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Toots Thielemans

22 août 2016
29 avril 1922, Bruxelles - 22 août 2016, Braine-l’Alleud, Belgique
© Jazz Hot n°677, automne 2016

Toots Thielemans © Jacky Lepage, «Bluesette» en duo avec Stevie Wonder, cliquer sur l'image…





De Jeanke à Toots

Le légendaire guitariste-harmoniciste belge est décédé dans son sommeil le lundi 22 août 2016 à l’hôpital de Braine-l’Alleud où il avait été admis à la suite d’une chute, opéré à l’épaule, puis touché par une pneumonie. Il s’est éteint paisiblement.
La disparition de Toots Thielemans a particulièrement ému le monde du jazz et, au-delà, le monde de la musique en général et le monde tout court tant sa popularité était grande internationalement.

Peu de musiciens européens ont atteint la dimension internationale de Toots Thielemans: la diversité des témoignages recueillis ici le montre bien. Ce qui frappe aussi, c’est l’unanimité avec laquelle est décrit le personnage: musicien hors norme, mais homme d’une grande simplicité et d’une grande bienveillance, notamment à l’égard des jeunes musiciens qu’il a inspirés.





Jeanke, Toots Thielemans à 5 ans © Photo X, coll. Jean-Marie Hacquier





Jean-Baptiste Frédéric Isidore Thielemans est né le 29 avril 1922, à Bruxelles dans le quartier des Marolles, au 241 de la rue Haute 1 où ses parents exploitent un café. Il est en admiration devant un accordéoniste qui s’y produit de temps en temps. A 3 ans, son père lui achète son premier accordéon… en carton. Il prend quelques leçons et joue à la demande dans le bistrot familial. «Jeanke, joue-nous quelque chose!», et il s’exécute: «La Tonkinoise» ou «L’Internationale» –son père a des sympathies pour la gauche de Léon Blum.

En 1927, ses parents quittent le quartier pour reprendre à Molenbeek, place communale, une mercerie, lingerie et vêtements de travail: «Au Palais du Cache-Poussière». Jean-Baptiste fait l’école primaire à Molenbeek, et les secondaires à l’athénée de Koekelberg avant de s’inscrire en mathématiques à l’ULB (Université Libre de Bruxelles).

En 1929, il découvre Larry Adler et Max Geldray dans l’orchestre de Ray Ventura. Il achète alors son premier harmonica –un instrument qui va l’aider par son action «souffler-aspirer» à mieux contrôler l’asthme qui l’affectera toute sa vie. De l’accordéon diatonique, il passe au chromatique en 1939.
A l’aube de la guerre, il échoue en première année à l’université, mais il a déjà d’autres plans de carrière. Il joue ce qu’il écoute à la radio, et il découvre
Louis Armstrong et Fats Waller sur un phono à remonter. Il est fasciné.

En 1941, il est au lit, malade, lorsque son copain Gilbert vient lui rendre visite avec une guitare. Jean veut l’essayer et Gilbert fait un pari stupide: «Si tu parviens à jouer ça, je te donne ma guitare!» L’affaire est entendue. Après quelques minutes, Jean-Baptiste, l’accordéoniste-harmoniciste devient guitariste. Une photographie atteste de sa présence en 1942, lorsqu’avec les jeunes musiciens belges, il accueille Django Reinhardt à la sortie de la Gare du Nord à Saint-Josse-ten-Nooode (cf. Jazz Hot n°652, p.18).

Jean Warland (acc, b) se rend fréquemment chez les Thielemans de Molenbeek avec son accordéon. Il est quatre ans plus jeune que Jean, qui ne s’appelle pas encore Toots. Alors qu’ils montent au grenier avec leurs instruments, Maman Thielemans s’écrie: «Jean, pas d’harmonica, pense à ton asthme!». Warland note dans sa biographie 2: «Médicalement, elle avait tort! Musicalement aussi!» Et il poursuit: «Il me faisait découvrir dans l’intimité de son grenier les neuvièmes, les septièmes majeures et les renversements; les accords de "Mood Indigo”, de "I Can’t Get Started”, "Just You, Just Me”, etc. Je découvrais la beauté de l’harmonie».

Le Jazz Hot d'Herman Sandy (tp), avec Jacky Thunis (dm), Raymond Lauwers (ts, bs), Franz André (p), Gene Kemp (b), Toots Thielemans (g),  été 1946, Duc de Buckingham de Blankenberghe © Photo X, Collect. Jean-Marie Hacquier by Courtesy


A la Libération, aguerri, il rejoint Le Jazz Hot, la formation d’Herman Sandy
3. Rapidement, il est, avec René Thomas, l’un des meilleurs guitaristes de Belgique. C’est à cette époque qu’Herman Sandy et Jacky Theunis, estiment que «Jean-Baptiste», ce n’est pas assez «hip», et qu’il devrait choisir un prénom plus américanisé. «Et pourquoi pas "Toots” comme le trompettiste-compositeur-arrangeur Toots Camarata ou comme Toots Mondello, le saxophoniste de Lionel Hampton?» Après quelques instants de réflexions, Jean-Baptiste est convaincu: «Va pour Toots!»

En 1946, il est membre de l’orchestre de Robert De Kers, puis il joue dans ceux d’Yvon Debie et Rudy Bruder. Il est reconnu comme un bon guitariste et comme un phénomène de l’harmonica chromatique avec lequel il improvise dans l’esprit de Charlie Parker.

En 1947, Il fait un premier voyage à New York, accompagnant son oncle qui s’y rend pour ses affaires. A New York il fait le tour des clubs, jamme à l’harmonica dans la 52e Rue et rencontre Billy Taylor, Howard McGhee et Lennie Tristano. Billy Shaw, l’impresario de Benny Goodman, le remarque alors qu’il joue sur la guitare de Chuck Wayne, à Miami. Il le recommande au clarinettiste, qui lui proposera quelques mois plus tard de le rejoindre à New York. Mais le visa et la carte verte ne sont pas si faciles à décrocher.

