Laure Donnat est née
à Mende (Lozère), d’une mère franco-guinéenne. Cette origine se
retrouve dans sa pratique sans frontières de la musique: jazz, quand
elle reprend les standards avec son quartet sur son dernier album, Afro Blue (Jazz Hot n°681), quand elle rend hommage
à Billie Holiday (Billie’s Blues avec
Lilian Bencini, b) ou se produit en trio avec Roger Mennillo (p) et Ugo
Lemarchand (ts); musique improvisée quand elle participe aux enregistrements de
Raymond Boni ou René Botlang et par son appartenance à La Compagnie de l’Arbre
de Mai (avec notamment Perrine Mansuy, p, et Rémi Charmasson, g); musiques du
monde avec son groupe Rio Mandingue…
Après un passage par
l’ONJ de Paolo Damiani (b), au début des années 2000 (où elle côtoie Médéric Collignon), elle débute une
collaboration au long court avec Rémi Charmasson et le label AJMI. Laure Donnat
poursuit depuis une carrière riche et variée, de chanteuse et de professeur de
chant. Implantée dans le Sud-Est de la France, elle ne manque pas de projets: un disque de compositions et un spectacle mêlant musique et
vidéo portant sur l’œuvre du peintre varois Jean-Pierre Giacobazzi
(1941-2007), ou encore un nouvel album en duo avec Lilian Bencini, sans oublier de nombreux concerts… Propos recueillis par Jérôme Partage Photos Camille, Hugues Castan by courtesy of Laure Donnat, Patrick Martineau
© Jazz Hot n°684, été 2018
Jazz Hot: Comment
avez-vous découvert la musique?
Laure Donnat: J’ai
commencé par étudier le piano classique à partir de l’âge de 6 ans, pendant dix
ans. Mais pas du tout le chant. C’est venu plus tard. A 16 ans, j’avais des
copains qui avaient un groupe de rock et que j’allais souvent voir répéter. Un
jour, ils m’ont proposé de devenir choriste. Ensemble, on a voulu suivre des
études musicales, et je me suis retrouvée à L’Institut Musical de Formation
Professionnelle (IMFP) de Salon-de-Provence, une école de jazz. C’est ainsi
que je suis entrée en contact avec cet univers qui m’a beaucoup plu. Je me suis
orientée ensuite vers la musique improvisée, et je suis entrée dans la classe de
Rémi Charmasson à l’AJMI, à Avignon.
Quand avez-vous
débuté votre carrière professionnelle?
En 2000, j’ai passé une audition pour intégrer l’Orchestre National
de Jazz sous la direction de Paolo Damiani (b). A ma grande surprise, j’ai été
sélectionnée, et j’ai participé à la vie de cet orchestre pendant un an. Ça
a été une expérience troublante car je débarquais au milieu de jeunes jazzmen
parisiens qui jouaient énormément et qui avaient déjà une certaine notoriété,
comme Médéric Collignon, Manu Codjia, Christophe Marguet… Et ces musiciens qui
travaillaient depuis des années se demandaient qui était cette fille qui venait
de nulle part et qui se retrouvait au même niveau qu’eux. En outre, la
direction de Paolo Damiani n’avait pas bonne presse auprès des festivals en
France, et on a donc beaucoup joué mais en Europe. Au final, je garde un
souvenir mitigé de cette expérience. Mais, au sortir de l’ONJ, j’ai commencé à
être sollicitée pour des collaborations.
Lesquelles?
Il y a eu notamment Rémi Charmasson avec qui j’ai démarré
une collaboration sur le long terme, que nous travaillons toujours ensemble
aujourd’hui. Parallèlement, j’ai participé à plusieurs enregistrements pour
l’AJMI Série, notamment avec Guillaume Séguron (b) ainsi que Rémi
Charmasson et Eric Echampard (dm) sur Witches,
une relecture des titres du groupe Police. Rémi et moi avons même monté une
compagnie ensemble, La Compagnie de l’Arbre de Mai, avec laquelle nous avons
enregistré en 2012 un disque en hommage à Jimi Hendrix, The Wind Cries Jimi (AJMI Series). Le projet avait été initié par
Rémi et a réuni Perrine Mansuy, Bernard Santacruz (b)
et Bruno Bertrand (dm). En outre, j’ai autoproduit deux albums avec mon
quintet, sur des compositions.
Vous avez également
enregistré un disque en hommage à Billie Holiday…
Oui, en 2010, avec mon compagnon Lilian Bencini. Nous avons
décidé d’enregistrer en duo, à New York, en studio. Par la suite, nous avons
collaboré avec Danièle Robert, la traductrice de l’autobiographie de Billie
Holiday en France et également l’auteur d’un livre magnifique intitulé Les Chants de l’aube de Lady Day. Après
avoir lu son livre, j’ai eu envie de l’inviter à donner des lectures pendant
nos concerts. On s’est ainsi produit de nombreuses fois ensemble, notamment à
Jazz à Vienne. Plus jeune, je n’étais pas particulièrement attirée par la voix
de Billie Holiday. Je lui préférai Ella Fitzgerald. C’est quand j’ai compris ce
qu’avait été son destin que je me suis rapprochée d’elle. La relecture très
personnelle que nous avons faite de ses chansons, avec la lecture des textes,
rend une ambiance qui reflète, je pense, celle de sa vie.
