Toulon (Var)
|
1 sep. 2013
|
Jazz à Toulon, 18 au 28 juillet et du 7 au 9 août 2013
|
© Jazz Hot n°664, été 2013
C’est parti pour la 24e édition de Jazz à Toulon avec un somptueux cocktail de lancement à l’Holiday Inn le 18 juillet animé par le trio Name in Jazz, avec la jeune chanteuse Angélique Nicolas, prélude à la soirée sur la place de la Liberté en compagnie du chanteur pianiste italien d’Urbino, Raphaël Gualazzi, deuxième à l’Eurovision de la chanson en 2011. Celui-ci présente un show plaisant rôdé à la perfection avec 3 soufflants, 3 choristes féminines, et une rythmique. Le chanteur tente de se situer entre Paolo Conte et Ray Charles, et il va jusqu’à prendre parfois leurs attitudes derrière le piano. Les musiciens sont bons, les choristes parfaites tant en groupe qu’en solo. On est dans un mélange pop, rock, jazz mal défini. Les plus jazz sont les choristes. Show éminemment populaire, de la variété de belle qualité, de la sincérité et de l’engagement. Foule en délire. Le chanteur a été desservi par une sono mal réglée qui ne permettait pas d’entendre la voix dans son ampleur et ses qualités. Depuis des années, à chaque fois qu’un groupe amène son propre sonorisateur, le résultat est déplorable.
Le 19, sur le port de Toulon, Quai du Parti, place à l’un des meilleurs harmonicistes diatoniques, Greg Szlapczynski, qui se fait appeler Greg Zlap, ce qui est évidemment plus facile pour nous français ! Nous avions fait un reportage sur l’enregistrement de son deuxième disque à Varsovie (Jazz Hot n° 622). Depuis que de chemin parcouru ! il s’est fait connaître du grand public en accompagnant nombre de chanteurs célèbres, dont Johnny Hallyday. Mais ce soir, du blues, du blues ! Greg a développé sa prestation vocale, ainsi que ses qualités de showman, candide, touchant, simple et forcément sympathique. On retrouve Toma Milteau en grand progrès, auteur d’un long et emballant solo, ce qui n’est pas évident en restant dans la rythmique blues pure et dure. Un guitariste pur jus blues qui vient de l’intérieur, Eric Sauviat, un claviériste Damien Cornelis, un bassiste électrique, Tristan Brés, tous du même tonneau. Greg fait des merveilles avec ses petits harmonicas diatoniques, à tel point qu’on a souvent l’impression qu’il joue sur un chromatique, mais avec ce son fabuleux de l’harmonica blues. Il invita deux autres bluesmen à se joindre à lui pour un morceau d’enfer : Fifi Chayeb, basse électrique qui fit partie du dernier Guitars Unlimited et du solide batteur Claude Salmieri. Généreux en diable, le groupe de Greg Zlap offrit plusieurs longs rappels dans la joie des corps s’agitant debout.
Ô rage, ô désespoir, ô showbiz ennemi ! En ce soir du 20 juillet sur cette place populaire et qui le matin accueille un magnifique marché, en ce soir de canicule donc, est venu se trémousser, minauder, Elektro Deluxe, groupe sans jazz et encore moins de luxe. Un chanteur grimaçant, pétri de mimiques ridicules, un filet de voix, si ce n’est des grasseyements prétentieux, pâle imitation du Joel Grey, le maître de cérémonie du film Cabaret de Bob Fosse, et qui de plus se prend pour le démiurge de la scène, faisant d’emblée mettre les gens debout, et ils s’exécutent ! Comme si cela allait faire de la musique ! Trois soufflants qui dansent parfaitement aux sons de leurs riffs basiques, une basse électrique et un clavier wawatant à tire larigot en tirant sur toutes les ficelles du genre, un batteur qui fait boum tchi boum, non même pas. Il y a de la joie (factice ?) sur cette prestation. Et la foule s’agite, applaudit, hurle. Ils sont des milliers, je suis seul, apparemment. Je ne comprends plus. Je me suis trouvé ce soir au bord du néant vaste et vide, et je me suis senti de trop. Et pourtant dans l’après midi il y avait un sextet local, inconnu, qui fit un très beau concert sur des arrangements peaufinés (Voir apéro concerts). J’ai vu tant d’artistes véritables, de ceux qui apportent un supplément d’âme à l’humanité, obligés de trimer pour survivre, pour encore supporter les faiseurs qui exploitent les découvertes, les créations, en les abâtardissant, les dénaturant.
