Cicely Tyson
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28 jan. 2021
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19 décembre 1924, New York, NY - 28 janvier 2021, New York, NY
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© Jazz Hot 2021
2015. Cicely Tyson @ Kennedy Center
Cicely TYSON
Harlem Fighting Star
Activiste infatigable du Mouvement des droits
civiques, à l’instar d’Harry Belafonte (1er mars 1927), aussi natif
d’Harlem et originaire de la Caraïbe, aujourd’hui dernier des vétérans
médiatiques, Cicely Tyson a été mannequin (Ebony),
actrice de théâtre, de TV, de cinéma, et intègre sur tous les fronts pour faire
avancer l’Amérique; elle a été littéralement couverte de prix prestigieux (plus
d’une centaine), de la Maison
Blanche au Kennedy Center, en
passant par les universités, la
reconnaissance de sa profession et les
distinctions reçues des institutions notamment afro-américaines en matière de défense des droits tous azimuts. Elle
irradiait par une autorité naturelle acquise du fait de ses choix
professionnels rigoureux et en parfait accord avec ses convictions: sa mission
était de promouvoir l’humanisme par son expression, en mettant de la profondeur
et de la réflexion dans ses interprétations, se servir du cinéma et des arts en
général, comme vecteurs d’instruction et d’éducation populaire pour accélérer l’émancipation, rejoignant ainsi les
philosophes, savants et artistes de la Harlem Renaissance, à son apogée à la
naissance de Cicely, par les voix de W.E.B. Du Bois (1869-1963), d’Alan LeRoy
Locke (1885-1954), et de Zora Neale Hurston (1891-1960), parmi des centaines
d’autres, eux-mêmes prolongeant le travail de Frederick Douglass (1817-1895). Cicely
Tyson est une héritière, messagère et passeur d’une tradition afro-américaine
universaliste qui puise son énergie créatrice directement dans la philosophie
des Lumières.
Hélène Sportis
Cicely Tyson ©YouTube Entertainment Tonight
Cicely Tyson est née
à Harlem en 1924 au sein d’une famille pieuse, modeste, et d’immigration récente, venant des Caraïbes: Saint Kitts
et Nevis (Saint Christophe et Niévès), le plus petit état des Amériques dans les Antilles. Autant dire que la bagarre
pour devenir actrice, elle l’a apprise au sein du cocon familial
où ce métier de «débauchée» était mal vu, alors qu’elle était destinée à être secrétaire. Cela lui a valu d’être mise à la porte du domicile parental pendant
plus de deux ans. Maman à 17 ans d’une fille prénommée Joan, Cicely se marie à
18 ans, est abandonnée à 20 ans. Le divorce ne sera prononcé qu’en 1956. Cette vie mouvementée si jeune explique qu’elle ne commence à travailler pour des figurations dans des
séries TV qu’à 27 ans, en 1951, dans des petits rôles au cinéma et, cinq ans
plus tard, elle est contactée pour un second rôle dans un vrai film, Carib
Gold d’Harold Young (1956, production en grande partie afro-américaine), aux côtés d’Ethel Waters et du danseur Geoffrey
Holder (1930-2014, natif de Trinidad, ami de Katherine
Dunham); off-Broadway, elle démarre au théâtre dans Les Nègres (The
Blacks), pièce de Jean Genet pour plus de 1400 représentations –un
record en 1960– surtout pour une pièce de théâtre dite «d’avant-garde». Sa carrière
médiatique ne décolle vraiment qu’en 1963 dans une série TV, avec un rôle
important de secrétaire dans le social, son métier alimentaire initial, on
n’échappe pas à son destin! Elle a presque 40 ans et une patience à la hauteur
de sa détermination. Cette même année 1963, W.E.B. Du Bois, parti pour créer l’Encyclopedia Africana à l’invitation du Président Nkrumah, décède au Ghana, la
veille du discours à Washington de Martin Luther King Jr.; en 1964, les tensions entre Malcolm X et Louis Farrakhan,
