Jazz en Tête, le festival de Jazz de Clermont-Ferrand fêtait cette année sa 25ème édition. Pour la 24ème année donc la belle salle Maison de la Culture accueille un festival qui va fêter son quart de siècle l'année prochaine. Grace à la grande connaissance du jazz et la passion pour cette musique de Xavier Felgeyrolles, le festival a permis découvrir de nombreux jeunes musiciens à l'aube de leur carrière sans se priver des stars de cette musique. Cette année Keith Brown, Baptiste Herbin, Tony et Scott Tixier constituaient la jeune garde face à Herbie Hancock qui a rempli la grande salle de la Maison de la Culture pour la première soirée à guichet fermés de l'histoire de cette manifestation à l'exception de Miles Davis qui avait joué sous chapiteau, aucune salle n'étant assez grande pour l'accueillir. Si la présidence a changé de main, Nicolas Caillot succédant à Daniel Desthomas, nombre de bénévoles de la première heure sont toujours présents témoignant d'une grande fidélité à un festival à part, par sa programmation, sa volonté de découverte et sa convivialité. Bill Mobley (fh, tp) dirigeait l'Orchestre d'Auvergne et avait réuni un sextet mi-américain (Billy Pierce (ss, ts), Phil Palombi (b), Billy Kilson (dm)), mi-français (Stéphane Guillaume (cl, ts, f), Manuel Rocheman (p, kb), auquel était invité Donald Brown (p, kb). Deux soirées étaient prévues avec une sorte de répétition générale publique le premier soir et concert le deuxième soir avec le même programme en vue d'enregistrer un disque. Si le sextet était bien en place dès le premier soir, il n'en était pas de même de l'Orchestre d'Auvergne parfois trop en retrait, sonorisé plus pour l'enregistrement que pour le public. D'où une certaine difficulté à saisir le propos d'ensemble. Ce défaut corrigé le lendemain le sextet continue a proposer une musique d'excellent niveau avec cette fois-ci la participation cohérente des cordes dont les interventions apportent un autre éclairage à la musique. Bill Mobley joue le plus souvent du bugle dont la sonorité se rapproche plus des saxos et des cordes que la trompette plus brillante. Seul Manuel Rocheman paraît un peu plus en retrait laissant volontiers la main de Donald Brown beaucoup plus exubérant tant au piano qu'aux claviers. Il est à espérer que le disque confirme cette excellente impression. Ce double concert encadrait deux chanteurs très différents. Gregory Porter vient de l'église et c'est évident à la fois dans ses sources d'inspiration (gospel, soul, blues et jazz) dans sa façon de chanter largement baignée dans un style churchy et la soul des années 60 et 70. Son répertoire comporte de plus en plus de compositions originales avec toujours en reprise son grand succès « Nineteen Sixty What ». Sa voix est parfaite pour sa musique, sa tenue en scène assez bonne même s'il reste un peu statique. Malheureusement l'orchestre n'est pas à son niveau et il existe parfois un hiatus important entre le chanteur et la prestation des autres musiciens, honnête mais insuffisante pour permettre au chanteur de progresser. Laïka par contre bénéficie d'un accompagnement de qualité avec Logan Richardson au saxophone alto, Donald Brown au piano et Chris Thomas à la basse. D'emblée se crée une division de l'orchestre : Donald Brown et Chris Thomas demeurent sur le côté le plus swinguant de la musique et trouvent d'emblée une belle entente alors que Laïka est plus proche de Logan Richardson. Tous deux sont dans une forme de discours assez proche tout en retenue. C'est surtout le saphoniste qui demeure le moins expansif, très intériorisé sans jamais beaucoup manifester alors que Laïka, explore un répertoire plus vaste ou Wayne Shorter est bien réinterprété, avec de très beaux climats que complète une solide articulation et une musicalité affirmée. Il peut être regretté le côté occasionnel de ses accompagnateurs (Chris Thomas avouait que c'était là son quatrième concert avec la chanteuse, et probablement le premier pour Donald Brown). Une plus grande cohésion de l'ensemble serait malgré tout souhaitable. Après son disque « Brotherstoon » récemment paru, Baptiste Herbin (ss, ts) retrouve Keith Brown avec lequel il a enregistré trois thèmes sur l'album du pianiste « Sweet & Lovely ». Les deux fils de Donald Brown, Keith (p) et Kenneth (dm), ainsi que Darryl Jones (b) complètent ce quartet de jeunes musiciens. Cet ensemble est à l'évidence codirigé par Baptiste Herbin et Keith Brown. Le saxophoniste retrouve un hard-bop proche de l'esprit bop de Charlie Parker et une musique plus funky qu'il apprécie et vers laquelle le poussent les deux musiciens de Memphis. C'est dans cette veine que s'inscrit naturellement Keith Brown qui se révèle un excellent pianiste plein d'avenir avec une grande délicatesse et un swing affirmé dans la lignée de son père et de Mulgrew Miller. Darryl Jones est toujours d'une grande sureté tandis que le batteur manque un peu de légèreté et de variété dans un jeu solide mais parfois trop puissant. Un peu plus d'écoute lui permettrait sans doute d'adapter son jeu à celui de ses partenaires. Ces jeunes musiciens ont donné un concert prometteur, loin de la jam session fougueuse que constituent généralement ces assemblages. Ambrose Akinmusire est un habitué de Jazz en Tête où il a joué pour la première fois en 2007. Le quintet régulier était présenté sous les deux noms de du trompettiste et du saxophoniste Walter Smith III. Aujourd'hui, avec toujours Justin Brown (dm), Harrish Ragavan (b) et Sam Harris (p), seul demeure le nom d'Ambrose Akinmusire comme leader du quintet. Le saxophoniste se retrouve un peu en retrait laissant la plupart des interventions à son leader avec un musique