Et le 23, bis repetita placent, avec Eric Legnini, mais quand même en moins grave. Concert en deux parties avec à chaque fois un chanteur différent, d’où « Sing Twice », avec un septet disposant d’une belle rythmique avec le solide batteur Franck Agulhon, le subtil Thomas Bramerie à la contrebasse, et le chef lui-même, Eric Legnini, aux claviers. Il y avait là de quoi faire du jazz, et de l’excellent. Mais est-ce parce que Legnini a accompagné beaucoup de chanteurs (pourtant Claude Nougaro c’était une bonne école de jazz), ou parce que ces formules pop-world-jazz et autres ingrédients ont les faveurs d’un large public ? Toujours est-il qu’en background on avait trois souffleurs qui se coltinaient des arrangements basiques : Quentin Ghomari (tp), Boris Pokora (s), Jerry Edwards (b). Tout ce beau monde au service du chanteur Hugh Coltman, excellent technicien, allant du grave au haute contre : maîtrise du souffle, engagement, mais avec une voix hélas sans grain, neutre, plate, sans rayonnement. Il fut connu avec son groupe de rock plus ou moins blues, Hoax, dans les années 90. Disons que ce n’est pas un chanteur de jazz. Seconde partie avec changement de chanteur. Apparaît alors la Malienne Mamani Keïta, belle présence, mais on se trouve devant une chanteuse qui se contente de décliner pratiquement la même mélopée descendante sur tous les morceaux (certes, l’Afrique…), et comme toujours quand ce n’est pas brillant, on fait taper dans les mains, et on ordonne de se lever. Et ça marche ! Il a fallu attendre le dernier rappel quand Hugh Coltman a pris le pouvoir avec le micro et a entraîné le groupe dans une chaude prestation, certes plus rock que jazz, mais ça chauffait et ça laissait entrevoir ce que pourrait donner ce groupe. Eric Legnini est si sympathique et si touchant sur scène. Et puis c’est un bon pianiste, très bien dans le passé avec Toots Thielemans ou Stefano di Battista. Rien n’est perdu !
Le 25 sur la place Bouzigue, un quartier excentré, on retrouvait JR & Friends sous l’appellation Club Sofa - avec l’adjonction d’un magnifique sofa rouge sur la scène et de la chanteuse Céline Peltier. On n’a pas retrouvé tout le temps le peps de la place Puget. Céline Peltier n’est pas vraiment une chanteuse de jazz, elle ne sait pas scatter, du moins n’a pas trouvé ses onomatopées ; elle a une voix plutôt grave, qui n’est pas sans charme, mais elle oscille entre divers répertoires, sans que tout cela soit maîtrisé. Elle est très bien dans ce qu’on appelle la chanson française, à preuve sa belle interprétation des « Moulins de mon cœur » de Michel Legrand. Le programme est un peu fourre-tout, on nous fait apparaître deux danseurs pour un tango façon break dance, pas mal d’ailleurs, on fait venir s’asseoir sur le canapé un couple pris dans le public. Sympathique bien sûr, mais un peu fête de village. Il y eut de beaux solos enflammés, surtout de la part du sax. La foule était ravie, et la chanteuse est née à Toulon. Alors…