le cousin germain de Cicely, sont violentes au sein du mouvement Nation of
Islam (NOI: dont un des membres a commis l’attentat au Capitole le 2 avril 2021). Malcolm X est assassiné début 1965 (réouverture du dossier contre le FBI
depuis février 2021 et la Cour suprême du comté de New-York innocente les deux accusés de 1966, le 18 novembre 2021), alors que les Civil Right et Voting Right Acts de 1964 et
1965 commencent à enflammer une réaction pro-ségrégationniste, d’autant plus
forte et soutenue par le FBI que Martin Luther King Jr. a reçu le Prix Nobel
de la Paix. Autant dire que les démons de l’Amérique sont plus agités que
jamais et les enjeux autour de la dignité des Afro-Américains dans les
représentations artistiques ou de divertissements deviennent une lutte dans la
lutte: dans la musique, la danse, le cinéma, à la TV… Liée à James
Baldwin, Nat King Cole et Harry
Belafonte, Cicely demeure inflexible sur le préalable d’une image digne de l’Afro-Amérique dans ses rôles, boycottant le
cinéma qui dévalorise sa communauté et dégrade la démocratie américaine et son
métier tel qu’elle veut l’exercer, avec un besoin de probité, de
justice et d’égalité. Cicely est une femme d'une grande rigueur pour sa santé mentale et physique, comme pour exiger le respect et l’application des
textes légaux américains. Sans doute est-ce cette femme libre, forte
et aguerrie qui a attiré un Miles Davis fragilisé par ses
dépendances. Cicely apparaît sur la pochette de son disque Sorcerer en 1967 (Columbia). Leur relation sur plus de deux décennies a été entrecoupée plusieurs
fois, pour aboutir à un mariage houleux de 1981 à 1989 «entre une fille
de l’église et un drogué», dira-t-elle.
Ayant été élevée dans
les chœurs de gospel à l’Eglise, jouant de l’orgue et du piano, le jazz était une fréquentation familière pour Cicely. En 1965,
elle tourne dans A Man Called Adam de Leo Penn, avec entre autres Louis
Armstrong, Sammy Davis Jr., Ossie Davis, film dont la musique est de Benny
Carter (avec Junior Mance, cf. Vidéographie). A l’automne 1967, elle est
engagée dans The Heart Is a Lonely Hunter (Le Cœur est un
chasseur solitaire) tiré du roman de Carson McCullers, l’amie de Tennessee
Williams, qui vient de décéder à 50 ans: l’ambiance est lourde aux Etats-Unis,
entre Guerre du Vietnam et engrenage émeutes-répressions graves de l’été
précédent, notamment à Detroit. En 1968, en réaction à la
violence encaissée suite à l’assassinat de Martin Luther King Jr., Cicely cofonde
le Dance Theatre de Harlem avec le danseur Arthur Mitchell (1934 Harlem,
NY-2018 Manhattan, NY, élève de George Balanchine, cf. Vidéographie), s’investit
dans des programmes pédagogiques et artistiques à East Orange, NJ (Cicely L.
Tyson Community School of Performing & Fine Arts) et des programmes
éducatifs télévisés. Membre du Black Film Makers Hall of Fame (créé en
1974) dès 1977, Cicely Tyson s’implique sans relâche dans tout ce qui peut
favoriser la réussite professionnelle et tendre à l'égalité pour les Afro-Américains par la
mise en valeur de leurs apports et contributions, des points communs d’ancrage
fort avec celui pour qui elle incarne deux de ses rôles les plus émouvants: Ernest J.
Gaines (1933-2019), avec The Autobiography of Miss Jane Pittman adapté et sorti en 1974, et A Lesson Before Dying (Dites-leur que je suis un
homme) en 1999, deux monuments d’humanité multi-récompensés, comme romans
et comme films, les deux sujets reprenant l’entièreté de l’histoire
afro-américaine, de l’esclavage à la ségrégation, relatant les inégalités,
illégalités, corruptions, les moyens mis en œuvre pour se/les dépasser, et
arriver à avancer dans l’adversité.
