Bruxelles (Belgique)
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9 juin 2013
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Brussels Jazz Marathon, 24-26 mai 2013
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© Jazz Hot n°664, été 2013
Jeudi 23 : neige au Signal de Botrange. Vendredi 24 : 8,7° Celsius à Bruxelles ; samedi 25 : 11° et vent glacial. Le zizi de Manneken Pis n’a jamais connu ça au mois de mai ! Et pourtant, ce fut encore la foule des grands jours dans les rues et sur les places de Bruxelles. Jazzfans ou fêtards, Belges emmitouflés ou touristes surpris et frigorifiés, ils ont une fois de plus embouteillé les quatre places, les trois clubs et les 62 bistrots de la capitale européenne au cours de trois journées comptant 200 concerts et 700 artistes, avec, en sus, le dimanche matin : 20 km de vrai cross et 37.000 coureurs (je n’y étais pas – le Prince Philippe l’a fait en 1h54’). Y’a pas qu’à Marseille qu’il y a des fadas !
Oui, on le sait bien, on ne peut pas tout voir et tout entendre, d’autant plus qu’il n’y a pas que du jazz au programme. Il est toutefois possible de faire un choix et de tracer son itinéraire. Le vendredi, à 18h30, le premier groupe à recueillir nos faveurs, sur la place Sainte Catherine : l’Organ Trio de Maxime Blésin (g). Pour être assis : faut consommer et y’a pas de café pour se réchauffer. Bof, 20 cl de bière dans un gobelet en plastique feront l’affaire ! Le guitariste remue les doigts, l’organiste fait de même et le batteur percute. C’est parti pour soixante minutes de bop et de swing. Max nous offre les compositions qui ont fait le succès de son dernier opus « Hydrogen Bond » (Orfena OR 003) : « Look At This », « Leaves In Windy Weather »… Lieven Venken est à la batterie alors qu’au Hammond, revenu de Paris, nous retrouvons avec beaucoup de plaisir : le Verviétois Xavier Tribolet. A cette heure-là, ce n’est pas encore la grande foule, mais la musique est belle ; elle chauffe l’âme et les pieds battent la semelle sans parvenir à réchauffer le reste du corps. Faudra penser à se reconstituer avant d’affronter les courants d’air de la Grand’Place ! Pas de problème. Non loin de là : la tentation. Pas le dancing éponyme, mais bien le restaurant « Viva m’boma », une bouteille de Chinon et une succulente rognade de ris de veau (NDLR : l’adresse est en fin de page). Sur la Grand’Place, musiciens et sonorisateurs sont pile-poil à l’heure. A 21h30, Laurent Doumont (ts, voc) peut lancer son band aux accents de « Papa Soul Talkin’ » (Orfena SecD2). La soul music façon Bourbon Street fait mouche avec la crème des musiciens du Nord, du Centre et du Sud. Y’a même les fils maudits, du Sud de l’Italie : Salvatore La Rocca(b) et Lorenzo Di Maio (g) en plus de Lionel Beuvens (dm), Olivier Bodson (tp), Alain Palizeul (tb), Vincent Bruyninckx (p) et, cerise sur le gâteau (glacé) : un magnifique Raf De Backer à l’orgue. « Love Or Leave », « Gonna Be A Godfather », « Cocaïne Blues »… A 22 heures, nous voulions écouter un peu de chaleur en intérieur. Notre choix se porte sur le « Monk », une brasserie de la rue Ste. Catherine où joue aNoo : le groupe d’Anu Junonnen (voc) avec Tuur Florizoone (acc), Yves Peeters (dm) et Dree Peremans (tb). Le café est volleback (plein à craquer en bruxellois) mais nous parvenons à nous glisser près du podium où le bassiste de remplacement a bien du mal à déchiffrer les partitions. Autour de nous, tout s’agite ; on parle fort et on se bouscule. C’est un sacrilège de présenter cette formation riche de beaux arrangements dans un environnement aussi bordélique. On n’en peut plus, on s’enfuit. Et pour s’enfuir, faut s’enfouir dans la mêlée, écraser des pieds, pousser à contre-courant, risquer l’asphyxie. Il est déjà 23 heures. On fait encore un petit tour autour de la Bourse et de Saint-Géry. C’est volleback partout ! En désespoir de places, on saute dans le dernier bus, fourbus.