Le 25 juillet, dans le jour déclinant d'une fête estivale, Daniel « Nanou » Michel, directeur artistique de Jazz à Toulon, avait convié la population toulonnaise place Victor Hugo, sur le parvis du théâtre municipal. Endroit choisi et parfait pour accueillir un concert de grande musique donné par le trio de Florin Niculescu. Pour la circonstance, le violoniste roumain était associé au guitariste Hugo Lippi et au contrebassiste Yoni Zelnik. Pendant une heure trois quarts, nous eûmes droit à une relecture magistrale, superbe et vivifiante du répertoire qui fit la gloire du Quintette du Hot Club de France et la renommée de ses deux solistes, Django Reinhardt et Stéphane Grappelli. Le trio commença en rendant hommage au violoniste en interprétant une des ses compositions tardives, d'ailleurs peu connue des années 1970, pleine de tendresse et de nostalgie, « Automne ». Il poursuivit avec une pièce de George Gershwin, « Fascinating Rhythm » (1924), dont Stéphane se plaisait à ré-explorer les richesses. Les musiciens enchainèrent avec une très ancienne pièce de Ray Henderson, enregistrée en 1925 par l'orchestre de Fletcher Henderson ; y figurait alors un certain Louis Armstrong (on lui doit d'ailleurs le très beau chorus de trompette de cette version et un bon court solo de Coleman Hawkins !), « Alabamy Bound » (1924) – Grappelli longtemps pianiste et violoniste dans la grande formation de Grégor en appréciait particulièrement la structure. Ensuite, fut jouée une des très belles chansons françaises, digne de figurer dans tous les Standards Books ou Songbooks, « La chanson des rues » (Rudof Goer & Michel Vaucaire – 1936). L'exposition ad libitum du thème par Florin fut admirable et juste de nuances sensibles ; le public ne s'y trompa pas qui manifesta sur l'instant son contentement en exclamations admiratives. L'enchaînement sur deux thèmes très appréciés des fans du répertoire de Django, « Tears » (1937) et « Rythmes futurs » (1940), joués avec maestria, était bien venu. Le trio continua avec des compositions jamais enregistrées par le Quintette du HCF, si certaines le furent en d'autres contextes par Reinhardt (Alex & son Orchestre dirigé par Paquinet) ou Grappelli, comme le troisième et dans la même formule avec Joe Pass et NHOP (Copenhague, 1979) : « Nearness of You » (Hoagy Carmichael – 1937), « Valse sentimentale » (œuvre écrite par Florin en 2000), « I Get a Kick out of You » (Cole Porter – 1934) et « I Remember April » (Gene de Paul – 1941). Un tonnerre d'applaudissements monta de la foule amassée sur la place lorsque Florin laissa s'envoler les premières notes de l'improvisation fameuse de Django sur « Minor Swing » (1937). Le trio fut très applaudi à la fin du morceau. Les personnes assises se levèrent et celles debout continuèrent à se presser davantage. En bis, et à la demande générale, Florin donna « Nuages » (D. Reinhardt – 1940) ; il termina avec un traditionnel, « Les yeux noirs », accompagné par les claquements de mains du public, à contretemps comme il se doit. Les musiciens quittèrent la scène sous les acclamations et les ovations bien méritées des spectateurs. Cette formation donna un très beau concert, un vrai, d'une grande tenue musicale. Chaque membre participa à la fête commune. Zelnik a tenu sa partie avec sérieux et soutenu les deux solistes avec efficacité. Hugo Lippi n'est pas qu'accompagnateur dans ce trio : il est une véritable seconde voix qui enrichit l'ensemble du discours musical par le contrepoint qu'il tisse en relation avec le violoniste. Le dialogue complice violon-guitare est permanent et sollicite l'attention du public. Son style, qui n'est pas issu de l'école manouche mais de la branche américaine, apporte beaucoup de relief, par le contraste qu'il crée sur ce répertoire, à celui de Florin : il est une sorte de Joe Pass mâtiné de Kenny Burrell avec des réminiscences d’Henri