Charlie Parker, Toots à ses côtés, Suède 1950 © Photo X, Coll. Jean-Marie Hacquier by courtesy


Entretemps, Toots est rentré en Belgique. Il va devoir encore attendre quatre ans avant de pouvoir s’expatrier. Reconnu comme un des jazzmen belges des plus créatifs, il participe, à la guitare, au festival de Nice en 1948, avec Jean Leclère (p, vib) Au festival de Paris 1949, il joue à la Salle Pleyel et rencontre son idole, Charlie Parker. Il retrouvera le Bird à l’occasion de son séjour en Suède de 1950 à 1952.

Toots gardera toujours un accordéon, et il ne se séparera jamais de ses harmonicas, mais, à l’époque, c’est la guitare qui est son meilleur ambassadeur. Des collègues musiciens se moquent même de lui lorsqu’il se met à jouer de l’harmonica: «C’est un jouet, jette ça!», disent-ils. Et ils ont tort, car Toots a déjà trouvé le son qui le rendra immortel, avec ses longues notes essentielles, ses modulations, ses altérations et ses résonances.

Le 22 août 1949, il épouse Netty puis part pour une tournée en Italie avec Flavio Ambrosetti. A Rome, il rencontre Benny Goodman qui se souvient avoir apprécié les enregistrements que Billy Shaw lui a fait écouter. Il lui propose de le retrouver au Palladium de Londres. Toots intègre le sextet du clarinettiste qu’il accompagne au Danemark et en Suède. Il reste en Suède pendant près de deux années apprenant à parler suédois. Alors qu’il joue avec Reinhold Svensson (org) dans un hôtel de Stockholm, il voit entrer Charlie Parker, et il se met aussitôt à jouer note pour note le chorus de «Lover Man» enregistré par Bird. L’altiste, séduit déclare: «C’est le plus grand hommage qu’on puisse rendre à ma musique.» Il va bientôt retrouver Parker à Philadelphie –une photographie en témoigne.

A la fin de 1952, il parvient à émigrer aux Etats-Unis comme employé de Sabena Airlines. Muni du précieux sésame (carte verte), puis
naturalisé américain, il enregistre avec Wardell Gray et Dinah Washington. Il accompagne George Shearing (p) pendant sept ans et participe à la grande tournée des «Birdland All Stars» au sein desquels il est le seul musicien européen aux côtés de Count Basie (p), Lester Young (ts) et Billie Holiday (voc).

Toots, Cary Grant et Quincy Jones qui vient d'écrire la musique du film Walk, Don't Run (sortie 1966), à laquelle contribuent Toots, Harry Sweets Edison et Peggy Lee, un film de Charles Walters dont l'action se déroule à Tokyo, où joue Cary Grant © Photo X, Coll. Jean-Marie Hacquier by courtesy


La création de «Bluesette» joué en unisson guitare-sifflet remonte à 1962 et lui vaut un succès international. C'est aussi dans ces années 1960, que se noue une longue amitié et complicité professionnelle avec Quincy Jones, jamais démentie, et que Toots pénètre par son intermédiaire au sein de l'industrie du cinéma américain.

A partir de 1970, il fait de fréquents allers-retours entre sa résidence de Montaux (Long Island) et l’Europe. La Belgique le redécouvre au cours des concerts que Roger Vanhaverbeke (b) lui procure entre d’autres engagements aux Pays-Bas, en Suède et en Allemagne (big band de Kurt Edelhagen). Au sommet de son abondante production discographique, on retiendra The Sound qu’il grave en 1955 avec Ray Bryant et Oscar Pettiford (4 étoiles à Down Beat), Man Bites Harmonica avec Kenny Drew, Pepper Adams, Wilbur Ware et Art Taylor; sa rencontre avec Elis Regina (1972), Brazil Project (1991), mais surtout l’album Affinity qu’il grave en compagnie de Bill Evans (p) en 1978. Pendant cinq décennies il sera en tête du référendum de Down Beat dans la catégorie «instruments divers».

C’est à l’harmonica qu’il doit sa renommée universelle. Avec ce petit instrument dont il tire des sons chaleureux, inégalables, il enregistre la bande son de nombreux films, de Midnight Cowboy à  Jean de Florette».

Musicien confirmé et apprécié, il multiplie les rencontres en jazz comme en variétés, jouant et enregistrant aussi bien avec Billy Joël et Paul Simon qu’avec Bill Evans, Dizzy Gillespie, Herbie Hancock, Phil Woods, Shirley Horn, Ray Bryant… Il multiplie les tournées sur tous les continents.Tournée de Toots au Japon avec Michel Herr, Riccardo Del Fra, Adam Nussbaum © Photo X, by courtesy of Michel Herr

En 1981, une attaque cardiaque le prive de la dextérité de la main gauche. Toots ne renonce pas pour autant à sa carrière d’harmoniciste, donnant de très nombreux concerts (près de 200 par an) partout dans le monde. Veuf et remarié à Huguette (il lui dédiera «For My Lady»), il renonce à son domicile new-yorkais et s’établit définitivement à La Hulpe, dans la banlieue de Bruxelles, en 1991.

En 2001, le roi Albert II le fait Baron Jean-Baptiste Thielemans. Il adopte, en blason, cette devise: «Be Yourself, No More, No Less»! La même année, il est fait Docteur Honoris Causa des deux universités bruxelloises, la francophone et la néerlandophone: l’ULB et la VUB. Aux Etats-Unis, il est NEA (National Endowment For The Arts), Jazz Master Award 2009 –récompense suprême. Il est aussi: Commandeur de l’Ordre de Leopold II et Chevalier des Arts et des Lettres. Par Gilberto Gil, alors ministre brésilien de la Culture, il a été fait Commandore de Rio Branco. Géant du jazz, héros national en Belgique, il m’a confié regretter jouer si peu en France où il n’était pas considéré à sa juste valeur. En 2014, il décide de mettre un terme à sa carrière, mais il apparaît encore sur scène en août au festival Jazz Middelheim d’Anvers.

Son petit harmonica, il continuera à le pratiquer quotidiennement, même sur son lit d’hôpital, il y a quelques semaines à la suite d’une chute (fracture de l’épaule). Toots Thielemans talentueux et populaire était aimé et admiré par tous les artistes et par tous les Belges. Le Palais Royal et le Premier Ministre lui ont rendu hommage.

