought of You, Walkin', Hittin' Home, My Romance, Jewel, Milestones, Lil' Red,
Apex, Peace, Scene on Seine, Waltzin' Westlard
Bill
Mobley (tp), Steve Neslon (vib), Russell Malone (g), Kenny Barron, Heather Bennet (p), Essiet
Okon Essiet, Phil Palombi (b), Clint Mobley (perc),
Kevin Norton (marimba)
Enregistré durant l’été 2016, New York et New Jersey
Durée: 57' 10''
Space
Time Records 1642 (Socadisc)
Pour célébrer en 2016, l’année de ses 20 ans d’existence,
le label Space Time Record a sorti un nouvel enregistrement du trompettiste
Bill Mobley, pilier du label avec le pianiste Donald Brown. A 63 ans, Bill
Mobley a tout prouvé et, sans être devenu une star du jazz, il en est l’un des
plus honnêtes artisans. Pas d’artifice de studio, les enregistrements ont été
faits en une ou deux prises et le tout en direct. On remarquera l’absence de
batteur, choix original qui confère à l’ensemble de l’album une sonorité et un
espace particuliers. A part «Scene on Seine» où Clint Mobley joue des
percussions et «Apex» dans lequel Bill dialogue avec le marimba de Kevin
Norton, la rythmique repose sur le tempo du contrebassiste. Seul «Hittin’Home»
est signé par Bill Mobley, la majorité des compositions sont signées de Miles
Davis, Bobby Watson, des pianistes; Mulgrew Miller, Horace Silver, Harold
Mabern sans oublier des standards de Ray Noble, Rogers & Hart et même un
titre du producteur Xavier Felgeyrolles. L’album est donc plus une suite de
dialogues en duo, soutenus par la basse, que celui d’un groupe. La cohésion du
répertoire et la richesse des échanges épurés en font un album au plus grand
charme, sobre et élégant à écouter tranquille au coin du feu où dans sa
cuisine, seul ou en bonne compagnie. Si tous les thèmes sont magnifiquement
interprétés, un sommet est atteint avec «Peace» où le dialogue devient un
échange à trois avec Bill, Russel Malone et Essiet Okon Essiet qui surélèvent
l’acuité du propos. Au fil du temps, ce petit label français a su prouver sa
ligne remarquable et la grande qualité artistique de ses productions. Bon anniversaire.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Dave Holland / Chris Potter
Aziza
Aziza
Dance, Summer 15, Walkin’ the Walk, Aquila, Blue Surf, Fibding the Light,
Friends, Sleepless Night
Dave
Holland (b), Chris Potter (ts, ss), Lionel Loueke (g), Eric Harland (dm)
Enregistré les 7 et 8 octobre 2015, New-York
Durée:
1h 09'
Dare2
Records 009 (www.daveholland.com)
Dave Holland retrouve ici des musiciens ayant déjà
gravité autour de lui, à l'exception de Lionel Loueke. Ce quartet est ainsi une sorte de «all stars»où les signatures des compositions sont réparties à part égale. Agé de 70 ans,
Dave Holland, toujours fringant, dirige ses propres formations depuis plus de
quarante-cinq ans et il y a vu défiler du beau monde, de Sam Rivers à Steve
Coleman, en passant par Chris Potter qui a gagné ses galons pour apparaître en
coleader du quartet. Si tous les titres, aux thèmes, rythmes, et sons fort
variés, valent le détour, on retiendra «Summer 15» (Chris Potter) où
l’introduction au sax soprano va à l’encontre de la guitare (africaine puis
jazz) de Lionel Loueke; le tout magnifiquement drivé par la caisse claire
d’Eric Harland; tandis que le ténor revient, tel un calypso de Rollins et Dave
Holland marque le tempo en faisant danser ses cordes. Complètement dans
l’actualité d’un jazz sans cesse en renouveau, même si le groupe flirte avec la
fusion, il nous délivre une musique sereine, imaginative où la grande valeur de
chaque soliste en fait un des groupes actuels quasi permanents des plus
construits. Preuve à l’appui par la qualité de leurs concerts donnés lors de
leur tournée européenne d’octobre 2016.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Grégory Privat Trio
Family Tree
Le
Bonheur, Riddim, Family Tree, Zig Zagriven, Le Parfum, Sizé, Filao, Ladja,
Seducing The Sun, Happy Invasion, La Maga, Galactica
Grégory
Privat (p), Linley Marthe (b), Tito Bertholo (dm)
Enregistré du 24 au 26 janvier 2016, Pompignan (82)
Durée:
1h 12' 46''
ACT
9834-2 (Harmonia Mundi)
Pour son quatrième album, le premier en trio, Grégory
Privat a décidé de replonger dans ses racines, la Martinique, mais aussi la
Guadeloupe et l’héritage de la musique créole. Digne fils de son père (José
Privat pianiste du groupe Malavoi), il s’est forgé, depuis une dizaine
d’années, une solide réputation auprès de Jacques Schwarz-Bart, Stéphane
Belmondo, Guillaume Perret ou Sonny Troupé (son partenaire habituel). Cet Arbre généalogique (en français) réunit ainsi toutes les branches qui ont pu
se greffer à la musique d’origine pour produire de nouveaux fruits aux goûts et
parfums savoureux. Grégory Privat puise
son inspiration dans la mémoire des rythmes traditionnels afro-caribéens, bèlè,
gwoka qui mariés aux quadrilles et à la musette ont engendré un jazz créole. La
biguine, suivra, marquant la musique moderne pop, jazz et zouk. Douze
compositions personnelles s’enchaînent dans un déroulement naturel, le piano
occupe pleinement l’espace et chaque titre révèle son intérêt. A ses côtés,
Linley Marthe, lui aussi créole mais de l’Océan Indien (Ile Maurice) a délaissé
sa basse électrique, si bien utilisée chez Joe Zawinul, pour se saisir d’une
contrebasse plus à sa place dans ce subtil répertoire. Le trio se complète de la batterie de Laurent-Emmanuel
(dit «Tilo») Bertholo (lui aussi martiniquais) qu’il a côtoyé au sein du projet
Jazz Bèlè Philosophy du trompettiste Franck Nicolas. L’art du trio jazz (piano,
contrebasse, batterie), si difficile à renouveler, est ici complètement
maîtrisé mais ses références en sont élargies.
Un groupe à découvrir en concert. Mon titre préféré, «La
Maga», le plus court mais tout en finesse comme une caresse du vent sucré des
Caraïbes.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Arild Andersen
The Rose Window
Rose
Window, Science, The Day, Outhouse, Hyperborean, Dreamhorse, Interview with
Arild Andersen
Arild
Andersen (b), Helge Lien (p), Gard Nilssen (dm)
Enregistré le 15 avril 2016, Gütersloh (Allemagne)
Durée: 59'
Intuition 71316
(Socadisc)
Le contrebassiste norvégien, Arild Andersen, âgé de 71
ans, est surtout connu pour ces enregistrements chez ECM, certains avec son
groupe ou en sideman de Kenny Wheeler, Paul Motian, Bill Frisell, John Taylor,
Alphonse Mouzon, Ralph Towner, Nana Vasconcelos, Marcin Wasilewski, Markus
Stokhausen et avec son compatriote Jan Garbarek (69 à 73). Adepte de
l’organisation tonale de Georges Russel, il joue avec cet arrangeur et chef
d’orchestre durant dix ans (1960 à 1970). Il dirige ensuite plusieurs formations
avec Jon Christensen, puis le groupe Masqualero dans lequel se distingue le
trompettiste Nils-Petter Molvaer. Il collabore aussi avec des jazzmen en
tournée et il sera le bassiste de Stan Getz, Sonny Rollins, Sam Rivers, Paul
Bley, Sheila Jordan et Joe Farrell. Véritable monument et amant de la
«grand-mère», Arild Andersen offre lors de son concert un magnifique hommage à
cet instrument. Dans un recueillement spirituel, l’auditoire du Théâtre de
Gütersloh écoute et rêve en compagnie de ce trio très dépouillé ou l’essence
même de la musique s’exprime. Le trio tel un joyau en six titres revisitent le
répertoire de ce seigneur du nord qui caresse ses cordes et en tire les plus
charmants des sons. Les passages joués à l’archet sont émouvants et si
l’ambiance par moment est trop romantique on se laisse emporter par des elfes
enchanteurs. Après une introduction ravissante, la longue composition
«Hyperborean», atteste de la maestria du contrebassiste, puis, rejoint par les
membres de son trio, discrets mais efficaces, elle nous nous emporte aux pays
des merveilles. «Dreamhorse», tout autant réussi conclu un album où les 45
minutes de musique nous prouvent encore que ce n’est pas la durée du plaisir
mais son intensité qui compte.
Dans l'entretien qui clôt le disque, mené par Götz
Bülher, Arild Andersen évoque son parcours et l’orientation de sa musique.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Pierre Boussaguet Septet
Le Semeur
South
West, Souvenir imaginé, Le Semeur, Teemoo, Gurrah, Red Ground, Charme, Tinto
Time, Talma, La Fête au village, Body and Soul, Le Chat et le pivert
Pierre
Boussaguet (b), Luigi Grasso (as, ts), Stéphane Guillaume (ss, ts, fl), André
Villéger (ts, cl), Nicolas Dary (ts), Vincent Bourgeyx (p), François Laizeau
(dm)
Enregistré:
24 au 28 février 2014, Bayonne (64)
Durée:
1h 06' 50''
Jazz
aux Remparts 64023 (www.jazzauxremparts.com)
Pierre Boussaguet précise honnêtement son problème avec
le fait de «rendre hommage»: ça «oblige seulement à se référer au passé». Pour
lui, «seul compte le présent». Comme il ne veut pas «ressusciter», il a opté
pour «conter une histoire d'aujourd'hui». Donc n'espérez pas toujours
"entendre" Guy Lafitte dans ce CD qui lui est consacré, par ailleurs
superbement conçu avec un livret qui informe (ce qui devrait être toujours le
cas) et une précision des solistes pour chaque morceau. La première composition
de Pierre Boussaguet est dédiée à notre chère région, «South West». Belles
parties pour section de saxes. Le ténor de Nicolas Dary évoque plus Rollins que
Lafitte mais ce n'est pas incongru puisque notre regretté Guy est entré dans le
"moderne" par Rollins. Beaux alliages sonores quasi
"classiques" (avec flûte) sur un excellent jeu de balais dans
«Souvenir imaginé» pour évoquer Carlos Gardel qui fascinait Guy (Bourgeyx est
parfait pour le tango). Dans son solo, Pierre Boussaguet nous rappelle l'excellence
de sa sonorité. On retrouve cette grande musicalité et cet amour du son chez
Boussaguet et les saxes dans l'exposé de «Le Semeur». L'échange entre Guillaume
et Grasso, plein de flamme, est pour nous un peu long. Pureté des saxophones
digne du quatuor Marcel Mule en introduction et background de «Teemoo» qui
évoque vraiment Guy Lafitte. La composition est de lui et Nicolas Dary a la
sonorité pulpeuse et la dimension expressive qui rendent justice à notre star
du sax ténor (beau travail de Bourgeyx). Pour le coup, c'est un véritable
hommage. Pour nous, c'est un des meilleurs titres de l'album. Le point faible
pour nous, c'est le son de sax soprano en solo, très "moderne
convenu" («Red Ground» plus coltranien qu'africain à nos oreilles). Il est
d'un meilleur effet quand il chante dans les parties d'ensemble
(«Charme»: beau solo de Bourgeyx). Dans une approche qui doit
swinguer, Pierre Boussaguet orchestre très bien pour une section de saxes que
ce soit pour une composition personnelle («Gurrah») ou pour un thème de Guy
Lafitte («Tinto Time»). La section de saxes met bien en valeur le beau thème de
Boussaguet, «Talma» qu'il a enregistré avec Guy Lafitte (1993) puis joué au
festival Bis de Marciac avec Wynton Marsalis (j'y étais). Dans la présente
version, Vincent Bourgeyx joue avec classe (on regrette le soprano au lieu d'un
ténor). La «Valse au Village» de Vincent Rose et Larry Stock fut un succès de
Léo Marjane en 1939 avant la reprise vingt ans plus tard par Dizzy Gillespie
sous le titre d'«Umbrella Man». Le présent arrangement est très plaisant
opposant le genre boîte à musique à une machine à swing avec l'intrication
réussie de Dary (ts), Villéger (cl), Grasso (as) et Guillaume (fl). Nous avons
souvent entendu Guy Laftte jouer «Body and Soul», il convenait donc de
reprendre ce cheval de bataille pour sax ténor depuis l'ère Hawkins. L'exposé
écrit en section de saxes est superbe tout comme le jeu de Bourgeyx et le solo
de Villéger (sur de belles tenues de saxes). Le disque se termine par une prise
en concert de «Le Chat et le pivert», médium swing, que Boussaguet a dédié à
Guy Lafitte et Gérard Badini, dans lequel nos quatre souffleurs jouent bien sûr
du sax ténor. Une belle réussite musicale.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Esaie Cid
Maybe Next Year
Way Out West, Music Forever, Double Spoon, Nothing Ever
Changes My Love for You, How Long Has This Been Going On, Sweethearts on
Parade, Farewell, Pea Eye, Jessica's Day, Maybe Next Year
Esaie Cid (as), Gilles Rea (g), Samuel Hubert (b), Mourad
Benhammou (dm)
Enregistré le 9 juin 2016, Draveil (91)
Durée: 58' 33''
Fresh Sound/Swing Alley 030 (www.freshsoundrecords.com)
La manière et la sonorité d’Esaie Cid sont à rapprocher de
celles de Paul Desmond, avec parfois plus de couleur blues et swing («Way Out
West»), parmi une riche galerie d’influences, car Esaie Cid a ses lettres
jazziques, et elles ne s’arrêtent pas à la Côte Ouest, première influence. On pense
aussi bien à Jimmy Giuffre par la trace de la clarinette dans le débit qu’à Art
Pepper, son inspiration de cœur, par l’esprit sinueux du récit, la poésie et
parfois la sonorité. On peut ajouter à cette galerie Lee Konitz, les ancêtres
Benny Carter, Willie Smith, avec moins de chair car l’esthétique de la Côte
Ouest est moins expressive, plus intimiste, que celle de la Côte Est, et, à
l’évidence, Esaie Cid penche vers l’Ouest…
Quoi qu’il en soit, Esaie Cid est de ces talents originaux
qui naissent aujourd’hui parce qu’ils ne craignent pas de réactiver les racines
musicales du jazz, aussi bien celles du blues que du swing que du grand
répertoire et de cette grande fécondation qui des années 1920 à aujourd’hui
apporta à la musique une myriade de talents, des milliers de manières
différentes et pourtant jazz, notamment sur le saxophone alto où excelle Esaie
Cid. Cette histoire musicale est en effet si dense, si intense,
si rapide et en même temps si diverse et encore mystérieuse qu’elle offre à la
descendance contemporaine une infinité de pistes pour que chacun puisse développer,
en respectant les mânes, un discours original. Pour qui veut, bien entendu,
enrichir une terre déjà si extraordinairement fertile.
Esaie Cid, le Barcelonais (1973, cf. Jazz Hot n°674), est de ceux-là. Modeste, savant, élégant et
délicat, à la ville comme à la scène, il est le modèle parfait de ces musiciens
de jazz qui, pour n’être pas nés dans la patrie du jazz, n’en apportent pas
moins leur pierre, toujours précieuse, à l’édifice et à la permanence de cet
art.
Esaie Cid est ici bien entouré de l’excellent Gilles Rea
(g), un autre artisan de «la beauté du son» et de la mélodie, mais aussi un
pédagogue de haut niveau, de Samuel Hubert (b), qui s’affirme depuis sa
rencontre avec Cédric Chauveau, et de Mourad Benhammou (dm), qu’on ne présente
plus (Jazz Hot n°621) tant il est
déjà devenu un pilier de l’histoire du jazz qui s’écrit aujourd’hui en France.
Esaie Cid, c’est la poésie sur son instrument, la recherche
d’une beauté délicate, un brodeur de mélodies, un développeur d’atmosphères,
sans ostentation et avec le sens des nuances. Le répertoire, détaillé dans le
texte de livret, est un bon mélange de standards du jazz (Sonny Rollins,
Freddie Redd, Clark Terry, Quincy Jones), de standards du songbook (Gershwin, Newman-Lombardo, Segal-Fisher) avec deux
originaux et un thème de Duane Tatro, «Maybe Next Year», pour l’épilogue, un
compositeur emblématique de la West Coast, qui œuvra aussi pour le cinéma, et
qui confirme la tonalité générale d’un excellent enregistrement qui s’écoute
avec autant de plaisir qu’il suscite de curiosité.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jérôme Etcheberry / Michel Pastre / Louis Mazetier
7:33 to Bayonne
7:33
to Bayonne, Don't Be Afraid Baby, Esquire Bounce, You Can't Loose A Broken
Heart, Time On My Hands, Victory Stride, Foolin' Myself, Squatty Roo, She's
Funny That Way, Between the Devil and the Deep Blue Sea, I've Got The World On
A String, Ballad Medley, If Dreams Come True, La Ligne Claire
Jérôme
Etcheberry (tp), Michel Pastre (ts), Louis Mazetier (dm)
Enregistré
les 28 au 30 octobre 2015, lieu non précisé
Durée:
1h 03' 54''
Jazz
aux Remparts 64024 (www.jazzauxremparts.com)
Dans le contexte économique
actuel, le trio est une bonne solution qui connait sa formule inévitable (p, b,
dm) et des variantes plus intéressantes (tp, g, b ; cl, bjo, b ; cl, p, dm)
dont celle-ci n'est pas la plus courante! Trois compositions originales («7:33
to Bayonne» d'Etcheberry, «Don't Be Afraid Baby» de Pastre et «La Ligne Claire»
pour piano solo de Mazetier) et des standards. Les arrangements sont efficaces,
la liberté solistique à son comble et le swing à l'honneur. La dimension
expressive de Michel Pastre, très websterien dans «Don' Be Afraid Baby», est
prenante. Pastre retrouve la hargne de Coleman Hawkins dans «Esquire Bounce» où
Jérôme Etcheberry se trouve être, avec la sourdine, le partenaire idéal. Après
une délicieuse introduction de piano sollicitant discrètement le souvenir du
Lion, «You Can't Loose A Broken» est interprété avec beaucoup d'émotions par
Michel Pastre suivi d'un discours plus fantaisiste mais non moins séduisant de
la trompette avec sourdine puis par le toucher élégant de Mazetier (solide main
gauche). Ces trois artistes sont des maîtres pour jouer les ballades car ils
ont beaucoup travaillé la qualité expressive de la sonorité. Ainsi «Time On My
Hands» est exposé et développé par Jérôme Etcheberry avec retenue, des
émissions un peu voilées et un vibrato bien dosé, puis c'est le même langage
avec Michel Pastre juste un soupçon plus véhément (belle cadence de coda!). Nos
deux souffleurs ont en commun, outre le sens du phrasé jazz, la maîtrise d'un
vibrato qui amène un plus à la sonorité, évitant contrairement à d'autre de
tomber dans la caricature («I've Got The World On A String»). Ils peuvent donc
se payer le luxe d'une «Ballad Medley» comme au temps du JATP. Jérôme
Etcheberry, avec la sourdine harmon avec tube, y aborde «September Song» avec
la dimension d'un Doc Cheatham (en dehors des passages wa-wa). De son côté,
Michel Pastre illustre une fois encore son inspiration pour les cadences de fin
(«Cocktail for Two»). Quelle partie de piano élégante et dansante dans «Foolin'
Myself». Louis Mazetier est non seulement un soliste toujours inspiré, qualifié
en stride du meilleur aloi, mais un accompagnateur ultra pertinent. Les tempos
sont juste ceux qu'il faut. Il est curieux que dans son solo Louis Mazetier
presse un peu dans «Victory Stride». Il est artificiel de chercher dans toutes
ces bonnes choses celles qui seraient les plus réussies. Ce disque est dans
l'actualité ce qui ressemble le plus à un indispensable du jazz parce que ces
artistes appartiennent à la dernière génération de ceux qui savent ce que
c'est.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Laura L
Gainsbourg etc...
Ces petits
rien, Je suis venu te dire que je m’en vais, Under Arrest, La Javanaise, Chez
le Yé-Yé, New York USA, Sorry Angel, Comment te dire adieu, Les Amours
perdues, L’Anamour, Requiem pour un twister
Laura Littardi
(voc), Côn Minh Pham (kb), Simon Teboul (b), Clément Febvre (dm) + Sylvain
Gontard (tp)
Enregistré à
Argenteuil (95), date non précisée
Durée:
57' 21''
VLF
Productions (UVM Distribution)
Ces quatre
musiciens, qui jouent du Gainsbourg depuis plusieurs années, ont choisi des
chansons qui, a priori, ne se prêtent pas toutes à une interprétation jazz. Et
pourtant, le groupe, en osmose totale, se les est appropriées de belle manière. Les
interprètes ont ainsi basé les arrangements sur la mélodie, sachant se partager
parfaitement entre l’écriture et les impros, se posant sur le swing, ajoutant
parfois un petit grain de folie, et sachant donner à chaque chanson son
approche, son atmosphère, son univers, en faisant pratiquement de chacune un
petit chef-d’œuvre; «La Javanaise» étant la moins réussie, malgré
un beau solo de piano qui ne rend pas le charme de l’initial. Laura Littardi
chante les mots de sa voix chaude et expressive, sans effets parasites, se
reposant sur la mélodie qui se suffit à elle-même, et sur les trois musiciens
qui l’entourent et l’enroulent dans une atmosphère idyllique. A noter les
lignes de basse. Le trompettiste Sylvain Gontard intervient à la trompette
bouchée sur «New York USA», sur tempo lentavec un joli
déploiement de la mélodie; solo de contrebasse doublé à l’unisson de la
voix, clin d’œil, à Slam Stewart. Tout cela est bien bon.
Ce disque d’un
jazz mainstream assumé est d’un grand stimulant. Et si vous aimez Gainsbourg
vous l’y retrouverez en habit de gala.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017
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A.Z.III
Swingue Aznavour
Il faut
savoir, Le Temps, Hier encore, Paris au mois de mai, Comme ils disent, Au creux
de mon épaule, Tu t’laisses aller, Les Plaisirs démodés, On ne sait jamais,
Désormais
Aldo Frank
(p), Tony Bonfils (b), Didier Guazzo (dm)
Enregistré en
2016, lieu non précisé
Durée:
48' 43''
VLF
Production (UVM Distribution)
Didier Guazzo
a été le batteur de l'émission de télévision «Fa Si La Chanter» et a accompagné une foule de chanteurs, de
Trenet à Aznavour (justement), en passant par Dee Dee Bridgewater. Aldo Frank a
été le pianiste de Nicole Croisille, pour laquelle il composa «Quand nous
n’aurons que la tendresse», a joué au Bilboquet dans les années 60, a été
chanteur (il est même passé à L’Olympia). Tony Bonfils a fait partie du groupe
Pyranas, il est musicien au Lido de Paris depuis 2009et il est le
fondateur-gérant de VLF Productions. Ces trois musiciens qui viennent de la
chanson et du jazz se sont réunis après avoir accompagné le spectacle de
Charles Aznavour. Donc rien que de plus normal pour eux que de jazzer les
chansons du grand Charles, avec son aval et sa satisfaction du résultat.
