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Leonardo Acosta

22 sep. 2016
25 août 1933, La Havane, Cuba - 22 septembre 2016, La Havane, Cuba
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Leonardo Acosta © photo X, collection Patrick Dalmace




Patrick Dalmace: … [le saxophoniste Jesús Caunedo] vient de décéder à San Juan de Puerto Rico. 


Leonardo Acosta: Non?… Personne ne me l’a dit. ¡Qué lastima! Regarde cette photo… il est là! Il est mort? Coño! Ils sont tous morts. Je suis le dernier, je suis toujours le dernier! The last of the mohicansAy! Caunedo1 et 2

Il était effectivement le dernier; le dernier à avoir vécu la grande époque du jazz à Cuba avant et durant les premières années de la Révolution.
Figure incontournable de la culture, de la musique et du jazz, le saxophoniste Leonardo Acosta est décédé à son domicile de la capitale cubaine le 22 septembre 2016, à l’âge de 83 ans, n’ayant pu récupérer d’un accident cérébral. 
Egalement journaliste, écrivain, musicologue, c’est comme Homme du jazz qu’il marquera aussi la culture cubaine.






Né dans une famille d’intellectuels qui le pousse à étudier la musique, Leonardo, plus intéressé par la culture afro-cubaine de son quartier que par l’étude de la musique classique, parvient à échapper au piano. Ce sont les comparsas populaires et les rumberos qui l’attirent et il apprend la trompette. L’écoute de Charlie Parker le fait opter immédiatement pour le saxophone et rapidement le bebop le fascine. Avec sa bande d’amis, noirs pour la plupart, il cherche à jouer en imitant Gillespie ou Parker. Leonardo entre dans diverses jeunes formations, fréquente Bebo Valdés, Guillermo Barreto…

Au milieu de la décennie 1950, la fermeture de l’Université par le dictateur Batista (Fidel Castro et les étudiants sont déjà en marche) le pousse à partir aux Etats-Unis où il rencontre et joue avec Zoot Sims, Stan Getz, Taylor…, écoute dans les clubs tous les grands jazzmen et continue d’apprendre à leurs côtés. 


Walfredo de los Reyes (dm), Pedro Chao (ts), Cachaito (b), Leonardo Acosta (as), Frank Emilio (p), Club Las Vegas, La Havane, Cuba © Photo X, Collection Patrick Dalmace


De retour dans l’île, Leonardo Acosta est engagé par Benny Moré et sa Banda Gigante, mais le travail ne correspond pas à ses goûts pour le jazz, et il quitte la formation, travaille avec l’orchestre du Tropicana, où figurent les grands solistes cubains, et dans divers cabarets s’impliquant dans les jam’s sessions nocturnes du milieu des années 1950. La grande descarga qui suit le concert de Sarah Vaughan, au cabaret Sans Souci en 1957, le voit se mêler à tous les musiciens cubains et à ceux de Sarah, qui se pressent pour participer, et l’incite à organiser chez lui des jam’s qui attirent rapidement tous les jazzmen et amateurs de jazz de la capitale. Cette même année avec ceux-ci, il est à l’initiative de la création du Club Cubano de Jazz, structure clé dans l’histoire du genre à Cuba.

Chaque semaine, dans un lieu qui varie au cours du temps, Leonardo s’attache à organiser, présenter des tríos, cuartetos qui sont censés jouer bebop qui pour Acosta est LE jazz. Mais en fait divers styles du jazz y sont à l’honneur. Leonardo joue lui-même avec son cuarteto formé de Walfredo de los Reyes, Frank Emilio, Pedrito Hernández, et intègre plusieurs de ces groupes. Il est capable de jouer sur tous les saxophones et de reprendre si nécessaire sa trompette. 
Le Club recevra tous les musiciens de jazz qui ont marqué l’époque, Gustavo Mas (as), Walfredo de los Reyes (dm), les frères Hernández (cb), Jesús Caunedo (as, ts, fl, cl), Frank Emilio (p), Carlos Emilio (g), Pedro Chao (ts), "El Negro” Vivar (tp)…. et de nombreux jazzmen américains dont les plus connus sont Stan Getz, Mundell Lowe, Zoot Sims, Roy Haynes, Richard Davis, Eddie Chu, Kenny Drew, Don Hesterberg, Philly Joe Jones…