Crolla : enfin du vrai Hugo Lippi, et c'est formidable ! Outre sa manière très enracinée dans la tradition des musiciens d'Europe centrale, Niculescu est un virtuose, un immense violoniste, un très grand interprète, un authentique musicien. Il n'est pas, comme certains l’affirment – même s'il présente une certaine parenté avec son illustre prédécesseur –, le continuateur de Stéphane Grappelli. Il est tout simplement devenu Florin Niculescu, nouveau grand maître du violon dans l’univers du jazz, et pour de nombreuses années encore nous l'espérons : avec sa culture individuelle, dont il a une claire conscience, avec sa parfaite connaissance des littératures musicales, qu'il explore avec humilité et beaucoup de respect. Quand Stéphane était élégant, Florin est majestueux ; quand Grappelli était poétique, Niculescu est lyrique ; quand le Romain de Paris était policé jusqu'à l'affectation baroque, le Roumain de Paname est barbare jusqu'à l'incorrection galante. Et tous les deux nous donnent à lire la musique comme un art polymorphe en tant qu’œuvres pensées et construites. Au delà de l'immense talent des musiciens qui ont enchanté l'assistance en ce 25 juillet, il est permis de s'interroger sur les raisons profondes du surprenant et immense succès de Florin et ses amis. Certes, la musique manouche est à la mode ; mais Florin ne donna pas un concert de musique manouche (s'il en exprima quelques accents), mais un concert de jazz classique. Or, comme il est permis de le constater, la quasi totalité des pièces jouées avait plus de 80 ans d'âge ! Et, s'il y avait des « vieux » qui revécurent leur enfance, beaucoup également ne l'étaient pas : des jeunes, de très jeunes et même des gamins ; ils ne furent d'ailleurs pas les derniers à écouter dans un silence religieux et à s'enthousiasmer de ces instants. Alors pourquoi ? C'est peut-être qu’à la fin des années 1920 et début 1930, Toulon fut l'un des berceaux de la musique de Django. C'est dans ses bars et ses tripots et ceux de la côte varoise que Django, en particulier, fit ses premières armes dans des orchestres de « balletti » locaux, où il faisait déjà admirer – avant qu'il ne perdît sa main dans un incendie de roulotte – ses qualités de prince de la valse manouche. C'est en ces lieux, dans ces french barrels houses, que Jean Sablon, celui qui immortalisa « La Chanson des rues » accompagné par Django, le découvrit et le décida à participer à ses premiers enregistrements. Grappelli travailla également sur la Côte-d'Azur à cette époque, lorsque cette région était encore la villégiature d'une certaine aristocratie qui « s'encanaillait » en découvrant cette musique qu’elle ensemença dans la population locale qui ne tarda pas à « se l'approprier » ; ainsi le rappelait Roger Chaput, également peintre respectable, qui vint terminer ses jours tout près de là et qui, auparavant, fut guitariste de jazz et accompagnt souvent Django sur ses disques et en cabarets à Paris, notamment au sein du Quintette du HCF. Les Toulonnais ne s'y sont pas trompés en cette soirée d'une moiteur troublante : ils ont, en la musique de Florin Niculescu, retrouvé celle de leur passé enfouie dans leur mémoire et reconnu en ce violoniste un des leurs. M. H. Falco, maire de la ville, accompagné de son épouse et d'autres personnalités du conseil municipal, présents et enthousiasmés par le spectacle, vinrent, comme il se doit, féliciter les musiciens.