Le
contrebassiste produit un gros son, laisse sonner la note, avec des attaques
feutrées et pourtant nettes, très limpide à la pompe. Le batteur est très en
place, efficace, solide. Le pianiste connaît son piano jazz. J’aime sa façon de
faire évoluer la mélodie en block chords.
«Paris au mois de mai» est pris par le pianiste avec un ostinato qui
soutien la mélodie, résultat très prenant. Comme avec Ker Ourio (voir notre
chronique), c’est «Comme ils disent» la reprise la plus réussie
avec les deux mains du pianiste en contrepoint pour exposer la mélodie. Tandis
que le trio parvient au sommet de l’art en ne format plus qu’un seul
instrument. «Tu t’laisses aller», sur tempo lent, repose sur une
splendide harmonisation avec un parfum de blues et des trémolos à la Erroll
Garner.
Oui, Charles
Aznavour peut être heureux du résultat: ses chansons trouvent une autre
vie avec ce trio, tout en en respectant l’esprit.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Olivier Ker Ourio
French Songs
Et maintenant,
Dans mon île, La Bicyclette, Toulouse, Le Métèque, L’Eau à la bouche, Isabelle,
Comme ils disent, 17 ans, Champs-Elysées, Les Divorcés
Olivier Ker
Ourio (hca), Sylvain Luc (g), Laurent Vernerey (b), Lukmil Prerez (dm)
Enregistré du
7 au 8 septembre 2016, Perpignan (66)
Durée: 51' 52''
Bonzaï Music
170401 (Sony Music)
Olivier Ker
Ourio occupe certainement la première
place parmi les harmonicistes chromatiques. Dans ce disque il est à son zénith
avec un somptueux complice en musique, Sylvain Luc à la guitare;
l’entente et la relance est parfaite entre ces deux-là, sur un excellent tapis
basse-batterie. Ker Ourio traite parfois son harmonica comme un orgue, jouant
en accords comme sur «Et maintenant» de Bécaud, ou «Comme ils
disent» d’Aznavour: du grand art! Les tempos, les rythmes, les
ambiances sont variés. «Champs
Elysées» de Wilshaw et Delanoë, sur un tempo bondissant est joué par
l’harmoniciste en petites phrases staccato, soit en one note ou en accords, du
plus bel effet. Pour moi le chef d’œuvre du disque est «Comme ils
disent»: Ker Ourio introduit le thème avec une grande émotion et un
lyrisme fracassant, on peut croire qu’on entend les paroles, puis il part dans
un solo de grande envolée en double ou triple notes sur un parfait soutien
basse-batterie-guitare, suit le solo de Sylvain Luc de la même veine (il est au
sommet lui aussi tout au long du disque). Il se dégage une émotion et une
tendresse qui vous emporte de bonheur.
Un disque de
grand et beau jazz, qui se délecte de la mélodie et enlace la beauté dans une
étreinte amoureuse.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sylvia Howard Quartet
Time Expired
Please Don't
Talk About Me When I'm Gone, The Days of Wine and Roses, It's De-lovely, Make
Me Rainbows, You Stepped Out of a Dream, The Best Is Yet to Come, Time Expired,
Moon River, Moon River, Nobody Else But Me, I'm Just a Lucky So and So, Minor
Deeds
Sylvia Howard
(voc), Tom McClung (p), Peter Giron (b), John Betsch (dm)
Enregistré le
16 septembre 2016, Saint-Gilles (30)
Durée: 1h 00’
17”
Blue Marge
1016 (http://futuramarge.free.fr)
Time Expired... Le titre
de cet album raisonne étrangement alors que deux de ses protagonistes nous ont
quittés très récemment: son producteur, tout d'abord, Gérard Terronès, disparu
le 16 mars, et dont Time Expired aura été l’ultime référence, sortie de
son vivant, a s’être ajoutée au riche catalogue Futura-Marge; et le pianiste du
quartet, Tom McClung, qui s'est éteint le 14 mai (cf. la rubrique Tears), et dont c'est probablement le dernier enregistrement. Les deux hommes, avant de quitter ce monde, ont
ainsi eu le temps d'offrir à Sylvia Howard un inestimable cadeau: un disque
superbe, enfin à la hauteur de son talent. Certes, les deux premiers opus en
leader de la grande Sylvia restent agréables à écouter: elle y est
accompagnée par la sympathique formation -essentiellement composée de musiciens amateurs- du regretté Christian
Bonnet, également décédé dernièrement. Mais pour avoir maintes fois entendu la
chanteuse sur scène avec d'excellents jazzmen, il nous tardait qu'elle parvienne enfin graver sur microsillon une collaboration de haut niveau. C'est chose faite, et avec des familiers, issus de la toujours vivace communauté
américaine de Paris. Time
Expired est un live
tiré d'un concert organisé au Prieuré d'Estagel, dans la région nîmoise, par
l'association Le Jazz est là dont le président, Patrice Goujon, souhaitait offrir à Sylvia Howard l'occasion de s'exprimer dans les
meilleures conditions. Le projet fut donc mené en partenariat avec Gérard
Terronès. Dès le premier titre, «Please Don’t Talk About Me When I'm Gone», Sylvia Howard affirme une présence incandescente,
alliant une puissance quelque peu rocailleuse venue du gospel et une sorte de
brisure blues au fond de la voix qui vous étreint dès les premières notes.
Quelle chanteuse! L’histoire de la musique afro-américaine est manifeste, la section
rythmique est magnifique. Notre cher Tom McClung déroule un accompagnement ciselé
sur les ballades, avec des solos aériens, emplis de poésie: «The Days of Wine
and Roses», «You Stepped Out of a Dream» ou «Time Expired», mélancolique
composition de la chanteuse. Il est évidemment aussi très à son aise sur le
blues («I'm Just a Lucky so and so»), se posant comme le partenaire privilégié
de la Diva, impériale sur ce registre. Le soutien discret de Peter Giron relève également de l’orfèvrerie swing, tandis que John Betsch, d’une
remarquable délicatesse, fournit un habillage rythmique scintillant. On se fait
d’ailleurs plaisir à savourer le dernier titre de l’album –un bel original du
pianiste, «Minor Deeds»– sur lequel la chanteuse s’est effacée pour permettre d’apprécier le trio.
Ce Time
Expired nous laisse ainsi entre le bonheur de tenir ici un disque très réussi, fruit des relations fécondes entre artistes américains établis en France et acteurs hexagonaux du jazz, et la
tristesse d’être définitivement privés de ce quartet épatant.
Avec le temps va, tout s’en va; une autre manière de traduire Time Expired…
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Vintage Orchestra
Smack Dab in the Middle
Get Out of My
Life*, Evil Man Blues*, Yes Sir That’s My Babe**, It Don’t Mean a Thing (If It
Ain’t Got That Swing)*, Come Sunday*, Bye Bye Blackbird**, Smack Dab in the
Middle*, Gee Baby Ain’t I Good to You*, Fine Brown Frame**, Hallelujah I Love
Her so*, I’m Gonna Move to the Outskirts of Town**, How Sweet It Is (To Be
Loved By You)*
Vintage
Orchestra (personnel détaillé sur le livret), Dominique Mandin (dir) + Walter
Ricci*, Denise King** (voc)
Enregistré
les 23 et 24 novembre 2016, Villetaneuse (93)
Durée: 39’ 59’’
Gaya Music
Productions 035 (Socadisc)
Excellent big
band français comptant nombre de solistes menant chacun de belles carrières
individuelles (Fabien Mary, Yoann Loustalot, tp, Jerry Edwards, tb, David
Sauzay, ts, Yoni Zelnik, b, etc.), le Vintage Orchestra aborde de nouveau le
répertoire de Thad Jones et Mel Lewis, pris sous l’angle vocal par la présence
de deux invités: l’Italien Walter Ricci et l’Américaine Denise King, qu’on
retrouve alternativement sur chacun des titres interprétés. Il s’agit là
d’évoquer la collaboration qui unit Jones et Lewis à Joe Williams (Presenting Joe Williams and Thad Jones/Mel
Lewis, the Jazz Orchestra, 1966) puis à Ruth Brown (Fine Brown Fame, 1968). A cette belle mécanique swing qu’est le
Vintage Orchestra,
chaque chanteur apporte les nuances de sa personnalité. Crooner dans la lignée
de Frank Sinatra et d’Harry Connick Jr., Walter Ricci joue de sa décontraction
naturelle et livre notamment une version quelque peu décalée de l’hymne ellingtonien,
«It Don’t Mean a Thing». Il apparaît, en revanche, un peu trop lisse pour
s’attaquer à Ray Charles («Hallelujah I Love Her so») sans en édulcorer la
saveur. Plus enracinée, Denise King tire la musique de l’orchestre vers une
dimension supérieure. Et si elle intervient moins souvent que son collègue
masculin, c’est de façon bien plus marquante. Elle impose en particulier la
force de son expression sur le blues («I’m Gonna Move to the Outskirts of
Town», avec le soutien impeccable de Laurent Gac). Un régal! On reste du
coup frustré qu’elle ne soit pas plus présente.
Au final, un
hommage bien fait, mais qui s'apprécie d'abord sur scène (l'orchestre se produit régulièrement au Sunset-Sunside, voilà qui tombe fort bien).
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Julien Brunetaud
Playground
You Belong to Me, Down By the Riverside, Down in New
Orleans, I Wanna Get Steady, Ain’t it Supposed to Be Love, Monty’s Boogie*,
Happier Than the Morning Sun, Let It Go, I Wanna Ride, Silent Night, Mardi Gras
in New Orleans, When the Saints Go Marchin’ in,
Julien Brunetaud (p, org, voc), Alexis Bourguignon (tp),
Sylvain Fetis (ts), Oliver Smith (b), Romain Joutard (dm), Céline Languedoc
(back voc), Faby Médina (back voc), Zoe Dadson (voc*, back voc)
Enregistré en avril 2016, Paris
Durée: 45' 56''
Brojar (www.julienbrunetaud.com)
A 35 ans, Julien Brunetaud est l’une des valeurs sûres, en
France, du piano blues et du boogie-woogie. Très marqué par l’héritage musical
de New Orleans, il propose un renouvellement générationnel qui en appelle à
l’esprit des Dr John, Fats Domino et autres Professor Longhair. Avec ce
quatrième album sous son nom (le cinquième en comptant Nikki & Jules avec Nicolle Rochelle), Julien Brunetaud reste
fidèle à son positionnement, à la croisée des chemins du jazz, du blues, du
boogie et de la soul. Alternant (bonnes) compositions et reprises, ce Playground reflète les qualités de son
interprète: énergie, groove et rapport dynamique à la tradition. S’agissant des
originaux, on est d’emblée séduit par «You Belong to Me» et «I Wanna Get
Steady», irrésistibles invitations à la danse (si Aretha Franklin vous donne
des fourmis dans les jambes, vous ne résisterez pas!). De même que «Monty’s
Boogie» et «Let It Go» sont deux boogies réjouissants qui ne laissent pas non
plus de marbre. Du côté des reprises, la tradition néo-orléanaise reste bien
entendu présente («Down in New Orleans», «Mardi Gras in New Orleans», revisités
de façon personnelle, tout comme les chants traditionnels («Down By the
Riverside», «When the Saints Go Marchin’ in»). On est moins convaincus par
«Ain’t it Supposed to Be Love» (Abbey Lincoln) et «Happier Than the Morning
Sun» (Stevie Wonder) traités dans le registre de la variété.
Multipliant les références sans être dans l’imitation, Julien
Brunetaud a une façon bien à lui et réjouissante de faire vivre la musique du
Delta. Une excellente démarche. Go on Jules!
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Sweet Screamin' Jones/Boney Fields
The Chicago Sessions
Sherry, Silly Little Cynthia*°, Goin’ to Chicago*°, Who She
Do°, Way Back Homes, There’s Be no Next Time*°, All Right Okay You Win*, Just
the Way You Are*, Walk Tall, I Want a Little Girl*, You Are My Sunshine
Sweet Screamin’ Jones (as, voc*), Boney Fields (tp, voc°),
Carl Weathersby (g), Pierre Le Bot (p), Philippe Dardelle (b), TY Drums (dm)
Enregistré à Chicago (Illinois), date non précisée
Durée: 46' 56''
Black & Blue 809.2 (Socadisc)
On connaît le tonitruant duo formé par Sweet Screamin’ Jones
(alias Yannick Grimault) et Boney Fields, que l’on retrouve très régulièrement
au Caveau de La Huchette. Au cours de ses déjà vingt ans de carrière (Ze Big
Band et des collaborations avec Ricky Ford, Pierrick Pédron, etc.), l’altiste
breton s’est immergé dans la musique afro-américaine et l’a intégrée au point que
de sa rencontre avec l’impétueux trompettiste de Chicago, personnalité forte
s’il en est, est née une complicité musicale incontestable. Et c’est justement
à Windy City que les deux showmen, adeptes du gros son et de l’humour potache,
ont décidé de la graver sur disque. On pouvait craindre que, privée de sa
dimension scénique, leur musique ne perde quelque peu de son intérêt. Ce n’est
pourtant pas le cas. Au contraire, n’étant pas distrait par leurs habituelles pantalonnades
swingantes, on prend le temps de mieux les écouter, notamment sur les thèmes
instrumentaux qui mettent en valeur un groupe qui tourne rudement bien, en
particulier sur l’excellent «Walk Tall». Pour autant, le duo a su conserver son
ton drôle et groovy (réjouissant «Silly Little Cynthia»), tandis que Boney
Fields donne le meilleur de lui-même sur le blues («Goin’ to Chicago»).
Un album éminemment
sympathique.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°680, été 2017
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George DeLancey
George DeLancey
Prologue, Michelangelo, The Demon, Lap of Luxury, In Repose, Falling
Down, Two-Step Away, Complaint, Little Lover, Epilogue
George Delancey (b), Caleb Wheeler Curtis (as), Stacy Dillard (ss, ts),
Tony Lustig (ts, bs), Mike Sailors (tp, flh), Walter Harris (tb), Aaron Diehl
(p), Lawrence Leathers (dm)
Enregistré le 16 octobre 2013, Paramus (New Jersey)
Durée: 37' 15''
Autoproduit (www.georgedelancey.com)
Elève de
Rodney Whitaker (compagnon de route de Terence Blanchard et de Roy Hargrove),
le jeune contrebassiste George DeLancey publie son premier CD (des compositions
originales) en tant que leader, aux côtés d'une pléiade de jeunes musiciens,
dont le pianiste Aaron Diehl (lui-même élève de Kenny Barron, et actuel
compagnon de route de Cécile McLorin Salvant).La jeune garde est en marche... et ne devrait pas tarder à trouver la
maison de disques qui lui manque encore (le disque étant autoproduit). Au début
des années 90, avant de faire la carrière que l'on sait, quelques jeunes
musiciens inconnus, dont, entre autres, Roy Hargrove (justement), Antonio Hart,
Christian McBride ou Carl Allen, avaient sous le nom collectif de «Jazz
Futures», profité de l'attention d'un
producteur et d'un directeur de festival (George Wein, en l'occurrence). Mais c’était
(déjà) un autre temps.
Quant à
George Delancey et ses jeunes compagnons, inscrits dans une filiation dynamique
avec l’histoire, ils pratiquent une musique ancrée dans leur temps et qui
respecte l’idiome du jazz (swing, blues, improvisation) et dont le goût des mélodies et la science des
harmonies s’est, de toute évidence, forgé à l'écoute de modèles tels que Art
Blakey, Horace Silver, Freddie Hubbard
ou Roy Haynes...Soyons patients, il y a du potentiel: c'est un
placement sans risques!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Joey Alexander
Countdownn
City Lights, Sunday Waltz, Countdown, Smile, Maiden
Voyage, Criss Cross, Chelsea Bridge, For Wee folks, Soul Dreamer
Joe Alexander (p), Chris Potter (ss), Larry
Grenadier, Dan Chmielinski (b), Ulysses Owens Jr (dm)
Date et lieu d’enregistrement non communiqués
Durée: 1h 01' 16''
Motéma 202 (www.membran.net) Cela fait quelques années que la «toile»
regorge d'extraits de concerts de Josiah Alexander Sila (son vrai
nom), jeune prodige du piano jazz,
originaire de Bali. Impressionnant, certes! (il devait alors avoir 9 ou
10 ans), mais le plus souvent assez mal
accompagné et très mal enregistré; la performance l’emportait largement
sur l’intérêt artistique. Le talent restait à mûrir. Et voici qu'âgé de 13 ans
à peine, et désormais new-yorkais, le "gamin"
sort Countdown, un CD (son deuxième) où, accompagné, cette fois par de vraies "pointures", et
faisant preuve d'une maîtrise étonnante, il n'hésite pas à reprendre des thèmes
complexes de Monk, Coltrane, Wynton Marsalis (qui l'a invité au Lincoln Center)
ou Herbie Hancock, auxquels il ajoute
trois de ses propres compositions tout à fait abouties. Force est de constater
que le «phénomène du web» est déjà devenu un jazzman accompli. Les
quelques privilégiés qui ont connu Michel Petrucciani enfant n'hésitent pas
d'ailleurs à comparer leur précoce et fulgurante ascension. En voilà un qui va
donner du travail aux rédacteurs de Jazz
Hot pour tout le siècle restant!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Madeleine Peyroux
Secular Hymns
Got
You on My Mind, Tango Till They're Sore, The Highway Kind, Everything I do Gonna Be Funky, If the Sea Was Whiskey, Hard Times Come Again no More, Hello Babe, More Time, Shout Sister Shout, Trampin
Madeleine
Peyroux (voc, g), Jon Herington (g) Barak Mori (b)
Enregistré
en 2015, Royaume-Uni
Durée:
33' 38''
Impulse!
0602557017014 (Universal)
Pour son septième album (si on
excepte un CD-compilation), et en vingt ans de carrière, la chanteuse
(américaine, mais tellement française), Madeleine Peyroux a sélectionné dix
titres qu'elle considère comme «patrimoniaux» parmi le vaste
répertoire des chansons populaires américaines. Sobrement accompagnée par sa
propre guitare et simplement entourée de ses discrets mais efficaces musiciens
habituels à la guitare et à la contrebasse, elle reprend ces chansons sur des tempos le plus souvent lents ou medium avec cette
délicieuse voix fragile et voilée qui évoque, sans l'imiter, celle de Billie
Holiday, et qui la caractérise depuis Dreamland, l'album qui la fit connaître
en 1996.
L'éventail est large, il va
d'Allen Toussaint à Tom Waits en passant par Sister Rosetta Tharpe et Willie Dixon, et elle rend aussi hommage à Stephen Foster (1826-1864), père fondateur
de l’«American Songbook», auteur, entre autres, de «Oh! Suzanna»
et de «Swanee River».On ne résiste pas au charme de cet album dont on ne
peut que regretter la courte durée... Mais Madeleine Peyroux a un tel amour de
la liberté qu'on ne peut pas lui reprocher cet excès de discrétion et de
modestie qui l'empêche, sans doute (car en concert, elle est beaucoup plus
généreuse), d'accaparer davantage
l'attention de ses auditeurs. N'empêche, 34 minutes, c'est vraiment trop peu.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Warren Wolf
Convergences
Soul
Sister, Four Stars From Heaven, King of Two Fives, New Beginning, Cell Phone,
Montara, Havoc, Tergiversation, Knocks Me Off of My Feet, A Prayer for the
Christian Man, Stardust/ The Minute Waltz
Warren
Wolf (vib, marimba, ep), Brad Mehldau (p), John Scofield (g), Christian McBride
(b), Jeff Tain Watts (dm)
Enregistré
en 2015, New York
Durée:
1h 07'54''
Mack
Avenue 1105 (www.mackavenue.com)
Voilà qui ressemble fort à un adoubement pour ce musicien de 37 ans. S'il est aussi
un pianiste et batteur reconnu, cette nouvelle star du vibraphone est ici
entourée ici par des«sommités» de la génération précédente: Chris McBride
(avec qui il avait enregistré son précédent album, Wolfgang), Brad Mehldau, John Scofield, Jeff Tain Watts, et cela ne semble pas
l'intimider plus que cela... Il signe cinq compositions et reprend aussi des
thèmes Bobby Hutcherson, Stevie Wonder, Chopin et Hoagy Carmichael. Malgré ce
répertoire aussi éclectique que surprenant, le groupe affiche une cohésion sans
faille (c'est la marque des «grands») comme s'il tournait depuis
des lustres, justifiant parfaitement le titre de l'album: Convergence. Samusique dynamique, lyrique et
sereine saura enchanter le petit monde des vibraphonistes de jazz, ravi
d'accueillir cette nouvelle recrue, tout
à fait digne de ses pairs.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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The Cookers
The Call of the Wild and Peaceful Heart
The Call of the Wild and Peaceful Heart, Beyond Forever,
Third Phase, Teule's Redemption, If One Could Only See, Blackfoot, Oceans of
Time, Thy Will Be Done
Eddie Henderson (tp), David Weiss (tp), Donald Harrison
(as), Billy Harper (tp), George Cables (p), Cecil McBee (b), Billy Hart (dm)
Enregistré les 11-12 avril 2016, New York
Durée: 1h 14' 03''
Smoke Sessions Records 1607 (http://smokesessionsrecords.com)
On emploie souvent l’image de texture pour décrire la
musique, parfois de manière inappropriée, mais ici, on peut réellement
reprendre cette idée, en raison de la longévité du groupe, de la nature des
arrangements et de la présence de fortes personnalités (un all stars), tant au
niveau instrumental que sur le plan des compositions (Billy Harper, Cecil
McBee, George Cables, Billy Hart) et des arrangements; il y a un vrai tissage, une
vraie sonorité de groupe, une personnalité de l’ensemble qui s’est construite
avec le temps. Si on ajoute le jeu si particulier de chacun des musiciens, au
premier rang desquels Billy Harper qui développe ses atmosphères si particulières,
on comprend ce qui rend cette formation si unique, si appréciable, année après
année. Elle développe à l’âge de la maturité une musique née dans la marge des
années soixante-dix, période plus tournée vers la fusion jazz rock que vers le
jazz de culture qu’incarne cette formation. Ces splendides musiciens sont donc
des témoins, encore jeunes et dans la plénitude de leur talent, d’un autre
monde, les descendants directs de l’univers coltranien et tynérien, et ils
continuent, avec obstination et fidélité, une œuvre cohérente.
L’extraordinaire George Cables est en couverture du Jazz Hot de l’été 2017, et la sortie de
ce disque est l’occasion de joindre le son à la lecture; Eddie Henderson
(n°678), Billy Harper (n°658), Billy Hart (n°624), Cecil McBee (n°581, 607) et
même le dernier arrivant du groupe, Donald Harrison (n°644), dont l’itinéraire
et la génération se distinguent (1960), ont aussi fait la couverture de Jazz Hot, et ont apporté leur
contribution, avec des mots, à la compréhension de ce qui les réunit dans ce
groupe. On ne saurait trop vous recommander de relire ces interviews,
passionnantes, qui apportent une meilleure connaissance sur la manière dont le
jazz a traversé des époques difficiles en conservant son authenticité. Cela
passe bien entendu par une relation spéciale entre ces musiciens. A ce titre,
The Cookers est déjà un groupe qui marque l’histoire du jazz. Quant à David
Weiss, le benjamin du groupe (1964), qui a mis son énergie et son talent de
musicien à l’orée de cette aventure, il a étudié avec les meilleurs (Bill
Hardman, Tommy Turrentine), et il a côtoyé dans sa déjà longue carrière le gotha de toutes les générations, de Jaki Byard, Jimmy Heath et Frank Foster à Christian McBride, Jeff
Tain Watts et Craig Handy. C’est un arrangeur de talent qui a travaillé avec
les grands artistes du jazz, et on retrouve dans la texture particulière de ces
Cookers une partie de son œuvre d’arrangeur qu’il a développé au sein du New
Jazz Composers Orchestra.
