Le pianiste Muhal Richard Abrams est décédé à New York, NY, le 29 octobre à
l'âge de 87 ans. Originaire de Chicago, il cofonde l'Association for the Advancement
of Creative Musician (AACM) en 1965, dont il est le premier président et une
figure emblématique. En 1967, il prend le nom de «Muhal», s'inscrivant dans le
mouvement d'affirmation des racines africaines des Afro-Américains. La même
année, il enregistre son premier disque,Levels and Degrees of
Light. Il joue avec la crème du free jazz (Marion Brown, Anthony Braxton,
Jack DeJohnette, Chico Freeman...) et plus largement avec des musiciens
évoluant dans d'autres esthétiques (Johnny Griffin, Clifford Jordan, Sonny
Rollins...). Son ouverture d’esprit, sa vision humaniste libératrice et son
parcours, depuis les clubs de blues de Chicago à la direction de grands
ensembles, ont fait de cet autodidacte un humble et magnifique musicien
couronné de diplômes et du premier
prestigieux JazzPar Prize. Son éclectisme
le mène d'ailleurs du ragtime à la musique contemporaine, embrassant toute la «Great
Black Music».
Né dans une famille modeste, le 19
septembre 1930, à Chicago (Illinois), Richard
Abrams découvre le piano très jeune et suit, grâce à sa mère, des cours
hebdomadaires au sein d’une YMCA de quartier. Dès ses 15 ans, il commence à
écrire des arrangements pour le pianiste de Chicago King Flemming qu’il
remplace de temps en temps. Il suit, à partir de 16 ans, des études au Chicago
Musical College, tout en jouant professionnellement, dès ses 18 ans, dans des
groupes locaux de blues, de rhythm & blues et de jazz dans les clubs de Windy
City qui compte un grand nombre d’excellents musiciens. En 1957, il compose et
enregistre des titres pour l’album Daddy-O
Presents MJT+3, un disque produit et promu par le populaire animateur de
radio Daddy-O Daylie. Peu après, le producteur du label Chess Records, Charles
Stepney, le présente à Joseph Schilinger qui vient d’écrire une méthode de
composition, The System of Musical
Composition, basée sur les mathématiques. Il garde de ses débuts une vision
très claire et enracinée du jazz. Il poursuit ses études au Governors State
University of Chicago où il tâte aussi de la musique électronique. Autodidacte
à ses débuts, il se forme au contact de la scène et joue rapidement avec Eddie
Harris (tournées dans le Midwest) puis Ray Nance, Kenny Dorham, Dexter Gordon,
Max Roach et autres musiciens de passage, alternant esthétiques jazz bien
installées et renouveau du bop.
S’orientant vers une musique
plus improvisée dans la forme, il est à l’initiative, en 1965, de la création de
l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians), une sorte de coopérative de jeunes
musiciens locaux pratiquant essentiellement le free jazz et le jazz
expérimental (utilisant des modes d'écriture issus de la musique contemporaine). Il
en est le premier président et en reste la figure emblématique. A ses côtés, on
compte des musiciens très actifs dont certains deviendront célèbres, tels Anthony
Braxton, Jack DeJohnette, Henry Threadgill, les futurs membres de l’Art
Ensemble of Chicago (Lester Bowie, Roscoe Mitchell, Joseph Jarman, Malachi
Favors puis Famadou Don Moye). Leur ambition est de produire ce qu’ils
appellent la «Great Black Music» et d’animer la scène musicale de Chicago. Tout
en assurant son rôle de fédérateur, il enregistre, en 1967, l’année où il
choisit son nom de «Muhal», son premier album, Levels and Degrees of Light, pour le label Delmark. Le disque
paraît en 1968. On y retrouve ses amis: Anthony Braxton (as), Charles Clark et
Leonard Jones (b), Thurman Barker (dm), Maurice McIntyre (ts), Gordon Emmanuel
(vib), Leroy Jenkins (vln) et Penelope Taylor et David Moore (voc). Ce premier opus
en leader exprime parfaitement ses théories musicales.
Accaparé par son rôle de
président et l’animation de différentes actions, il enregistre peu mais reste très actif sur la scène de Chicago. Sa notoriété finit par franchir les limites
de la grande ville du Nord et, dès 1970, son rôle et son talent commencent à
être reconnu au-delà des frontières, notamment en Europe où le free jazz
connaît un succès certain et suscite l’intérêt d’un nouveau public (l’Art
Ensemble of Chicago s’est formé en 1969 à Paris ou il est installé). En 1970, toujours, il
enregistre son second album, Young at
Heart/Wise in Time, qui ne comprend que deux longs titres, l’un en solo,
l’autre en quintet avec Henry Threadgill (as), Lester Lashey (b), Leo Smith
(tp) et Thurman Barker (perc). Il faudra attendre 1975 pour un troisième album
avec Roscoe Mitchell en quartet (Roscoe
Mitchell Quartet Featuring Muhal Richard Abrams), alors qu’il entame une
série d’enregistrements dont certains en invité. Il participe à un grand nombre
de concerts en leader ou en invité, mais
joue et enregistre surtout aux côtés de ses compagnons Marion Brown,
Leroy Jenkins, Anthony Braxton, George Lewis, Malachi Favors, Hamiet Bluiett,
Robin Kenyatta, Barry Alstchul puis Chico Freeman, Cecil Mc Bee, Marty Ehrlich,
souvent pour des albums parus sur le label italien Black Saint.
