Langourla (Côtes-d'Armor)
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1 sep. 2013
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Jazz in Langourla, 9 au 11 août 2013
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© Jazz Hot n°664, été 2013
Jazz in Langourla poursuit, dans sa 18 édition, la défense d’un festival de jazz éclectique près de Lamballe, en Bretagne. Après la magnifique et très riche édition 2012 très jazz, le festival nous revient avec une programmation ouverte vers d’autres contrées que le jazz pur et dur. Chaque soir, trois groupes se succèdent, le premier sous un petit chapiteau pour un apéro-concert, les suivants au Théâtre de Verdure, une ancienne carrière réaménagée en salle de concert en plein air.
Comme à son habitude, le lauréat du tremplin Jazz in Langourla de l’édition précédente inaugure le festival. Ce sera le Ludovic Ernault Quintet, composé de Ludovic Ernault (sax), Frédéric Michel (g), Simon Désert (cb), Edouard Ravelomanantsoa (p) et Paul Morvan (dm). Ils sont jeunes et méritent bien des encouragements. Ces musiciens de Rennes livrent un jazz moderne de très bonne facture avec des compositions bien tenues qui lancent le festival sous de bons auspices en ce vendredi 9 août 2013. Les compositions « Last Dawn » ou « Unidad » sont aériennes et plantent un décors résolument jazz. Le quintet, créé en 2012, a obtenu il y a quelques mois de Kisskissbankbank, un site web de financement participatif, les fonds nécessaires pour produire leur premier album. Affaire à suivre ! Premier concert sous le théâtre de Verdure : Frédéric Borey. Le saxophoniste joue son dernier album, The Option, accompagné de Pierre Perchaud (g), Paul Lay (p), Florent Nisse (cb) et Stefano Lucchini (dm). Le set débute avec « Lo Zio », qui ne manque pas d’élan, puis poursuit avec des titres qui creusent l’atmosphère personnelle de Borey dans le sens d’une esthétique pleine de lyrisme et de pureté, sans effets gratuits. « My Home », le temps fort de ce concert, est à l’image de ce set, calme, posé, construit, nuancé, finement exécuté. Un peu de nervosité serait la bienvenue. Il faut attendre pour cela le dernier titre, « No Nap ».
Si les deux premiers groupes jouent sur le même registre, Kellylee Evans vient clore cette première soirée avec des touches plus soul. La présence de la chanteuse canadienne tient du miracle. En juin dernier, elle est foudroyée alors qu’elle est chez elle. Le choc n’a pas affecté sa voix, même si les séquelles sont visibles. Se déplaçant avec difficulté, Evans est installée sur un tabouret au centre de la scène, entourée de Raphaël Debacker (p), Eric Löhrer (g), Sylvain Romano (cb) et Fabrice Moreau (dm). Elle interprète essentiellement les titres de son dernier album, My Name Is. Depuis son premier album, Fight or Flight ? (2006), elle n’a cessé de tisser des liens entre le jazz et la soul, toujours dans le mélange. Dans son dernier opus, le pont est jeté avec le hip hop. Dans cette nuit langourlacienne, maintenant glaciale, Evans débute son set avec « My Name Is ». Souriante et pleine d’entrain, la complicité avec le public est immédiate d’autant plus qu’elle introduit ses titres en français, demandant ici à chacun de crier son nom, comme le veut la chanson. Les présentations sont faites. Le concert durant, Evans est généreuse, heureuse d’être là, se donne au maximum. Elle ne tient pas en place sur son tabouret. Raphaël Debacker (p) et Fabrice Moreau (dm) sont d’excellents sidemen et nourrissent le set de leur punch, avec de beaux solos aux claviers, fougueux, et un jeu riche et musclé à la batterie. La chanteuse insère ici et là des titres de Nina Simone, à qui elle a dédié Nina (2010), son album précédent. Notamment le standard « Please Don't Let Me Be Misunderstood », repris chaleureusement par le public. En guise de rappel, Kellylee Evans chante à la surprise de tous et a cappella l’hymne breton. Avec tant de générosité, la chanteuse a conquis Langourla.