Cela dit, pour vous inviter à découvrir ce disque,
plein d’une musique de grande ampleur, intense, brillante et toujours intrigante
qui réunit autant de talents que de qualités, autant de tradition que
d’invention, une musique de culture, du jazz avec ce qu’il faut de blues, de
swing et d’expression; du jazz toujours donc.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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George Coleman
A Master Speaks
Invitation, The Shadow of
Your Smile, Blues For B.B.*, Blondie's Waltz, You'll Never Know What
You Mean to Me, Darn That Dream, Sonny's Playground, These Foolish
Things , Time to Get Down George Coleman (ts), Mike
LeDonne (p), Bob Cranshaw (b), George Coleman, Jr. (dm), Peter
Bernstein (g)*
Enregistré le 24 novembre
2015, New York
Durée: 1h 06' 04''
Smoke Sessions Records 1603 (http://smokesessionsrecords.com)
Le trop rare George
Coleman (de ce côté de l’Atlantique) nous revient sur l’excellent
label new-yorkais Smoke Sessions Records avec cet enregistrement qui
date de la fin de 2015 et nous donne un autre plaisir, celui de
réécouter Bob Cranshaw qui nous a depuis quittés et qui donne de
beaux chorus comme sur «Invitation», une magnifique composition
immortalisée par John Coltrane, et ici magnifiée d’une autre
manière par George Coleman. George Coleman est un saxophoniste ténor
au son profond (plus rarement à l’alto) qui a l’âge de notre
revue (1935), et qui fait partie avec Phineas Newborn, Booker Little
et quelques autres de la grande légende de Memphis. Et ces «quelques
autres», c’est aussi B. B. King, le grand guitariste, lui aussi
disparu aujourd’hui, auquel est dédié un fort beau et classique
thème, «Blues for B. B.», avec la participation de Peter Bernstein
très à l’aise sur le blues, en souvenir de ces musiciens de blues
que côtoya George Coleman dans sa jeunesse, et bien sûr B. B. King,
parmi eux. A l’époque, il transcrivait en même temps Charlie
Parker, sans hiatus, car il s’essayait à l’alto.
Il prit le ténor car B. B. voulait un ténor… Merci B. B.! Comme la
plupart des bluesmen, George Coleman prit la route de Chicago, se
mêlant aux Gene Ammons, Johnny Griffin, John Gilmore, Clifford
Jordan, Ira Sullivan… On peut faire pire comme environnement, car
il oublie quelques noms encore, comme Von Freeman, dans ce bon texte
de pochette, une interview réalisée par Eric Alexander, lui-même
excellent ténor, ce qui atteste de la vitalité et de l’imagination
de ce label qui, non seulement nous gratifie de magnifiques
enregistrements d’un jazz de culture de haut niveau, mais apporte à
ce contenu de beaux livrets, autant par le contenu que par la forme
(belles photos, bons renseignements discographiques, bons textes…). Mike LeDonne est cet excellent pianiste habitué des belles sessions d’enregistrements et des
grandes rythmiques new-yorkaises. Aucune faiblesse, il fait toujours
ce qu’il faut pour que la section rythmique soit dans l’esprit de
la musique. Le batteur n’est autre que le fils de George Coleman,
et il est excellent. On sent évidemment une complicité forte dans
les ponctuations car ils se connaissent sur le bout des doigts, même
si ce disque est leur premier enregistrement commun. Le répertoire fait appel,
à part égale, aux standards et aux originaux de George Coleman,
avec de belles versions, toujours d’une grande élégance. Mike
LeDonne apporte une composition. Le titre, A Master
Speaks, fait donc autant référence à cette interview qu’à
cet enregistrement, et c’est suffisamment rare pour mériter un
indispensable car ce musicien a côtoyé le gotha du jazz (Max Roach,
Charles Mingus, Miles Davis, Red Garland, Ahmad Jamal, Harold Mabern,
Lee Morgan, Shirley Scott, Lionel Hampton, Elvin Jones, Slide
Hampton…) et donne encore ici un témoignage de son talent dans un
registre qui mêle blues, swing, modernité et tradition («These
Foolish Things») avec le naturel des grands artistes.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Zule Guerra
Blues de Habana
CD +
DVD: Sin tu mar, Blues de Habana, Tú no sospechas, You’ve
changed*, Lo material, Corcovado*, Esfera eterna, A contratiempo (*
titres absents du DVD)
Zule Guerra (voc), Ronaldo Rivero (p, back
voc), Roger Rizo (p), Victor Benítez (s), Pedro Aguilar (b, back
voc), Humberto Quijano (dm), Degnis Boffill (perc, back
voc)
Enregistré le 15 Octobre 2014, La Havane (Cuba)
Durée:
1h 14' (CD)
Egrem 1367 (www.zuleguerra.com)
Cuba possède une assez
belle quantité de voix féminines qui s’aventurent dans le jazz:
Arlety, Wendy Vizaino, Yanet Valdés, Melvis Santa, Brenda Navarette,
Leyanis Valdés, Leyssie O’Farrill… Parmi ces jeunes voix, Zule
Guerra, dont c’est le premier disque, est peut-être celle qui
(avec Yanet) est la plus engagée dans le jazz même si elle utilise
l’expression à la mode «Nu Jazz»... C’est sur une composition
personnelle «Blues de Habana» -le nom de sa formation- qu’on
appréciera le plus sa voix en mode jazz. Autre thème où
elle met ses qualités vocales en évidence «You’ve changed». Il
est difficile de passer derrière Billie Holiday mais la chanteuse
tire son épingle du jeu. Elle est même au détour de certaines
phrases assez splendide malgré sa jeunesse. Yasek Manzano, -le must
de la trompette à Cuba- présent sur ce thème est magistral. Elle
rénove aussi la belle composition de Marta Valdés «Tu no
sospechas», un classique du filín cubain. Le filína renouvelé la chanson cubaine dans les années 50 en incorporant
souvent brillamment des harmonies jazz mais Zule va un peu plus loin,
permettant aux musiciens qui l’accompagnent d’être moins au
service de la mélodie et davantage à celui du jazz. Dans le genre
elle est l’auteur de «Sín tu mar». Ce morceau met en
valeur le talent du saxo alto Benítez. Un thème surprenant, «Lo
material», composé par le regretté Juan Formell, le patron
du clubLos Van Van. Issu du filín il est totalement
transfiguré. La Guerra s’y exerce au scat avec une certaine
réussite. Nous avons un faible pour le pianiste Roger Rizo, entendu
bien souvent en club. Il est invité pour «Corcovado». Zule est
encore surprenante dans sa capacité à prendre une voix brésilienne
pour chanter en portugais. Le batteur et le percussionniste se
mettent bien mis en évidence. On remonte aux années soixante quand
les jazzmen du monde entier aimaient reprendre le thème. «A
contratiempo», très long thème qui s’étire sur un quart
d’heure, s’appuyant sur un rythme rumbero s’envole vers
le jazz sous l’impulsion du vétéran Bobby Carcassés, ici au
chant, mais poly-instrumentiste et maître cubain du scat. La
trompette de Manzano réapparait en fin de thème. Zule Guerra est
aussi l’auteur du thème «Esfera Eterna» pour lequel elle invite
un rappeur de qualité, Alexey Rodríguez.
Le DVD reprend une
large partie du concert d’où provient l’enregistrement live. Il
permet de faire connaissance visuellement avec Zule et ses musiciens
ainsi qu’avec Yasek et de voir à l’œuvre le phénomène Bobby
Carcassés.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Harold Lopez-Nussa
El Viaje
Me voy pa’Cuba,
África*, Feria, Lobo’s Cha, Bacalao con pan, El Viaje**,
Mozambique en MiB***, D’una fábula, Inspiración en Connecticut,
Oriente, Improv (Me voy pa’Cuba)
Harold López Nussa (p,
kb), Alune Wade (eb, voc), Ruy Adrián López Nusa (dm, perc),
Mayquel González (tp, flh), Dreiser Durruthy (batá, voc*), Adel
González (perc**), Ruy Francisco López Nussa (dm***)
Enregistré
en février 2015, La Havane (Cuba)
Durée: 54'
Mack Avenue 1114
(www.mackavenue.com)
Depuis qu’il s’est fait connaître
par un prix à Montreux, le pianiste cubain Harold López Nussa s’est
bien implanté en Europe, joue assez souvent aux Etats-Unis et n’a
pas quitté sa terre natale ce qui lui permet de jouer du jazz qui
continue de se nourrir de ses racines; il se tient ainsi à distance
d'un latin jazz (souvent triste), toujours en vogue chez les
musiciens d'un moindre intérêt. Ce El Viaje dont les titres
font référence à l’Afrique, le Connecticut, l’Orient… débute
et se termine par «Me Voy pa’Cuba», une composition d’un autre
jeune pianiste habanero, Aldo López Gavilán, lui aussi primé
à Montreux. C’est-à-dire que le voyage démarre et s’achève
dans l’île. Cela symbolise sans aucun doute le parcours de Harold,
de beaucoup de musiciens, de plasticiens… mais sans doute également
d’une foule de jeunes gens qui, quelle que soit la vie qu’il ont
choisie (ou pas choisie) de mener, gardent les pieds ancrés dans lecocodrilo verde, Cuba.
Même si, comme pratiquement
chez tous les jeunes pianistes de l’île, son jeu est très
percussif, le style de Harold se démarque de celui de ces derniers
car chez lui ce n’est pas le jazz que valorise la musique cubaine
mais bien celle-ci qui donne sa saveur particulière à son travail
comme c’est très nettement le cas dans le thème cité plus haut,
enrichi, en outre, de la voix africaine du bassiste et chanteur
sénégalais Alune Wade, déjà présent sur un disque antérieur de
Harold. On apprécie aussi la reprise du thème sous forme
d’improvisation en final du disque, moment quand Alune et tous les
Cubains acteurs de l’enregistrement échangent verbalement et se
livrent à une belle descarga d’où émerge la trompette de
M. González. Ça groove grave! «África», hors du jazz, porte
évidemment la marque de Wade mais aussi des rythmes des religions
afro-cubaines en se référant à la déesse Yemaya. Les tambours
batá et le drum régalent! Nous gardons de «Feria» le jeu
rapide à la main droite de Harold, son explosivité et l’excellence
de la rythmique. Le pianiste a chipé à l’oncle Ernán une très
belle composition «Lobo’s Cha» ce qui permet d’apprécier ses
aptitudes à un jeu plus mélodique mais plus marqué du point de vue
percussif que celui de Ernán, confirmant l’impression générale
du jeu de Harold mentionnée plus haut. Le thème historique deIrakeré,«Bacalao con Pan», composé par Chucho Valdés, est repris
et arrangé par Harold. Nous aimons cette version qui originellement
prenait toute sa valeur à travers la voix de Oscar Valdés et les
percussions mais qui ici -sans faire l’impasse sur ces dernières
et en conservant l’esprit originel- met très en évidence le jeu
au piano plus intéressant que le keyboard de Chucho. Ruy Adrián et
Dreiser avaient un défi à relever devant leurs sets de tambours…
Ils s’en sortent parfaitement. «El Viaje» est le titre d’une
composition du pianiste. Belle mélodie chantée, beau travail de
tous les musiciens mais, bien qu’il soit symbolique, le thème
n’est pas notre préféré. «Mozambique en Mi B» fait référence
à un rythme crée par Pello el Afrokán au début des années
soixante. L’homme était un percussionniste et Harold et ses
partenaires sont à l’aise pour jouer ce thème. «D’una fábula»
manque un peu de dynamisme. Sur «Inspiración en Connecticut»,
Harold est un frappeur de touches et cela donne un bel ensemble avec
les drums et les percussions. Il devient plus délicat au milieu
du thème et le final est excellent avec le backing vocal. C’est un
autre des bons moments du disque. «Oriente» est très beau, tout en
douceur, avec une belle séquence du trompettiste et une très brève
partie vocale pour terminer.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ernán López Nussa
Invención Lekszycki
Flash, Esto no es
una elegía, La Viña del señor, Instantes, N.Y. no eres tú, La
Felicidad, Invención Lekszycki, Rumba Francesa, Free Way
Ernán
López Nussa (p), Gastón Joya, (b), Enrique Plá, Ramsés
Rodríguez(dm), Orlando Sánchez (cl, ts), Juan Carlos Marín (tb),
Roberto García (tp), Kelvis Ochoa (voc), X. Alfonso, Ruy Adrián
López Nussa (prog)
Enregistré en 2013, La Havane
(Cuba)
Durée: 46'
Colibri 444 (www.ernanlopeznussa.com)
Un rappel. Lekszycki est le nom de la
mère de Ernán, polonaise et française, pianiste classique et
première professeur de Ernán. Récemment le pianiste, à travers
des compositions, lui a rendu divers hommages. Outre le thème qui
porte son nom, l’ensemble du disque, la manière de jouer en est
un. Le disque débute par une composition de Ernán, «Flash», un
thème dynamique. Le jeu de Gastón Joya,
un jeune et brillant contrebassiste, est vigoureux et on a droit à
un solo magistral. Ramsés Rodríguez, le
batteur régulier de Roberto Fonseca apporte sa modernité et sa
versatilité. Le ténor Orlando Sánchez offre un solo démentiel, à
la limite du free!
L’influence maternelle de Ernán se fait
sentir réellement dans «Esto no es una elegía», un très vieux et
surprenant thème du trovador Silvio Rodríguez. Autre thème
d’Ernán, «La Viña del señor», un danzón peu
classique débuté par un ragtime est plaisant. La sautillante
clarinette de Sánchez en est l’attraction. E. Pla, batteur
historique de Irakereet depuis plusieurs années partenaire attitré de López
Nussa offre le meilleur appui qui soit à ce dernier qu’il connait
sinon du bout des ongles certainement de celui de ses baguettes. Ce
thème fait assurément partie des recherches actuelles que mène le
pianiste sur les liens entre les musiques cubaine et new-orléanaise.
On replonge dans la tradition classique avec la composition du
Géorgien Tariverdiyev, ponctuellement détournée -notamment la fin
surprenante-, une chose dont López Nussa raffole. Toute la science
et la virtuosité du pianiste jaillit. Joya s’illustre à l’archet
et Pla offre un joli travail percussif. «N.Y. No eres tú»,
nostalgique, est chanté par Ochoa, une voix capable de s’inscrire
dans tous les répertoires. On l’entend même et surtout avec les
jeunes de Interactivo.Surprenant aussi «La Felicidad» composé par… Pablo
Milanés arrangé ici de telle façon qu’il apparaît hors de tout
le répertoire par lequel Pablo a forgé sa célébrité. Ce thème
s’inscrit alors dans ce qu’on a l’habitude d’appeler lamusique classique et permet à López Nussa de poursuivre
l’hommage maternel. Ernán distille les notes d’une manière
soignée avec l’appui de Joya et Plá, tous deux extrêmement
attentifs à leur leader. Très beau thème. L’excellente formation
classique qu’ont tous les pianistes cubains et le travail intense
que fournit Ernán depuis des années culmine dans sa composition
«Invención Lekszycki». Le pianiste ne pouvait offrir meilleure
création et meilleure interprétation à Madame Wanda Lekszycki. La
«Rumba Francesa», composition parfaite du point de vue de la
rythmique rumbera et bien en clave, est une fantaisie
de Ernán à partir de la chanson de Brassens «Margot». Le
disque s’achève par «Free Way», création très moderne de López
Nussa pour laquelle il fait appel aux programmateurs. Le neveu
batteur Ruy Adrián et le chanteur X. Alfonso en sont chargés.
Restons honnête votre serviteur n’a pas vibré sur cette
conclusion.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Race Records
Black Rock Music Forbidden on U.S. Radio 1942-1955
Titres détaillés dans le livret
Jay McShann, Jim Wynn, Memphis Slim, Amos Milburn, Joe Lutcher, JimmyLaurie, Rufus Thomas, Little Junior, John Watson, Howlin' Wolf, Jocko Henderson, Big Maybelle, Sonny Terry
Enregistré entre le 7 juillet 1942 et le 7 novembre 1955, New York, Los Angeles, Chicago, Oakland, Detroit, Houston, Philadelphie, Linden, Atlanta, Nashville, Cincinnati, New Orleans, Memphis, Newark
Durée: 3h 21' 16''
Frémeaux & Associés 5600 (Socadisc)
Encore un coffret avec un livret de Bruno Blum. Le titre «Race Records» ne convient pas à la période traitée. Nous l'avons déjà écrit dans Jazz Hot et dans le journal Chicago Defender (fondé en 1905), c'est la communauté concernée qui utilisait elle-même l'expression «The Race», non péjorative. Les Race Records lui sont destinés jusqu'à ce qu'à la fin des années 1940, on lui substitute le terme «Rhythm and Blues» (plus politcally correct), étiquette commerciale en vigueur jusqu'aux années 1960, désignation qui comme l'a dit Jerry Wexler «n'expliquait pas grand-chose quant à la nature de la musique». En effet, on y trouve de tout du moment que c'est noir (y compris du jazz qui ignore en être). Blum utilise le mot «rock», pour, selon sa thèse, insister sur l'existence d'un genre avant la «vogue du Rock'n Roll» lancée avec (et non par) les artistes blancs (Bill Haley, Elvis Presley) en 1954-56. Néanmoins ce n'est pas un bon choix car aux Etats-Unis, l'étiquette «rock» désigne tout et n'importe quoi (Presley, les Beatles, Hendrix) d'une part. Et, de plus, les amateurs de rock'n roll ne se reconnaissent plus dans le rock depuis qu'il devint «hard» (vers 1968) avec un martelage binaire. En 1969, l'ouvrage Talkin' That Talk de J.P. Level (éditions Clarb) traçait le sens des mots: «to rock», littéralement balancer ou bercer («some woman rocks the craddle» dans «That Crawlin' Baby Blues» de Blind Lemon Jefferson, 1929), mais aussi danser, swinguer («rock it man!») et...baiser («you can rock in rhythm by the music that you hear», dans «Feather Bed Blues» de Bumble Bee Slim, 1935). Level nous dit que les mots «rock» et «roll sont pour la première fois réunis dans «Rock It for Me» par Ella Fitzgerald. C'est bien du «Rock'n Roll» dont parle Blum, qui pour nous n'est rien d'autre, en blanc ou noir, qu'un style jazz basique fondé sur le piano boogie (il existe un country boogie bien blanc!), le saxophone hurleur, la contrebasse slap, l'after beat à la batterie et des riffs, le tout pour danser (genre de Lindy Hop: «if you don't scrub that kitchen floor, you ain't gonna rock'n roll no more» dans «Yakety Yack» par les Coasters, 1958).
Bruno Blum n'aime pas que l'on présente l'avant Presley comme les «racines» du rock'n’roll (d'où l'absence de référence au travail de Gérard Herzhaft pour le même label); pour lui, les titres ici retenus représentent la première génération rock'n roll. Thèse nouvelle? Non. Mettons de côté le provocateur Nick Tosches (Heros oubliés du rock'n roll, les années sauvages du rock avant Elvis, éditions Allia) pour remonter à un texte de Kurt Mohr en 1968 : «les premiers rock'n rollers désignés comme tels étaient des saxophonistes ténors qui s'étaient fait une spécialité de chauffer à outrance...Illinois Jacquet donna l'impulsion à ce genre de spectacle, mais les vrais 'spécialistes' furent Big Jay McNeely, Willis Jackson, Joe Houston, Morris Lane, etc...Ce genre connut un succès considérable entre 1949 et 1954, ainsi qu'en attestent de nombreux enregistrements... Or c'est bien là, historiquement parlant, l'authentique, la première rock'n'roll music». Oui mais, pour Bruno Blum, selon sa selection, il faut un/une chanteur/se. Revenons au livre de Level et sa définition du rock’n’roll: «style musical», 1/ «vers la fin des années 1940, un style sur tempo rapide, chanté par des blues shouters (Louis Jordan, Joe Turner, Roy Brown, Wynonie Harris) auxquels répondait souvent un saxophoniste hurleur (Honker), devint extrêmement populaire auprès du public noir», 2/ «dans la deuxième moitié des années 50, ce même style, quelque peu "blanchi" et mâtiné de "country and western", et de "hillbilly", accédait à la popularité mondiale», etc. Bruno Blum ne veut pas que 1/ soit effacé par 2/ et propose p16 du livret: «Quand les Noirs d'Amérique vont-ils rappeler à chacun que le rock [sic] fut longtemps un joyau de leur culture? Ou peut-être est-ce une partie du rock blanc qui devrait inversement être admis dans la grand histoire du "rhythm and blues"?» Il semble que la deuxième formulation est déjà entrée dans les mœurs, et que préférer «Jambalaya» par Fats Domino plutôt que par Jerry Lee Lewis n'est qu'un avis critique (Crow Jim?) dans un domaine musical identique. A noter p16/27, Red Saunders est batteur pas trompettiste.
