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BATON ROUGE, Granville

10 nov. 2017
Roland GIRARD


Né en 1954 à Métlaoui, en Tunisie, Roland Girard fait partie de ces aventuriers amateurs de jazz qui apportent à cette musique ces histoires particulières qui font l’humanité de cette musique. Il a suivi les traces paternelles à plus d’un titre: son père travaillait dans l’exploitation minière (le phosphate dont la Tunisie est un grand producteur), et a poursuivi en France, en Vendée dans l’uranium. Roland l’a d’abord imité, comme chimiste, avant de prendre son envol pour une vie d’entrepreneur industriel qui vient de se transformer tout récemment en une vie d’organisateur de concerts de jazz. Car son père était aussi saxophoniste, et sans être professionnel, il a joué régulièrement en Tunisie et en France, après le retour en 1959, dans des harmonies et orchestres de bal. Roland, clarinettiste, a donc hérité, comme son frère saxophoniste, de l’héritage musical familial, se consacrant à la musique néo-orléanaise, toujours en amateur mais avec assiduité, avant de transmettre sa passion pour la musique à ses deux filles.
Sa clarinette rouge –elle trône sur le comptoir– est à l’origine, avec la musique de Louisiane comme on le devine, du nom du lieu (red stick, Baton Rouge, également capitale de la Louisiane), qu’il a créé il y a bientôt 4 ans, en mars 2014, à Granville, la cité balnéaire du sud de la Manche. Pas vraiment bar, ni tout à fait club de jazz, Roland a imaginé un lieu à son image, en réinventant le café-concert, jazz pour cette fois, une salle de musique dans un décor chaleureux et intimiste de bar-club, lui permettant de réaliser un de ses rêves autour de sa passion, le jazz. Avis aux musiciens de jazz, Roland Girard cherche des groupes!

Roland Girard on stage © Yves Sportis-Jazz Hot



«Je me suis remis au jazz et à la clarinette avec des amis de Saint-Nazaire. Je n’avais pas joué depuis plusieurs années, mais il y avait un vrai groupe et j’ai rejoué pendant une douzaine d’années. C’était très agréable, avec un vrai groupe, on a fait du nouvelle-orléans, je ne suis pas bebop, entre la Rochelle et la Baule.

En arrivant à Granville, il y a 10 ans, j’ai acheté ce bâtiment, avec un appartement en haut et en bas, il y avait un bar qui avait fermé, mais j’ai racheté le fonds de commerce. Je n’avais pas du tout l’idée d’ouvrir bar, c’était comme ça… Et c’est sous la pression de certains musiciens, dont mon frère, «tu as un bar, fais quelque chose…», que j’ai fini par me lancer en faisant des travaux avec mon frère. J’ai suivi une formation pour un bar, et on a lancé l’affaire. Pendant six mois, c’était surtout un bar à musique, le bar prenait le pas sur la musique. C’était pas ma vie du tout, et j’ai pensé arrêter. Je travaillais encore,  et en voyant ce qui avait été déjà réalisé, ce piano, cette scène, j’ai pensé que c’était trop bête, et j’ai décidé de changer d’idée, de ne plus faire le bar, de faire une salle de concert, de musique où le plus important, ce n’est pas le bar mais la scène, la musique.

jazz new orleans: le groupe cherbourgeois «Bourbon Street» de Jean Ade (sax) © Baton Rouge by courtesy

Le premier trimestre est bien parti, puis le deuxième, le troisième… avec des hauts et des bas, mais avec le même esprit et un maître mot: la qualité, dans le choix des musiciens, dans l’accueil des musiciens, du public, dans le contenu de la musique. Si je tiens, c’est parce qu’on fait «bien», du bon, de la bonne musique dans une bonne ambiance! J’aime beaucoup accueillir les gens, je ne suis pas derrière le bar, pas un barman… Mon rôle est plus d’accueillir les gens, de leur parler de musique, de ce qu’on fait; le plus important, c’est l’orchestre et les gens qui viennent les écouter; je veux les fidéliser. Ce n’est pas sur le plan commercial, je ne fais pas ça pour ce que ça rapporte, ce n’est pas le cas, ni l’esprit, mais il faut que ça tienne! Tant qu’on pourra faire ça dans le même esprit, on le fera. On a déjà réussi à tenir trois ans, à faire jouer plein de bons musiciens, faire jouer ma fille violoniste qui joue du jazz manouche sur Lyon –elle est luthière. Le défi le plus grand pour moi, c’est que ça perdure, car je suis naturellement plus entrepreneur que «continuateur». Mais je m’arrache, et je tiens! Mais il ne faut pas en faire trop.