Parlez-nous de votre
travail de composition…
Je me suis beaucoup cherchée dans ce domaine. Et sur mes
deux disques, Le Temps d’agir et Straight Ahead, j’ai mêlé à mes propres
compositions celles des musiciens qui m’accompagnaient, sur lesquelles j’ai
posé des textes. Ça a donné un patchwork ni vraiment jazz, ni vraiment chanson…
C’est justement lié au fait qu’à l’époque je ne m’étais pas encore vraiment
trouvée. Aujourd’hui, je ne compose plus que pour le groupe Rio Mandingue qui
mêle musique brésilienne et musique d’Afrique de l’Ouest d’où je suis
originaire. Je trouve plus ma voie, en tant que compositrice, dans ce style-là.
Vous vous exprimez
donc aujourd’hui à la fois dans le jazz et dans les musiques du monde?
Oui. Je ne veux pas que l’on me range dans une case. J’aime participer
à des projets très différents, et toute musique ayant des racines fortes
m’intéresse vocalement: j’aime chanter le tango, la bossa, le fado, le blues,
le gospel… J’ai aussi monté un répertoire de chansons françaises au sein du
Trio Mémoires, avec Christophe Lampidecchia (acc) et Lilian Bencini, notamment
les chansons d’Yves Montand qui sont devenues des standards. Et là encore,
c’est une relecture à notre façon.
Comment
définissez-vous le jazz?
Le jazz, c’est pour moi la liberté! Une liberté qui
transcende toutes les contraintes de formes et de styles. C’est aussi la mixité
par essence, car son origine est née d’un métissage. Celle-ci permet au
musicien d’être dans un processus créateur qui n’a pas de fin, aux antipodes de
la musique classique. Le jazz est, selon moi, plus une philosophie, un mode de
vie, qu’un style à proprement parler. Créer sans cesse de l’espace, c’est cela
le jazz.
Quelles sont vos principales
influences dans le jazz?
Mon premier modèle, dans la façon de concevoir la musique,
c’est Thelonious Monk. Je l’ai beaucoup écouté et encore aujourd’hui avec la
même fraîcheur. C’est un musicien intemporel. Et pour ce qui est des
chanteuses, j’affectionne particulièrement Carmen McRae et Abbey Lincoln.
J’aime ces voix qui viennent de loin, un peu rocailleuses… Par ailleurs, Abbey
Lincoln composait, ce qui est plutôt rare parmi les chanteuses de jazz, et c’est
quelque chose d’important pour moi. Sinon, s’agissant de chanteuses plus
actuelles, j’aime Dianne Reeves et Cassandra Wilson.
Que pensez-vous du marketing pratiqué par les majors autour
des chanteuses de jazz?
Ça n’apporte rien de positif pour le jazz que de promouvoir
une musique aseptisée. Car le jazz c’est tout le contraire. C’est une musique
de protestation que l’on joue avec ses tripes! Et ça peut créer de la confusion
chez les jeunes artistes qui veulent se lancer et qui pourraient adopter de
mauvais modèles.
Vous enseignez…
En fait, l’enseignement est venu à moi plus que je ne l’ai
cherché. En 2001, Jean-Paul Ricard, le président de l’AJMI, m’a demandé
d’animer des ateliers vocaux. Et j’ai continué à les diriger pendant quatorze
ans. Puis, le Conservatoire du Grand Avignon m’a proposé un poste de professeur
de chant jazz et musiques actuelles. Enfin, j’ai parallèlement été sollicitée
par l’IMFP à Salon-de-Provence. J’adore enseigner. J’essaie avant tout de
transmettre une discipline. Beaucoup de jeunes pensent qu’on peut devenir
chanteur sans effort particulier, sans travail. Ils rêvent de devenir célèbres
en passant dans une émission de télé-réalité… Je veux leur faire comprendre que
ça ne peut pas être un objectif de vie, et que le chant est comme un art martial:
on doit s’y adonner tous les jours. On doit écouter énormément de musique, se
nourrir. Et si on n’a pas cette passion, il vaut mieux ne pas s’engager sur
cette voie.
Voyez-vous le public
du jazz se renouveler?
Pas vraiment. Là où je me produits, le public est plutôt
grisonnant. Malgré les initiatives pour rajeunir les auditoires, je ne suis pas
très optimiste sur les années à venir. Les grands médias ne sont pas étrangers
à cette situation.