Le 26 juillet, Les Voice Messengers étaient programmés place Louis Blanc. Sous la conduite de leur directeur musical, Thierry Lalo (p, arr.), Anne-Marie Jean, Rose Kroner, Chloé Cailleton, Solange Vergara, Manu Inacio, Larry Browne, Sylvain Belgarde, Pierre Bodson, Christophe Le Van (b) et Frédéric Delestre (dm), ont, pendant une bonne heure et demie, enthousiasmé le public venu très nombreux pour entendre un répertoire réarrangé par le pianiste, parfois avec beaucoup de bonheur, et découvrir des tentatives ambitieuses sur des textes de poésie peu évidents (« Chanson d'Automne » - O. V. Milosz, « L'Albatros » - Baudelaire, « La Mouette » - Verlaine). Si le réarrangement de « Que reste-t-il de nos amours », par trop "au goût du jour", n'a pas paru correspondre à l'esprit du texte, ont en revanche retenu l'attention : « Too Close for Comfort », « I Can't Help It », « Lulu Back's in Town » et « That All » (bien chorégraphiés), « Love for Sale » (inspiré de la version orchestrale de Thad Jones), « Have You Met Miss Jones »… En bis, le groupe a repris la chanson d'Henri Salvador « Mademoiselle » pour terminer sous les acclamations des spectateurs, avec la participation bien orchestrée de l'assistance, sur une version enlevée de « Oleo ». Le travail musical est de qualité ; la mise situation très étudiée ; et la chorégraphie apporte beaucoup à cette formation qui donne un véritable spectacle fonctionnant fort bien avec les spectateurs.
Samedi 27 juillet, sur la Plage du Mourillon se présenta The Robert Cray Band. Accompagné par l’organiste (excellent) James Pugh (clav), Richard Cousins (b) et le batteur Les Falconer (efficace), le chanteur guitariste donna son spectacle : toujours travaillé, maîtrisé mais par trop commercial. Le résultat a plu au public venu nombreux. Néanmoins, il ne suffit pas d’avoir été le second de John Lee Hooker ou le troisième d’Albert Collins pour être un authentique musicien de blues. Cela tient au fait que Robert Cray a surtout choisi le modèle d’Eric Clapton qui, pour être professionnel accompli, n’en est pas moins loin des musiciens de culture et de civilisation. Robert Cray Band joua une musique « produit de consommation ». En sorte que le public, assistant au balai cérémonieux et permanent de guitares présentées à l’officiant, regarda avec attention, curiosité même, « Right Next Door (Because of Me) », « I’m Done Cryin’ », « Won’t Be Coming Home », « Smoking Gun », « Alone the Road Down », « I Guess I Showed Her »…, chansons qu’il écoute habituellement à l’aveugle sur ses CDs. Il manifesta même son plaisir en quelques occasions, lorsque pour raviver l’enthousiasme défaillant, Cray évoqua théâtralement les mannes d’Otis Reding ou de James Brown. Mais l’assistance ne reçut jamais en retour la complicité du showman ; il se garda bien d’y répondre, coupant court aux effusions pour revenir à son programme. Elle y était prête mais ne put jamais vraiment participer à l’événement. La spontanéité n’est pas du registre de Robert Cray ; l’artiste aime être applaudi mais l’homme n’apprécie pas la fête. Il a donc maintenu le public à distance comme toute vedette de pop music : proche mais jamais accessible, jusques et y compris les albums déjà signés par l’idole vendus à la fin du concert par l’entremise de quelques préposés acolytes. Après la prestation, les musiciens s’enfermèrent dans leur loge et refusèrent même de signer le livre d’or et les clichés présentés par les organisateurs, selon la coutume : tant pis pour lui ! Son autographe ne figurera pas dans l’album commémorant le prochain 25e anniversaire de Jazz à Toulon 2014. Le show business dans toute sa splendeur !
Le 7 août en plein cœur de Saint-Jean-du-Var, quartier un peu délaissé, Con Alma entre Amis, devant une place comblée. Là, ce sont vraiment des gens du quartier qui se sont déplacés et qui apprécient qu’on pense à eux. Con Alma, c’est le pianiste hollandais Sébastien Van Dijk qui a réuni quelques jeunes et très bons musiciens pour une expression jazz latin de belle envolée. Le groupe joue des réécritures et des arrangements du pianiste, de grands standards tels « Caravan», « Summertime», « Les Feuilles mortes», etc., qui permettent de longs solos, et même une composition du pianiste avec des paroles en français « Ce Monde est là ». Se détachent du groupe le tromboniste, Michael Joussein, qui chauffe à la Gary Valente avec un son assez proche, et le saxophoniste, Olivier Defays, plus intéressant au soprano qu’au ténor, et qui fait preuve lui aussi d’un engagement chaud. Un bon joueur de congas, Philippe Chiaramida, assisté d’un batteur minimaliste, Abdesslem Gherbi, parfait dans son rôle de gardien du tempo, un contrebassiste solide, Karim Gherbi, et le pianiste bien ancré dans cette musique avec des progressions harmoniques originales. Le maillon faible étant la charmante chanteuse, Geneviève Chalard, justesse approximative, pas de swing, créée un flottement dans le groupe. On s’en rend compte quand ils jouent seuls, la pêche revient. Un concert très agréable avec des musiciens qui rentrent dedans ; ça nettoie les oreilles !