Ce coffret de 3 CDs est très homogène stylistiquement: que du jazz-blues. Que peut-on ajouter à l'écoute de blues shouters comme Big Joe Turner, Wynonie Harris, Little Richard, de pianistes boogie tels que Milt Buckner («Rock and Roll», 1948), de ces basses slapeuses (Willie Dixon: «Rockin' the House», 1946; Ransom Knowling: «Kansas City Blues», 1951), guitares amplifiées swinguantes (Lightnin' Hoplins: «Lightnin's Rock» -seul instrumental; Ham Jackson: «Rock Savoy, Rock», 1952; Floyd Murphy, frère de Matt: «Feelin' Good», 1953), sax hurleurs efficaces (Hal Singer dans son «Rock Around the Clock», 1950; Rufus Gore : «I'm Going to Have Myself a Ball»; Don Hill: «It Rocks! It Rolls! It Swings!», 1951; Lee Allen: «Down the Road», 1953), batteurs pas encore lourds (Judge Riey: «My Baby Left Me», 1950; Bobby Donaldson: «Rock and Roll», 1950; Cornelius Coleman: «No No Baby», 1951; Herman Manzy: «I'm Your Rockin' Man») et à ces riffs simples et jubilatoires (Dizzy Gillespie-John Coltrane: «We Love to Boogie», 1951; Jesse Drakes-Sam Taylor-Dave McRae: «Jumpin' in the Morning», 1952)? sans parler des musiciens à tort anonymes aussi jazz que représentatifs de ce style d'interprétation jouissif. Anthologie recommandée.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Henry Mancini
From Glenn Miller Story to The Pink Panther
Titres détaillés dans le livret
Tex Beneke Big Band, formations de studio (direction Henry Mancini)
Enregistré entre le 29 juin 1951et 1995, Hollywood, New York, Los Angeles, Paris
Durée: 2h 25' 40''
Frémeaux & Associés 5499 (Socadisc)
Henry Mancini (1924-1994) est avant tout pour la postérité un compositeur-arrangeur et chef d'orchestre pour les musiques de film et le CD1 concerne cette activité. On trouve des thèmes entrés dans la mémoire collective: «Baby Elephant Walk», «Moon River» (ici en duo: Bob Bain, g, Audrey Hepburn, voc), «Peter Gun» (orchestration luxuriante avec des cors typique de Mancini). Le livret indique le film d'où sont extraites ces bandes sonores (avec des imprécisions de personnel). Bien évidemment, la musique devant coller au scénario, souvent destinée à souligner un climat («Experiment in Terror»), toutes les musiques et façons de jouer sont sollicitées: rock'n’roll («Lease Breaker», Plas Johnson, ts!), cha cha cha («The Big Heist»), etc. Manifestement, Mancini est à la recherche constante d'un son: piano bastringue («Blue Angel Pianola» par Ray Sherman, 1958), motif de flûtes (piccolo et alto: «The Little Man Theme»), guitare amplifiée («Spook!», solo de Plas Johnson, ts!), opposition orgue avec section de cordes («Mr Lucky»). Pour être varié ça l'est et c'est souvent superlativement joué par les meilleurs instrumentistes du monde, les requins des studios de la Côte Ouest. Ces musiciens peuvent tout interpréter exactement dans le style voulu, les solistes ne manquant pas de personnalité. Ils sont notamment des jazzmen dont la particularité est d'être techniquement infaillibles. Du jazz, il y en a: «Free and Easy» joué de façon très west coast avec solo de cor (John Graas, je pense) et d'un ténor «cool» (1956); «Big Band Bwana» (section de trompettes swinguement drivée par Conrad Gozzo ; Bud Shank, as, 4/4 Don Fagerquist-Ray Triscari, tp). Une rythmique swing amène «Not From Dixie» avec des solos de Ronnie Lang (bs), Milt Bernhart (tb) (1958). L'introduction à «Siesta» est bop. On remarque la performance de Shelly Manne (dm) dans «My Man Shelly», sorte de démarquage de «Li'l Darling». Le même se montre parfait batteur de big band dans «Crocrodile, Go Home!» (1961, Jimmy Rowles, p, Bud Shank, as) et dans «Kelly's Tune» (1962, Red Mitchell, b, Ted Nash?, ts). Jimmy Rowles est bon dans «A Mild Blast» et très basien dans «New Blood».
Le CD2 est consacré, par divers orchestres, aux compositions de Mancini ou à ses orchestrations de thèmes signés par d'autres: «Robbin's Nests» (Ronnie Lang, bs), «Blue Flame» (Dick Nash, tb), «After Hours» (Vic Feldman, vib), «Tippin' In» (John Williams, p, Frank Beach?, tp, Ted Nash, as), «How Could You Do A Thing Like That To Me?» (Ronnie Lang, bs, Pete Candoli, tp, Ted Nash, as), «Moanin'» (Larry Bunker, marimba, Art Pepper, cl). Il y a des succès de Mancini: «Peter Gunn» par Ray Anthony (1958, Plas Johnson, ts!), «Days of Wine and Roses» par un orchestre de studio (1962, Vince DeRosa, cor) et «The Pink Panther» par Claude Bolling (1995, Pierre Schirrer, ts). Il y a du contraste entre les cordes hollywoodiennes et des solistes de classe, comme dans «Politely» (1959, Dick Nash, tb). On constate des fidèles de Mancini tels John T. Williams (p) (block chords dans «A Cool Shade of Blue»), Vic Feldman (vib) et Shelly Manne (dm) derrière la pin-up Lola Albright («Straight to Baby»). Tex Beneke, ts, a enregistré ce «Dancer's Delight», excellent thème de Mancini, joué détendu (1951, Art DePew, tp). Bien sûr Mancini connait le «son Glenn Miller» pour section de sax avec une première voix de clarinette («Too Little Time», 1954, Paul Tanner, tb). Le «son Mancini» est illustré dans «The Blues» avec flûte alto et contrastes brutaux de cuivres (d'où la nécessité d'employer des pointures: Conrad Gozzo, tp1, Pete Candoli, Graham Young, Frank Beach, tp, 1960). Chez Mancini, c'est la recherche des alliages de sonorités comme «A Powdered Wig» avec clavecin, flûtes-clarinette (beau jeu de balais de Shelly Manne). Les personnels sont incompets : qui est le trompette solo dans «What's It Gonna Be» des Four Freshmen? Don Fagerquist? D'un point de vue jazz, signalons encore: «The Beat» (Ted Nash, ts, Pete Candoli, tp, Vic Feldman, vib), «Swing Lightky»(Art Pepper, as-cl, Dick Nash, tb, Pete Candoli, tp, Ronnie Lang, fl), «Far East Blues» (Dick Nash, tb), «Everybody Blow!» (Larry Bunker, marimba, Art Pepper, cl, Bob Bain, g, Dick Nash, tb, Ted Nash, as, Ronnie Lang, bs, Pete Candoli, tp). Du jazz parfois, plus «cool» que hot, mais pas seulement. Très utile pour les étudiants en orchestration.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Felice Reggio Trio
Chet's Sound
I Remember You,amours?, Arrivederci
Felice Reggio (tp, fgh), Manuele Dechaud (g), Massimo Curro (b)
Enregistré le 14 mai 2012, Gênes (Italie)
Durée : 58' 32''
Splasc(H) Records 1566.2 (www.splash-records.com)
La photo de couverture du livret montre une trompette Martin modèle Committee avec sa boîte ce qui peut symboliser Chet Baker (même s'il a joué autre chose aussi). La formule du trio, trompette-guitare-basse est on le sait, l'une des favorites de Chet. Tout ça est d'autant plus cohérent que l'italien Felice Reggio propose une musique jouée selon l'esthétique de Chet. Pour nos oreilles, Felice Reggio joue aussi du bugle (non signalé dans le livret) comme dans «Long Ago and Far Away» de Jerome Kern, «Just Friends» de John Klenner et «Estate» de Bruno Martino pour obtenir un son plus rond, plus chaud. Ce sont d'ailleurs de bonnes plages de cet album. Felice Reggio a personnellement rencontré Chet au conservatoire de Turin et a été marqué par sa belle interprétation d'«Estate». Il a joué avec d'anciens collaborateurs de Chet comme Philippe Catherine, Riccardo Del Fra et d'autres. Ici, il s'est entouré de deux jeunes musiciens de Gênes qui font parfaitement l'affaire. Felice Reggio a un superbe contrôle de la trompette et du bugle, une qualité de son qui rend son hommage crédible. Un disque très agréable pour les amoureux de Chet Baker et pour découvrir en France, Felice Reggio.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Steve Turre
Colors for the Masters
Taylor Made*, Quietude, Joco Blue*,
Coffee Pot*, Reflections, Mellow D for R.C.*, Colors for the Masters,
When Sunny Gets Blue, United, Corcovado**
Steve Turre (tb,
shells), Kenny Barron (p), Ron Carter (b), Jimmy Cobb (dm) + Javon
Jackson (ts)*, Cyro Baptista (perc)**
Enregistré le 25 février 2016, New
York
Durée: 1h 00' 51''
Smoke Sessions Records 1606 (http://smokesessionsrecords.com)
Steve Turre s’est évidemment fait
plaisir en réunissant une rythmique hors du commun, avec ces trois
Maîtres, déjà légendaires de leur vivant, que sont Kenny Barron,
Ron Carter et Jimmy Cobb. On imagine que le titre y fait référence.
Il a invité sur certains thèmes l’excellent Javon Jackson et Cyro
Baptista pour apporter quelques couleurs de plus à son jeu de
trombone qui joint le brillant, la virtuosité à l’expression.
Ecouter cet enregistrement d’une perfection absolue, où le swing,
le blues et la qualité de l’expression sont rois, où tout est à
découvrir de l’imagination de ces musiciens, sans que rien ne soit
au fond surprenant, et nouveau quand on les connaît, est d’une
certaine manière toucher à l’essence du jazz, une renaissance
perpétuelle. Le tromboniste est en pleine maturité
et se promène littéralement sur la magnifique toile qu’a tissée
une section rythmique qui tourne simplement comme une merveilleuse
horloge («Quiétude», belle présence de Kenny Barron, «Coffee
Pot»). On admire la mise en place de ces trois musiciens («Mellow D
for R.C.»), le brillant et la justesse de leurs «prises de parole»
comme leur capacité à se mettre au service de la musique et du
leader, un tromboniste d’un niveau exceptionnel aussi bien dans les
ballades («Quiétude», «Reflections», «When Sunny Gets Blue»)
que dans les up tempos. Chaque chorus du leader, des Maîtres
conviés, de Javon Jackson tout à son aise dans cette musique fille
des Messengers dont il fut membre, comme le leader, dans les années
quatre-vingt, est un moment de bravoure, une évidence. Rien n’est
superficiel ou pour remplir, juste ce qu’il faut, quand il faut,
avec des qualités d’invention de chacun, sans limite; une manière
finalement de classicisme. Steve Turre
possède une dynamique rare au trombone qui sonne parfois avec le
brillant d’une trompette («JoCo Blue», «United», etc.). Il
conserve son attachement dans les arrangements à un esprit proche de
Woody Shaw, des Messengers d’Art Blakey, d’Horace Silver,
finalement de son parcours dans le jazz comme le rappelle le bon
texte du livret de Todd Barkan (Jazz Hot n°671), le patron du
Keystone Korner, qui a bien connu, dans sa longue vie de patron de
club, l’ensemble de ces musiciens, et qui aujourd’hui apporte à
cet excellent label, Smoke Sessions Records, un complément
appréciable au niveau des textes. Après Spiritman, paru sur
le même label (cf. Jazz Hot n°677), Steve Turre poursuit une
œuvre d’une exceptionnelle qualité. Le répertoire avec des dédicaces à
John Coltrane (le beau «JoCo Blue»), à Ron Carter («Mellow D for
R.C.»), est un bon mélange d’originaux, de standards du jazz,
associant Wayne Shorter à J.J. Johnson et Monk. Il donne l’occasion
au tromboniste d’exploiter sa spécialité, les conques, dont il
sort de belles couleurs supplémentaires, proches parfois du
berimbau, comme sur le «Corcovado» de Jobim (avec Cyro Baptista) où
la section rythmique confirme sa capacité à mettre en valeur tous
les répertoires sans l’ombre d’une complaisance; c’est sans
doute une sorte de clin d’œil à Ron Carter dont on sait qu’il a
été le familier du grand compositeur brésilien sur scène.
Steve Turre faisait la couverture très
colorée de Jazz Hot n°604, et nul doute que nous avons
affaire à l’un des très grands trombonistes de l’histoire du
jazz. L’écoute du très beau «When Sunny Gets Blue», avec ses
beaux chorus (avec ou sans wah-wah) et ceux de Ron Carter et Kenny
Barron, sur le tapis de feutre dressé à la cymbale par le
monumental Jimmy Cobb, est un nectar. Indispensable!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Miroslav Vitous
Ziljabu Nights
Ziljabu,
Morning Lake, Ziljabe, Gloria’s Step Variations, Miro Bop, Stella
by Starlight Variations, Interview with Miroslav Vitous
Miroslav
Vitous (b), Ayden Esen (kb), Gary Campbell (ts), Roger Bonisolo (ts,
ss), Roberto Gatto (dm)
Enregistré
le 25 juin, Gütersloh (Allemagne)
Durée:
1h 09'
Intuition 71320 (Socadisc)
Même
si Miroslav Vitous déclare: «Je ne peux copier, parce que la musique
originale est en moi est si forte, qu’elle resurgira toujours. Je
suis chanceux», ce nouvel opus de la série Live at the Theater Gütersloh rappelle fort ses débuts au sein de Weather Report. Bien des années
ont passé mais le contrebassiste tchèque de retour en sa terre
natale, réemprunte les voies de sa consécration sur la scène jazz. Il est entouré ici d‘une
solide équipe internationale des plus sérieuses, le soufflant
américain Gary Campbell épaulé du canadien Robert Bonisolo, du
pianiste turc, Aydin Essen et de l’italien Roberto Gatto, qui
servent d’écrin à la dextérité sonore et aux multi effets d’un
des contrebassistes des plus marquants du renouveau du jazz. D’emblée
«Ziljabu» et «Morning Lake»,deux longs morceaux, donnent le
climat serein de l’album durant lesquels chacun a le temps de poser
ses bagages, le public ne s’y trompe pas et sa réaction enchantée
semble unanime. Dans un esprit de pureté, dénué d’artifice, il
livre une belle prestation solo sur «Gloria’s Step Variations»
puis laisse la voie libre à des solos successifs de ses comparses
sur «Miro Bop» qu’il épaule à l’archet et à la pédale
wah-wah. Pour conclure en beauté il emprunte à Victor Young, son
«Stella by Starlight» et en tricote bien des variations ou
s’entremêlent les aiguilles agiles de ses partenaires . Cet album
nous rappelle que sa contribution à la redéfinition est la place de
son instrument dans le jazz moderne reste prépondérante, à l’égal
d’un Jaco Pastorius ou Steve Swallow. Un album actuel qui fleure
bon le souvenir dirigé par une jeune homme de 70 ans. Dans l'interview "bonus", en anglais et allemand, menée par le
journaliste Gôtz Buhler, le contrebassiste précise que son premier album
américain, Infinite Search,
enregistré en 1969 , accueillait à ses côté Herbie Hancock, John
McLaughlin, Jack DeJohnette. Miroslav Vitous était arrivé peu de
temps avant aux Etats-Unis, grâce à un échange culturel et son
premier employeur régulier était Herbie Mann. En 1970, il cofondait
avec Joe Zawinul et Wayne Shorter le groupe Weather
Report qui publiait son
premier album éponyme en 1971.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Andreas Schaerer
The Big Wig
Seven Oaks, Preludium, Zeusler, Wig
Alert, If Two Clossuses, Don Clemenza
Andreas Schaerer
(voc, beatboxing, human tp), Andreas Tschopp (tb), Matthias Wenger
(as, ss, fl), Benedikt Reising (bar,bcl), Marco Müller (b),
Christoph Steiner (dm, marimba)+ Orchestra of the Lucerne Festival
Academy dirigé par Mariano Chiacchiarani
Enregistré le 5 septembre 2015,
Lucerne (Suisse)
Durée: 53’
ACT 9824-2 (Pias)
Cette production très soignée, qui
comporte un CD et le DVD live, englobe un vaste champ musical qui va
de la musique classique et contemporaine au jazz, en passant par
l’opéra, la comédie musicale et/ou la musique de film.
L’association du groupe Hildegard Lernt Fliegen, dirigé par
Andreas Schaerer, avec l’orchestre symphonique du Lucerne Festival
Academy donne un résultat étonnant et détonnant. Le chanteur
suisse est aussi professeur à l'Université des Arts de chant jazz
de Berne et il a fondé avec ses élèves l’Hildegard Lernt Fliegen
en 2005. La même année, il intervient en tant que formateur durant
le Festival de Lucerne où Pierre Boulez invite des jeunes musiciens
venus du monde pour des répétitions intensives. Ils présentent
ensuite le fruit de leur travail dans une série de concerts
exceptionnels. Fort de cette expérience il répond pour 2015 à une
commande qui lui permet de marier ses expériences jazz et
d’improvisateur à un grand orchestre symphonique. «The Big Wig»
est donc une suite en six parties où il alterne performances vocales
et dialogues avec grand orchestre qui met en valeur ses compositions
originales. Il utilise allégrement les cordes et se sert des
percussionnistes comme de véritables puncheurs. Par moment on pense
à du King Crimson, du Kurt Weill ou du Danny Elfman sous la houlette
d’un Tim Burton revisité à une sauce très personnelle. Il
reconnaît avec cette création avoir les moyens et le luxe
d’exprimer ses idées musicales qui recèlent bien de surprises
dont un final «Don Clemenza» que Frank Zappa n’aurait pas renié.
Amateurs de jazz straight-ahead s’abstenir.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Daahoud Salim Quintet
Jazz Getxo
La
Llamada, El Mayor Truco del Diablo, Historia del Tiempo, Tráfico
Daahoud
Salim (p), Bruno Calvo (tp), Pablo Martinez (tb), Hendrik Müller
(b), SunMi Hong (dm)
Enregistré
en juillet 2016, Getxo (Espagne)
Durée:
32’
Errabal 089
(www.errabaljazz.com)
Le
jeune pianiste (26 ans) signe ici son second album, enregistré en
direct durant dernier le Festival de Jazz de Getxo où le groupe
remporta le concours des jeunes groupes et qu’il doubla avec un
premier prix de soliste. Natif de Séville il s’éveille au jazz
auprès de son père, le saxophoniste Abdu Salim, et dès 4 ans
aborde le piano. Formé en Espagne, puis au Danemark et au Pays Bas,
il se produit professionnellement très jeune mais ne signe son
premier album qu’en 2016 intitulé Forbidden où il interprète des œuvres du compositeur Erwin Schuloff
(1894-1942) décédé dans les camps nazis. Il s’est produit en
Europe à la tête de ce quintet régulier qui réunit des musiciens
rencontrés en Espagne et au Conservatoire d’Amsterdam (Müller,
Hong), c’est donc une formation rodée et rompue à la scène qui
sert avec vigueur ses compositions et lui permet de se libérer pour
se livrer tout entier. Les introductions peuvent rappeler le McCoy
Tyner des années 70 qui soulignent fortement le thème avant de
partir sur les chemins de l’improvisation. La courte durée de
l’enregistrement, sans doute due à une contrainte de temps du
concours, laisse présager le meilleur à venir. Sans aucun doute à
écouter en concert car autant lui que ses musiciens vibrent
d’affronter les aficionados d’un jazz haletant. Une mention
spéciale à chacun des soufflants mais aussi au soutien endiablé de
la batteuse coréenne SunMi Hong. A suivre.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Lee Konitz - Kenny Wheeler Quartet
Olden Times. Live at Birdland Neuberg
Lennie’s,
Where Do We Go From Here, Kind Folk, On Mo, Olden Times,
Aldebaran-Play Fiddle Play, Kary’s Trance, Bo So, No Me
Lee
Konitz (as), Kenny Wheeler (tp, flh), Frank Wunsch (p), Günter
Plümer (b)
Enregistré
le 4 décembre 1999, Neuberg (Allemagne)
Durée:
1h 18' 31''
Double
Moon Records 71146 (Socadisc)
Lee Konitz
Frescalalto
Stella
by Starlight, Thingin, Darn That Dream, Kary’s Trance, Out of
Nowhere, Gundula, Invitation, Cherokee
Lee
Konitz (as,voc), Kenny Baron (p), Peter Washington (b), Kenny
Washington (dm)
Enregistré
le 30 novembre et 1er décembre 2015, New York
Durée:
51’
Impulse!
0602557208733 (Universal)
Seize
ans exactement sépare ces deux enregistrements qui n'apparaissent
pas si différents et qui reflètent la vitalité tranquille d’un
musicien entré dans un âge vénérable. Vétéran du jazz, Lee
Konitz a 72 lors de ce concert au Birdland de Neuberg et son
partenaire, Kenny Wheeler, en a presque 70, tous deux présentent
une carrière des plus longues et intenses dans l’histoire du jazz.
Des parcours distincts dans des esthétiques qui, lors de ce concert
en Allemagne, se combinent pour laisser place à une belle entente.
Trois ans auparavant ils avaient enregistrés ensemble pour le label
ECM, le remarquable Angel Song avec comme partenaires Dave Holland (b) et Bill Frisell (g). Respect
mutuel pour un live sans contrainte, juste pour le plaisir. Quatre
des compositions sont signées par Kenny Wheeler, musicien très
prolixe tandis que Lee Konitz qui a souvent préféré sur ses albums
graver des standards et moins de compositions personnelles.
Atmosphère très calme lors de cette soirée où l’on s’imprègne
d’une certaine langueur fort agréable. Peut-être est-ce
l’absence de batteur qui concentre notre attention sur ses thèmes
intimistes délivrés avec tendresse et presque mélancolie. Les
titres de Kenny Wheeler «Where Do We Go From Here», «Kind Folk»,
«On Me» superbe, sont tous dans un tempo assez lent qui permet à
chaque soliste, notamment le pianiste, Frank Wunsch, de fignoler leur
intervention. Quant à «Olden Times», qui donne le nom à l’album,
toujours signé de Wheeler, il nous propose un solo de trompette à
l’unisson qui ravira tout mélomane. Les compositions de Lee
Konitz, «Lennie’s», «Thingin» et «Kary’s Trance» restent
ancrés dans l’héritage du bebop et son alto avec moins de vergue,
peut rappeler Charlie Parker. Les accompagnateurs ne sont pas en
reste, le contrebassiste Günter Plümer signe «Aldebaran» ou son
introduction est magistrale. Le pianiste Frank Wunsch
a composé les deux titres qui concluent l’album, «Bo So»
interprété en solo et «No Me» (en bonus sur cette réédition),
une ballade parfaitement arrangée ou chacun apporte sa touche qui
fait de cette soirée en club un grand concert de jazz où on aurait
aimé être dans le public. Avec Frescalalto, Lee
Konitz entre
pour la première fois chez Impulse!qui lui offre le studio Avatar
de New York comme écrin pour enregistrer son 204 ou 205e album! L’équipe est solide et le tout fut bouclé en deux jours
par des techniciens de haut niveau. L’album est à la hauteur du
plateau et Lee Konitz trouve en Kenny Baron un alter ego de haut vol.
On retrouve les mêmes thèmes composés et souvent joués par Lee
Konitz «Thingin, Kary’s Trance» et «Gundula» déjà gravé
quatre fois, complétés de grands standards. Il s’essaie même au
chant sur «Darn That Dream» d’Eddie DeLange et James Van Heusen,
plutôt une introduction à une ballade en duo avec Kenny Barron qui
tire le morceau vers le haut. La
qualité de l’album est indéniable même s’il ne revêt pas une
qualité indispensable. Peut-être une belle introduction pour de
jeunes auditeurs qui auraient la flegme de plonger dans de plus vieux
enregistrements. Après une brève introduction sur «Invitation»,
Lee Konitz laisse le champ libre au trio qui nous enchante et permet
à chacun de s’exprimer. L’album
se clôt sur «Cherokee» de Ray Noble, titre phare de Fats Navarro
avec qui il a joué dés 1949 avec Lennie Tristano, son maître et
Sonny Stitt, une version dépouillé, sans artifice qui prouve que
Monsieur Konitz a su traverser le temps et conserver une passion et
une vigueur qui lui permet d’être toujours présent sur la scène.
Chapeau.