Ses funérailles se sont déroulées le samedi 27 août 2016 en l’Eglise Saint-Nicolas de La Hulpe où il habitait avec Huguette, son épouse, depuis une trentaine d’années. L’église, trop petite, ne pouvait accueillir tout le monde: 600 invités avaient pris place dans le petit édifice; un millier de personnes pouvaient, quant à eux, suivre la cérémonie diffusée sur écran géant sur la place attenante à l’église. A partir de 10h30, on vit arriver le Bourgmestre et ses Echevins; Charles Michel: le Premier Ministre; le Prince Laurent, représentant la Famille Royale; la Princesse Léa: veuve du Prince Alexandre et très liée au couple Thielemans; Madame l’Ambassadrice des Etats-Unis d’Amérique.

La plupart des musiciens belges: Frank Vaganée (as, fl) et les solistes du BJO, Michel Herr (p), Jack Van Poll (p), Charles Loos (p), Ivan Paduart (p), Herman Sandy (tp, contemporain de Toots, 1921), Laurent Blondiau (tp), David Linx (voc), Peter Hertmans (g), Philip Catherine (g), Steve Houben (as, fl), Robert Jeanne (ts).
Kenny Werner (p), Bart Denolf (b) et Bruno Castellucci (dm) avaient déjà gagné le chœur dans l’attente du début de la cérémonie.

Toots et sa cordialité légendaire personnifiait (avec Eddy Merckx par ailleurs) ce qu’il reste de l’unité nationale. Il était aimé au Nord, au Sud et à Bruxelles, par les Marolliens et les jazzmen, mais aussi par un grand nombre de personnalités nationales. Jacky Ickx, Alexandre Bouglione, José Géal (Toone VII), Richard Ruben, Maurane, Kadja Nin, Lou Deprijk, le Grand Jojo et Sandra Kim avaient répondu présents. Alors que sur le parvis, l’aumônier des artistes accueillait le cercueil, porté en épaulé par six jeunes hommes et salué par une haie de pompiers locaux, «Bluesette» retentissait dans les diffuseurs.

Au fond du chœur, les drapeaux américains et brésiliens entouraient les couleurs nationales. L’accueil de l’officiant se fit en français, en néerlandais et en anglais. Kenny Werner (p), à l’arrière de l’autel, joua «Old Friend» enchaîné par «Les Moulins de mon cœur» de Michel Legrand. Suivirent les hommages émus des nièces et du neveu de l’harmoniciste, puis, en néerlandais, celui de Bart Denolf (b).

Kenny Werner, en anglais et sans texte, évoqua les qualités de cœur et le talent de son ami, puis il prit dans sa poche intérieure une enveloppe dont il tira une lettre du Président Obama adressée à l’épouse du disparu: «Chère Huguette, J’ai été profondément attristé par la mort de votre mari. J’espère que les souvenirs partagés avec Toots vous aideront à atténuer votre chagrin. Je suis sûr que le soutien de vos proches sera une source de réconfort et de force. Dans les prochains jours, sachez que vous serez dans mes pensées. Puisse la musique de Toots vous guider et je crois qu’il le fera pour nous tous.»

On écouta «Ne me quitte pas» de Brel dans la version de Toots; le prêtre encensa le cercueil et, tandis que retentissait l’Ave Maria de Gounod enregistré par le défunt, les personnes présentes défilaient pour un dernier au revoir. Derrière l’autel, Philip Catherine (g), Bart De Nolf (b), Bruno Castellucci (dm) et Kenny Werner jouèrent «Dance For Victor», la composition de Catherine, maintes fois jouée par Toots.

La foule entourait le convoi funèbre, et Huguette est au premier rang © Jean-Marie Hacquier


En fin d’une cérémonie simple et digne, comme l’était Toots Thielemans, Veerle Van de Poel invita l’assistance, dans les trois langues, à faire une standing ovation: «C’est ce qu’il aimait le plus à l’occasion des concerts.» Suivit une version de «Bluesette» prolongée en Brabançonne puis l’hymne national Américain. La sortie de l’église se fit aux accents de «What a Wonderful World», et le corbillard suivi par Huguette, sa sœur, son beau-frère, ses neveux, se dirigea lentement, à pied, vers le petit cimetière du village. Les applaudissements se prolongèrent longtemps.

Toots aimait dire que sa musique se situe entre un sourire et une larme. Après les larmes, c’est son sourire que nous garderons gravé dans les sillons de ses merveilleuses mélodies. Toots fit par deux fois la couverture de Jazz Hot, fut le sujet de nombreux articles depuis les années cinquante, et participa à plusieurs interviews avec autant de gentillesse que de verve et d'esprit. Toute l'équipe garde le souvenir
d'un homme chaleureux, direct et attendrissant, d'un grand artiste aussi dont les spectacles ont toujours ravi le public. L’équipe de Jazz Hot présente à son épouse Huguette, à sa famille et aux amis ses condoléances les plus sincères.
Jean-Marie Hacquier
Photos Jean-Marie Hacquier, Jos Knaepen, Jacky Lepage
et divers photographes non identifiés pour les photos historiques (collection Jean-Marie Hacquier)
Remerciements aux témoins pour leur disponibilité
et les photos qu'ils ont transmises (Richard Galliano,
Michel Herr, Grégoire Maret…)



1. En 1992, une plaque commémorative est inaugurée sur la façade de sa maison natale, rue Haute, en présence de Quincy Jones et Ray Brown.
2.
Bass Hits, éd. Le Cri, Bruxelles.
3. Herman Sandy
a 95 ans. Cette photo qui date de l'été 1946 a sans doute été prise au Duc de Buckingham de Blankenberghe.




Jazz Hot n°567-2000, Toots et Kenny WernerJazz Hot n°652-2010, Toots Thielemans

Toots THIELEMANS et JAZZ HOT
n°110-1956,
382-1981, n°426-1985 , 519-1995, n°567-2000, 652- 2010.