Samedi, Matzik Expérience lance la soirée. Ce groupe, composé de Matthieu Letournel (tp, tub), Benoît Bacchus (g), Jean-Baptiste Tarot (sax), Pierre-Yves Prothais (dm, marimba), Claire Laurent, Solenn Diguet (voc), s’amuse aves les mots et les sons, la preuve que la fusion de l’humour et de la musique fonctionne bien. Le débit rapide de Claire Laurent et les envolées lyriques de Solenn Diguet étendent la gamme de Matzik Expérience. Un grand brassage musical, jazz, rock, chanson française, etc., la musique festive de Matzik Expérience relève parfois de la performance théâtrale tant le spectacle est vivant. Les compositions de Letournel et les interprétations des musiciens (« Envie », « Rendez-vous à la coda », « Nuit blanche ») assurent un excellent spectacle.
Le premier concert de la soirée au Théâtre de Verdure est un hommage spécial à Patrick Saussois. Le musicien, disparu le 22 septembre 2012, était un proche du festival Jazz in Langourla, de Marie-Hélène Buron, sa directrice artistique, tout autant que de Jazz Hot. Alma Sinti Trio vient dédier ce concert à leur meneur de troupe, au compagnon de route. Vêtus de la même tenue de scène que Saussois (chemise blanche, cravate), Jean-Claude Laudat (acc), Jean-Yves Dubanton et Samy Daussat (g) poussent le vice jusqu’à porter chacun une des cravates de son ami pour interpréter les chansons qu’il aimait, du jazz, du swing, du musette, des chansons populaires, tout le répertoire du titi parisien. Le trio débute avec le grand standard « Pennies From Heaven », enregistré en 1999 avec l’ami Dany Doriz sur le bel album Rythmes gitans. Pour le plus grand plaisir de tous. La virtuosité naturelle de ces musiciens se confond avec l'émotion. Pour participer à cette soirée-hommage, Alma Sinti a invité Daniel Givone, qui entre sur scène pour interpréter « Just One For Babik » puis « Begin the Biguine ». Givone incarne la puissance de la sensibilité. Puis retour arrière avec « Le premier rendez-vous », chanté alors par Danielle Darrieux et composé par René Sylviano en 1941, et la merveilleuse mélodie « Coin de la rue » de Charles Trenet, de 1966. Enfin, une composition de Patrick Saussois avec « Jojo Swing ». Le set reprend le répertoire de Saussois, ressemble au personnage, au musicien : d’une grande sincérité, humain, touchant, populaire. L’accordéon de Laudat entame « Swing valse », du musette, cette musique populaire et festive, et de poursuivre avec « Minor Swing ». Un concert exceptionnel empreint de beauté et d’émotion.
David Reinhardt et son organ trio ont la difficile tâche de succéder à Alma Sinti. Avec son organ trio, Florent Gac (org) et Yoann Serra (dm), le petit-fils de Django s’inscrit davantage dans la lignée de Wes Montgomery, avec des accents funky, que dans la tradition familiale. Ce changement de ton est bienvenu pour cette seconde partie de soirée. Débutant avec « When the Saints Go Marching In » puis « Blues For Ike », la présence de l’orgue donne à coup sûr une autre couleur à ces fameux titres. Pourtant, le jeu très smooth de Reinhardt et Gac souffre sans doute des répercussions de la performance passionnée d’Alma Sinti dont le souvenir souligne alors le manque de nervosité du trio, même si la langueur du set ne manque pas ni de finesse ni de mélodie. Avec « C », une composition de l’organiste, une des belles réussites de ce set, Reinhardt nous replonge dans la grande époque des organs trio. Retour au répertoire plus swing manouche avec « Made in France », de Biréli Lagrène, et un clin d’œil à Patrick Saussois avec une valse. En rappel, David Reinhardt invite Samy Daussat et interprètent « Nuages », en réponse à « Minor Swing ».
2013 est un cru réussi, toujours ouvert aux différents courants du jazz, au sens large, même si elle a été moins percutante que l’an passé. L'hommage à Patrick Saussois restera dans notre mémoire comme le plus beau moment de cette édition.
Mathieu Perez
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