Michel Antonelli
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Vincent Herring
Night and Day
Grind Hog's Day*, Night and Day, The
Adventures of Hyun Joo Lee*, Walton*, The Gypsy, Fly-Little Bird-Fly*,
Wabash, Theme for Jobim*, There Is Something About You (I Don't Know),
Smoking Paul's Stas*
Vincent Herring (as), Jeremy Pelt (tp)*, Mike LeDonne (p), Brandi DisterHeft (b), Joe
Farnsworth (dm)
Enregistré le 22 août 2014, New York
Durée: 1h 02' 24''
Smoke Sessions Records 1504 (http://smokesessionsrecords.com)
Vincent Herring, un excellent
saxophoniste alto, faisait la couverture du n°568 des 65 ans de Jazz
Hot en mars 2000, et s’il a pris un peu d’âge, il continue
son chemin dans le jazz sans changer ce qui fait son talent, un
enracinement dans un jazz de culture post bop, parfois coltranien
(«Wabash »)mais aussi proche de Cannonball Adderley par l’énergie
et le son pulsé («Night and Day», «The Gypsy»…) avec du swing,
le sens de la mélodie et un drive toujours enivrant. Ceux qui aiment
le jazz ne pourront qu’apprécier ce bel enregistrement où se sont
retrouvés un quintet de musiciens qui excellent dans ce registre:
Jeremy Pelt est brillant («Fly-Little Bird-Fly»), avec un bon délié
des notes, Mike LeDonne, percutant, en disciple parfois de McCoy
Tyner («The Adventures of Hyun Joo Lee»), Joe Farnsworth, explosif,
toujours aussi appréciable par ses qualités de drive, capable de
délicatesse, de musicalité et de relances puissantes. Ces musiciens
font le bonheur de la scène new-yorkaise, sans aucune esbroufe, ils
sont le jazz. Vincent Herring est un vrai leader. Il
a posé un cadre esthétique, sélectionné un beau répertoire,
construit un disque et instillé un esprit, il est à sa place pour
lancer la machine, mais laisse toute la place à ses compagnons avec
une solidarité et une confiance qui donnent cohésion et cohérence
à l’ensemble. Chacun sait en effet où il se trouve et connaît la
langue: le jazz! Au total, rien à jeter, une heure de
vrai jazz du meilleur niveau, qui ne bouleverse rien de l’histoire
mais apporte une belle pierre de plus à l’édifice culturel. Cela
peut sembler banal à certains, mais c’est parce qu’au fond ils
n’aiment pas le jazz, qu’ils sont ignorants des millions de
racines nécessaires à une telle musique et ne sont plus en état
d’apprécier la beauté d’une musique authentique.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Pierre Christophe Quartet
Live! Tribute to Erroll Garner
Erroll’s Theme-Passing Through, When
Your Lover Has Gone, Dreamy, 7-11 Jump, The Loving Touch, That’s My
Kick, Tea for Two, Misty, On the Street Where You Live, Dancing
Tambourine, Erroll’s Theme-Encore
Pierre Christophe (p), Raphaël Dever
(b), Stan Laferrière (dm), Laurent Bataille (cga)
Durée: 57' 25''
Camille Productions MS 022017
(Socadisc)
Ce disque rend hommage à Erroll
Garner, un phénomène unique du clavier qui connut une gloire
dépassant largement le cercle du public de jazz, sans jamais
sacrifier une once de son immense talent, mais eut quand même à
subir de son vivant le mépris de la «nouvelle» critique pour cela.
Ce succès, Erroll Garner l’a construit autour d’un style
proprement cinématographique, digne des plus grands concertistes de
l’instrument, toujours appuyé sur un swing, une pulsation
rythmique personnalisée (décalage du temps entre ses deux mains
pour donner plus de ressort, d’impulsion à ses attaques). Erroll
Garner, né en 1921 dans une place forte du jazz et du piano
(Pittsburgh, Pennsylvanie, où sont aussi nés Mary Lou Williams,
Ahmad Jamal et Art Blakey…) a disparu prématurément en 1975 a
seulement 52 ans. Toutes les générations, et pas seulement parmi
les amateurs de jazz, nées avant 1960 ont quelque part dans leur
cerveau, sans le savoir, ce décalage rythmique devenu sa signature.
Au-delà, c’était un formidable créateur de mélodie,
instrumentiste, rythmicien, un génie du piano à l’égal des plus
grands. Pierre Christophe est l’un des
pianistes de jazz de la scène française parmi les plus brillants,
doué d’une belle main gauche, comme en possèdent les pianistes
épris de la grande histoire du piano jazz. Il est aussi l’un de
ceux qui conservent un attachement sincère et savant à la grande
tradition, et il a été élevé à la très bonne école pour tout
cela du grand Jaki Byard, disparu, lui aussi prématurément, lors
d’un fait divers dramatique. Dans cet hommage, sans faiblesse ni de
goût, ni de style, ni de technique, il glisse d’ailleurs parfois
quelques traits de son maître dans l’univers garnérien, ajoutant
sa manière avec une maestria dont peu sont aujourd’hui capables.
Il emmène ses compagnons avec un drive qui se hisse au niveau de ses
aînés, et c’est un vrai plaisir d’écouter cet enregistrement live où les présents ont certainement passé l’une des
meilleures soirées de leur vie. Accompagné par les fidèles et
talentueux Raphaël Dever et Stan Laferrière (lui aussi bon
pianiste, mais également batteur, guitariste, arrangeur, un homme
orchestre), une section rythmique dans l’esprit. Note de culture et
de bon goût, il a, avec pertinence inclus un percussionniste,
Laurent Bataille, comme le fit parfois Erroll Garner, apportant ainsi
une dynamique rythmique encore plus marquée. On se souvient des
enregistrements effectués à Copenhague (1971) et à Paris (1972) avec
l’excellent Jose Mangual aux percussions.
Le répertoire sélectionné par Pierre
Christophe est bien équilibré entre le registre swing avec
l’éternel «Misty» et «On the Street Where You Live», «That’s
My Kick», le côté cinématographique avec «When Your Lover Has
Gone », «Dreamy», la dimension spectaculaire et inventive avec
«Tea for Two» (percussions), «7-11 Jump», «Dancing Tambourine»
où Pierre Christophe glisse des byardises au milieu des
garniérismes, et même parfois quelques notes de Count Basie pour
ponctuer, sans oublier le blues toujours présents avec «Erroll’s
Theme-Passing Through». Mais au fond, tout, le swing, le blues,
Garner, Byard, Pierre Christophe et le jazz sont partout présents
dans une savante synthèse. Pierre Christophe, comme Philippe
Milanta, est parmi ce que le jazz en France donne de meilleur au
piano, et Michel Stochitch, qui a coproduit ce disque avec Pierre
Christophe (Camille Productions), a donc bon flair, et ils ont eu de
plus la complicité de trois excellents musiciens, qui, délaissant
pistons et anches, ont apporté leur concours éclairé à cet
excellent enregistrement: François Biensan (mastering), Boss Quéraud
au crayon (belle illustration) et Carl Schlosser (enregistrement).
Un disque indispensable autant pour
lui-même que pour rappeler à tous, connaisseurs ou néophytes, quel
formidable artiste est Erroll Garner, un éternel à redécouvrir
sans modération.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Ernie Watts Quartet
Wheel of Time
Letter From
Home, A Distant Light, Inner Urge, Andi's Blues, L'Agua Azul, You And You,
Velocity, Goose Dance*, Wheel of Time (Anthem for Charlie)
Ernie Watts
(ts, ss*), Christof Saenger (p), Rudi Engel (b), Heinrich Koebberling (dm)
Enregistré les
1er et 2 décembre 2015, Darmstadt
Durée: 59'12''
Flying Dolphin
1011 (www.erniewatts.com)
Le dauphin volant nous propose la plus
récente production, sortie en avril 2016, du quartet européen
d'Ernie Watts. Le titre de l'album est un morceau qu'Ernie Watts a
dédié à Charlie Haden pour qui il a joué presque trente ans dans
le Quartet West. Le présent groupe joue ensemble depuis plus de
quinze ans, d'où l'homogénéité. Reste qu'il faut aimer la
sonorité geignarde et pas très ample, sans vibrato et plutôt terne
d'Ernie Watts. Il a d'ailleurs parfois un son d'alto sur le ténor
(alto dont il joua chez Buddy Rich). Non qu'il ne puisse "s'animer"
quelque peu, par exemple dans «Inner Urge» de Joe Henderson, seul
morceau avec «Goose Dance» de Farrugia qui ne soit pas l'inévitable
(aujourd'hui) «compo perso» des membres du groupe. C'est un produit
ni répulsif ni enthousiasmant. En in comme en off, on entend au long
des festivals dits de jazz (à défaut d'écouter) ce genre de chose,
qui n'accroche pas, mais qui ne dérange pas. Le disque peut faire
ambiance lors d'une réunion de rédaction sans perturber. Au rang du
sympathique sinon plus : une bossa paisible, «L'Agua Azul» (bon jeu
de balais) et l'exotisme rollinsien de «Goose Dance» (re-recording
de sax ténor et soprano non indiqué). Mieux encore, «Andi's
Blues», thème du bassiste, Rudi Engel qui s'est donné le beau rôle
(solo –beau son–, alternative ténor-piano-basse et
basse-batterie avec balais). Enfin, Rudi Engel, en soliste, rend un
hommage crédible à Charlie Haden dans «Wheel of Time». «The
Wheel of Time turns, and brings change» lit-on: oui, mais pas
systématiquement pour le meilleur.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Jean-Marc Foltz / Stephan Oliva
Gershwin
Somehow, The Man I Love, Fascinating
Rhythm/Someone to Watch over Me, 'S wonderful, My Man’s Gone Now, A
Foggy Date/Rhapsody in Blue, I Can’t Get Sarted, Rhapsody in Blue
Theme, Summertime, ‘S wonderful (Evening), Prelude n°2 Blue
Lullaby, I Love(s) You Porgy
Jean-Marc Foltz (cl, bcl), Stephan
Oliva (p)
Enregistré en janvier 2016, Pernes-les-Fontaines (83)
Durée: 45' 06''
Vision Fugitive 313012 (Harmonia Mundi)
Un clarinettiste et un pianiste
seulement, cela pourrait paraître un peu léger pour aborder la
musique de George Gershwin. Pourtant, Jean-Marc Foltz et Stephan
Oliva réussissent avec brio à gagner ce pari. Compensant leur
nombre par une palette sonore d'une infinie variété, ils
réussissent à trouver des points de vue inattendus le long de ces
sentiers battus et archi battus que l'on croyait connaître par cœur. Ils parviennent de plus, avec élégance, à y intégrer trois
courtes compositions personnelles qui se fondent parfaitement dans
ces paysages redécouverts. Une réussite, magnifiée par un très
beau livret de photos et d'affiches anciennes.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Bill Evans
The Quintessence. New York - Newport. 1956-1960
CD1: Waltz for Debby, Five, I Love You,
Concerto for Billy The Kid, All about Rosie, Stratusphunk, Nardis,
Fran-Dance, Like Someone in Love, Some Other Time, Young and Foolish,
Tenderly, Peace Piece + CD2: Early Morning Mood, On Green
Dolphin Street, My Heart Stood Still, Blue in Green, East Side
Medley: Autumn in New York, Autumn leaves, Spring Is Here, Peri's
Scope, What Is This Thing Called Love, Blue in Green, Chromatic
Universe I, II, III
Bill Evans (p) + personnels détaillés
dans le livret
Enregistré 1956 à 1960, New York,
Newport (détails dans le livret)
Durée: 1h 12' 43'' + 1h 12' 31''
Frémeaux & Associés 290
(Socadisc)
Tout a déjà été écrit dans Jazz
Hot sur le pianiste Bill Evans. Cette compilation en deux CDs
permettra pourtant à tous ceux qui ne connaissent pas l'intégralité
de son oeuvre, de se faire une idée d'une fraction (car il a
enregistré jusqu'en 1980, l'année de son décès, et il n'avait que
27 ans lors de ces premières séances) de l'étendue de son génie.
On y trouvera avec plaisir quelques-uns des enregistrements qu'il a
faits avec des musiciens moins connus que Miles Davis, John Coltrane
, Cannonball Adderley, Chet Baker, Benny Golson ou Art Farmer.
Quelques extraits plus rares de ses participations aux groupes
dirigés par l'arrangeur George Russell ou menés par l'altiste Hal
McKusick trouvent parfaitement leur place aux côtés des
incontournables perles de son propre trio avec, selon les prises,
Scott LaFaro, Teddy Kotick, Sam Jones ou Paul Chambers à la
contrebasse. Saluons encore une fois l’extrême qualité et la
précision des livrets de The Quintessence, cette collection
de rééditions... indispensable.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Stefano Bollani
Joy in Spite of Everything
Easy Healing, No Pope, No Party, Alobar
e Kudra, Las hortensias, Vale teddy, Ismene, Times from the Time
Loop, Joy in Spite of Everything
Stefano Bollani (p), Mark Turner (ts),
Bill Frisell (g), Jesper Bodilsen (b), Morten Lund (dm)
Enregistré en juin 2013, New York
Durée: 1h 15' 55''
ECM 2360 3784459 (Universal)
La musique, a priori légère,
commence comme un gentil calypso puis se poursuit sur le schéma
diabolique d'un blues digne de Thelonious Monk. Suivront une sorte de
valse swing, des ballades, une comptine en forme de jeu de pistes en
questions/réponses, des thèmes dont le tempo rapide maîtrisé
reste fluide. Aucune véhémence, le discours est
limpide malgré sa complexité, et le swing omniprésent. Sur des
canevas d'une rigueur inflexible, le pianiste leader permet au sax
et au guitariste, qualifiés parfois de «musiciens un peu froids»,
de révéler une inattendue et chaleureuse expressivité. La
contrebasse et la batterie rivalisant de légèreté, l'ensemble est
d'une grande cohérence et procure... de la «joie en dépit de
tout»... et par les temps qui courent tout baume est le bienvenu.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Classic Jam Quartet
Portraits
Jingle, La danse de Maë, Insomnia,
Contrabajeandro retrato de Jean-Marc, Contrabajeandro, Misma pena retrato de
Fabrice, Misma pena, Adios nonino retrato de Olivier, Adios nonino, Little Man,
La Javanaise, Just so, Canto triste, The Good Life*
Fabrice Moretti (ss, as*), Philippe Chagne (as),
Olivier Defays (ts), Jean-Marc Volta (bcl)
Enregistré du 6 au 8 juillet 2016, Mantes la
Jolie (78)
Durée: 55' 12''
Klarthe Records 012 (Harmonia Mundi)
C'est quasiment le quatuor de saxophones classiques depuis l'ère de
Marcel Mule et du Quatuor de la Garde Républicaine, sauf qu'au sax baryton se
substitue la clarinette basse. Du reste, le groupe se veut «à la croisée du
monde classique et du jazz». Fabrice Moretti, professeur au conservatoire
du Xe arrondissement de Paris et essayeur chez Buffet-Crampon,
représente avec Jean-Marc Volta, membre de l'Orchestre National de France, le "parti classique". Ils font coalition avec deux représentants du "parti jazz",
Philippe Chagne et Olivier Defays dont nous avons déjà parlé (Jazz Hot n°678, Men in Bop, Ahead 829-2). «Jingle» de Chagne est virtuose et bref
(0'52''). La couleur amenée par la clarinette basse est très intéressante comme
le démontre «La danse de Maë» de Defays, notamment dans le
mouvement lent avec cadence où elle est soliste. Les espaces d'improvisation
sont astucieusement aménagés sur des motifs écrits pour trois voix comme dans «Insomnia»
de Laurence Allison. Le seul problème est qu'une contribution improvisée n'est
pas la définition du jazz (car il y en a une depuis 1934). Il n'empêche que si
ce n'est pas du jazz, c'est de la belle musique jouée par des instrumentistes
dotés d'une excellente technique et d'une grande musicalité sans aspérités. «Contrabajeandro»
d'Astor Piazzolla orchestré avec art est une belle évocation de la danse,
permet d'apprécier le sax soprano, pur et juste, chantant, qui en d'autres
mains et autres contextes est un instrument redoutable. «Misma pena»
et le très connu «Adios nonino» sont deux autres compositions de
Piazzolla adaptées par Jean-Marc Volta qui, relevant plus des sonorités
classiques (constat et non pas critique) sont d'excellents moments artistiques
qui ne trahissent le lyrisme de l'Argentin. Ces orchestrations sont précédées
par des récitatifs qui s'autorisent des accents jazz (plage 8 par le ténor
d'Olivier Defays). L'introduction avant d'aborder le thème de «Canto
Triste» du Bréslien Edu Lobo est trop longue et démotivante. Philippe
Portejoie a écrit un sympathique arrangement de «La Javanaise» de
Gainsbourg, ici interprété avec classe: succès assuré! Il faut attendre le
dernier titre, «The Good Life» d'Ornette Coleman arrangé par Claude
Brisset pour entendre un travail swingué en section d'anches.
Il se trouve que
j'ai toujours aimé les quatuors d'anches classiques, un point personnel qui ne
justifie pas de conseiller aux exclusifs du jazz d'acquérir ce CD. Mieux vaut
l'écouter avant, ce qui fera aussi office d'ouverture d'oreilles sur un
ailleurs expressif.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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François Laudet Quintet + One
Gene Krupa Project
Midget, Drum Boogie, Georgia on My Mind, Idaho, Jungle
Drums, Disc Jockey Jump, Let Me Off Uptown, Swedish Schnapps, Imagination, Stop
The Red Light's On, Overtime, Coronation Hop, Skylark, Summt Ridge Drive,
Indian Club
François Laudet (dm), Malo Mazurié (tp), Esaie Cid (as, cl, arr), Pablo Campos
(p), Cédric Caillaud (b), Marie-Elisabeth Floquet (voc)
Enregistré: les 29-30 juin 2016, Chérisy
Durée: 52' 38''
Autoproduction (laudet.francois@gmail.com)
François Laudet, qualifié, rend hommage au Gene Krupa des années 1950 en
petites formations avec les Willie Smith et autre Charlie Shavers qui est ici
l'auteur de plusieurs thèmes. Il s'agit d'un quintet avec la présence d'une
chanteuse dans quatre titres («Georgia», «Let Me Off Uptown», «Stop, The Red
Light's On», «Skylark»). Evidemment, François Laudet est remarquable, évoquant
même le son de Gene Krupa dans «Drum Boogie». Nous avons le plaisir de
retrouver Malo Mazurié (cf. Jazz Hot n°677, Three Blind Mice) qui
s'était imposé dans la lignée Roy Eldridge aux côtés de Michel Pastre (2015, Charlie
Christian Project). On retrouve ici son jeu plein de drive («Swedish
Schnapps», «Disc Jockey Jump», etc). A noter toutefois un vibrato marqué («Jungle
Drums», la belle ballade «Imagination» où Esaie Cid est très bon) qui passe
mieux avec la sourdine («Skylark»). Les arrangements sont souvent très bien
conçus comme «Idaho», «Overtime» et «Coronation Hop». L'un des deux derniers
cités aurait pu être placé en début de programme car chacun s'y exprime en solo
(Laudet est à un très haut niveau de finesse dans «Coronation Hop»). Esaie Cid
semble tout connaître de Louis Jordan à Paul Desmond en passant par Johnny
Hodges qu'il évoque dans son premier solo sur «Jungle Drums», plage ou Pablo
Campos est également excellent. Cid joue aussi de la clarinette avec un léger
growl et beaucoup de swing dans «Summit Ridge Drive» où Malo Mazurié s'impose
aussi avec le plunger.
Une formation qui espérons-le, trouvera sa place dans
nos festivals.
Charles Chaussade
© Jazz Hot n°680, été 2017
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Albert Sanz Trio
O que será
Soberana
rosa, O que será, Antes que sea tarde, Outros sonhos, Mil perdões,
Mar e lua, Desperar jamais, Daquilo que eu sei, Aula de matemática,
Sophisticated Lady
Albert Sanz (p), Javier Colina (b), Al Foster
(dm)
Enregistré les 28 et 29 novembre 2011, New York
Durée:
57'
Karonte 7835 (www.albertsanzmusic.com)
Albert Sanz Trio
For Regulars Only
For
Regulars Only, Mil perdões, Medo de amar, You’ll Hear It, Medley
(A Single Petal of a Rose, Le Sucrier de velours, Stop Start)
Albert
Sanz (p), Javier Colina (b), Al Foster (dm)
Enregistré en mai
2012, Madrid (Espagne)
Durée: 54'
Records d’Albert 001
(www.albertsanzmusic.com)
Albert Sanz & Sedajazz Big Band
L'Emigrant
Movilidad
exterior, L’Emigrant, Fuga de cerebros, Bird's Eye, Si de vora meu
un dia, Forêt, Levando anclas, Lisboa adormece, A base de bé, Anu
Raniya, Movilidad exterior
Personnel détaillé dans le
livret
Enregistré les 9, 10 et 11 juillet 2016, Valence
(Espagne)
Durée: 1h 06'
Sedajazz 038 (www.sedajazz.es)
Le
pianiste valencien Albert Sanz a toujours été fasciné par la
batterie. Quand il écoute un concert il veille toujours à être
proche du drummer. On comprend pourquoi une de ses obsessions a été
d’enregistrer avec un grand batteur et il a su convaincre Al
Foster, accompagné par le brillant contrebassiste Javier Colina. Les
deux Espagnols ont ainsi rejoint Al à New York pour finaliser le
projet. Curieusement, alors qu’en club le trio a joué Dexter
Gordon, Ellington, Lee Morgan et des compositions d'Albert, ce
dernier a choisi pour le disque un répertoire brésilien et
principalement des thèmes de Ivan Lins et Chico Buarque. L’ensemble
est marqué par une grande délicatesse («Soberana Rosa», «Outros
sonhos», «Mil perdões»…) à travers laquelle on apprécie
pleinement les qualités de Sanz, qui -on le savait déjà- est,
outre Pyrénées, un des pianistes les plus doués de sa génération.
Sanz et ses partenaires s’éloignent de toute tentation de fusion
jazz-bossa ou jazz-samba et s’inscrivent pleinement dans le jazz.
Le classique «O que sera» de Chico est admirable. On est à deux
doigts de frissonner devant l’interprétation du pianiste. Le
thème, dont le trio sait sortir à bon escient, offre un beau solo
de Colina et Al Foster se coule dans le jeu de Albert. «Antes que
seja tarde», une fois présenté, est également un prétexte à ce
que, s’appuyant sur la section rythmique, le piano voyage dans le
jazz. L’introduction de Colina soutenue par le piano dans «Mar e
lua» est très belle. Sanz égrène ensuite ses notes, toujours avec
la même délicatesse, prenant progressivement le pas sur la
contrebasse. Al Foster laisse s’exprimer totalement ses deux
partenaires mais revient avec dynamisme pour «Desesperar jamais»,
un thème enlevé, swinguant à souhait. «Daquilo que eu sei» est
plus classique mais met bien en évidence les qualités de chacun des
membres du trio.
Le disque s’achève avec deux thèmes échappant
à Lins et Buarque. On reste au Brésil avec «Aula de matemática»
de Jobim puis apparaît Duke Ellington et, à travers «Sophiticated
Lady», se fait jour la personnalité d’Albert Sanz. Al Foster se
régale et nous régale. Combien de fois le batteur américain a-t-il
joué ce thème? On en sent l’imprégnation chez lui. Il l’a
intégré, le dompte, le domine et, avec la contrebasse de Colina,
dresse la table pour son leader. Superbe!