Le lendemain, mon bien-aimé photographe me lâche. Frileux ? Je m’en vais seul, Grand’Place, écouter Ronnie Cuber (bs) qu’accompagne le trio hollandais de Rob Van Bavel (p) avec Erik Inneke (dm) et Marius Beets (b). Y aurait-il un petit décalage dans la sonorisation ? L’Américain m’apparaît dérouler seul, en avant de la rythmique. Serait-il possible qu’Inneke joue en retard ? Je ne le crois pas. Je tends l’oreille. Le premier solo de sax passé, Rob Van Bavel relaie en solo et tout est parfaitement en place. La charleston marque le tempo de manière imparable ; le hard-bop du trio batave est divin. « Body and Soul », « The Theme » … Le baryton New-Yorkais joue bien mais, encore et toujours, comme s’il était seul. Déception ! Pour suivre, au même endroit, une heure, trente minutes et quelques engelures plus tard : j’espérais me réchauffer avec le « Tribute To Etta James » de Marianna Tootsie (voc), ses deux choristes et les sept musiciens du band. Ca groove pas mal sur la scène et sur les pavés en réponse aux coups de butoir de Bilou Doneux (dm). A ses côtés : Matthieu Van (kb), Jérôme Can den Brill (g), Barry McNeese (eb). La dame chante fort et bien avec, en réponse : une triplette de vrais jazzmen qui ponctue les phrases ( Toine Thys (ts), Jean-Paul Estiévenart (tp), David De Vrieze (tb). Ca balance mais ça ne réchauffe toujours pas. Faut penser à décongeler la viande ! La ligne 29 m’emmène à la Jazz Station vers 20h30 pour y retrouver, fraîchement débarqué de Californie : Phil Abraham (tb). Sur scène : quatre élèves du Conservatoire de Bruxelles vont essayer de séduire leur prof d’ensemble (« Love For Sale »). Le pianiste fait quelques pains, le sax-alto souffle sur le feu, le bassiste ravive la flamme mais la batterie (de cuisine) a bien du mal à trouver la bonne place au milieu des crépitements en devenir. On se promet de revenir goûter la recette dans quelques mois. Heureusement, le plat de consistance arrive vers 22h30, servi par le Chef : Chris Joris (perc), assisté de Jan De Haas (dm), Free Desmyter (p) et Yannick Peeters (b). Pour titiller nos papilles, Chris Joris avait convié un chef étoilé qui a fait ses classes chez Chico Hamilton et McCoy Tyner : Eric Person (ss, as). Eric et Chris se connaissent très bien pour avoir souvent joué ensemble depuis une dizaine d’années. Les œuvres de l’un succèdent à celles de l’autre, la cohésion est parfaite et les solos inventifs (« The Call » de Chris Joris). La musique s’envole vers des sommets. A l’alto comme au soprano, la sonorité de Person est limpide ; les notes coulent, cristallines ; les phrases nous transportent. La paire Joris-De Haas est soudée, complémentaire, parfaitement attentive à la route et aux virages. Le vent se lève et vient la tempête (de notes) ; le cyclone passe (« Katrina ») puis la nature s’apaise alors que les dernières gouttes de pluie résonnent sur les peaux; le vent reprend une courte vigueur avant que meure le souffle. « A Four Letter Word » : une ballade écrite par Chris Joris en mémoire de son épouse Annette décédée en 2001, puis « Ring Leader » et « The Multitudes » : d’Eric Person en dédicace aux victimes de Katrina. A l’écoute, on retient son souffle ; les applaudissements fusent après chaque solo et Free Desmyter n’est pas en reste. A la contrebasse, Yannick Peeters nous surprend. Voici deux ans cette jeune contrebassiste se produisait encore dans les tournois de jeunes talents. La justesse de ses notes, sa maîtrise rythmique et mélodique prouvent aujourd’hui qu’on la retrouvera souvent derrière les grands solistes. Le groupe revient en bis pour un « Body And Soul » joué à l’alto sur un mode calme, en contraste aux aventures précédentes. Et puis : deux bis encore alors que déjà je retourne à pied sous le grésil, aux alentours de minuit, fatigué, gelé, mais heureux de cette apothéose de la deuxième journée.
Jean-Marie Hacquier Photo : Laurent Doumont ©Pierre Hembise by courtesy
***Le restaurant « Viva m’Boma » est situé au 174 rue de Flandres à 1000-Bruxelles. Spécialités : abats, tripes, cuisine de brasserie. Nous avons aimé la rognade de ris de veau (19,50€) accompagnée d’un Chinon Rouge et, en dessert : une mousse au speculoos. Il est indispensable de réserver : 0032 (0)2 512 15 93
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