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Charles Gayle

5 sep. 2023
28 février 1939, Buffalo, NY - 5 septembre 2023, New York, NY
© Jazz Hot 2023


1992. Charles Gayle, Repent, Knitting Factory Records


Charles GAYLE

Precious Blues



Figure méconnue du jazz s’inscrivant dans la lignée de John Coltrane et Albert Ayler, Charles Gayle, qui est décédé à Brooklyn, New York, le 5 septembre 2023, était un personnage hors norme qui a passé sa vie à chercher sa voie avec honnêteté, laquelle l’a conduit à vivre en marge durant de nombreuses années, une attitude fréquente dans le monde artistique afro-américain doublement marginalisée par la ségrégation.
Cette longue éclipse rappelle celle d'autres acteurs de la new thing, le free jazz afro-américain, 
comme Giuseppi Logan et Henry Grimes, tous deux disparus en 2020. Saxophoniste de tempérament, il a développé ses idées musicales sans beaucoup de considération pour les modes. Il avait redécouvert depuis 2000 ses premières amours, le piano et le répertoire des standards et compositions du jazz, comme d'autres avant lui, on pense à la démarche d'Archie Shepp, sans abandonner ses recherches qui appartiennent aujourd'hui à la tradition du free jazz enracinée de l'Afro-Amérique. Charles Gayle était un artiste discret, mystérieux, cherchant constamment à disparaître derrière une œuvre habitée par son ardente foi chrétienne qui transparaît dans les titres de ses albums (Spirit's Before, Testaments...) comme dans son expression –tout comme son expérience de la rue (Homeless)– et dont il s'était expliqué avec beaucoup de franchise et de profondeur dans Jazz Hot (n°649, juin 2009): «Albert Ayler et Coltrane viennent de là, de l’Eglise. Je suis de la communauté noire, et la plupart des gens que je connais, pas tout le monde, croient en Dieu et à la Bible. C’est une chose normale. Ma croyance est restée au fil des années. En vieillissant, j’ai continué à lire la Bible et à la comprendre. Cela a du sens pour moi.»


Charles Ennis Gayle Jr. a débuté son parcours au piano qu’il a appris durant son enfance, s’intéressant particulièrement au bebop et jouant aussi du blues et du boogie: «Je connais le blues. Je viens de là. Je sais ce que c’est, de le jouer, de le ressentir, de le faire… C’est comme lorsque vous buvez de l’eau, vous n’y pensez pas, vous vous contentez de la boire. Je ne pense pas à ce genre de choses. Parfois, j’essaie de le faire ressentir, mais ça ne marche pas toujours.» (cf. Jazz Hot n°649). Son père, Charles Sr., travaille dans la sidérurgie et sa mère, Frances, est femme au foyer. Il apprend à maîtriser différents instruments au Hutchinson Central Technical High School de Buffalo, où il excelle également au basket et en athlétisme. Il en sort diplômé en 1957, puis passe brièvement par le Fredonia State Teachers College, NY avant de revenir à Buffalo pour se consacrer à son métier de musicien, fréquentant les clubs comme pianiste et trompettiste. C’est à cette époque qu’il adopte le saxophone, d’abord alto puis ténor, le violon, se formant en autodidacte, encore influencé par la musique de Charlie Parker. Il effectue un premier enregistrement en 1965, en trio avec Buell Neidlinger (b) et John Bergamo (dm), qui sortira cinquante ans plus tard (Gayle Force, K2B2 Records). De 1970 à 1973, il enseigne la musique à l’Université de Buffalo, mais lassé des pesanteurs universitaires, il s’installe à New York, NY, et il s’investit dans la scène free aux côtés d’Archie Shepp et Pharoah Sanders. Refusant d’opérer des compromis au sein des collectifs de même que toute contrainte matérielle pour se consacrer entièrement à la musique et à ses recherches, Charles Gayle assume pendant une douzaine d'années, un choix de vie radical, conforme à son état d’esprit artistique, évoluant dans une extrême précarité, sans toit ni revenus. Il disparaît alors de la scène jazz conventionnelle pour jouer sur les quais de métro ou dans la rue, y dormant parfois aussi quand il n’est pas hébergé dans un squat. Cette période de mise à l'écart volontaire est aussi celle où le jazz commence à être gravement phagocyté par divers mouvements de mode aboutissant à la fusion, la world, les musiques improvisées ou la musique de masse, en quête de reprendre des parts de marché. Cette évaporation des fondements du jazz pour n’en garder que l'appellation devenue synonyme de «liberté de faire ce qu’on veut» a sans doute pesé sur la décision de l'ascète Charles Gayle. En 1984, le contrebassiste allemand Peter Kowald le découvre au coin d'une rue et le prend dans son quartet au Sound Unity Festival de New York, initiant son retour devant le public du jazz. L’année suivante, le saxophoniste apparaît avec Peter Kowald et William Parker dans le documentaire d’Ebba Jahn (cf. vidéographie), Rising Tones Cross.