Avec les mêmes
partenaires, Albert enregistre au Cafe Central de Madrid six mois
plus tard. Foster n’est pas vraiment au courant… mais l’idée
est excellente car le résultat est formidable! Un concert en club
est souvent plus intéressant qu’un disque qui avec la profusion
des technologies modernes n’a jamais la chaleur du live. Cet
enregistrement in vivo, avec des moyens certes plus limités
rend bien l’atmosphère du lieu. Le disque est vivant, chaleureux,
les musiciens relax… tout pour offrir une ambiance 100% jazz dans
laquelle on entre immédiatement avec le thème de Dexter Gordon «For
Regulars Only». Si dans le disque précédent, Albert Sanz montre
qu’il est un grand pianiste, il confirme là qu’il est un sacré
jazzman! On entend les musiciens marquer par quelques onomatopées un
plaisir évident. Beau solo de Colina, applaudissements du public.
Foster brille, à la caisse claire en particulier. La bonne idée
aussi est d’offrir -à l’exception de «Mil perdões»- des
thèmes différents de ceux enregistrés quelques mois avant. Ce
dernier titre est tout aussi délicat que dans la version studio. Une
citation du «Manisero» égrenée sur les notes du piano, avec un
super walking de Foster soulève l’enthousiasme du Cafe
Central. Le bruit de fond du club et les verres qui s’entrechoquent
donnent de la vie à l’enregistrement et cela ne perturbe en rien
ni le pianiste ni Javier Colina qui introduisent cette belle mélodie
de Vinicius de Moraes pour laquelle Al s’avère d’une grande
discrétion. Pour l’unique composition de Sanz, «You’ll Hear
It», Foster revient en force. Sa prestation est brillante, soutenue
par Colina. Le pianiste peut s’exprimer pleinement. Le trio swingue
et la seconde partie du thème est menée à un train d’enfer.
Effets de voix sans doute de Foster. Pour le long medley final (16
minutes) on réclame le silence. C’est nécessaire pour «Single
Petal of a Rose» puis «Le Sucrier velours» puisé dans laQueen’s Suite de Duke. Les deux thèmes sont tout en douceur.
Retour au swing avec «Stop-Start» de Lee Morgan. Les doigts de Sanz
s’agitent, Foster est très présent et Colina se montre
imperturbable. Sur le walking de Colina, Sanz et Foster se
déchaînent avec l’aide du public pour la conclusion de ce set.
Applaudissements fournis et on imagine sans problème la standing
ovation finale!
Avec le troisième enregistrement, L'Emigrant, on
retrouve Albert Sanz au sein du Sedajazz Big Band, véritable
institution depuis plus d’un quart de siècle, dont la réputation
dépasse largement le village de Sedavi, la région de Valence, et
s’étend à toute la péninsule. Tous les jeunes jazzmen de la Côte
Est de l’Espagne y ont à un moment ou un autre fait leurs armes,
d’autres, arrivés à un âge plus mûr, continuent de prêter leur
collaboration. Des noms? Eladio Reinon, un des pionniers de sa
direction. L’homme avait convié Bebo Valdés, avant même que
celui-ci ne soit "redécouvert", à enregistrer son Afro Cuban
Jazz Suite n°1 avec le big band. Perico Sambeat (as), Ramón
Cardo (ts)… plus récemment David Pastor (tp), Toni Belenguer (tb),
Latino Blanco (bs) qui le dirige aujourd’hui… et des dizaines
d’autres. Pour cet enregistrement c’est Albert Sanz qui en prend
les rênes et y officie avec pas moins de quatre trompettes, quatre
trombones, cinq saxophones, drum, basse et des invités. C’est
également lui l’auteur de huit des dix thèmes dont le fil
conducteur est assez clair: le voyage, l’émigration qui est
d’actualité, notamment chez les jeunes, en Espagne. Cette idée
directrice inclue le déracinement inhérent au monde que l’on
quitte et qui justifie un certain éclectisme provoqué par deux
titres rompant l’unité du disque. Albert Sanz confirme ici son
goût pour le travail en grande formation, comme il l'indique dans
l'interview à lire dans ce numéro de Jazz Hot. A l’écoute
de L’Emigrant, qui n’est pas sa première tentative à la tête
d’un grand orchestre, on s’aperçoit qu’il y réussit avec la
volonté ellingtonienne (dixit Albert) de penser aux musiciens avec
lesquels il va travailler plutôt que de composer de manière
abstraite. Chacun des ensembles saxos, trompettes et trombones
présente une homogénéité sans qu’aucune des parties ne sorte du
chemin prévu par Albert hormis dans les espaces pour solistes que
celui-ci a conçu et dans lesquels évidemment ceux-ci ont une large
liberté. On apprécie ainsi particulièrement le thème qui donne
son nom au projet «L’Emigrant» avec un solo de ténor de Vicent
Macian, né justement à Sedavi, que nous découvrons dans ce disque.
Par ailleurs, en tant que pianiste, Albert Sanz mène parfaitement la
section rythmique, ne monopolise pas la parole, laissant tous les
soli à ses partenaires. Il montre aussi ses qualités dans certains
passages de «Fuga de Cerebros», dans «Bird’s Eyes» sans doute
le meilleur thème du disque.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Perico Sambeat Big Band
Voces
La voz del viento*,
Viejo Mundo, Jardín de Luz**, La sombra de Ciro, Matilda*, Triptik,
Rosa dels vents**, Memoria de un sueño
Perico Sambeat (as, fl,
vib), Enrique Oliver, Vivente Macián (ts), Ernesto Aurignac (as),
Guím Garciá (as, cl), Joan Chamorro (bs), Voro García, Julían
Sánchez, David Martínez, Andrea Motis, (tp, flh), Carlos Martín,
Toni Belenguer, Victor Correa (tb), Dario García (tb), André
Fernandes (g), Joan Monné (p), Martín Leiton (b), Antonio Sánchez
(perc), , Silvia Pérez Cruz*, Viktorija Pilatovic** (voc)
Enregistré
les 5 et 6 octobre 2014, Barcelone (Espagne)
Durée: 59'
Karonte
7853 (http://pericosambeat.com)
La qualité musicale est le grand point
fort de cet enregistrement de Perico Sambeat. On comprend le temps
consacré à polir le projet, à réunir les musiciens adéquats
parmi lesquels quelques jeunes figures du jazz de la Côte Est (de la
péninsule!) et des vétérans comme Joan Chamorro, Joan Monné... Il
faut ensuite être capable d’écrire des arrangements à la hauteur
du projet et de diriger un big band de vingt musiciens! Dans ces deux
domaines le saxophoniste valencien a déjà montré ses compétences
avec son Flamenco Big Band de 2007 (on retrouve dans Voces,
quelques acteurs de l’époque). Voces (Voix) comporte
quatre titres chantés, deux par la réputée Silvia Pérez et deux
par Viktorija Pilatovic, jeune lituanienne ex-élève de la Berklee
à Valence, chacune se partageant l’espagnol et le valencien. Ce
sont deux belles voix bien adaptées au projet de Sambeat. Une réelle
unité mélodique existe entre les quatre thèmes et les deux voix.
La délicatesse prime avec quelques accentuations latines venues
d’outre atlantique. Evidemment l’orchestre est au service des
deux jeunes femmes et devient plus jazz lorsque les voix lui laissent
la place, avec quelques belles improvisations de Perico dans
«Matilda» et «Jardín de luz»; du guitariste André Fernandes sur
ce dernier morceau; de Joan Monné dans «La Voz del viento»; de
Joan Chamorro dans «Rosa dels vent». Les quatre autres
thèmes, purement instrumentaux, permettent d’apprécier Perico
Sambeat comme chef d’orchestre. Et sur ce plan, en Europe, peu
pourraient lui donner des leçons bien qu’il n’ait pas une
formation académique d’arrangeur ou de compositeur. Tout est
absolument minutieux, géré au millimètre. De toute évidence le
saxophoniste, amoureux des big bands, qui mentionne parmi ses
préférés Ellington mais aussi Wheeler ou Maria Schneider, prend
tout son temps pour élaborer ses travaux grand format. Et c’est
beau. Les unissons de trompettes tout comme ceux de trombones sont
parfaits et les solistes qui tous ont carte blanche ont intégré les
idées de Sambeat et insèrent parfaitement leurs improvisations afin
d’en tirer toute la saveur mais aussi pour donner une unité à
chaque titre. On relève évidemment ceux de Perico sur trois des
quatre instrumentaux («Viejo mundo», «Memoria de un sueño»,«La sombra de Ciro») et là on écoute l’un des meilleurs,
sinon le meilleur saxophoniste alto espagnol. Les belles choses
viennent encore de Fernandes sur les deux premiers de ces thèmes; de
Aurignac et toujours Fernandes («Triptik»); Oliver («Memoria de un
sueño»: beau duo avec Perico et intervention de Sánchez aux
percussions); Monné («Viejo mundo»), Voro García, un trompettiste
qui a beaucoup progressé ces dernières années sur «La Sombra de
Ciro».
Ce disque de Perico Sambeat, à l’heure où
fourmille une importante génération de jeunes musiciens aux talents
variés qui pour certains passent très vite d’une chose à l’autre
au gré de leur zapping, marque la permanence d’une précédente
génération qui en Espagne, principalement du côté de la
Méditerranée, a sorti dans les années quatre-vingt, le jazz d’un
marasme culturel très prononcé.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Gonzalo Tejada Quartet
To Norman Jeane Baker
Diamonds Are a Girl’s Best Friend*, A
Fine Romance, Kiss*, My Heart Belongs to Daddy, After You Get What
You Want*, I’m Through With Love… and I’m Dancing Alone,
Marilynrythm, Norma Jeane Baker*
Gonzalo Tejada (b), Mikel Andueza
(as, ts, ss, cl), Roger Mas (p), Iago Fernández (dm) + section de
cordes*
Enregistré les 18 et 19 octobre, Beasáin et le 23
novembre 2013, San Sebastián (Espagne)
Durée: 48'
Errabal
072 (www.errabaljazz.com)
Le contrebassiste
basque Gonzalo Tejada, économe en matière de disques, rend dans
celui-ci un hommage personnel à Marilyn Monroe. Il a réuni
d’excellents partenaires pour cet enregistrement et choisi six
musiques de films dans lesquels Marilyn joue et chante. Elles sont le
fruit de grands compositeurs, Kern, Porter, Berlin, Newman/Gillespie
et autres. Tejada en assure les arrangements et le travail est des
plus soignés. «A Fine Romance»: Marilyn l’a enregistré
en 1953. Si sa version manquait de swing, Tejada a réintégré
celui que surent donner en leur temps Billy Holiday puis Armstrong et
Ella. «Marilynrythm» est une des deux compositions de Gonzalo.
C’est certainement un des meilleurs moments de jazz grâce au swing
du quartet et un beau solo de Tejada. «My Heart Belongs to Daddy»,
a été chanté par Marilyn mais aussi, antérieurement, par Ella et
joué par Charlie Parker. Mikel Andueza, au ténor, s’en souvient
sans aucun doute lorsqu’il lance le thème accompagné par un
travail original du batteur qui s’éloigne de celui du drummer de
Parker. Mikel s’efface le temps nécessaire à l’exécution d’un
superbe solo de contrebasse. Sur les images du film Some
Like It Hot on voit l’actrice chanter, accompagnée par
un orchestre féminin, les deux thèmes «I’m Through With Love»
et «I’m Dancing Alone» que Tejada a rassemblés en un seul
pour cet enregistrement. C’est encore du bon jazz, éloigné du
style de l’actrice-chanteuse. Gonzalo a fait l’impasse sur les
cordes de la version filmée. Cordes que l’on retrouve sur le reste
du disque. Le contrebassiste a convoqué vingt-quatre musiciens de
l’orchestre d’Euskadi, les a dirigés et a écrit là aussi les
arrangements. Ceci donne une toute autre ambiance à ces quatre
thèmes. «Norma Jeane Baker» est une composition du Basque.
Le quartet introduit lentement l’orchestre. Le piano, la
contrebasse, égrènent leurs notes, c’est beau, chargé d’émotion,
celle sans doute que ressent Gonzalo envers Marilyn. Le saxophone
fait son retour à la fin d’un thème qui s’anime davantage avant
de conclure dans la douceur. Les cordes sont présentes aussi sur une
musique de Gentlemen Prefer
Blondes, «Diamonds Are a Girl’s Best Friend».
La clarinette tient le rôle de la voix de Marilyn et émerge
au-dessus d’un orchestre bien moins de turbulent que dans le film,
puis successivement le piano et la contrebasse se mettent en
évidence. «Kiss», issu de Niagara,
et «After You Get What You Want», valorise la direction de
l’orchestre par Tejada. Pour les deux thèmes c’est le soprano
qui est à l’honneur. Soulignons également la qualité du pianiste
Roger Mas et du jeune batteur Iago Fernández.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Christian Brenner
Le Son de l'absence
Cadences, Arborer Sens,
Le Doode, La Chambre rouge, Hypno-tic,
Le Son de l’absence Beslan, Happy Hours, Little Girl Blue*
Christian Brenner (p), Olivier Cahours (g), François Fuchs (b),
Jean-Pierre Rebillard (b)*, Pier Paolo Pozzi
(dm)*
Enregistré en mars et
novembre 2009, Paris et en avril 2009; Rome*
Durée: 44’ 08’’
Amalgammes 0002 (www.christianbrennerjazz.com)
Le Son de l’absence est un album à part dans la discographie de Christian Brenner. L’artiste
privilégie depuis toujours une certaine délicatesse qui l’éloigne des formes de
jazz les plus démonstratives. Fidèle à ses influences, le contexte émotionnel
de cet opus met en exergue le legs de Bill Evans, Fred Hersch ou Kenny Barron à
la sensibilité du pianiste. Installé à Paris depuis 1968, il fonde
l’association «Amalgammes» en 1995, qui défend cet héritage
culturel, produisant notamment ce disque, dont l’intimisme revendiqué ne le
destine pas forcément au grand public. Dès les premiers titres, «Cadences»
et «Arborer Sens» l’aspect dépouillé et purement acoustique du son
introduit à un déroulement très progressif des idées mélodiques, qui
s’enroulent autour d’un axe imaginaire sur lequel les musiciens greffent leur inspiration
du moment, à la manière dont on affinerait le grain d’une photographie sépia. A
l’exception du dernier morceau, Little Girl Blue», l’intégralité des
compositions est déclinée sans batterie, ce qui renforce l’esthétique très
musique de chambre d’un CD très justement sous-titré Trio(s), «La Chambre rouge» représentant certainement
l’item le plus emblématique de cette vision intérieure dénudée. Le point pivot
de l’album est «Le Son de l’absence», sorte d’œuvre-vie dédiée à
son épouse trop tôt disparue. C’est peut-être paradoxalement sur cet hapax
existentiel qu’il est le plus difficile d’entrer dans le flux harmonique
proposé par les musiciens. Après plusieurs écoutes, on comprend que l’aspect
convulsif et inchoatif du titre s’inspire de la période de recomposition qui
suivit la perte de l’être aimé pour Christian Brenner. Le mouvement imperceptible
qui se dégage des échanges entre musiciens met plusieurs minutes à atteindre
son apogée, et pourtant c’est sans doute ici que la soie du phrasé d’Olivier
Cahours se combine le mieux avec la sensibilité des notes choisies par le
pianiste. La combinaison de «Beslan» et de «Happy Hour»
est d’ailleurs un modèle du genre, sorte de préparation à une dernière piste
habitée par la grâce, sous l’influence conjuguée de Jean-Pierre Rebillard et
Pier Paolo Pozzi, deux compagnons de route chers au cœur de Christian Brenner. Un
magnifique album habité par une sincérité et un interplay exemplaires, où les silences eux-mêmes acquièrent un
pouvoir d’éloquence digne des discours les plus inspirés.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Christian Brenner
Les Belles heures
Sogni D’Oro, Les Petites pierres, Nove De Agosto; Le
Voyage; Praia Do Forte; Les Belles heures, Um Passeio A São Pedro De Alcântara,
Lua Vermelha, Terre Happy
Christian Brenner (p, elp, key), Stéphane Mercier
(as, fl), Cristian Faig (fl), Cassio Moura (g), Arnou de Melo (b), Mauro
Borghezan (dm)
Enregistré en mai 2014 et janvier 2015, Florianópolis
(Brésil)
Durée: 52’ 42’’
Jazz Brenner Music 001/2016 (www.christianbrennerjazz.com)
Christian
Brenner fait du voyage un principe d’ouverture au monde, ramenant de ses
pérégrinations des couleurs, des senteurs, des saveurs, qu’il intègre à la
trame de ses compositions personnelles. Il découvre le Brésil en 2011, en parallèle de l’organisation des soirées au Café Laurent à Paris (voir son interview dans ce
numéro 679), où il programme des sessions majoritairement acoustiques, qui
correspondent tant à ses goûts personnels qu’au jazz enraciné qu’on associe aux
grandes heures du quartier de Saint-Germain-des-Prés.
La
particularité de cet album, Les Belles
heures, est que le saxophoniste et flûtiste belge Stéphane Mercier joue sur
les quatre premiers titres, tandis que l’argentin Cristian Faig joue de la flûte
sur les cinq restants. Avec une tonalité plus acoustique sur la première moitié
du disque, et divers claviers électriques sur les pièces jouées avec le flûtiste,
beaucoup plus teintées d’harmonies sud-américaines, on passe donc du post-bop
emblématique de l’artiste, mâtiné de quelques influences classiques, à une musique
sud-américaine du plus bel aloi, sans jamais perdre les qualités associées au
talent de Christian Brenner, à savoir introspection et sens de l’harmonie, associés
aux velléités contemplatives et esthétiques qui parcourent les neuf pistes de
l’album. «Sogni d’Oro» amorce une tentative d’approche du continent
sud-américain tel qu’on peut le percevoir de Paris, avec une sorte
d’objectivation de l’exotisme destinée à rendre plus authentique la relation
sous-tendue. Sur «Les Petites pierres», on voit affleurer les influences
classiques qui jalonnent le parcours artistique du pianiste, les changements de
tonalité du morceau évoquant par moments
l’art du contrepoint propre à Jean-Sébastien Bach. On remarque au passage que
Christian Brenner conjugue ces influences avec un sens du rythme et de
l’orchestration jazz bien plus convaincant que celui de nombre de ses pairs. A
nouveau présentes dans «Le Voyage» et «Les belles
heures», on reste confondu du brio avec lequel le claviériste les intègre
à la trame de ce qui s’avère être une authentique approche world music de la
culture brésilienne. L’artiste a voulu conférer à l’œuvre enregistrée une unité
qu’auraient pu menacer les deux formations instrumentales distinctes qui
interviennent sur l’album. Il y est parvenu d’une façon remarquable si on
considère le fait qu’il utilise des claviers électriques sur les cinq derniers
titres, au nombre desquels le fameux Fender Rhodes sur lequel s’illustrèrent
des claviéristes comme Terry Trotter. Une autre trademark de Christian Brenner est l’aspect très progressif de
structures reliées entre elles par un entrelacs d’harmonies dont les liaisons
s’établissent aux termes de circonvolutions mélodiques multiples. Le lent
développement des idées qui préside au squelette de la plupart des compositions
fait partie de la magie du jazz telle que Christian Brenner la conçoit. Sans
passage de témoin obligé au moment des solos, les interventions lumineuses de Stéphane Mercier et de Cristian
Faig insufflent à cet album une fraicheur et une richesse telles qu’on peine
tout d’abord à concevoir ce que ces compositions doivent à la guitare de Cassio
Moura. Car il s’agit bien ici d’un jazz conçu par des musiciens qui jouent ensemble
plus qu’ils ne font leurs gammes chacun dans leur coin. Une musique que pourrait
sans doute illustrer la formule de Paul Auster «Le monde est dans ma tête, ma tête est dans le monde».
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Renee Rosnes
Written in the Rocks
The Galapagos suite: the KT Boundary, Galapagos, So Simple a Beginning, Lucy From Afar, Written in
the Rocks, Deep in the Blue (Tiktaalik), Cambrian Explosion, From Here to a Star,
Goodbye Mumbai
Renne Rosnes (p),
Steve Nelson (vib), Steve Wilson (fl, ss, as), Peter Washington (b), Bill
Stewart (dm)
Enregistré les 15-16 juin 2015, New York Durée: 57' 02''
Smoke Sessions
Records 1601 (www.smokesessionsrecords.com)
Joe Henderson, James Moody, Wayne Shorter, Bobby Hutcherson,
Ron Carter, NHOP, Jay Jay Johnson... La pianiste canadienne Renee Rosnes,
injustement méconnue de ce côté de l'Atlantique, ne manque pas de références,
et l'on comprend qu'elle soit «soutenue» par les pianos Steinway. Son
intérêt pour la recherche scientifique, de la naissance de la vie dans les
océans et de sa lente migration sur la terre ferme, justifie le titre de l'album et de tous les morceaux. Au sein d'une formation de rêve, elle livre ici une musique riche d'invention et d'enthousiasme. Un Jazz contemporain, serein et original, gorgé de swing et, puisqu'il s'agit d'histoire, promis à une longue postérité. Mais cela ne saurait occulter un sens aigu de la composition et des
arrangements, et un jeu de piano original et incisif qui fait
forcément penser aux fulgurances de McCoy Tyner.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Mighty Mo Rodgers
Mud 'n Blood
Goin’ South, Haunted by the Blues,
The Ghost of Highway 61, Unmarked Grave, Run Brother Run, Backroad
Blues, Devil Train Boogie, I Got a Call From the Devil, The People
Could Fly, Drivin’ Up, Juke Joint Jumpin’, White Lightnin’ and
High Yella, Love Will Only Make U Sweat, Everybody Needs the Blues,
Thank you Mississippi, Almost Home + Press conference
Mighty Mo Rodgers (elp, voc), Davyd
Johnson (ts), Dizzy Dale Williams, Butch Mudbone (elg), Darryl
Dunmore (harp), Derf Reklaw (bottle), Smiley Lang, Willie B. Sharp
(elb), Clarence Harris, Burleigh Drummond (dm), Margrette Floyd,
Patricia Rodgers (voc)
Enregistré en 2013 et 2014, Los
Angeles (Californie)
Durée: 41' 59''
Dixiefrog 8770 (Harmonia Mundi)
Nous chroniquons tardivement ce disque
paru en 2014, à l’occasion du passage à Paris, au Jazz-Club
Etoile, de Mighty Mo Rodgers (voir notre rubrique «compte rendus»).
Depuis son premier album, Blues Is My Wailin’ Wall (Blue
Thumb, 1999), poursuit une œuvre d’une remarquable cohérence, une
suite de «concept-albums» formant son «Blues Cycle». Avec ce
sixième opus, Mud ‘n Blood, le bluesman-philosophe, livre
un conte à la fois sombre et vivifiant (le disque est sous-titré «A
Mississippi Tale») qui est une remontée aux sources du blues, dans
le Sud profond. Le livret, très soigné, qui permet de lire les
paroles (elles en valent la peine) et ponctué de petits textes, de
plus traduits en français. Le propos liminaire de celui qui se
définit comme un «soldier of the blues» rend sa démarche limpide:
«Ce périple aura été long et parfois pénible pour moi. Une
voyage dans le Sud d’autrefois, effectué en emportant avec moi les
souvenirs d’un oncle qui avait passé douze ans et demi sur unchain gang, d’un père né tout juste vingt ans après
l’abolition de l’esclavage. Pourtant, cette expérience aura eu
sur moi des vertus curatives. Le blues vous aide à traverser
l’obscurité avant de faire la fête, une fois la lumière
retrouvée. J’aime le blues, une histoire américaine et un don
hérité de Dieu que ma communauté a offert au reste du monde.»