Si on le classe facilement comme un musicien
d’avant-garde et free, Muhal Richard Abrams n’oublie pas son histoire et
n’hésite pas à apparaître auprès de musiciens classés dans le jazz mainstream,
tels ses amis soufflants chicagoans: Gene Ammons, Johnny Griffin, Clifford
Jordan ainsi que Woody Shaw, Zoot Sims, Roland Kirk ou encore Sonny Rollins… Par
ailleurs, il complète ses talents de pianiste par ceux de violoncelliste,
clarinettiste, chanteur, mais aussi de compositeur, arrangeur, d’enseignant, et
il n’oublie pas son rôle d’administrateur pour l’AACM. Très influencé
par la musique européenne du début du XXe siècle, il a composé des
pièces destinées à des quatuors à cordes (Kronos Quartet), des orchestres de
chambre et/ou symphoniques qui ont été interprétées par le Brooklyn Philarmonic
Chamber Orchestra ou le Detroit Symphony Orchestra… Son implication dans la
musique contemporaine se caractérise tant par un travail en collectif (ses diverses
collaborations en sont la preuve) que par une démarche individuelle qui
s’exprime au mieux dans ses partitions et albums de soliste. Il entend dégager
la «Great Black Music»d’un contexte simplement lié à la musique de divertissement
pour en faire un Art à part entière. Il défend à travers ses théories et sa
pratique de l’improvisation une écriture exigeante que l’on peut redécouvrir en
parcourant attentivement l’intégralité de ses dix-sept enregistrements parus
chez Black Saint et Soul Note dont il signa aussi certaines illustrations des
livrets et pochettes.
La peinture complète ainsi son approche d’un art libéré
qui n’ignore rien de la tradition; une sorte de respect libéré pour de
nouvelles découvertes. Bien que sa discographie personnelle reste relativement modeste
(par rapport à certains artistes de la même génération), il apparaît sur plus
de cent-soixante albums dont trente-cinq en leader ou coleader. On le retrouve
souvent à la tête de groupes épisodiques ou en tant qu’invité; ses formations
principales étant le Creative Construction Company, The Muhal Richard Abrams
Octet et The Muhal Richard Abrams Orchestra. Après Sun Ra, qui marqua fortement
de son empreinte Chicago, Muhal Richard Abrams est sans aucun doute un autre
pianiste et acteur majeur de la liberté musicale de cette autre grande cité du
jazz. Enfin, sa démarche avant-gardiste ne l’a privé en rien d’une
reconnaissance institutionnelle: le maire de Chicago déclare que le 11 avril
1999 «Journée Muhal Richard Abrams», le National Endowment for the Arts le distingue en 2009, le magazine DownBeat l’intègre dans son «Hall of Fame» en 2010 et la Columbia
University le nomme Docteur Honoris Causa en 2012.
Muhal Richard Abrams et Jazz Hot: n°356-357, 1978, n°473,
1990.
Site officiel : www.muhalrichardabrams.com
DISCOGRAPHIE Leader-coleader CD 1967. Levels and Degrees of
lights, Delmark 413 LP 1970. Young at Heart/Xise
in time, Delmark 423 CD 1975. Roscoe Mitchell Quartet, Roscoe Mitchell Quartet, Sackville 2009 LP 1975. Things to Come
From Those Now Gone, Delmark 430 CD 1975. Afrisong PA-7121,
Whynot 79404 LP 1976. Anthony Braxton With Muhal Richard Abrams, Duets
1976, Arista 064-9880 CD 1976. Muhal Richard Abrams Featuring Malachi Favors, Sightsong, Black Saint 120003-2 CD 1978. 1-OQA + 19, Black Saint 120017-2 LP 1978. Lifea Blinec,
Arista-Novus 3000 LP 1978. Spiral-Live
at Montreux 1978, Novus-Arista 3007 CD 1980. Spihumonesty,
Black Saint 120032-2 CD 1980. Mama and
Daddy, Black Saint 120041-2 CD 1981. Leroy Jenkins feat. With Muhal Richard Abrams, Lifelong
Ambitions, Black Saint 120033-2 CD 1981. Muhal Richard Abrams Feat. Amina Claudine Meyers, Duet, Black Saint
120051-2 CD 1982. Blues Forever,
Black Saint 120061-2 CD 1983. The Muhal Richard Abrams Orchestra, Rejoicing With
the Light, Black Saint 120071-2 CD 1983. The Muhal Richard Abrams Octet, View With the Light,
Black Saint 120081-2 LP 1986. Muhal Richard Abrams Featuring Cecil McBee, Roots of Blue 1001 CD 1987. Colors in Thirty-Third, Black