 

2001. Charles Gayle, Jazz Solo Piano, Knitting Factory Records


En avril 1988, Charles Gayle grave en quelques jours trois disques pour le label suédois Silkheart: Always Born en quartet avec John Tchicai (ss, ts), Sirone (b), Reggie Nicholson (dm), Spirit’s Before et Homeless en trio avec Sirone, Dave Pleasant (dm). Ces albums, porteurs d’un free jazz qui n’a rien perdu de son intensité originelle, le consacrent comme un musicien majeur de cette esthétique. En 1991, il effectue une tournée en Europe avec William Parker –qui restera un compagnon au long cours– durant laquelle ils enregistrent Touchin' on Trane (FMP) qui comprend également Rashied Ali (dm). Charles Gayle publie une trentaine d’albums durant les décennies 1990 à 2010, donnant des concerts aux allures de performances artistiques, se produisant parfois sous les traits de son alter ego «Streets», un personnage à la Chaplin portant nez rouge et costume déchiré, tout droit sorti des cirques de son enfance et de son expérience de la rue. Il lui arrive aussi de prendre longuement la parole pour exprimer ses convictions politiques et religieuses, ce qui agace parfois son public
: «C’est la fondation de ma vie, de mon esprit. Je ne sais pas quoi dire d’autre. C’est quelque chose de normal. Je pense que jouer, composer un morceau ou lui donner un titre est un signe de reconnaissance envers Dieu» (cf. Jazz Hot n°649).

A partir des années 2000, il commence même à se produire en piano solo et enregistre un premier album consacré aux standards (Jazz Solo Piano, 2001, Knitting Factory Records) où son jeu inclut quelques fulgurances free, mais il précise: «J’aime la musique, pas juste l’avant-garde ou le free. J’aime le jazz mainstream. J’aime le jazz. Il était donc plus intéressant pour moi de changer»Cette remise en lumière lui permet de revenir à son instrument d’origine, le piano qu’il utilise en alternance avec les saxophones ténor et alto, ainsi que la clarinette basse, la contrebasse ou encore les percussions. 

 

Atteint de la maladie d’Alzheimer, il avait été contraint de ralentir son activité ces dernières années, offrant fin 2017 ses derniers albums studio, The Alto Sessions (El Negocito Records), et en live, Seasons Changing (Otoroku), de même que ses derniers concerts en 2018.

 

Charles Gayle laisse dans la peine ses fils Ekwambu, Michael et Dwayne, ainsi que sa petite-fille. Jazz Hot partage leur peine. Une biographie réalisée par Cisco Bradley est à paraître pour fin 2024.

rôme Partage et Hélène Sportis
Image extraite de YouTube
Avec nos remerciements



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VIDÉOGRAPHIE

Charles Gayle, Vision Festival, New York, NY, 2014, image extraite de YouTube
Charles Gayle, Vision Festival, New York, NY, 2014, image extraite de YouTube


Chaîne YouTube de Charles Gayle

https://www.youtube.com/channel/UCHb1Pqd7xJKXt8S3IYDICSw

 

1985. Rising Tones Cross, documentaire d'Ebba Jahn (111 minutes)

https://www.dailymotion.com/video/x43q8f0


1999. Charles Gayle (ts, p), Gerald Benson (b), Gerald Cleaver (dm), Knitting Factory, Brooklyn, NY

https://www.youtube.com/watch?v=yhnCOp5mxiU

 

2013. Charles Gayle (p), Jazz Foundation of America

https://www.youtube.com/watch?v=5fCAuOy5KsY

 

2014. Charles Gayle (ts), Dave Burrell (p), William Parker (b), Michael Wimberly (dm), Vision Festival, Roulette, Brooklyn, NY, 11 juin

https://www.youtube.com/playlist?list=PL6RpUsh9Wy6uVu1rpyCokkyyoOwf4Q-7y

 

2015. Charles Gayle (ts, p), Ksawery Wojcinski  (b), Klaus Kugel (dm), concert intégral, émission Studio 6, RTS/PTC, Belgrade, Serbie

https://www.youtube.com/watch?v=Q6mk-j8vsJM

 

2017. Charles Gayle (as, p), Hallwalls Contemporary Art Center, Buffalo, NY, 29 septembre

https://www.youtube.com/watch?v=BNj9i0JTryA

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