Toots, les musiciens témoignent…

Réactions recueillies et réunies par Jean-Marie Hacquier et Jérôme Partage

Alain Bouchet (tp)
Maxim Saury et moi avons fait deux concerts, à quelques mois d’intervalle, en première partie de Toots Thielemans. C’était au début des années quatre-vingt. Puis, on s’est revu à Paris. Nous jouions dans un club à Pigalle, et il est venu faire le bœuf avec nous. C’était extraordinaire! On s’est aussi retrouvés à La Nouvelle-Orléans où on a bu un pot ensemble. Enfin, on s’est croisés quelques fois... En plus d’être un musicien merveilleux, c’était un homme charmant. Je le compare en cela à Maurice André qui était également un être délicieux. Deux grands musiciens, plein d’humilité et de gentillesse.

Toots en raconte une bonne à Richard Galliano © Jacky Lepage


Richard Galliano (acc, comp, arr)
Toots était mon ami. Un grand virtuose bien sûr mais surtout un très grand musicien avec une grande science harmonique et une magnifique dimension mélodique. Quand à l’émotion, elle rejoint celle d’Astor Piazzolla. C’était un musicien unique, inimitable. D’ailleurs, je déconseille fortement aux jeunes harmonicistes d’essayer de l’imiter ce qui reviendrait, d’une part, à essayer de voler son identité et, d’autre part, de ne jamais lui arriver à la cheville. Écoutez «Eyes of Love» et «Bluesette» avec Quincy Jones. Toots était aussi un magnifique guitariste et siffleur génial. Il sera toujours dans mon cœur et dans ma musique. Merci Toots. Salut l’Artiste!

Sean Gourley (g, voc)
J’ai rencontré Toots Thielemans lors d’une tournée en Belgique avec mon père, Jimmy, en 2005. On avait été invité par Roger Vanhaverbeke, et on avait notamment joué pour l’inauguration de la Jazz Station à Bruxelles. Vers la fin de la tournée, nous déjeunions à l’hôtel et voilà que débarque Toots Thielemans avec sa femme et son agent. Mon père le salue (je n’ai jamais su s’ils avaient joué ensemble), et il s’installe à table avec nous. Moi, j’écoutais sagement. A un moment, il s’est adressé à moi: «Tu es le fils Gourley? – Oui, Monsieur. – Tu travailles à Paris, alors? – Oui.– Ah, les musiciens français…» Et il m’a regardé avec un grand sourire:
«Ils cherchent, ils cherchent…» Et il n’en a pas dit plus (rires). L’harmonica, c’est Toots et Stevie Wonder. La dernière chose que j’ai entendue de lui, c’est huit mesures avec Pat Metheny: dès la première note, tu sais que c’est lui. Et en même temps, il se fond complètement dans le projet. C’est ça qui a fait sa dimension internationale: son côté universel.

La complicité avec Michel Herr © Jacky Lepage


Michel Herr (p, comp, arr, dir)
Quel privilège et quel bonheur d’avoir pu jouer longtemps avec Toots! Partager la musique en temps réel avec lui, accompagner son cheminement musical sur scène est une expérience qui a fait de moi un meilleur musicien.

Toots savait raconter une histoire et captiver son public de bout en bout au fil d’un morceau, et le faire en y injectant une émotion, un lyrisme bouleversants. Il savait aussi alterner émotion et décontraction souriante. Il avait conquis le public par sa simplicité, mais ceux qui l’ont connu savent que c’était, à côté d’une personnalité d’une sensibilité à fleur de peau (l’émotion lui montait souvent à la gorge et les larmes n’étaient jamais loin), un homme plus complexe. Il connaissait sa valeur, certes (il était conscient de ce qu’il avait accompli et avoir joué avec Bill Evans ou Jaco Pastorius était source de fierté), mais il était aussi lucide et doté d’un sens critique aigu.

Il ne faut pas oublier qu’avant de connaître le succès sur la scène internationale du jazz, il a traversé, après Benny Goodman et George Shearing, des périodes plus modestes, passant de studio en studio à New York pour siffler dans des spots publicitaires (il a touché une pension américaine également comme siffleur!). La reconnaissance en tant que jazzmen et «entertainer» est venue à l’âge mûr grâce à la Suède, la Hollande, le Brésil, l’Europe entière, grâce à «Bluesette» et à quelques rencontres décisives (Quincy Jones entre autres). Elle a explosé bien au-delà de la sphère du jazz (musique de film, invité des pop stars), car la valeur ajoutée qu’il apportait à tous les contextes était unique.

Toots, à la guitare, et Michel Herr © Jacky Lepage

Toots a transcendé l’harmonica, faisant de son «chrome sandwich» (comme il disait) un instrument complet, capable d’exprimer toutes les émotions dans un langage extrêmement élaboré. Il a propulsé l’harmonica dans une autre dimension; il était du niveau des plus grands instrumentistes de jazz. Par ailleurs, il fut aussi un guitariste raffiné, et on peut supposer que sa connaissance harmonique, développée sur la guitare, lui a permis d’aller très loin sur l’harmonica, harmoniquement et mélodiquement.
L’humour occupait une place importante dans son quotidien. Outre les anecdotes provenant de ses tournées américaines, de sa fréquentation des musiciens noirs, il savait trouver la formule caustique qui «croquait» un personnage, une situation, une musique, en puisant dans ses racines tant bruxelloises qu’américaines.

J’ai commencé à l’accompagner occasionnellement, en remplacement de Rob Franken, son excellent pianiste hollandais. Lorsque celui-ci est décédé inopinément en décembre 1983, Toots m’a demandé de faire les dates prévues. Après quelques concerts, me tendant la farde de piano contenant les morceaux de son répertoire, il m’a dit: «tu peux mettre ton nom dessus». J’ai donc eu l’honneur d’accompagner Toots dans le monde entier jusque 2001. Avec son groupe européen surtout (les bassistes Theo de Jong, puis Michel Hatzigeorgiou, et son fidèle Bruno Castellucci à la batterie). Mais Toots m’a aussi emmené dans ses bagages pour certaines tournées aux USA et au Japon, aux côtés de Riccardo Del Fra (b) et d’Américains comme Adam Nussbaum (dm), Rufus Reid (b), Ray Drummond (b), Billy Hart (dm), etc. Des moments inoubliables! Jouer avec Toots fut une expérience passionnante et exigeante, qui requérait un bagage étendu, beaucoup de souplesse et d’écoute. J’en suis sorti plus imprégné des valeurs essentielles de la musique.

Merci, Toots, les graines que tu as semées pousseront encore longtemps.