Le 8 août, place Hardouin dans la verdure au quartier des Moulins à la limite nord de Toulon pour un festival de zouc et autres rythmes des îles avec le musicien nourrit à la nitroglycérine, le multi-instrumentiste Pierre Chabrèle, qui éructe des cris à la nuit de son trombone forgé par Lucifer, avec des son gras bien cuivrés, il chante , il crie, il danse, exhorte la foule, infatigable pendant deux heures dans ce contexte particulier. Il a joué avec une multitude de groupes, principalement africains, mais aussi avec Boney Fields, David Murray et, l’an dernier, avec Liz McComb. Il peut être un excellent tromboniste de jazz. A côté de lui, l’élégante et divine chanteuse et danseuse, Jaade, parée de toutes les beautés de l’Afrique, de celles qu’on oublie, douces et fortes à la fois. Elle bouge et danse comme Néfertiti en personne, rien à voir avec ces habituels déhanchements stéréotypés qui plombent tant de groupes. Une belle voix grave, un engagement complet, une présence magique, ouh ! làl ! là ! Roger Thomas est un bassiste électrique puissant et tellurique, le batteur, Denis Thangou, est un cogneur au tempo d’airain et à la relance explosive, le batteur idéal pour cette musique. Un autre musicien qui faisait partie du Gwo Ka Masters de David Murray, l’excellent guitariste sénégalais Hervé Sam. Une virtuosité hors normes, il connaît tout de la guitare électrique, il s’amuse comme un fou dans ce contexte, mêlant tous les styles de guitare de Scofield à Jimi Hendrix en passant par Santana, etc. ; son solo en trio fut un baiser aux étoiles. Il a joué avec Pharoah Sanders, Jimmy Cliff, Pat Metheny, Paco Sery, pour nommer quelques jazzmen. Musique du corps, partage enflammé, pure recherche du plaisir immédiat, ça lave la tête, comme disent certains…
Le 9 août, il y avait encore Manu Katché (dm), devant l’Eglise, place louis Blanc près du port, avec Jim Watson (p, org), Tore Brunborg (s), et Luca Aquino (tp), concert auquel hélas nous n’avons pu assister.
Les concerts apéro : Cette année c’est la dynamique Evelyne qui est chargée de l’organisation de ces concerts sous l’œil bienveillant de l’heureuse retraitée Bernadette Guelfucci qui en avait la charge avec une attention maternelle jusqu’alors. Le 19 place Camille Ledeau : un guitariste dans la grande tradition mainstream, professeur au conservatoire de Toulon, Emile Mélenchon, avec un très bon contrebassiste, Samuel Favreau et un solide batteur, Philippe Jardin. Ce très bon trio joua ses propres compositions avec flamme devant une place archi-pleine.
Le 20, encore Camille Ledeau, place assez ingrate, trop exiguë, inconfortable, pour des concerts qui attirent de plus en plus de monde. Et ce ne sont pas des amateurs de jazz pour l’essentiel, mais des gens qui passent là, écoutent, et restent. C’était Sub Jazz Project, avec un très bon pianiste, Benoît Eyraud, très fin, un jeu mâtiné de classique qui sied bien aux arrangements peaufinés ; deux piliers du jazz vivant dans le coin, Henri Benkhelil aux basses et Rudy Piccinelli, à la batterie et au chant, avec Stéphane Maillard aux percussions, Olivier Debourrez, solide tromboniste et le jeune William Davood, très prometteur, aux saxes et à la flûte. Belle cohésion, subtilités, couleurs orchestrales, un penchant réussi pour les rythmes latinos ; un panier de qualités qui manquent à bien des groupes qui s’agitent sur de grandes scènes.