A la même époque Leonardo Acosta joue au Mexique où il passe plusieurs mois avec les figures importantes du jazz du pays: Chilo Morán, José Solís, Mario Patrón, Héctor «El Arabe» Hallal, Tommy Rodríguez… 
A l’heure de la Révolution, lorsque de nombreux bureaucrates (pas tous car certains ont participé au sauvetage du jazz) et quelques musiciens considèrent le jazz comme la musique de l’ennemi, Leonardo monte au créneau et, dans les colonnes de l’un des organes de la presse des Barbudos, il y défend le jazz dans un article historique intitulé «Musique et Racisme. Pourquoi poursuit-on le jazz aux Etats Unis?», dans lequel il rappelle que le jazz «En rompant avec les modèles musicaux occidentaux est devenu le mouvement musical le plus révolutionnaire du XXe siècle.» […] «Ce n’est ni le folklore d’aucun pays ni d’une race déterminée. Il a dépassé les formes du folklore pour devenir une nouvelle conception universelle de la musique, assimilable sous n’importe quelle latitude et par n’importe quel groupe racial ou national.» […] «Il est impossible… de faire taire une voix authentiquement populaire et le jazz c’est ça. Il continuera de représenter une réalité profonde, celle du véritable peuple créateur des Etats Unis. Et la voix authentique des peuples n’a jamais pu être étouffée» 3.


 Article «Musique et Racisme», collection Patrick Dalmace


Parallèlement –ce qui montre aussi l’ambiguïté de la période– il préface l’édition cubaine de l'histoire du jazz de Marshall W. Stearns (The Story of Jazz Marshall Stearns. Oxford University Press, 1956). Au début des années 1960, Leonardo Acosta joue et organise des concerts de jazz. On l’entend avec Chucho Valdés, Carlos Emilio, Changuito, Nicolas Reinoso… et il participe à la fin des années 1960 au Groupe Experimental Sonore de l’I.C.A.I.C. 


Il est un modèle pour les jeunes comme le rappelle à l’occasion de sa disparition Paquito de Rivera: «J’étais encore un gamin et depuis cette époque j’ai été fasciné par le langage musical de ce type maigre à l’énorme saxophone brillant [ce soir-là à La Gruta Acosta jouait du saxo baryton] qui n’était autre que Leonardo Acosta.»


J. C. Fonseca (cb), Raúl Ondina (p), Leonardo Acosta (tp), Nicolás Reinoso (ts), 1966 © Photo X, Collection Patrick Dalmace


Sans délaisser le jazz (il est aussi partie prenante des premiers Festivals Jazz Plaza), il consacre de plus en plus de temps au journalisme, comme correspondant de presse durant plusieurs années en Europe de l’Est, et à l’écriture. Leonardo Acosta est l’auteur en 1981 de Música y Épica chez Alejo Carpentier puis, l'année suivante, de l'incontournable Música y Descolonización et Del Tambor al Sintetizador 4 en 1983 pour ne citer que les ouvrages en rapport avec la musique.

Leonardo écrit au début des années 1980 Un siglo de Jazz en Cuba. Le fait d’avoir vécu le jazz de l’intérieur durant une longue période et d’avoir côtoyé nombre des pionniers des décades antérieures lui confère une autorité indiscutable et fait de son témoignage écrit une référence unique. L’ouvrage sortira incomplet à la fin des années 1990 puis, en 2001, en version intégrale en Colombie 5 (Jazz Hot n°600, 2001) et, traduit sous le titre Cubano Be Cubano Bop: One Hundred Years of Jazz in Cuba 6 aux Etats Unis en 2003. L’écrit est enfin publié en 2012 dans l’île 7. Il doit attendre 2007 pour recevoir le Prix National de Littérature et 2014 pour le Prix National de la Musique. Durant ces dernières années, bien que fatigué, Leonardo Acosta ne cesse de répondre à une multitude de journalistes, musicologues, chercheurs, comblant un manque cruel d’informations sur le jazz à Cuba.

Leonardo Acosta, jazzman complètement centré sur le travail dans les clubs, sur les jam’s sessions, les descargas, ne possède aucune discographie personnelle. Entre 1969 et les premières années soixante-dix, il pense avoir participé avec le Grupo de Experimentación Sonora de l’I.C.A.I.C. (Institut Cubain d’Art et d’Industrie Cinématographique) à l’enregistrement de musiques de films.


Patrick Dalmace


1. P. Dalmace. Interview de L. Acosta. La Havane 2006. [inédite]
2. Tears,
Jazz Hot n°637, Suppl. Mars 2007.
3. Hoy, 18 septembre 1960.
4. Il existe une traduction de ce livre:
Du Tambour au Synthétiseur, Ediciones José Martí, La Havane, 1985.
5.
Raíces del Jazz Latino: Un Siglo de Jazz en Cuba, Editorial La Iguana, Barranquilla 2001.
6.
Cubano Be Cubano Bop: One Hundred Years of Jazz in Cuba, Smithsonian Books, Washington 2003.
7.
Un Siglo de Jazz en Cuba. Ediciones Museo de la Música, La Havane 2012. 


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