plus exigeante, plus éloignée du hard bop original. Si le jeu de trompette est toujours extrêmement brillant, la musique est plus réfléchie, plus exigeante, nettement plus intériorisée. Si le quintet résiste, il est certain que l'impression de déséquilibre disparaitra pour une nouvelle progression de la musique. Le summum du festival devait être la présence d'Herbie Hancock en solo fêtant la 25ème édition de la manifestation et les 34 ans du seul est unique disque en solo du pianiste. Autant dire que ce concert était attendu tant par la presse parisienne et le public qui a rempli le théâtre bien avant la date du concert. Equipé d'un grand piano de marque Fazioli, de cinq claviers électroniques (donc 6 claviers ainsi qu'il l'a annoncé!), d'un ordinateurs et de cinq Ipads il a débuté au piano acoustique par une très longue improvisation sur « Footprints » de Wayne Shorter poursuivant en solo le travail sur ce thème fait en duo et en quartet avec le saxophoniste, partant très loin du thème, puis y revenant brièvement avant de s'en éloigner à nouveau et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il juge avoir tirée la quintessence du morceau pour cette interprétation. Il nous a offert 18 minutes de grande créativité où sa formation classique et son plaisir du jazz s'additionnaient pour une grande musique. « Sonrisa » voit l'entrée des claviers tout en conservant une grande partie de piano acoustique. « Maiden Voyage » provoque la première utilisation des Ipads qui apportent des rythmes des couleurs, des nappes et habillent le morceau. Malheureusement les machines se détraquent et Herbie passe plus de temps à essayer de les régler qu'à jouer de la musique tout en pestant contre ses techniciens qui n'ont pas bien ajusté les différents instruments. A partir de là il va surtout jouer du clavier Roland portable, porté en bandoulière comme une guitare et là, même s'il s'amuse, la créativité n'est plus là. Malgré tout la musique reste d'un bon niveau, jamais ennuyeuse. Mais qu'Herbie revienne vite au duo, trio, quartet ou tout autre formule et qu'il délaisse les machines, du moins en public. De surcroit, quelle mouche a donc piqué l'entourage d'Herbie ? Ce soir là le syndrome Keith Jarrett avait frappé : pas de photos, personne en backstage. Il était heureusement toujours aussi amène que d'habitude et n'a pas cherché à tancer les éternels enrhumés des concerts en piano solo. Le dernier soir du festival traditionnellement trois groupes occupent la scène. Eric Chapelle excellent guitariste conjuguant les influences hard bop classiques et la patte de Metheny était accompagné de Frank Pilandon, remarquable saxophoniste baryton et soprano, Dominique Mollet (b) et Richard Héry (dm) pour un concert équilibré d'excellente facture.
Tony Texier est un jeune pianiste français avec deux disques à son actif ; il dirige un quartet avec Logan Richardson (as), Joachim Gauvin (b) et Ryan Lee à la batterie. Il a un frère jumeau Scott, qui joue du violon et vit habituellement à New York et il l'a invité pour ce concert. Les deux frères jouent dans des styles différents et la distance ne leur permet pas de jouer souvent ensemble. Logan Richardson reste à nouveau dans son monde, même s'il est un peu plus présent à la musique de Tony Tixier. Le jeu du pianiste est très classique avec diverses influences, un certain sens du groove et de belle couleur. Scott Tixier semble plus impliqué dans des musiques plus aventureuses et la cohésion de l'ensemble s'en ressent. Mais ce sont en tout cas des musiciens à suivre. Chris Dave est lui aussi un habitué de Clermont-Ferrand. Il accompagne Robert Glasper sur ses trois derniers disques et l'accompagne parfois en tournée lorsqu'il ne joue pas avec son groupe comme pour cette soirée. Kebbi Williams (déjà venu à Jazz en Tête avec Russell Gunn) est affublé d'un chapeau haut de forme (voisin de celui de Rahsaan Roland Kirk sur certaines pochettes de disques), chapeau qui dégringole à chaque solo avec la volubilité et la tonicité du musicien. Comme pour annoncer ce qui va suivre, le groupe attaque avec Giant Steps, mais une version bien loin de celle de John Coltrane. Chris Dave dirige de sa batterie et laisse une large place à ses musiciens. Le guitariste Ishaie Shakey Thomas prend de larges solo soit proches du blues soient totalement déchirés comme dans le free jazz. Sa version de « Hey Joe » est très loin de Jimi Hendrix, mais tout aussi passionnée et passionnante. La bassiste Braylon Lacy prend aussi de nombreux solos portés par un groove puissant. Ces deux musiciens jouent assis sur une chaise, comme dans les formations de New Orleans, mais on est loin de la musique traditionnelle de la cité de Croissant. Chris Dave est un maître de la batterie, ainsi qu'un grand musicien. La musique est celle du groupe et non celle de quelques musiciens assemblés. Au délà des styles elle se plait à faire le grand écart avec les styles, faisant de vrais pas de géant d'un morceau à l'autre. Le quartet crée une atmosphère très prenante, toujours tendu sans jamais privilégier la musique électrique par rapport à la mélodie. Jazz en Tête a connu une belle fréquentation, même sans tête d'affiche. La concurrence de Marcus Miller programmé dans une autre salle pendant le festival n'a pas empêché une belle salle pour le concert de Baptiste Herbin et celui de Ambrose Akinmusire. Quelques découvertes, des confirmations, une grande star laissent entrevoir une belle 26ème édition pour le 25ème anniversaire du festival, l'un des rares a conserver une jam session quotidienne.
Guy Reynard Photos : Kebbi Williams et Chris Dave ©Guy Reynard
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