Olivier Ker Ourio (hca)
Toots a été un pionnier et il a amené l’harmonica jazz à son plus haut niveau. Il est parvenu à démontrer que c’était un instrument à part entière, et qu’il pouvait partager un langage commun avec les jazzmen. Pour moi, et pour beaucoup d’autres, il est une sorte de phare, de source d’inspiration, par la musique qu’il a développée, par la longévité de sa carrière, par l’ensemble de ses collaborations. Il m’a aussi inspiré humainement, par sa bienveillance, sa gentillesse, son accessibilité.

Je lui ai téléphoné quand je vivais encore à La Réunion et que je rêvais d’être musicien. Il m’a d’emblée proposer de venir le voir quand j’en aurais la possibilité. Et la première semaine où je suis arrivé à Paris, je suis allé le rencontrer. Il m’a reçu chez lui, il m’a encouragé, il m’a donné des conseils précieux. Il m’a dit que j’avais mes racines, qu’on les entendait dans mes compositions et que mon chemin était déjà tracé. Venant de lui, ça m’a donné une vraie confiance. Quelques temps plus tard, il m’a invité sur la scène du Petit Journal Montparnasse alors que j’étais venu en simple spectateur. J’étais tout tremblotant, et il m’a serré dans ses bras pour m’encourager. C’était ça Toots.

Sal La Rocca (b)
C’était pour nous un patriarche, un sage, ce qui devient un peu rare. Quelqu’un qui avait vécu une grande partie de l’histoire du jazz, et qui le transmettait avec beaucoup d’amour. J’ai joué une bonne quinzaine de fois avec lui en dix ans. Il me donnait des petits conseils. Par exemple, il disait souvent: «Play no more, no less». Tout ça m’a nourri et m’a guidé. Il était comme Jacques Pelzer, Steve Grossman, avec cette bienveillance vis à vis des jeunes qui débutent ou mêmes des un peu moins jeunes. De temps en temps, en tournée, il nous sortait une petite anecdote avec Billie Holiday ou Lester Young. Nous l’écoutions alors comme des enfants.
Malgré cette dimension d’un autre monde, il était très humble avec un humour typiquement belge. Il était à la fois un Bruxellois de base et l’un des plus grands artistes que le jazz ait porté.

Joe Lovano (ts)
Toots était un phare pour nous tous. Il nous manquera et nous ne l’oublierons pas. Connaître the grand Maestro di Maestri, Toots Thielemans, a été l’une des expériences les plus inspirantes de ma vie. Lorsqu’il a accepté de participer à l’enregistrement de mon disque Flights of Fancy: Trio, Fascination, Volume 2 (Blue Note), j’étais aux anges. Lui, Kenny Werner et moi avons joué comme un ensemble complet avec un flot d’idées musicales extraordinaires. Toots, c’était la mélodie pure et un véritable génie de l’expression. L’avoir au téléphone était également réjouissant: il pouvait jouer quelques phrases à l’harmonica aussi naturellement qu’il pouvait avoir une conversation. Je raccrochais en riant, je prenais mon sax et j’essayais de répéter quelques-unes de ses phrases…

J’ai participé à la célébration de son 80e anniversaire, au Carnegie Hall à New York, avec Kenny Werner, Herbie Hancock, Ivan Lins et beaucoup d’autres. Ce fut une soirée incroyable! Au cours des années, il nous est arrivé de nous retrouver sur des scènes de festivals. En 2004, nous étions à Pescara, lui avec son quartet et moi avec le mien dont faisait partie un autre grand maître: Hank Jones. Toots et Hank avait une relation très particulière, datant de 1947 quand Toots était venu pour la première fois à New York et s’était joint aux musiciens d’Howard McGhee. Hank était alors au piano. Au cours de cette soirée à Pescara, Toots est venu interpréter avec nous «I Can’t Get Started», le même morceau qu’il avait joué avec Hank à l’époque. Ce fut un moment magique. Toots donnait des frissons quand il jouait. On sentait toute sa passion et son amour. Viva Toots Thielemans!

Toots et Grégoire Maret © Photo X by courtesy of Grégoire Maret


Grégoire Maret (hca)
Pour moi, Toots est une sorte de père spirituel. Je l’ai rencontré à 17 ans. Il m’avait demandé de jouer un morceau pour lui. Evidemment, j’étais mort de peur. J’ai fait ce que j’ai pu. Mais il a su discerner mon potentiel. Il m’a donné un conseil que je n’ai pas oublié: «Si tu aimes ma manière de jouer, sers t’en comme exemple pour t’en éloigner et créer ton propre style.» Toute ma démarche de musicien se résume dans cette phrase. C’était aussi quelqu’un d’une grande générosité, d’une grande sincérité et surtout d’une grande simplicité. Il m’a influencé tant au niveau musical qu’humain. Il venait me voir quand je jouais en Belgique. On a même fait une jam ensemble. Et quand il était à New York, il m’appelait toujours. On se voyait, on discutait. Un jour, il a dû annuler un concert à San Francisco car il était trop fatigué. Et il a demandé à ce que ce soit moi qui le remplace et joue avec son groupe (Kenny Werner, etc.). On se connaissait bien, on se parlait souvent au téléphone. Sa disparition m’a profondément touché.
Il était vraiment impressionnant, par ses connaissances, sa manière de jouer les standards, son concept harmonique qui a évolué au fil du temps: d’abord bebop, hard bop, puis il a développé un style totalement nouveau à une époque (les années soixante et soixante-dix) où le blues était très en vogue. Son style était différent du blues mais s’inspirait des sons qu’on pouvait obtenir avec l’harmonica diatonique: il tordait les notes. Il est le premier à avoir eu une expression à l’harmonica très proche de la voix, avec un jeu très émotionnel. Et encore ce n’est qu’un aspect de sa personnalité de musicien qui était incroyable.

