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Max Roach

10 juin 2013
The Quintessence - New York, Toronto, Newport 1951-1960
Max Roach © Jazz Hot n°664, été 2013

Réédition-Indispensable
Fine and Dandy, Trinkle Tinkle, Cherokee, Salt Peanuts, Mildama, Hangover Triangle, Percussion Discussion, Just One of Those Things, Valse Hot, Facts About Max, Après vous, Crackle Hut (CD1), Shadow Waltz, Parker's Mood, A Night in Tunisia, Conversation, Filidé, Milestones, Pieces of Quincy, A Helluva Town, Tympanally, Lepa, Figure Eights, Junka, Triptych : Prayer / Protest / Peace (CD2)
Personnels détaillés sur le livret
Enregistré entre le 21 novembre1951 et le 6 septembre 1960, New York, Toronto, Newport
Durée : 1h12’36’’ + 1h12’02’’
Frémeaux & Associés 292 (Socadisc)

Cette anthologie de la collection The Quintessence de Frémeaux & Associés réunit quelques vingt-cinq pièces parmi les plus représentatives de l’œuvre enregistrée de Max Roach entre 1951 et 1960. Ces faces, à raison d’une, voire deux plages, pour la période 1951-1956, concernent surtout les années 1957-1960 (dix-sept faces, dont 9 pour la seule 1958) et permettent d’entendre le batteur en tant que sideman au sein de différentes formations mais également en tant que leader de groupes qu’il dirigea ou co-dirigea pendant cette décennie. Le musicien n’est plus l’inconnu de 1943 qui accompagnait Coleman Hawkins ; même en tant que sideman, dès le début des années 1950, sa personnalité s’est affirmée et sur chacun de ces enregistrements son autorité ne cesse de grandir, devenant un soliste accompli, même lorsqu’il se contente d’accompagner. Ainsi, sur les trois premières faces, en trio de piano, que ce soit avec George Wallington, Thelonious Monk ou Bud Powell – qu’il pratique depuis de longues années (1946 chez Dexter Gordon, J. J. Johnson ou 1947 en trio ou chez Charlie Parker) –, il est un accompagnateur idéal : aux balais dans la tradition de Papa Jo Jones – avec un drive plus puissant mais moins souple ; aux baguettes dans la filiation de Big Sidney Catlett colorée par l’héritage de Sonny Greer. En fait, il invente et impose sa marque, très originale parmi celles des batteurs de la nouvelle génération (Kenny Clarke, Art Blakey, Roy Haynes...), ouvrant la voie à Philly Jo Jones mais aussi à Alvin Queen, que rappelle le classicisme de son fantastique tricotage aux balais derrière Sonny Clark dans « Junka ». En formation (avec Dizzy et Charlie), l’accompagnateur se métamorphose en percussionniste et ses solos deviennent d’authentiques parties musicales (Herlin Riley, comme lui, possède ce talent de jouer de la musique sur ses « tambours »). A partir de 1954, lorsqu’il s’associe à Clifford Brown, il devient soliste à part entière dans le quintet dont il constitue la seconde voix tout en accompagnant ; cette qualité, est particulièrement riche de trouvailles dans le trio de Herbie Nichols, « Hangover Triangle », superbe leçon de swing et de modernité, où son inventivité trouve à s’exprimer dans une pièce pleine de surprises.

Max Roach « faisait parler » sa batterie ; on se rappelle l’expérience rapportée par un journaliste de DownBeat pendant laquelle Mingus et Roach jouaient chacun une phrase avec leur instrument, devinant la signification exacte préalablement énoncée ; « Percussion Discussion » relève de cette communication aussi magique que mystérieuse. En quintet avec Sonny Rollins, sur « Valse Hot », Roach retrouve le lyrisme façon Hawkins (celui de ses débuts) qui confère à sa façon de jouer son caractère mélodique ; à remarquer également le formidable solo de Ray Bryant après le stop chorus (forme trop peu souvent utilisée maintenant) sur « Just One of Those Things ». Alors qu’au cours de leur carrière ils eurent l’avantage de jouer avec quelques-uns des plus grands pianistes de jazz, comme Rollins, Roach fut un adepte des formations sans piano (je me souviens d’une longue conversation que nous eûmes après un de ses concerts à Aix-en-Provence en 1980, au cours de laquelle, m’étonnant de ce qu’il n’employait guère plus le piano, il me soutint dans un long plaidoyer que la fonction harmonique et liante du piano « ôtait à la musique le contenu signifiant de ses contrastes »), qu'il privilégiera cependant dans la dernière partie de sa carrière ; on l’entend ici avec Kenny Dorham (« Parker’s Mood » dans un dépouillement superbe accompagné seulement aux balais) , avec Rollins, George Coleman, Hank Mobley, Booker Little… dans cette formule…
Dans le livret, Alain Tercinet, qui retrace le parcours de cette période, rappelle les circonstances de la naissance de « The Freedom Now Suite » (commande ou pas de la NAACP ?) et l’évolution politique et musicale de Max suite/avec la rencontre d’Abbey Lincoln ; ce « Tryptich » en 1960, sept ans avant le fameux « I have a dream » de Martin Luther King, ne manqua pas de surprendre et même choquer beaucoup de monde ; comme un soir à l’Alcazar de Marseille, lorsqu’apparaissant dans toute sa beauté Abbey hurla. Dans son introduction, Alain Gerber présente Max Roach comme « le Bertold Bretch de la batterie de jazz ». Pourquoi pas, dans l’expression de la révolte ? Il y a chez ce musicien (avec lui, la batterie devient instrument) un souci de cohérence dans la construction de ses pièces qui confère à ses interprétations des allures de drame qui parfois confinent à la tragédie. Cette anthologie aurait peut-être gagné à compter quelques pièces emblématiques du quintet avec Clifford Brown - qui constituent la forme aboutie classique de Max Roach - « Joy Spring », « Jordu », « Dahoud », « Ghost of a Chance »… Mais il y en a tellement !
Ce coffret, qui comporte un excellent livret de présentation, est néanmoins absolument indispensable pour qui entend avoir une connaissance générale élémentaire sur l’Art de la batterie de Max Roach.
Félix W. Sportis