Le 23, retour à cette délicieuse place Pierre-Puget sous les ombrages avec JR & Friends mené par le claviériste Jean-René Lourtet, excellent chanteur, décontracté au possible, avec une belle voix grave, dans un répertoire rhythm-and-blues de haut vol. Ça chauffe dur avec un sax ténor, Claude Pironneau, du feu dans le cuivre, un mélange d’Earl Bostic et d’Illinois jacquet, et quelle maîtrise des aigus. Un batteur au tempo imperturbable, pilier indestructible du groupe, Franck Ridacker, et Joshue Dominguez qui s’exprime sur une basse électrique à 6 cordes façon à la fois Stanley Clark et guitare classique : résultat assez époustouflant, notamment dans une longue prestation brésilienne dans laquelle il faisait la mélodie sur les cordes aiguës et l’accompagnement sur les graves. Groupe homogène qui exprime son bonheur de jouer ensemble. Un petit régal !
Le 24, un trio de musiciens chevronnés avec l’excellent pianiste Philippe Duchemin qui a commencé par le classique et s’est mis au jazz sous la houlette de Fats Waller, Erroll Garner et surtout Oscar Peterson, dont on retrouve le fonctionnement des deux mains sur les tempos rapides. Il a joué avec Kenny Clarke, Lionel Hampton, Frank Wess, Dany Doriz. Il connaît tout du piano, et ses relectures de Tchaïkovski ou Chopin sont des chefs-d’œuvre, et ça swingue. Il était magnifiquement épaulé, poussé par Christophe Le Van, contrebassiste émérite et son frère Philippe Le Van, batteur imperturbable au soutien remarquable. Du beau et grand jazz qui mériterait la grande scène.
Honneur aux obscurs et aux sans grades, car il n’est rien de plus ingrat pour les musiciens que de faire le fond sonore dans une fête ; Ils s’en tirent en général en jouant pour eux, entre eux. Heureusement il y parfois des oreilles qui traînent et des gens qui applaudissent. Ça leur permet de se sentir moins seuls. C’est le cas pour l’excellent trio Name In Jazz – Jean-Jacques Garsault (g), Marc Tosello (b), Lucien Chassin (dm) – qui en plus du cocktail d’ouverture anime les Ateliers dans la rue : le principe est simple, le musicien s’amène avec son instrument et se fait accompagner par le trio. Il peut poser des questions, demander des conseils, avoir un avis sur sa prestation, etc. Gros succès chez les musiciens en devenir. Grâces soient rendues aussi aux gens du COFS qui triment chaque jour sous un soleil de plomb pour installer la scène et les chaises, pour redémonter le tout après le concert.
Cette année encore, malgré un budget rétréci, Jazz à Toulon s’est promené sur 12 places de la ville pour y offrir 12 grands concerts gratuits, auxquels il faut ajouter les 6 apéro-concerts, et les ateliers dans la rue. C’est sûrement trop en ces temps de restrictions. Voilà pourquoi on a eu assez peu de jazz véritable, même en étant très large sur la définition de cette musique. Mais c’est à peu près la même chose dans les grands festivals, Vienne par exemple. Daniel Michel, l’efficace directeur depuis 24 ans, fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Il synthétise ainsi la philosophie actuelle de ce festival : « Faire plaisir à un large public en offrant un choix éclectique. Pas de préférences de style. Offrir une palette du jazz et de ses environs en fonction des possibilités du COFS (Comité officiel des fêtes et du sport). » En espérant que Jazz à Toulon pourra fêter ses 25 ans en beauté en 2014.
Serge Baudot et Félix W. Sportis (pour les concerts du 25, 26 et 27 juillet)
|
|
|