On ne fait d’ailleurs que le samedi, deux à trois samedis par mois. Le plus difficile, parce que nous sommes un peu à l’écart des circuits, c’est de trouver des musiciens nouveaux et de qualité pour renouveler le plaisir de la découverte du public. J’arrête en été parce qu’il y a des concerts et des festivals partout ailleurs; je prends un peu de temps pour moi, pour améliorer le lieu, et l’hiver, c’est presque mieux, c’est chaleureux et les gens viennent se réchauffer avec de la bonne musique.
Il y a de bons groupes locaux, de Caen, de Rennes et maintenant certains groupes viennent de Paris: récemment le groupe de Nicola Sabato, celui de Laurent Marode avec Mourad Benhammou et Fabien Marcoz (une bonne soirée autour de Monk), l’année passé l'excellent David Sauzay, etc. Je les trouve ou ils me contactent, c’est un peu du hasard, parfois on me les conseille ou je reçois des maquettes… Le public qui vient me fait confiance, et je ne peux pas lui mentir. Je fais un choix et je veux que ça leur plaise. C’est important pour eux et pour le lieu!

Trio hard bop: David Sauzay (ts) avec les Caennais Jeremy Bruger (p, caché) et Christophe Bertheas (b) © Baton Rouge by courtesy

L’équipe est réduite; on est en société, j’ai obtenu une licence d’entrepreneur de spectacle, et je n’ai pas de subventions, ce n'est pas mon truc. Je ne fais pas ça pour l’argent, mais il faut que ça marche correctement. J’ai été formé comme ça. C’est: «recettes moins dépenses! Tu as une idée, tu la mènes au bout!» Je suis assez intelligent pour savoir si ça marche ou pour arrêter pour x raisons; il peut y avoir tout un tas d’explications. Ce n’est pas compliqué, si les gens ne venaient plus, pour une raison ou une autre, je n’en serais pas vexé. C’est pour ça que chaque soirée, je la fais comme si c’était la dernière. Je me dis: «Voilà, on a fait une belle soirée! Après il y en aura d’autres… Mais je suis tellement content de ma soirée; voilà, il y avait un job à faire, et on l’a fait, jusqu’au bout.»

Ma seule crainte au fond est que les gens ne viennent pas; parce que je veux que les musiciens aient un salaire, qu’ils soient correctement payés, accueillis dignement par moi mais aussi par un public suffisant. Je ne gagne rien, mais il faut que le lieu vive. Quand on gagne un peu plus, c’est pour les moments où on gagne un peu moins, ou pour les équipements de la salle, l’entretien, la rénovation. Pour le son, un copain vient parfois pour un petit réglage, pour le micro  de la chanteuse… Ce qui manque, c’est un jeu de lumières, et je pense à améliorer ce point.

Django spirit: Lucie Girard (vln) et le groupe «Café Calva» © Baton Rouge by courtesy

Au niveau de la programmation, on choisit un peu toutes les sensibilités, du blues, du bebop, du jazz manouche, du nouvelle-orléans (le 22 décembre prochain pour fêter Noël), et des soirées bœuf de temps en temps, avec entrée libre, tous les deux-trois mois. Même si j’ai un faible pour le nouvelle-orléans ou le swing, je suis ouvert à toutes les musiques, le bebop, le hard bop, les musiques qui vont plaire à mon public, que je connais, plutôt âgé de 50 à 70 ans –j’ai un vieil amateur de 90 ans qui vient régulièrement, un passionné, qui me raconte un tas d’anecdotes sur les clubs à Paris. Je ne vais pas imposer des musiques trop bruyantes ou expérimentales. Il y a d’autres scènes pour ça. Si les personnes viennent, et sont fidèles, locales ou parfois de Caen et de Rennes, c’est pour une certaine couleur, une musicalité, un état d'esprit, et j’y veille.
Le paradoxe, par rapport au public, c’est que les musiciens sont jeunes, parfois très jeunes; on ne peut pas dire que le jazz est une musique de vieux!»

Propos recueillis par Yves Sportis
© Jazz Hot n°681, automne 2017

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RÉSERVATIONS ET INFOS:

BATON ROUGE JAZZ CLUB
Roland GIRARD
email: batonrouge.granville@gmail.com
Tél.: 06 61 04 07 25
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