Cicely Tyson a joué
plus de cent cinquante rôles de femmes (cf. Vidéographie surtout relative
à ses combats), et elle se reconnaissait dans chacune. Elle jouait encore en 2020 et disait qu’arrêter
de travailler signerait son arrêt de mort, maintenant jusqu’au bout ses
exercices physiques et surveillant son alimentation de jeune fille pour
conserver sa force, sa liberté d’action et de parole. Elle a toujours gardé sa foi d’enfance l’enracinant dans son
histoire qu’elle ne voulait surtout pas oublier, et elle était un membre actif de la
Congrégation baptiste abyssinienne d’Harlem où un dernier hommage lui a été
rendu, dans de bien sombres circonstances pour une femme au caractère aussi
trempé et aussi rayonnante. Le dynamisme, l’humour, la discipline de vie, la curiosité, l’ouverture
aux autres, la solidarité, la combativité pour la justice et l’égalité lui ont
donné une densité et une épaisseur d’expression, visibles et audibles jusqu’à
son décès, comme en témoigne la présentation de son autobiographie Just as I Am,
lors des interviews donnés à la veille de son décès. Cicely Tyson était
authentiquement chaleureuse, et le public
la vénérait. Cicely Tyson était devenue une légende de son vivant, et elle a rejoint les étoiles.
à gauche: Cicely Tyson présente son livre le 22 janvier 2021 © CBS,
à droite, Cicely Tyson présente son livre le 27 janvier 2021 © Inside Edition
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Sources:
- IMDB, https://www.imdb.com/name/nm0001807
- Dance
Theatre of Harlem, 3 décembre 2018, https://www.youtube.com/watch?v=3MUjL3NJNDY
- American
Theatre Wing, 13 septembre 2018, https://www.youtube.com/watch?v=kiq7dX9_Akk
- How It Feels to Be Free, Black Women Entertainers and the Civil Rights
Movement, Ruth Feldstein,
Oxford University Press, 2014, réédition 2017
Autobiographie: Just as I Am, Cicely Tyson, HarperCollinsPublishers, New York, NY, sortie le 26 janvier 2021, 432 pages https://www.harpercollins.com/search?q=cicely+Tyson
1965-1966. A Man Called Adam
1956. Carib Gold, de Harold Young, musiciens: Ethel Waters (voc), Johnny Pritchard (p), Emilio Rojas (cl,s,fl,perc), Eduardo «Bebo» Henriquez (b), Arturo Henriquez (perc) https://www.youtube.com/watch?v=YKHgOu4CdI0 https://www.youtube.com/watch?v=mLacaUtswXA https://www.youtube.com/watch?v=HBsP4Mrnedc https://www.youtube.com/watch?v=SvBap6oH-34 https://www.imdb.com/title/tt0264460/fullcredits/?ref_=tt_ov_st_sm
1965-1966. A Man Called Adam, de Leo Penn avec entre autres Louis Armstrong, Sammy Davis Jr., Ossie Davis, Cicely Tyson, musique Benny Carter-Junior Mance. Dans ce film, voici quelques rectifications sur les formations par rapport à celles indiquées dans les vidéos (source M. Laplace): «Back O'Town Blues»: Louis Armstrong (tp, voc), Tyree Glenn (tb), Buster Bailey (cl), Billy Kyle (p), Buddy Catlett (b, John Brown est à l’écran), Danny Barcelona (dm, Jo Jones est à l’écran)«Crack Up» (aka «Playboy After Dark») dans la scène finale: Nat Adderley (cnt), Kai Winding (tb), Junior Mance (p), Aaron Bell (b), Herbie Lovelle (dm, Michael Silva est à l'écran) «All that jazz»: Mel Tormé (voc), Junior Mance (p), Aaron Bell (b), Herbie Lovelle (dm) https://www.loc.gov/item/jots.200017488/ https://www.youtube.com/watch?v=7A63y51ubpc https://www.youtube.com/watch?v=Df1sj9ma5N0 https://www.youtube.com/watch?v=SLpRz1cigac https://www.youtube.com/watch?v=Y38Vq3bBQJE https://www.youtube.com/watch?v=KTTNBT9EBFY https://www.youtube.com/watch?v=rHMku5QFRK8 https://www.youtube.com/watch?v=uBCs1G7J2XM
