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Michelle Léglise Vian

13 déc. 2017
12 juin 1920, Bordeaux (Gironde) - 13 décembre 2017, Paris
© Jazz Hot n°682, Hiver 2017-2018

Boris Vian et son épousé "Bébé" d'après un croquis paru dans l'hebdomadaire parisien La Bataille, n°238 du 14 juillet 1949 © Collection François Roulmann, by courtesy

Michelle Léglise Vian s’est éteinte mercredi 13 décembre 2017 à Paris, à l'âge de 97 ans. Journaliste, traductrice, militante féministe, elle avait été la première épouse de Boris Vian.

Née en 1920 (la même année que Boris), élevée strictement par des parents anciens enseignants très attachés aux convenances, Michelle Léglise est scolarisée au Lycée Lamartine (Paris (11e), en face de l’appartement familial du 98, rue du Faubourg Poissonnière. En juillet 1940, la famille Léglise fuit Paris et se retrouve à Capbreton. C’est dans cette petite ville des Landes que Michelle fait la connaissance des frères Vian, également réfugiés là-bas. Ensemble, avec «Le Major», alias Jacques Loustalot – immortalisé par Boris Vian dans plusieurs écrits –, ils écument les surprises-parties de l’endroit. Alain, le frère cadet de Boris, plait beaucoup à Michelle mais à la rentrée de septembre, c’est Boris qu’elle retrouve à Paris, dans le quartier des Champs-Elysées. Boris poursuit ses études d’ingénieur à l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures, repliée à Angoulême. La jeune femme est de toutes les surprises-parties organisées par les Vian à Ville-d’Avray. Les deux jeunes gens se marient le 3 juillet 1941 à Saint-Vincent de Paul à Paris. Leur premier enfant, Patrick, naît le 12 avril 1942.

Dans Paris occupé, la petite famille Vian habite dans l’appartement des beaux-parents, rue du Faubourg-Poissonnière, et rejoint Ville d’Avray presque tous les week-ends. Boris gagne –trop mal à son goût– sa vie en tant qu’ingénieur à l’Afnor. Michelle fait des piges plus ou moins rémunérées dans les publications les plus diverses. Passionnés tous deux de jazz, de langue anglaise et de culture américaine, ils parcourent les bouquinistes à la recherche de romans américains en éditions originales et assistent à de nombreux concerts. A la Libération, ils se muent en véritables «tour operators» pour GI’s et musiciens américains avides de découvrir Paris. C’est Michelle qui procure à Boris Vian ses premières piges, en 1945, pour un bulletin sobrement intitulé Les Amis des Arts. C’est également elle qui dactylographie ses premiers écrits, Trouble dans les Andains, Vercoquin et le Plancton et bien sûr L’Ecume des jours. C’est aussi sous leurs deux noms qu’ils publient au printemps 1948 leurs premières traductions pour la «Série Noire» de Gallimard: La Dame du lac et Le Grand Sommeil de Chandler. Boris lui doit un solide apprentissage de l’anglais, grâce au roman d’Agatha Christie ABC Murder (le lecteur ne dispose d’aucun dictionnaire mais doit déduire le sens d’un mot en croisant les différentes occurrences).

Michelle a d’autres aspirations que d’être femme au foyer. Elle assiste aux concerts de jazz, se montre aux vernissages, débat avec l’équipe des Temps Modernes, pose pour l’affichiste Brénot, prête sa longue chevelure pour une publicité L’Oréal, publie des critiques de films, est de toutes les aventures germanopratines. Le couple Vian invite à plusieurs reprises Sartre, Beauvoir, Camus, Merleau-Ponty, Pontalis, Astruc, Queneau… à des dîners chez eux.

Le 16 avril 1948 naît Carole, second enfant du couple qui se délite progressivement. Michelle devient l’année suivante la maîtresse de Jean-Paul Sartre, dont elle reste une proche amie et collaboratrice jusqu’à la mort de ce dernier en 1980.

En dépit de difficultés conjugales croissantes, Michelle et Boris continuent de se voir et de s’écrire, en partie parce qu’ils ont deux enfants et aussi parce qu’ils sont résolument complices dans le travail. Ils s’échangent des informations sur la vie parisienne lorsque l’un ou l’autre est réfugié à Saint-Tropez, se corrigent mutuellement leurs textes et traductions, se dispensent des conseils professionnels…

Lorsque Boris Vian quitte le domicile de la rue du Faubourg Poissonnière, il emmène avec lui des disques de jazz et ses livres de Queneau et d’Aymé, mais lui laisse presque tous ses manuscrits. Le divorce est prononcé en septembre 1952. Boris vit désormais avec la danseuse Ursula Kübler qu’il épouse en 1954. Michelle poursuit ses publications, notamment dans Les Temps Modernes, dactylographie les textes de Sartre et se politise dans l’ombre du philosophe.

Dans les années 1960 et 1970, elle est de tous les combats aux côtés de Sartre et de Simone de Beauvoir: elle descend dans la rue et enchaîne les meetings pour défendre les prisonniers politiques, les mal logés et les défavorisés, elle soutient le peuple irlandais, les travailleurs émigrants espagnols, les ouvriers de Renault, les juifs d’URSS… Les caméras de télévision les filment en train de vendre aux ouvriers Renault de Billancourt La Cause du peuple, journal de la gauche prolétarienne dont Sartre venait de prendre la direction de publication en mai 1970. Michelle compte également parmi les 343 signataires du Manifeste pour l’avortement, rédigé par Simone de Beauvoir et publié dans Le Nouvel Observateur le 5 avril 1971 (Ursula Vian-Kübler compte également parmi les signataires).

En 1993, elle vend à la BNF le manuscrit de L’Ecume des jours, dont l’achat est financé par la vente des décors d’Apostrophe de Bernard Pivot. Aujourd’hui encore, la plupart des manuscrits de la première période de la vie de Boris Vian sont conservés à la BNF car ils avaient été gardés par Michelle.

Ces dernières années, nous avons été amenés à solliciter sa fabuleuse mémoire pour éclairer certains détails qui nous échappaient dans la rédaction des notes de l’édition Vian de la Pléiade. C’est ainsi qu’elle nous récita in extenso le poème Les Djinns de Victor Hugo lorsque nous l’interrogions sur le sens «du gin Funèbre Fils (du Tréport)», réécriture ludique par Vian des «Djinns funèbres / Fils du trépas» dans son premier roman publié, Vercoquin et le plancton. Michelle était présente lors de la soirée de lancement des Œuvres romanesques de Vian dans la collection de La Pléiade, en octobre 2010; en partant, elle nous avait avoué qu’elle y avait passé un moment agréable, mais que c’était tout de même moins drôle qu’une soirée avec Duke Ellington…

Christelle Gonzalo
Photo : Collection François Roulmann, by courtesy