Tout est dit.
Le récit se partage entre côté
obscur(«Unmarked Grave», sur les terribles chain gangs –
chaînes de prisonniers condamnés aux travaux forcés – qui ont
perduré jusqu’aux années cinquante, ou «Run Brother Run», sur
les pendaisons sommaires) et côté lumineux («Juke Joint Jumpin’»,
sur les juke joints, ces établissements rudimentaires où les
travailleurs s’amusaient le soir, ou le jubilatoire «Everybody
Needs the Blues»). Mighty Mo effectue ici un travail de mémoire
essentiel, à travers différents petits tableaux retraçant le vécu
de la communauté afro-américaine. Il rappelle ainsi l’histoire
douloureuse du blues et son universalité, car il parle de la
condition humaine. Pour Mighty Mo, le blues est une vérité
essentielle, voire métaphysique, à laquelle il se consacre avec une
grande intégrité.
Toujours profond mais jamais
sentencieux, Mighy Mo Rodgers conclut cet album avec, en bonus
track, une vraie-fausse conférence de presse où il en remet
encore quelques louches avec un humour savoureux, concluant par un
message à sa communauté de naissance, dont il redoute qu’elle ne
finisse par perdre le fil de sa mémoire: «We all are the blues
people, and we got to get back to the blues».
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Dave Liebman/Richie Beirach
Balladscapes
Siciliana, For all We Know, This Is
New, Quest, Master of the Obvious, Zingaro, Sweet Pea, Kurtland,
Moonlight in Vermont, Lazy Afternoon, Welcome/Expression, DL, Day
Dream
Dave Liebman (ss, ts, fl), Richie
Beirach (p)
Enregistré en avril 2015, Zerkal
(Allemagne)
Durée: 1 h 14' 21''
Intuition 3444 2 (Socadisc)
Deux amis qui affichent cinquante ans
de relation musicale et quarante-trois ans de partage en duo. Pour
Dave Liebman, Richie Beirach est l’ancre du groupe, plus encore que
le couple basse-batterie. On peut en juger dans ce disque. Et cet
ancrage permet au saxophoniste, essentiellement au soprano (il
n’apparaît que trois fois au ténor, et pour un cours solo à la
flûte) de laisser libre cours à son lyrisme. Il joue avec ce qu’on
appelle un son droit, c’est à dire sans vibrato, mais avec une
sonorité chaude, moelleuse et cuivrée, qui évoque assez celle de
Steve Lacy; il sait être dans la force ou bien la délicatesse. Ces
deux musiciens possèdent au plus au point le sens du silence,
laissant respirer la phrase, la note; provoquant même le
recueillement sur les tempos très lents. Treize ballades, on
pourrait craindre l’ennui; il n’en est rien tant les morceaux
sont tendus, détaillés délicatement, chauffés dans les
profondeurs des sentiments. Comme par exemple «Welcome/Expression»
de Coltrane, avec Dave Liebman au ténor; c’est une calme
méditation belle comme un soleil qui invente l’aube; un chant
profond dans le grave du ténor, magnifié par le pianiste, qui
possède une main gauche riche harmoniquement, et qui souvent place
de savoureux contrepoints derrière la mélodie du saxophone. A noter
une très personnelle et convaincante interprétation de la
«Sicilienne» de J.S. Bach. C’est dans les ballades qu’on peut
goûter la profondeur expressive des musiciens. Et là on est à la
fête.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Claude Tchamitchian Sextet
Traces
Poussières d'Anatolie, Vergine, La
Route de Damas, Lumières de l’Euphrate, Antika, Les Cieux
d’Erzeroum
Claude Tchamitchian (b), Daniel Erdmann
(ts, ss), François Corneloup (bar, ss), Philippe Deschepper (g),
Christophe Marguet (dm), Géraldine Keller (voc)
Enregistré les 18 et 19 octobre 2015,
Pernes-les-Fontaines (83)
Durée: 55' 36''
Emouvance 1037 (Socadisc)
Comme pas mal
d’autres musiciens de jazz aujourd’hui, Claude Tchamitchian
plonge dans ses propres racines pour confectionner son jazz. On nous
dit que c’est André Jaume, dans les années quatre-vingt, qui lui
fit remarquer que «dans les inflexions de ses mélodies
affleuraient les traces de ses origines arméniennes», d’où
le nom du disque. On voyagera donc dans les «Poussières
l‘Anatolie», les «Lumières de l’Euphrate»,
jusque sur la «Route de Damas» sous «Les Cieux
d’Erzeroum». Il avait déjà travaillé sur les modes
orientaux avec son orchestre Lousadzak. Ici, il a élaboré une suite
consacrée à l’évocation du génocide arménien sous forme de
photographies sonores dont chaque thème est l’évocation d’un
épisode de la vie de personnages imaginaires, mais emblématiques
(voir le texte de Stéphane Olivier sur le livret). Il appartient à
la chanteuse Géraldine Keller de dire les textes parlés (tirés de
Seuils de Krikor Beledian, Editions Parenthèses, 1997),
souvent d’exhortation. Elle chante aussi d’une façon très douce
et mélancolique, se coule dans les ensembles, ou pratique le jodel
d’Europe centrale. Côté jazz, on peut noter un beau travail des
saxes: par exemple, le solo de ténor sur «La Route de
Damas» et surtout la prestation «en colère» de
François Corneloup au baryton, sur une batterie diluvienne, avec des
montées incroyables dans le suraigu; des cris de douleur et de
rage, avec également la prestation formidable du contrebassiste, et
un texte tragique qui parle de l’Euphrate mangeur d’hommes.
«Antika» est une délicate et belle ballade menée par
le ténor sur accompagnement de la contrebasse et tout le groupe, qui
se termine sur une longue plainte écorchée de la chanteuse:
très prenant. A noter un mouvant et captivant solo de contrebasse à
l’archet sur cet étrange et captivant «Antika».
Un bel album.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Enrico Pieranunzi/André Ceccarelli/Diego Imbert
Ménage à trois
Mr. Gollywogg, Première gymnopédie,
Sicilyan Dream, Medley: La Plus Lente Que Lente/La Moins Que Lente,
Hommage à Edith Piaf, Le Crépuscule, Mein Lieber Schumann I,
Medley: Romance/Hommage à Milhaud, Mein Lieber Schumann II, Hommage
à Fauré, Liebestraum pour tous
Enrico pieranunzi (p), André
Ceccarelli (dm) Diego Imbert (b)
Enregistré les 12, 13, 14, 15 novembre
2015, Meudon (92)
Durée: 53' 26''
Bonsaï Music 160901 (Harmonia Mundi)
On connait la propension des musiciens
de jazz, principalement en Europe, a puiser leur inspiration dans la
musique classique ou ailleurs. La résultat relève souvent d'un
collage artificiel, mais on note aussi quelques belles réussites
(Raphaël Imbert, Bach-Coltrane, Outhere Music). C'est
également le cas avec ce lumineux pianiste qu’est Enrico
Pieranunzi. On sait que ce n’est pas le thème qui fait le jazz,
mais son interprétation, et là, le trio est parfaitement
d’expression jazz, et du meilleur, et qui sait d’où il vient.
Pieranunzi s’inspire de thèmes puisés chez les impressionnistes,
d’ailleurs parfaitement adaptés à notre musique: Debussy, Fauré,
Satie. Et le plus grand de tous, Bach, privilégié par les jazzmen,
sûrement pour sa rigueur rythmique et d’autres qualités proche du
jazz. Des romantiques; Schumann, Liszt. Et plus proches de nous,
Poulenc et Milhaud. Le trio fonctionne à merveille avec un
Ceccarelli, discret et efficace, jouant essentiellement sur la caisse
claire et la ride pour assurer la pulsation et la relance dans la
grande tradition. Imbert joue avec une contrebasse chantante, sur
d’admirables lignes mélodiques. Et le leader qui fait preuve d’une
touchante sensibilité, d’une retenue confondante, d’une main
gauche d’une extrême richesse harmonique comme par exemple sur
«Mein Lieber Schumann (Op.6-n°2)» en tempo medium et quelques
accélérations appropriées. Tous les morceaux seraient à citer;
les détails des œuvres d’origine sont donnés sur la pochette.
Attardons-nous tout de même sur «Hommage à Edith Piaf», inspiré
de la «XV° improvisation» de Poulenc, car elle repose sur une
interprétation inouïe des «Feuilles mortes». Une version très
émouvante, impressionniste mâtinée de blues, œuvre splendide du
trio.
Pas d’exploit, du jazz, donc de la
musique, avant toute chose. Et de la beauté!
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Michel Portal
Radar
Esquisse
Part 1, 2, 3*, Bailador°, Dolce°; Interview with Michel Portal
Michel
Portal (bcl*°, ss°), Richie Beirach (p)*, WDR Big Band° (personnel détaillé dans le livret)
Enregistré
le 3 mars 2016, Gütersloh (Allemagne)
Durée:
1h 00’ 08’’
Intuition
71319 (Socadisc)
Michel
Portal en duo, puis en dialogue avec un grand big band allemand, est
l'objet du septième numéro de la collection «European Jazz
Legends» dont il est déjà question dans la précédente chronique. Entendre
Michel Portal à la clarinette basse est un plaisir, d'autant plus en
compagnie d'un pianiste du niveau de Richie Beirach. «Esquisse. Part
1» est une ballade qui oscille entre un lyrisme romantique et
impressionniste, mais tout à fait jazz. Dans «Part 2», Portal est
seul, magnifique, avec l’esprit du blues sous-jacent. Dans «Part
3», le duo est plus partagé, les deux instruments sont plus
inbriqués l’un dans l’autre, le partage, les échanges sont
parfaits. Voici deux grands lyriques dans la beauté des phrases. Sur
les deux morceaux suivant, Portal est entouré par l’imposant WDR
Big Band dirigé par Rich DeRosa sur des arrangements canons de
Florian Ross, avec des ensembles très clairs, qui laissent leur
place aux solistes, et reposent sur une rythmique solide. Sur
«Bailador» de Portal, celui-ci est au soprano, sublime dans un long
solo, à noter les solos du pianiste Hubert Nuss et du trompettiste
Ruud Breuls. Portal revient à la clarinette basse sur «Dolce» de
lui-même, en dialogue avec le tromboniste Mattis Cederberg; et ça
déménage!
Le
disque se termine par une interview de vingt minutes, exercice
caractéristique de cette collection. Il y évoque avec malice ses
débuts dans la région de Bayonne ou les critiques dont il peut
faire l'objet, de la part des amateurs de musique classique d'un
côté, et des amateurs de jazz, de l'autre.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Henri Texier
Dakota Mab
Ô Elvin, Hopi, Mic Mac,
Dakota Mab, Navajo Dream, Comanche, Sueno Canto; Interview with Henri
Texier
Henri Texier (b),
Sébastien Texier (as, cl), François Corneloup (bar), Louis Moutin
(dm)
Enregistré le 22 novembre
2015, Gûtersloh (Allemagne)
Durée: 1h 10' 58''
Intuition 71317 (Socadisc)
Gütersloh est une ville
allemande de Rhénanie du nord (Westphalie) avec laquelle le
collectif «European Jazz Legends» de la revue allemande Jazzthing,
s’est associé, ainsi qu’avec la radio Westdeutscher Rundfunk
Köln pour promouvoir le «jazz européen». Il en résulte une série
d'enregistrements live au théâtre de Gûtersloh avec des figures
historiques: Enrico Pieranunzi (chroniqué dans Jazz Hot n°676), Jasper Van't Hof, Michel Portal, Miroslav
Vitous, Daniel Humair... soit une collection qui compte aujourd'hui
dix titres et dont ce CD d'Henri Texier est le cinquième. Henri Texier est aussi
recherché comme accompagnateur que l’était Pierre Michelot en son
temps. Mais il est avant tout un grand leader et un aventurier du
jazz dont on ne compte plus les réussites. Le voici avec son
magnifique Hope Quartet. Le disque est dédié aux Indiens chers à
Texier, évoqués par les titres: Hopis, Sioux, Dakotas, Navajos,
Comanches. Mais le disque commence par un hommage à Elvin Jones «Ô
Elvin» dans lequel le baryton fait merveille avec un solo où il se
déchaîne, ainsi que le clarinettiste dans la grande tradition de
l’instrument. Il se termine par «Sueño Canto» merveilleuse
prestation du contrebassiste: une intro basse seule sur tempo lent,
il fait sonner les cordes à la façon d’un sitar indien, s’ensuit
un trio clarinette, baryton, contrebasse de toute beauté et d’une
grande émotion.
Les autres morceaux sont
des écrins aux thèmes «Indiens». Dans «Hopi» il y a un beau
travail de contrepoint, un peu comme dans le «Jeru» de Miles, et un
époustouflant solo de contrebasse dans l’aigu, qui sonne aussi
clairement que les cloches du paradis (si, si, il y en a!). Sébastien
Texier est un altiste qui compte, qu’on écoute comment il éclate
sur fond de basse / batterie dans «Mic-Mac». «Dakota Mab» démarre
à l’unisson sur un rythme de danse Sioux, puis un long solo de
l’alto à la défonce, et tous les musiciens s’en donnent à cœur
joie. «Navajo Dream» nous vaut une intro contrebasse seule, riche
d’accords, puis il laisse sonner une note basse et improvise
dessus, on glisse à «Comanche» avec le baryton en délire qui vole
dans l’aigu et plonge dans le grave, growle, et la contrebasse
tricote, un duo basse-batterie, et on passe du calme à la tempête
et aux hurlements de joie du public. Retour au calme avec «Sueño
Canto». Toutes les compositions
sont d’Henri Texier pour une musique bien ancrée dans le blues et
le jazz et qui a été enregistrée neuf jours après les attentats du 13 novembre à Paris.
D’où la ferveur, le partage et la rage de jouer des quatre
musiciens. On sent qu’ils voulaient dire que la vie, notre liberté
seraient les plus fortes. On peut toujours l’espérer.
Le disque se termine par
une interview d’Henri Texier, en anglais, par le journaliste
allemand Götz Bühler et dans laquelle il se raconte avec humour et
évoque également les valeurs communes à 1789 et au jazz.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Claudio Fasoli Double Quartet
Inner Sounds
Prime, Terce, Sext, Nones, Vespers,
Compline, Lauds
Claudio Fasoli (ts, ss), Michael
Gassman (tp, flh), Michele Calgaro (g), Michelangelo Decorato (p),
Andrea Lamacchia (b), Lorenzo Calgaro (b) Gianni Bertoncini (dm,
electronics), Marco Zanoli (dm)
Enregistré les 15 et 16 avril 2016,
Cavalicco (Italie)
Durée: 45' 35''
Abeat Records 158
(www.abeatrecords.com)
Pourquoi un Double Quartet? Pour
enregistrer ces Inner Sounds, Claudio Fasoli avait le choix
entre le Claudio Fasoli Four et Claudio Fasoli Samadhi Quartet. Il a
choisi de réunir les deux quartets pensant qu’il y avait là une
belle façon de s’exprimer avec deux batteries et deux
contrebasses. A l’origine, Fasoli voulait composer des musiques sur
des fragments des sept poèmes de W.H. Auden, Horae Canonicae,
écrits entre 1949 et 1955, mais n’obtenant pas les droits, il
s’est contenté de garder les titres. Chacun se réfère à une
heure de prière dans la journée. Il y a donc ce côté sacré,
méditatif et ses «sons intérieurs» qui s’exalte dans cette
musique interprétée par le Double Quartet. Fasoli retrouve
ici la plupart de ses compagnons de musique, et que ce soit au ténor
ou au soprano, il est sommet de son art, serein et tranquille, en
plein dan son chant. Avec toutes les qualités du compositeur et de
l’arrangeur dans ces Horae Canonicae, le goût pour les
unissons harmonisés subtilement, la beauté des sons et des
mélodies, l’art de la litote, l’expressivité lyrique contenue,
pas de fioritures, rien que du senti. Avec ici un léger emploi
d’effets qui viennent titiller, relever le goût comme les épices
en cuisine. Et aussi l’utilisation de nappes desquelles émergent
les solos comme par exemple dans «Prime», très lent, avec un
emblématique solo de ténor au lyrisme retenu. Dans «Sext», à
nouveau sur tempo lent, une intro avec un gros son du saxophone et se
déploie un arrangement teinté «Bitches Brew», en plus mélodique,
dans lequel les voix s’enchaînent sur un fond trillé de
contrebasse. Le trompettiste possède un jeu très délié,
volontiers volubile, très en osmose avec le ténor comme sur
«Compline». Le dernier morceau «Lauds» se termine par une sorte
de ritournelle soprano-trompette qui donne à saisir le sens du vers
récurrent du poème, le jour se lève, mais «In solitude, for
company»On se trouve en présence d’un réel
travail collectif dans une parfaite unité entre l’écriture de
Fasoli et les solos toujours parfaitement dans l’esprit du morceau.
L’écueil eût été de juxtaposer les deux quartets, ou d’en
faire un octet, c’est au contraire un groupe à géométrie
variable qui sert avec brio les compositions originales de Fasoli.
Une belle réussite, d’une grande
inspiration. Ces Inner Sounds sont vraiment des chants de
l’intérieur, ou quand le jazz se fait prière au dieu musique.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Julie Saury
For Maxim. A Jazz Love Story
Sweet Georgia Brown, Moppin and Boppin,
Avalon, Stars Fell in Alabama, St Louis Blues Part 1 & 2, Cray
Rhtythm, Petite fleur, Together, Indiana, A Kiss to Build a Dream
On/September in the Rain
Julie Saury (dm), Aurélie Tropez (cl), Frédéric Couderc
(ts, fl), Shannon Barnett (tb, voc), Philippe
Milanta (p), Bruno Rousselet (b)
Enregistré du 11 au 14 janvier 2015,
Vannes (56)
Durée: 58' 33''
Black & Blue 819-2 (Socadisc)
Cela fait plus de vingt ans (déjà!)
que Julie Saury «fait le métier», avec une capacité d’adaptation
certaine. On la croise en effet aussi bien sur des projets relevant
d’un jazz que l’on pourrait qualifier de «contemporain» et
s’appuyant sur des compositions originales (tel son trio avec
Carine Bonnefoy et Felipe Cabrera: voir notre chronique dans Jazz
Hot n°675), qu’au sein de formations plus swing – avec une
présence accrue ces dix dernières années –, comme celles de
Rhoda Scott, Sarah Morrow, le Duke Orchestra de Laurent Mignard ou le
trio de Philippe Milanta, partenaire de longue date. De nature
rieuse, Julie s’accommode également très bien des facéties du
Grand Orchestre du Splendid. Une élasticité qui s’explique sans
doute par sa «double culture» musicale: d’un côté le jazz dit
«traditionnel» qu’elle a reçu en héritage, de l’autre, des
goûts d’adolescence qui l’on emmenée vers le funk ou la pop
(avec une adoration pour Prince...). Sa formation, passée par
plusieurs écoles et quelques stages à New York, ayant complété
son bagage de jazzwoman. Avec le temps, son jeu a gagné en rondeur
et son groove en fait une des fines baguettes de la place de Paris. Julie est bien sûr la fille de Maxim
Saury (1928-2012), héraut, avec Claude Luter, du jazz new orleans en
France et admirateur infatigable de Sidney Bechet. Avec bonheur, le
père accompagna les débuts de sa progéniture. Julie construisit
néanmoins son propre chemin. Et c’est avec cette même distance
vis-à-vis du parcours paternel, mêlée d’un amour et d’une
admiration évidentes, que la batteuse a bâtit cet hommage au
clarinettiste. Julie, dans ce For Maxim, reste elle-même,
éclectique, alors qu’on aurait pu s’attendre à un disque dans
l’esthétique «revival». Elle a ainsi fait le choix judicieux
d’adapter le répertoire de son père au filtre de sa propre
sensibilité, en compagnie de ses habituels et talentueux complices,
le toujours impeccable Philippe Milanta en tête. Ainsi, sur un «St.
Louis Blues», très épuré, qui s’étire sur deux parties, la
batterie s’exprime longuement, tantôt simplement accompagnée des
appeaux incongrus de Frédéric Couderc et des notes détachées de
Milanta, tantôt rejointe par le reste de l’orchestre, dans un flux
et reflux de swing. Le même Couderc reprend son sax sur une
émouvante version de «Petite fleur», pris sur tempo lent (on est
là plus proche de Don Byas que de Bechet!). Preuve – s’il en
fallait – que l’on peut toujours renouveler le plaisir avec les
standards les plus rebattus. A l’inverse, «Basin Street Blues»
est rendu dans son jus néo-orléanais, donnant l’occasion
d’apprécier tout particulièrement les deux soufflantes de
l’orchestre, Aurélie Tropez et Shannon Barnett, qui offrent ici un
savoureux duo. Autre vieux complice, Bruno Rousselet s’avère, dès
le premier titre, un élément déterminent de la section rythmique (qui est évidemment
l’épice de cet enregistrement). Philippe Milanta est magnifique
sur «Together», réjouissante reprise sur laquelle la tromboniste
donne joliment de la voix. Quant à la leader, elle a évidemment
l’occasion de déployer sa large palette et son solide jeu de
cymbales, notablement appréciable sur les morceaux rapides («Crazy Rhythm»).
Maxim peut être fier de sa jolie
souris.
Un mot, pour finir, sur le contexte
très particulier de cette session qui se déroulait immédiatement
après les attentats de janvier 2015. Julie a dédié le disque aux
victimes de Charlie Hebdo. Une belle note bleue et d'espoir, en effet, pour
Cabu qui aimait le jazz de Maxim Saury et le dessina dans Jazz Hot (n°186 de 1963), au Caveau de La Huchette, où Julie vient
d’ailleurs régulièrement prolonger cette jazz love story.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Randy Weston
The African Nubian Suite
CD1:
Nubia,
Tehuti,
The Call,
Ardi,
Sidi
Bilal,
Spirit
of Touba, Shang Dynasty,
Children Song
CD2:Blues
For Tricky Sam (introduction), Blues For Tricky Sam, Cleanhead Blues
(introduction), Cleanhead Blues, Nanapa Panama Blues, Monologue Dr.
Randy Weston, The Woman (introduction), The Woman, The African Family
(introduction), The African Family Part II , Soundiata
(introduction), Soundiata, Love-The Mystery of
Randy Weston (comp, p, rec), Jayne
Cortez (poet), Wayne B. Chandler (rec, Writer), Robert Trowers (tb),
Howard Johnson (tu), Billy Harper (ts) T. K. Blue (fl), Alex Blake
(b), Lewis Nash (dm), Candido (perc), Neil Clarke (afr. perc), Ayanda
Clarke (afr. perc), Tanpani Demda Cissoko (voc), Melba Liston (arr),
Lhoussine Bouhamidi (mus. gnawa), Ayodele Maakheru (nefer), Min
Xiao-Fen (pipa), saliou souso (kora)
Enregistré le 8 avril 2012, New York
Durée: 55' 57'' + 52' 57''
Autoproduit (www.randyweston.info)
On connaît la longue réflexion de
Randy Weston et plus largement de beaucoup d’Afro-Américains sur
leur place sur terre et aux Etats-Unis en particulier. C’est une
recherche qui rassemble toutes les populations qui ont connu dans
leur histoire la déportation, une forme de diaspora, et parfois une
forme d’asservissement, l’esclavage ici. C’est aussi un combat
du quotidien dans une société où l’on vous regarde parfois de
travers sans autre raison que votre couleur de peau, où, pire, on ne
vous voit même pas, où l’on vous nie.