Jean-Jacques Milteau (hca)
Je suis venu à l’harmonica par le blues, et je n’ai découvert Toots qu’au début des soixante-dix par ses enregistrements live de chez Polydor que j’avais trouvé à Bruxelles. C’était avant internet; on allait à la musique plutôt qu’elle ne venait à nous! J’ai eu ensuite l’occasion de le voir maintes fois sur scène, d’échanger et même de jammer avec lui dans des circonstances très émouvantes. Je me rappelle d’une discussion sur les caractéristiques différentes de la colonne d’air du joueur d’harmonica diatonique et de celui qui pratique le chromatique. Je crois que Toots avait commencé l’harmonica sur les conseils d’un médecin parce qu’il était asthmatique quand il était gosse. Il m’a fait poser la main sur son ventre; il n’utilisait pas du tout le diaphragme pour ponctuer ses phrasés contrairement aux joueurs de blues. Dans les années quatre-vingt, il a été victime d’une attaque qui l’empêchait de jouer de la guitare. Pendant un moment, son jeu d’harmonica si virtuose auparavant, s’est concentré sur l’essentiel, gagnant encore en sensibilité. Toots était un musicien sans concession mais un homme d’une extrême gentillesse. Une bonhommie belge qui ne l’a pas empêché de devenir un maître considéré dans le monde entier. Une longue et belle vie qui laisse un héritage particulièrement riche et inspirant.

Rhoda Scott et Toots © Jacky Lepage


Rhoda Scott (org)
J’ai rencontré Toots en Belgique où j’ai souvent travaillé. Il était venu spontanément se joindre à moi sur scène. Et chaque fois que nous nous retrouvions, il faisait de même. Parfois, il commençait même à jouer de la table où il était assis. L’harmonica et l’orgue se marient très bien. Ce sont deux sons très distincts mais très bien assortis. Une année à Dinant, on préparait la liste des morceaux pour un concert. Quelqu’un lui a demandé s’il allait jouer «Bluesette». Il n’en avait pas vraiment envie. Et je lui ai proposé de jouer «For My Lady», le titre qu’il avait composé pour sa femme. Il était surpris que je le connaisse. Ça lui a fait très plaisir. Et il a dit à l’organisateur (qui me l’a rapporté): «Elle est mignonne Rhoda!» (rires). D’ailleurs, je joue régulièrement «For My Lady», presque plus souvent que «Bluesette». Mais à partir de maintenant, je jouerai les deux en souvenir de lui.
Toots était connu partout dans le monde, il savait se fondre dans tous les styles. C’est sans doute lui qui a joué avec le plus de musiciens différents. Avec Django Reinhardt, il est le musicien européen qui a le plus marqué l’histoire du jazz.

Aurore Voilqué (vln)
J’ai rencontré Toots Thielemans lors d’une master-class à Barcelonnette, pendant le festival Les Enfants du Jazz, il y a plus de vingt ans. J’avais 17 ans. J’ai été subjuguée par sa simplicité et sa gentillesse. Ça se lisait sur son visage qu’on aurait dit sorti d’un dessin animé. Plutôt que de nous parler de technique, il nous racontait des histoires. Il était dans le vrai de la vie. Ça a été une expérience extraordinaire.


Toots, l'équipe de Jazz Hot se souvient…

Toots et Jean-Marie Hacquier © Jos Knaepen




Jean-Marie Hacquier
Dans les années 50’ et 60’, Toots faisait presqu’exclusivement carrière aux Etats-Unis, dont il avait pris la nationalité. Il revint plus régulièrement à Bruxelles dans les années 70’, faisant la navette entre son domicile de New York et son appartement à Anderlecht, derrière le stade de foot. C’est Roger Vanhaverbeke(b) qui l’avait incité à l’accompagner en concert dans quelques clubs belges. En 1975, je suis allé chez lui, à Anderlecht, pour négocier son passage dans mon Jazzland de Liège. Il accepta aussitôt en précisant bien que je devais garder secret le cachet modeste payé au quartet.
Il a fait une thrombose en 1981, et lorsqu’il est venu jouer au Casino d’Ostende au cours de l’Oostende Rhythm’n Jazz Festival en 83 ou 84, je me souviens qu’il faisait des exercices avec une balle en mousse dans la main gauche pour assouplir celle-ci. Sur scène, il essayait encore de jouer quelques traits de guitare comme «The Mooche» ou «Satin’ Doll». Pour ce faire, Bruno Castellucci se postait derrière lui et faisait les accords. C’était à la fois drôle et triste. Huguette, sa seconde épouse, a été d’un grand secours, continuellement à ses côtés après le décès inopiné de Dirk Gots, son manager. Je pense que sans elle, il n’aurait pas vécu si longtemps. Quand je téléphonais chez lui, dans sa fermette de La Hulpe, Huguette me disait qu’il pratiquait son harmonica tous les matins, au réveil, dans son lit. Son «petit sandwich en métal» (il en avait plusieurs) l’accompagnait partout, et il ne manquait pas de souffler quelques notes au milieu d’une conversation. Il a dû beaucoup souffrir de ne plus donner de concerts…