1967. Cicely Tyson est en photo sur la pochette de l’album-titre de Miles Davis, Sorcerer, Columbia, Tony Williams (dm), Herb Hancock (comp,p), Ron Carter (b), Wayne Shorter (ts) https://www.youtube.com/watch?v=Pro8eU2PtLs https://www.youtube.com/watch?v=IQH_LPuefWU
1967. The Comedians, de Peter Glenville, (USA-France), tiré du roman de Graham Greene https://www.youtube.com/watch?v=b_MfBia4zWI
1968. The Heart Is a Lonely Hunter (Le Cœur est un chasseur solitaire), de Robert Ellis Miller tiré du roman de Carson McCullers, musique de Dave Grusin https://www.youtube.com/watch?v=jm3VTE4DLLU
1978. A Woman Called Moses, de Paul Wendkos (narrateur: Orson Welles)
2011. The Help (La Couleur des sentiments), de Tate Taylor https://www.youtube.com/watch?v=XOTkNsxhECY
2013-2014. The Trip to Bountiful, mis en scène Michael Wilson, Tony Award (Théâtre-Broadway) et série de Horton Foote https://www.youtube.com/watch?v=cWFueK3Wut4 https://www.youtube.com/watch?v=zW19cIEDqEU
2014. Cicely Tyson rend hommage à Maya Angelou (écrivain, productrice, activiste), ©WXII 12 News, Winston-Salem, NC, 7 juin https://www.youtube.com/watch?v=ZGENgtgFnmY
2014. Cicely Tyson raconte sa carrière, ©Oprah's Master Class-Oprah Winfrey Network https://www.youtube.com/watch?v=MoFY-Y5XY0s https://www.youtube.com/watch?v=saGcqJPXG1s
2017. Last Flag Flying, de Richard Linklater https://www.youtube.com/watch?v=vPza9AuJ4K4
2018. Cicely Tyson parle de ses racines «musicales» épiscopalienne et baptiste, chante a capella… ©Abyssinian Baptist Church, 11 mars https://www.youtube.com/watch?v=AqvbQDb9BCI
2018. Cicely Tyson raconte son expérience dans le spectacle et dans la vie, ©American Theatre Wing, 13 septembre https://www.youtube.com/watch?v=kiq7dX9_Akk
2018. Cicely Tyson parle de son Oscar d’Honneur pour l’ensemble de sa carrière, alors qu’Arthur Mitchell vient de décéder, ©Oscars, 18 novembre https://www.youtube.com/watch?v=Rq__IK0eDl0
2018. Cicely Tyson rend hommage à son ami danseur Arthur Mitchell, ©Dance Theatre of Harlem, 3 décembre https://www.youtube.com/watch?v=3MUjL3NJNDY
2018. Cicely Tyson rend hommage à Aretha Franklin, ©WDIV4
2018. Cicely Tyson rend hommage à Aretha Franklin, ©WDIV4, Detroit, MI, 31 août https://www.youtube.com/watch?v=Q2dqQOK_o80
2015-2020. How to Get Away with Murder, série https://www.youtube.com/watch?v=wg9NyZ9RkPI
2020-2021. Cicely Tyson, l’art de l’intégrité jusqu’au bout des cheveux https://www.youtube.com/watch?v=FBGgr0ASm2c https://www.youtube.com/watch?v=zeEGdG3KF-A
2021. Cicely Tyson, dernières interviews avec photos d’archives, pour la présentation de son autobiographie, Just as I Am, ©CBS, ©Inside Edition, 22 et 27 janvier https://www.youtube.com/watch?v=f6US9geaSmA https://www.youtube.com/watch?v=89G80-ixI4o
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