Err

Bandeau-pdf-web.jpg


Jazz Hot n°500, 1993

CHANTONS SOUS L'OCCUPATION?

Cette rentrée masquée, le symbole de l'asservissement le plus absurde de la mise en place accélérée de la dictature mondialisée (il faut bâillonner l'expression au propre et au figuré, éviter toute expression individuelle ou collective d'une alternative) nous contraint à modifier nos fonctionnements. Empêchés de faire librement notre travail d'information et de soutien à une création artistique vivante et libre, par les conditions mêmes de l'expression (simulacres de concerts avec publics et parfois musiciens masqués et/ou en virtuel), le jazz en particulier qui symbolisa la victoire sur le précédent projet de dictature planétaire, JAZZ HOT suspend donc les comptes rendus à compter de ce jour. Cela durera tant que le port du masque sera obligatoire et la liberté de circulation restreinte par des décisions liberticides. JAZZ HOT ne sera ni complice ni caution ni spectateur muet de cette mutation forcée.
JAZZ HOT garde son cap et ses principes malgré cette destruction économique organisée par l'oligarchie, sur fond d'une crise économique de surproduction de biens de consommation, sans utilité dans ces quantités (automobiles, écrans, smartphones, jeux, pseudo-culture commerciale de consommation ou d'élite, etc.), et dans la perspective de faire payer à la collectivité, par un endettement éternel qui soumet les peuples (exemple la Grèce), l'accumulation aberrante des profits dans les paradis fiscaux des quelques centaines d’oligarques qui dirigent aujourd'hui le monde sans contre-pouvoirs.
Nous aimerions vous dire que cette chronique reprendra bientôt, mais nous le pensons pas. Le seul jazz vivant et libre qui se diffuse aujourd'hui passe par le disque (pas encore totalement contrôlé), car les liens que nous vous donnons –de musiciens ou de lieux qui résistent– se font sous la contrainte des réseaux de domination eux-mêmes (réseaux sociaux, virtualité du streaming, etc.). Nous l’avons souligné à chaque compte-rendu, et nous n'entendons plus banaliser la virtualisation de l'expression du jazz, une contradiction fondamentale et un mauvais service, en rendant compte de ces concerts dans le cadre de ces contraintes. C'est contraire même à l'esprit du jazz, à l’expression artistique.  Même si la liberté du jazz a toujours été contingentée par la réalité, notamment dans sa réalité afro-américaine, dans les clubs, dans les églises comme dans la rue et dans les bordels, jamais l'expression artistique n'a vécu un tel interdit, un tel enfermement, une telle restriction d'expression, même dans les périodes les  plus sombres de l'histoire de l'humanité. Django a joué du Django sous l'Occupation devant un public non sélectionné et non masqué, prenant ses risques. Sauf à ce que le virus soit évalué comme plus dangereux que le nazisme, la disproportion des mesures liberticides prises en France et sur la planète devrait sauter au yeux. Ce n'est pas le cas et c’est le plus inquiétant.
En suspendant cette rubrique des comptes-rendus de l'expression jazzique, nous avons conscience que ce n'est pas sans conséquence, mais, justement et en raison même de cette dérive liberticide, d’une nécessité absolue de marquer dans JAZZ HOT, revue historique, cette période de dictature d'une pierre, aujourd'hui où ce qui a fait la réalité du jazz –la rencontre libre entre artistes et avec le public, la libre expression– a été banni de la planète, et où trop peu d'acteurs, artistes compris, ont pris conscience de cette réalité inacceptable sur le plan des libertés publiques, et alors même que 
le dommage économique est irréversible en matière d'art.
En attendant, il sera toujours utile de relire des numéros anciens pour apprécier ce que furent les périodes fertiles du jazz et du monde, malgré un contexte plus difficile objectivement qu'aujourd'hui sur le plan politique, social, économique et sanitaire. Vous aiderez ainsi JAZZ HOT à lutter dans cette épreuve, à poursuivre son œuvre de mémoire, de défense des valeurs, dont la liberté de pensée et de création, une réponse alternative qui
, malgré sa marginalité,  contrarie encore profondément et radicalement cette oligarchie, ce nouvel ordre mondial, car il témoigne de la beauté de l'héritage, apporté par des hommes et des femmes qui ont lutté pour s'exprimer et conquérir leur liberté, dans une recherche d'égalité jamais atteinte. Les acteurs du jazz en particulier ont légué au monde une philosophie alternative d'une exceptionnelle profondeur, contrairement à ce qui est dit dans les discours plaintifs et culpabilisants des jeunistes et écologistes. Les générations actuelles, et pas seulement celles du jazz, ont l'impérieuse nécessité de se saisir de cet héritage de lutte et d'anticonformisme, qui ne se limite pas au jazz, de recouvrer leur mémoire, pour pouvoir penser un jour reconquérir leur liberté.
  Yves Sportis-septembre 2020
Directeur de la publication
© Jazz Hot 2020

*