Serge Baudot
Jouant de l’harmonica chromatique pendant mon adolescence j’avais deux dieux, Larry Adler et surtout Toots Thielemans. Et voilà qu’en juillet 1999, lors de sa venue à Jazz à Toulon, j’ai eu la chance de passer une longue après-midi avec lui, en marge de mon interview parue dans Jazz Hot (Jazz Hot N°567). Après-midi pendant laquelle il m’a raconté sa vie musicale depuis l’enfance dans le bistro de ses parents jusqu’à ce jour de 1999. Sans parler de multiples autres conversations.
J’ai découvert un homme charmant, simple, touchant, d’une très grande sensibilité et d’une non moins grande gentillesse, alliée à un profond respect pour les autres. C’était aussi un homme joyeux, plein d’humour, parfaitement content de sa vie.
Il me raconta sa rencontre avec Miles Davis qui lui dit : "«Moi je suis Miles, toi tu es Toots. Touche ma peau. Attention tu vois, tu touches la peau de ton idole!» A ce moment-là, l'expression des Noirs pour un Blanc, c'était "caucasian” Et Miles dit devant tout le monde: «He's really a caucasian, indeed.» (C’est un vrai caucasien, Toots dit cela en imitant la voix de Miles.) Tout le monde rigolait, et moi je tremblais en me demandant ce qu'il voulait dire, alors, avec mon accent européen, je lui ai dit: «No Miles, I'm not from Russia, I am from Belgium.» (Non Miles, je ne suis pas russe, je suis belge). Eh bien sûr, éclat de rire général! Mais ils étaient gentils. Alors Bird dit comme ça (il l’imite): «Miles leave my boy alone!» (Miles, fiche la paix à mon copain).” Il me raconta encore comment Miles l’avait pris sous son aile et protégé. 50 ans après, il pleurait d’émotion en me racontant ces anecdotes avec Miles. Il avait une belle faculté d’imitation. Il me fit plus tard un festival en imitant les voix de Miles, de Bird et de Louis Armstrong, allant même jusqu’à chanter des solos de Satchmo.
A chaque fois que je l’ai revu, il m’a manifesté la même chaleur, je peux dire la même, non, amitié serait trop fort, la même sympathie.
L’interview parut dans Jazz Hot en février 2000 avec sa photo en première page et une autre photo pleine page à l’intérieur. Il m’appela avec des sanglots de joie dans la gorge pour me remercier, ainsi que la revue, et dire que le numéro avait un grand retentissement en Belgique. On parlait de lui à la radio, à la télé, il eut droit à un timbre postal à son effigie, me dit-il. Et puis un jour, il m’appela de Boston, il me dit qu’il était allongé sur son lit, la guitare sur son ventre: «Tu sais, la compagnie de téléphone a pris quelques notes et me donne le téléphone gratuit en échange. Alors comme ça je peux t’appeler, et je vais te jouer ton thème préféré «‘Round About Midnight» à la guitare. Cette fois, c’était à mon tour de pleurer: d’émotion ce jour-là; de tristesse aujourd’hui.


Toots, les réseaux sociaux et la presse…

Jean-Pierre Bissot (Gaume Jazz Festival)
Au revoir l’artiste, Jean Toots Thielemans!
Repose en paix auprès des nombreux amis qui t’attendent là-bas. Tu as semé des graines musicales de bonheur et d’amour, aux USA, en Europe, puis… chez nous. Tu es resteras un exemple pour nous tous. Ta curiosité musicale était toujours en éveil, ton talent se forgeait dans la rigueur d’un travail constant. Tu as joué avec tous les grands noms. Tu prenais soin de rester accessible à tous. Tu participais à l’éclosion des jeunes talents. Nous avons fêté tes 75 ans au Gaume Jazz Festival en 1997 avec une fête initiée par de jeunes jazzmen belges (Ivan Paduart et Peter Hertmans), puis, en 1999, tu répondais présent à la carte blanche pilotée par Michel Hatzigeorgiou et son hommage à Jaco Pastorius (immortalisé par une terrible captation de la RTBF-TV – sûr que ça doit ressortir!) aux côtés de Julius Pastorius (fils de…) et d’Othello Moulineaux/Peter Graves. Puis, en 2000: c’est avec ton European Jazz Quartet que tu revenais à Rossignol en acceptant de devenir le parrain du Gaume Jazz Festival. Nous te promettons d’en rester dignes. Salut l’ami! (Facebook)

Philip Catherine et Toots © Jacky Lepage


Bruno Castellucci (dm)
Quelque part, on s’y attendait après sa chute, l’hospitalisation, l’opération. J’allais le voir presque tous les jours. Je l’ai encore vu samedi dernier. On a encore fait de l’humour bruxellois ensemble; on a ri. … Mais il me disait qu’il était près de la sortie. C’était un géant mais il avait beaucoup d’humilité.
(Le Soir, quotidien, Belgique)

Philip Catherine (g)
J’étais encore allé le voir la semaine dernière. Il aimait raconter des blagues mais, ces derniers temps, ce n’était pas très rigolo pour lui. La musique, c’était toute sa vie. En fait, il devait s’ennuyer. Jouer avec lui a été un honneur, mais, surtout un plaisir. Je ne connais aucun musicien qui n’ait pas eu envie de jouer avec lui. Il avait plein d’idées, un sac de phrases, une grande capacité d’improvisation, une grande liberté. J’avais beaucoup de respect pour lui. Il avait un son immédiatement reconnaissable, un phrasé unique; il était rigoureux mais aussi très sensible à l’émotion. Sa musique semblait facile, mais il y avait un gros travail en amont.
(Le Soir, quotidien, Belgique)

Quincy Jones (tp, producteur)
Repose en paix mon «Oncle Be-Bop» Toots Thielemans, l’un des plus grands musiciens de notre temps. Je n’oublierai jamais les innombrables albums sur lesquels nous avons travaillé. Chaque fois que je me préparais à entrer en studio, je t’appelais. Tu es le meilleur harmoniciste que le jazz ait jamais produit. Dieu te bénisse Stank*! Tu as laissé un trou béant dans mon cœur.

* Surnom donné à Toots par Quincy Jones. (Facebook)

Pascal Mesmaeker (Toots Jazz Festival de La Hulpe *)
«J’aime Toots, c’est mon musicien préféré. A la guitare, il avait déjà ce phrasé qu’on lui connait aujourd’hui à l’harmonica… J’ai les jambes qui flageolent en évoquant un homme simple et cordial, mais je suis heureux au vu de sa prodigieuse carrière dont nous allons, bien entendu, perpétuer et transmettre la mémoire.».

* le deuxième Toots Jazz Festival de la Hulpe se déroulera du 9 au 11 septembre 2016
(Facebook)

Hein Van de Geyn (b)
Cet homme, si plein de musique, de curiosité, de gentillesse et de bonté. Cet homme était si profond et à la fois très léger. Il pouvait entrer en communion avec des milliers de gens sans perdre de vue l’essentiel: ce flot de musique qui venait du plus profond de lui, de son cœur, de son âme, de son esprit, de son intuition. Cet homme qui pouvait envelopper les idées musicales les plus avancées dans un langage compréhensible par tous. (…)
Ayant pu jouer, voyager, parler et vivre des centaines de concerts et de tournées avec Toots, il a laissé une trace profonde dans ma musique et dans mon esprit. Je serais un homme différent sans lui. (Facebook)