L’interview récente
de Randy Weston dans Jazz Hot n°673 et les plus anciennes
(n°576, n°508) le rappellent, et la recherche de Randy Weston sur
ses racines, un grand thème de la littérature et du cinéma
américain comme du jazz, n’est pas neuve dans le jazz et dans son
histoire en particulier. Duke Ellington, qui inspire si précisément
Randy Weston dans son jeu de piano et son expression artistique en
général, encore ici, avec cette African Nubian Suite qui
évoque les suites (African Suite, New Orleans Suite,
etc.), avait ouvert la voie à ces fresques, sur une Afrique mythique
en particulier.
L’environnement familial de Randy Weston, ses
parents, y sont pour beaucoup qui l’ont bercé de l’histoire
proche et lointaine de ses ancêtres pour percer la chape de plomb de
la société des Etats-Unis qui recouvre, encore aujourd’hui, une
partie de ses citoyens, avec le but évident de stériliser leur
histoire.
Les Etats-Unis, dans leur ensemble, fourmillent de ces
recherches, et cela prend toutes les formes du vivant, aussi bien
dans l’art que dans la vie quotidienne, dans la recherche,
historique en particulier, aussi bien que dans les formes
d’organisation sociales et les pratiques quotidiennes, jusqu’aux
codes vestimentaires, une manière de résister à la normalisation,
même si la contrepartie est de renforcer le communautarisme et les
réflexes identitaires. Martin Luther King reste en effet à ce jour
le seul «politique» d’importance qui ait évité cet écueil par
une vision universaliste, sans doute due à son état religieux (un
paradoxe très américain), mais tous les grands artistes de la
littérature (de Claude McKay à Chester Himes) et du jazz de l’âge
d’or, (Louis Armstrong, Duke Ellington, Benny Carter, Dizzy
Gillespie, Thelonious Monk, Charlie Parker, etc.) possédaient cette
force et cette vision universaliste, née avec la Harlem
Renaissance.
La référence à l’Afrique, élément de
l’imaginaire et de la construction de l’individu, reste donc un
élément fort dans une société communautarisée et ségréguée.
Randy Weston a fait un retour en Afrique, d’autres seulement le
voyage; pour d’autres encore, l’Afrique est seulement une
mythologie. Mais pour tous, l’Afrique est la référence à une
terre d‘élection, plus ou moins symbolique et concrète.
On
trouvera donc tout naturel cet hommage à l’Afrique, mère de
l’humanité, réalisé par Randy Weston, car c’est un thème
récurrent de sa recherche personnelle et musicale, et pour lui un
moyen de trouver des racines uniques à toute l’humanité dans une
conception finalement universelle. Randy Weston a parcouru le monde,
s’est fixé par périodes en Afrique, au Maroc en particulier, a
joué avec des musiciens locaux, et a visiblement fait des
recherches, à sa façon, sur l’histoire de ses ancêtres
africains, un grand thème de sa discographie.
On peut d’ailleurs discuter ses
visions ethno-musicales, les partager ou pas ou en partie, mais elles
sont la base objective d’une conviction sincère, une sorte
d’autoportrait d’un artiste américain et d’une œuvre très
jazz d’une densité et d’une exceptionnelle beauté. Comme cela
est dit dans le livret, avec honnêteté, ce n’est pas un disque de
jazz ou pas tout à fait, rectifions-nous, car le jazz (la grande
musique née aux Etats-Unis du vécu des Afro-Américains) y est
omniprésente par la seule présence de Randy Weston et de certains
musiciens (Billy Harper, T. K. Blue, Alex Blake, Lewis Nash…), par
celle du blues (la matière et la forme), du swing (le phrasé) et le
caractère hot de l’expression (le disque II en
particulier), même la musique africaine peut partager certaines de
ces qualités et si la présence de musiciens africains, de musique
africaine, apporte une puissante couleur africaine à l’ensemble,
même quand Randy Weston et Alex Blake, en duo, réalise cette belle
synthèse très jazz dans l’exécution et si directement africaine
dans l’inspiration et la couleur («Nanapa Panama Blues»);
D’autant que ce n’est pas seulement un disque de musique, mais
aussi un récit mythologique, un voyage, un texte, dans l’esprit
des textes qui accompagnent la musique sacrée de Duke Ellington,
encore lui, avec souvent un caractère poétique (Jayne Cortez), dit
par le bon Wayne B. Chandler.
C’est également une affirmation
politique, un spectacle en live, très américain, une
rencontre avec un public et un exposé de tout ce qui constitue la
particularité du grand Randy Weston. C’est une curiosité pour
comprendre la société américaine et ses recherches, et l’actualité
récente en renouvelle la portée.
Une Afrique mythique et rêvée
permet donc de découvrir, pour ceux qui ne le connaissent pas, un
personnage, formidable pianiste (un des rares disciples de Duke
Ellington), un conteur et un grand artiste américain, et donc
universel comme le sont les artistes de ce calibre, un homme parmi
les plus attachants du jazz, d’une générosité exceptionnelle
dans son art, dont il faut aussi comprendre le cheminement créatif
pour véritablement apprécier l’œuvre.
Le disque a été
autoproduit, c’est une autre raison de le rendre précieux, car
Randy Weston l’a conçu comme un cadeau, un message, avec un livret
en anglais, en espagnol et en français, un choix qui n’est pas
sans signification.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Fred Hersch Trio
Sunday Night at the Vanguard
A Cockeyed Optimist, Serpentine, The
Optimum Thing, Calligram, Palomino, For No One, Everybody's Song But
My Own, The Peacocks, We See, Solo Encore: Valentine
Fred Hersch (p), John Hébert (b), Eric
McPherson (dm)
Enregistré le 27 mars 2016, New York
Durée: 1h 08’
Palmetto Records 2183 (Bertus)
Vous pouvez lire dans le n°679 du
printemps une interview qui vous resitue la personnalité artistique
toute en nuances de cet excellent pianiste, l’un des plus beaux
héritiers, le plus beau selon nous, de la tradition de Bill Evans
qu’il prolonge avec autant de qualités pianistiques
qu’artistiques, dont une poésie qui ne fait aucun doute dans son
inspiration. Il jouit pour cela du respect et de l’admiration de
tous les musiciens de la scène du jazz, et ce disque comme les
précédents, est une belle réussite car cet artiste est toujours
d’une grande sincérité qui confère à toute son œuvre, jusqu’à
ce jour, une forme de perfection, à la différence d’autres,
parfois plus connus, qui, de la même tradition, n’ont ni
l’inventivité, ni la conviction, ni la poésie nécessaire à
cette expression. Le toucher lumineux de Fred Hersch est un régal,
et il est ici brillamment secondé par John Hébert et Eric McPherson
qui collent à la musique avec une belle musicalité. Cet enregistrement au Village Vanguard
trouve un écho explicatif dans l’interview qu’on vous laisse
lire par ailleurs, et prolonge une histoire d’amour entre un
musicien et un club commencé il y a quarante ans, quand Fred Hersch
vint y écouter Dexter Gordon pour son retour aux Etats-Unis.
Cela dit, Fred Hersch est un musicien
ancré dans la musique de haut niveau, en général, plus que dans le
jazz, possédant, cela s’entend une grande culture classique et une
expression, qui pour se situer aujourd’hui sur les scènes du jazz,
et s’en inspirer souvent sur le plan rythmique, n’en est pas
moins une musique d’un autre univers où le blues n’a aucune
place. Cela n’enlève rien à la qualité de cette œuvre et de ce
moment exceptionnel au Village Vanguard, sauf la profondeur d’une
tradition complètement absente, et pour cause, du registre du
pianiste. On peut en faire abstraction facilement, le disque est
passionnant, mais il faut être clair, malgré le trio, et la
structure rythmique de certains des thèmes, ce n’est finalement
pas du jazz, sauf à réduire le jazz à une simple mise en forme ou
une ambiance, fut-elle celle du Vanguard; et qualifier de jazz ce que le jazz n’est pas. Si vous voulez illustrer ce
propos, écouter un disque de Kenny Barron, McCoy Tyner, Eric Reed,
Cyrus Chestnut, Harold Mabern, et quelques autres, après avoir
écouté ce disque.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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François Rilhac
It's Only a Paper Moon
I've Got He World on a String, Somebody
Stole My Gal, Keepin' Out of Mischief Now, Lullaby in Rhythm, I Cover
the Waterfront, Daintiness Rag, Ain't Misbehavin, Sugar, Sweet
Lorraine, La Mère Michel, On the Sunny Side of the Street, Body and
Soul, F Minor Stride, April in My Heart, It's Only a Paper Moon
François Rilhac (p)
Enregistré le 24 juin 1985, Paris
Durée: 1h 10' 14''
Black & Blue 8122 (Socadisc)
François Rilhac est une histoire
tragique du jazz. Le 3 septembre 1992, ce grand garçon et pianiste
de haut niveau de la tradition stride, mettait fin à ses jours. Il
était né en 1960 et interrompait prématurément une carrière
brillamment amorcée, avec déjà une petite discographie (Megalo
Piano Stride, en solo chez Black & Blue, Echoes of
Carolina avec Louis Mazetier en duo) et le respect et
l’admiration de ses pairs, nationalement et au-delà des
frontières. Cette perte d’un rare disciple de Fats Waller et James
P. Johnson, aussi cruelle pour le jazz que pour ses amis et ses
admirateurs, a laissé comme une ombre amère dans le milieu du jazz,
sans doute aussi par toutes les promesses que son encore jeune talent
laissait entrevoir au-delà de la perte de l’ami, de l’artiste.
Aujourd’hui, Black & Blue sort en
disque cet enregistrement, retrouvé par miracle, effectué en 1985 à
la Table d’Harmonie, un club aujourd’hui disparu qui fut créé
par Jean-Pierre Bertrand, où l’on retrouve 15 titres inédits
aussi brillants qu’émouvants de ce jeune pianiste. François
Rilhac y est comme à son habitude très brillant, très fidèle à
cette grande tradition du piano stride, et il y a 15 morceaux de
bravoure (on a un faible pour son «F Minor Stride» véritablement
splendide) comme on rêverait d’en voir en live, car le piano, à
ce niveau, mérite le spectacle, le live, une dimension présente à
l’origine et magnifiquement restituée ici.
Jean-Pierre Vignola (Jazz à Vienne, Le
Méridien), Jean-Pierre Tahmazian (Black & Blue), Jean-Pierre
Bertrand et Louis Mazetier (cf. Jazz Hot n°671), brillants
pianistes sont à l’origine de cette sortie. Il paraît que le
piano n’était pas excellent; on s’en aperçoit à peine devant
la maestria de François Rilhac, et si une œuvre doit lui conférer
l’immortalité, celle-ci peut tout à fait convenir. L’artiste la
mérite. On peut avoir des regrets éternels pour la disparition de
François Rilhac, mais on peut aussi maintenant l’évoquer avec la
trace fulgurante qu’il laisse ici. Du très beau piano!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Bernd Reiter Quintet
Workout
Workout, I Want
to Hold Your Hand, Getting’ and Jettin’, All the Way, Uh Huh, Super Jet
Bernd Reiter
(dm), Eric Alexander (ts), Helmut Kagerer (g), Olivier Hutman (p), Viktor
Nyberg (b)
Enregistré le 27
février 2015, Bâle (Suisse) Durée: 1h 01' 50''
SteepleChase
33123 (www.steeplechase.dk)
Né en 1982, ce batteur
autrichien s’est formé au contact de Billy Cobham, John Riley, Lewis Nash,
Jimmy Cobb et Charles Davis. Sa formation musicale avancée lui a permis de
prendre part à des concerts classiques, expériences qu’il combine depuis
toujours avec sa passion pour le jazz, et ses collaborations avec Harold
Mabern, Kirk Lightsey, Cyrus Chestnut ou Steve Grossman. Dans un registre plus
roots, il a aussi travaillé avec le trompettiste Jim Rotondi, sideman de Ray
Charles et Lionel Hampton. Eric Alexander, dont le brio sur ce live est
absolument renversant, déploie sur l’ensemble des pistes son inspiration hors
pair aux termes d’une dette évidente envers Dexter Gordon. Le guitariste
allemand Helmut Kagerer a un son feutré qui semble tout droit issu des premiers
enregistrements de George Benson, tandis qu'Olivier Hutman maitrise sur le bout
des doigts le vocabulaire et les rythmiques emblématiques du hard bop.
Profitant des libertés offertes par un enregistrement en public, le quintet en
profite pour allonger à plaisir la plupart des titres, les six morceaux présents
ici durant tous plus de huit minutes. Ce disque se veut un hommage à Hank
Mobley et Grant Green, deux références dont on respecte ici l’esprit plus que
la lettre. L’album d’Hank Mobley, Workout,
se voit octroyer une place éminente jusque dans le titre éponyme du CD, tandis
que trois autres morceaux «I Want to Hold Your Hand», «All the Way» et «Super
Jet» procèdent des choix opérés par le band pour mettre en valeur son énergie
collective. La basse de Viktor Nyberg apporte la vigueur et la chaleur d’une pulsation
rythmique sans défaut, et on sent toute la cohésion acquise au fil des
concerts, en ces épisodes conclusifs spécifiquement finalisés en vue d’un
enregistrement live (les deux soirées au Bird’s Eye de Bale, en février 2015). Il
faut dire que le partenariat avec Eric Alexander date de 2012, tandis que la
collaboration du leader avec Kagerer remonte à 2013. Dès le premier titre, «Workout»,
où le leader se mesure à l’un de ses héros, Philly Joe Jones, on sent que
le groupe assume des velléités virtuoses sans ambiguïtés, qui placent le
quintet dans une dimension expressionniste tout à fait légitime. Après ce tour
de force, la reprise des Beatles «I Want to Hold Your Hand», méconnaissable, doit
plus à Grant Green qu’aux Fab Four, et «Super Jet» est le jalon qui relie le
combo à l’histoire du bebop, conservant toutefois, assez curieusement, une
distance prudente avec la figure tutélaire de John Coltrane. Mais c’est certainement
sur «All The Way» que le groupe affiche le plus clairement sa volonté de résilience,
un titre qui met en évidence la dette de la comédie musicale hollywoodienne
envers la musique afro-américaine. Un des tout meilleurs enregistrements live
parus ces dernières années. CD.
Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Joe Lovano Quartet
Classic! Live at Newport
Big Ben, Bird's Eye View, Don't Ever
Leave Me, I'm All For You, Kids Are Pretty People, Six and Four
Joe
Lovano (ts), Hank jones (p), George Mraz (b), Lewis Nash (dm)
Enregistré le 14 août 2005, Newport (Rhode Island)
Durée: 57' 47''
Blue Note 0602547950383 (Universal)
Une nouveauté de 12 ans, quand elle
réunit un aussi beau quartet, est toujours la bienvenue. Enregistré
en live à l’été 2005 dans le cadre du Festival de
Newport, elle évoque d’abord le regretté Hank Jones (à qui le
disque est dédié par Joe Lovano), un pianiste toujours à son aise
et parfait au sein d’une section rythmique de rêve avec l’élégant
et savant George Mraz et un Lewis Nash qui apporte son jeu très fin
bien qu’il remplisse tout l’espace. Le leader du soir, Joe Lovano, ne s’y
est pas trompé et on comprend son insistance à vouloir publier cet
enregistrement. C’est du jazz dans sa forme la plus aboutie, d’où
peut-être ce titre de Classic!. Joe Lovano rappelle dans
les notes de livret qu’il a commencé à jouer avec un Hank Jones
octogénaire, et le qualifie pourtant de génie du jazz moderne de
tous les temps, car Hank Jones ne vieillit jamais, il reste «frais
comme une marguerite» selon les mots de Joe Lovano.
Effectivement,
il est difficile de ne pas ressentir chez lui cette éternité de la
forme, ce sens de la perfection, une certaine épure, car il possède
une sobriété d’expression qui contraste avec une imagination
débordante dans l’accompagnement, les introductions, les
chorus chez le pianiste dans sa longue carrière de 70 ans; un
musicien toujours à l’aise dans tous les contextes, avec toujours
ce qu’il faut d’accents blues, de swing.
Sa personnalité musicale, même dans
ce rôle d’accompagnateur est telle, que c’est lui qui fixe la
forme, d’autant que Joe Lovano, en jazzman de la tradition, possède
cette qualité d’écoute, et ce respect sans doute, pour se couler
dans le monde du pianiste, tout en restant lui-même. Un disque de jazz sans faille dont la
qualité ne surprendra pas les amateurs connaissant déjà ces
musiciens, mais a-t-on besoin d’être surpris pour apprécier de la
belle musique de jazz? Une petite remarque: le magnifique «I’m
All for You», écrit par Joe Lovano selon le livret, ressemble
furieusement à «Body and Soul», et cela n’enlève rien à la
beauté de l’interprétation du grand saxophoniste,
particulièrement inspiré, dans une complicité extatique avec la
section rythmique, un Hank Jones exceptionnel qui délivre un chorus
ciselé avec petite citation debussyenne, et un George Mraz qui est
au diapason de cette perfection. Ce thème mérite la publication et
l’indispensable à lui seul, même s’il n’y a rien à jeter, et
surtout pas le très swing and blues «Kids Are Pretty People» (Thad
Jones) et l’intense «Six and Four» (Oliver Nelson), d’autres
grands moments de ce disque.
Ce n’est pas le public
enthousiaste de ce Live at Newport qui dira le
contraire.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°679, printemps 2017
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Delfeayo Marsalis/Uptown Jazz Orchestra
Make America Great Again!
Star
Sprangled Banner, Snowball, Second Line, Back to Africa, Make America Great
Again, Dream On Robben, Symphony in Riffs, Put Your Right Foot Forward, All of
Me, Living Free and Running Wild, Skylark, Java, Fanfare For the Common Man,
Dream on Robben
Delfeayo
Marsalis (tb), Uptown Music Theatre Choir, Uptown Jazz Orchestra : Andrew
Baham, Scott Frock, John Gray, Jamelle Williams (tp), Brice Miller (tp, voc),
Terrance Taplin, Charles Williams, Jeffrey Miller, T.J. Norris, Maurice
Trosclair (tb), Khari Allen Lee (as, ss), Jeronne Ansari (as), Roderick Paulin
(ts, as), Gregory Agid (cl, ts), Scott Johnson (ts, bs), Roger Lewis (bs), Kyle
Roussel, Meghan Swartz (p), David Pulphus (b), Herlin Riley, Peter Varnado
(dm), Joseph Dyson Jr (dm, perc), Alexey Marti (perc) + Dee-1 (rap), Wendell
Pierce (narration), Cynthia Liggins Thomas (voc), John Culbreth (tp), Jeff
Alpert (btb), Branford Marsalis, Victor Goines (ts), Oliver Bonie (bar)
Enregistré les 29 novembre, 29-31 décembre 2015, New
Orleans (Louisiane)
Durée: 1h 02' 48''
Troubadour Jass Records 103016 (www.dmarsalis.com)
Nous n'aborderons pas ici
les connotations politiques de ce disque, ni le fait que Delfeayo Marsalis ne
s'attendait peut-être pas à ce que son titre soit le slogan du 45eprésident des Etats-Unis... Bref, après l'hymne américain joué par la section
de sax dans un style identique à celui du Quatuor de Saxophones de la Garde
Républicaine, l'album nous présente une façon de jouer hot dès
l'ostinato de sax baryton (Roger Lewis) sur des percussions dans «Snowball»
(le clarinettiste devant être Victor Goines ou Gregory Agid). Bonne
intervention de Roderick Paulin (ts). Cette «Second Line» n'a rien
à voir avec celle de Paul Barbarin et elle nous plonge dans l'univers
ellingtonien, introduit par Gregory Agid (cl) proche de Jimmy Hamilton. Tout
l'orchestre sonne superbement, soutenu par le maître, Herlin Riley. Andrew
Baham (tp) prend un solo très jazz. On retiendra aussi le travail avec plunger
de Terrance Taplin (tb). Introduction mingusienne dans «Back to Africa»,
puis le chœur et le rappeur (supportable grâce au tempo de Joseph Dyson)
précèdent des solos à la J.J. Johnson de Delfeayo, coltranien (pas le son) de
Branford. Orchestration luxuriante (et assez complexe). Narrateur de bla-bla
politique naïf dans «Make America Great Again!» avec joyeuse
réponse du chœur. Bref c'est le solo wyntonien d'Andrew Baham que nous
apprécions. Superbe drumming d'Herlin Riley derrière Khari Allen Lee (as) genre
Wess Anderson. Cynthia Liggins Thomas chante (bien) dans «Dream on Robben»,
genre de composition simple dont Pharoah Sanders était capable. Delfeayo prend
un solo pouvant évoquer Lawrence Brown. A noter qu'il joue un trombone Courtois
AC402TR, comme Taplin et Jeffrey Miller. Justement la section de trombones
intervient au début de «Symphony in Riffs». La section de sax y
sonne bien aussi. Baham pend un solide solo (nous avions apprécié ce
trompettiste à Ascona, festival qui nous permit aussi de découvrir Taplin,
Agid, Kyle Roussel et autres de ces instrumentistes qui n'intéressent pas les
médias jazz en France). Bon solo de Khari Allen Lee, et un peu timide de Meghan
Swartz. «Put Your Right Foot Forward» nous amène dans l'univers des
brass bands funky de New Orleans (Peter Varnado, dm). Brice Miller (parolier)
et le chœur interviennent, puis en solo Roger Lewis (bs), gloire du Dirty Dozen
fortement évoqué ici. L'alternative de trombone sent bon la parade (Charles
Williams, Jeffrey Miller) tout comme les riffs. Agid (cl) plane au-dessus de la
masse sonore. Du jazz orthodoxe par Kyle Roussel en trio dans «All of Me»
(Pulphus, b, Riley, dm) puis le relais est pris par tout l'orchestre qui
swingue un excellent arrangement. Retour du chœur et de l'envahissant rappeur
dans «Living Free and Running Wild» richement orchestré par Phil
Sims. Le solo de Branford fait un peu remplissage. La section de sax amène (et
accompagne) la ballade «Skylark», orchestrée par Delfeayo qui en
est le charmant soliste (beau jeu de balais d'Herlin Riley). Les sax sont
encore à l'honneur dans «Java» où Roderick Paulin est l'excellent
soliste au son épais. Très pompeuse l'introduction de cuivres pour la «Fanfare
for the Common Man», orchestrée par Delfeayo, puis la solennité fait un
peu musique de film. Vient ensuite le solo de Delfeayo, seul moment swing. Le bonus track est la version instrumentale
de «Dream on Robben» (orchestration Kris Berg) avec Khari Allen Lee
(ss), qui a écouté Coltrane, et le drumming superlatif d'Herlin Riley. Bref, il
y a de tout dans ce nouvel album de Delfeayo Marsalis, notamment du bon.
Michel Laplace
© Jazz Hot n°678, hiver 2016-2017
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