Saint 120091-2 CD 1989. UMO/Muhal Richard Abrams, UMO Plays The Music of
Muhal Richard Abrams, UMO Productions 101 CD 1989. The Muhal Richard Abrams Orchestra, The Hearinga
Suite, Black Saint 120103-2 CD 1990. Muhal Richard Abrams & The Danish Radio Big
Band, Jazzkontakten 200501-2 CD 1991. The Muhal Richard Abrams Orchetsra, Blu Blue Blu,
Black Saint 120117-2 CD 1993. Familytalk,
Black Saint 120132-2 CD 1993. Roscoe Mitchell & Muhal Richard Abrams, Duets And Solos, Black Saint 120133-2 CD 1995. One Line Two Views, New World 80469-2 CD 1995. Think Focus One, Black Saint 120141-2 CD 1997. Art Ensemble of Chicago Special Guest Muhal Richard
Abrams, Kabalaba: Live at Montreux Jazz Festival, AECO 004 CD 1997. Song for All, Black Saint 120161-2 CD 1997. Muhal Richard Abrams/Marty Ehrlich, The Open Air
Meeting, New World 80512-2 CD 1997. Muhal Richard Abrams-Barry Harris, Interpretations
of Monk Vol.1, Koch Jazz 7838 CD 1998. Hamiet Bluiett-Muhal Richard Abrams, Saying
Something for All, Just A Memory 9134-2 CD 2001. The Visibility of Thought, Mutable Music 17502-2 CD 2006. Muhal Richard Abrams/George Lewis/Roscoe Mitchell,
Streaming, Pi Recordings 22 CD 2007. Joseph Jarman With Muhal Richard Abrams, Fred
Anderson and John Stubblefield, As If It Where the Seasons, Delmark 417 CD 2007. Visions Towards Essence, Pi Recordings 23 CD 2009. Muhal Richard Abrams/Roscoe Mitchell, Spectrum,
Mutable 17536-2 CD 2011. Sound Dance, Pi Recordings 37
Sideman CD 1957. MJT+3, Daddy-O
Présents MJT+3, Argo 9981 LP 1968. Joseph Jarman, Song
For Christopher, Delmark 417 CD 1968. Anthony Braxton, The
Bell, Delmark 415 CD 1972. Eddie Harris, Instant
Death, Atlantic 8122765862 LP 1972. Eddie Harris, Sings
The Blues, Atlantic 1625 LP 1973. Sonny Stitt, Soul
Girl, Paula Records 4004 CD 1973. Eddie Harris,
Excursion, Atlantic 6409 CD 1974. Marion Brown, Sweet
Earth Flying, Impulse! 119 CD 1974. The Art Ensemble of
Chicago, Fanfare for the Warriors, Atlantic 27389 CD 1975. Creative Construction
Company, Creative Construction Company 9409 CD 1975. Roscoe Mitchell Quartet, Live at "A Space" 1975, Sackville 2080
CD 1976. Chico Freeman, Morning
Prayer, Candid 79412 CD 1976. Anthony Braxton,
Creative Orchestra Music 1976, RCA 6579-2 LP 1976. Creative Construction Company, Creative
Construction Company Vol. II, Muse 5097 CD 1976. Chico Freeman, Chico,
Indian Navigation1031 LP 1977. Alphonse Mouzon, Beggars and Stealers, Muse 5095 CD 1977. Roscoe Mitchell,
Nonaah, Nessa 9/10 CD 1977. Barry Altschul, You
Can’t Name Your Own Time, 32 jazz
32192 CD 1977. George Lewis, Shadowgraph 5, Black Saint 120016-2 CD 1977. Antony Braxton, Quintet (Basel) 1977, HatOLOGY 545 LP 1978. Clifford Jordan,
Inward Fire, Muse 5128 CD 1979. Anthony Braxton, Live at the
Rainbow Gallery '79, Hi Hat 3027
LP 1981. Woody Shaw With
Anthony Braxton, The Iron Man, Muse 5160 CD 1991. Marty Ehrlich and the
Dark Woods Ensemble, Emergency Peace, New World 80409-2 CD 1996. Sonny Stitt, I Should
Care, Jewel-Paula 5055 CD 1998. Woody Shaw, Two More
Piece of the Puzzle, 32 Jazz 32069 CD 1999. Clifford Jordan,
Highest Mountain, Camden Deluxe 74321 610752 CD 2000. Eddie Hariis, Live At
Newport/Instant Death, Collectables 6402 CD 2001. Eddie Hariis, The Versatile Eddie
Harris/Sings the Blues, Collectables 6820 CD 2011. Paul Serrano Quintet, Blues
Holliday, Fresh Sound 664 CD 2015. Jack DeJohnette, Made in Chicago,
ECM 2392
Vidéos:
2007. Muhal
Richard Abrams solo, Live at Millenium
Park, Chicago (16 août 2007) https://www.youtube.com/watch?v=UBMA1DwAV0Y
2015. Muhal Richard Abrams'
Experimental Band, Chicago Jazz Festival (6 septembre 2015) https://www.youtube.com/watch?v=DK9RO_YzCXE
2016. Muhal Richard Abrams Quintet,
Aperitivo in concerto, Milan (31 janvier 2016) https://www.youtube.com/watch?v=x0fD1pFiT8E
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