Henri Vandenberghe (Brossella Jazz)
Parrain du festival Brosella depuis 1986, Toots Thielemans a joué le premier concert du festival en 1987 avec Philip Catherine… Il avait une chaleur humaine qu’on trouve rarement à ce point-là chez les grands musiciens. Quand il montait sur scène, il disait bonjour à tout le monde, et on entendait courir une souris. Tout le monde écoutait. Il avait ce charisme, cette approche, ce respect vis-à-vis de son public. Il a d’ailleurs arrêté de jouer par respect pour lui-même, par respect pour le public, parce qu’il n’était plus sûr de donner la qualité minimale. C’est quelqu’un qui a continué à chercher jusqu’à son dernier concert quelles notes étaient de trop dans sa musique».
(Facebook)

Kenny Werner (p)
J’ai perdu un grand ami la nuit dernière et le monde l’un des plus grands musiciens de tous les temps. Toots était admiré par les artistes de tous genres musicaux. Vous ne pouvez pas définir ou enseigner l’expression émotionnelle d’une phrase musicale que Toots trouvait dans son sandwich de chrome. Il a fait de ce petit instrument une force du cœur. (…)
Je crains que ce soit une perte du même ordre que Mel Lewis, Ornette Coleman ou Billie Holiday. Avec le temps, la musique engrange quelques gains mais des choses importantes sont toujours perdues. (Facebook)


Toots, de son vivant, vu par…

Herbie Hancock (p, arr, comp)
Il a une manière de vous transpercer le cœur avec la vitalité du son qu’il produit. Il y a quelque-chose qui passe dans l’esprit des hommes quand il joue!

(in DVD-RTBF L’Histoire d’un Ketje de Bruxelles, 2008)

Nathalie Loriers (p)
Il ne se contente pas de jouer les notes, il a toujours cherché les notes les plus expressives. Il ne se contente pas de jouer les phrases, il donne une expression à chaque note.

(in DVD-RTBF L’Histoire d’un Ketje de Bruxelles, 2008)


SELECTION DISCOGRAPHIQUE par Jean-Marie Hacquier

1958. Man Bites Harmonica, Riverside 11225 (Kenny Drew, Pepper Adams, Wilbur Ware, Art Taylor)
1959. The Soul of Toots Thielemans, Fresh Sound 1651/543 (Ray Bryant, Oliver Jackson)

1962. The Whistler and His Guitar, ABC-Paramount 482
1969. Elis Regina-Toots Thielemans, Aquarella Do Brasil, Verve 836844-2
1974
. Toots Thielemans Live, Polydor 2491-003
1974
. Toots Thielemans-Philip Catherine & Friends, Keystone 702
1979
. Affinity, Warner Bros. 56 617 (avec Bill Evans)
1980. Live in the Netherlands, Pablo/OJC 930-2 (avec NHØP)
1980. Summertime, Pablo/OJC 626-2 (coleaders Dizzy Gillespie, Mongo Santamaria)
1983. Jaco Pastorius, Invitation, Wounded Bird 3876
1984. Bringing It Together, Cymekob Records 801 (coleader Stéphane Grappelli)
1986. Ne me quitte pas-Do Not Leave Me, Milan 36107
1989. Footprints, Verve 846 650-2
1991. For My Lady, Verve 510 133-2 (coleader Shirley Horn)
1992
. The Brazil Project, Private 01005 – 82101-2
1994
. East Coast-West Coast, Private 01005 – 82120-2
1994-98
. The Live Takes, Quetzal 108
1998
. Chez Toots, Private Music 01005 82160 2
2001
. Toots Thielemans/Kenny Werner, EmArcy/Universal 014 722-2
2006. One More for the Road, Verve 6024 9 873776 7
2010. European Quartet Live, Challenge Jazz 70160
2014. Trilogy, 5003797

SITE: www.tootsthielemans.be

Pour une discographie complète, vous pouvez vous reporter au Jazz Hot n° 652, 2010


BIBLIOGRAPHIE
Toots par Marc Danval, 2014, éd. Racine, Bruxelles
Dictionnaire du Jazz à Bruxelles et en Wallonie, s/dir. de Jean-Pol Schroeder, éd. Pierre Mardaga, 1991

FILMOGRAPHIE
2009. Toots Thielemans, L'incroyable destin d'un ketje de Bruxelles, de Pierre Barré et Thierry Loreau, RTBF/La Une


VIDEOS par Guy Reynard

1969 ELIS REGINA E TOOTS THIELEMANS - Wave..(Together)
https://www.youtube.com/watch?v=4lMEozMLOF0


1980 Jaco Pastorius & Toots Thielemans - Sophisticated Lady
https://www.youtube.com/watch?v=__WTZNkU06A


1982-1985 Toots Thielemans Collection on Late Night, 1982-85
https://www.youtube.com/watch?v=WekA8lzxZPc


1988 TOOTS THIELEMANS IN NEW ORLEANS - 1988
https://www.youtube.com/watch?v=rQFvpDptc7c


1991. Rachelle Ferrell & George Benson, Toots Thielemans at the Montreux Jazz Festival 1991
https://www.youtube.com/watch?v=E1S7IMOZfXI


1993 Sting & Toots Thielemans - Shape Of My Heart
https://www.youtube.com/watch?v=5-ofMfDkY6g

1995. Toots Thielemans, Philip Catherine, Fabien Degryse «Bluesette»
https://www.youtube.com/watch?v=27J7SKGTN74

2002 Toots Thielemans Imagine John Lennon.wmv
https://www.youtube.com/watch?v=8UpQSKsxhCc


2007 Toots Thielemans and Stevie Wonder, Polar Music Award
https://www.youtube.com/watch?v=RtSJH8iVdJg


2009 Toots Thielemans - Bluesette
https://www.youtube.com/watch?v=yKnG_9q4crA


2010 Quincy Jones & Toots Thielemans
https://www.youtube.com/watch?v=IA36Anlf1bw


Nick Cave , Charlie Haden , Toots Thielemans & David Sanborn - ’’Hey Joe’’ -live
https://www.youtube.com/watch?v=tNyncv5raII


Toots Thielemans Brazil project
https://www.youtube.com/watch?v=5Gtznj0WxTk


Toots Thielemans and Peggy Lee-Makin Whoopee
https://www.youtube.com/watch?v=U_QDmRt6LAc


Toots Thielemans- Backstage Interview
https://www.youtube.com/watch?v=m_UlWWSF-FM

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