A l’automne 2016,
vous avez participé, au Jazz-Club de Grenoble, au spectacle The Swing Ladies avec Kristin Marion et
Denise King…
Je suis amie avec Kristin Marion et son mari Philippe Martel
(p). Nous avions déjà joué avec Kristin et Denise pour un petit festival sur
la Côte d’Azur (à Sainte-Maxime), et Kristin avait envie que nous partagions de
nouveau la scène. J’en garde un très bon souvenir. C’est rare de trouver sur
une même scène trois chanteuses de jazz qui chantent avec trois feelings
différents et qui s’apprécient. Mais sinon, je ne participe pas régulièrement à
ce type de concert! L’été dernier, vous étiez au festival Jazz à Beaupré (Saint-Cannat) en trio avec Roger Mennillo
(p) et Ugo Lemarchand (ts). Une suite est-elle prévue?
Avec ce trio nous marchons toujours sur la corde raide, car
nous jouons beaucoup de compositions de Roger qui ont été pensées avec une
rythmique! C’est un exercice assez périlleux, mais, en contrepartie, cela ouvre
un espace de jeu différent, qui fait que l’on peut partir beaucoup plus loin.
Je garde un superbe souvenir du duo saxophone/voix en introduction du thème de
blues «Fine and Mellow». Un moment magique! Nous avons un album en projet: la
difficulté est simplement d’accorder nos agendas!
* CONTACT: www.lauredonnat.com
EN CONCERT: 21/6 à Rognes (13) Rio Mandingue; 15/07 Festival du Ranquet, Istres (13), Le Lotus Septet; 17/07 Junas (34), la Compagnie de l'Arbre de Mai projet "Open bal"; 19/07 Puyloubier (13), Roger Menillo Trio; 20/07 Perpignan (66), Rio Mandingue; 21/07 Trets (13), Rio Mandingue; 27/07 Beaucet (84), La compagnie de l'Arbre de Mai projet "Thé Windows cries Jimi"; 28/07 Eygalieres (13), Petit Bal de Luxe sous la direction de Louis Winsberg; 21/07 Mallemort (13), Rio Mandingue; 1/9 Viens (84), Chapelle Saint-Ferréol, Laure Donnat Quartet; 14/09 Puy-Sainte-Reyparade (13), Rio Mandingue; 27/10 Puyloubier (13), Rio Mandingue; Du 28 au 31/10 Roanne (42), les Fines Bouches; 7/12 Port-Saint-Louis-du-Rhône (13), Rio Mandingue.
DISCOGRAPHIE Leader/Coleader CD 2003. Le Temps d’agir, Autoproduction CD 2007. Straight Ahead, Autoproduction CD 2010. Billie’s Blues, Autoproduction (avec Lilian
Bencini) CD 2016. Afro Blue, Aneto Music 1604
Sidewoman CD 2003. Guillaume Séguron Quartet, Witches, AJMI Series 06 CD 2003. Raymond Boni Fortuna 21 Octet, Terronès. Suite
andalouse, Blue Marge 1007 CD 2003. Bernard Jean Quintet, On Both Sides, Maël Prod. CD 2006. René Bottlang, Artlongo, AJMI Series 14 CD 2012. Rémi Charmasson Quintet, The Wind Cries Jimi, AJMI
Series 23
VIDEOS
2009. Laure Donnat 5, Live à l’AJMI, Avignon (10 avril 2009) Laure Donnat (voc), Rémi Dumoulin (ts), Jean-Luc Granier
(eg), Lilian Bencini (b), Frédéric Pasqua (dm) https://www.youtube.com/watch?v=4o95HSUtfH4
2012. Laure Donnat / Lilian Bencini, «What a Little
Moonlight Can Do», Alliance française de San Salvador, Salvador (9 février
2012) Laure Donnat (voc), Lilian Bencini (b) https://www.youtube.com/watch?v=m5e5UyhHiW4
2016. Laure Donnat Quartet, «Round Midnight», Sunside, Paris
(13 octobre 2016) Laure Donnat (voc), Sébastien Germain (p), Lilian Bencini
(b), Frédéric Pasqua (dm) https://www.youtube.com/watch?v=bt44HUICcd4
2017. Laure Donnat Quartet, «Dat Dere», Altitude Jazz
Festival, Briançon (27 janvier 2017) Laure Donnat (voc), Sébastien Germain (p), Lilian Bencini
(b), Jean-Luc Di Fraya (dm) https://www.youtube.com/watch?v=RxOb1GsabSQ
2017. Roger Mennillo / Ugo Lemarchand / Laure Donnat, concert
intégral, Jazz à Beaupré, Saint-Cannat (8 juillet 2017) Roger Mennillo (p), Ugo Lemarchand (ts), Laure Donnat (voc) https://www.youtube.com/watch?v=nB9udONlHtw
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